Me Jacqueline BEAUX-LAMOTTE,
Avocat
Me Françoise BAQUÉ DE
ZAN,
Avocat
Me
BEAUX-LAMOTTE
. - Merci de donner la parole aux avocats. Je voudrais vous
dire que j'interviens comme modeste porte-parole...
M. le Président. -
C'est la défense qui parle.
Me BEAUX-LAMOTTE. -
Oui, C'est la défense qui parle. J'interviens
comme le porte-parole de la Commission du droit de la famille du barreau de
Paris qui n'est pas seulement de Paris, puisque se sont jointes à ces
travaux deux associations à caractère national, Droit et
Procédure, ainsi que l'Association des avocats de la famille.
Cette commission a beaucoup travaillé en matière de droit de la
famille, notamment le droit des successions et la protection des majeurs
incapables.
Ceci dit, mon intervention sera très ponctuelle, puisqu'elle concernera
seulement le droit du divorce. Il me paraît intéressant de vous
dire qu'hier, le Conseil de l'ordre de Paris a donné son accord sur les
orientations et les propositions que je vais donc vous exposer.
Il me semble que mon rôle est de vous dire comment nous concevons
l'avocat dans le divorce. Notre commission y a beaucoup réfléchi,
surtout sur le devoir de conseil préalable à l'introduction de la
procédure de divorce.
Auxiliaire de justice auprès du juge aux affaires familiales, l'avocat
est celui que l'on va voir en premier -sa présence est obligatoire-
avant de prendre la décision d'une séparation officielle et
définitive. Tenter la réconciliation, favoriser l'accord,
éviter un contentieux douloureux dans la préoccupation du respect
de la famille : croyez-le bien, les avocats sont conscients de ces
devoirs, mêmes s'ils sont souvent pris dans la tourmente de la crise du
couple, dont l'un au moins refuse de continuer à partager la vie
commune.
S'il y a dans tout avocat l'instinct de la défense et même du
combat, l'avocat de la famille apprend à laisser au vestiaire tout
esprit de chicane pour trouver la bonne solution, c'est-à-dire celle qui
sera, sinon juste, du moins acceptée et permettra un espoir de
reconstruire une vie nouvelle.
Le rôle de l'avocat, dans le droit du divorce, n'apparaît pas
contesté. Même parmi les partisans d'un divorce non judiciaire, on
semble donc lui faire confiance, mais n'oubliez pas qu'il tire sa
légitimité de son rôle d'auxiliaire de justice. C'est cette
qualité qui lui donne son autorité liée au
caractère obligatoire de ses fonctions auprès du juge.
Si la recherche d'un accord, surtout en présence d'enfants,
apparaît une obligation d'ordre même déontologique
(lettre-type préalable à tout dépôt de requête
et pourparlers confidentiels), force est de constater que nous devons choisir
entre les quatre procédures offertes par la loi de 1975 car le divorce
par consentement mutuel n'est pas toujours la meilleure solution. La
différence est parfois grande entre le désir de chacun des
conjoints, qu'il s'agisse des modalités de l'exercice de
l'autorité parentale, de l'hébergement habituel ou des
conséquences financières du divorce.
Il faut savoir que les époux sont souvent très ignorants de leurs
droits et surtout de leurs devoirs, et qu'alors, la première
étape d'une audience de conciliation contentieuse s'avère parfois
nécessaire.
C'est dans cet esprit que notre commission a effectué un important
effort de réflexion sur une possible actualisation de la loi de 1975 sur
le divorce dans une recherche pragmatique de simplification ayant pour but
d'alléger la tâche du juge, mais sans pour autant renoncer
à l'acquis de plus de 20 années d'expérience et
d'enrichissements de toutes natures dans l'oeuvre de justice la plus proche du
justiciable.
Les orientations retenues visent l'ensemble des cas de divorce offerts par la
loi de 1975, mais ne prévoient pas de cas nouveaux, comme l'institution
du divorce prononcé par l'officier d'état civil sur simple
déclaration des époux.
Si vous voulez bien m'en donner un peu le temps, je voudrais revenir assez
à fond sur ce problème de divorce devant l'officier d'état
civil. C'est un sujet dont on parle beaucoup. Je voudrais vous donner l'avis
approfondi de notre commission sur ce problème, d'autant que nous avons
parmi nous un avocat qui est le président de l'Association des avocats
pour le divorce devant l'officier d'état civil. Nous avons eu une
discussion tout à fait contradictoire et nous avons écouté
les arguments pour ce divorce devant l'officier d'état civil.
Ce serait une cinquième procédure réservée à
des divorces simples : pas d'enfant, pas de biens, un temps très
court de mariage. Quel est alors le critère ? On ne nous l'a pas
vraiment dit. Comment va-t-il être déterminé ?
On parle aussi de deux phases séparées. Première phase,
accord sur le divorce, deuxième phase, on revient devant le juge
à trois niveaux : enfants, prestation compensatoire, liquidation du
régime matrimonial, et ce dans un délai précis.
Le danger me semble évident de voir prononcé le divorce sans
réfléchir sur les conséquences. Cette situation risque de
générer un contentieux important que l'on veut justement
éviter.
A l'appui de ces propositions, la commission a écouté
différents arguments tels que : l'évolution de la
société et le désir des conjoints d'être les seuls
maîtres des événements de la vie ; une modification de la
conception du divorce qui ne serait plus un drame, mais une voie normale de la
vie du couple. La famille se décomposant et se recomposant, le fil
conducteur aurait changé, il y aurait d'autres solidarités. Le
divorce devient "démariage". L'officier d'état civil pourrait
démarier sur simple déclaration en enregistrant le consentement,
comme il l'a fait au moment de la célébration du mariage. On
invoque alors le parallélisme des formes.
J'ai entendu également que les magistrats seraient submergés par
un contentieux dit de masse -la formule est un peu choquante en matière
de droit de la famille-, qu'ils seraient fatigués d'homologuer les
accords qui leur sont présentés, qu'ils choisiraient de
réserver leur énergie à la solution des conflits,
exerçant ainsi véritablement leur pouvoir de décision.
On nous dit que la déjudiciarisation séduit bon nombre de
Français (70 %), mais comment la question leur a-t-elle
été posée pour obtenir ce pourcentage dans les
sondages ?
J'invoquerai trois arguments à l'encontre de cette mesure.
Premièrement, l'ordre public et le rôle de l'Etat dans la
protection de la famille.
Deuxièmement, la protection du conjoint le plus faible.
Troisièmement, l'expérience pratique.
L'ordre public, le rôle de l'Etat dans sa fonction de protection de la
famille : la commission invoque l'article 16 de la Déclaration
universelle des droits de l'homme : "La famille est
l'élément naturel et fondamental de la société,
elle a le droit à la protection de l'Etat". Les intérêts
individuels devant s'effacer devant l'intérêt collectif, l'ordre
public est concerné par l'institution familiale. Le divorce
prononcé sur simple déclaration auprès de l'officier
d'état civil fragilise à coup sûr l'institution du mariage,
aboutit à créer une confusion avec le concubinage, ce qui se
conçoit mal alors que l'on entend légiférer à
propos du concubinage.
Enfin, toutes modification apportée à l'état des
personnes, devant faire l'objet préalablement d'une décision
judiciaire, il ne saurait être question de parallélisme des
formes, alors qu'il est par exemple impossible de rectifier le seul
prénom d'un enfant déclaré à l'état civil
sans l'intervention de l'autorité judiciaire.
Il faut également à l'évidence éviter le
consentement forcé. Tout praticien vous témoignera de l'existence
de rapports de force dans un couple. Sachez qu'il faut plusieurs rendez-vous
pour savoir très exactement ce que pense son client, encore plus pour
connaître la réalité des faits. Il faut savoir que les gens
font encore une relation entre la faute et les conséquences
financières du divorce. Combien de mères prêtes à
accepter n'importe quoi de peur de perdre leurs enfants ?
Il faut du temps et de la réflexion avant d'officialiser une
séparation. Il faut aussi protéger le plus faible. Attention au
pouvoir de l'argent, à la domination physique et psychique. Le
rôle du juge et de l'avocat est essentiellement protecteur. Il faut
prendre garde à l'apparente simplicité. Ce qui peut être
dramatique, c'est l'échec d'un couple et non pas, à mon avis,
l'exigence d'un divorce judiciaire.
Faites attention aux divorces qui seront déguisés en divorces
simples, et à l'émergence d'officines de divorce qui n'offriront
pas la garantie de l'autorité judiciaire indépendante et
accessible à tous.
Le ministère de l'avocat, en matière de divorce, s'impose comme
auxiliaire du juge et non pas, comme on voudrait le dire, comme conseiller
juridique privilégié. Notre rôle est celui d'auxiliaire de
justice et nous tirons notre autorité de cette qualité. On sait
que le public a un besoin grandissant d'une solution de justice. Je rejoins
M. le sénateur Balarello dans sa réflexion de tout à
l'heure : c'est à mon avis à la justice de s'organiser pour
traiter ce contentieux qu'elle qualifie de masse.
Quant à l'objection tirée du coût du divorce, laissez-moi
vous dire qu'elle n'apparaît pas pertinente alors que la justice est
gratuite, que les justiciables peuvent bénéficier de l'aide
juridictionnelle pour obtenir l'assistance d'un avocat. Il est dommage que le
juge aux affaires familiales semble s'écarter de son rôle
d'homologation et de contrôle des accords passés en matière
familiale, au regard de l'intérêt de la famille, alors que les
procédures gracieuses sont fréquentes en droit des personnes.
C'est pour toutes ces raisons que la Commission exprime un avis négatif
sur le divorce devant l'officier de l'état civil.
Il ne faut pas être seulement négatif et nous proposons un
assouplissement des procédures existantes.
Pour ce qui concerne le divorce par requête conjointe, je rappelle que
l'intérêt de cette procédure est double : non
seulement éviter les conflits, mais aussi fixer définitivement et
sans recours possible, sauf la voie du pourvoi en Cassation et de l'action en
révision, toutes les conséquences financières du divorce.
Le législateur a voulu un consentement éclairé soumis
à l'homologation du juge avec un temps obligatoire de réflexion.
On s'aperçoit cependant qu'il y a des contraintes. Comme Mme Courcelle
vous l'a dit tout à l'heure, il y a plus de 50 % de requêtes
conjointes à Paris, mais on s'aperçoit quand même d'une
recrudescence du divorce pour faute. Les contraintes sont essentiellement
tirées de la double comparution. Le divorce peut être simple et
une seule audience peut suffire ou bien il peut avoir été
complexe et difficile, mais avoir abouti à un accord après
beaucoup de mois, et il n'est plus utile de prévoir une deuxième
audience.
Nous prévoyons une modification très simple : donner aux
parties la possibilité de demander dans la requête conjointe de
les dispenser du délai de réflexion de trois mois prévu
à l'article 231 du Code civil. Quand on dépose la requête,
on demande à être dispensé du délai de
réflexion et on s'en explique auprès du juge. On peut lui dire
que le divorce est simple et lui donner la motivation, ou lui dire
également que le divorce paraît compliqué mais qu'on a bien
réfléchi. Il y a donc une demande de dispense qui fait
également que le juge, qui se plaint d'être une simple chambre
d'enregistrement, a son rôle et peut, si la demande de dispense est
motivée, prononcer immédiatement le divorce.
Cela a également pour effet de décharger le prétoire des
juges aux affaires familiales, puisque d'accord avec les parties et les
avocats, il pourra prononcer tout de suite le divorce, ou bien il refusera le
délai pour des motifs qu'il exposera et renverra aux articles 1093,
1094, et 1095.
Nous avons également travaillé sur le divorce sur demande
acceptée. C'est une procédure assez peu utilisée et c'est
peut-être dommage car c'est une procédure qui présente
l'intérêt d'éviter un conflit sur les torts respectifs et
qui laisse au juge le soin de décider des conséquences du
divorce.
Nous proposons d'assouplir et de moderniser cette procédure. Tout
d'abord, nous proposons de supprimer ce mémoire qui oblige la partie
demanderesse à expliquer pourquoi la vie commune n'est plus possible.
Nous proposons également de permettre aux époux de faire cette
demande conjointement. La demande acceptée présente le risque de
ne pas voir cette demande acceptée. On n'aurait plus cet aléa et
l'on pourrait proposer cette procédure sur demande conjointe. Le
critère ne serait plus que la vie commune ne peut plus être
possible avec le report, la motivation dans les mémoires, mais serait le
constat accepté et partagé de l'échec du couple.
Nous avons fait une proposition de texte que vous trouverez dans mon rapport et
qui peut-être pourra intéresser votre commission des Lois.
Le divorce pour faute, nous n'y touchons pas. Je ne veux pas reprendre le
propos, tellement critiqué par le M. le Professeur Benabent, ce matin,
d'une répudiation, mais si on enlève la notion de force dans le
divorce, on va très loin. Je pense qu'il faut également laisser
faire les conjoints, s'ils veulent échanger leurs griefs et s'ils
veulent que la justice tranche.
En revanche, sur le divorce pour rupture de la vie commune, qui est un divorce
imposé, la Commission est d'accord pour réduire le temps de
séparation de six ans à trois ans. Je dois vous dire qu'il n'y a
pas l'unanimité. Le barreau de Paris demande également de ne pas
retenir le chiffre de trois ans qui n'a pas eu l'unanimité non plus.
Personnellement, je trouve que c'est un raccourcissement de délai
beaucoup trop important.
La passerelle est à revoir parce que la loi de 1975 n'est pas
très claire sur ce point. Nous avons donc fait une proposition de texte
là-dessus pour ne pas garder une fausse passerelle qui est dans la loi
de 1975 et qui fait que certains juges aux affaires familiales utilisent la
passerelle et pas d'autres. La passerelle veut dire qu'à tout moment
d'une procédure contentieuse, on peut revenir sous forme de
requête conjointe, et à ce moment-là, il ne faudrait avoir
qu'une seule audience. Il ne sera pas très difficile de faire une
réforme à ce sujet. Elle présentera l'énorme
avantage qu'à tout moment, on peut aller du contentieux au gracieux.
En revanche, on ne veut pas le contraire. Quand on est dans une
procédure gracieuse, il ne faut pas que l'on puisse aller au contentieux
facilement, étant donné que l'on peut se servir des accords qui
ont été passés. C'est excessivement dangereux.
Pas de passerelle non plus pour la demande acceptée, cela ne
présente pas d'intérêt.
Je voudrais dire à votre commission des Lois que nous sommes en complet
accord avec vos propositions sur la révision de la prestation
compensatoire. Je voudrais vous dire également que nos travaux
continuent en ce qui concerne une recherche tendant à éviter le
morcellement des procédures relatives au divorce. Nous poursuivons nos
réflexions sur deux orientations : l'une consistant à fixer
définitivement les conditions essentielles de la liquidation, dès
le prononcé du divorce, et celle d'un processus de liquidation ou d'une
préparation à celle-ci, pendant la procédure du divorce,
qui devrait permettre, même en cas de difficulté, un
dénouement plus pragmatique et plus rapide des situations
matérielles. Il est très difficile de parler, par exemple, de
révocation des donations déguisées pendant la
procédure de divorce. On a des difficultés sur le plan de
l'enregistrement. Il faut une réflexion très approfondie à
ce niveau.
Je voulais uniquement vous présenter les propositions très
précises sur lesquelles nous nous sommes mis d'accord. J'espère
que cette simplification et ce simple toilettage apparaîtront suffisants.
Je suis désolée d'avoir insisté aussi lourdement sur le
divorce devant l'officier de l'état civil, mais c'est vraiment une
conviction profonde. A mon avis, s'il y a la moindre brèche, tout le
monde s'y enfoncera et ce sera très lourd de conséquence, il faut
le savoir.
Merci, Monsieur le Président.
M. LARCHÉ, Président. -
Merci, Maître.
Maître Baque de Zan, vous avez la parole.
Me BAQUE de ZAN. -
Je vous remercie. En ce qui me concerne, j'interviens
et je me prononce au nom de la Conférence des Bâtonniers de France
et d'outre-mer. L'analyse technique que nous avons faite du sujet rejoint pour
beaucoup de points celle de la Commission du droit de la famille et du barreau
de Paris. Il faut revenir à des notions extrêmement importantes et
générales.
Les avocats peuvent aider votre réflexion en ce sens qu'ils sont des
hommes de terrain et ce sont eux qui sont en confrontation directe, au
quotidien, avec les justiciables. Si l'on peut parler de loi de l'offre et de
la demande s'agissant des besoins des justiciables, l'avocat, en tous cas, est
apte à les apprécier.
La question que nous nous posons immédiatement est la suivante : y
a-t-il tant de situations de fait, actuellement non traitées par le
droit, et qui devraient l'être ? Y a-t-il tant de situations
juridiquement traitées et qui font l'objet d'insatisfactions telles
qu'il faille modifier ? C'est la question qu'il faut se poser et que nous
nous posons.
Si l'on traite le problème dans son ensemble, c'est-à-dire droit
des personnes et de la famille, la réponse est non. Il y a peu
d'insatisfaits sur des points de droit. Des justiciables insatisfaits dans les
situations de fait, vous en aurez toujours et nous devrons toujours, au
quotidien, expliquer pourquoi un justiciable ne peut obtenir satisfaction au
moment où il éprouve le besoin d'engager une procédure.
C'est nous qui devons expliquer ensuite, à l'issue de la
procédure, pourquoi il ne serait pas raisonnable, face à un
échec, de relever appel ou de contester la décision.
Bref, ces situations d'insatisfaction procèdent forcément de ce
que dans le cadre de l'équilibre d'un procès, il y a une partie
perdante et une partie gagnante.
Dans le cadre d'un divorce, même si vous voulez équilibrer les
rapports de force, tendre vers la solution idéale de l'humain, traiter
l'humain par de l'humain, et encore plus de l'humain, est-ce que à force
de vouloir se placer dans cette perspective d'idéal, on ne risque pas de
détruire les rouages absolument nécessaires au fonctionnement de
tout procès, même le procès de divorce, ou quelque
procès qu'il soit et qui touche au droit de la famille ?
Je crois que ces questions essentielles, vous devrez les avoir à
l'esprit lorsque des choix techniques se présenteront à vous.
Ces précisions étant posées, quelles sont les
réflexions que nous avons menées ?
Tout d'abord, les situations qui ne seraient pas réglées et dont
on nous dit aujourd'hui qu'il faudrait les régler. Je parle de la
contractualisation du concubinage. Qu'il s'agisse du Pacte
d'intérêt Commun ou du contrat d'union sociale, il s'agit bien
d'une contractualisation du concubinage. Nous ne répondons pas à
la question ou, en tout cas, nous posons nous-mêmes des questions
très ouvertes, et nous vous laissons véritablement la
responsabilité de la réponse et du traitement de la question.
La question, on la pose de façon presque éthique, voire
philosophique. Pourquoi ? Parce qu'avant de parler de concubinage -et le
mot n'est peut-être pas très joli- on parlait d'union libre.
L'union libre, dans les années post 68, avait un côté qui
pouvait satisfaire et même séduire la pensée. Dans la
contractualisation du concubinage, n'y a-t-il pas la disparition, la fin de ce
concept un peu merveilleux, de ce concept que l'on avait rêvé,
à une époque donnée, et qui était celui de l'union
libre ?
Je continue en indiquant pourquoi aujourd'hui on parle d'une contractualisation
du concubinage ou d'autres situations de vie en commun. Il faut le constater,
la communauté d'intérêt et la réflexion en terme
d'intérêts est en train de primer la réflexion en terme de
communauté de vie. Nous, praticiens, quelles sont les questions que l'on
nous pose, dans le cadre de situations de concubinage, à la recherche de
droits possibles ou impossibles ? Les questions qui nous sont
posées sont des questions en termes d'avantages sociaux. Au quotidien,
et de plus en plus, nous sommes consultés en termes d'avantages sociaux.
Quels sont les plus et les moins d'une situation de concubinage, de
mariage ? Quels seraient les plus d'une situation régie par un
Pacte d'Intérêt Commun ou par un contrat d'union sociale ?
Intérêts sociaux, avantages sociaux, avantages fiscaux, et
avantages successoraux. Ce sont tous des intérêts
matériels.
L'évolution est-elle aujourd'hui telle qu'il faille créer un
statut pour céder à une réflexion faite
d'intérêts matériels ? C'est la question que vous
devrez vous poser avant d'entrer dans la technique du Pacte
d'Intérêt Commun qui, ce matin, a été
abordée, ô combien légèrement, par M. le Professeur
Hauser qui, au-delà, a fait une intervention absolument brillante.
Il existe un pan de situations de fait actuellement non traitées par le
droit. Faut-il créer du droit sur cette situation de fait ? nous
n'en sommes pas, nous, avocats, totalement partisans, loin s'en faut.
Ensuite, sur les insatisfactions de la situation telle qu'elle est régie
aujourd'hui dans le contentieux le plus important du droit des personnes et de
la famille, c'est-à-dire le contentieux du divorce.
La loi de 1975 est une loi qui a donné satisfaction. C'est une loi
multiple, diverse. C'est une loi pour laquelle il a fallu plusieurs
années avant de l'appliquer plus ou moins correctement. J'ai le courage
de dire qu'aujourd'hui encore, il y a des articles du Code civil, des articles
du Code de procédure civile qui ne sont pas utilisés. J'ai la
surprise de constater qu'au travers de la réflexion que nous menons,
nous en revenons à des situations qui existent en fait
déjà plus ou moins dans le code, mais qui ne sont pas
utilisées. Pourquoi ? Les articles ne sont peut-être pas
situés dans les parties où ils devraient l'être. Il
suffirait peut-être de modifications très légères
pour rendre l'ensemble immédiatement plus pratique, cohérent,
adaptable au quotidien.
Sur cette idée totalement nouvelle sur laquelle tout le monde a
éprouvé le besoin de s'exprimer, et c'est normal, à savoir
cette nouvelle option dans la carte du divorce de la loi de 1975. On a voulu
ajouter un divorce dit tantôt divorce administratif, tantôt divorce
civil, tantôt, de façon plus imagée, divorce devant le
maire. Les avocats considèrent que c'est véritablement une vue de
l'esprit, pour plusieurs raisons qu'ils ont exprimées et
analysées.
A leur position, il y a tout d'abord des raisons juridiques. Le mariage est
toujours simple parce que par hypothèse, il est voulu par deux
personnes. J'ai entendu ce matin, dans le cadre de notions plus ou moins
relatives à la répudiation, que finalement, les adaptations sur
ce sujet ne seraient pas choquantes parce que le divorce constat d'échec
serait forcément voulu par les deux. Si les choses étaient aussi
simples, dans le cadre du divorce par requête conjointe et par
consentement mutuel que nous connaissons aujourd'hui, les situations seraient
parfaitement et entièrement gérées et traitées.
Devant le maire, que peut-on faire et ne pas faire ? On peut effectivement
entrer dans une union parce qu'on est demandeur, à un moment
donné, d'une institution classique, sociale, qui, sur le plan juridique,
est maintenant qualifiée de contrat. Comme tout contrat, cette
institution célébrée à l'état civil fait
entrer le couple dans une situation de droit, c'est-à-dire dans un
ensemble de devoirs et d'obligations. Ce sont les devoirs et obligations du
mariage.
Le divorce n'est pas créateur de droits. Qu'on le veuille ou non, c'est
une rupture d'une situation juridique. Je ne peux admettre qu'un acte
juridictionnel sorte de l'enceinte des juridictions françaises. Il n'y a
donc pas de parallélisme des formes, contrairement à ce que l'on
pourrait très rapidement, et par une vue très superficielle,
croire.
Pourquoi, dans nos tribunaux, réservons-nous toujours une part
très importante au respect du huis-clos, c'est-à-dire au respect
du secret de la vie privée des personnes ? Cette notion nous
apparaît à tous, encore aujourd'hui où le temps nous
pousse, essentielle. Le groupe, dans les juridictions, on ne connaît pas.
Les couples, même si cela prend du temps pour les avocats et les juges
aux affaires familiales, ont le droit au secret et personne ne songe à
le leur contester.
Comment assurer le respect de ce secret devant le maire, alors
qu'effectivement, nous connaissons tous maintenant les statistiques selon
lesquelles sur 36.000 communes en France, 34.000 communes ont moins de 2.000
habitants ? J'ai entendu depuis ce matin des maires qui, en des positions
diverses, se sont exprimés dans cette enceinte qui est tout de
même la vôtre. Ils sont maires, l'un d'une commune de 250
habitants, l'autre d'une commune de 200 habitants, et encore un autre de
600 et quelques habitants. Comment, dans les petites communes, respecter le
secret quand on doit étaler devant l'officier de l'état civil le
divorce ? Il est évident qu'il y a là une incohérence
et une incompatibilité.
Au titre des raisons pratiques, alors qu'on cherche aujourd'hui, dans le cadre
d'une carte judiciaire refondue, à centraliser tous les sites, pourquoi
décentraliser les sites de prononcé du divorce ? Autre
incohérence.
Par ailleurs, on a voulu dire que devant le maire, de toutes façons,
n'iraient que les couples sans enfants, sans patrimoine, bref ceux qui
n'auraient rien, si ce n'est la misère de leur souffrance individuelle.
Je n'aime pas ces différences, elles me choquent. Par ailleurs, et cela
a été dit par tout le monde, dans la pratique, même quand
il n'y a que deux personnes, l'une face à l'autre, sans lien par la
descendance, par les intérêts patrimoniaux, il y a bien souvent un
faible et un fort, un qui a toujours dominé plus ou moins, et un autre
qui a toujours été habitué à être
dominé. Je crois que tout le monde a le droit d'être reconnu en
tant que justiciable, c'est-à-dire ayant droit à être
conseillé, protégé.
Est-ce que le maire a, par sa formation, son quotidien, cette capacité
de détecter celui qui est en situation difficile, celui qui est en
position de dominer ? Je ne pense pas que l'on puisse répondre par
l'affirmative. Même si les officiers d'état civil cherchent
à faire leur travail de façon humaine, je ne pense pas qu'ils
puissent détecter dans les situations humaines les souffrances
individuelles ayant besoin d'un traitement particulier. Seuls les gens
formés à la pratique ont cette capacité de
détection.
Par conséquent : non au divorce administratif, non au divorce
devant le maire.
Cela étant, dans le cadre de la palette offerte par la loi de 1975,
quels sont les constats que la pratique nous amène à faire ?
Quelles sont les améliorations qui pourraient être
apportées, au vu de l'expérience dont nous nous sommes enrichis,
juges aux affaires familiales, avocats, notaires, etc., depuis ving-cinq
ans ?
Il n'est peut-être pas question de tout bouleverser. Par contre, nous
avons maintenant acquis cette expérience et cet affinement des
situations qui nous permet de dire : ceci n'est pas bon et voilà ce
qu'il faudrait faire pour le rendre bon.
Sur les différentes procédures, tout d'abord le divorce par
requête conjointe, par consentement mutuel à 100 %. Une
comparution au lieu de deux, est-ce possible ? Après tout, pourquoi
pas, si l'on considère la critique qui chez les justiciables se fait
jour et les couples qui nous disent trop souvent : "Pourquoi revenir alors
que nous sommes pleinement d'accord ? Pourquoi nous obliger à
revenir alors que notre décision est parfaitement
réfléchie ?"
Comment supprimer l'une des comparutions que nous avons aujourd'hui dans le
cadre de notre législation ?
Il existe plusieurs formules et plusieurs situations. On ne peut pas traiter de
la même façon, dans le cadre d'une requête conjointe, un
divorce avec une liquidation de droits patrimoniaux où, manifestement,
il y a un temps nécessaire de réalisation de certaines
formalités, qui se font de pair avec le délai de
réflexion, qui n'est pas un véritable délai de
réflexion moral, psychologique, mais un délai de traitement des
conséquences du divorce, d'une part, et, d'autre part, un divorce dans
lequel il n'y a pas d'intérêts patrimoniaux, ou des enfants mais
avec un traitement parfaitement appréhendé de la situation de ces
enfants ? Comment traiter ces différences de situation dans le
cadre d'une loi qui doit toujours être la plus générale
possible ? Il ne faut pas traiter trop de situations particulières.
Deux solutions ont été imaginées par la profession. La
première consisterait à supprimer la première comparution
en rendant toutefois immédiatement exécutoire la convention
temporaire réglant les effets du divorce pendant la durée de la
procédure. Une formule exécutoire serait apposée
dès le dépôt de la requête avec en adjonction la
convention temporaire. La convention temporaire pourrait recevoir une formule
exécutoire sur le dépôt de la requête. Ainsi, les
juges aux affaires familiales ne traiteraient qu'une comparution -temps de
traitement divisé par deux- et les couples ne seraient pas astreints
à deux comparutions.
Cela pourrait être vrai pour tout le monde : qu'il y ait des
intérêts patrimoniaux ou non, qu'il y ait des enfants ou non.
La deuxième solution serait tout simplement, dans le cadre de l'audience
de comparution, en fonction des situations appréhendées par les
praticiens et vérifiées par le JAF, de permettre d'interroger le
couple pour savoir s'il considère devoir réfléchir ou s'il
renonce au délai de réflexion.
A mon avis, cette solution risque d'être source de distorsions, alors que
la première ne l'est pas.
Ensuite, le divorce pour faute. Il n'a pas trop vécu, n'en
déplaise à certains. Que le propos des avocats ne soit pas
déformé. Nous n'entretenons pas le divorce pour faute. Nous
essayons, dans 100 % des cas, de traiter le divorce nous-mêmes en le
dédramatisant. C'est le fruit de l'expérience de la loi de 1975.
J'ai pratiqué un peu avant 1975. J'ai connu l'échange artificiel
des lettres d'injures, etc. Nous avons beaucoup progressé. J'ai
été un peu choquée, ce matin, par une intervention dans
laquelle j'ai cru comprendre que l'on reprochait aux avocats de connaître
la loi vingt-cinq ans après qu'elle a été
promulguée. Je ne retiens pas la critique et je l'ai prise davantage
comme une boutade, tellement elle était peu sérieuse !
Cela étant, il ne faut pas supprimer le divorce pour faute, là
encore, pour des raisons juridiques. Je vous ai dit que le mariage était
un contrat créateur de devoirs et d'obligations. La sanction de tout
contrat est la faculté de rupture au tort de la partie ayant commis une
violation des devoirs et des obligations. Je ne vois pas pourquoi on traiterait
différemment ce contrat que l'on a voulu rendre contrat en 1975 ?
Avant 1975, il y avait un débat. Quelle était la nature juridique
du mariage ? Je n'y reviens pas. On a voulu en faire un contrat,
gardons-en tous ses effets. Il serait totalement anormal que ce contrat ait un
traitement à part dans le droit français, et que la faute commise
par l'un ou par l'autre ne puisse recevoir la sanction.
On parle aujourd'hui du droit des victimes. Pourquoi n'y aurait-il pas une
victime dans le cadre de l'échec d'un couple ? Pourquoi interdire
à un sujet de droit de se positionner, dans le cadre de l'échec
du couple, comme victime ? Je ne pense pas que vous puissiez affirmer
cette interdiction de droit d'être une victime dans l'échec du
couple.
Comment simplifier le divorce pour faute ?
Tout d'abord avec la notion de passerelle. Nous, praticiens, savons qu'il n'y a
pas de meilleur remède que le temps. Très souvent, nous ne
pouvons pas empêcher des personnes de divorcer pour faute parce qu'elles
le veulent ainsi, même si on leur dit que, dans la pratique, cela ne sert
plus à grand-chose parce que les dommages et intérêts
tirés d'un divorce prononcé aux torts exclusifs sont symboliques
-60.000 F au grand maximum dans le cadre de la jurisprudence de ma
juridiction-.
Que signifie le divorce pour faute ? Cela signifie des lenteurs, un
procès qui ne fait que durcir le climat relationnel.
On ne peut bien souvent pas faire admettre tout cela et on n'a pas le droit de
l'imposer.
En revanche, le temps arrange les choses. Nous savons que dans 80 % des
cas, les divorces engagés pour faute sont ensuite traités par le
système du double aveu de faute réciproque et par la demande de
non dénonciation, dans le corps du jugement, des torts et griefs
respectifs. Ceci devrait être traité maintenant dans le cadre
d'une véritable passerelle. Cette passerelle devrait être
aménagée.
C'est très simple. Il suffit de supprimer l'alinéa 2 de l'article
246 du Code civil actuel. Les avocats sont suffisamment garants du moment
où effectivement la passerelle peut être employée et
utilisée.
Ensuite, amélioration du divorce pour faute au travers de la liquidation
des droits patrimoniaux. Il n'est pas admissible de traiter facilement le
divorce et de refuser de traiter ce qui est une conséquence
nécessaire du divorce, c'est-à-dire la liquidation du
régime matrimonial. La liquidation du régime matrimonial est une
conséquence du divorce, au même titre que le règlement du
divorce au regard des enfants. Il convient d'aborder cette question, à
notre avis, dès le stade de l'audience et de tentative de
réconciliation.
Là encore, c'est très simple. Il existe l'article 1146 du nouveau
Code de procédure civile mais cet article est inséré au
chapitre "l'instance" et non pas au chapitre sur les pouvoirs du juge aux
affaires familiales, au moment des mesures provisoires. Dans le chapitre
"l'instance", il est dit que le JAF peut à tout moment, entre autres,
charger un notaire d'élaborer un projet de liquidation des droits
patrimoniaux. Ce texte n'est jamais utilisé ou très rarement
utilisé parce que les praticiens ne demandent pas au JAF de prononcer
cette mesure et que les JAF ne prononcent pas cette mesure d'office.
Il suffirait de dire que le JAF a ce pouvoir, au stade des mesures provisoires,
pour que tout un chacun s'habitue à traiter le divorce et les effets du
divorce au niveau des effets patrimoniaux.
Voilà ce que les avocats de la Conférence des Bâtonniers
avaient à exprimer sur le divorce pour faute avec une précision
sur la prestation compensatoire. Notre position n'est pas forcément
celle du barreau de Paris. Nous devons quand même faire très
attention de ne pas retomber dans ces situations dont la loi de 1975 a eu le
souci et la volonté de se débarrasser.
Nous avons connu le contentieux à répétition de la
révision de la pension alimentaire. Admettre la faculté de
révision de la prestation compensatoire, c'est prendre le risque de
retomber dans ce contentieux totalement inflationniste, surtout dans la
période actuelle, de la révision pour un oui ou pour un non, et
bien souvent pour des motifs de contentieux de divorce mal
digéré. Aujourd'hui, le contentieux de l'après-divorce,
que nous connaissons au niveau des pensions alimentaires pour les enfants, est
bien souvent un contentieux qui ne se justifie pas uniquement par des
données économiques, mais aussi par un prolongement du
contentieux de ce couple que l'on voudrait être parental mais qui, pour
certains, n'arrivera jamais à se positionner en couple parental non
plus.
Attention, donc, à la faculté de révision de la prestation
compensatoire. Je ne suis pas certaine que la proposition de loi du
Sénat qui évoquait le " changement substantiel " soit
une terminologie adéquate. Qu'est-ce qui est substantiel ?
Qu'est-ce qui ne l'est pas ? Qu'est-ce qui est
l'équité ? Qu'est-ce qui n'est pas
l'équité ? C'est la jurisprudence qui va nous le dire, mais
dès lors que la porte est ouverte à la création du droit
jurisprudentiel, cela veut dire que nous, avocats, dès que quelqu'un
viendra nous faire la demande, nous serons obligés de répondre
que pour le moment, nous pouvons le tenter.
M. DREYFUS-SCHMIDT. -
Si c'est substantiel.
Me BAQUE de ZAN. -
Si c'est substantiel, j'entends bien. Donnez-moi une
définition précise de ce qui est substantiel en fonction des
données et des évolutions.
Je n'ai pas la prétention de proposer mieux ou autre chose. Je dis
simplement attention, d'autant que vous devez être conscients de ce que
modifier le fondement de la prestation compensatoire revient à modifier
également, en introduisant la faculté de révision, toute
cette perspective indemnitaire qui, au départ, était quand
même la vision essentielle de la loi de 1975.
Privilégier un capital, telle est la formule vers laquelle il faut
tendre dans la pratique. On a trop vu, depuis 1975, des prestations
compensatoires sous forme de rente. Si aujourd'hui, nous éprouvons le
besoin d'introduire une faculté de révision, c'est bien pour
sauver des situations intenables parce qu'on a trop usé de la rente au
détriment du capital.
Si nous traitons désormais le divorce pour faute de pair avec la
liquidation des droits patrimoniaux, nous donnerons la possibilité au
juge, dans le cadre du divorce, d'apprécier de façon totale,
complète, et correcte, le patrimoine de chacun des époux. Il
s'agit là de l'un des critères de la prestation compensatoire. On
pourra plus facilement faire le choix d'une modalité de capital
qu'à l'heure actuelle, où l'on arrive au prononcé du
divorce avec une nébuleuse entretenue sur la liquidation du
régime matrimonial.
Il n'est peut-être pas urgent d'introduire une faculté de
révision. On peut peut-être passer le palier du traitement du
"tout-en-un" au niveau du divorce avec liquidation des droits patrimoniaux. On
verra si cela va mieux qu'aujourd'hui. Si cela ne va toujours pas, il sera
toujours temps d'ajouter à la loi une faculté de révision
qui m'apparaît en l'état dangereuse.
Concernant le divorce pour rupture de la vie commune, les avocats sont
d'accord : le délai de six ans dans la procédure actuelle,
telle qu'imaginée et réglée par le législateur, est
trop long, trois ans suffisent.
En revanche, les avocats considèrent qu'il n'y a pas de raison de
transformer le fondement de cette option dans la loi de 1975 car
véritablement cette option n'était pas un divorce pour cause
objective, mais un divorce qui permettait, au bout d'un temps donné, de
sortir du couple quand il n'y avait ni faute d'un côté, ni
possibilité d'obtenir l'accord de l'autre.
Laissons donc à cette modalité de divorce la forme qui est la
sienne, raccourcissons simplement le délai.
Il manque quelque chose dans la loi actuelle, c'est cette cause objective
appelée par la pratique et par diverses situations. Ne pourrait-elle pas
être tout simplement traitée dans le cadre du divorce
demandé par l'un et accepté par l'autre ? Curieusement,
personne, ce matin, n'a abordé cette forme de procédure. Nous
savons en effet que dans la pratique, elle est très peu utilisée.
Dans la pratique, on constate l'échec de cette procédure, qui
pourtant, si on lit correctement le texte, peut tendre au divorce pour cause
objective, tout simplement parce que la pratique a détourné la
loi de son objet. En effet, nous savons, nous, avocats, que lorsque nous
lançons une demande, avant que l'acceptation n'arrive, nous recevons une
lettre d'un confrère conçue dans ces termes : "M. ou
Mme réserve sa position et souhaite envisager les conséquences de
son acceptation avant que de s'engager dans l'irrévocabilité de
l'acceptation".
S'il faut régler les conséquences avant de dire oui, on en
revient à la requête conjointe. Cela n'a aucun sens de faire un
divorce demandé par l'un et accepté par l'autre si avant de dire
oui, il faut dire comment et à quelle condition.
Il faut tendre vers le divorce pour cause objective, mais de quelle
façon ? Si on reporte l'acceptation à un autre stade de la
procédure ; autrement dit, si on détourne la faculté de
chantage, qui existe actuellement et qui est ouverte par le moment où la
lettre d'acceptation doit être donnée, on peut améliorer
cette procédure.
Pourquoi ne pas faire une procédure sur demande de la façon
suivante : une requête avec son mémoire déclenchant
automatiquement la convocation devant le juge aux affaires familiales. On
s'exprime devant le juge aux affaires familiales avec soit un accord qui se
dessine, soit de façon contentieuse sur les conséquences du
divorce, et on sort en ayant réglé les problèmes relatifs
à la résidence des enfants, au droit de visite, à la
pension alimentaire, etc.
Ensuite, on a un délai de 3 ou 6 mois pour donner son acceptation. Si
elle est donnée, on a le divorce pour cause objective,
c'est-à-dire double aveu de ce que la vie commune est
intolérable. Si, pour telle ou telle raison, l'acceptation ne vient pas,
les mesures provisoires deviennent caduques. Comme dans le cadre de la
requête conjointe, tout tombe, et on retombe au point zéro.
C'est une modalité de divorce pour cause objective. Pourquoi rajouter
dans la loi ce que l'on peut déjà avoir en aménageant. Je
ne pense pas qu'il faille multiplier. Il faut traiter les insuffisances et les
imperfections de la loi actuelle. C'était en tout le cas le sens de la
réflexion menée par la Conférence des Bâtonniers.
Dernier point : les obligations alimentaires. Trop souvent, nous avons
dans nos cabinets des doléances sur les non paiements de pensions
alimentaires. Le problème subsiste. Je sais que le législateur
est intervenu de multiples fois et que les situations se sont tout de
même améliorées, mais tout n'est pas parfait. Sur le
recouvrement public des pensions alimentaires, il faudrait améliorer
l'existant car les imperfections existent.
Mais surtout, au niveau des obligations alimentaires, on assiste à une
multiplication d'actions qui, à mon avis, ne devraient ressortir ni du
fonctionnement des cabinets d'avocats ni du traitement du contentieux par les
JAF. Les avocats vivent mal les situations suivantes.
On vient nous trouver non pas parce qu'on a une demande issue d'une
volonté individuelle, mais parce que les caisses d'allocations
familiales ou autres organismes sociaux ont indiqué qu'il ne pouvait y
avoir ouverture de prestations sociales que s'il y avait un titre. Je ne pense
pas que la justice puisse se prêter à ce traitement simplement
destiné à obtenir des avantages sociaux. Il faut maintenir
à une décision de justice la force éthique de ce qu'elle
représente. Je ne pense pas que les avocats aient à prêter
la main à ce type de contentieux et nous ne voulons pas que ce
contentieux perdure. Il faut mettre tout le monde d'accord, c'est-à-dire
les CAF, les divers prestataires de prestations sociales, et les juridictions.
Voilà les réflexions qui sont les nôtres, les solutions que
nous avons commencé à imaginer.
M. LARCHÉ, Président. -
Merci infiniment,
Maître.
M. DREYFUS-SCHMIDT. -
Première question. En ce qui concerne
l'obligation faite aux organismes d'allocations familiales de faire un recours
contre ceux qui doivent la pension alimentaire, n'est-ce pas fait pour
permettre à ces organismes de récupérer
éventuellement la pension alimentaire, seulement la pension alimentaire,
et toute la pension alimentaire ; et c'est évidemment aux tribunaux
seuls qu'il appartient d'arbitrer ce montant ?
Deuxième question. Concernant la révision de la prestation
compensatoire et les réserves que vous avez faites sur cette
révision même, permettez-moi de vous demander si vous parlez au
nom de la Conférence des Bâtonniers, sur ce point précis,
ou en votre nom personnel.
Me BAQUE de ZAN. -
La Commission de travail de la Conférence des
Bâtonniers partage l'opinion que j'ai exprimée, mais ce n'est que
l'opinion de la Commission de travail de la Conférence des
Bâtonniers. Autrement dit, il n'y a pas eu de position de principe
soumise à l'assemblée générale de la
Conférence des Bâtonniers. C'était la position de la
Commission de réflexion. De façon générale, sur
tous les sujets que j'ai exprimés, il y a eu des présentations
faites à deux assemblées générales, mais il n'y a
pas eu de vote de l'assemblée générale.
Cela étant, le Président de la Conférence des
Bâtonniers est présent dans la salle. Je crois pouvoir dire que
dans le cadre de la présentation des rapports de la Commission de
travail, le 31 janvier, et il y a huit jours, il n'y a pas eu de mouvements de
salle, et il n'y a pas eu d'opposition très nette par rapport à
la réflexion de la Commission de travail.
M. LARCHÉ, Président. -
Maître, sur ce point,
vous avez signalé le fait que le Sénat, dans sa sagesse, a retenu
le mot "substantiel". Or, nous n'avons retenu ce terme qu'après une
très longue discussion et nous ne sommes pas absolument persuadés
qu'il était le plus satisfaisant. Comme très souvent, nous nous
arrêtons lorsque nous pensons que nous n'avons rien trouvé de
mieux.
A partir du moment où l'on met dans la loi des termes comme "l'ordre
public", la "bonne foi" ou ce qui est " substantiel " ou non, il
évident qu'il n'y a aucune décision susceptible de donner une
définition juridique précise, et qu'à partir du moment
où nous sommes en face d'un terme de ce genre, c'est au juge qu'il
appartient de dire ce qui est substantiel ou non.
Nous avons le souci de légiférer, mais nous avons aussi le souci
de ne point trop légiférer. C'est la raison pour laquelle j'ai
entendu avec une extrême attention ce souci qui me semble le vôtre,
c'est-à-dire prendre la loi de 1975 telle qu'elle est, et voir ce que
l'on peut y apporter de façon qu'elle soit plus satisfaisante dans son
application et son principe. Nous verrons bien. Nous ne pouvons pas non plus
tout dire dans la loi.
Me BEAUX-LAMOTTE. -
Il faudra que la décision de justice soit
très motivée pour pouvoir apprécier l'évolution.
M. LARCHÉ, Président. -
Ce n'est alors pas à
la sagesse du Sénat que nous nous en remettons, mais à la sagesse
des juges.
M. HYEST. -
Je ne sais pas si votre commission, Maître, ne
trouve pas choquantes certaines situations, compte tenu de la jurisprudence de
la Cour de cassation en matière de prestations compensatoires. Le
législateur a dû refaire une proposition de loi parce qu'il
existait un blocage et des injustices criantes dans certains cas. On peut
toujours trouver que c'est très bien, mais si la jurisprudence avait
évolué, nous n'aurions pas eu à réintervenir.
Me BAQUE de ZAN. -
Il est vrai qu'il y a une insatisfaction à
l'heure actuelle, compte tenu de la crise économique. Toute loi nouvelle
doit passer par une épreuve. En 1975, avec une application d'ailleurs en
1976, entre 1976 et 1980, je ne pense pas que l'on ait mesuré tout le
poids de la prestation compensatoire. Il n'est pas anormal qu'en 1990, 1995,
effectivement, on ressente les difficultés que nous connaissons
aujourd'hui. J'ai cependant peur que l'on revienne en arrière et que le
remède soit pire que le mal.