Mme Michelle TORRECILLAS,
Juge aux Affaires familiales
au Tribunal de grande instance de Belfort
M. Thierry FOSSIER,
Président de la Chambre de la famille
du Tribunal de grande instance de Grenoble

M. Jacques LARCHÉ, Président de la commission des Lois du Sénat. - Si nous avons demandé à M. Thierry FOSSIER et à Mme Michelle TORRECILLAS de venir, c'était pour nous dire, à l'échelon de la pratique judiciaire, le point de vue des juges de province.

Je vais vous demander de nous dire, après avoir entendu vos "collègues" parisiens, en quoi le point de vue que vous nous apportez peut être marqué par une orientation différente.

Mme TORRECILLAS. - Je vous prie, au préalable, d'excuser le caractère peu construit de l'intervention que je vais faire devant vous maintenant. J'ai en effet estimé nécessaire de parler plutôt de certains autres points que ceux que j'avais initialement prévus, compte tenu des interventions que nous avons entendues ce matin et de la raison de ma présence ici qui est d'apporter le point de vue d'un provincial sur la pratique judiciaire.

J'ai entendu avec satisfaction, ce matin, que l'indissolubilité du lien familial s'était déplacé du lien conjugal vers le lien entre les parents et les enfants. L'une de mes collègues a aussi rappelé ce matin l'évolution positive qui existe dans le maintien des relations entre les parents et les enfants, en particulier entre le père et les enfants. En effet, la proportion d'enfants qui ne voient plus leurs parents, après une procédure de divorce ou de séparation, était de la moitié, et n'est plus que du tiers.

Ces éléments optimistes ne m'ont pas paru refléter tout à fait la vision des choses, telle qu'on la voit dans une juridiction de province, dans une petite ville, et dans un milieu non pas rural, mais plutôt dans un tissu urbain moins dense.

Certes, les progrès existent, et on peut les constater tous les jours, notamment pour ce qui est de la relation entre les parents et les enfants, et de la place de chacun des parents auprès de ses enfants. On peut cependant noter qu'encore aujourd'hui, la loi de 1993 qui a institué cette autorité parentale conjointe conserve encore un caractère quelque peu théorique, et n'est pas complètement assimilée par tout un chacun face à une problématique familiale de séparation.

C'est la raison pour laquelle je pense que le judiciaire a encore un rôle à jouer dans les procédures de divorce. Il me paraît un peu prématuré de se passer de juge car l'évolution a beau être amorcée, elle est loin d'être terminée.

Je vais essayer d'éclairer mon propos par quelques exemples pratiques qui vous en feront peut-être percevoir le sens. Je vous ai apporté une requête que j'ai reçue récemment. Elle est significative, mais pas du tout isolée. C'est une requête conjointe, c'est-à-dire des personnes d'accord entre elles. Ce sont des parents naturels qui m'ont envoyé cette requête :

"D'un commun accord entre Mlle X et moi-même, nous avons décidé de nous séparer. Pour le bien de nos enfants, nous avons pris certaines décisions. Je soussigné le père déclare laisser l'autorité parentale de mes enfants, qui sont nés en 1993 et en 1997, à Mlle X, leur mère. Je m'engage à ne pas exercer de droit d'hébergement sur eux, sauf sous la demande des enfants, et je désire toutefois les voir à mon gré au domicile de leur mère".

Madame écrit ensuite : "Je soussignée Katia X m'engage à laisser le père de mes enfants les voir quand il le désire à mon domicile et les laisser aller chez lui si les enfants le souhaitent. En contrepartie, je ne demande pas de pension alimentaire, mais je ne refuserai pas les sommes d'argent qu'il désirera donner aux enfants.

Nous souhaitons que vous nous établissiez une attestation confirmant notre demande."

Il est pas question, comme je l'ai entendu ce matin, de porter la suspicion sur les parents et sur l'attitude politiquement correcte qu'ils doivent avoir vis-à-vis de leurs enfants, mais il me semble qu'il existe une loi qui prévoit que, sauf exception et sous conditions, les parents exercent en commun l'autorité parentale conjointe. Dans ce cas précis, les parents ont entendu se séparer sans douleur et n'ont pas voulu se disputer, envenimer la situation, et plutôt que de construire quelque chose de façon positive, ont préféré abandonner certaines des prérogatives que la loi leur accordait.

Cette question de l'autorité parentale conjointe ne me semble donc pas tout à fait encore assimilée et naturelle. Elle ne l'est pas pour les personnes qui vont divorcer, mais elle ne l'est pas non plus par les professionnels du droit. Elle n'est pas connue non plus par les administrations. Ce matin, on vous a indiqué qu'il y avait un surplus de procédures judiciaires parfaitement inutiles, puisqu'il s'agissait de fixer une résidence habituelle, des droits de visite et d'hébergement, complètement en contradiction, en cas d'accord, avec cette notion d'autorité parentale conjointe. Les gens qui se séparent, divorcent, avant de vivre leur divorce et leur séparation dans les tribunaux, les vivent dans leur maison, leur ville, leur famille, et ont la perception de ce que les autres leur renvoient.

C'est la raison pour laquelle la notion d'autorité parentale conjointe ne satisfait pas tout le monde et ce n'est pas faire plaisir aux gens que de leur dire qu'ils ont une autorité parentale conjointe. En effet, ils mesurent que les conséquences pratiques tirées de cette notion ne seront pas complètes.

Les administrations ne tirent pas réellement les conséquences de l'autorité parentale conjointe, les professionnels du droit non plus : les avocats comme les juges aux affaires familiales qui, malgré cette loi de 1993, continuent à fixer les résidences habituelles -et c'est un réel objet de conflit, encore et toujours- ainsi que les modalités d'exercice du droit de visite et d'hébergement en se donnant la bonne conscience de prévoir préalablement, en principe, un droit d'hébergement libre.

Cette évolution n'est donc pas tout à fait terminée. C'est la raison pour laquelle je pense que le désengagement judiciaire n'est pas encore d'actualité et que l'on ne peut pas encore se passer tout à fait de quelqu'un qui est là pour dire ce que prévoit la loi, et pour garantir les intérêts des enfants.

L'idée selon laquelle on pourrait se passer de juge dans des procédures de divorce et de séparation est séduisante. Elle est séduisante car elle provient du constat que ce que font les juges aux affaires familiales aujourd'hui, ils ne le font pas très bien, voire assez mal. On se dit : "puisque les juges aux affaires familiales n'assument pas vraiment leur rôle dans ce domaine, on va laisser les gens se débrouiller et plutôt confier à quelqu'un d'autre cette tâche".

Il est vrai que le contentieux de masse conduit souvent à une cérémonie judiciaire qui devient dépourvue de sens, où le juge perd de sa crédibilité en ressemblant le plus souvent à une chambre d'enregistrement. Mais plutôt que d'utiliser cet argument au soutien du désengagement du judiciaire dans ces procédures, il serait peut-être plus constructif de veiller à éliminer le formalisme, là où il existe et là où il ne sert absolument à rien.

Je souscris complètement aux idées qui ont été développées ce matin, selon lesquelles il faudrait toiletter et épurer quelque peu les procédures de divorce ; par exemple, en prévoyant de donner la possibilité au juge de prononcer le divorce par consentement mutuel, dès la première comparution des époux, quand aucun problème particulier ne se fait jour, et quand la réalité des consentements paraît suffisamment solide.

Le formalisme existe partout aussi dans les procédures contentieuses, les procédures de divorce pour faute. Je parle de formalisme dans ce domaine car cela paraît un peu contradictoire avec l'idée que l'on se fait d'un divorce pour faute, où il y a une partie de théâtralisation et peut-être aussi de thérapie judiciaire, mais il existe quand même.

On peut constater, par exemple, que les requêtes en divorce pour faute sont parfois libellées de façon tout à fait typée, stéréotypée. Certains cabinets se contentent en fait de reprendre toujours la même formule, à l'appui de leur requête en divorce ou de leur assignation en divorce.

Quand on prononce un divorce aux torts partagés en faisant application des dispositions de l'article 248-1 du Code civil, il y a également du formalisme, puisque cet acte n'apporte rien au règlement du problème familial. On pourrait peut-être se passer de cette phase supplémentaire qui n'est que la reprise des dispositions antérieures et, en fait, également d'un constat d'échec partagé par les deux époux.

C'est la raison pour laquelle la réforme du droit du divorce pour faute me paraît nécessaire. Mais plutôt que de prévoir une possibilité de divorcer sur constat d'échec, sur requête unilatérale, et que de supprimer complètement cette notion de divorce pour faute, il existe à mon sens une position médiane.

Cette position consisterait peut-être à permettre à l'un des époux de prendre l'initiative de ce divorce en déposant une requête qui ne s'appellerait pas "requête en divorce pour faute", mais simplement "requête en divorce unilatérale", et à ne pas obliger cet époux, comme c'est le cas actuellement, à formuler des griefs contre l'autre, et à faire ce qui crée le mauvais climat, condamné ce matin, dans le cadre des procédures de divorce pour faute.

En revanche, la faute pourrait revenir à l'initiative de l'époux défendeur, si toutefois il refuse ce divorce. A ce moment-là, il pourrait peut-être obliger l'autre époux, le demandeur, à caractériser les griefs qui existent à son encontre. Il pourrait aussi revenir sur le terrain de la faute, à son initiative, en formant une demande reconventionnelle en divorce. Mais il pourrait aussi accepter cette requête en divorce, ce qui ferait bien des économies et éviterait de jeter de l'huile sur le feu en ce qui concerne les griefs et la théâtralisation autour de ces griefs.

Le deuxième point sur lequel je voudrais attirer votre attention aujourd'hui est quand même la réforme récente qui a créé le juge aux affaires familiales. Cette réforme a des conséquences, non pas tant sur le plan procédural, mais aussi sur le fond.

Le juge aux affaires familiales a été instauré en tant que juge unique. Comme tous les juges uniques, on lui attribue peut-être plus de pouvoir que quand il appartient à une collégialité ou quand il est un juge aux affaires matrimoniales "lambda" perdu au milieu des autres juges du siège.

On a concentré entre les mains du juge aux affaires familiales les compétences qu'avaient auparavant le juge aux affaires matrimoniales, le Tribunal de grande instance, le Tribunal d'instance, et le juge des tutelles. Le juge aux affaires familiales peut à présent effectuer un suivi total des dossiers dans les procédures de divorce, du jour de la requête et de l'audience de conciliation jusqu'au prononcé même de ce divorce. Cela veut dire qu'à l'heure où l'on pense pouvoir se passer de juge, à l'heure où cette idée est lancée, il est quand même contradictoire de penser que l'on va en demander plus au juge aux affaires familiales, et lui demander de faire autre chose que ce qu'il faisait avant. C'est l'une des conséquences du nouveau statut de ce juge aux affaires familiales.

On ne demande plus seulement au juge aux affaires familiales de trancher les conflits, mais bien plutôt de traiter des problématiques familiales.

La conséquence, en matière familiale, est que le procès n'est plus tout à fait la chose des parties, mais il n'est plus tout à fait seulement l'affaire du juge seul, il est aussi l'affaire d'autres intervenants. Le juge aux affaires familiales, de plus en plus, et avec les moyens procéduraux qui sont les siens, a permis d'ouvrir la porte à la pluridisciplinarité, ce qui semble très important et être tout à fait effectif. C'est quelque chose qui donne des résultats. Le juge aux affaires familiales ne travaille plus seulement avec des avocats et des greffiers, mais aussi avec des travailleurs sociaux, des psychologues, des psychiatres, des médiateurs familiaux.

Cette évolution qui paraît tout à fait naturelle à mes collègues parisiens est quand même à un stade d'ébauche en ce qui concerne la province. Il est vrai que le service de médiation familiale belfortin a été créé il y a à peine un an. Il ne faut pas croire que tous ces outils sociaux sont à la disposition de tous les juges aux affaires familiales. Il faudrait peut-être penser à pouvoir doter également toutes les juridictions de ces moyens qui permettent non seulement de dédramatiser les divorces, mais également de garantir le maintien des relations entre les parents et les enfants.

Pour conclure, je dirai que le juge aux affaires familiales et le contentieux familial dans son ensemble n'est pas tout à fait le contentieux civil que l'on connaît dans d'autres domaines. C'est quand même un peu autre chose. Le traitement de ces problèmes est tout à fait spécial et a besoin de continuer à se développer, surtout dans la pluridisciplinarité.

Il ne faut pas oublier, dans tous ces développements et dans les réformes qui pourraient voir le jour, que les affaires familiales ne sont pas un contentieux civil comme les autres parce qu'il y a une grande part d'humain, de passionnel, de viscéral, dans ces procédures, et que l'on ne peut pas faire l'économie de cette dimension. Je ne sais pas si l'on peut finalement souhaiter une intellectualisation à l'extrême d'une relation entre un homme et une femme, entre un parent et son enfant.

Je vous remercie.

M.  LARCHÉ, Président. - Merci. Monsieur Fossier, si vous voulez bien intervenir maintenant.

M. FOSSIER. - Merci, Monsieur le Président. Je vais essayer de faire la transition avec le reste de la journée en abandonnant le terrain du divorce et de l'autorité parentale qui ont été abordés jusqu'à présent.

Pour le plaisir d'ouvrir le champ et de compliquer les problèmes, je me propose d'aborder trois types d'interrogations qui ne manqueront pas de se poser à vous, à chaque étape de votre travail de réforme, quelle qu'en soit la date.

Tout d'abord, les questions relatives au statut de l'enfant dont il a été un peu question ce matin. Ensuite, les questions relatives au travail social dont il vient d'être fait mention pour la première fois tout à l'heure. Enfin, la question de la juridiction familiale que vous voulez pour la France du troisième millénaire.

Rassurez-vous, je serai bref sur chacun de ces points. Je ne vais pas refaire le monde et je poserai sans doute plus de questions que je n'en résoudrai car je ne pense pas que l'institution judiciaire dispose des réponses.

Le statut de l'enfant tout d'abord, avec une manière d'aborder le problème qui est plus économique que cela n'a été le cas jusqu'alors.

Je veux dire d'abord que la première question qui se pose au juge aux affaires familiales que je suis ou au juge des enfants et au juge des tutelles que j'ai été dans le passé, est bien celle de l'apprentissage économique offert au mineur. Le constat se fait à tout instant que les jeunes majeurs sont à peu près démunis devant les lois économiques de l'existence. Pour ceux d'entre eux qui n'ont pas de patrimoine propre, le financement des études, par exemple, ou la recherche d'un emploi et, ensuite, la fondation d'un budget familial sont une longue suite de tâtonnements où la famille joue un rôle qui ne fait que retarder les échéances, mais ne résout pas le problème de l'ignorance des grands enfants. Pour ceux d'entre eux qui ont un patrimoine, l'option se situe entre la gabegie plus ou moins consciente ou bien une sorte de tutelle, de fait, des parents. Ces deux réalités ne sont certainement pas conformes à ce que vous avez voulu, en 1974, lorsque vous avez abaissé à 18 ans l'âge de la majorité.

Autrement dit, la gestion tutélaire qui marque la fin de la minorité ne laisse pas assez de place, dans l'état actuel des choses, à la participation de l'adolescent. C'est ainsi, par exemple, que l'audition de l'intéressé par le juge des tutelles est une rareté ou encore sa participation au conseil de famille. La réforme législative sur ce point fait évidemment partie du grand chantier du droit de la famille.

C'est d'ailleurs dans la même préoccupation économique que s'inscrivent les conclusions de la conférence de la famille sur l'obligation alimentaire des parents à l'égard de leurs enfants jeunes majeurs. Voilà une question brûlante que vous aurez certainement à résoudre dans les années à venir. Le contrôle des juridictions sur cette obligation est évidemment de plus en plus favorable aux jeunes gens. La Cour de cassation a rendu encore récemment un arrêt indiquant que les parents ne peuvent pas se débarrasser de cette obligation alimentaire trop rapidement. Je ne crains pas sans un souci prégnant une baisse possible de la fécondité. Si chacun de nous apprend qu'il doit élever ses enfants non pas jusqu'à 18 ans, mais jusqu'à 25 ou 30 ans, nous ne verrons peut-être plus les choses de la même façon.

Autre préoccupation tenant au statut de l'enfant, la place procédurale de cet enfant ; et nous voici plus au coeur des préoccupations agitées ce matin. Cette place procédurale continue d'agiter la doctrine juridique. On a parlé de résistance ou d'obstination de la Cour de cassation. Je n'utiliserai pas ce terme car j'ai du respect pour les institutions de la République. Le débat est manifestement très retardé par la résistance à introduire la Convention de New-York dans notre droit positif. La décision vous appartient, Mme Rubbellin-Devichi vous l'a démontré ce matin, et je n'insisterai pas pour ne pas alourdir les débats.

Je dirai simplement à ce sujet, contrairement à ce que j'ai cru comprendre du propos de Mme Théry, que l'introduction en droit positif de la Convention de New-York n'est certainement pas un service rendu sans contrepartie aux enfants. Faire de l'enfant un sujet de droit à part entière, c'est aussi créer pour lui des obligations et ce n'est pas forcément le mettre au centre de nos préoccupations en balayant les nôtres propres.

Statut de l'enfant, enfin, dans les familles recomposées avec une question que nous nous posons, dans la pratique provinciale ou parisienne, chaque jour davantage, celle des rapports juridiques entre l'enfant de parents séparés et le second compagnon du parent gardien : le beau-père, la belle-mère.

On a assez dit et écrit que les familles recomposées, ou bien les secondes familles, se développent considérablement, mais on n'a pas exploré les effets juridiques du phénomène. C'est sans doute quelque chose que vous aurez à faire dans les années qui viennent.

Deuxième chapitre de mes développements sur la place du travail social par rapport à la famille.

Cette réflexion est devenue tout à fait première non seulement dans les juridictions, mais aussi dans les associations familiales, qui certainement, traversent également les débats de la représentation nationale. Depuis 1945, au moins, le travail social est conçu comme un palliatif des carences familiales, que celles-ci soient fautives ou pas. C'est ainsi que l'assistance éducative pour les mineurs ou bien la tutelle aux prestations sociales pour améliorer les conditions de vie des allocataires, ou encore la tutelle des majeurs déficients et des malades mentaux, plus récemment, la médiation familiale dans les couples séparés, tout cela mobilise des professionnels qui font valoir leur formation approfondie et l'excellence du rapport entre le coût public qu'ils occasionnent et les bénéfices qu'ils procurent à la collectivité. Loin de moi l'idée de remettre en cause ces dogmes.

Néanmoins, il nous faudra savoir jusqu'où vous voulez que nous allions dans ce domaine, surtout compte tenu de la dépense publique occasionnée.

Il devient presque certain que dans les années à venir, il faudra développer d'autres modes de travail social : un travail social toujours au soutien des intérêts familiaux, mais moins coûteux. Je pense à de l'assistance matérielle et morale, des groupes d'achats collectifs, des animations de quartiers, de l'entraide familiale, des permanences éducatives, des groupes de parole. Tout cela existe un peu partout en France et commence à faire ses preuves. Il faudra que vous nous disiez si vous entendez que ce soit la voie de l'avenir.

Le troisième et dernier chapitre de mes développements concerne la juridiction familiale que vous voulez construire pour l'avenir.

Cette juridiction familiale reste éclatée, nonobstant la loi de 1993, entre trois instances : le juge aux affaires familiales, le juge des enfants et le juge des tutelles. Ces trois institutions pour être éclatées, parfois même au niveau topographique, ne manquent pas de points de ressemblance.

Tout d'abord, un certain isolement au sein de l'institution judiciaire ; également une procédure axée sur l'intérêt de l'enfant ou, en tout cas, pour y englober également les majeurs protégés, axée sur les personnes vulnérables ; une fonction très fondatrice, et même parfois thérapeutique de l'audience et de l'écrit rendus par le juge ; une masse de dossiers réunis, tantôt nouveaux tantôt en suivi, qui offrent évidemment un terrain d'élection aux assistants de justice dont on apprend avec satisfaction que le ministère de la Justice envisage la création d'un plus grand nombre de postes qu'auparavant ; un contact permanent, pour ces trois juges, avec les collectivités territoriales -et je ne doute pas que le Sénat soit attentif à cette question-.

On peut multiplier les points de rencontre entre ces trois magistrats. Pourtant, ces trois magistrats sont singulièrement isolés les uns des autres. C'est la raison pour laquelle il me semble qu'il nous faudra réfléchir ensemble, sinon à la fusion des trois instances car elles n'ont pas exactement le même rôle, en tout cas, à leur rapprochement et même à la création éventuelle d'un tribunal de la famille où coexisteraient ces trois fonctions, dont le siège resterait à déterminer, et qui présenterait à mon avis plusieurs avantages. J'en cite quelques-uns.

Premier avantage : une réflexion d'ensemble sur le statut de l'enfant et sur les procédures applicables à ce que j'ai appelé tout à l'heure "les personnes vulnérables" ; procédures qui pour l'instant diffèrent pour des raisons mystérieuses.

Deuxième avantage : une expansion du rôle de l'avocat dont je signale, nonobstant les efforts considérables faits par les barreaux ces dernières années, qu'il est encore trop absent de l'assistance éducative. On peut placer un enfant sans que le ministère d'avocat soit obligatoire, ce qui est assez invraisemblable.

Troisième avantage : une meilleure maîtrise de la croissance du travail social, chacun comparant les équipes en place et les avantages que l'on peut en attendre.

Quatrième avantage, une plus grande cohérence des jurisprudences ; notamment en cas de séparation parentale, l'absence de contact ou les contacts difficiles entre les juges aux affaires familiales et les enfants ne manquent pas d'exaspérer les familles et, d'une façon générale, les usagers.

Cinquième avantage : une réflexion sérieuse sur les cas d'intervention judiciaire. Tout ce qu'on a dit ce matin sur la possibilité d'une déjudiciarisation du divorce était passionnant. Je ne suis pas sûr qu'on puisse y réfléchir uniquement par rapport au divorce. L'ensemble des juridictions familiales doivent se poser la question du sens de leur intervention et des cas dans lesquels elles interviennent.

Dernier avantage que j'y vois, une meilleure lisibilité de l'institution judiciaire non seulement par les usagers, mais aussi par les collectivités territoriales qui ne comprennent pas toujours pourquoi le juge des enfants, le juge aux affaires familiales et le juge des tutelles fonctionnent d'une façon aussi différente les uns des autres.

Je dirai en conclusion, sinon en forme de boutade, qu'il y a peut-être dans la création d'un tel tribunal des affaires familiales un début de solution au lancinant problème de la carte judiciaire.

Je vous remercie de votre attention.

M.  LARCHÉ, Président. - Je vous remercie de vos interventions.

Finalement, entre ce que vous représentez, c'est-à-dire les juridictions de province et ce que nous avons entendu ce matin, il n'y a pas de distinction majeure. Vous avez peut-être une approche plus immédiate d'un certain nombre de problèmes avec des difficultés à traiter dans ces contextes qui sont sans doute quelque peu différentes. Ce n'est pas l'anonymat des grandes foules qui entourent Créteil, Nanterre et Paris. C'est inscrit dans une situation sociale que vous ressentez très directement, peut-être plus à Belfort qu'à Grenoble, en fonction des dimensions de vos juridictions.

Je constate qu'il y a malgré tout chez vous, tout au moins avec un certain nombre d'intervenants précédents, un accord sur une approche prudente de ce que l'ont pourrait appeler la déjudiciarisation.

Mme TORRECILLAS. - C'est sans doute dû au fait que la province suit toujours Paris avec une petite longueur de retard.

M.  LARCHÉ, Président. - Une longueur de retard qui marque une certaine prudence.

Mme TORRECILLAS. - En effet, une certaine prudence. J'espère que ce n'est pas simplement dû aux lourdeurs et au poids des traditions.

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