AVANT-PROPOS
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A
entendre les participants de la journée de réflexion
organisée le 8 avril 1998 au Sénat par la commission des
Lois à l'initiative de son président Jacques Larché, la
famille reste la cellule d'organisation de la vie privée qui contribue
le mieux à structurer la société.
Qu'attend-on du droit de la famille ? M. le professeur Jean Hauser nous a
utilement rappelé que près de la moitié du code civil y
était consacrée. On y trouve les règles relatives au
mariage, à la filiation, aux régimes matrimoniaux, au divorce,
aux successions, mais il faudrait y ajouter, nous a-t-il dit, du droit social
et du droit fiscal.
Certains aspects ont été plus spécifiquement
traités tout récemment par le législateur, l'adoption
(1996) et la procréation médicalement assistée (1994), par
exemple.
Au fond, le droit de la famille ainsi entendu traduit juridiquement les liens
d'intimité et de patrimoine entre un individu et ses géniteurs,
sa descendance, ses collatéraux et son conjoint.
Il les exprime en obligations et il reconnaît corrélativement
certains droits avec deux objectifs principaux soulignés par
différents intervenants : la protection du faible (cf. M. Philippe
Malaurie) et l'intérêt bien compris de la société de
favoriser un modèle (cf. M. Jean Hauser).
Dans ce contexte, la famille reste majoritairement fondée sur le mariage
mais elle a beaucoup évolué sociologiquement et légalement
:
1/
Lorsqu'elle est fondée sur un mariage, celui-ci peut traduire
des réalités bien différentes selon les
générations et les milieux. Moins vécu comme une alliance
entre deux familles, le mariage repose aujourd'hui davantage sur la rencontre
entre un homme et une femme dont la loi et le marché de l'emploi
régulent l'équilibre des droits mais dont les sentiments
régissent la stabilité de l'union.
2/
Une nouvelle famille ne commence pas toujours par un mariage : la
cohabitation préalable, les naissances hors mariage se sont
développées.
3/
Les mariages successifs, car il y a de plus en plus de
" multirécidivistes " de l'institution, mettent en place une
mosaïque des sentiments, des filiations et des patrimoines de plus en plus
complexe.
Devant ces constats, Mme Irène Théry réfute
néanmoins la " désinstitutionnalisation " de la famille
par " individualisation, privatisation, pluralisation " mais elle
constate la désarticulation inédite entre les liens de
conjugalité et de filiation.
Le droit a déjà pris en compte un grand nombre de ces situations,
tant à travers les lois sur la filiation naturelle (1972), le divorce
(1975), l'autorité parentale (1993) ou les ayants droit, qu'à
travers la jurisprudence (concubinage).
L'unicité même du mariage civil accueille une multiplicité
de régimes matrimoniaux et le droit des successions permet des
aménagements encore que son droit commun doive sans doute être
revu.
Parmi les intervenants, certains ont fait le choix d'aborder un aspect
technique d'une des branches de ce droit (la réforme des
procédures de divorce ou l'éventualité d'un contrat de
concubinage, par ex.), d'autres ont retracé avec beaucoup de nuances les
grandes évolutions (le mariage ou la famille au sens le plus large).
Difficile d'introduire ou de conclure les propos tenus sur un champ juridique
aussi vaste dont les modifications ont des incidences sur la vie la plus
privée de chacun.
Il y a les questions dont les médias parlent beaucoup (contrats de
concubinage, divorce " administratif ", autorité parentale sur
les jeunes délinquants) et celles auxquelles sont confrontés
quotidiennement les professionnels, les justiciables, les familles
(successions, conjoint survivant, prestation compensatoire...).
Le professeur Jean Hauser a rappelé que le droit de la famille n'avait
jamais été un "
droit de la marginalité
"
et qu'il ne devait pas fonctionner comme "
la Bourse de
Tokyo
" où l'indice change tous les jours.
Le législateur doit tout d'abord s'interroger sur la hiérarchie
des priorités. Quel est le problème le plus aigu, celui qui
concerne le plus grand nombre, celui qui a les conséquences les plus
graves, celui qui ne peut être traité que par la loi car il ne
peut relever du contrat ou de la jurisprudence ?
Il doit également se préoccuper de la méthode : certaines
questions peuvent-elles être réglées par un amendement ou
une proposition de loi spécifique, comme dans l'exemple donné par
le Sénat pour la prestation compensatoire en matière de divorce,
d'autres doivent-elles attendre un vaste projet de loi préparé de
longue main par la Chancellerie ?
Certaines modifications des prestations familiales ou des régimes
fiscaux ont également des conséquences immédiates pour
l'organisation des familles.
En cette matière, comme plus généralement en ce qui
concerne la justice, bien souvent les préoccupations des praticiens les
mieux au fait des besoins des Français concernent les délais et
la simplification des procédures pour résoudre un litige ou
changer de situation juridique.
Toutes ces questions très concrètes relèvent parfois des
moyens budgétaires ou de l'organisation administrative mais
débouchent aussi sur des réformes législatives dont
l'importance devra être hiérarchisée pour répondre
aux attentes les plus profondes, parfois silencieuses car elles s'expriment
dans l'intimité des familles, à l'occasion des moments les plus
marquants de notre vie (naissance, rencontre, séparation,
décès...). Le droit de la famille, par essence, est celui qui
accompagne chacun, celui que sollicite chacun, sans le savoir, dès sa
naissance.