c) Vers une réhabilitation des résolutions ?
Une
telle situation, à l'évidence, n'est pas satisfaisante.
On conçoit bien que le Gouvernement ne trouve guère
d'intérêt à laisser pénétrer le droit
d'amendement dans les débats de ratification. Un amendement à un
texte législatif a pour vocation d'être contraignant, et la mise
en place de normes rigides pour l'action extérieure amènerait le
Gouvernement à devoir choisir entre le respect de la loi et la
préservation de la marge de manoeuvre dont il a besoin pour son action
extérieure.
Mais, de ce fait, le Parlement se trouve privé de toute faculté
d'initiative.
Or un tel résultat n'est nullement inévitable. Il n'est pas
inhérent aux textes de ratification d'exclure à ce point
l'initiative parlementaire. Les Parlements de la plupart des démocraties
ne sont pas soumis à des contraintes aussi fortes, sans que cela remette
en question la capacité des Etats concernés à conclure et
à respecter des accords internationaux. C'est que l'initiative
parlementaire prend alors la forme d'une résolution, c'est-à-dire
d'un texte d'orientation non contraignant, qui permet au Parlement d'exprimer
son sentiment sur des questions connexes à la ratification du
traité, sans pour autant enfermer l'action extérieure du
Gouvernement dans un carcan normatif.
Ainsi, plus que l'inexistence pratique du droit d'amendement, c'est
l'impossibilité d'adopter des résolutions qui paraît le
véritable obstacle à une expression adaptée du Parlement
français.
Pour votre Rapporteur, cela doit conduire à une réflexion sur la
réintroduction dans notre droit de ce type particulier d'intervention
parlementaire
dans le cas précis des débats de ratification
des traités ou conventions.
On peut souligner à cet égard que la prohibition
générale des résolutions parlementaires, que le Conseil
constitutionnel a cru devoir déduire de la Constitution de 1958, tenait
sans doute en grande partie au contexte particulier de l'installation d'un
nouveau régime qui entendait rompre avec les pratiques
antérieures. Quarante ans après l'adoption de la nouvelle
Constitution, alors que la Vème République est entrée dans
les moeurs et que plus personne n'envisage le retour aux " délices
et poisons " des régimes précédents, la
réintroduction progressive et raisonnée de la pratique des
résolutions ne paraît pas de nature à bouleverser
l'édifice. Cette pratique a déjà été
réintroduite en 1992, par le pouvoir constituant, dans le cas des
propositions d'actes communautaires. A aucun moment les résolutions
adoptées dans ce cadre n'ont paru constituer un handicap pour l'action
européenne du Gouvernement. Les deux Assemblées ont
été mieux associées à celle-ci, mais le
Gouvernement n'en a pas pour autant perdu sa marge de manoeuvre. Une extension
limitée du domaine des résolutions prolongerait cette
évolution et ne constituerait pas davantage une entrave à
l'action de l'Exécutif.
Il convient par ailleurs de remarquer que le régime particulier des lois
autorisant une ratification pourrait justifier une réintroduction des
résolutions dans leur cas spécifique. Pour les affaires
nationales, les parlementaires ont en effet la faculté de s'exprimer en
déposant des propositions de loi et en présentant des amendements
; dans le cas des textes de ratification, comme nous l'avons vu, les
possibilités dont ils disposent sont au contraire des plus
réduites.
Un rétablissement des résolutions dans ce cas
précis répondrait donc à la limitation particulière
qu'y rencontre l'initiative parlementaire
.
Le débat sur la ratification du traité d'Amsterdam permet
d'illustrer les avantages qui naîtraient de la possibilité
d'assortir l'adoption du traité du vote d'une résolution. Au lieu
d'un article 2 relevant d'une initiative gouvernementale et dont la nature
juridique serait incertaine, on aurait une résolution librement
définie et publiquement débattue, exprimant sans
ambiguïté le sentiment parlementaire. La nature juridique du texte
adopté serait claire : un texte d'orientation non contraignant,
exprimant une volonté politique. La liberté de négociation
du Gouvernement resterait entière ; mais les partenaires de la France
sauraient que le préalable institutionnel à la conclusion des
négociations d'élargissement correspond au voeu du Parlement
français. Et, si des textes convergents étaient adoptés
par l'Assemblée Nationale, d'une part, et par le Sénat, d'autre
part, il apparaîtrait clairement que l'exigence d'un tel préalable
n'est pas le fruit d'une conjoncture, mais de la volonté de l'ensemble
de la représentation nationale.
Il semble donc souhaitable d'introduire, avant que le traité
d'Amsterdam ne vienne en discussion, la possibilité de compléter
par une résolution le vote d'une loi autorisant une ratification.
Mais comment introduire cette possibilité ?
Deux hypothèses sont envisageables.
La première serait de modifier le Règlement du Sénat, en
complétant son article 24, alinéa 3, par une disposition
dérogatoire permettant l'examen de propositions de résolution
présentées dans le cadre de la discussion d'un des textes
visés à l'article 53, alinéa 1, de la Constitution.
Rappelons que l'article 53, alinéa 1 de la Constitution, est ainsi
rédigé :
" Les traités de paix, les
traités de commerce, les traités ou accords relatifs à
l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'Etat, ceux
qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont
relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession,
échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être
ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi ".
La modification suggérée du Règlement du Sénat
serait la suivante :
Article 24, alinéa 3
|
Article 24, alinéa 3
|
" Les propositions de résolution ont trait aux décisions relevant de la compétence exclusive du Sénat. Elles sont irrecevables dans tous les autres cas, hormis ceux prévus par les textes constitutionnels et organique ". |
" Les propositions de résolution ne sont recevables que si elles ont trait aux décisions relevant de la compétence exclusive du Sénat, ou sont présentées en liaison avec l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi relevant de l'article 53 de la Constitution, ou sont prévues par les textes constitutionnels et organiques. |
Il est
vrai que l'on semble alors se heurter à une objection dirimante :
le Conseil constitutionnel a, en 1959, jugé contraire à la
Constitution ,d'une manière générale, la
possibilité pour les Assemblées d'adopter des résolutions,
sauf pour prendre des mesures d'ordre intérieur.
On peut toutefois penser que la réponse ne serait pas
nécessairement la même pour la formule qui vient d'être
suggérée :
-- tout d'abord, ce que le Conseil constitutionnel a censuré en 1959
était la possibilité d'adopter des résolutions dans
n'importe quel domaine et sans contrainte de recevabilité
financière ; ce qui est proposé est d'introduire la
possibilité d'adopter des résolutions dans un domaine bien
délimité, où l'initiative parlementaire sous sa forme
habituelle rencontre des limites extrêmement strictes, absentes des
autres domaines, et où la question de la recevabilité
financière ne se pose pas.
-- ensuite, les résolutions ont déjà été
réintroduites par l'article 88-4 de la Constitution dans un domaine
spécifique des relations extérieures, celui des
négociations communautaires, sans que l'équilibre institutionnel
s'en soit trouvé compromis. On ne peut plus estimer que la pratique des
résolutions est en elle-même contraire à l'esprit des
institutions.
-- on peut même ajouter que, désormais, des résolutions
sont d'ores et déjà possibles dans certains aspects du domaine
couvert par l'article 53. En effet, une partie de ce domaine a fait l'objet
d'un transfert de compétences au profit de l'Union européenne :
ainsi, les traités de commerce relèvent désormais, sauf
dans le cas des accords mixtes, de la seule Communauté, et celle-ci est
amenée à conclure des accords qui ont indirectement une incidence
sur le budget de l'Etat. Dans ces domaines, le Parlement peut, au titre de
l'article 88-4, prendre position à l'égard de l'action du
Gouvernement en adoptant des résolutions sur les propositions d'actes
communautaires relatives à ces traités. N'est-il pas paradoxal
que cette possibilité disparaisse dès lors que le domaine
concerné reste de compétence purement nationale ?
Il n'est donc pas inconcevable que le Conseil constitutionnel, saisi d'une
modification du Règlement du Sénat telle qu'elle a
été suggérée - qui serait en tout état de
cause très différente des dispositions censurées en 1959-
conclue à la conformité à la Constitution de cette
modification.
Dans le cas contraire, il conviendrait sans doute d'envisager d'introduire
cette possibilité lors de la révision constitutionnelle qui
précédera la ratification du traité d'Amsterdam.