3. Le Domaine Public Maritime (DPM)79 ( * )
Le DPM comprend :
- le domaine public naturel : rivage de la mer, lais et relais côté terre sur parfois quelques kilomètres de profondeur (et parties non aliénées de la zone dite des 50 pas géométriques dans les DOM), sol et sous-sol de la mer territoriale (c'est-à-dire jusqu'à 12 milles nautiques au delà des lignes de base), étangs salés en contact avec la mer ;
- le domaine public artificiel : ports et dépendances, plages artificielles,...
Le Domaine Public Maritime est un cas unique dans la domanialité publique, par son étendue, par sa nature, par son ancienneté. L'État est propriétaire et seul responsable du sous-espace littoral qui concentre l'essentiel des enjeux et des convoitises identifiés en première partie celui qui correspond physiquement au contact entre la terre et la mer. Les activités touristiques y sont concentrées, les activités halieutiques en sont dépendantes dans une large mesure, et les activités portuaires doivent forcément s'y implanter.
L'autorité, dont l'État dispose sur cet espace, et la valeur de celui-ci, devraient à la fois l'engager à et lui permettre de développer une politique cohérente d'utilisation de l'espace littoral. Force est de constater qu'il n'en est rien.
Le principe d'inaliénabilité appliqué au DPM devrait faire de l'État le seul maître à bord et autoriser un contrôle réel, à l'échelon local, de l'évolution du littoral.
3.1 Principes juridiques
Historiquement, le statut de la partie marine des côtes est marqué par la prédominance de l'État, propriétaire et responsable unique des décisions prises concernant l'usage du domaine maritime. Cette situation, liée en particulier à la nature de frontière des eaux côtières et à des considérations de défense nationale, n'a été que très faiblement mise en question au moment de la décentralisation. Seules certaines compétences de police ont été confiées au maire par la loi littoral, en particulier celle de la baignade.
À l'opposé de ce qui prévaut à terre, les espaces marins du littoral étaient traditionnellement non appropriés ( res millius ) depuis leur intégration au domaine de la Couronne par l'ordonnance de Colbert d'Août 1681. Ce statut a été renforcé au XIXè siècle, avec la définition du DPM, inaliénable et imprescriptible.
Au cours du XXè siècle, avec l'accentuation des enjeux économiques que représente le littoral, le statut du DPM a évolué vers l'appropriation publique mais tolérant une occupation privative du DPM. L'État s'est désormais considéré comme propriétaire d'un bien qu'il devait affecter à un service public. Il est par conséquent en mesure de percevoir un revenu en échange d'une utilisation privative du DPM.
La loi du 28 Novembre 1963, relative au DPM, augmente la consistance du DPM et stipule que, du côté de la mer, « sont incorporés, sous réserve des droits des tiers, au DPM le sol et le sous-sol de la mer territoriale ». Ce texte classe également dans le DPM les lais et les relais 80 ( * ) futurs, ainsi que les terrains qui seraient artificiellement soustraits à l'action des flots. Quant aux lais et relais antérieurs à 1963, ils font partie du domaine privé de l'État, et ils peuvent être incorporés au DPM, sous réserve des droits des tiers.
Des aliénations principalement en faveur de l'urbanisation
Ces dispositions semblent, à l'époque, protéger le DPM. Jusqu'alors, les lais, les relais, et les exondements étaient classés dans le domaine privé de l'État, ce qui permettait leur aliénation. Les nouvelles règles semblaient donc permettre de sauvegarder l'intégrité des rivages. Concernant les terrains artificiellement soustraits à l'action des flots, la loi précitée prévoyait que ceux-ci faisaient partie du DPM, sous réserve de dispositions contraires d'actes de concession. Mais cette possibilité, à titre d'exception, va être interprétée par l'administration comme autorisant le transfert en pleine propriété de portions du DPM. Cela sera à l'origine de la multiplication des concessions d'endigage, translatives de propriété.
Ainsi, en 1973, la situation de l'immobilier sur le rivage va attirer l'attention de la Cour des Comptes, qui critique vivement la privatisation, au profit d'opérations immobilières, du domaine public. « On constate que les terrains artificiellement gagnés sur la mer n'ont pas été incorporés au domaine public, mais cédés en toute propriété, sauf une bande de faible largeur, aux sociétés qui, après avoir établi les projets, ont été autorisées à les réaliser ». Selon la Cour des Comptes « l'incorporation à ce domaine des terrains exondés la devenu l'exception et le transfert en pleine propriété la règle ».
Dans sa réponse à la Cour des Comptes, le ministre de l'Aménagement du territoire, de l'Équipement, du Logement et du Tourisme affirme que la loi de 1963 a voulu manifestement laisser une porte ouverte à la cession en pleine propriété, sans quoi des opérations d'envergure n'auraient pu voir le jour. Une double préoccupation de la politique gouvernementale est exprimée : celle de valoriser le potentiel touristique du littoral en favorisant les structures d'accueil, et celle d'accroître la superficie globale du DPM.
Précarité du régime des activités maritimes
Jusqu'en 1973, le développement économique du DPM est axé presqu'exclusivement sur l'aspect immobilier et touristique, largement favorisé par les transferts de propriété au profit des promoteurs ou des sociétés privées. En revanche, les activités industrialo-portuaires, ou encore les activités traditionnelles, occupant un espace privatif, ne bénéficieront pas du même régime de faveur et seront soumises à la précarité et à la révocabilité inhérentes aux occupations du DPM.
Les pouvoirs publics chercheront à corriger ce déséquilibre dans le courant des années 70, avec l'affirmation de la volonté de préserver les activités traditionnelles.
Un arrêté du 30 Juillet 1970 permet l'indemnisation de l'occupant évincé, alors que le retrait intervient pour des motifs d'intérêt général. La circulaire du 9 Août 1971 manifeste une évolution des pouvoirs publics, car elle reconnaît expressément que la précarité des entreprises attachées à la domanialité est contraire à l'intérêt général. De même, le décret du 22 Mars 1983, qui fixe le régime de l'autorisation des exploitations de cultures marines, a apporté certains aménagements atténuant le caractère précaire, révocable et personnel de l'autorisation. Enfin, la loi du 25 Juillet 1994, complétant le code du domaine de l'État, relative à la constitution de droits réels sur le domaine public, semble stabiliser un peu plus les entreprises portuaires. Mais il s'agit là de textes qui, certes, assouplissent la rigueur de l'inaliénabilité, mais sont encore loin de donner les moyens juridiques d'un véritable développement économique du DPM.
3.2 Gestion du Domaine Public Maritime
Au niveau central, l'administration compétente pour la gestion du DPM est la Direction des Transports Maritimes, des Ports et du Littoral (DTMPL).
Localement, c'est le Préfet qui réglemente l'utilisation du DPM, à deux exceptions près :
- les déclassements de dépendances du DPM artificiel ou de lais et relais relèvent respectivement d'un arrêté ministériel ou interministériel ;
- la gestion quotidienne du DPM artificiel mis à disposition des collectivités locales (ports).
Le DPM connaît trois modes de gestion juridique
- la convention de gestion à une personne publique ;
- la concession pour une exploitation conforme à la vocation du domaine (concession d'outillage public aux Chambres de Commerce et d'Industrie, de plage, d'endigage) ;
- l'autorisation d'occupation temporaire, pour occupation privative, est précaire, révocable, et assujettie à redevance (les autorisations de mouillage collectif, de cultures marines ou d'extraction de matériaux en sont des cas particuliers).
En dehors des utilisations normales (qui n'induisent pas d'immobilisation privative longue du domaine), son occupation est soumise à autorisation personnelle, précaire et révocable. Le titre d'occupation du DPM peut être soit un acte unilatéral (permis de stationnement ou permission de voirie), soit un titre d'origine contractuelle, appelé aussi concession.
Cependant, la qualification de contrat ne doit pas faire illusion. L'occupation conventionnelle ne confère pas davantage de stabilité à l'occupant. En effet, traditionnellement, la jurisprudence a toujours refusé la constitution de droits réels sur le domaine public, pas plus qu'elle n'a admis le fonds de commerce. Le titre d'occupation sur le DPM est incessible et intransmissible, l'autorisation étant personnelle.
Une mise en valeur insuffisante
Le DPM est certainement le domaine public de l'État le plus important et tout aussi certainement celui qui connaît la gestion la moins bonne. Il y a tout à la fois insuffisance de précision de la doctrine et des principes, des procédures de mise en oeuvre, et surtout l'absence de moyens et quasiment de sanctions Primo, le DPM n'est pas toujours délimité, côté terre, là où les lais et relais portent la limite assez loin dans les terres (en tout cas au delà de la limite physique du plus haut flot), là aussi où les risques d'appropriation par les riverains sont grands. La procédure moderne demandée par la loi littoral (art. 26) préconisant la délimitation du rivage « par des procédés scientifiques » pose depuis 1986 des problèmes de mise en oeuvre qui ne sont pas que techniques.
Secundo, le principe initial pour le DPM naturel est qu'affecté au libre usage par le public pour la promenade, le bain, l'échouage des bateaux ou la pêche à pied, il ne doit ainsi connaître aucune occupation qui serait en quelque manière restrictive à cet égard. Ce principe est repris dans la loi littoral où l'article 25 impose de tenir compte « de la vocation des zones, de celle des espaces terrestres avoisinants ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques » , et l'article 27 interdit d'une manière générale de porter atteinte à l'état naturel du rivage.
Cependant, ces principes généraux rendent malaisé l'arbitrage au coup par coup entre utilisations concurrentes. Il est donc nécessaire de préciser en amont les vocations maritimes, compte tenu de l'importance croissante d'une politique de valorisation de la mer. C'est l'un des rôles du Schéma de Mise en Valeur de la Mer.
Tertio, l'ensemble des redevances perçues par l'État et reversées au budget général n'est pas individualisé. On sait seulement que l'ensemble de la recette annuelle pour le domaine de l'État avoisine le milliard de francs. Ce chiffre paraît très faible compte-tenu du volume d'activité des entreprises installées sur le DPM Une véritable gestion sur des critères à définir par la DTMPL et la DGI, notamment, amènerait, à l'évidence, une recette plus élevée.
Par ailleurs, dans la mesure où ce domaine est naturel, l'État n'a mis en place aucun moyen budgétaire spécifique d'entretien, se tournant systématiquement vers les communes pour intervenir sans leur confier la moindre responsabilité de gestion.
Quarto, la défense de l'intégrité du domaine est assurée par la procédure de grande voirie qui connaît deux limites :
- la lenteur (depuis l'abrogation, en 1976, de la possibilité d'action d'office), car le référé administratif n'a pas de caractère immédiat. Sous peine de préjudicier au principal, le juge des référés n'a pas qualité pour condamner l'occupant à remettre les lieux en l'état ;
- la modestie de l'amende au plus 1080 francs.
L'inaliénabilité n'a pas complètement joué le rôle protecteur attendu vis-à-vis du domaine et des espaces côtiers : le déclassement a permis certaines aliénations. On note l'implantation d'activités qui ne relèvent pas toujours de l'intérêt général.
* 79 Cette section est en large partie inspirée des travaux du rapport Bonnot
* 80 Les lais sont les terrains formés par les alluvions, cailloux, graviers, sables... déposés par la mer sur le littoral, et émergeant au-dessus des plus hautes mers. Les relais sont les terrains anciennement recouverts par la mer.