Audition de monsieur Daniel BOUGNOUX |
Professeur à l'Université STENDHAL de
Grenoble III
Auteur de « La communication contre
l'Information»
(Hachette Livre 1995 - coll. « questions de
société »)
Résumé : Nous vivons l'effondrement des pyramides et le problème est de pouvoir accueillir les nouvelles technologies de l'information et de la communication sans décapiter le temps lent de l'oeuvre et de la culture. Il y a érosion des vieux donjons - qui symbolisent la verticalité - rongés par la marée générale. La verticalité lutte avec l'horizontalité, et cette dernière est de plus en plus forte car elle permet un accès beaucoup plus libre au savoir et à la connaissance. Le retard de la France est peut-être un atout : on assiste souvent à des retournements complets de situation.
Q . Comment analysez-vous l'impact des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans notre société ?
R . Nous vivons l'effondrement des pyramides et le problème est de pouvoir accueillir les nouvelles technologies de l'information et de la communication sans décapiter le temps lent de l'oeuvre et de la culture. Car, actuellement, autant les « formes fixes » - la graphosphère - assurent une forme d'autorité au savoir, autant Internet ne le permet pas : ce qui garantit les livres, c'est le filtre éditorial, ce qui est sans équivalent sur le Net. Ceci dit, nulle part le savoir ne se capitalise totalement pyramidalement : aujourd'hui, on a dé-capitalisé et dé-hiérarchisé le savoir et on perd - en conséquence - en autorité et en lieux instiutionnels. En revanche, on gagne à la fois en pertinence, mobilité et personnalisation (car il n'est jamais nécessaire de tout connaître : tout est dans la méthode).
Q . L'écran va-t-il tuer le livre ?
R . Les deux choses sont différentes : le livre est un lieu de recueillement et de savoir, il est consulté à son propre rythme, c'est un outil de culture que l'on n'est pas prêt pas de remplacer.
Le livre n'est pas et ne sera pas ruiné par les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Il a façonné cinq siècles de culture occidentale. La graphosphère a encore de beaux jours devant elle. La grande question est celle de l'interactivité. Nous sommes certes à un tournant, mais rien n'est joué.
Q . Comment voyez-vous évoluer le monde de l'Education au milieu de toutes ces évolutions ?
R . Il y a érosion des vieux donjons, rongés par la marée générale (le système du mandarinat à l'Université, les doctorats). Le donjon symbolise la verticalité. Il y a une lutte entre verticalité et horizontalité, cette dernière étant de plus en plus forte. L'horizontalité permet un accès beaucoup plus libre au savoir et à la connaissance.
Lorsque les nouvelles technologies de l'information et de la communication auront pénétré le monde de l'Education, l'élève sera le Soleil : le savoir tournera autour. Il s'agira donc d'une révolution copernicienne (c'est-à-dire une inversion complète des paradigmes).
Q . Vous n'hésitez pas à parler de « crise de l'université »...
R . En effet. Aujourd'hui, les étudiants sont parfois plus experts que les professeurs. Pour conserver leur autorité, ces derniers doivent donc aller sur le réseau (c'est un peu moins vrai en philosophie car il y a une espèce d'éternité du questionnement).
Q . Quelle regard portez-vous sur le retard pris par la France dans l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication ?
R . La culture du retard a parfois des atouts : on assiste souvent à des renversements complets de situation. En France, la technophobie est le vieil héritage d'un Etat orgueilleux. Il reste toujours aujourd'hui cet imperium de la pensée pure et magistrale. Alors que l'on constate que, dans les « petits pays » - tels les Pays-Bas - qui sont menacés culturellement - l'utilisation des nouvelles technologies de l'informa-tion et de la communication y est fortement développé. Ceci est certainement lié à cela.