II. QUESTIONS ECONOMIQUES
A. EXAMEN DU RAPPORT D'INFORMATION DE M. JAMES BORDAS SUR LE CINQUIÈME PROGRAMME-CADRE DE RECHERCHE (PROPOSITION D'ACTE COMMUNAUTAIRE E 847)
Le mardi 28 octobre 1997, la délégation a
examiné le projet de rapport de M. James Bordas sur le cinquième
programme-cadre de recherche (proposition d'acte communautaire E 847).
M. James Bordas
, rapporteur, souligne tout d'abord que la politique
communautaire de la recherche est une politique utile parce que, dans certains
secteurs de la recherche, il est nécessaire de rassembler les moyens
humains et financiers, de faire travailler ensemble les chercheurs et les
entreprises des différents Etats de l'Union. Il estime que cette
politique est justifiée par la compétition internationale dans
les industries de haute technologie et le retard de l'Europe sur les Etats-Unis
ou le Japon pour ce qui concerne les moyens accordés à la
recherche.
Le rapporteur fait ensuite valoir que cette politique ne fonctionne pas bien,
n'étant pas inspirée par le principe de subsidiarité. Le
programme cadre a jusqu'à présent été adopté
à l'unanimité des Etats membres au sein du Conseil. Dans ces
conditions, certains Etats ont eu tendance à essayer de faire financer
par l'Union européenne des recherches qui n'intéressaient
qu'eux-mêmes. On a assisté à un éparpillement des
actions et à un saupoudrage des crédits portant atteinte à
l'efficacité de la politique communautaire de la recherche. Par
ailleurs, la politique communautaire de la recherche souffre d'une gestion et
de procédures trop lourdes, qui conduisent à des retards
préjudiciables pour les entreprises et les organismes qui veulent
participer à un projet communautaire.
M. James Bordas observe alors que la Commission européenne a voulu tenir
compte de ces critiques dans la proposition de cinquième programme-cadre
qu'elle a présentée. Elle propose que la politique communautaire
repose sur trois principes essentiels :
- l'excellence scientifique et technologique ;
- la pertinence par rapport aux grandes politiques de l'Union ;
- la valeur ajoutée européenne.
Pour arriver à une véritable concentration des actions, la
Commission propose une réduction très forte du nombre de
programmes. Trois programmes thématiques sont proposés, chacun
d'entre eux comportant entre quatre et six actions-clés correspondant
à des objectifs économiques et sociaux. Ces programmes sont les
suivants :
- découvrir les ressources du vivant et de l'écosystème ;
- développer une société de l'information conviviale ;
- favoriser une croissance compétitive et durable.
Par ailleurs, trois programmes horizontaux sont également prévus,
en conformité avec le traité sur l'Union européenne, qui
définit les actions de l'Union en matière de recherche. Il s'agit
de programmes sur le rôle international de la recherche communautaire,
sur la participation des PME, enfin sur la mobilité et la formation des
chercheurs.
Le rapporteur, après s'être félicité de cette
volonté de changement, estime que toutes les difficultés ne sont
pas réglées. Il rappelle tout d'abord qu'en vertu du
traité d'Amsterdam, le programme-cadre de recherche serait à
l'avenir adopté à la majorité qualifiée, mais
s'inquiète du fait que nul ne sait quand le traité entrera en
vigueur. Il estime que les représentants des Etats au sein du Conseil
devraient se comporter comme si la majorité qualifiée
était déjà en vigueur, afin d'éviter le retour aux
pratiques antérieures. Il souligne en outre qu'il paraît
nécessaire d'entamer une réflexion sur les liens entre la
politique de la recherche et la politique structurelle afin que les actions en
faveur de l'innovation qui ne concernent que les pays connaissant un retard de
développement s'effectuent dans le cadre des fonds structurels.
M. James Bordas, rapporteur, se déclare ensuite hostile à la
proposition de la Commission européenne consistant à
réduire le rôle des comités composés de
représentants des Etats qui l'entourent dans son activité de
gestion. Il estime que rien ne permet d'affirmer que ces comités
constituent une entrave à l'efficacité de la politique
communautaire de la recherche.
Le rapporteur évoque alors les liens du programme-cadre avec l'Agenda
2000. Le futur programme-cadre portera sur la période 1999-2002 et ne
peut être dissocié des réflexions qui vont être
entreprises sur les perspectives financières de l'Union
européenne pour les années 2000-2006. La Commission
européenne a évoqué la question de la recherche dans son
document Agenda 2000. Elle estime que la recherche doit être une
priorité de l'Union dans les années à venir et elle
propose donc que les crédits accordés à cette politique
progressent plus vite que le PNB. Elle propose une enveloppe de 16,3 milliards
pour 1999-2002. Elle observe que d'autres actions appartenant aux politiques
internes pourraient en revanche disparaître, si elles ne sont pas en
mesure d'atteindre un impact significatif.
M. James Bordas fait valoir que ces propositions sont trop imprécises.
Il souligne que la priorité accordée à la politique de la
recherche ne peut être soutenue que si cette politique devient plus
efficace et si l'augmentation des crédits accordés à la
recherche est compensée par de vraies propositions précises pour
faire disparaître d'autres actions paraissant peu conformes au principe
de subsidiarité.
A propos de l'élargissement de l'Union européenne, le rapporteur
rappelle que la Commission propose une participation pleine et entière
de certains pays d'Europe centrale et orientale au programme-cadre et estime
que cette proposition laisse de nombreuses questions en suspens et qu'une
réflexion approfondie est encore nécessaire.
M. James Bordas souligne ensuite que dans trois autres domaines, des
améliorations doivent être apportées à la politique
communautaire de la recherche :
- il paraît tout d'abord nécessaire de réfléchir
à des formules d'évaluation plus indépendantes de la
Commission européenne afin d'éviter les soupçons de
partialité, qui existent d'ailleurs dans tous les domaines et non
seulement dans celui de la recherche ;
- beaucoup d'entreprises soulignent que les recherches effectuées dans
le cadre communautaire sont insuffisamment protégées. Des
progrès sont donc nécessaires dans ce domaine. En matière
de brevets, l'Union a un problème important lié au coût de
dépôt des brevets, beaucoup plus élevé qu'aux
Etats-Unis par exemple. Enfin, l'Union a signé de nombreux accords de
coopération en matière de recherche. Il convient de veiller
à ce que ces accords fassent l'objet d'une pleine
réciprocité de la part de pays qui accèdent ainsi aux
résultats de la recherche communautaire ;
- la recherche communautaire doit fonctionner de manière moins rigide.
Afin de pouvoir réagir rapidement à de nouveaux besoins, la
Commission européenne propose qu'à l'intérieur de chaque
programme, une partie des fonds ne soit pas affectée
immédiatement, mais seulement pendant la réalisation du
programme. Cette proposition semble intéressante car elle favorise une
certaine souplesse. Il conviendrait d'aller plus loin, notamment en
renforçant les liens entre le programme-cadre et Eurêka. En outre,
la recherche est l'une des politiques où devraient pouvoir s'appliquer
les coopérations renforcées. Il existe déjà des
bases juridiques dans le Traité de Maastricht puisque les articles 130
K, 130 L et 130 N prévoient la possibilité d'actions
auxquelles ne participeraient que quelques Etats.
Concluant son propos, le rapporteur indique que le Sénat ne peut rester
indifférent à la proposition de cinquième programme-cadre
et présente une proposition de résolution reprenant les
conclusions de son rapport.
Au cours du débat qui suit,
M. Denis Badré
déclare
être en accord avec le constat dressé par le rapporteur sur les
faiblesses actuelles de la politique communautaire de la recherche. Il souligne
que cette politique a aujourd'hui des effets pervers. Au niveau
français, les organismes de recherche négocient en effet avec
l'administration du ministère des Finances pour l'obtention de
crédits au niveau national et préparent dans le même temps
des dossiers pour obtenir des crédits de la Commission
européenne. Dans certains cas, ces laboratoires se voient refuser des
crédits nationaux parce qu'ils ont obtenu des crédits
communautaires. A l'inverse, ils se voient parfois refuser les crédits
nationaux parce qu'ils n'ont pas reçu de crédits communautaires
et que l'on estime que ce refus est la preuve du manque d'intérêt
de leur projet. Tout cela conduit à une concurrence entre le niveau
national et le niveau communautaire alors que des synergies seraient
nécessaires.
M. Denis Badré plaide pour la mise en place d'une véritable
politique européenne de la recherche ne consistant pas à faire de
la recherche européenne. Il s'agit de définir au niveau
communautaire un certain nombre de priorités et de retenir des moyens
incitatifs pour que les Etats membres soient sensibilisés à ces
priorités et les mettent en oeuvre. Dans ce contexte, il est essentiel
de favoriser toutes les actions permettant aux chercheurs de travailler
ensemble.
M. Michel Barnier
souligne l'importance du passage à la
majorité qualifiée, prévu par le traité
d'Amsterdam, pour l'adoption du programme-cadre. Il propose que la
Délégation entende Mme Edith Cresson, commissaire européen
chargé de la recherche, afin de compléter son information sur la
préparation du cinquième Programme-cadre.
A propos de la proposition de résolution présentée par le
rapporteur,
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
souhaite avoir des
précisions sur la proposition consistant à faire prendre en
charge la mise à niveau en matière de recherche des pays
connaissant un retard de développement par les fonds structurels
plutôt que par le programme-cadre. Elle approuve la demande
d'étude approfondie sur les conséquences de la participation des
pays d'Europe centrale et orientale au programme-cadre, en soulignant les
nombreuses différences qui peuvent exister entre les règles de
droit de ces pays et celles de l'Union européenne. Elle interroge enfin
le rapporteur sur l'orientation qu'il propose pour le budget du
cinquième Programme-cadre.
M. Denis Badré
estime que la proposition de résolution
présentée par le rapporteur permettrait des progrès dans
la mise en oeuvre du prochain programme-cadre, mais il souhaite qu'une
réflexion globale soit, à terme, entreprise sur la
définition d'une véritable politique européenne de
recherche. Il souhaite que cette étude soit
précédée d'une évaluation globale de l'ensemble des
actions qui ont été jusqu'à présent conduites au
niveau communautaire.
M. Denis Badré souligne que l'Union doit favoriser les synergies et non
la concurrence entre les laboratoires, les entreprises et les Etats. Il fait
valoir que la Commission européenne doit s'attacher à la
définition de réelles priorités et à la
préparation de programmes d'actions pour mettre en oeuvre ces
priorités.
En réponse aux intervenants, le rapporteur souligne que les fonds
structurels soutiennent d'ores et déjà des actions d'innovation,
par exemple à travers l'article 10 du FEDER, et qu'il propose que ces
actions soient renforcées afin que certaines actions qui
n'intéressent que les pays connaissant un retard de développement
ne soient pas prises en charge par le programme-cadre. A propos de la dotation
budgétaire du programme-cadre, il estime que, compte tenu de la
situation budgétaire des Etats, il conviendrait que l'enveloppe
allouée aux politiques internes ne croisse pas plus vite que le PNB. Il
en déduit qu'une éventuelle augmentation de l'enveloppe du
programme-cadre plus rapide que le PNB devrait être compensée par
des réductions de dépenses dans d'autres domaines.
Répondant à M. Denis Badré, le rapporteur se
déclare en accord avec ses propos et propose de compléter
l'exposé des motifs de sa proposition de résolution afin de
mentionner la nécessité d'une réflexion globale sur la
politique communautaire de la recherche.
La délégation
adopte alors le rapport d'information de
M. James Bordas et se prononce en faveur du dépôt, par le
rapporteur, de sa proposition de résolution ainsi modifiée
(voir texte ci-après).
Le rapport de M. James Bordas :
" Le cinquième programme-cadre de recherche "
a été publié sous le n° 57 (1997-1998)
PROPOSITION DE RESOLUTION
Le Sénat,
Vu la proposition d'acte communautaire E 847,
Approuve les orientations proposées par la Commission européenne
pour le cinquième Programme-cadre de recherche et de
développement technologique ;
Demande au Gouvernement :
- de faire en sorte que les objectifs de réduction du nombre de
programmes thématiques et de concentration des actions de la
Communauté européenne ne soient pas réduits à
néant au cours des négociations, et que le principe de
subsidiarité soit pleinement pris en compte dans ces
négociations ;
- d'inciter la Commission européenne à prendre des initiatives
afin que la mise à niveau en matière de recherche des Etats
membres connaissant encore un retard de développement soit
assurée par les politiques structurelles et non par le programme-cadre
de recherche ;
- de s'opposer à la réduction du rôle des comités
composés de représentants des Etats membres et assistant la
Commission européenne dans ses tâches de gestion, aucun
élément ne démontrant que ces comités constituent
une entrave à l'efficacité de la politique communautaire ;
- de veiller à ce qu'une éventuelle augmentation plus rapide que
la progression du PNB du budget alloué au programme-cadre soit
intégralement compensée par une réduction des
crédits alloués à d'autres rubriques des politiques
internes ;
- d'obtenir la réalisation d'une étude approfondie des
conséquences d'une ouverture immédiate et complète du
programme-cadre aux pays d'Europe centrale et orientale dont l'adhésion
à l'Union est proposée par la Commission européenne, en
particulier en ce qui concerne les règles de propriété
intellectuelle appliquées dans ces pays et les modalités de
financement de leur participation au programme-cadre ;
- de plaider pour des modalités d'évaluation du programme-cadre,
en cours de réalisation, plus indépendantes de la Commission
européenne, en particulier pour ce qui concerne les activités
directes de recherche de la Communauté menées à travers le
Centre commun de recherche ;
- de s'assurer que les recherches entreprises dans le cadre communautaire
feront l'objet de règles rigoureuses en ce qui concerne la
propriété intellectuelle, et que les accords de
coopération passés entre la Communauté et des Etats tiers
offrent aux entreprises et organismes communautaires une pleine
réciprocité pour accéder aux programmes de recherche de
ces pays ;
- de défendre un renforcement des synergies entre EURÊKA et le
programme-cadre et la mise en oeuvre des articles 130 K, 130 L et
130 N du traité sur l'Union européenne, l'ensemble de ces
mesures devant permettre de renforcer la flexibilité de la politique de
recherche conduite au sein de l'Union.
Cette proposition de résolution
a été publiée sous le n° 65 (1997-1998).
Elle a été renvoyée à la Commission des Affaires
culturelles.