2. Quels enseignements ?
· Le maigre bilan de la CIG incite certains à
remettre en cause la procédure même de révision des
traités, qui devrait selon eux, reposer sur l'intervention d'une sorte
d'"assemblée constituante ", dont les travaux seraient
éventuellement préparés par un " comité des
sages ".
On peut toutefois remarquer que, en tout état de cause, puisque la
procédure de révision est définie par les traités,
une modification de cette procédure ne pourrait résulter que
d'une conférence intergouvernementale, c'est-à-dire d'un accord
unanime des Etats membres. Mais comment les Etats membres, après n'avoir
pu s'accorder sur une réforme institutionnelle de quelque ampleur,
seraient-ils soudain unanimes pour s'engager dans une démarche de
réforme bien plus radicale que les projets qui viennent
d'échouer ?
De plus - à moins de prévoir la suppression des ratifications
nationales - on voit mal comment une procédure du type
" assemblée constituante " permettrait de s'assurer du
nécessaire consensus des Etats membres.
Au demeurant, une telle procédure serait-elle plus démocratique
que la procédure actuelle ? La CIG s'est déroulée, en
bonne partie, sous le regard des Parlements nationaux qui, dans nombre des
Etats membres, ont entretenu un dialogue régulier avec leur
Gouvernement, donnant ainsi un caractère démocratique à
l'exercice. L'intervention du Parlement européen - préfigurant ce
que pourrait être celle d'une " assemblée constituante "
- paraît avoir, quant à elle, pris des formes assez
éloignées des canons du contrôle démocratique :
d'une part, seuls les deux groupes les plus importants du Parlement
européen ont pu effectivement jouer un rôle, et d'autre part, les
négociations sur l'extension des pouvoirs du Parlement européen
et sur la procédure budgétaire applicable à la PESC ont
été l'aspect le plus opaque de la CIG.
Même du strict point de vue de l'efficacité, l'exemple n'est
d'ailleurs guère plus probant, puisque le Parlement européen
n'est parvenu à prendre position que sur certains aspects seulement de
la CIG (ceux concernant ses propres pouvoirs).
S'agissant enfin de l'intervention d'un " comité des
sages " -
expédient ô combien classique - ne serait-ce pas là
empiéter sans nécessité sur le rôle de
médiation et de proposition incombant à l'Etat exerçant la
présidence ainsi qu'à la Commission européenne ?
Au total, les arguments en faveur d'une réforme de la procédure
de révision ne semblent guère convaincants ; comme on peut par
ailleurs douter de leur réalisme, il paraît probable que les
révisions ultérieures des traités continueront à
s'effectuer dans le cadre actuel.
· En tout état de cause, la marge pour des réformes
institutionnelles paraît désormais très étroite.
La résistance victorieuse des " petits " pays ne manquera
pas
de les inciter à persévérer dans leur opposition aux
tentatives de réduire leur surreprésentation au sein des
institutions de l'Union.
En conséquence, l'idée française d'une
Commission
resserrée
, avec moins de commissaires que d'Etats membres, n'a
manifestement que des chances limitées d'aboutir dans un avenir
prévisible. On peut se demander si le résultat le plus tangible
du lancement du débat sur cette idée n'aura pas
été, finalement, de mettre sur la sellette le second commissaire
des " grands " Etats.
Le thème de la
repondération des votes au Conseil
n'a pas
été écarté des conclusions de la Conférence.
Il est clair, néanmoins, qu'il sera désormais très
difficile d'obtenir une évolution satisfaisante sur ce point. Les
" petits " Etats membres continueront en effet à faire
valoir
le risque d'un refus de ratification si leur place au sein du Conseil devait
diminuer. De plus, la CIG a montré que les tentatives de
repondération posaient la question de l'équilibre non seulement
entre le groupe des " grands " et celui des
" petits "
Etats membres, mais aussi au sein de chacun de ces deux groupes. Dans ces
conditions, le risque est grand de voir la plupart des Etats membres se
rallier, le moment venu, à la formule de la " double
majorité " (qui consiste à ajouter à l'exigence de la
majorité qualifiée en voix, calculée avec la
pondération actuelle, un critère de majorité
qualifiée démographique) : or, cette solution présenterait
pour la France l'inconvénient de rompre
de facto
au sein du
Conseil la parité avec l'Allemagne qui a déjà disparu au
sein du Parlement européen.
Quoi qu'il en soit, les difficultés rencontrées par la CIG
suggèrent qu'une repondération, si elle intervient, restera d'une
ampleur limitée : la surreprésentation des " petits "
Etats sera atténuée, non supprimée, cela alors même
que l'élargissement à l'Est va accentuer encore le
déséquilibre entre " grands " et
" petits "
Etats. Par ailleurs, une éventuelle repondération aura un
coût pour les " grands " Etats, puisque les conclusions de
la
CIG la subordonnent à la suppression du second commissaire de ces
derniers. En outre, alors que la France avait tout au long de la
Conférence établi un lien entre l'extension du champ des
décisions à la majorité qualifiée et la mise en
place d'une nouvelle pondération, ce lien a été finalement
abandonné lors du Conseil européen d'Amsterdam ; les moyens
de pression disponibles sont donc désormais réduits.
Sur
l'association des Parlements nationaux
, la CIG paraît avoir
épuisé la marge de progrès disponible, compte tenu des
réticences des pays nordiques et des réserves du
Parlement européen.
Enfin, même si la Conférence a débouché sur un
renforcement des instruments de la PESC, elle a également
consacré l'absence d'une volonté politique commune de donner
naissance à une
identité européenne de
défense
, dont la première étape eut été
l'intégration de l'UEO à l'Union. Comme l'élargissement
à l'Est semble devoir conforter cette tendance, on peut conclure que,
dans ce domaine également, les perspectives d'avancées
importantes sont désormais très restreintes pour l'avenir proche.
· Dans ces conditions, la réalisation de l'Union
économique et monétaire apparaît plus que jamais comme le
ciment essentiel de la construction européenne dans les années
qui viennent.
La physionomie de l'Europe à venir semble être dès lors
celle d'une union économique, certes fortement structurée par des
politiques communes et par une union monétaire, mais sans
véritable dimension politique au sens d'une volonté d'agir
ensemble et d'affirmer une identité commune sur la scène
internationale.
Depuis les débuts de la construction européenne, la France a
considéré que celle-ci était -au prix de restrictions de
sa souveraineté- le seul moyen pour elle de retrouver, en liaison avec
ses partenaires, une influence politique perdue. Les pertes de
souveraineté sont aisément constatables ; le regain d'influence
politique qui devait les récompenser est plus difficile à
percevoir. A l'issue de la CIG, l'Europe paraît pencher plus vers une
" zone de libre échange améliorée " que vers un
ensemble politique ayant un rayonnement autonome.