B. L'IMPACT DES POLITIQUES BUDGÉTAIRES RESTRICTIVES
Si l'orientation actuelle de la politique budgétaire,
en France comme dans la plupart des pays européens, est restrictive,
l'évaluation de son impact sur l'activité et l'emploi divise les
économistes. Un récent séminaire
12(
*
)
, consacré à
l'étude d'expériences étrangères
d'" ajustement " budgétaire a permis d'apporter quelques
éclaircissements à ce débat :
· Il était traditionnellement admis que les politiques
budgétaires restrictives contractent la demande globale, donc la
croissance.
Les modèles macroéconomiques
suggèrent
ainsi qu'une politique de réduction de 1 % du PIB du déficit
public " structurel "
13(
*
)
aurait en France pour
" effet " de court terme (2 - 3 ans) une réduction du niveau
du PIB de 1 % environ par rapport à sa tendance ; il en
résulterait de moindres recettes fiscales et, de ce fait, une diminution
du déficit effectivement constatée
ex post
moins
importante qu'escompté (d'environ 0,5 % du PIB).
· Cependant,
plusieurs arguments théoriques
, fondés
sur les
rôles des anticipations
et
des taux
d'intérêt
, soutiennent l'idée selon laquelle l'impact
effectif d'un ajustement budgétaire sur la demande pourrait être
moindre que ne le suggère l'estimation précédente. En
particulier, si les ménages sont convaincus qu'une hausse de
prélèvements fiscaux est inéluctable à moyen terme
(pour stabiliser la dette publique), ils auront tendance à se constituer
une épargne supplémentaire en vue de ces impôts futurs.
Inversement, l'annonce d'un ajustement budgétaire peut les rassurer pour
l'avenir et les inciter à consommer une part de leur épargne
supplémentaire, ce surcroît de demande privée compensant
alors en partie la restriction de la demande publique.
· L'étude des expériences d'ajustement budgétaire
menées au cours des trente dernières années dans les pays
de l'OCDE montre que les politiques budgétaires
très
restrictives
ont eu en moyenne un impact sur l'activité
plus
faible que prévu
(proportionnellement plus faible que les politiques
budgétaires " modérément " restrictives) et se
sont même dans certains cas (dont les plus connus sont ceux de l'Irlande
entre 1986 et 1989 et du Danemark entre 1983 et 1986) accompagnées d'une
hausse de la consommation des ménages et d'une
accélération de la croissance.
·
Les facteurs explicatifs de ces épisodes d'ajustements
budgétaires
" brutaux " sans ralentissement de
l'activité
demeurent controversés. Sont le plus souvent
avancés : d'une part les particularités des pays (petite taille,
degré d'ouverture élevé, marchés financiers
très développés, situation budgétaire
extrêmement dégradée et
endettement
" critique ")
; d'autre part les caractéristiques de
l'ajustement entrepris (baisse de la consommation publique et non de
l'investissement ; réduction des dépenses budgétaires
plutôt que prélèvements supplémentaires ; annonce
d'un calendrier crédible ; politique monétaire
parallèlement très expansionniste).
· Les
enseignements que les experts tirent de ces
expériences
pour l'ajustement budgétaire en cours
en
France
sont affectés par un certain nombre d'hésitations
qu'on peut résumer ainsi :
- En premier lieu, selon les critères retenus par les
économistes, la France n'a pas connu au cours des décennies
précédentes, ni ne connaît aujourd'hui de politique
d'ajustement budgétaire " brutal ", comme le montre le
caractère
progressif
de la réduction du déficit
budgétaire (5 % en 1995, 4 % en 1996, 3 % en 1997, ...).
- En second lieu, la France ne bénéficierait guère des
particularités des pays ayant connu un ajustement budgétaire sans
ralentissement de la croissance. En particulier, elle est un grand pays dont
l'endettement public n'est pas " critique ".
De ces réflexions d'experts, votre Rapporteur déduira quelques
remarques élémentaires :
- il paraît téméraire d'affirmer que pour un pays de la
taille de la France des mesures tendant à réduire le
déficit budgétaire ont un effet de relance de l'activité.
Il paraît certes indispensable de mener à bien le redressement des
finances publiques dans notre pays, mais en déduire que cela contribuera
à stimuler la croissance ne contribue pas à la clarté du
débat économique ;
- il est tout aussi téméraire d'affirmer que le
taux
d'épargne
des ménages
baissera
avec la
réduction des déficits publics - donc que "
la
consommation privée prendra bien le relais de la consommation
publique
"
14(
*
)
-, en
s'appuyant sur le fait que dans le passé l'augmentation du taux
d'épargne des ménages et des déficits publics en France a
été concomitante : on peut tout aussi bien affirmer en effet que
l'augmentation du taux d'épargne et du
chômage
- et
par
conséquent
des déficits publics - a été
concomitante ;
- il faut rappeler que l'interaction entre croissance économique et
solde budgétaire est
asymétrique
: le rythme de la
croissance économique a beaucoup plus d'incidence
" spontanée " sur le solde budgétaire que n'en a une
modification " délibérée " du solde
budgétaire sur la croissance économique.
En d'autres termes, ce n'est pas parce que la croissance économique
améliore le solde budgétaire qu'on peut penser soutenir la
croissance en cherchant à réduire le déficit ; en
revanche, si la croissance repart, les responsables de la politique
économique n'auront pas trop de souci à se faire pour
l'évolution du solde budgétaire.