LES ERREURS DE GESTION DES BANQUES ET LA CONCURRENCE DESTRUCTRICE
Les erreurs de gestion ont aggravé la situation générale des banques, aggravation qui, à son tour a débouché sur une guerre des prix et une situation de concurrence destructrice.
Les erreurs de gestion
Les erreurs commises par les banques ont été
nombreuses et pourraient justifier un rapport spécifique.
Plusieurs membres de la Commission des finances du Sénat ont
particulièrement insisté sur ces erreurs, lui attribuant une
responsabilité très importante voire prépondérante
dans la genèse de la crise
60(
*
)
.
Il est exact que l'on ne saurait minorer, pour expliquer cette crise,
l'importance de certains atavismes de notre système bancaire et,
notamment, les liens privilégiés qu'il entretient avec la haute
fonction publique. Le métier de banquier, comme tous les autres
métiers, nécessite un long apprentissage. Les hauts
fonctionnaires, même les plus brillants, ne sauraient s'improviser
dirigeants bancaires par la seule vertu d'un décret de nomination. Il
convient toutefois de ne pas succomber à la tentation d'une
généralisation sans nuances.
Il est non moins vrai qu'en nommant systématiquement des hauts
fonctionnaires de l'administration des finances dans les banques publiques,
(voire privées ou semi-privées) l'exécutif a engagé
sa responsabilité.
Néanmoins, le rôle du législateur n'est pas de
définir ce que doit être (ou ne pas être) la gestion des
établissements de crédit. Pour autant, il demeure comptable de la
bonne utilisation des deniers publics. De ce point de vue, la commission des
finances du Sénat reste fidèle à la doctrine qu'elle a
établie dans le cadre de son rapport sur l'Etat actionnaire
61(
*
)
.
On observera également que des erreurs de gestion ont été
commises par les dirigeants bancaires dans tous les pays du monde et que faire
peser la responsabilité de la crise du secteur bancaire français
sur la seule administration serait réducteur.
Enfin, on peut penser que dans, une large mesure, le facteur
"erreurs" a
revêtu un caractère endogène autant qu'exogène. En
d'autres termes, qu'elles aient été d'essence tactique, comme
l'aveuglement collectif sur l'immobilier, ou au contraire stratégique,
comme l'idée que toutes les banques sont capables de devenir des banques
universelles, les erreurs commises ont résulté davantage de la
situation créée par les réformes, que d'une
incapacité collective des dirigeants bancaires français, hauts
fonctionnaires ou non.
Les erreurs tactiques
Les erreurs privées
Les erreurs tactiques témoignent avant tout de la
volonté des établissements de crédit, marqués par
l'affaiblissement de leurs marges, de se "
refaire
". La crise de
l'immobilier est particulièrement révélatrice de cet
enchaînement des catastrophes.
A cet égard, trois erreurs peuvent rétrospectivement leur
être imputées : s'être précipitées à la
fin des années 1980 sur un marché lucratif mais
spéculatif, avoir nié la crise pendant des années et en
avoir sous-estimé l'ampleur en ne procédant pas aux
provisionnements nécessaires.
Dans un premier temps, les banques, séduites par une rentabilité
élevée, ont cherché à compenser la faiblesse des
marges sur leurs activités traditionnelles en se précipitant sur
le financement de l'immobilier de bureaux, essentiellement en région
parisienne. Les concours accordés aux professionnels de l'immobilier
auraient augmenté de 173 % entre 1988 et 1990 pour atteindre plus
de 300 milliards de francs en 1992. Cette stratégie pouvait se
comprendre s'agissant des établissements spécialisés ou de
petite taille qui cherchaient à survivre.
Le cas du Comptoir des entrepreneurs, qui a connu une défaillance en
1993, est exemplaire. Cette institution financière
spécialisée, privée de la distribution de prêts
bonifiés par l'Etat, a cherché à se constituer à la
hâte un fonds de commerce. Sans atout concurrentiel particulier, elle
s'est lancée sur un marché risqué mais
rémunérateur. Elle y était même encouragée
par l'administration de tutelle, qui porte une part de responsabilité
non négligeable dans la quasi-faillite de l'établissement.
Le cas du Crédit Lyonnais, qui, par le caractère massif de ses
engagements, a aggravé la crise de l'immobilier, est encore plus
révélateur. Selon certaines informations
62(
*
)
, la banque publique représentait
à elle seule près d'un tiers (105 milliards de francs) des
concours de toutes les banques françaises. Si l'on prend l'ensemble des
établissements publics ou semi-publics on arrive à environ 200
milliards soit près des deux tiers des encours de crédit.
La deuxième erreur a été de nier ou de minimiser la crise
de 1990 à 1992. Pourtant les signes en étaient nombreux et
concordants : entre 1990 et 1993, les prix de vente des bureaux parisiens se
sont effondrés de 40 %. Les loyers de bureau dans Paris centre qui
s'élevaient en 1990 à 3.000 francs le mètre carré,
ne dépassaient guère les 2.000 francs en 1993. Enfin, le stock
des immeubles de bureaux anciens en Île-de-France a quasiment
doublé entre 1990 et 1993. En dépit de ces signes, les dirigeants
de banques ont considéré que la baisse des prix serait
passagère. Avec l'aval des commissaires aux comptes et de l'instance
régulatrice, les établissements de crédit ont
minimisé l'impact des créances impayées sur leurs comptes
en attendant, en vain, des jours meilleurs.
Les pertes potentielles étant considérables, la troisième
erreur a consisté, quand la crise est apparue, à tenter de lisser
les provisions et à éviter un effondrement des prix de
l'immobilier. Un consensus de place s'est instauré, sous l'impulsion,
notamment, du tribunal de commerce de Paris, dont le mot d'ordre était :
pas de faillite afin d'éviter le bradage des prix et, par ricochet,
d'obliger tous les établissements à afficher des provisions et
des pertes massives.
Cette stratégie a eu pour conséquence de limiter les pertes
affichées, mais aussi de "
tuer
" le marché de l'immobilier
de bureaux. Les rares transactions n'ont plus été fondées
sur la réalité des prix, mais sur des arrangements de
circonstances. Finalement, cette stratégie n'a pas empêché
les prix de baisser et les coûts de portage de gonfler. En contrepartie
d' "
un krach mou
" nous avons subi "
une crise très
longue
".
Non seulement cet aveuglement collectif dans le secteur des crédits
à l'immobilier, n'a pas permis aux banques de restaurer leurs marges sur
leurs activités traditionnelles, mais par un effet de retour
dévastateur, les a conduites, sur ces mêmes activités,
à se lancer dans une guerre des prix, débouchant dans certains
cas sur des ventes à perte.