CHAPITRE II
UNE CRISE D'ORIGINE STRUCTURELLE RENDUE INSUPPORTABLE POUR
CERTAINS ACTEURS À CAUSE DE DISTORSIONS DE CONCURRENCE
Les réformes structurelles mises en place au cours de la
décennie 1980 se sont traduites, mécaniquement, par une
augmentation très importante des pressions concurrentielles.
C'est
l'impossibilité (ou le refus) de laisser se produire les ajustements
nécessaires pour faire face à ce surcroît de concurrence
qui a conduit à la situation actuelle.
Seule en effet l'absence
d'ajustement peut expliquer à la fois la longueur de la crise dans notre
pays, la sous-rentabilité comparée de nos banques et l'absence de
crise dans le système bancaire allemand. Dans ce dernier système
il n'y a pas eu à faire d'ajustements particuliers pour la simple raison
qu'une moitié des réformes n'avait pas de raison d'être et
que l'autre moitié n'a pas encore été
faite
12(
*
)
.
Les distorsions de concurrence quant à elles n'ont vraisemblablement
joué aucun rôle, au niveau macro-économique du moins, dans
la survenue de cette crise. En revanche elles induisent une puissante
redistribution sectorielle qui les rend insupportables aux acteurs n'en
bénéficiant pas.
L'IMPOSSIBILITÉ DE PROCÉDER AUX AJUSTEMENTS INDUITS PAR LES RÉFORMES STRUCTURELLES EST LA CAUSE PREMIÈRE DE LA CRISE
Si on s'efforce d'établir, non pas une pondération entre les différents facteurs de la crise, mais l'enchaînement causal qui en est responsable, il apparaît que la cause première de la crise tient à l'impossibilité de laisser se réaliser les ajustements induits par les réformes structurelles et que les erreurs de gestion des banques et le retournement conjoncturel des années 1991-1993 n'ont joué qu'un rôle aggravant.
LES RÉFORMES STRUCTURELLES DES ANNÉES 1984-1989 ET L'ACCROISSEMENT DES PRESSIONS CONCURRENTIELLES
Les réformes structurelles
La politique monétaire d'encadrement du crédit,
menée quasiment sans interruption depuis la Libération, avait
installé les banques françaises dans une situation assez
confortable, caractérisée par l'absence de concurrence et
l'existence de circuits cloisonnés de financement concernant certains
secteurs ou certaines priorités. Cette situation masquait en
réalité une sclérose généralisée. Les
banques, assimilées à des services publics, n'étaient pas
considérées comme des entreprises comme les autres et leurs
agents étaient assimilés à des fonctionnaires. De ce point
de vue, les nationalisations de 1982 marquaient davantage l'aboutissement d'un
processus étalé sur quarante ans, qu'une véritable
révolution
13(
*
)
.
Cette situation a été totalement bouleversée par les
réformes intervenues dans le milieu des années 80. L'objectif de
ces réformes était d'abord de favoriser le financement de l'Etat
par la création d'un vaste marché de capitaux sur lequel il
pourrait financer plus facilement sa dette. Mais ces réformes
étaient également censées améliorer le financement
de notre économie en conduisant les établissements de
crédit à se livrer à une concurrence qui devait
normalement se traduire par une baisse du coût du crédit.
Regroupées sous le terme générique de
"
déréglementation
", ces réformes ont affecté
à la fois les marchés eux-mêmes (décloisonnement et
désintermédiation), les intermédiaires (banalisation) et
les flux de capitaux (internationalisation).
Le décloisonnement des marchés et la désintermédiation
Le décloisonnement a consisté à réduire le nombre des procédures dont la résultante formait un patchwork de marchés spécifiques (crédits hypothécaires, exportations, logement, agriculture, artisanat, création d'emplois, recherche...) afin de constituer un vaste marché des capitaux sur lequel la régulation monétaire pourrait se faire de façon plus efficace et plus conforme aux règles de la concurrence.
La création du marché monétaire
La création du marché monétaire, en
1985, a été la première étape du processus de
décloisonnement.
Elle a consisté à mettre en place le
chaînon manquant entre le marché interbancaire et le marché
obligataire. Elle a été réalisée par la mise
à disposition des intervenants de
titres de créances
négociables
14(
*
)
de
caractéristiques similaires permettant l'instauration d'un
continuum
d'échéances entre le très court terme (dix jours) et
le long terme (sept ans, soit le seuil du marché obligataire).
Fait notable, ce marché a été d'emblée ouvert
à tous les intervenants et notamment aux entreprises, avec
l'introduction en France des billets de trésorerie. Par contraste, le
marché monétaire était auparavant réservé
à un nombre limité d'établissements : les banques et les
"
établissements non bancaires admis au marché
monétaire
", plus connus sous le sigle d'ENBAMM.
Du côté de la demande, la mise en place de ce marché a
été grandement facilité par l'essor des organismes de
placement collectifs (SICAV et FCP), organismes bénéficiant d'une
fiscalité favorable et qui ont massivement souscrit des titres de
créances négociables.