QUATRIÈME PARTIE : L'ÉVOLUTION DES INSTRUMENTS JURIDIQUES INTERNATIONAUX SUR L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

Depuis la création de l'Organisation des Nations unies, la norme internationale a connu une évolution sensible sur les questions de l'égalité entre hommes et femmes. Cette évolution s'est traduite par un changement de perspective entre, d'une part, l'affirmation de l'égalité formelle entre les sexes, à laquelle s'est consacrée l'activité normative internationale jusqu'à l'adoption de la convention « antisexiste » des Nations unies, en décembre 1979, qui demeure encore le texte de référence en la matière, et, d'autre part, la prise en compte des conditions réelles de l'exercice de leurs droits par les femmes, qui caractérise désormais l'action des organismes internationaux dans le domaine de l'égalité des sexes.

Il faut, dans cette optique, constater l'écart entre les instruments internationaux élaborés par l'ONU et le Conseil de l'Europe (conventions ou normes orientatives) qui encouragent aujourd'hui l'adoption de mesures de discrimination positive, et les obstacles tenant au droit interne de certains États -le principe d'égalité, notamment- qui rendent difficile une telle démarche.

Enfin, si les institutions communautaires paraissent désormais sensibles à une participation équilibrée des femmes au processus de décision, le nouveau traité européen n'a pas encore confirmé ce tournant dans un système juridique européen où le principe d'égalité entre hommes et femmes demeure limité au domaine du travail.

DEUX GÉNÉRATIONS D'INSTRUMENTS INTERNATIONAUX : DE L'AFFIRMATION DE L'ÉGALITÉ FORMELLE ENTRE HOMMES ET FEMMES À LA PRISE EN COMPTE DES CONDITIONS RÉELLES D'EXERCICE DES DROITS

I. Une première étape : garantir l'égalité formelle entre hommes et femmes

Les instruments internationaux relatifs à l'égalité entre hommes et femmes ont, jusqu'à l'adoption de la convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes en 1979, concerné au premier chef l'interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe à l'égard des droits de l'homme et des libertés fondamentales, puis des droits civils et politiques.

L'étendue des garanties juridiques assurées dans ces deux domaines par la norme internationale contraste avec la relative discrétion constatée en ce qui concerne les droits sociaux.

a. L'égalité entre hommes et femmes dans le domaine des droits de l'homme et des garanties fondamentales

S'inspirant des principes qui constituent le fondement des démocraties occidentales, la Charte des Nations Unies étend aux femmes la libre jouissance des droits fondamentaux de la personne humaine.

L'article premier affirme que l'ONU a pour but de promouvoir et d'encourager le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. L'égalité des sexes est d'ailleurs stipulée à plusieurs reprises dans la Charte comme dans le préambule de celle-ci.

Dans le même esprit, la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par l'ONU le 10 décembre 1948, proscrit toute discrimination par la race, le sexe, la langue, la religion, l'opinion, les origines nationales ou sociales a l'égard des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Tous les droits -droit à la vie, liberté et sécurité de la personne, droit de ne pas subir de torture ou de peines inhumaines et dégradantes, droits relatifs au mariage, au travail et » l'éducation- doivent être garantis aux femmes à égalité avec les hommes.


• L'interdiction de toute discrimination par le sexe se trouve confirmée par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée le 4 novembre 1950 par le Conseil de l'Europe, et complétée par huit protocoles additionnels signés entre 1952 et 1985. La Convention garantit la jouissance des droits et libertés de la personne humaine sans discrimination, que celle-ci soit fondée sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion ou les opinions politiques.

Ces textes ne sont toutefois pas conçus comme des instruments traitant de manière spécifique la discrimination sexuelle, puisqu'elle est visée parmi d'autres formes de discrimination, fondées sur la race, la religion ou les opinions.

b. Les droits civils et politiques sans discrimination de sexe

Le principe d'égalité entre hommes et femmes a, par la suite, été incorporé dans différents instruments internationaux relatifs aux droits civils et politiques :

- la Convention sur les droits politiques des femmes, conclue dans le cadre des Nations Unies le 31 mars 1953, afin de garantir le droit de vote et l'éligibilité des femmes "à tous les organismes publiquement élus", et d'assurer aux femmes "le même droit que les hommes d'occuper tous les postes publics et d'exercer toutes les fonctions publiques" ;

- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté Par l'ONU en 1966, transforme les engagements moraux souscrits par les États en vertu de la déclaration universelle de 1948 en obligations contraignantes.

Posant le principe de l'égalité de tous devant la loi, le Pacte relatif aux droits civils et politiques étend le principe de l'égalité non seulement aux droits fondamentaux envisagés par le Pacte, mais aussi à l'ensemble des droits reconnus par la législation des États-Parties.

c. Une norme internationale discrète dans le domaine des droits sociaux.

L'affirmation des droits sociaux des femmes par des accords internationaux s'est, dans un premier temps, bornée au principe de l'égalité de rémunération entre hommes et femmes.

C'est ainsi que l'article 119 du traité de Rome se réfère à « l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail », et que la Charte sociale européenne, adoptée par le Conseil de l'Europe le 18 novembre 1961, prévoit l'égalité de rémunération entre hommes et femmes pour un travail de même valeur. Le droit européen dérivé a, par la suite, progressivement précisé le contenu du principe d'égalité entre hommes et femmes :

- directive du 10 février 1975 concernant le rapprochement des législations des membres relatives au principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et féminins ;

- directive du 9 février 1976 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, et les conditions de travail ;

- directive du 19 décembre 1978 relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale.

Le droit européen dérivé a ensuite étendu l'égalité de traitement entre hommes et femmes, d'une part, aux régimes professionnels de sécurité sociale et, d'autre part, aux activités indépendantes (directives du 24 juillet et du 11 décembre 1986).

L'affirmation des droits sociaux des femmes se borne donc approximativement jusqu'à la fin des années 1970, à l'affirmation du principe de l'égalité de rémunération, à une époque où, si l'égalité en matière de droits civils et politiques paraissait garantie par les lois fondamentales de la plupart des États, des inégalités de traitement entre hommes et femmes dans le domaine professionnel pouvaient être constatées dans de nombreuses régions du monde, sans que les pays en développement disposent, sur ce point, d'un quelconque monopole.

II. Vers l'idée de discrimination positive au profit des femmes

À partir de l'adoption de la Convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, la réflexion internationale s'oriente vers le thème de l'amélioration de la représentation politique des femmes, mettant en évidence les thèmes de la discrimination positive et de la démocratie paritaire.

a. Une étape décisive : l'adoption de la Convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes

La conclusion, le 18 décembre 1979, pendant la Décennie des Nations Unies pour la femme (1975-1985) de la Convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes a constitué un tournant très net dans l'évolution des normes internationales concernant l'égalité entre hommes et femmes, en proposant pour la première fois une définition spécifique de la discrimination sexuelle : "toute distinction, exclusion ou limitation basée sur le sexe qui ait pour effet ou pour but de compromettre ou détruire la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice des droits de l'homme et des libertés fondamentales attribuées aux femmes dans le champ politique, économique, social, culturel et civil ou dans n'importe quel secteur -indépendamment de leur condition de mariage et sur la base de l'égalité entre hommes et femmes" (article 1er).

La discrimination à rencontre des femmes n'est donc plus considérée par analogie avec les autres formes de discrimination, fondées sur la race, la religion ou les opinions politiques.

L'étendue et la diversité des obligations souscrites par les Parties c onfèrent à la Convention de New-York du 18 décembre 1979 le plus haut niveau d'exigence en matière d'égalité entre les sexes jamais atteint par une norme internationale. Ces obligations portent, en effet, sur :

- l'égalité devant la loi (notamment à l'égard du mariage, du divorce, et de l'éducation des enfants ;

- l'égalité en matière d'éducation (accès aux mêmes études, aux mêmes examens, aux mêmes conditions d'orientation professionnelle, accès égal aux bourses) : cet objectif passe par l'adaptation des livres, des programmes scolaires des méthodes pédagogiques, afin d'éliminer "toute conception stéréotypée des rôles de l'homme et de la femme" (article 10) ;

- l'égalité dans le domaine de l'emploi (application des mêmes critères de sélection, égalité de rémunération, droit à la sécurité sociale et à la protection de la santé) ;

- l'élimination des discriminations à l'égard des femmes dans la vie politique et publique, et l'affirmation d'un droit égal à "prendre part à l'élaboration et à l'exécution (des politiques nationales), occuper des emplois publics et exercer toutes les fonctions publiques à tous les échelons du gouvernement" (article 7) ;

- la participation des femmes aux travaux des organisations internationales .


• Premier acte international à prendre en compte non seulement la protection des droits individuels, mais aussi les moyens d'assurer l'égalité de fait, la Convention "antisexiste" de New York envisage trois types de stratégies Pour parvenir à l'élimination des discriminations constatées à l'égard des femmes.

- La première stratégie vise à agir sur les "modèles de comportement socioculturel de l'homme et de la femme", afin de proscrire tout stéréotype dans la répartition des rôles entre hommes et femmes.

Dans cette perspective est soulignée l'incidence majeure de l'éducation familiale, qui doit "faire reconnaître la responsabilité commune de l'homme et de la femme dans le soin d'élever les enfants" (article 5). A cet égard, le rôle des États Parties à la convention est d'encourager le développement de services sociaux (garderies d'enfants notamment), destinés à "permettre aux parents de combiner les obligations familiales avec les responsabilités professionnelles et 1* participation à la vie publique" (article 11-2).

- La deuxième stratégie encouragée par la Convention du 18 décembre 1979 concerne l'adoption de mesures de discrimination positive, sans qu'il s'agisse toutefois d'une obligation pour les États.

L'article 4 de la Convention souligne le caractère nécessairement temporaire de telles dispositions, dont l'objet est d'accélérer l'instauration d'une égalité de fait entre hommes et femmes". Ces mesures doivent, en effet, être abrogées "dès que les objectifs en matière d'égalité des chances et de traitement ont été atteints".

La Convention de New York a donc conféré une légitimité internationale aux actions positive, et constitue encore aujourd'hui la seule base juridique internationale des systèmes de quotas mis en place dans certains pays d'Europe en vue de promouvoir la place des femmes dans la vie politique.

- Enfin, la convention "antisexiste" de New York invite les États à inscrire le principe d'égalité entre hommes et femmes dans leur Constitution, ou dans "toute autre disposition législative appropriée", et à modifier "toute loi disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination entre les femmes" (article 2).

Contrairement aux actes internationaux issus de la précédente période, et qui visaient à promouvoir une égalité formelle entre hommes et femmes, la convention "antisexiste" des Nations Unies tend donc à instaurer, par des mesures de discrimination positive, un droit inégal entre les sexes, afin de surmonter les handicaps découlant, dans les faits, de la différence de condition entre hommes et femmes.

b. La prise de conscience croissante de la nécessité d'améliorer la participation des femmes à la représentation politique

Le plan d'action adopté par la première Conférence mondiale de l'ONU sur les femmes, en 1975, mentionnait qu'une « égale participation des femmes à tous les niveaux de la décision » permettrait à la fois d'accélérer le développement et de favoriser la paix.

Le thème de la participation des femmes à la vie publique n'a cependant considéré indépendamment de la problématique du développement qu'à la fin des années 1980, tandis que l'idée de démocratie paritaire faisait son chemin dans les travaux de nombreux organismes internationaux.


• C'est lors de la Conférence mondiale sur les femmes, organisée à Nairobi en 1985 dans le cadre de l'ONU, que sont apparues les notions de "mainstreaming" et d'"empowerment".

La première vise à intégrer la dimension "femmes" dans l'ensemble des politiques générales, et à élaborer celles-ci en prenant en compte leur incidence sur la condition des femmes. La stratégie de l'"empowerment" conduit à renforcer le rôle des femmes à tous les niveaux de décision, nationaux et internationaux, et dans tous les secteurs publics, qu'ils relèvent de la sphère politique ou de l'économie.


• La Conférence mondiale sur les femmes de Pékin, en septembre 1995, a conduit à l'adoption d'une Déclaration liminaire et d'un Programme d'action.

Bien que non contraignants pour les États signataires, ces deux instruments confirment l'évolution de l'opinion internationale en faveur d'une participation étendue des femmes à la prise de décision, en s'inspirant de la Convention du 18 décembre 1979 et en réaffirmant les notions d' « empowerment » et de « mainstreaming ». Les réserves émises par les délégations proches du Saint Siège et par les pays islamiques ont montré, à cet égard, la contradiction susceptible d'exister, dans certains cas, entre le respect des particularismes religieux et le souci de promouvoir l'égalité des sexes dans tous les domaines.


• Les thèmes des conférences interministérielles sur l'égalité homme-femme convoquées par le Conseil de l'Europe en 1986, 1989 et 1995 témoignent de l'évolution de la réflexion mise en oeuvre au sein du Conseil de l'Europe vers les thèmes de la discrimination positive et de la parité :

- faire augmenter la présence des femmes à tous les niveaux décisionnels » dans les assemblées électives et dans la gestion du pouvoir politique (Strasbourg, 1986) ;

- promouvoir des programmes d'actions positives et des structures nationales pour réaliser l'égalité effective et intégrer les politiques pour les femmes dans tous les secteurs (Vienne, 1989) ;

- inscrire dans les Constitutions, à côté de l'égalité des droits, le principe de "parité" (Strasbourg, 1995).


• Les programmes communautaires pour l'égalité des chances entre hommes et femmes, votés pour cinq ans par le Conseil des Ministres de la CEE, puis de l'Union européenne, sont destinés à sensibiliser les pouvoirs publics et les acteurs sociaux à l'exigence d'égalité, et à susciter des actions en faveur de l'égalité des chances dans les pays membres.

Les deux premiers programmes visaient prioritairement l'égalité dans 1e monde du travail et la compatibilité entre vie professionnelle et vie familiale. Le troisième (1990-1995) a introduit le thème de l'égalité dans la prise de décision. Le quatrième (1996-2000) a défini six objectifs très différents :

- promouvoir l'égalité des chances dans une économie en mutation,

- favoriser une participation équilibrée des femmes et des hommes dans la prise de décision,

- renforcer les conditions d'exercice des droits à l'égalité,

- mobiliser autour de l'égalité des chances les acteurs de la vie économique et sociale,

- stimuler une politique de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle par les femmes et les hommes,

- soutenir la mise en oeuvre, le suivi et l'évaluation des actions menées pour atteindre les objectifs précédemment mentionnés.


• Parallèlement à l'élaboration de ces programmes communautaires, l'idée de "démocratie paritaire" a été conceptualisée par les travaux du groupe de femmes-experts mis en place par la Commission européenne dans le cadre du Troisième programme communautaire, consacré à l'égalité dans la prise de décision.

Deux forums européens, réunis à l'initiative de la Commission, le sommet "Femmes au pouvoir" (Athènes, novembre 1992) et le sommet "Les femmes pour le renouveau de la politique et de la société" (Rome, mai 1996) -ce dernier ayant réuni les femmes ministres des pays membres de l'Union européenne- ont conduit à l'adoption de deux documents mettant en évidence le déficit démocratique dû à l'nsuffisante participation des femmes à la prise de décision politique.

Ces documents concluent à la nécessité de mettre en oeuvre une démocratie paritaire, seule susceptible, d'après les auteurs, d'assurer l'égalité entre les sexes dans le domaine politique.

La Déclaration d'Athènes invite donc "tous les dirigeants politiques européens et nationaux à accepter toutes les conséquences du principe de démocratie sur lequel leurs partis sont fondés, en garantissant une participation au pouvoir équilibrée entre hommes et femmes (...) par une politique de sensibilisation et des mécanismes adéquats''.

La Charte de Rome souligne l'influence positive exercée, dans les pays où a été constatée une progression de la mixité des lieux de pouvoir, par des mesures d'incitation à l'égard des partis politiques ou par l'élaboration de normes léslatives ou réglementaires spécifiques.

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