PREMIÈRE PARTIE : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Liste des personnalités entendues par la mission d'information
Mme Hélène Gisserot , procureur général près la Cour des comptes, coordinatrice française à la IV e Conférence mondiale sur les femmes (Pékin - 1995)
Mme Michèle Perrot, historienne
Mme Françoise Gaspard, sociologue
M. François de Singly, sociologue
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, rapporteur général de l'Observatoire de la parité
Mme Gisèle Halimi, présidente de la commission « vie politique » de l'Observatoire de la parité
Mme Sylvie Ulrich, présidente de l'Union féminine civique et sociale
Mme Régine Saint-Criq, présidente de l'association Parité
Mme Marie-Claude Vayssade, présidente de la commission femmes du Mouvement européen
Mme Paulette Laubie, présidente du conseil national des femmes françaises
Mme Christine Mame, présidente de Femmes pour la France
Mme Martine Edé, vice-présidente de Femme Avenir
Mme Ernestine Ronai, secrétaire nationale de l'UFF-Femmes solidaires
Mme Roselyne Suret, présidente de « Femmes Libertés »
Mme Joncour-Chapuis, présidente de l'Association française des femmes
Mme Catherine Dumas, responsable de la commission parité de l'Association française des femmes
Mme Michèle Beuzelin, membre de la commission « Affaires sociales » de l'Association des présidents de conseils généraux
M. Jean-Jacques Weber, vice-président de l'Association des présidents de conseils généraux
Mme Anne-Marie Coudcrc, ministre délégué pour l'emploi, chargé par délégation du ministre du travail et des affaires sociales des questions relatives aux droits des femmes
Mme Christine Chauvet, présidente de l'association des femmes chefs d'entreprise
Mme Andrée Heymonet, représentante de l'Association des présidents de conseils régionaux
Mme Virginie Barré, présidente de l'Association des femmes journalistes
Mme Brigitte Dionnet, membre du comité national du Parti communiste français
Mme Michèle Guzman, responsable aux femmes pour le Parti communiste français
M. Jean-François Mancel, secrétaire général du Rassemblement pour la République
M. Lionel Jospin, premier secrétaire du parti socialiste
Mme Marcelle Devaud, ancienne vice-présidente du Sénat
Mme Micheline Galabert, présidente de l'Association des femmes de l'Europe méridional
Mme Christiane Jourdan, présidente de l'Action catholique générale féminine Mme Nicole Bécarud, présidente de l'Association française des femmes diplômées d'université M. François Léotard, président de l'Union pour la démocratie française |
Mercredi 18 décembre 1996 - Présidence de Mme Nelly Olin, président
Mme Hélène Gisserot, procureur général près la Cour des comptes, coordinatrice française à la IVe Conférence mondiale sur les femmes (Pékin- 1995)
Après s'être déclarée ravie que le Sénat s'intéresse à ce sujet, Mme Hélène Gisserot a souligné l'ambiguïté que recèle l'expression « vie publique », cette dernière pouvant être entendue dans trois acceptions :
- la plus large, englobant toute incursion féminine
hors de la sphère de la
vie privée,
- une plus restreinte - qu'elle a retenue- visant les activités exercées par les femmes au profit de la collectivité et la participation de celles-ci aux lieux de décision.
- la dernière, la plus étroite, assimilant vie publique et vie politique.
Mme Hélène Gisserot a souligné qu'un constat sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique se heurtait à une difficulté tenant à la faiblesse des études statistiques en ce domaine, d'importantes zones d'ombre résultant de l'imprécision des données relatives à la place des femmes dans les syndicats, les associations et l'encadrement des entreprises françaises.
Elle a toutefois pu observer une contradiction entre la participation croissante des femmes à la vie publique en France et leur raréfaction au fur et à mesure de leur élévation dans la hiérarchie des responsabilités.
Elle a précisé que cette augmentation de la participation des femmes résultait d'un double phénomène : le développement de l'activité féminine, d'une part et la qualification croissante de cette activité, d'autre part.
Elle a estimé irréversible le premier de ces phénomènes, illustré par quelques statistiques : taux d'activité des femmes atteignant 73 à 76 % dans les tranches d'âge allant de 25 à 44 ans. Part des femmes dans la population active de 44 %, proportion parmi les salariés passée de 41,4 % en 1982 à 45,7 % en 1996, entrée chaque année de 100.000 à 150.000 femmes supplémentaires dans la vie active
Mme Hélène Gisserot a imputé la qualification croissante de l'activité féminine à la progression de la formation des filles -et ce, dès la formation initiale- avec des taux de scolarisation et de réussite au baccalauréat supérieurs à ceux des garçons et une présence dans l'enseignement supérieure à 50 %, encore favorisée par l'ouverture des grandes écoles à la mixité.
Évoquant ensuite l'augmentation significative du nombre de femmes dans la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures - dont elles représentent 31 % de l'effectif aujourd'hui contre 23 % en 1982 - Mme Hélène Gisserot a cependant souligné que la proportion de femmes diminuait au fur et à mesure que l'on s'élevait dans les sphères du pouvoir, les femmes représentant à peine 14 % des chefs d'entreprises de plus de dix salariés tandis que seuls des hommes étaient à la tête des 200 premières entreprises françaises.
Elle a, de surcroît, constaté que les femmes prenaient rarement part aux orientations stratégiques des entreprises, car elles occupaient pratiquement toujours les mêmes postes dans les équipes dirigeantes (communication, ressources humaines ou marketing).
Tout en admettant que la fonction publique offrait aux femmes des conditions plus avantageuses (conditions de travail, absence de discrimination, recrutement par concours), Mme Hélène Gisserot a indiqué que la situation y était cependant moins favorable qu'on pouvait l'imaginer, les femmes représentant 40 % de l'encadrement dans la fonction publique mais seulement 27 % si l'on en excluait le corps enseignant.
À cet égard, Mme Hélène Gisserot a rappelé que les femmes n'avaient pas encore investi les grands corps de l'État (à peine 5 % à l'inspection des finances et 10 à 15% à la Cour des comptes et au Conseil d'État, sans compter leur nombre extrêmement limité dans les postes pourvus à la discrétion du Gouvernement, qu'il s'agisse du corps préfectoral ou des directions d'administration centrale).
Elle a également relevé le faible nombre des femmes au sein des grandes commissions ou conseils consultatifs (les commissions du plan ou le conseil national de l'aménagement du territoire, par exemple), ainsi que dans les jurys de concours.
S'agissant de la vie associative et syndicale, Mme Hélène Gisserot a souligné que les femmes s'y investissaient volontiers, mais toujours dans les mêmes domaines (familial, culturel, etc.), alors qu'elles demeuraient minoritaires dans les secteurs plus en prise sur les décisions politiques.
En outre, elle a relevé que, militantes associatives actives, les femmes étaient beaucoup moins nombreuses aux postes de responsabilité (dans les associations de parents d'élèves -ce qu'elle a jugé paradoxal-, dans les syndicats etc...).
Après avoir constaté que la discrimination envers les femmes s'exerçait le plus fortement dans la vie politique, en particulier en France. Mme Hélène Gisserot a rappelé que, représentant 53 % du corps électoral, les femmes exerçaient pourtant leur rôle de citoyenne à part entière, participant activement au vote et sachant parfaitement manier le vote-sanction. Elle a insisté sur leur sous-représentation au sein des instances politiques, l'Assemblée nationale comptant seulement 6 % de femmes, le Sénat 5 %, les conseils municipaux 17 % en 1993 et 22 à 23 % aujourd'hui, les conseils régionaux 12 % et les conseils généraux 6 à 7 %.
Mme Hélène Gisserot a avancé cinq facteurs pour tenter d'expliquer cette situation.
Elle a estimé que le premier d'entre eux résidait dans l'absence d'un vivier suffisant, la formation poussée des femmes étant relativement récente dans de nombreux domaines. Elle a jugé que la deuxième explication, susceptible d'évoluer, tenait au fait que l'investissement des femmes dans la vie publique ne s'était pas traduit par une évolution de la distribution des rôles entre hommes et femmes au sein de la famille, avec comme conséquence que les femmes valorisaient moins bien leurs diplômes que les hommes et souffraient de disparités de carrières à partir de 35 ans.
Mme Hélène Gisserot a également dénoncé la carence de réseaux de solidarité féminine en France et la difficulté des femmes à affirmer leur identité lorsqu'elles accédaient à des postes de responsabilité, sans doute en raison du fait qu'en l'absence de « masse critique » suffisante, elles se voyaient contraintes d'adhérer au modèle masculin d'exercice du pouvoir.
Mme Hélène Gisserot a enfin souligné que certains paramètres de la vie politique elle-même contribuaient à la sous-représentation des femmes, notamment le mode de désignation des candidats, la prime aux sortants et les effets des modes de scrutin.
Après s'être félicitée de la prise de conscience croissante de ces difficultés - dont l'importance avait été soulignée par la France à l'occasion de la IV e Conférence mondiale sur les femmes - Mme Hélène Gisserot a estimé que celles-ci ne pourraient être réglées par des mesures catégorielles et spécifiques aux femmes, mais plutôt par la transformation des modes d'organisation sociale (organisation du travail, aménagement du temps de travail, etc.). Elle y a vu non seulement une exigence de démocratie, mais surtout un enjeu pour l'ensemble de la vie sociale.
Au vu de certains sondages, elle a fait observer que ces revendications des femmes étaient également exprimées par les hommes, bien qu'avec davantage de prudence.
Mme Hélène Gisserot a jugé très positive la constitution par le Senat d'une mission d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique, en raison de la double nécessité d'établir un bon diagnostic en la matière et de dégager des solutions acceptables et profitables à tous. Elle y a vu une démarche rejoignant largement les idées exprimées par la France à l'occasion de Conférence de Pékin et partiellement reprises dans la position européenne, qui reposaient sur trois constats :
- la participation des femmes à la prise de décision est un problème de société et un enjeu majeur pour l'avenir de l'humanité ;
- les femmes devraient participer à la vie publique en tant qu'acteurs, et non pas seulement en tant que bénéficiaires passives de mesures catégorielles ;
- en conséquence, le partenariat hommes-femmes devrait se substituer à l'affrontement, ce qui impliquerait un renforcement du pouvoir des femmes, mais aussi de la capacité de ces dernières à exercer ce pouvoir.
Mme Hélène Gisserot a précisé que le rapport de la Conférence de Pékin comportait un chapitre spécifique sur l'accès des femmes à la prise de décision, qui faisait référence à la Déclaration universelle des droits de l'homme soulignait que la répartition équitable du pouvoir relevait des gouvernements, ceci conduisant à proposer notamment :
- de procéder à des analyses statistiques précises,
- d'envisager des mesures de discrimination positive,
- d'assurer une meilleure complémentarité entre vie familiale et vie professionnelle,
- d'atteindre une « masse critique » de femmes dirigeantes.
Mme Hélène Gisserot s'est félicitée que différentes mesures aient été adoptées en ce sens en Europe depuis 1992 (avec la création d'un réseau de femmes ou l'élaboration de la charte de Rome qui a affirmé en mai 1996 l'urgence d'un équilibre hommes-femmes dans la prise de décision politique).
Elle a cependant conclu que l'affirmation d'une volonté politique en ce domaine ne serait crédible que dans la mesure où elle s'accompagnerait d'une stratégie destinée à supprimer les blocages existants. Aussi, tout en se réjouissant de la création de l'observatoire des parités, qu'elle a qualifiée de mesure excellente et originale, Mme Hélène Gisserot a regretté que la France n'ait pas communiqué de programme précis, ni fait part de ses intentions sur ce sujet, comme l'y invitait la plate-forme de Pékin pour la fin 1996.
Après avoir remercié Mme Hélène Gisserot pour la grande qualité de son exposé, Mme Nelly Olin, président, a estimé que ses conclusions ouvraient des pistes de réflexion intéressantes.
En réponse à une question de M. Philippe Richert, rapporteur, sur la notion de « mesures de discrimination positive », Mme Hélène Gisserot a indiqué que celle-ci visait principalement le problème des quotas, seule vraie question réelle pour ce qui concernait la participation des femmes à la vie politique, et accessoirement d'autres mesures telles que le fait de proportionner le financement des partis politiques au nombre de femmes élues. Elle a déclaré qu'à titre personnel sans être philosophiquement favorable au principe des quotas, elle s'y ralliait au nom du pragmatisme et de l'efficacité, les quotas bénéficiant de vertus opérationnelles démontrées dans les pays Scandinaves, ou dans certains secteurs en France (carrière militaire et police).
Elle a, en outre, justifié cette position par les effets incitatifs des quotas, à même de débloquer une situation pratiquement figée depuis cinquante ans, y compris depuis 1982, année du rejet des quotas par le Conseil constitutionnel.
Mme Anne Heinis s'est déclarée défavorable aux quotas, relevant que s'ils avaient eu une influence positive en Suède, les Suédoises souhaitaient aujourd'hui les supprimer. Elle en a déduit qu'ils pouvaient être une « rampe de lancement », mais que leur application ne pouvait être continue.
Insistant sur la difficulté d'apprécier les évolutions, en particulier les plus récentes, Mme Anne Heinis a rappelé que les femmes disposaient du droit de vote seulement depuis 1945 et de leurs pleins pouvoirs juridiques seulement depuis 1970, qu'il leur fallait donc le temps de s'approprier et d'utiliser ces nouveaux droits, l'évolution étant nécessairement lente dans la mesure où « l'on partait de zéro ».
Elle s'est déclarée frappée par la croissance du nombre de femmes élues depuis une décennie, en particulier dans les municipalités, le nombre de femmes maires augmentant très rapidement et de façon continue. Citant l'exemple de son propre département de la Manche, elle a indiqué qu'il comptait 1.700 femmes élues, contre probablement moins de 300 vingt ans auparavant.
Elle a estimé que ces évolutions récentes modifieraient les jugements portés sur les vingt dernières années. Elle a considéré que si la génération des femmes de vingt à trente ans ne ressentait pas de différences entre les sexes en cette matière, les intéressées comptaient néanmoins mener leur vie comme elles l'entendaient, y compris sur le plan familial. Dans ces conditions, elle a estimé préférable d'axer l'analyse sur les réactions actuelles des jeunes, plutôt que de s'attarder sur le passé.
Elle s'est déclarée très optimiste, la période étant « résolument ascendante ».
Mme Hélène Gisserot lui a fait observer que cet optimisme, justifié dans le domaine professionnel, n'était guère fondé dans le domaine politique.
Mme Anne Heinis a souligné que le siècle dernier démontrait que les femmes avaient su investir tous les secteurs, dès qu'elles en avaient eu la possibilité.
Elle a estimé que, dans le domaine politique, la courbe aujourd'hui ascendante deviendrait rapidement exponentielle et changerait alors de nature.
M. Claude Estier n'a pas partagé cette analyse, estimant que si la présence des femmes dans les assemblées locales connaissait effectivement une croissance exponentielle, des blocages persistant pour l'accès des femmes dans les assemblées parlementaires, au point qu'il était aujourd'hui plus faible qu'au lendemain de la Libération. Il a appuyé l'opinion de Mme Hélène Gisserot sur les quotas, jugeant que si l'on ne pouvait être philosophiquement favorable à cette idée et si l'on ne pouvait l'inscrire dans la Constitution, la volonté des partis politiques en la matière devait en revanche nécessairement s'appuyer sur des quotas. Il a avancé l'exemple du parti socialiste qui, parce qu'il s'était fixé un tel quota, avait décidé de présenter 30 % de candidates aux prochaines élections législatives.
Avec Mme Hélène Gisserot, il est convenu que la règle des quotas ne saurait être universelle et encore moins constitutionnelle, mais qu'elle représentait la seule solution actuelle pour favoriser l'entrée de plus de femmes dans les assemblées parlementaires.
Mme Monique Ben Guiga, souhaitant s'en tenir à deux points abordés par Mme Hélène Gisserot, a noté que les difficultés liées aux modes d'organisation sociale gênaient aussi bien les hommes que les femmes et incitaient à réfléchir sur la durée et l'organisation du travail, sur la répartition des charges de la vie familiale entre les sexes et les responsabilités de la société en ce domaine (concernant notamment les enfants et les personnes âgées), sur l'éloignement entre habitat et lieu de travail et l'urbanisation, causes de pertes de temps peu compatibles avec un engagement politique et associatif.
Elle a ensuite déploré l'absence d'une « masse critique » de femmes, cause du malaise ressenti par ces dernières dans un monde d'hommes aux types de comportements et d'organisation du travail différents ou inadaptés à la vie familiale.
Elle a par ailleurs regretté que les véritables décisions se prennent bien souvent, non pas dans les réunions formelles auxquelles les femmes sont toujours assidues, mais au sein de réseaux généralement fermés aux femmes.
M. Philippe Richert, rapporteur, a exprimé des réserves sur la logique des quotas, avec le risque des dérives communautaristes constatées dans les pays nord-américains. Il s'est interrogé sur le sens et l'intérêt d'un système conçu pour assurer à chaque catégorie de citoyens, voire à chaque minorité, une représentation propre reflétant exactement son poids démographique.
Mme Danièle Pourtaud a objecté que, selon elle, les propositions de Mme Hélène Gisserot ou de M. Claude Estier n'avaient rien à voir avec la pratique américaine des quotas. Se référant aux réflexions menées en ce domaine au sein du parti socialiste, elle a estimé que la logique des quotas devait jouer à l'intérieur des partis, mais en aucune manière être inscrite dans la Constitution. Elle a jugé que, dans ces conditions, la crainte que les parlementaires deviennent les représentants de minorités n'était pas fondée. Elle en a vu pour preuve que parlementaire socialiste femme, elle défendait des idées politiques, et non spécifiquement les femmes.
Elle a ensuite estimé que les blocages tenaient certes aux modes d'organisation de la vie sociale et professionnelle, mais également aux propres modes de représentation des femmes par elles-mêmes, car elles éprouvaient certaines difficultés à s'imaginer à des postes de responsabilité politique. À ce propos, elle a appelé de ses voeux une réflexion sur la féminisation des titres utilisés pour désigner ces postes.
En réponse, Mme Hélène Gisserot a qualifié de « gadget » la féminisation des titres. Elle a jugé préférable de faire confiance à l'évolution naturelle de la langue et a rappelé que l'Académie française, consultée par Mme Yvette Roudy, avait considéré qu'il existait un « genre non marqué ». Elle a craint que la création de mots nouveaux se révèle en pratique plus préjudiciable que profitable aux femmes.
Après avoir confirmé que la logique des quotas était totalement étrangère à celle sous-tendant le souhait de représentation arithmétique des minorités, Mme Hélène Gisserot a estimé qu'on ne pouvait cependant réfléchir aux problèmes de la société avec seulement 50 % de la population.
Dans ces conditions, et en invoquant non l'identité des sexes mais leur égalité, elle a souligné l'importance de la notion de partenariat. Elle s'est félicitée que la France ait obtenu l'inscription de cette notion à l'occasion de la conférence de Pékin, alors que les pays Scandinaves y étaient défavorables, et a souhaité que la société puisse s'enrichir des différences entre sexes, plutôt que de risquer un affrontement en ce domaine.
Elle a jugé que le système des quotas pouvait au moins servir de déclencheur pour un temps limité, puisque les mécanismes naturels ne suffisaient pas.
Évoquant ensuite les aspirations exprimées tant par les hommes que par les femmes, Mme Hélène Gisserot a fait référence à un sondage effectué auprès de jeunes adultes, montrant que ces aspirations portaient sur des problèmes de société, les femmes y étant simplement plus sensibles.
Mme Hélène Gisserot a considéré que l'insuffisance d'une « masse critique » de femmes contraignait celles-ci à se calquer sur le modèle masculin, ce qui nuisait aux vocations féminines. Elle a conclu que seule une participation croissante des femmes aux instances de décision permettrait de faire évoluer ce modèle.
Mardi 14 janvier 1997 - Présidence de Mme Nelly Ollin. Président
Mme Michèle Perrot, historienne
Mme Michèle Perrot a rappelé les difficultés qui ont toujours, selon elle, entravé l'accès des femmes à la vie publique, qu'il s'agisse des démocraties contemporaines ou de la cité grecque. Le cantonnement des femmes à la sphère privée et domestique - la vie publique et le pouvoir politique étant traditionnellement réservés aux hommes - serait ainsi, a-t-elle relevé, un principe majeur d'organisation de la société française, que la Révolution de 1789 s'est d'ailleurs abstenue de remettre en cause. En effet, a poursuivi Mme Michèle Perrot , la famille et le foyer étaient considérés en France, au XIX e siècle, comme l'"élément naturel des femmes", pour des raisons tenant non seulement aux différences biologiques entre hommes et femmes, mais aussi à l'idée d'une utilité sociale spécifique des femmes dans une complémentarité harmonieuse des deux sexes, cet argument beaucoup plus positif expliquant un certain consentement des femmes elles-mêmes au rôle qui leur était dévolu. Cet héritage historique affecte notre représentation du rôle des femmes dans notre société, tout en constituant une référence permettant de mesurer les progrès accomplis depuis une cinquantaine d'années.
A cet égard. Mme Michèle Perrot a souligné l'incidence de la généralisation du travail salarié des femmes, dont le taux d'activité (73 % pour la tranche d'âge 25-49 ans) confirme l'existence d'un modèle de "carrières féminines de longue durée." Mme Michèle Perrot a par ailleurs, commenté l'élévation du niveau de formation des femmes. Relevant un fort taux de présence des femmes dans la fonction publique (77 % dans le secteur public de la santé et du travail social, 50 % dans l'enseignement secondaire. 65 % dans l'enseignement primaire). Mme Michèle Perrot a néanmoins constaté la faible féminisation de la haute fonction publique : 38 % des fonctionnaires de catégorie A sont des femmes (15 % si l'on exclut les enseignants). 81,8 % des fonctionnaires de catégorie C. et 63 % des fonctionnaires de catégorie B .
Mme Michèle Perrot a rappelé que si certains ministères (éducation nationale, culture, affaires sociales, justice aujourd'hui) étaient largement ouverts aux femmes, pour d'autres (intérieur, finances, quai d'Orsay), aucun progrès substantiel n'avait été enregistré depuis dix ans en ce qui concerne la féminisation de la haute fonction publique. Elle a. à ce propos, évoqué les variations de la proportion de femmes admises à l'ENA (5% en 1970, 31,6% en 1990, 24 % environ actuellement).
Mme Michèle Perrot a ensuite souligné le rôle formateur de l'engagement des femmes dans la vie associative - charitable ou philantropique, dès le XIX e siècle, en tant que moyen d'entrer dans l'espace public et d'acquérir l'"expérience d'une action sociale sans citoyenneté politique". En dépit de cet engagement ancien, la vie associative demeure aujourd'hui dominée par les hommes, qui représentent deux tiers des adhérents des associations. En ce qui concerne les syndicats, dont les femmes ne constitueraient qu'un quart des adhérents, l'apparition de dirigeantes syndicales de haut niveau (FNSEA, CFDT) pourrait, selon Mme Michèle Perrot, être l'amorce d'une évolution plus favorable aux femmes.
Abordant enfin la place des femmes dans la vie politique, Mme Michèle Perrot a constaté la faiblesse du taux de féminisation des assemblées élues en France. A cet égard, des comparaisons internationales, au net désavantage de la France, paraissent confirmer qu'une spécificité française consisterait en "l'exclusion pratique des femmes de l'exercice du pouvoir politique". Le poids de l'histoire explique en grande partie que celui-ci soit réservé aux hommes en France, qu'il s'agisse de la loi salique - héritage franc reformulé et intégré par la Révolution française -, du modèle féodal - qui excluait les femmes de la détention des fiefs -, ou du "modèle de cour" qui a instauré entre les sexes un type de relations qui assigne aux femmes une place très éloignée des joutes politiques Mme Michèle Perrot a également rappelé que le passage de l'ancien régime à modernité républicaine ne s'était opéré qu'au profit de l'homme, et que le suffrage "universel" établi en 1848 avait ignoré les femmes.
Il n'est donc pas exclu, a conclu Mme Michèle Perrot, que la culture française, assimilant la politique à un métier d'homme, ait conduit les femmes à privilégier vie professionnelle, famille et métier ne leur laissant peut-être pas, de surcroît, le temps nécessaire pour construire une carrière politique.
À l'issue de cet exposé, M. Philippe Richert, rapporteur, est, avec Mme Michèle Perrot, revenu sur les causes éventuelles de la diminution récente du nombre de femmes énarques.
Mme Josette Durrieu a rappelé que les femmes avaient, à certaines époques de notre histoire, et notamment pendant le Moyen-Age, joué un rôle très substantiel. L'héritage historique ne saurait donc, à lui seul, expliquer pourquoi les Françaises se tiennent en retrait de la vie politique. Mme Josette Durrieu a, à cet égard, évoqué l'importance des modes de scrutin dans l'accès des femmes au pouvoir, le scrutin proportionnel étant le plus favorable aux femmes. Mme Josette Durrieu a également souligné que les quotas, nécessaires, n'étaient pas suffisants et a préconisé un plus grand engagement personnel des femmes dans la vie politique
Puis Mme Joëlle Dusseau a. avec Mme Josette Durrieu, fait observer que la conquête des libertés démocratiques aurait été plus favorable aux femmes en France si elle avait eu lieu plus tard, comme le suggère l'exemple de pays qui ont mis en place d'emblée un suffrage universel mixte.
Mme Hélène Luc a alors évoqué l'augmentation du nombre d'adhérentes d'associations sportives, évolution qui s'explique, selon elle, par des préoccupations d'ordre éducatif. Elle a également rappelé le lien entre la forte proportion de femmes sénateurs au groupe communiste, républicain et citoyen et le scrutin proportionnel.
Revenant sur la spécificité française, fondée sur un taux d'activité des femmes particulièrement élevé, Mme Michelle Demessine s'est interrogée sur les obstacles à lever afin de favoriser l'accès des femmes aux responsabilités politiques, tout en soulignant que le rôle essentiel des femmes dans la sphère familiale montre que celles-ci sont accoutumées aux responsabilités.
Mme Joëlle Dusseau a alors relativisé la signification de certains exemples étrangers considérés comme des modèles d'égalité entre les sexes, mentionnant que le congé parental partagé, instauré en Suède, n'était que très marginalement choisi par les jeunes pères.
Mme Michèle Perrot a alors présenté les diverses évolutions susceptibles, selon elle, de favoriser l'accès des femmes aux lieux de pouvoir :
- faire une plus grande place aux femmes dans la direction des partis politiques, qui fonctionnent actuellement comme des "clubs masculins" ;
- introduire une part de proportionnelle dans le mode de scrutin, le scrutin uninominal évoquant le "système de fief", particulièrement défavorable aux femmes ;
- mettre en oeuvre la parité, "idée neuve forte, généreuse", et bien acceptée par l'opinion publique, de préférence au système des quotas ;
- privilégier le partage des tâches au foyer, car les carrières politiques féminines se font avec des "hommes féministes", et progresser encore dans le domaine de la garde des enfants :
- être vigilant à l'égard des politiques familiales qui "tendent insidieusement à ramener les femmes au foyer", alors que la forte présence des femmes dans la vie professionnelle est de nature à faire progresser les mentalités et les représentations de la femme dans notre culture.
Mme Françoise Gaspard, sociologue
Mme Françoise Gaspard a commenté, dans leurs grandes lignes, les constats établis à l'occasion d'une étude statistique - demandée à son laboratoire par le service des Droits des femmes - sur la place des femmes et des hommes dans la vie publique. Cette étude, a-t-elle précisé, a été inspirée par une résolution du Conseil de l'Union européenne de mars 1995 sur la participation des femmes et des hommes à la vie politique dans les pays de l'Union, qui s'est traduite par une recommandation demandant à la Commission de présenter, avant la fin de 1999, un rapport sur la situation des femmes et des hommes dans les quinze pays de l'Union. Or la France, a indiqué Mme Françoise Gaspard, est le seul pays de l'Union à n'avoir pratiquement pas de statistiques sur la place des femmes et des hommes dans les « lieux de pouvoir ».
Mme Françoise Gaspard a tout d'abord commenté les difficultés rencontrées, au cours de l'élaboration de son étude, du fait tant de la très nette insuffisance des sources statistiques - celles-ci étant souvent inexistantes ou non harmonisées - que, souvent aussi, de la réticence des institutions sollicitées (associations, partis politiques, syndicats ...). Selon Mme Françoise Gaspard, les seules statistiques françaises fiables concernent la fonction publique, ce qui s'explique par l'article 21, alinéa 3, de la loi du 11 janvier 1984, qui impose au Gouvernement de présenter tous les deux ans au Parlement un rapport sur les mesures destinées à garantir le respect de l'égalité des sexes dans la fonction publique. En revanche, a-t-elle affirmé, on ne dispose pas de statistiques satisfaisantes concernant les femmes dans les assemblées élues. De plus, l'absence de statistiques sur les exécutifs des conseils généraux gène les comparaisons entre les pays de l'Union européenne.
Les données chiffrées rassemblées dans l'étude commentée par Mme Françoise Gaspard montrent que la proportion des femmes dans les lieux de pouvoirs (politiques, administratifs, associatifs, ainsi que dans les divers organismes et comités consultatifs mis en place pour conseiller le Gouvernement) dépasse rarement 10 %, ce qui confirme que la situation des femmes dans la vie publique française ne suit pas les transformations de notre société.
Selon Mme Françoise Gaspard, le scrutin uninominal n'est pas le seul responsable de cette situation. Aux élections régionales de 1992, l'augmentation du nombre de femmes élues semble due au succès des partis écologiques, qui avaient présenté des listes paritaires. Quant à l'accroissement du nombre de Françaises élues députés au Parlement européen en 1994, il paraît résulter de l'existence de plusieurs listes paritaires, et du fait que les hommes politiques français privilégient les élections nationales. Par ailleurs, a poursuivi Mme Françoise Gaspard, l'accès des femmes aux conseils municipaux ne suffit pas à favoriser la mixité des lieux de pouvoir, car ce sont les exécutifs des assemblées territoriales qui constituent la meilleure voie d'accès à une véritable carrière politique. Or il n'y a pratiquement pas de femmes à la tête des grandes villes ou des conseils généraux. L'une des causes de cette situation paraît résider, a-t-elle précisé, dans le cumul des mandats : de nombreux conseillers généraux étant simultanément maires et détenant de ce fait une position forte au sein de leur assemblée, les femmes hésitent à briguer un mandat de conseiller général.
Mme Françoise Gaspard a ensuite présenté l'ouverture aux femmes des partis politiques comme la clé de l'accès des femmes aux lieux de pouvoir, rappelant les précédents allemand, espagnol et italien où des décisions internes aux partis politiques (motivées en Italie par une obligation légale) ont permis d'augmenter le nombre de femmes élues.
Elle a conclu à la nécessité d'établir des statistiques centralisées et harmonisées sur la place des femmes dans la vie publique française et de créer une banque de données actualisable, suivie par le service des Droits des femmes au ministère du travail et des affaires sociales.
Par ailleurs, Mme Françoise Gaspard a souligné la faible application des mesures juridiques destinées à assurer l'égalité des sexes en France, citant notamment l'exemple du comité interministériel chargé du droit des femmes, créé par une circulaire du Premier ministre de mars 1982, et qui n'a tenu à ce jour que trois réunions, alors qu'il est supposé se réunir deux fois par an ...
Enfin, elle a estimé que la convention des Nations Unies du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, à laquelle la France a adhéré (loi n° 83-516 du 1er juillet 1983), pourrait influencer dans un sens positif l'attitude du Conseil constitutionnel à l'égard d'une éventuelle loi sur les quotas ou sur la parité.
À l'issue de cet exposé, Mme Joëlle Dusseau est revenue avec Mme Françoise Gaspard sur l'importance du mandat de maire, clé de l'accès aux conseils généraux. Elle a déploré que, sur les 49 mairies détenues par des femmes en Gironde depuis les élections municipales de 1995, deux seulement comptent plus de 2.000 habitants, aucune n'étant en outre un chef-lieu de canton. Mme Françoise Gaspard a confirmé que les conseils généraux demeurent les lieux de formation d'une culture spécifiquement masculine. Mme Gisèle Printz a alors relevé que l'on compte seulement cinq femmes sur les 51 membres du Conseil général de Moselle, et a évoqué les difficultés auxquelles se heurtent trop souvent les femmes pour s'exprimer au sein d'institutions dominées par les hommes.
M. Guy Allouche s'est alors interrogé sur la nécessité d'adopter des normes (constitutionnelles ou législatives) contraignantes à l'égard des partis, afin d'assurer la désignation d'un nombre de candidates permettant de féminiser la vie politique.
À cet égard, Mme Françoise Gaspard a estimé que les progrès enregistrés en Allemagne et dans les pays nordiques dans l'accès des femmes aux assemblées parlementaires s'expliquaient essentiellement par les contraintes qui ont été exercées sur les partis politiques, et par des rapports de force favorables à une représentation plus équitable des femmes. Elle a considéré que la mise en place de mesures d'action positive n'exigeait pas l'intervention d'une loi, puisque le préambule de la constitution de 1946 affirme que la loi garantit l'égalité des sexes et qu'est désormais ratifiée par la France la convention du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Elle a estimé que, dans ce contexte, demander une révision de la constitution pour permettre l'instauration des quotas ou de la parité serait une sorte de régression et qu'une simple loi ou qu'une loi organique suffirait. Se référant au comportement habituel des partis politiques, qui présentent généralement d'autant plus de candidates qu'ils anticipent de résultats défavorables, elle a insisté sur le fait qu'on ne saurait parvenir à une augmentation substantielle du nombre de femmes élues sans recourir à des actions volontaristes et à des dispositifs juridiques contraignants.
M. François de Singly, sociologue
M. François de Singly a tout d'abord indiqué qu'il s'exprimait en tant que sociologue spécialisé dans les questions de la famille, rappelant que la matrice des inégalités homme-femme renvoyait avant tout aux logiques familiales.
II en a voulu pour exemple la différence de "rendement" des diplômes à âge constant, supérieur pour les femmes célibataires mais qui diminuait lorsqu'elles se mariaient puis lorsqu'elles avaient des enfants.
Il a estimé que l'analyse de la place et du rôle des femmes dans la vie publique pouvait s'effectuer autour de plusieurs types de variables : des facteurs liés aux caractéristiques du système politique (fonctionnement des partis, mode de sélection des candidats, mode de scrutin) et des facteurs liés aux rapports des hommes et des femmes à la vie politique, à la vie professionnelle et à la vie familiale.
Sur ce deuxième aspect de la question, M. François de Singly a d'abord récapitulé les trois thèses qui lui paraissaient dominer le champ de la réflexion actuelle. Il a indiqué que la première de ces thèses, reprise dans le rapport final de la conférence de Pékin, privilégiait la durée en considérant que l'évolution vers une meilleure égalité homme-femme se faisait et se poursuivrait avec le temps.
Il lui a opposé la deuxième thèse selon laquelle des mesures contraignantes étaient inévitables, puisqu'au-delà d'un certain seuil de progrès, aucune évolution ne pouvait être attendue.
Enfin, il a présenté sa thèse, fondée sur l'idée que les mécanismes dominants dans la société actuelle n'incitaient pas les femmes - même modernes -à se sentir concernées par la vie et la carrière politique. Il a d'ailleurs observé la même tendance chez certains hommes qui préféraient s'investir dans d'autres sphères, notamment leur vie professionnelle.
À cet égard, M. François de Singly a estimé très révélateurs les résultats d'un récent sondage effectué auprès d'hommes et de femmes de 25 à 35 ans, montrant que les deux principales raisons invoquées pour expliquer que les femmes occupent moins de postes de responsabilité que les hommes étaient, d'une part, leur moindre disponibilité du fait des charges familiales (88 % des réponses) et, d'autre part, la domination du milieu professionnel par les hommes, qui hésitaient à confier des responsabilités aux femmes (82 % des réponses).
À l'inverse, il a souligné le faible score obtenu par d'autres arguments comme l'absence des qualités requises ou la moindre combativité des femmes. Il a néanmoins précisé que les femmes les plus diplômées optaient pour des choix plus individualistes et étaient moins disposées à lutter collectivement pour leurs droits, contrairement aux femmes issues de couches plus populaires.
S'agissant de la parité, il a estimé qu'il y avait un large consensus sur le terme et que la société y était globalement favorable, notant néanmoins qu'il était de toute évidence difficile de se prononcer contre cette proposition.
Puis, M. François de Singly a insisté sur ce qui était, à son avis, l'un des grands changements de la société au cours des 30 dernières années : la disparition de la dimension sexuée dans la vie privée, l'appartenance en tant que telle au genre masculin ou féminin n'étant plus considérée comme pouvant justifier des différences fondamentales d'éducation ou de comportement. En revanche, il a indiqué que, dans la vie publique, l'identification homme-femme restait importante et était beaucoup plus visible.
Il a également souligné que, parallèlement à ce changement, on assistait à une évolution vers une plus grande autonomie des individus, un développement de la logique personnelle et une primauté nouvelle des normes psychologiques sur les normes morales et religieuses. Il a ajouté que ce mode de développement personnel était mieux intégré par les femmes, mais que ce nouveau "modèle de la révélation de soi prenait du temps" et, qu'en conséquence, les femmes avaient plus de difficultés à se consacrer à d'autres activités, en particulier publiques.
Dans le même ordre d'idée, M. François de Singly a fait valoir que, dans leur vie professionnelle, les hommes privilégiaient une logique de carrière alors que les femmes attachaient souvent plus d'importance au contenu de leur activité, marquant ainsi la différence d'attitude personnelle entre les deux sexes.
Il a ajouté que la place de l'enfant dans la société contemporaine était devenue très importante et qu'il représentait une fin en soi là où, dans le passé, il était une charge. Il a imputé à cette évolution le fait que la présence d'enfants accentuait les différences de comportements entre les hommes et les femmes, tant dans la sphère privée que dans le "rendement" professionnel des hommes et des femmes.
Qualifiant l'autonomie de "conviction que l'on doit devenir soi-même ", il a enfin relevé que l'aire masculine de l'autonomie était plutôt la vie publique, l'autonomie féminine s'épanouissant plutôt dans des sphères de proximité - la famille, notamment - où les femmes prenaient plus facilement conscience de l'utilité de leur action. Il s'est déclaré persuader, à cet égard, que l'investissement des femmes dans la famille et leur relation à l'enfant tenait aussi aux éléments supplémentaires d'autonomie qu'elles en retiraient.
M. André Boyer a estimé que les femmes n'avaient pas la même idée de l'essentiel que les hommes et que, souvent, au lieu de prendre un engagement politique, elles choisissaient de privilégier leur vie familiale et leurs enfants. Il en a conclu à la nécessité de convaincre les femmes qu'un engagement politique représentait un bon moyen de préparer l'avenir de leurs enfants. Dans cette perspective, il a jugé que le système des quotas pouvait être une bonne solution parce qu'il introduirait un élément de contrainte, même si, à titre personnel, la notion de quota le choquait.
M. François de Singly a répondu que les femmes et les hommes n'avaient pas la même conception de l'intérêt général. Il a réaffirmé que pour les femmes, celui-ci se développait avant tout dans la sphère privée et non dans la sphère publique. De ce fait, il a estimé que le recours à un système contraignant pour faire évoluer cette conception, par exemple l'instauration d'un système de quotas, pourrait être une bonne chose car, en laissant seulement faire le temps, les changements ne pouvaient être que moins rapides.
M. Philippe Richert, rapporteur, a ensuite demandé à M. François de Singly s'il lui paraissait utile pour la société de rechercher une parité entre les hommes et les femmes.
M. François de Singly est convenu que la parité représentait un idéal à atteindre, sans être toutefois certain qu'il faille le rendre obligatoire, notant d'ailleurs que certaines féministes y étaient opposées. Il lui a en effet semblé paradoxal que cette dimension fondamentale de la personne humaine soit réglementée alors que la société reposait sur de fortes logiques individualistes, d'autant qu'une parité obligatoire valoriserait à l'excès la distinction hommes-femmes.
M. Guy Allouche a avancé l'idée que la faible participation des femmes à la vie publique résultait peut-être avant tout de normes culturelles et sociales anciennes inculquant aux femmes un sens de la responsabilité familiale plus fort françaises hommes. Il a néanmoins estimé que la rapidité avec laquelle les femmes françaises étaient entrées dans le monde du travail permettait d'espérer un accroissement progressif de leur présence dans la vie politique, imposer dès à présent la parité pouvait être prématuré pour une opinion publique qui n'y était peut-être pas encore prête.
M. François de Singly a fait observer que l'abolition de la peine de mort avait, en son temps, donné lieu aux mêmes objections et que sans une initiative forte du législateur, la situation n'aurait sans doute jamais évolué d'elle-même. Dans cette optique, il a jugé important que le législateur puisse imposer des convictions permettant de faire évoluer l'opinion publique, et que, s'agissant de la place des femmes dans la vie publique, un système des quotas pouvait jouer un rôle utile.
Mercredi 22 janvier 1997 - Présidence de Mme Nelly Olin, président
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, rapporteur général de l'Observatoire de la parité
En introduction, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a précisé qu'elle intervenait en sa double qualité de rapporteur général de l'Observatoire de la parité et de responsable au sein d'un grand mouvement politique, le Rassemblement pour la République. Elle a rappelé que la création de l'Observatoire de la parité en 1995 concrétisait une promesse de M. Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle. Elle a indiqué que quatre commissions avaient été créées au sein de cet organisme, les trois premières pour étudier la parité entre les hommes et les femmes dans la vie politique, dans la vie professionnelle et dans la sphère privée, la dernière s'axant sur les enjeux internationaux.
Après avoir évoqué les méthodes de travail de l'Observatoire, qui avait procédé à de très nombreuses auditions, elle a expliqué que priorité avait été donnée au problème de la parité politique, à la fois parce que l'analyse historique et sociale conduite à cette occasion fondait toutes les autres analyses et pour répondre à une demande du Premier ministre exprimée le 7 mars 1996.
Soulignant que la sous-représentation des femmes dans la vie politique plaçait la France en position de « lanterne rouge de l'Europe », Mme Roselyne Bachelot-Narquin a indiqué que si le scrutin de listes semblait statistiquement favoriser les femmes (27 % d'élues au Parlement européen, 20 % dans les conseils municipaux), ce phénomène s'expliquait peut-être par le fait que ces assemblées ne constituaient pas de véritables lieux de pouvoir, les hommes ayant de surcroît tendance à déserter les conseils municipaux des communes rurales, où les enjeux étaient réduits. Elle a en revanche constaté que très peu de femmes exerçaient des fonctions de maire dans des villes de plus de 30.000 habitants. Elle a observé en outre que les délégations confiées aux femmes au sein des conseils municipaux concernaient surtout l'enfance ou l'action sociale, et non des domaines plus valorisants comme le budget, les finances ou l'urbanisme. Elle a également remarqué que, même si elle argumentait, la proportion des femmes élues semblait buter sur la limite de 25 %.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin s'est ensuite interrogée sur les raisons de l'exclusion des femmes de la vie politique. Elle a d'abord imputé celle-ci à des raisons historiques : le poids du droit romain, l'influence de la loi salique et le coup de frein donné à l'arrivée des femmes dans la sphère publique par la Révolution française, relayée par le code Napoléon, puis plus récemment par la résistance de la plupart des partis politiques.
Elle a ensuite abordé les raisons d'ordre sociologique, soulignant que les femmes françaises « avaient raté le rendez-vous suffragiste » de la fin de XIX ème siècle et du début du XX ème siècle. Elle a avancé comme explication l'existence en France d'un « dialogue entre hommes et femmes », absent dans d'autres pays, et qui aurait permis aux femmes d'exercer assez d'influence dans la vie privée pour ne pas les inciter à s'impliquer dans la vie publique.
Elle a souligné à ce propos que, contrairement au reste de l'Europe, la plupart des partis politiques français étaient dépourvus d'aile féminine, les femmes militant aux côtés des hommes dans des structures mixtes. Elle a également relevé que le système de cooptation et de parrainage pour l'entrée en politique jouait en leur défaveur.
Enfin, elle a indiqué que la démocratisation des partis et la décentralisation, en érigeant les échelons locaux en lieux de pouvoir, avaient accentué l'exclusion des femmes, relevant d'ailleurs la même tendance dans les pays de l'Est depuis que les Parlements y exerçaient un véritable rôle.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a alors abordé les propositions de la commission pour la parité dans la vie politique, précisant cependant qu'elle laisserait à Mme Gisèle Halimi le soin de présenter les mécanismes volontaristes (loi, quotas et réforme constitutionnelle).
Laissant de côté les propositions consistant à laisser les choses évoluer d'elles-mêmes ou à organiser de grandes campagnes publicitaires, elle a évoqué les incitations financières (modulation du financement des partis en fonction du coefficient de mixité), précisant que d'après les constitutionnalistes consultés par l'Observatoire, cette disposition ne paraissait pas contraire à la Constitution.
Elle a ensuite mentionné le scrutin proportionnel de liste, tout en se déclarant à titre personnel extrêmement réservée sur ce système, l'exemple des législatives de 1986 n'ayant d'ailleurs pas démontré son efficacité du fait, notamment, des réticences des partis politiques. Elle a ajouté que cette proposition poserait en outre la question des inconvénients intrinsèques de la représentation proportionnelle. Sur la solution consistant à interdire le cumul de mandats, elle a observé que les avancées de la loi de 1985 n'avaient pas eu non plus les effets attendus. Elle a enfin évoqué la réforme de statut de l'élu. Personnellement très favorable à cette mesure, elle a toutefois estimé qu'elle favoriserait l'émergence de nouvelles candidatures, mais pas nécessairement féminines.
En réponse à M. Philippe Richert, rapporteur, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a précisé que les partis politiques avaient été entendus par la commission en la personne de leurs principaux responsables. Elle a également indiqué qu'aucune des propositions formulées n'avait été omise dans le rapport et qu'elles avaient toutes été évaluées, y compris celles qui, a priori, paraissaient contraires à nos traditions culturelles et juridiques.
Mme Michelle Demessine a souligné que les partis devaient manifester clairement leur volonté d'agir, notamment en créant des branches féminines comme cela existait au parti communiste. Elle s'est déclarée résolument favorable à la représentation proportionnelle, sans laquelle les meilleures volontés politiques risqueraient de demeurer lettre morte. Elle a également appelé de ses voeux l'interdiction du cumul de mandats.
En réponse, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a estimé que s'il existait une véritable volonté des partis politiques, aucune autre mesure ne serait nécessaire ; mais elle a constaté l'atonie quasi générale des partis sur ce point, les initiatives récentes de certains partis comme le parti socialiste semblant même d'ores et déjà se heurter à certaines résistances. S'agissant de la proportionnelle, elle a craint que le débat sur les avantages et les inconvénients respectifs du scrutin majoritaire et du scrutin de listes fasse passer au second plan celui sur la féminisation. Elle a enfin trouvé symptomatique que les partis politiques les plus éloignés du pouvoir soient ceux qui ménageaient le plus de place aux femmes, par exemple le parti communiste et les écologistes.
Mme Joëlle Dusseau a insisté sur la nécessité d'accompagner les avancées législatives et constitutionnelles par une volonté de faire évoluer les mentalités, rappelant les effets positifs des campagnes menées en faveur de l'égalité professionnelle. Elle a regretté que la structure ministérielle spécifique aux femmes, dont la première initiative revenait au Président Valéry Giscard d'Estaing, ait fini par disparaître.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin a partagé tous ces points de vue. Puis en réponse à Mme Gisèle Printz qui s'était interrogée sur l'intérêt que portaient véritablement les femmes aux fonctions politiques, elle a objecté que 1'image même de la politique changerait si les femmes y entraient, ce qui la leur rendrait plus attractive. Elle a souligné qu'en tant que membre de la commission des investitures de son parti, elle avait observé un réel intérêt des femmes pour la politique, les déclarations de certains hommes politiques à propos du manque de candidates étant à cet égard sans fondement.
Elle a également déploré que trop souvent les partis ne sollicitaient les candidatures de femmes qu'en toute dernière extrémité, ce qui expliquait nombre de refus et empêchait souvent de placer en rang utile les candidates qui acceptaient.
A Mme Joëlle Dusseau, elle a précisé que la participation des femmes à la haute administration figurait à l'ordre du jour des prochains travaux de l'Observatoire.
En réponse à une question de M. Philippe Richert, rapporteur, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a souligné qu'on ne pouvait opposer la prise de responsabilités dans la vie politique à la prise de responsabilités dans les sphères privées et professionnelles, car les mêmes discriminations existaient partout.
Interrogée par Mme Nelly Olin, président, sur l'annonce par le Premier ministre d'un débat parlementaire sur la place des femmes dans la vie politique, envisagé pour l'Assemblée nationale autour du 8 mars, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a considéré qu'en tout état de cause, ce débat n'épuiserait pas le sujet, que les travaux de la mission d'information gardaient tout leur intérêt et contribueraient à l'évolution des mentalités. Elle a indiqué que le Premier ministre avait souhaité ce débat pour répondre à une promesse électorale du Président de la République, la période en cause ayant été retenue parce qu'elle était proche de la journée internationale des femmes.
Mme Gisèle Halimi, présidente de la commission « vie politique » de l'Observatoire de la parité
Ayant fait part de son grand intérêt pour la création d'une mission sénatoriale sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique -ce qui contribuait à une réflexion pluraliste- Mme Gisèle Halimi a présenté les grandes lignes de son rapport.
Elle a indiqué qu'il s'agissait d'un travail composite fondé sur une analyse statistique comparée et sur une analyse des moyens juridiques, en vue de répondre aux objectifs assignés à l'Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes par le décret du 18 octobre 1995 : réunir des données, analyser les causes de la sous-représentation des femmes dans la vie publique, rechercher les moyens de favoriser les programmes d'actions et formuler toutes recommandations et propositions de réformes législatives ou réglementaires permettant de corriger les dysfonctionnements de notre démocratie. Puis, elle a constaté que la France, avec moins de 6 % de femmes au sein du Parlement, se situait au dernier rang des États de l'Union européenne.
Parmi les causes susceptibles d'expliquer cette situation, Mme Gisèle Halimi a d'abord cité le poids des grandes religions monothéistes dont l'Observatoire avait entendu les représentants- leurs représentations symboliques influant sur l'organisation de la vie quotidienne, de la vie civile et de la vie politique.
Elle a ensuite mentionné des raisons d'ordre culturel non liées à la religion, la société ayant organisé une ségrégation des tâches selon laquelle « les hommes faisaient les lois et les femmes faisaient les moeurs ».
Mme Gisèle Halimi a rappelé que les philosophes du XVIII ème siècle avaient représenté la femme comme un « sous-citoyen », voire comme un « non-citoyen ». Elle a décelé dans la situation actuelle l'héritage de la Révolution française, soulignant que la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789, en dépit de ses ambitions universalistes, était en fait entachée d'un double péché originel : le maintien de l'esclavage et l'exclusion de la femme du domaine politique. Elle a considéré que cette déclaration se fondait sur une notion du citoyen enracinée dans son époque, c'est-à-dire uniquement un homme, uniquement de race blanche et de surcroît un bourgeois.
Elle a ensuite présenté les mesures proposées dans son rapport, en distinguant les mesures « accessoires ou de substitution » -l'incitation financière, par exemple- et les mesures « volontaristes ».
Elle a constaté que les responsables des principaux partis politiques admettaient tous que la situation faite aux femmes était inacceptable et qu'il convenait de prendre des mesures pour y remédier. Elle a néanmoins observé que ces mesures n'avaient pas été prises, contrairement à ce qui avait été spontanément fait dans la plupart des autres pays, notamment en Europe du Nord où la représentation était quasi paritaire. Elle a cité l'exemple de l'Espagne -22 % de femmes au Parlement- ou de l'Italie -13 %-, deux pays ayant pourtant le même passé religieux et culturel que la France mais où les partis politiques avaient su prendre des initiatives pour faire évoluer la situation.
Elle a ajouté qu'à défaut d'initiatives des partis français, il faudrait s'engager dans une politique volontariste, c'est-à-dire légiférer, la loi devant définir les conditions de l'égalité politique des femmes, sans doute en recourant à des quotas.
Mme Gisèle Halimi a alors évoqué les conditions dans lesquelles avait été invalidée par le Conseil constitutionnel, en novembre 1982, une disposition dont elle-même avait pris l'initiative, selon laquelle aucune liste ne devait comporter plus de 75 % de candidats de même sexe.
En dépit de certains avis selon lesquels le Conseil constitutionnel pourrait aujourd'hui évoluer sur ce point s'il était saisi, elle a indiqué que la majorité des juristes consultés en doutait et considérait inévitable une révision de la Constitution, raison pour laquelle la commission avait formulé une proposition en ce sens, qui semblait avoir reçu l'agrément du Premier ministre à condition d'en reformuler le texte dans une rédaction moins coercitive.
Mme Gisèle Halimi a récapitulé les principales objections formulées à l'encontre de cette proposition : une remise en cause de l'unité du Peuple français et de l'universalisme républicain, et le risque d'engager un processus communautariste susceptible de déboucher sur une législation particulière pour chaque catégorie de Français. Mme Gisèle Halimi a réfuté ces arguments en faisant valoir que les femmes ne constituaient pas une « catégorie » mais que comme les hommes, elles les englobaient toutes et les engendraient.
Elle a ensuite abordé la procédure de cette révision constitutionnelle, marquant sa nette préférence pour le recours à l'article 11 qui autorisait le référendum lorsque la consultation concernait l'organisation des pouvoirs publics. Sans méconnaître les critiques formulées contre cette procédure -son caractère plébiscitaire et la mise à l'écart de la représentation nationale- elle a préconisé le recours à l'article 11 plutôt qu'à l'article 89 pour ne pas obliger les parlementaires hommes à voter une mesure dont l'effet serait de réduire notablement leur représentation.
Elle a rappelé par ailleurs que, depuis quatre ans, tous les sondages indiquaient que les Français étaient majoritairement favorables à la parité ou à l'institution de quotas, un sondage de novembre 1996 révélant notamment que 86 % d'entre eux se prononçaient pour une parité institutionnalisée. Elle a également observé que plusieurs propositions de loi avaient été déposées dans ce sens, leurs auteurs n'appartenant toutefois pas aux grands partis politiques.
Mme Anne Heinis, tout en souhaitant l'augmentation du nombre de femmes dans la vie politique, s'est déclarée réservée sur les mesures proposées. Il lui a semblé nécessaire d'organiser au préalable un débat sur la parité, les sondages reposant peut-être sur un phénomène de mode et ne lui paraissant pas de nature à véritablement éclairer l'opinion publique.
Elle s'est également interrogée sur le niveau de parité à retenir au regard de la proportion démographique hommes/femmes, sur son éventuelle extension à d'autres secteurs de la société -les métiers, par exemple- et a déploré le recours systématique à une approche comptable de cette question. Elle s'est aussi déclarée choquée par la perspective d'une incitation financière revenant à « payer les partis pour qu'ils prennent des femmes ».
Elle a indiqué ne pas partager les analyses de Mme Gisèle Halimi à propos de la notion de « catégories » et a estimé que les catégories biologiques -les sexes, notamment- n'avaient aucun rapport avec les catégories sociologiques.
Elle a enfin souligné l'accélération des évolutions récentes dans la place des femmes dans la société, peut-être de nature à résoudre spontanément cette question. Elle a fait observer que cette dynamique reposait essentiellement sur le souhait des femmes d'accéder à davantage de responsabilités et a mis en garde contre le risque de remettre en cause le dialogue existant entre hommes et femmes en France.
En réponse, Mme Gisèle Halimi a contesté que l'évolution des mentalités traduite dans les sondages puisse n'être qu'un phénomène de mode, notant d'ailleurs que ceux-ci allaient tous dans le même sens depuis plus de quatre ans. Elle a rappelé que le droit européen poussait également depuis plus de dix ans à l'égalité entre les hommes et les femmes.
Insistant sur la régression observée depuis 1946, elle a estimé que permettre aux femmes de s'exprimer à parité dans la sphère politique aurait des incidences importantes dans les autres domaines. Elle a signalé que le versement d'une prime aux partis politiques avait déjà été suggéré par le Conseil de l'Europe et était pratiqué en Belgique. Elle n'y a cependant vu qu'une mesure de substitution à une mesure législative plus radicale. Elle a enfin considéré que le thème du souhait ou non des femmes d'entrer en politique était une fausse question, le vrai problème se situant en fait au niveau des investitures.
Mme Anne Heinis a observé que dans son département, le nombre des femmes élues aux conseils municipaux avait considérablement augmenté en vingt-cinq ans.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a considéré que le vrai débat sur la parité n'avait pas encore eu lieu et que certaines tentatives de listes mixtes n'avaient pas donné les résultats escomptés. Elle est revenue sur la crainte exprimée par Mme Elisabeth Badinter de voir l'universalisme républicain remis en cause par une modification de la Constitution. Tout en se déclarant favorable à la volonté de modifier l'image de la République, elle s'est déclarée réservée sur l'instauration d'une contrainte constitutionnelle qui remettrait en cause la liberté de choisir. Enfin, elle a craint que l'augmentation du nombre des femmes élues ne se traduise pas pour autant par une meilleure politique en faveur des femmes.
Mme Gisèle Halimi a admis que l'objection de Mme Élisabeth Badinter était pertinente, mais qu'il n'y avait pas de véritable alternative, la recherche d'une solution par voie législative ayant échoué en 1982. Elle n'a pas souhaité s'engager dans le débat de savoir si les femmes mèneraient une politique en faveur des femmes dans la mesure où les femmes élues ne représenteraient pas des femmes mais la République et seraient comme telles amenées à dialoguer à égalité avec les hommes. Elle a noté à ce propos que le prochain débat à l'Assemblée nationale aurait lieu à 95 % entre des hommes.
En conclusion, Mme Gisèle Halimi a indiqué qu'une convention de l'Organisation des nations unies (ONU) contre les discriminations à l'égard des femmes autorisait déjà les États à prendre des mesures temporaires et spécifiques pour lutter contre les discriminations dans la vie publique. Elle a constaté que cette convention, votée en 1979, signée par la France en 1980, ratifiée en 1983 et applicable depuis sa publication le 12 mars 1984, n'avait connu aucune suite. Elle a précisé que les constitutionnalistes interrogés par la commission sur la parité considéraient qu'elle n'était pas d'application immédiate, sans d'ailleurs avoir proposé de solution pour la rendre applicable. Elle a jugé que la hiérarchie des normes devrait pourtant permettre, sur la base de cette convention, de prendre des mesures favorables aux femmes sans réviser la Constitution.
En réponse à Mme Michelle Demessine à propos de la position du Premier ministre sur le recours à la procédure du référendum, Mme Gisèle Halimi a fait part que M. Alain Juppé avait jugé, lors la remise du rapport, que la situation actuelle était inacceptable, que l'Observatoire avançait des propositions judicieuses méritant d'être examinées et qu'une modification de la Constitution, à condition que l'amendement ait un caractère plus potestatif que coercitif, pouvait paraître une solution appropriée
Mercredi 29 janvier 1997 (première séance) - Présidence de Mme Nelly Olin, président
Mme Sylvie Ulrich, présidente de l'Union féminine civique et sociale
Mme Sylvie Ulrich a tout d'abord observé que selon l'acception donnée aux termes « vie publique » -pris dans leur sens large d'activité professionnelle ou leur sens plus restreint de vie politique- la place des femmes dans la vie publique avait évolué de manière contrastée, voire opposée, mais que dans tous les cas, ou trouvait peu de femmes à des postes de responsabilité. Elle a considéré que la sous-représentation des femmes dans la vie politique, qui plaçait la France en position de « lanterne rouge de l'Europe », était de moins en moins acceptée par les Français. Estimant que l'action d'associations telles que l'Union féminine civique et sociale (UFCS) avait sans doute contribué à la prise de conscience de cette exception française, elle a souhaité que ces associations puissent disposer de moyens financiers suffisants pour poursuivre leur action.
Après avoir rappelé la longue expérience de l'UFCS en matière de formation civique depuis 1925, date de sa création, Mme Sylvie Ulrich, s'est félicitée que la France ait franchi, en 1995, le cap des 21 % de femmes dans les conseils municipaux. Elle a, en revanche, souligné qu'aux élections à scrutin uninominal -les élections législatives, par exemple- il y avait aujourd'hui moins d'élues qu'en 1946. Observant qu'il était difficile d'imaginer un pays dirigé sans la « moitié de ses forces vives », véritable « pays hémiplégique », elle a estimé qu'on ne saurait imputer la sous-représentation des femmes en politique à leur moindre compétence. Elle s'est déclarée convaincue que la question ne se poserait plus dans les mêmes termes si le nombre des élues atteignait une masse critique de 30 %, ce qui n'est le cas dans aucune assemblée française.
Après avoir évoqué le cas de pays plus avancés que la France en ce domaine, Mme Sylvie Ulrich a estimé que la solution de ce problème passait par une volonté politique de modernisation au même titre que pour l'économie ou l'école. Elle a remarqué que si chacun s'accordait à souhaiter la parité dans la plupart des domaines, par exemple la vie professionnelle, il faudrait appliquer le même raisonnement à la vie politique.
Elle a indiqué que l'UFCS était favorable au principe de la parité et, en dépit des réserves d'ordre philosophique suscitées par les quotas, à l'introduction de « pourcentages progressifs et transitoires ». Comme mesures complémentaires, elle a cite : la limitation du cumul et du renouvellement des mandats, des mesures d'accompagnement en faveur des femmes à l'issue de leur mandat, l'accès des femmes aux instances dirigeantes des partis et l'aménagement du temps de travail.
Elle a enfin réaffirmé la volonté de l'UFCS de poursuivre ses actions de formation et de sensibilisation et de promouvoir, à travers l'ensemble de ses relais nationaux, l'adoption des mesures citées. Elle ne s'est déclarée défavorable au principe d'un référendum sur la question de la parité, avec le risque cependant que les délais pour l'organiser fassent tomber ce référendum en pleine période électorale, ce qui pourrait en fausser les résultats.
En conclusion, Mme Sylvie Ulrich a insisté sur l'idée de partenariat entre les hommes et femmes, souhaitant qu'ils s'enrichissent de leurs différences plutôt que de s'opposer. Elle a d'ailleurs souligné que ce débat n'aurait de sens qu'à condition d'y associer largement les hommes.
Appelée par M. Philippe Richert, rapporteur, à préciser la notion de « pourcentages progressifs et transitoires », elle a jugé impossible d'atteindre la partie sans recourir aux quotas, mais qu'en raison de la connotation péjorative associée à cette notion, elle préférait celle de pourcentages progressifs et transitoires, qui mettait mieux en évidence le caractère provisoire du système et la possibilité de l'adapter au fil des scrutins et en fonction du type d'élection.
Mme Monique Ben Guiga a estimé que la participation encore récente des femmes à la vie politique justifiait l'accent mis sur leur formation mais que, compte-tenu des retards accumulés, il fallait s'engager aujourd'hui dans une phase de rattrapage. A cet égard, elle a souhaité que les pourcentages obligatoires soient progressifs, certes, mais également ambitieux. Elle s'est enfin déclarée opposée au cumul des mandats - « un truc d'hommes pour tenir le pouvoir »- estimant que cette pratique « enkystée dans la V e République » n'était pas conciliable avec les charges familiales que les femmes continuaient d'assumer.
Mme Sylvie Ulrich a fait observer que la parité consistait également à développer un partenariat entre les hommes et les femmes dans tous les domaines, y compris domestique, afin d'y concevoir des solutions ensemble. En réponse à une question de Mme Michelle Demessine sur le mode d'expression au quotidien, en dehors des associations féministes, de l'aspiration des femmes à une plus grande participation à la vie politique, elle a indiqué que cette aspiration encore récente se traduisait, entre autres, par la volonté des femmes de ne plus se contenter d'un siège au conseil municipal mais de briguer un mandat cantonal ou national. Elle a noté que lorsqu'elles étaient minoritaires, les élues avaient du mal à s'exprimer en tant que femmes, préférant souvent se « couler dans le moule des hommes », mais qu'elles avaient plus qu'avant tendance à revendiquer ouvertement leur identité féminine.
En réponse à une question de Mme Nelly Olin, président, elle a indiqué que le nombre de cotisants de l'UFCS s'élevait à environ 10.000, dont une grande proportion d'adhérents actifs. Elle a également précisé que l'association disposait de 57 salariés permanents, d'où son inquiétude devant les restrictions des subventions allouées aux associations telles que l'UFCS.
Interrogée par M. Philippe Richert, rapporteur, Mme Monique Ben Guiga et M. Denis Badré sur l'influence des modes de scrutin municipaux, différents selon la taille de la commune, Mme Sylvie Ulrich a précisé qu'on ne disposait pas de statistiques globales sur ce sujet mais que la sous représentation des femmes était apparemment plus prononcée dans les grandes villes, où les partis politiques jouaient un rôle plus important.
Citant l'exemple de sa commune, Mme Nelly Olin, président, a fait observer que la vie politique restait ouverte à des non-inscrits et ne passait pas nécessairement par l'adhésion à un parti.
Mme Hélène Luc a estimé que la moindre participation des femmes dans les partis était peut-être imputable à leur souci d'une approche plus concrète de la politique, leur faisant préférer l'engagement dans le secteur associatif, dont beaucoup de responsables femmes seraient parfaitement capables d'accéder à un mandat national sans passer d'abord par un conseil municipal.
Mme Régine Saint-Criq, présidente de l'association Parité
Mme Régine Saint-Criq a indiqué que l'association Parité militait depuis la signature de la charte d'Athènes lors du premier Sommet européen « Femmes et pouvoir », en 1994, pour l'organisation d'un débat au Parlement sur la place des femmes dans la société comme cela avait été le cas dans certains Parlements d'autres pays d'Europe. Ayant formulé à plusieurs reprises cette suggestion au président du Sénat, elle s'est félicitée de la création de la mission d'information et a souhaité qu'elle contribue à « faire reculer les conservatismes machistes » faisant de notre pays la « lanterne rouge de l'Europe ».
Évoquant les très nombreux rapports déjà publiés sur ce thème, elle a souhaité que les travaux de la mission débouchent enfin sur des mesures concrètes pour remédier aux déséquilibres persistants de la représentation des hommes et des femmes dans les assemblées électives.
À cet égard, elle a déploré l'absence de volonté politique de la France, signataire de la plate-forme de Pékin mais qui n'avait jusqu'à présent adopté aucune des réformes préconisées, alors même que les français, dans les sondages, se montraient majoritairement favorables à des mesures volontaristes, comme une limite d'âge pour les fonctions électives (82 %), la limitation du cumul des mandats (62 %), l'introduction d'une dose de proportionnelle (64 %) ou un quota de femmes au Parlement (56 %).
Mme Régine Saint-Criq a relevé que sous la pression de l'opinion publique, les partis politiques commençaient à formuler des propositions visant à une représentation plus équilibrée des hommes et des femmes. Elle a distingué, à ce propos, les forces politiques qui souhaiteraient inscrire la parité, fût-ce pour une période transitoire, dans la loi après révision de la Constitution (« Les Verts », le Parti socialiste, le Parti communiste et les partisans de M. François Léotard) de celles pour qui l'ouverture de l'espace politique aux femmes relevait de la vie interne des partis sans qu'il y ait lieu de légiférer (le RPR et l'UDF dans son ensemble)
Mme Régine Saint-Criq a ensuite indiqué que son association faisait siennes les solutions proposées récemment par le rapport de l'Observatoire de la parité. Elle a ajouté qu'elle ne croyait pas à une possible résorption des inégalités par la simple évolution naturelle de la vie politique et qu'en conséquence, des mesures de discrimination positive étaient inévitables et impliquaient l'inscription du principe de parité dans la Constitution. Compte tenu de l'état favorable de l'opinion publique, elle a marqué sa préférence pour la voie référendaire, un vote du Parlement réuni en Congrès paraissant plus aléatoire.
Elle a également préconisé une série de mesures complémentaires : l'aménagement du statut de l'élu afin de mieux concilier obligations professionnelles et activités politiques, la limitation du cumul des mandats et des fonctions politiques ainsi que de leur renouvellement dans le temps, le recours au scrutin de liste, plus propice à l'application de la parité, le lancement de campagnes institutionnelles sur les femmes et la politique, l'annonce le soir des scrutins des résultats provisoires en fonction du sexe des élus et non plus uniquement selon les familles politiques, la parité dans les nominations aux emplois à la discrétion du Gouvernement et une meilleure représentation des femmes au Conseil économique et social. Elle a également souhaité que l'observatoire de la Parité exerce une sorte de contrôle sur les nominations à la discrétion du Gouvernement.
Mme Régine Saint-Criq a conclu son exposé par une citation : « les volontés précaires se traduisent par des discours, les volontés fortes par des actes ».
Constatant une sous-représentation des femmes dans des postes de décision ailleurs qu'en politique, M. Philippe Richert, rapporteur , s'est demandé si on ne sous-estimait pas les liens entre la situation des femmes dans la société civile et dans la vie publique et si, dans cette perspective, l'engagement croissant des femmes dans le monde professionnel n'aurait pas, à terme, des conséquences positives dans la sphère politique.
Mme Régine Saint-Criq en est convenue, tout en soulignant que les inégalités dans la vie politique étaient sans commune mesure avec celles de la société civile, puisqu'avec 53 % d'électrices, les assemblées parlementaires ne comptaient que 6 % d'élues, ce qui, à ses yeux, n'honorait pas la France. Elle a jugé spécieux d'imputer ce phénomène au seul choix des électeurs, la responsabilité en incombant aux partis politiques maîtres des investitures. Elle a également déploré que malgré un taux d'activité élevé, les femmes demeurent très minoritaires dans certaines instances comme le Conseil économique et social.
Mme Gisèle Printz a noté que dans ce débat, la maternité -une des dimensions constitutives de la femme- n'était que trop rarement évoquée.
Ayant souligné que le groupe communiste républicain et citoyen avait largement contribué à la création de la mission commune d'information, par la participation d'un de ses membres à la conférence de Pékin et par ses demandes réitérées d'un débat au Sénat sur ce thème, Mme Hélène Luc a rappelé que son groupe avait déposé une proposition de loi visant à favoriser la représentation des femmes en politique et que le parti communiste avait placé des femmes à des postes de haute responsabilité. Elle a également noté que les six femmes de son groupe étaient élues dans des départements à scrutin proportionnel, ce qui en démontrait les effets positifs pour peu que les partis acceptent de placer des candidates en rang éligible.
M. Philippe Richert, rapporteur, a précisé que l'initiative de cette mission commune d'information incombait à l'ensemble des présidents de groupes et de commissions permanentes avec l'appui du Président du Sénat. Évoquant le prochain débat à l'Assemblée nationale annoncé par le Premier ministre, il a indiqué que conjointement avec Mme Nelly Olin, président de la mission, il avait demandé au Premier ministre de venir s'exprimer sur ce sujet.
Mme Ben Guiga a souscrit à l'ensemble des propositions de l'association Parité. Elle a également souligné les difficultés que rencontraient les femmes pour concilier leurs engagements dans la vie politique et leurs responsabilités professionnelles et familiales, observant par exemple que jamais un parti politique n'avait eu l'idée de prévoir une crèche ou une garderie d'enfants lors d'un congrès.
M. Badré a jugé fallacieux d'affirmer que 53% de l'électorat n'étaient représentés que par 6% d'élues, car les élus avaient vocation à représenter l'ensemble de leurs concitoyens quel que soit leur sexe ou leur opinion. Il a considéré que cette logique de représentation des femmes par des femmes ne pouvait que conduire à une « société en miettes » où finalement chacun ne serait plus représenté que par lui-même ou ses semblables. Il a par ailleurs estimé qu'il ne fallait pas surestimer le rôle des partis politiques par rapport à l'engagement sur le terrain.
En réponse, Mme Régine Saint-Criq a considéré :
- que la maternité ne représentait pas une contrainte plus forte dans la vie politique que dans la vie professionnelle ;
- que le scrutin de liste pouvait constituer un instrument efficace, mais qu'il ne garantissait pas une meilleure représentation des femmes, en l'absence de mesures contraignantes ou à défaut de volonté politique ;
- que le travail sur le terrain avait une grande importance, certes, mais qu'il n'assurait aucunement aux femmes une pleine reconnaissance par l'appareil de leur parti.
Mme Marie-Claude Vayssade, présidente de la commission femmes du Mouvement européen
Mme Marie-Claude Vayssade a indiqué que le mouvement européen, fondé en 1938, avait créé une commission femmes en 1961, chargée non seulement des questions relatives aux femmes mais également d'une réflexion sur l'ensemble des questions européennes grâce à un réseau étendu d'associations européennes et nationales.
Elle a ensuite appelé les femmes à prendre en mains leurs responsabilités, personne d'autre ne pouvant le faire à leur place.
Elle a souligné que le scrutin de liste avait permis l'élection d'un nombre plus important de femmes au Parlement européen qu'au Parlement français, exprimant en revanche son opposition à l'idée, parfois énoncée, d'une liste composée uniquement de femmes. Elle s'est prononcée en faveur d'une réforme du scrutin européen sur la base d'une circonscription régionale et pour l'interdiction du cumul des mandats.
Évoquant les enjeux de la conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions, elle a demandé l'inscription dans le Traité de Rome du principe d'égalité entre hommes et femmes comme un droit fondamental, non plus seulement dans la sphère économique mais également dans le domaine politique assortie de dispositions permettant aux États de mettre en oeuvre des mesures de discrimination positive en faveur des femmes. Elle a, par ailleurs, souhaité que s'engage une réflexion européenne sur la démocratie participative -notion plus large que celle de démocratie représentative- à laquelle les associations devraient prendre part.
Elle a noté que le principe de parité était généralement bien admis mais qu'il se heurtait à de fortes résistances dès qu'il était question de le mettre en oeuvre dans les circonscriptions, car « une femme de plus, c'est un homme de moins ».
Après avoir résumé son parcours personnel d'élue européenne, elle a insisté sur les difficultés que rencontraient les femmes à être investies par des partis politiques dominés par les hommes. Elle a précisé, à cet égard, qu'elle avait elle-même reçu l'investiture du parti socialiste en 1979 parce que ce parti s'était alors fixé un quota de 30 % de femmes, jugeant que les quotas n'avaient rien d'humiliant car l'important était d'être élue. Elle s'est déclarée favorable à leur généralisation, d'autant qu'ils ne faussaient pas le processus démocratique, le choix revenant en dernier lieu aux électeurs.
Elle a indiqué que la proportion de femmes au Parlement européen avait atteint 28 % depuis le dernier élargissement, l'important lui paraissant d'atteindre une certaine « masse critique » seule capable de faire avancer les choses.
Elle a conclu qu'il ne devait pas y avoir deux types de représentation -femmes et hommes- et que l'objectif de la parité n'était pas que des femmes représentent les femmes, mais que pour être bonne, la représentation ne devait pas être trop éloignée de la réalité sociologique.
Mme Monique Ben Guiga a insisté sur la nécessité de règles s'imposant aux partis politiques, d'autant que la mise en oeuvre de quotas conduirait inévitablement à ce que des femmes prennent des postes aujourd'hui confiés à des hommes. Elle a ajouté que les femmes éprouvaient souvent une certaine gêne, voire de la répugnance, face aux valeurs et aux usages d'un milieu politique presqu'exclusivement masculin, soulignant à cet égard l'importance pour elles d'atteindre une certaine masse critique.
M. Jean-Louis Lorrain a estimé qu'on surestimait le rôle des partis politiques. Il a également considéré que ce sentiment qu'avaient beaucoup de femmes de devoir « rentrer par effraction » dans la vie politique ne leur était pas spécifique et était en fait partagé par tous ceux et toutes celles qui débutent en politique et qui doivent, de ce fait, s'imposer face aux plus anciens. Il a ajouté qu'il n'y avait jamais de place réservée sous le seul prétexte qu'on était un homme.
M. Philippe Richert, rapporteur, a noté qu'une candidate prenant la place d'une sortante posait autant de problèmes que si elle prenait le poste d'un sortant, et que la véritable difficulté était au fond que quelqu'un prenne la place d'un autre, sans considération de sexe. Il a considéré que la compétition entre hommes et femmes n'était qu'une des composantes de la concurrence inhérente aux procédures d'investiture.
M. Alain Gournac a pleinement partagé ce point de vue.
En réponse, Mme Marie-Claude Vayssade a jugé que le rôle des partis politiques comme instance d'élaboration de la politique mais également comme lieux de compétition était incontournable en démocratie, ce qui justifiait qu'on prenne des mesures pour y favoriser la participation féminine. Elle a d'autre part estimé que le problème du renouvellement des élus trouverait sans doute sa solution dans une limitation du nombre des mandats consécutifs.
Mme Hélène Luc a estimé que l'enjeu de la parité n'était pas de redistribuer les postes mais de parvenir à un équilibre plus représentatif de 1a société et de réduire de la sorte le fossé qui séparait aujourd'hui les élus des citoyens. Elle a ajouté qu'il ne fallait pas concevoir les relations entre hommes et femmes en termes de combat, mais de complémentarité et d'enrichissement mutuel à travers leurs différences, aussi bien en politique qu'ailleurs.
En réponse à une question de Mme Michelle Demessine sur les conséquences de l'inscription dans le Traité de Rome du principe d'égalité entre hommes et femmes, Mme Marie-Claude Vayssade s'est déclarée persuadée que si cet objectif, pour la France, visait avant tout l'accès des femmes à la politique, cette disposition aurait aussi des répercussions positives dans tous les autres secteurs des législations des États membres.
Mme Paulette Laubie, présidente du conseil national des femmes françaises
Après s'être déclarée particulièrement honorée d'intervenir en présence du président du Sénat, Mme Paulette Laubie a indiqué que le conseil national des femmes françaises (CNFF), créé en 1896, avait été une des toutes premières associations à se constituer sous le régime de la loi de 1901, quelques mois après le vote de cette loi. Elle a précisé que, depuis lors, le CNFF avait défendu la cause des femmes et qu'il avait toujours été représentatif des diverses sensibilités politiques. Elle a ajouté qu'aujourd'hui, le conseil comprenait des femmes parlementaires nationales et européennes, des élues municipales et des femmes anciens ministres, se félicitant qu'au rang des adhérentes, figure Mme Edith Cresson. Puis elle a rappelé que, dès le début, beaucoup de militantes suffragistes avaient été membres de l'association, qui regroupait des femmes de toutes confessions religieuses ainsi que des femmes libres penseuses. Elle a également évoqué les nombreux engagements économiques et sociaux des membres de cette association.
Elle a ensuite détaillé les actions menées par le CNFF lors des dernières élections présidentielles. Elle a indiqué qu'en 1974, un dispositif d'information sur les programmes des différents candidats avait été mis au point. Elle a ensuite précisé qu'en 1981 un questionnaire avait été adressé aux candidats, portant en particulier sur la ratification de la convention de New York sur l'élimination de toute discrimination envers les femmes -ratifiée par la France en 1983- et sur la perspective d'un référendum sur la place des femmes dans l'organisation des pouvoirs publics.
Pour les élections de 1995, elle a constaté que l'intervention de Mme Simone Veil en vue d'une rencontre entre le candidat Édouard Balladur et les femmes françaises avait permis d'aller plus loin, trois rencontres ayant été organisées avec les trois principaux candidats, réunissant entre 700 et 1.200 personnes. Elle a observé que chacun des candidats avait fait des propositions : prendre une dizaine de femmes ministres dans son Gouvernement pour M. Édouard Balladur, créer un observatoire de la parité pour M. Jacques Chirac et mettre en place un grand ministère des femmes pour M. Lionel Jospin. Elle a fait valoir que pour son association, c'est l'ensemble de ces propositions qui aurait dû être pris en compte.
Mme Paulette Laubie a enfin constaté que l'engagement de créer un observatoire de la parité avait été tenu, signalant qu'elle-même avait été sollicitée pour présider l'un de ses groupes de travail sur les enjeux internationaux.
M. Philippe Richert, rapporteur, a souhaité connaître la position du CNFF sur la manière de progresser vers la parité entre hommes et femmes dans la vie publique.
Mme Paulette Laubie a souligné que les femmes avaient combattu pendant un siècle pour obtenir le droit de vote et que depuis, on constatait des avancées très significatives dans de nombreux secteurs, citant en particulier l'augmentation du nombre des femmes élues consulaires et se déclarant convaincue que les femmes ne pouvaient accéder à des responsabilités de haut niveau qu'en prenant des responsabilités professionnelles et locales. Elle a estimé que c'était à ce titre qu'elle avait été élue première femme vice-présidente au conseil national du patronat français (CNPF).
Elle a également souligné que la plupart des parlementaires avaient exercé un métier avant d'entrer en politique, reconnaissant néanmoins que pour progresser vers la parité -une notion parfois conflictuelle- des mesures législatives et institutionnelles étaient nécessaires.
Mme Joëlle Dusseau, sans disconvenir d'indéniables avancées, a constaté la persistance de nombreuses inégalités et même une tendance récente à la remise en cause de certains acquis, par exemple en matière d'emploi ou de salaire. Elle a ainsi observé que si le pourcentage des femmes ayant une activité professionnelle avait beaucoup augmenté depuis 50 ans, il semblait régresser depuis le début de la crise.
Par ailleurs, elle a regretté la lenteur des progrès réalisés sur le plan de la responsabilité politique au point que, selon certains, au rythme constaté depuis 1945 il faudrait environ 460 ans pour parvenir à la parité. Enfin, elle a souhaité connaître la position du CNFF sur les propositions formulées par Mme Gisèle Halimi dans son rapport sur la parité politique.
Mme Paulette Laubie a indiqué que le CNFF était favorable à toute mesure susceptible de faire avancer les choses, y compris une révision de la Constitution par référendum ou des incitations financières en faveur des partis qui feraient le plus de place aux femmes. Elle a souligné que le pourcentage des femmes ayant un ou plusieurs enfants et continuant de travailler était en constante augmentation, preuve que les femmes françaises étaient capables de s'organiser.
En réponse à M. Francis Grignon qui l'interrogeait sur la stratégie du conseil pour les élections sénatoriales et locales, Mme Paulette Laubie a indiqué que le CNFF encourageait au premier chef l'engagement professionnel et syndical des femmes au plan local, débouchant souvent sur leur candidature aux élections politiques.
Invitée par M. Alain Gournac à présenter à la mission commune d'information les recommandations du conseil national des femmes françaises, en particulier sur la question des quotas, Mme Paulette Laubie a répondu qu'il ne lui appartenait pas de faire des suggestions à la représentation nationale, mais qu'elle saluait avec confiance et intérêt la présence active de nombreux sénateurs et notamment de sénateurs hommes- dans cette mission d'information.
Mme Christine Mame, présidente de Femmes pour la France
Mme Christine Mame a salué l'initiative du Sénat de se pencher sur 1a place et le rôle des femmes dans la vie publique, d'autant que dans le passé, cette assemblée avait manifesté une grande hostilité au vote des femmes. Elle a indiqué que son association était récente et qu'elle avait pour objectif essentiel de mettre l'homme et la femme au coeur des choix politiques, de contribuer à rendre la société française plus humaine et plus moderne par la parité femmes / hommes à tous les niveaux de décision, et de veiller à ce que l'égalité des droits posée par les textes soit effectivement respectée pour qu'à compétence égale il y ait chance égale.
Elle a insisté sur l'utilité de la participation des femmes à l'élaboration de la loi, qui permettrait dans bien des cas d'éviter d'adopter des lois incomplètes ou inapplicables. Elle a d'autre part jugé que la société étant faite d'hommes et de femmes, la loi devait refléter cette réalité.
Dans cette perspective, Mme Christine Mame a envisagé comme instruments d'une meilleure égalité entre les sexes :
- une révision de la Constitution par référendum, la voie du congrès lui paraissant très aléatoire car elle reviendrait à inviter les parlementaires-hommes « à se faire hara-kiri » ;
- une modification de la loi électorale introduisant une dose de proportionnelle ;
- l'obligation d'associer, lors des élections au scrutin majoritaire, un candidat titulaire et un suppléant de sexe différent ;
- un renforcement de la limitation du cumul des mandats (au plus un mandat national et un mandat local) ;
- l'adoption de limites d'âge pour l'exercice des mandats électifs ;
- une incitation financière en faveur des partis politiques accordant leur investiture à des femmes ;
- une modification du statut des partis, qui constituaient en fait le principal obstacle à l'accès des femmes à des responsabilités politiques.
Elle a jugé spécieux l'argument selon lequel les candidatures féminines valables feraient défaut, persuadée que pour quelque 900 sièges au Parlement, il serait toujours possible de trouver 450 femmes compétentes. Elle a ajouté que de très nombreuses femmes avaient toutes les capacités pour exercer des mandats politiques, mais que nombre d'entre elles s'étaient découragées devant les obstacles posés par les partis. À cet égard, elle a insisté sur le rôle de la formation pour inciter les femmes à s'investir dans la vie politique.
En conclusion, Mme Christine Marne a estimé que, dans ce domaine, le déficit était si considérable qu'à compétence égale entre un candidat et une candidate, les partis devraient opter systématiquement pour la candidature féminine. Elle a considéré que la société serait le reflet de l'ardeur avec laquelle les hommes et les femmes agiraient ensemble, sur le terrain, pour la moderniser et la faire évoluer.
Mme Anne Heinis, tout en voyant dans la complémentarité des hommes et des femmes notamment dans le travail, la source d'une grande richesse, a jugé très inquiétant que presque toutes les auditions prônent la parité, à laquelle elle n'était personnellement pas favorable. Elle a considéré que cette idée de résoudre un problème humain par le nombre était une idée « typiquement masculine », réduire le problème à un aspect seulement quantitatif lui paraissant même « monstrueux ». Elle a jugé plus utile d'éveiller l'intérêt des femmes à la vie politique et de soutenir leur engagement, la seule chose importante étant avant tout que le pays et la société fonctionnent mieux et que les femmes puissent largement y contribuer. Elle a écarté la perspective d'une révision constitutionnelle ou d'un référendum, se déclarant enfin scandalisée par une telle approche.
M. Philippe Richert, rapporteur, a souligné le rôle essentiel de la formation et de l'éducation des garçons et des filles dans leur apprentissage de la vie et dans leurs éventuels engagements futurs. Au-delà des mesures à prendre en vue d'un meilleur équilibre immédiat entre les sexes, il a souhaité que l'accent soit mis sur la formation des femmes pour qu'on ne risque plus de revenir en arrière, comme cela semblait être le cas actuellement aussi bien dans le monde politique que dans la haute fonction publique.
Mme Christine Mame a confirmé que l'éducation était extrêmement importante pour progresser vers la parité, aussi bien dans la vie professionnelle ou politique que dans la vie familiale. Sans revendiquer « la parité pour la parité », elle a insisté sur la nécessité d'avoir plus d'élues -au Parlement, notamment- car celles-ci étant trop peu nombreuses actuellement, elles étaient obligées « de se couler dans le moule masculin » et n'avaient pas la possibilité de se retrouver, au-delà des clivages politiques, sur des initiatives prises en tant que femmes. Elle a salué, à cet égard, l'action des parlementaires italiennes qui s'étaient réunies pour faire voter une loi contre le viol. Elle a ajouté que « la minorité, c'est la rivalité ».
Enfin, elle a indiqué qu'elle n'était personnellement pas hostile aux quotas mais que le terme choquait et qu'il serait préférable de parler de progression par étape.
Mme Monique Ben Guiga a rappelé qu'en démocratie la majorité devait toujours emporter la décision alors qu'avec l'exclusion des ses femmes, une grande partie de la société était systématiquement écartée de celle-ci, dans une République qui se voulait pourtant universaliste. Rappelant les vives critiques formulées contre la surreprésentation de certaines catégories socioprofessionnelles dans les assemblées -les enseignants, les fonctionnaires, etc.- elle a jugé indispensable d'appliquer la même logique aux sexes. Elle a ajouté que face à un déséquilibre si flagrant et une évolution si lente, des mesures volontaristes devenaient nécessaires. Elle a enfin souhaité avoir quelques exemples de lois incomplètes parce que des femmes n'auraient pas participé à leur élaboration.
Mme Christine Marne a cité la disposition créant pour le remboursement des médicaments des vignettes « à deux vitesses » (de deux couleurs différentes selon le taux de remboursement), qui laissait penser que bien peu d'hommes remplissaient régulièrement des feuilles de sécurité sociale.
Mme Joëlle Dusseau a estimé que le désintérêt des femmes pour la vie politique n'était pas uniquement une question d'éducation. Elle a souligné que les femmes représentaient 25 à 30 % des effectifs des partis politiques mais que les procédures, l'organisation et le fonctionnement des partis politiques les empêchaient le plus souvent d'accéder à un niveau de responsabilité élective. Elle a ajouté que tant que la société renverrait des images de pouvoir entièrement masculines, il serait difficile de faire évoluer les choses. Enfin, elle a critiqué l'idée -selon elle « typiquement féminine »- que les femmes devraient avoir plus de formation pour pouvoir prétendre exercer les responsabilités politiques, une telle exigence n'étant jamais requise quand il s'agissait d'hommes.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard a estimé que renforcer la place des femmes dans la vie publique était une exigence de démocratie, de justice et de bon fonctionnement du pays, et qu'à supposer qu'il se pose aussi un problème de formation, on trouverait toujours un nombre suffisant de femmes bien formées. Elle a constaté que les femmes étaient intéressées par la chose politique, qu'elles étaient nombreuses dans les partis, qu'elles s'investissaient volontiers dans la gestion technique des dossiers, mais que la politique était un combat difficile et solitaire et qu'elles avaient du mal à se battre pour obtenir des postes de responsabilité. Elle y a vu la marque d'une réticence d'ordre culturel. Elle a enfin insisté sur l'utilité de limiter le cumul des mandats, à la fois en nombre et dans le temps.
Mme Nicole Borvo a considéré qu'il serait dangereux de comparer le combat des femmes à celui des autres minorités, la revendication de la parité n'étant pas la cause d'une minorité, mais une simple question de démocratie. Elle a constaté que certains partis politiques étaient plus avancés que d'autres dans ce domaine, et qu'en particulier le parti communiste encourageait les femmes à prendre des responsabilités au plus haut niveau, même si leurs charges familiales restaient parfois un obstacle pour elles. Elle a estimé que la représentation proportionnelle et la modification du statut de l'élu offraient les deux plus sûrs moyens pour progresser vers la parité.
En réponse aux différents intervenants, Mme Christine Marne a tout-à-fait admis que les femmes n'avaient pas plus besoin d'être formées aux responsabilités politiques que les hommes, mais qu'elles étaient obligées, si elles voulaient réussir, d'être excellentes et, de ce fait, meilleures que les hommes. Elle a indiqué qu'à titre personnel elle n'était pas favorable à la représentation proportionnelle, incapable de dégager des majorités stables, mais qu'à tout le moins, dans les scrutins majoritaires, il lui semblait indispensable que le titulaire et le suppléant ne soient pas du même sexe. Elle a considéré qu'il fallait trouver des moyens pour accroître le nombre des candidates, une modification du statut de l'élu et des règlements internes des partis politiques lui paraissant représenter des voies efficaces.
Mme Martine Edé, vice-présidente de Femme Avenir
Mme Martine Edé a d'abord rappelé que l'association Femme Avenir avait été créée à l'initiative du général de Gaulle au milieu des années soixante, et que cette association avait pour objet l'information, la formation et l'étude de la question des femmes dans la vie économique, sociale et politique. Elle a constaté qu'en dépit de leur nombre -53 % de la population- les femmes restaient absentes des lieux de pouvoir en France, cette situation semblant bloquée depuis cinquante ans, au point que notre démocratie était atteinte dans sa crédibilité et son efficacité.
Elle a ensuite analysé les raisons de cette situation : les contraintes de la vie familiale, les réticences des maris ou compagnons, le mode de scrutin majoritaire, la concurrence avec les hommes -les sortants, notamment- au moment des investitures, l'agressivité du milieu politique, l'attitude des partis et le manque de confiance en soi de beaucoup de femmes.
Elle a indiqué que son association avait formulé une série de propositions à l'occasion de la conférence des Nations Unies sur les femmes à Pékin : l'instauration d'une parité hommes-femmes en politique, la mise en place d'un quota temporaire de 30 % de femmes en rang éligible pour tous les scrutins de liste, la création d'incitations financières pour les partis politiques faisant de la place aux femmes, la limitation du cumul des mandats (au plus un mandat local et un mandat national), la présence de femmes dans les commissions d'investiture des partis politiques, l'augmentation du nombre de femmes dans les organigrammes des partis politiques et l'obligation de présenter un titulaire et un suppléant de sexe différent pour les élections législatives. Il lui a semblé important que des mesures soient prises pour que les femmes responsables et expérimentées puissent obtenir des mandats importants.
Mme Anne Heinis a souligné que le scrutin majoritaire n'était pas nécessairement défavorable aux femmes puisqu'on avait récemment observé une augmentation du nombre de femmes élues dans les conseils municipaux.
M. Philippe Richert, rapporteur, a jugé positive la présence accrue des femmes dans les conseils municipaux, même si l'attention était plutôt focalisée sur le Parlement, car ces conseils étaient devenus de véritables lieux de pouvoir où se traitaient beaucoup d'enjeux locaux. Il a souhaité avoir des précisions sur la limitation du cumul des mandats que préconisait l'association Femme Avenir.
Mme Martine Edé a indiqué que pour Femme Avenir, il fallait limiter le cumul des mandats à un mandat national et un mandat local, et, dans le cas des mandats municipaux, quelle que soit la taille de la commune. Elle a estimé que l'augmentation du nombre de femmes dans les conseils municipaux était très importante car il s'agissait d'un bon point de départ pour une carrière politique.
Mme Joëlle Dusseau a remarqué que le combat des femmes pour accéder aux conseils municipaux avait été long, mais que très peu d'élues devenaient adjointes et a fortiori maires. Elle a également souligné la difficulté des femmes à acquérir d'autres mandats, conseiller général ou sénateur, notamment. Aussi a-t- elle considéré comme important que des modifications soient faites à tous les niveaux du système politique. Enfin, elle a exprimé son souhait que les positions de Femme Avenir soient prises en compte par le parti dont cette association était proche.
Mme Martine Edé a rappelé que 60 % des adhérentes de Femme Avenir n'appartenaient à aucun parti politique, mais qu'elle-même, plus proche de la majorité actuelle, était optimiste sur l'évolution de la question des femmes en politique.
Mme Joëlle Dusseau a réaffirmé l'importance pour les femmes de pouvoir devenir directement maire, conseiller général ou parlementaire, comme c'était le cas pour les hommes.
M. Philippe Richert, rapporteur, est convenu que le passage préalable par un conseil municipal était le cheminement le plus courant pour parvenir à d'autres responsabilités, mais que pour les femmes il fallait peut-être prendre des mesures pour accélérer les évolutions.
Mme Anne Heinis a enfin souligné qu'il était plus important de créer un vivier de femmes aptes à s'engager dans la vie politique que de d'organiser une progression obligée vers la parité.
Mercredi 29 janvier 1997 (seconde séance) Présidence Jean-Louis Lorrain, vice-président
Mme Ernestine Ronai, secrétaire nationale de l'UFF-Femmes solidaires
Constatant que les femmes n'étaient quasiment pas représentées dans les lieux de décision, Mme Ernestine Ronai a déclaré que son association, forte d'environ 35.000 femmes d'origines très diverses, était très favorable à l'objectif de la parité.
Elle a observé que la vie des femmes avait beaucoup évolué parallèlement aux transformations de la société, sans pour autant qu'elles trouvent leur juste place dans la sphère politique, puisqu'elles ne représentaient que 5 % des députés. Elle a insisté sur le déficit démocratique entraîné par la domination masculine et la forte réticence à la parité, la vie démocratique devant reposer sur l'ensemble des citoyens, quels que soient leur sexe et leur origine sociale. Aussi a-t-elle souhaité que soient prises des mesures volontaristes
Elle a toutefois observé que de nombreux obstacles empêchaient les femmes de s'engager dans la vie politique, notamment parce qu'elles refusaient d'accepter le modèle masculin dominant, alors que leur participation enrichirait la' vie politique et constituerait une chance pour la société.
Elle a souligné que ces aspirations à l'égalité s'exprimaient aujourd'hui dans un contexte de crise où les femmes voyaient certains de leurs acquis remis en cause et étaient souvent réduites à des emplois précaires ou contraintes au temps partiel. Elle s'est alors interrogée sur la possibilité de s'engager dans la vie politique dans un tel contexte d'exclusion économique. Elle a également évoqué la montée des intégrismes menaçant les droits des femmes.
Elle a indiqué que son association était acquise à toute mesure favorable à la parité, sans a priori, et qu'elle approuvait en particulier les propositions de l'Observatoire de la Parité. Elle a insisté sur la nécessité de réformer le statut de l'élu et de renouveler la classe politique, en limitant le cumul des mandats et en instaurant un scrutin de liste assurant l'alternance entre les candidats hommes et femmes, de telle sorte que les élus représentent une plus grande diversité des expériences. Elle s'est également prononcée pour une révision de la Constitution et pour la tenue d'un référendum sur la parité.
Mme Ernestine Ronai a également tenu à souligner l'importance de la participation des femmes à la vie associative, constatant que les avancées en leur faveur depuis la Libération étaient essentiellement dues aux associations, à qui on devait notamment l'inscription dans la Constitution du principe d'égalité entre hommes et femmes.
Elle a estimé que les associations favorisaient la prise de conscience des femmes en faveur d'une nouvelle citoyenneté, leur redonnaient confiance et permettaient de lutter efficacement contre de nombreux abus dont les femmes étaient victimes (harcèlement sexuel, violence, discrimination...).
Elle a jugé paradoxal que le rôle des associations de femmes soit reconnu au moment même où le Gouvernement réduisait drastiquement leurs subventions. Aussi a-t-elle souhaité le soutien et une intervention des sénateurs pour que l'on accorde aux associations des moyens en rapport avec les services qu'elles rendaient, et préconisé la mise en place d'un statut de responsable associatif, à l'instar du statut de l'élu, afin notamment de permettre aux femmes d'assister aux réunions.
En conclusion, Mme Ernestine Ronai a considéré que la parité allait dans le sens d'une société plus démocratique, plus juste et non sexiste.
En réponse à M. Philippe Richert, rapporteur, qui regrettait que ces propositions se limitent essentiellement au domaine politique, Mme Ernestine Ronai a rappelé que cette question était particulièrement d'actualité puisqu'un débat sur la parité devait avoir lieu en mars devant l'Assemblée nationale. Elle a toutefois fait état d'autres propositions :
- revaloriser les bas salaires, ce type d'emploi étant le plus souvent occupé par des femmes, ainsi que ceux des professions très féminisées ;
- mettre fin à la progression du temps partiel, ces emplois étant occupés à 85 % par des femmes, en supprimant les exonérations de charges sociales dont il bénéficie ;
- améliorer la loi tendant à lutter contre les discriminations ;
- lutter contre les discriminations à l'embauche qui, souvent, se heurtaient à un problème de preuve ;
- réfléchir au handicap lié à la maternité ;
- organiser un accueil des femmes victimes de ces discriminations.
Mme Monique Ben Guiga a déclaré partager les analyses de l'orateur concernant le refus des femmes d'accepter de participer aux luttes individuelles pour le pouvoir et les honneurs, et a rappelé que celles-ci privilégiaient la recherche d'une vie harmonieuse. Elle a estimé que l'arrivée des femmes renouvellerait la classe politique et en changerait les valeurs, ce qui entraînerait un changement de notre conception de la démocratie. Elle a insisté à ce propos sur le discrédit dont souffrait le monde politique, qui expliquait notamment le succès de l'extrême droite. Elle s'est également associée aux inquiétudes de l'orateur sur la fragilisation des statuts salariaux.
Mme Michelle Demessine a décelé dans les différentes auditions un certain consensus sur une plus grande limitation du cumul des mandats et sur la nécessité d'instituer un statut de l'élu. Elle a rappelé que son groupe avait présenté à ce sujet une proposition de loi, qui mériterait d'ailleurs d'être complétée.
En réponse, Mme Ernestine Ronai a rappelé qu'un statut existait déjà, comportant notamment une formation des élus sur leur temps de travail, l'octroi de crédits d'heures pour participer aux réunions, une indemnisation, et l'organisation du retour dans l'entreprise en fin de mandat, mais que ce statut n'était guère appliqué.
Mme Roselyne Suret, présidente de « Femmes Libertés »
Après avoir salué l'initiative du Sénat, Mme Roselyne Suret a indiqué qu'elle était responsable d'une association politique de femmes créée il y a 15 ans, proche de la majorité mais indépendante des partis politiques, ayant pour objectif d'impliquer les femmes dans la vie politique, de les former et de les soutenir lorsqu'elles se portaient candidates à une élection.
Constatant que les femmes étaient trop absentes du débat politique, elle a indiqué qu'une France démocratique ne pouvait se reconnaître dans des élus qui ne la représentaient qu'imparfaitement, d'où l'action de son association pour que des femmes compétentes et disponibles soient en mesure d'apporter un sang neuf dans la vie politique, ce qui permettrait de revaloriser cette fonction, mal perçue par l'opinion publique. Elle a indiqué en outre que cela romprait l'uniformité actuelle de la classe politique, formée dans les mêmes écoles et ayant suivi des parcours identiques, ce qui expliquait son conformisme.
Abordant la question des moyens, elle a déclaré que son association n'était pas favorable aux quotas qu'elle considérait comme une source d'exclusion, ni à la modification de la Constitution, car la procédure ne pourrait aboutir avant les prochaines élections. Elle a alors indiqué que l'un des moyens les plus immédiats consisterait à instituer la parité au sein des comités d'investitures des partis politiques.
Elle a également souhaité que soit revue la question du cumul des mandats, ce qui permettrait de laisser une place plus importante aux femmes et que les places en politique ne soient plus accordées « pour la vie », afin de ne pas figer la représentation nationale.
- Elle a constaté, aussi, que les femmes qui souhaitaient remplir un mandat politique provenaient, le plus souvent, de la vie associative.
- Elle a observé que les femmes occupaient aujourd'hui des fonctions importantes dans la société civile, citant une astronaute, une exploratrice, des responsables syndicales, etc. et a conclu son propos en rappelant « qu'un pays où les femmes étaient absentes du pouvoir politique était un pays privé de bonheur ».
- En réponse à M. Jean-Louis Lorrain, président, Mme Roselyne Suret a rappelé que les femmes, ayant à conduire parallèlement plusieurs vies, ne disposaient plus du temps nécessaire pour participer à la vie politique. Elle a donc jugé nécessaire de leur proposer des horaires davantage compatibles avec leurs obligations. Elle a également remarqué que la vie politique, contrairement à la vie professionnelle ou à la vie familiale, n'était pas considérée comme un facteur positif pour le foyer et qu'il fallait rechercher le moyen de permettre aux femmes de participer à la vie politique sans qu'elles aient le sentiment d'abandonner leurs enfants.
En réponse à M. Philippe Richert, rapporteur, Mme Roselyne Suret a reconnu, en citant plusieurs personnalités célèbres, que les femmes n'étaient nullement absentes de la vie politique. Elle a toutefois considéré que leur nombre n'était pas suffisant pour enclencher une véritable dynamique, même si leur présence pouvait contribuer à améliorer la situation.
M. André Boyer a observé que la limitation du cumul des mandats demanderait beaucoup de volonté. Il s'est interrogé sur la proportion des femmes à l'intérieur des appareils des partis, ce qui conditionnait leur place au sein des comités d'investiture.
Mme Janine Bardou s'est déclarée favorable à l'idée d'instaurer une certaine parité au sein des comités d'investiture. Elle a rappelé qu'une fois nommée sénateur, elle avait abandonné son mandat de président de conseil général. Elle a également indiqué qu'ayant souvent sollicité des femmes pour exercer des mandats, elle avait constaté un certain manque d'intérêt de leur part d'où l'importance de leur donner l'envie de s'impliquer. Elle a constaté que les femmes étaient souvent confinées, au sein des partis politiques, « à remplir des adresses et à cacheter des enveloppes », tâches ne débouchant que rarement sur une investiture...
Mme Monique Ben Guiga a jugé contradictoire de vouloir interdire le cumul des mandats mais d'être défavorable à l'institution de quotas et à la tenue d'un référendum. Elle a jugé indispensable de faire bouger les choses et d'employer des moyens radicaux car, jamais, les élus hommes n'accepteraient volontairement de céder leur place.
Mme Roselyne Suret a déclaré ne pas être défavorable par principe à la tenue d'un référendum, mais elle a observé qu'une réforme constitutionnelle ne pourrait aboutir avant les prochaines élections, alors qu'en revanche la parité des comités d'investitures pourrait être décidée dans les mois à venir. Elle s'est déclarée défavorable à toute position systématique ou radicale qui n'aurait pas les effets escomptés.
M. André Boyer a abonde dans ce sens en remarquant qu'une réforme constitutionnelle repousserait de cinq ou six ans l'entrée des femmes en politique, car d'ici là peu d'élus renonceraient spontanément à leur mandat pour leur laisser une place.
Mme Joncour-Chapuis, présidente de l'Association française des femmes et Mme Catherine Dumas, responsable de la commission parité de l'Association française des femmes
Après avoir indiqué que son association était récente, Mme Joncour-Chapuis a précisé que son objet était de formuler des recommandations et de définir des lignes d'actions en faveur de la place des femmes dans la vie publique.
Elle a tout d'abord rappelé l'évolution du statut de la femme au cours des cent dernières années, parallèlement à l'augmentation de la richesse nationale. Elle a souligné que le monde du travail allait connaître de nouveaux bouleversements. Aussi a-t-elle considéré que le travail marchand allait perdre de son importance en temps, d'autres activités prenant le relais, et que la société ne pouvait plus se satisfaire des solutions anciennes, la « vie citoyenne » devenant une tâche fondamentale pour tous.
Elle a rappelé que les femmes étaient maintenant entrées dans la vie active où elles occupaient des fonctions importantes, qu'elles s'intéressaient à la politique et participaient largement au monde associatif, alors que leurs places restaient très réduites au plus haut niveau de la hiérarchie politique et sans doute également dans le monde de l'entreprise. Constatant que la place des femmes ne correspondait pas à leur potentiel, elle a souhaité une accélération du processus de leur intégration à la vie publique.
Après avoir rappelé qu'elle-même avait exercé des responsabilités importantes dans le domaine privé, elle a constaté que, dans le secteur économique, la parité n'existait pas. Elle a donc proposé l'institution d'une sorte de conseil de surveillance intervenant à l'occasion des nominations dans les conseils d'administration des grandes entreprises.
D'une façon générale, elle a souhaité que soit mis un frein au développement du temps partiel, notamment en supprimant les incitations gouvernementales, lui préférant la réduction globale du temps de travail, jugeant que la reprise économique serait insuffisante pour résorber le chômage. Elle a néanmoins ajouté que cette reforme devait se faire sans obérer la compétitivité des entreprises.
À propos de ta parité en politique, elle a déclaré partager les recommandations de l'Observatoire de la parité et a souhaité que soit organisée une surveillance des commissions d'investitures, éventuellement confiée à l'Observatoire. Elle a indiqué que si ces recommandations n'étaient pas suivies d'effets, son association, en accord avec d'autres associations, présenterait des listes concurrentes.
Elle a rappelé que l'absence des femmes et l'homogénéité des cursus entraînait un appauvrissement des secteurs politiques et économiques et risquait de provoquer une rupture au sein de la nation, alors même que celle-ci recelait des richesses insuffisamment exploitées en la personne des femmes et des jeunes générations.
Mme Catherine Dumas, après avoir rappelé qu'elle exerçait des fonctions politiques d'élue locale depuis vingt ans, s'est déclarée en faveur d'actions fortes : une réforme de la Constitution, l'édiction de sanctions financières pour les partis qui n'appliqueraient pas la parité et la présentation de listes paritaires indépendantes contre celles des partis politiques qui n'auraient pas institué cette parité.
Elle s'est également prononcée en faveur de l'institution d'un conseil de surveillance de la parité qui pourrait s'inspirer du conseil supérieur l'audiovisuel.
Enfin, constatant, par exemple, que les conseils municipaux d'enfants s'organisaient spontanément de manière paritaire, elle s'est déclarée optimiste pour l'avenir.
M. André Boyer s'est félicité de ce volontarisme susceptible de faire bouger les choses et qui éviterait, selon le mot de Pascal, « d'avoir à changer ses rêves ».
En réponse à Mme Monique Ben Guiga, Mme Joncour-Chapuis, après avoir souligné le pluralisme politique de règle dans son association, a indique que des accords entre associations pour présenter des listes alternatives étaient en préparation. Elle s'est déclarée convaincue que les partis politiques confrontés à ce risque réfléchiraient sûrement avant de refuser la parité, et a observé que les associations agissaient de façon concertée, sans être influencées par les partis politiques.
M. Philippe Richert, rapporteur, a souligné la difficulté d'obtenir un consensus susceptible de favoriser la tenue d'un référendum dans un délai aussi bref.
M. André Boyer a remarqué que l'opinion publique ne comprendrait pas la tergiversation de la classe politique actuelle.
M. Jean-Louis Lorrain, président , regrettant que l'on évoque trop systématiquement le discrédit de la classe politique, a souligné qu'une précipitation excessive risquait d'être préjudiciable à la réforme proposée.
Mme Catherine Dumas a déclaré que les associations veilleraient à ce que le débat ne change pas de nature.
Mme Monique Ben Guiga a considéré que l'opinion publique reprochait aux élus d'être très éloignés des soucis de la population, soulignant que l'absence des femmes y contribuait. Elle a estimé qu'un mandat trop long coupait l'élu des réalités et a cité, à cet égard, l'exemple du Costa Rica où les élus ne peuvent accomplir deux mandats consécutifs.
Mardi 4 février 1997 - Présidence de M. Jean-Louis Lorrain, vice-président.
Mme Michèle Beuzelin, membre de la commission « Affaires sociales » de l'Association des présidents de conseils généraux (APCG) et M. Jean-Jacques Weber, vice-président de l'APCG.
Mme Michèle Beuzelin, précisant qu'elle s'exprimerait d'abord au nom de l'APCG avant d'ajouter quelques observations personnelles, a déclaré qu'aux yeux de l'APCG, le plus important dans le débat sur la place des femmes dans la vie publique était le droit des femmes à prendre la parole et à être entendues pour leur valeur et pour leurs compétences. Rappelant que pour obtenir un droit, il importait d'abord de le réclamer, elle a observé que la prise de parole -acte politique par essence- avait toujours été la première arme dans la lutte contre les inégalités.
Tout en estimant que la France était une démocratie inachevée et devait tendre vers une juste mixité, elle a souligné le paradoxe entre, d'un côté, la participation croissante des femmes à la vie professionnelle et l'augmentation de leur niveau de qualification, de l'autre leur sous-représentation manifeste dans les postes de décision. À ce propos, elle a rappelé qu'aucune des 200 plus grandes entreprises françaises n'était dirigée par une femme. Remarquant que la fonction publique offrait aux femmes des conditions plus propices, elle a néanmoins constaté que la proportion de femmes diminuait au fur et à mesure que l'on s'élevait dans la hiérarchie. Elle a fait notamment observer que le secteur de la santé était composé de 76 % de femmes, mais avec 86 % d'infirmières contre seulement 20 % de médecins généralistes ; que dans le secteur de l'éducation, elles représentaient 65 % des enseignants de l'école primaire mais seulement 10 % des professeurs d'université.
Elle a ensuite souligné qu'en matière de participation à la vie politique, la France se situait, toutes élections confondues, au 65e rang mondial et au dernier rang européen, avec par exemple 7,6 % de femmes maires dont une seule dans une ville de plus de 100.000 habitants, ou 11,3 % de conseillers régionaux femmes et une seule région présidée par une femme. Elle a précisé que sur 4.216 conseillers généraux, on ne comptait que 214 femmes, soit 5,7 %, 12 conseils généraux ne comportant aucune femme et un seul étant préside par une femme.
Examinant les origines de la sous-représentation des femmes dans les - instances élues, Mme Michèle Beuzelin s'est déclarée convaincue que cette situation tenait avant tout à un manque de confiance des hommes envers les femmes mais également des femmes en elles-mêmes. Elle a ensuite avancé cinq facteurs d'explication :
- le caractère tardif de la participation des femmes aux élections ;
- le rôle contradictoire de l'État providence en France, qui avait apporté un soutien financier significatif aux familles, dispensant les femmes, dans certains milieux, d'un investissement hors du foyer tout en valorisant leur rôle. Mais elle a également jugé que l'État providence avait, dans le même temps, permis à d'autres femmes de se libérer de certaines charges familiales en les confiant à d'autres, ce qui leur permettait de s'investir dans la vie professionnelle ou associative. Elle a, à cet égard, noté l'aspiration croissante des femmes, mais également des hommes, à un nouveau partage du travail dans le monde professionnel comme dans les charges familiales, facteur de nature à encourager la participation des femmes à des activités publiques ;
- une conception féminine souvent négative du pouvoir, considéré comme « une idée mal polie » incompatible avec la féminité ;
- les structures institutionnelles et notamment le mode de désignation des candidats par les partis, défavorable aux femmes.
S'exprimant ensuite à titre personnel, Mme Michèle Beuzelin a évoqué son parcours politique d'élue municipale et de conseiller général. Après avoir indiqué qu'elle avait bénéficié pendant toute sa carrière du soutien de son mari, d'une part, de celui de Jean Royer, maire de Tours, qui l'avait fait entrer au conseil municipal, d'autre part, elle s'est déclarée convaincue que pour beaucoup de femmes, l'engagement politique avait dû être autrement plus difficile.
M. Jean-Louis Lorrain, président , a remercié Mme Michèle Beuzelin dont l'intervention lui a paru empreinte de beaucoup de sérénité.
Appelée par M. Philippe Richert, rapporteur, à apporter des précisions sur les notions de démocratie inachevée et de juste mixité, puis à commenter les différentes propositions formulées récemment par l'observatoire de la parité, Mme Michèle Beuzelin a estimé qu'il importait avant tout que la volonté d'une plus juste mixité de la vie politique devienne une cause nationale soutenue tant par les élus que par les citoyens. Initialement réticente à des mesures d'incitation financière pouvant donner l'impression qu'il faudrait payer les partis pour qu'ils acceptent des femmes, elle a indiqué que dans le contexte actuel, elle s'était laissée convaincre que des mesures contraignantes pourraient se justifier à titre provisoire, pendant une dizaine d'années, tout en soulignant que cette position ne reflétait pas celle de l'APCG. Elle a par ailleurs fait valoir qu'une plus grande participation des femmes à la vie politique était de nature à réduire la distance qui séparait aujourd'hui les Français de la classe politique car elles bénéficiaient collectivement d'une image positive.
Mme Michelle Demessine est convenue que les incitations financières pouvaient avoir une connotation péjorative mais qu'au fond, ces subventions étant prélevées sur des fonds publics alimentés par l'impôt auquel les femmes contribuaient au même titre que les hommes, elle en acceptait le principe. Elle a, par ailleurs, souhaité savoir si l'APCG avait mené une réflexion sur la sous-représentation féminine dans les conseils généraux, étape encore très fermée aux femmes mais pourtant stratégique dans une carrière politique.
Mme Michèle Beuzelin a reconnu que le mandat de conseiller général était particulièrement difficile pour les femmes, aussi bien dans les cantons ruraux dominés par des hommes qu'en milieu urbain, où il était presque impensable de briguer un siège sans avoir au préalable exercé un mandat municipal. Après avoir indiqué qu'à titre personnel, elle estimait qu'une limitation de cumul des mandats pourrait favoriser l'accès des femmes dans les instances élues, elle a indiqué que l'APCG n'avait pas à sa connaissance engagé de réflexion sur ce thème, mais qu'elle entendait bien proposer au président Jean Puech l'organisation d'un débat lors des prochaines assises de l'APCG. Elle s'est par ailleurs déclarée sceptique sur la formule du « tandem » homme-femme pour les élections au scrutin majoritaire, craignant que les femmes soient systématiquement confinées au poste de suppléant. Elle a d'ailleurs observé que cette formule n'était même pas envisageable pour le mandat de conseiller général, mandat solitaire entre tous puisque les candidats s'y présentaient sans suppléant ni colistiers.
M. Jean-Louis Lorrain, président, a souhaité connaître le point de vue de M. Jean-Jacques Weber sur les raisons du décalage entre l'image très positive des femmes dans l'opinion publique et leur sous-représentation dans la vie politique.
Soucieux de dépasser le débat traditionnel sur la redistribution des postes entre hommes et femmes, M. Jean-Jacques Weber a répondu que le vrai problème n'était pas de savoir s'il y avait un nombre suffisant de femmes élues mais de savoir si leurs préoccupations spécifiques étaient bien prises en compte Estimant que leurs responsabilités familiales dotaient les femmes d'une sensibilité particulière aux problèmes de la famille, de l'enfance, du logement et aux rythmes de vie, il a jugé avant tout important que le système politique permette de traduire ces préoccupations.
Il a par ailleurs considéré que la situation actuelle n'était pas propre à la France, citant comme exemple le Comité des régions d'Europe avec seulement 20 femmes sur 222 membres. Il a estime que les quotas pouvaient apparaître très méprisants pour les femmes, ajoutant qu'à ses yeux, le vrai débat devait se situer avant tout dans les partis politiques. Il a enfin considéré qu'une évolution des mentalités, notamment sur le plan de l'éducation des jeunes garçons, représentait un préalable à une meilleure participation des femmes à la vie politique. Jugeant que les femmes, par nature, étaient « porteuses de paix et d'équilibre, d'un esprit sain et organisé », il a souhaité qu'elles soient plus présentes dans la vie politique tout en concédant qu'il ne connaissait pas de solution pour atteindre cet objectif.
M. Philippe Richert, rapporteur, a observé que par-delà l'indéniable consensus sur la nécessité d'une meilleure participation des femmes à la vie politique française, deux questions subsistaient : faut-il s'en remettre à l'évolution naturelle de la société ou au contraire accélérer le mouvement vers un équilibre plus juste et, dans le second cas, quels sont les moyens pertinents pour y parvenir ?
Évoquant d'éventuelles modifications du code électoral, M. Jean-Jacques Weber a considéré qu'une limitation plus stricte du cumul des mandats pourrait être envisagée tout en indiquant que cette pratique était entièrement liée au centralisme administratif dont souffrait la France. Mme Michelle Demessine a fait valoir que la solution passait inévitablement par les partis politiques, dont le rôle déterminant en matière d'investiture était à l'origine de la sous-représentation des femmes. Elle a, par ailleurs, jugé peu vraisemblable que les progrès de la décentralisation puissent conduire à réduire le cumul des mandats.
M. Jean-Louis Lorrain, président, est convenu que l'éventail des solutions envisageables était limité. S'interrogeant, par ailleurs, sur l'attrait des femmes pour le pouvoir, il a observé qu'elles en ressentaient peut-être plus que les hommes toutes les servitudes. Rappelant que l'expression générique « les femmes » était loin de recouvrir une catégorie homogène, il a souhaité que l'on prenne mieux en considération la diversité des origines sociales, géographiques ou intellectuelles des femmes. Après avoir lié la capacité de chacun, homme ou femme, à s'engager dans la vie politique à la possibilité de trouver dans son couple un appui et un réconfort, il a fait observer que dans les grandes villes, plus du tiers des femmes étaient des femmes seules, donc dépourvues de ce soutien.
Mme Michèle Beuzelin a estimé qu'en général les femmes, plus que les hommes, désiraient le pouvoir non pour en jouir mais « pour agir » et pour trouver des solutions concrètes aux difficultés. Elle a toutefois reconnu que la conception des femmes quant à leur carrière était aussi diverse que celle des hommes, certaines femmes ayant ainsi des « carrières d'hommes ». Réfutant que les femmes seules soient plus démunies que d'autres pour entreprendre des carrières politiques, elle a néanmoins considéré, elle aussi, que le couple pouvait compenser la solitude de la vie politique, dominée par une incessante compétition.
Mercredi 5 février 1997 - Présidence de Mme Nelly Olin, président.
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi, chargé par délégation du ministre du travail et des affaires sociales des questions relatives aux droits des femmes
Après s'être félicitée de la création de la mission commune d'information, qui allait dans le sens des préoccupations du Gouvernement et faveur d'un plus large accès des femmes à la vie politique, Mme Anne-Marie Couderc a souligné que les discriminations dont souffraient les femmes concernaient non seulement la sphère politique mais également l'ensemble de la sphère sociale et professionnelle. Elle a fait valoir que dans de nombreux domaines il fallait passer d'une égalité de droit à une égalité de fait, soulignant que cela ne pouvait se faire que sur la base d'un vrai partenariat homme-femme pour l'égalité, dans le respect des différences de chacun.
À cet égard, elle a observé, comme l'avait fait la délégation française à la conférence de Pékin, que d'un côté s'exprimait la crainte que l'égalité des sexes ne conduise à une société asexuée où les femmes aligneraient leur comportement et leur mode de vie sur celui des hommes mais, que de l'autre, l'idée d'une spécificité sexuelle souvent associée à la reconduction de schémas inégalitaires était combattue. Elle a estimé qu'il s'agissait là d'un faux débat, le fait que les femmes et les hommes disposent de droits identiques n'ayant pas pour effet de les rendre eux-mêmes identiques. Appelant de ses voeux une présence équilibrée des femmes et des hommes dans la prise de décision politique, Mme Anne-Marie Couderc a indiqué qu'il s'agissait aussi bien d'une question d'égalité que de la recherche d'une nouvelle organisation de la société, où hommes et femmes pourraient mettre en oeuvre toutes leurs capacités.
Abordant les diverses pistes d'explication de la sous-représentation des femmes, elle a tout d'abord évoqué le conservatisme du pouvoir qui, plutôt qu'une volonté délibérée de discrimination sexiste, s'expliquerait pour une large part par la prééminence des hommes sur les secteurs du pouvoir. Elle a, à cet égard, estimé que notre organisation politique conduisait, à travers la pratique du cumul des mandats ou la tradition de la « prime au sortant », à freiner les évolutions. Aussi a-t-elle indiqué que ménager un accès plus large aux femmes, comme d'ailleurs aux jeunes générations, permettrait, dans la situation actuelle, un renouvellement important de la classe politique.
Mme Anne-Marie Couderc a ensuite fait observer que les modes actuels d'accès et d'exercice du pouvoir et notamment l'organisation du temps dans la vie politique -les réunion tardives, les repas prolongés- s'avéraient, dans la pratique, particulièrement discriminants pour les femmes, en particulier pour celles qui supportaient parallèlement le poids de charges familiales.
Évoquant alors la conception qu'avaient les femmes de la vie politique, Mme Anne-Marie Couderc a indiqué que si les femmes évitaient parfois l'exercice du pouvoir, c'était tant par « auto-exclusion » qu'en raison d'une conception différente de leurs priorités. Elle a estimé, en outre, que la défiance des femmes à l'égard des idéologies, de pratiques politiques très largement fondées sur la parole et le discours, entrait sans doute pour une part importante dans la distance qu'elles entretenaient par rapport au pouvoir et expliquait en partie que les femmes soient moins présentes au stade du militantisme que les hommes. Elle a précisé, à cet égard, que les femmes représentaient moins de 25 % des effectifs de militants dans les partis politiques et moins de 30 % des adhérents syndicaux, le taux de syndicalisation des femmes en France étant près de moitié moindre de celui des hommes : 7 % contre 13 %.
Le ministre a également évoqué certains facteurs propres à la sphère politique comme l'accession tardive des femmes à l'égalité civique et civile, expliquant au moins en partie la lenteur de leur progression dans les instances de décision politique. Elle a fait observer que les comparaisons internationales montraient une certaine corrélation entre la proportion de femmes élues et la date à laquelle elles avaient obtenu le droit de vote, citant à titre d'exemple la Finlande où le droit de vote des femmes datait de 1906 et qui comptait aujourd'hui 38 % de femmes parlementaires.
Abordant les modalités pour parvenir à l'équilibre homme-femme dans la vie publique, elle a souhaité tout d'abord que soient prises en compte dans toutes les politiques générales et sectorielles, nationales et locales, l'intérêt des femmes, leurs préoccupations et les retombées les concernant. Après avoir soutenu la nécessité de faire évoluer les mentalités par une action politique volontariste, elle a considéré que la place des femmes dans la vie publique dépendrait en fin de compte de leur place dans la vie sociale et, notamment, dans les lieux de décision au sein des administrations, des entreprises et des syndicats.
Mme Anne-Marie Couderc a, à cet égard, indiqué qu'elle avait réuni le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, composé des administrations, des partenaires sociaux et d'experts afin que des mesures soient prises en ce sens, précisant que trois thèmes avaient été retenus : la situation comparée des hommes et des femmes en matière de rémunération, la diversification du temps de travail, les actions pour l'égalité professionnelle dans les branches, les entreprises et les établissements.
Elle a également souligné la nécessité d'être particulièrement attentif à la place des femmes lors des nominations aux emplois à la discrétion du Gouvernement et lors de la création de conseils, commissions, organes consultatifs ou groupes de travail. À ce propos, elle a indiqué que la part des femmes dans les emplois laissés à la décision du Gouvernement s'était légèrement accrue -4,2 % à 5,1 % en 1995- mais demeurait très faible. Citant la nomination d'une femme préfet de région, d'une femme secrétaire générale de la défense nationale ainsi que de plusieurs ambassadrices, elle a estimé que la situation s'améliorait, mais qu'elle avait néanmoins tenu à adresser à l'ensemble de ses collègues du Gouvernement un courrier appelant leur attention sur la faible représentation des femmes dans la haute fonction publique. Mme Anne-Marie Couderc a souhaité que cette politique soit d'autant plus suivie qu'il existerait une forte corrélation entre l'accession de femmes aux fonctions publiques et le nombre de femmes élues, comme le démontraient des études effectuées dans plusieurs pays européens.
Mme Anne-Marie Couderc a ensuite rappelé qu'au début de l'année 1979, Mme Monique Pelletier, ministre délégué à la famille et à la condition féminine, avait proposé d'instituer un quota de 20 % des femmes dans les élections municipales pour les villes de plus de 2.500 habitants et que le Gouvernement de M. Raymond Barre avait déposé un projet de loi instaurant la mixité des listes -avec un minimum d'une représentation de 20 % de chaque sexe-qui avait été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale par 439 voix contre 3, avant que la campagne présidentielle de 1981 n'interrompe la procédure parlementaire ; puis que Mme Gisèle Halimi avait déposé un amendement instaurant un quota de sièges pour l'un ou l'autre des deux sexes, censuré par le Conseil constitutionnel au motif qu'il méconnaissait trois principes constitutionnels, la liberté de l'électeur, l'égalité entre les candidats et la liberté de candidature.
Concluant de cet historique que le sujet ne pouvait être traité sans un débat approfondi sur ses incidences juridiques et politiques, elle a déclaré que le Gouvernement avait pour ces raisons, sous l'impulsion du Président de la République, retenu une méthode de travail destinée à garantir la pertinence des options retenues.
Après avoir retracé les conditions de la création de l'Observatoire de la parité, Mme Anne-Marie Couderc a indiqué que son rapport, remis le 15 janvier dernier au Premier ministre, préconisait un éventail de propositions actuellement expertisées au niveau interministériel. Soulignant qu'il s'agissait du premier rapport officiel, elle a indiqué que le Premier ministre avait souhaité que les propositions de l'Observatoire puissent être examinées par les assemblées. Ella a précisé que le président de l'Assemblée nationale avait été saisi au vu de l'organisation d'un débat et qu'elle-même devait rencontrer prochainement le président Monory pour connaître son point de vue.
Sur le contenu du rapport, elle a indiqué que le Premier ministre partageait le constat dressé par l'Observatoire et dénonçait le retard français dans l'admission des femmes au sein de la sphère politique. Distinguant parmi les propositions du rapport les mesures d'accompagnement des mesures volontaristes (législatives ou constitutionnelles), elle a fait observer que pour les constitutionnalistes entendus par l'Observatoire, l'instauration de la parité ou de quotas devait nécessairement passer par une révision constitutionnelle. Notant que les professeurs Carcassonne et Demichel y étaient très favorables, les Doyens Vedel et Favoreu opposés de même que le Professeur Duhamel qui suggérait cependant une période transitoire pour assurer l'égalité, avant un retour au droit commun, elle a précisé que la procédure considérée comme la meilleure dans une telle hypothèse passait par un référendum de l'article 11 de la Constitution pour peu qu'on admette, avec la majorité des constitutionnalistes, qu'il s'agissait effectivement de l'organisation de pouvoirs publics.
Mme Anne-Marie Couderc a cependant souhaité attirer l'attention sur la nécessité de ne pas remettre en cause un certain nombre de principes fondamentaux. Après avoir jugé qu'il ne serait pas raisonnable d'imposer des obligations de faire aux partis ou de sanctionner ou restreindre le choix des électeurs, elle a indiqué qu'il relevait de la responsabilité de chaque parti politique de faire une part plus importante aux femmes dans ses structures et à l'occasion des élections, même s'il faudrait peut-être prendre des mesures pour les y inciter, au moins à titre transitoire. Elle a, ensuite, estimé nécessaire de bien mesurer les risques de dérapages susceptibles de remettre en cause certaines valeurs républicaines comme la liberté du suffrage, la libre organisation des partis, l'unité et l'indivisibilité de la République et l'égalité des citoyens. Elle a souhaité que ces réformes s'accompagnent sur le terrain par l'information et la formation de nos concitoyens, jugeant que l'équilibre de la participation homme-femme dans la vie politique ne pouvait entrer plus largement dans les faits que si chaque homme, chaque femme se sentait concerné par « la vie de la cité » et retrouvait ainsi confiance dans la politique. Le ministre s'est déclaré persuadé qu'une pression de tous les instants, doublée des engagements des partis, ferait « sauter les verrous des archaïsmes et des conservatismes ». Croyant plus à une évolution qu'à une révolution dans ce domaine, elle a indiqué qu'elle misait beaucoup sur l'investissement des femmes dans la vie locale, point d'ancrage et lieu efficace d'expression, où le pragmatisme, le sens du terrain et de l'humain permettaient aux femmes de s'exprimer pleinement et sans doute mieux que d'autres, mais aussi dans les partis politiques, point de passage obligé vers les investitures.
Consciente d'avoir plus formulé des questions, exposé une méthode et précisé des limites, que proposé des solutions, Mme Anne-Marie Couderc a fait valoir qu'elle ne pouvait exprimer de préférences avant que ne s'engage le débat au Parlement. Elle a enfin jugé important qu'à une année d'échéances électorales, le Sénat puisse exprimer son point de vue et appuyer la démarche engagée par le Gouvernement.
Après avoir remercié Mme Anne-Marie Couderc pour son intervention, Mme Nelly Olin, président, a estimé que le ministre avait renforcé la conviction de la mission sur l'importance de ses travaux et l'avait rassurée sur la bonne articulation entre sa démarche et celle du Gouvernement.
M. Philippe Richert, rapporteur, a remercié Mme Anne-Marie Couderc, non seulement pour son intervention mais pour l'exemplarité de son engagement politique. Rappelant que le ministre lui avait confié une mission d'information sur l'image de la femme dans les manuels scolaires, il s'est déclaré convaincu que la recherche d'un juste équilibre entre hommes et femmes était un enjeu majeur tant pour le fonctionnement de la démocratie que pour le développement de la société. Il a souhaité que le Sénat soit partie prenante à la réforme qui pourrait s'engager à l'initiative du Gouvernement, dans le prolongement du rapport de l'Observatoire de la parité. Estimant que les solutions rapides et définitives étaient sans doute peu nombreuses, il a appelé à un débat le plus large possible afin de s'assurer que « le remède choisi ne soit pas pire que le mal ». Il s'est enfin interrogé sur les difficultés concrètes que poseraient des quotas obligatoires dans les scrutins uninominaux, rien ne pouvant interdire à un candidat de se présenter sans l'investiture d'un parti.
M. Alain Gournac a indiqué qu'il avait eu beaucoup de difficulté à présenter une liste municipale composée de 50 % de femmes, nombre de femmes qu'il avait sollicitées hésitant à s'engager dans la vie politique. Il a, par ailleurs, demandé au ministre sa position personnelle sur les quotas et les recommandations qu'elle souhaitait faire à la mission, ajoutant que le Président Jacques Chirac avait fait part de son souhait de recevoir la mission une fois ses travaux achevés.
Après avoir observé que la situation actuelle montrait que les femmes hésitaient parfois à voter pour des femmes, M. Bernard Joly a souhaité savoir si le ministre en tant que citoyen avait, dans l'absolu, une préférence pour les femmes candidates.
Relevant que depuis 1972, date de sa première élection, la place des femmes dans la vie politique, et notamment dans les conseils généraux, n'avait guère évolué, Mme Janine Bardou a constaté la réticence des femmes à s'engager dans la vie publique. Elle s'est demandée, à cet égard, s'il n'y avait pas un lien entre l'engagement croissant des femmes dans la vie professionnel et leur relatif désintérêt pour la vie politique. Revenant sur la proposition d'une limitation plus stricte du cumul des mandats ou du recours au scrutin proportionnel, elle a estimé que cela ne résoudrait pas la situation tant que les partis ne seraient pas décidés à présenter des femmes. Elle en a voulu pour exemple les législatives de 1986, où les femmes n'avaient pas été élues en plus grand nombre en dépit de la représentation proportionnelle. Aussi s'est-elle déclarée en faveur d'une composition à parité des comités d'investiture des partis politiques ainsi que d'un mécanisme d'incitation financière.
Elle a, enfin, observé que l'instauration d'une parité aurait pour inconvénient d'écarter l'investiture d'hommes qui pourraient, par ailleurs, avoir fait preuve de leur engagement et de leur efficacité. Elle a donc souligné que ce qui importait c'était d'aider les femmes à vouloir s'engager dans la politique.
Après s'être interrogé sur l'enrichissement que les femmes étaient susceptibles d'apporter à la politique, M. Jean-Louis Lorrain a souhaité savoir dans quelle mesure une plus grande participation des femmes à la vie politique pourrait réduire le fossé qui sépare aujourd'hui les Français de la classe politique.
Mme Nelly Olin, président, a indiqué qu'elle avait eu aussi beaucoup de mal à faire participer des femmes à sa liste municipale, soulignant qu'avant de prendre des mesures volontaristes, il fallait s'assurer que les femmes étaient prêtes à s'engager dans la vie politique, ce qui supposait également un engagement de leur famille.
Mme Anne-Marie Couderc est convenue que l'évolution de notre société passait par le développement de la participation des femmes dans tous les domaines, ce qui impliquait de modifier l'image de la femme véhiculée dès le plus jeune âge. Après avoir rappelé que le droit de vote ne constituait pas la seule conquête des femmes, mais que d'autres mesures tout à fait essentielles, tel le principe d'autonomie financière ou la possibilité du divorce par consentement mutuel, avaient favorisé une émancipation des femmes, elle a reconnu que la sphère politique était sans doute le domaine où les évolutions avaient été les plus lentes, soulignant qu'il était de notre devoir d'accélérer le processus en marche, et notamment de « débloquer les verrous » qui résidaient essentiellement dans les partis politiques.
Elle a ensuite indiqué, qu'à l'évidence, on ne votait pas pour quelqu'un en fonction de son sexe, mais pour son engagement envers des valeurs que l'on partage. Elle a, en outre, observé que si, en tant que ministre, elle n'avait pas l'impression d'agir très différemment d'un homme, elle pensait que les femmes, habituées à gérer des intérêts contradictoires, avaient, en général, un sens du dialogue, de l'ouverture, et du consensus plus marqué que les hommes.
Commentant les propositions avancées par l'Observatoire de la parité Mme Anne-Marie Couderc a souligné que l'introduction de quotas pourrait avoir des conséquences importantes sur des principes fondamentaux de la République tels que la souveraineté nationale, l'égalité des citoyens et l'indépendance de l'élu, qu'il convenait d'évaluer. Elle a également observé que la mise en oeuvre de quotas posait, en outre, des problèmes pratiques en ce qui concerne le choix du type d'élection, de scrutin, de mécanismes de surveillance voire de sanctions. Revenant sur le principe d'une incitation financière visant à faciliter l'accès des femmes à la vie politique, elle a indiqué que certains points mériteraient d'être précisés, mais que dans l'ensemble, une telle proposition, si elle n'était pas entièrement satisfaisante en raison de l'aspect péjoratif de « cette prime aux femmes », pouvait néanmoins présenter un certain intérêt.
Elle est alors convenue que les mesures d'accompagnement, telles que la limitation plus stricte des mandats, n'auraient pas d'effets immédiats, mais pourraient favoriser l'arrivée de nouveaux élus. Elle a, enfin, fait valoir qu'il importait, avant tout, de donner envie aux femmes de s'impliquer dans la vie politique et de faire prendre conscience à chacun des obstacles qui subsistent à un plus large accès des femmes à la vie politique. Dans cette perspective, elle a souhaité que la réflexion sur le statut des élus, et sur des congés électoraux soit poursuivie afin d'aider les femmes « à entrer en politique et à y rester ».
Mardi 18 février 1997 - Présidence de M. Jean-Louis Lorrain, vice-président
Mme Christine Chauvet, présidente de l'association des femmes chefs d'entreprise (AFCE)
Mme Christine Chauvet a tout d'abord précisé que l'AFCE avait été fondée en 1945 à l'instigation d'une femme devenue maître de forges, et qui avait ressenti les besoins d'information et de formation des femmes chefs d'entreprise.
Elle a précisé que l'association comportait 40 délégations en France, était membre associé du Conseil national du Patronat français (CNPF) et qu'elle était à l'origine de la création de 30 associations au statut similaire à l'étranger.
Elle a indiqué que l'association se fixait pour objectif d'accroître la présence des femmes dans les instances de décision économique, dont elles étaient trop souvent exclues, qu'il s'agisse des chambres de commerce, des tribunaux de commerce, des conseils de prud'hommes, des associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC), etc... Elle a constaté que les femmes n'occupaient que 5 % des 70.000 mandats patronaux au sein des différentes instances paritaires. Elle a estimé que dans ce domaine, comme dans la vie politique, le problème de la sous-représentation des femmes persistait.
Elle a illustré son propos de quelques chiffres, relevant que les femmes représentaient plus de 52 % de la population, 44 % des actifs, 26 % des chefs d'entreprise, 30 % des créateurs d'entreprise (contre 55 % aux États-Unis), 48,9 % des diplômés et 60 % des diplômes d'études supérieures, 41 % du corps médical, 45 % de la magistrature, 25 % des cadres d'entreprises mais seulement 5 % des cadres supérieurs, taux comparable à celui de la présence féminine dans les assemblées parlementaires. Mme Christine Chauvet en a conclu que les françaises n'exerçaient toujours pas les responsabilités auxquelles elles pouvaient prétendre dans la vie économique et sociale
Ella a rappelé que les femmes s'étaient pleinement exprimées dans le champ de liberté qui leur avait été ouvert entre 1900 et 1939 dans le domaine de la famille et de la gestion du patrimoine familial ; qu'elles avaient pris leur place naturelle dans le domaine économique et social, deuxième champ de liberté qui s'était ouvert à celle entre 1945 et 1995. Elle a souhaité que les femmes puissent dorénavant accéder aux « hiérarchies figées » dont elles restaient aujourd'hui exclues, dans la vie politique, au sein des grands corps et dans toutes les organisations où le pouvoir demeurait dévolu par cooptation ou nomination.
Elle a estimé que les femmes devaient accéder aux responsabilités inhérentes à la vie de la cité, et ceci pas uniquement en cas de guerre ou de cataclysme...
Après avoir relevé que pas une seule femme n'était à la tête de l'une des 200 premières entreprises françaises, Mme Christine Chauvet a indiqué que, face à ce blocage, les femmes choisissaient souvent de créer leur propre entreprise, d'où le taux élevé de ces créations par des femmes. Elle a jugé que ce blocage, spécifique à la France, venait du centralisme français, qui tendait à renforcer les hiérarchies.
Exposant les raisons sociologiques de l'accès aux femmes aux fonctions de chef d'entreprise, elle a rappelé que la seconde guerre mondiale avait fait accéder de nombreuses veuves à ces fonctions, le chômage des conjoints, les nombreux divorces et le bon niveau de formation des femmes expliquant aujourd'hui leur implication dans l'économie.
Elle a jugé dommageable que les femmes aient tendance, comme aux Etats-Unis, à se positionner comme une minorité porteuse de revendications, ce qui n'avait d'ailleurs pas donné de résultats probants, alors qu'elles devraient naturellement prendre leur place et ne pas attendre de soutien ou d'assistanat.
Par ailleurs, elle a regretté que les propos du ministre en charge du droit des femmes ne correspondent pas aux résultats des travaux de l'Observatoire de la parité. Elle a observé que les propositions formulées par cette instance étaient trop tardives pour pouvoir être mises en oeuvre avant les prochaines élections législatives ou régionales, mais qu'elles avaient le mérite de lancer le débat.
Les prochaines échéances électorales utiles se situant désormais en 2003, elle a déploré que la France franchisse le cap de l'an 2000 avec les mêmes statistiques qu'il y a 50 ans.
Elle a souhaité que s'instaure une vaste réflexion sur le sujet, non seulement au Parlement, mais également au sein des conseils régionaux, des conseils généraux, des grandes villes, ainsi qu'au plan européen.
Évoquant les différentes propositions avancées par l'Observatoire, Mme Christine Chauvet a indiqué que l'AFCE étant « plutôt allergique » aux quotas, privilégiant la compétence des femmes comme critère de sélection. Elle n'a pu cependant que constater l'échec de toutes leurs tentatives dans le domaine politique, admettant que les quotas pourraient avoir pour unique mérite de jouer un rôle de déclencheur et de levier, pour un temps limité, afin de combler le retard pris grâce à une « vague compensatoire ».
Elle a ensuite estimé qu'encourager les partis à choisir des candidates par le biais d'incitations financières revenait, en quelque sorte, à accorder plus de valeur à un député femme qu'à un député homme, jugeant cette solution constitutionnellement contestable mais sans l'écarter si elle était un moyen utile d'évolution. Elle a toutefois souligné que la condition de l'efficacité de toute mesure résidait dans son impact direct sur la vie des partis politiques.
Elle a, par ailleurs, remarqué que l'introduction d'une dose de proportionnelle pour une période temporaire interviendrait trop tard pour les prochaines échéances électorales, et que le problème de la participation des femmes lui paraissait susceptible de faire l'objet d'un référendum, à condition que la question soit correctement posée.
Elle a conclu que si, sur le plan des principes, elle restait opposée aux quotas, ces derniers étaient peut-être la seule solution efficace, à la condition d'être appliqués pour une période temporaire.
Soulignant la nécessité de prendre en compte l'existence des rapports de force dans la vie politique, elle a évoqué une dernière solution jamais sérieusement envisagée : la constitution de listes de femmes, en particulier pour les élections au scrutin proportionnel. Elle s'est déclarée convaincue que les partis politiques, à gauche comme à droite, tiendraient mieux compte des femmes s'ils se voyaient exposés au risque de perdre ne serait-ce que 5 % des voix au bénéfice de listes féminines.
À cet égard, elle a signalé que l'AFCE avait suscité la constitution d'une liste « Femmes d'Alsace », sur laquelle deux candidates avaient été élues. Elle a, par ailleurs, indiqué que les américaines chefs d'entreprise finançaient une association pour le soutien des femmes en politique, tous partis confondus, soulignant l'importance du combat collectif si les femmes voulaient réellement parvenir à quelque chose.
Elle a relevé que l'accès des femmes à l'Assemblée nationale tenait encore trop souvent à un certain népotisme ou à un accident (suppléance), en dehors du cas de quelques femmes issues de la technocratie.
Contestant ces seuls modes d'accès à la représentation nationale, Mme Christine Chauvet a souhaité que l'évolution soit plus naturelle et plus représentative de la réalité du pays.
Commentant les propos de Mme Christine Chauvet sur les quotas, M. Claude Estier, excluant le recours à une révision constitutionnelle, a estimé que c'était aux partis de faire preuve de volonté politique, en se fixant des quotas et en s'assurant de leur respect. Il a souligné les efforts accomplis en ce sens par le parti socialiste.
Excluant que la Constitution soit modifiée à cet effet, il a estimé qu'il appartiendrait aux partis de fixer un quota et surtout de s'assurer de leur respect. Il a fait observer que le parti socialiste avait réalisé beaucoup d'efforts dans ce sens.
Mme Christine Chauvet a craint à ce propos que les partis ne soient tentés d'inscrire les femmes en fin de liste ou de leur confier des circonscriptions perdues d'avance.
Répondant à une question de M. Philippe Richert, rapporteur, sur le cumul des mandats, Mme Christine Chauvet a souligné qu'il était d'ores et déjà limité et qu'un certain cumul permettait aux élus de rester au fait des réalités du terrain. En revanche, elle a jugé peu probable qu'un renforcement de l'interdiction des cumuls libère beaucoup de postes au profit des femmes par simple effet d' « appel d'air », notant que les mesures déjà prises dans ce sens n'avaient entraîné pratiquement aucune amélioration.
M. Jean-Louis Lorrain, président, a demandé si l'AFCE avait pris des initiatives de nature à favoriser l'accès aux mandats patronaux, dont le monde politique pourrait s'inspirer.
Mme Christine Chauvet a indiqué que l'AFCE, seule association active en la matière, préparait des candidates aux différentes élections professionnelles et veillait à ce qu'elles exercent activement leurs mandats.
Relevant que la vie politique était le miroir de la société, Mme Annick Bocandé a souligné que les femmes s'y trouvaient confrontées aux mêmes difficultés et combats que dans les entreprises ou les syndicats patronaux. Elle a partagé l'opinion de l'orateur, selon laquelle la reconnaissance des femmes s'obtiendrait grâce à leur compétence et à la condition que les partis leur accordent la place qui leur était due.
Mme Christine Chauvet a souligné qu'en cas de blocage dans le secteur économique, les femmes pouvaient toujours créer leur propre entreprise, mais que cette échappatoire n'existait pas dans le domaine politique, où elles étaient obligées de passer sous les fourches caudines des partis.
Elle a rappelé que les femmes représentaient 30 % des militantes dans les syndicats, 30 % dans les associations et 25 % dans les partis, mais qu'après quatre à cinq ans, faute de pouvoir accéder aux postes de responsabilités, elles préféraient se consacrer à d'autres centres d'intérêt.
Réagissant au propos de M. Jean-Louis Lorrain, président, qui soulignait le nombre de femmes maires dans le monde rural, elle a regretté qu'a contrario une seule femme soit maire d'une ville de plus de 100.000 habitants et seulement 35 femmes dans les villes de plus de 30.000 habitants.
Mme Christine Chauvet a déploré que les élues soient, le plus souvent, cantonnées au domaine social alors que citoyennes à part entière, elles devaient pouvoir intervenir dans tous les domaines.
Mme Andrée Heymonet, représentante de l'Association des présidents de conseils régionaux (APCR)
Mme Andrée Heymonet s'est d'abord réjouie que l'ensemble des groupes politiques du Sénat ait décidé de réfléchir à la place et au rôle des femmes dans la vie publique.
Elle a indiqué qu'après avoir exercé le métier d'infirmière et avoir occupé des responsabilités syndicales, elle était entrée dans la vie politique lors des municipales de 1971, qu'elle avait ensuite été élue conseiller régional en 1986 et que, dans ces deux enceintes, elle s'était en particulier occupée des affaires sociales puis des affaires relatives à la mer et au port de Toulon.
Mme Andrée Heymonet a exposé qu'en 1986, constatant le faible nombre de femmes dans les conseils régionaux, elle avait proposé au président de l'Association nationale des élus régionaux de regrouper les conseillères régionales françaises au sein d'une section particulière dont l'animation lui avait été confiée. Elle a insisté sur l'important travail de terrain effectué par cette section, notamment à l'occasion de nombreux déplacements en province.
Forte de cette riche expérience, Mme Andrée Heymonet a constaté que si les femmes étaient de mieux en mieux reconnues dans la vie économique et sociale, elles restaient encore largement à l'écart de la politique et du pouvoir.
Après avoir rappelé la faible proportion de femmes, tant au Parlement que dans les assemblées locales, elle a souligné que seulement trois régions françaises étaient présidées par une femme.
Citant alors Stendhal, pour qui « l'admission des femmes à la vie politique serait la marque la plus sûre de la civilisation », elle a observé que la France accusait un net retard en ce domaine.
Elle a estimé que si les femmes n'accédaient pas aux plus hautes sphères politiques ou demeuraient trop souvent confinées dans le secteur des affaires sociales, de la santé ou de la condition féminine, cela tenait à plusieurs causes, en particulier la difficulté pour les femmes d'entrer en politique avant l'âge de 40 ans, du fait qu'elles étaient alors obligées de « mener trois vies de front », professionnelle, familiale et publique, -sauf à considérer la politique comme un véritable métier et à augmenter en conséquence les indemnités versées aux élus- et les obstacles internes liés aux moeurs politiques.
À cet égard, elle a souligné qu'il était parfois aussi difficile pour une
femme que pour un homme de s'insérer dans une vie politique marquée par un certain conservatisme et où les places à pourvoir restaient rares, appelant de ses voeux un renouvellement de la classe politique par la jeunesse, la féminisation et la diversité.
En outre, elle a constaté que les femmes devaient encore souvent faire preuve de qualités et de compétences supérieures à celles des hommes pour briguer un mandat important.
Dans ce contexte, Mme Andrée Heymonet a estimé que la méthode des quotas, bien que non satisfaisante sur un plan théorique, et qui lui avait tout d'abord paru inadaptée et paradoxale, lui semblait, après mûre réflexion, un « passage obligé » pour « lancer la machine et faire évoluer le comportement des dirigeants des partis politiques ».
Elle a rejeté les objections habituelles au système des quotas, en particulier le prétendu risque d'extension à d'autres minorités -les minorités représentant 50 % de la population étant « assez rares... »- ou encore l'insuffisance du nombre de femmes compétentes susceptibles de pourvoir tous les postes qui leur seraient réservés du fait des quotas, puisqu'à l'évidence, il y avait assez de femmes de valeur pour peu qu'on veuille bien les motiver et surtout les solliciter.
Elle a par ailleurs estimé qu'il était devenu important d'envisager un élargissement et une diversification du paysage politique français, qui manquait de modernité, d'où la désaffection croissante des électeurs et, peut-être, de remettre en cause la notion de cumul des mandats, car cela permettrait aux femmes de s'impliquer, non pas dans le sens d'une « invasion féminine » mais simplement d'un rééquilibrage entre les hommes et les femmes parmi les élus.
En conclusion, Mme Andrée Heymonet a souhaité que les femmes s'engagent dans la vie publique, comme elle-même l'avait fait durant 26 ans de passion et de volonté de participer à l'avenir d'une ville, d'un département et d'une région.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a souhaité connaître plus précisément les objectifs poursuivis lors de la création d'une « section femmes » au sein de l'Association nationale des élus régionaux et les résultats de cette expérience en termes de promotion des femmes dans la vie publique. Se référant à sa propre expérience ou à celle de Mme Andrée Heymonet, pour qui être femmes n'avait pas représenté un obstacle, elle s'est également interrogée sur les raisons pour lesquelles les femmes restaient si absentes du monde politique.
Mme Andrée Heymonet a répondu qu'elle avait souhaité créer cette « section femmes » en 1986 parce qu'elle avait été frappée par le faible nombre de femmes élues dans les différentes régions françaises. Tout en jugeant utiles les actions de cette section, notamment les déplacements effectués dans les différentes régions, elle a reconnu que la « section femmes » n'avait pas « pesé lourd dans les décisions ou dans les investitures », ce qui ne l'empêchait pas de poursuivre son combat.
Elle a par ailleurs précisé, en réponse à une question de M. Philippe Richert, rapporteur, qu'elle avait été désignée par l'APCR pour s'exprimer devant la mission sur le problème des femmes, mais qu'elle développait le point de vue de la « section femmes » de l'association et non celui de l'APCR en tant que telle.
M. Marcel Debarge a estimé que sans un changement des mentalités, il serait très difficile de faire évoluer rapidement la situation actuelle et que de ce point de vue, les pouvoirs publics et les partis politiques avaient une responsabilité particulière vis-à-vis de l'opinion publique, au-delà du domaine strictement politique.
Il a considéré que la limitation du cumul des mandats ne conduisait pas nécessairement à l'élection de femmes car la clé du changement résidait avant tout dans les initiatives que pouvaient prendre les partis politiques.
Il a également jugé difficile d'instituer un système de quotas, notamment pour des raisons constitutionnelles, et qu'une réforme du mode de scrutin constituerait probablement un meilleur moyen d'accroître la place des femmes en politique, même si cette réforme ne paraissait pas aisée.
Quoi qu'il en soit, il lui a semblé important d'accentuer le cours naturel des choses par un « coup d'accélérateur ».
Mme Andrée Heymonet s'est à nouveau déclarée convaincue que la méthode des quotas était un « passage obligé », notant que la Suède, par exemple -où le nombre des élues était important- avait appliqué cette méthode. Elle a également considéré que les initiatives que pouvaient prendre les partis politiques étaient déterminantes. M. Michel Rufin a estimé qu'un changement de mode de scrutin ne représentait pas la panacée car à défaut de quotas imposes par la Constitution, rien n'assurait que les partis accepteraient d'inscrire sur les listes un nombre suffisant de femmes.
Mme Gisèle Printz a émis un doute sur le nombre de femmes prêtes à s'engager en politique, rappelant que dans sa circonscription il avait parfois été difficile de trouver des femmes candidates et que pour les mères de famille, il était pratiquement impossible de s'engager avant 40 ans.
M. Alain Gournac a partagé cette analyse et souligné l'existence d'un véritable blocage des mentalités, peu propice à une plus grande présence féminine en politique.
Mme Andrée Heymonet, quoique convaincue que de nombreuses femmes compétentes étaient prêtes à s'investir en politique, a admis qu'elles avaient du mal à cumuler une vie professionnelle, une vie familiale et une vie politique.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a considéré que le recours à des structures réservées aux femmes dans telle ou telle instance pouvait apparaître comme un moyen de « dédouaner » celle-ci et de la dispenser de s'engager sur la question des femmes. Elle a ensuite rappelé que les femmes qui désiraient s'engager en politique culpabilisaient lorsqu'elles avaient des enfants en bas âge et qu'elles ne pouvaient en fait s'investir qu'à partir d'un certain âge ou si elles appartenaient à un milieu social aisé. De ce point de vue, elle a indiqué que la limitation du cumul des mandats serait une bonne chose et que la principale évolution devrait venir des partis politiques.
Mme Andrée Heymonet a estimé que les initiatives qui se développaient actuellement pour promouvoir la présence des femmes en politique répondaient à mouvement de fond et étaient porteuses d'espoir.
M. Philippe Richert, rapporteur, tout en considérant que le non-cumul des mandats n'assurait pas une garantie de faire élire des femmes, il avait néanmoins le mérite de libérer des postes où elles avaient des chances de s'insérer.
Mme Virginie Barré, présidente de l'Association des femmes journalistes (AFJ)
Mme Virginie Barré a d'abord indiqué que son association avait deux vocations : promouvoir la place des femmes dans les rédactions et les postes de décision et faire évoluer l'image de la femme dans les médias.
Sur le premier aspect, Mme Virginie Barré a indiqué que s'il apparaissait souvent qu'il y avait de nombreuses femmes journalistes, celles-ci n'étaient en fait que 37 % du total des journalistes et que dans la presse quotidienne régionale on comptait une femme pour 4,6 hommes, à la télévision une femme pour 3,4 hommes et dans les agences de presse une femme pour 1,8 homme. En revanche, elle a souligné que dans la presse la moins prestigieuse, c'est-à-dire spécialisée, technique et professionnelle, on comptait à peu près autant de femmes que d'hommes.
Elle a ensuite précisé que les femmes journalistes étaient en moyenne plus diplômées que les hommes, qu'elles représentaient 50 % des pigistes, et plus de la moitié des chômeurs.
À l'inverse elle a indiqué que seuls 25 % des cadres étaient des femmes et que sur 549 directeurs de médias on comptait seulement 62 femmes.
Par ailleurs, elle a fait valoir qu'il existait à tous les niveaux une différence de salaire moyenne de 2.800 francs entre les femmes et les hommes journalistes.
Elle s'est ensuite félicité du nombre plus élevé de femmes "grand reporter", mais elle a souligné que les grands reportages donnaient lieu aujourd'hui à des salaires plus faibles et qu'ils n'étaient plus la voie d'accès aux postes de responsabilité. Elle a ajouté que d'une façon générale les femmes journalistes travaillaient plus souvent le week-end, pendant les vacances et tôt le matin, car il leur était plus difficile de refuser ce type d'horaires, ce qui traduisait aussi le fait que 63 % des hommes journalistes étaient mariés mais seulement 37 % des femmes journalistes.
Enfin, Mme Virginie Barré a reconnu que la proportion de femmes journalistes avait beaucoup progressé au cours des dernières années puisqu'elle était passée de 24 % en 1981 à 37 % aujourd'hui, mais elle a regretté le manque de statistiques sexuées en France, ce qui rendait des études plus approfondies difficiles.
Puis, Mme Virginie Barré a évoqué la manière dont l'information était traitée en France, soulignant que la hiérarchie des sujets était toujours la même depuis des années et qu'elle était essentiellement fondée sur une culture et des valeurs masculines.
Elle a insisté sur la difficulté de faire évoluer cette hiérarchie car on opposait toujours à cette demande une atteinte aux règles de l'objectivité.
Elle en a conclu que les sujets qui intéressaient les femmes ne figuraient pas en bonne place dans l'information et que cela apparaissait, par exemple, très nettement dans les magazines économiques, où plus de 90 % des photos représentaient des hommes.
Mme Virginie Barré a alors exposé les résultats d'une étude menée sur une journée d'information dans 10 grands médias nationaux.
Elle a indiqué que, sur l'ensemble des personnes citées par ces médias, il n'y avait que 17 % de femmes dont 60 % étaient citées sans leur profession, ce qui n'était pas le cas pour les hommes, et un quart étaient citées sans nom de famille ce qui n'était pratiquement jamais le cas pour les hommes. Enfin, 25 % étaient présentées comme victimes alors qu'il n'y avait qu'un homme sur 11 dans cette situation.
Elle a montré que ce décalage dans la perception des hommes et des femmes dans les médias était mal connu et que la plupart des journalistes étaient très surpris lorsqu'on leur présentait cette étude.
Mme Virginie Barré a enfin donné des exemples de situation et de mots auxquels est associée une image mentale masculine.
M. Jean-Louis Lorrain, président , a alors fait valoir qu'il existait une presse féminine de qualité qui traitait notamment de problèmes généraux.
Mme Virginie Barré a souligné que la presse féminine n'avait pas pour objet l'information générale et que, d'ailleurs, on ne demandait pas à la presse masculine de remplacer le travail d'information des quotidiens et des hebdomadaires.
Elle a indiqué que s'il était vrai qu'on voyait beaucoup de photos de
femmes dans la presse féminine, il n'y avait pas de raison pour que l'information figurant dans la presse générale ne soit pas mixte.
M. Philippe Richert, rapporteur , s'est félicité que grâce à cette audition la mission commune d'information s'intéresse aussi à la place de la femme dans la société et non pas seulement dans le monde politique. Il a rappelé que dans son travail en cours sur la parité dans les manuels scolaires, il faisait le même type de constatations, puisque les héros ou les exemples cités étaient le plus souvent masculins. Il a alors souhaité savoir quels types de propositions on pouvait formuler pour remédier à ces situations.
Mme Virginie Barré a évoqué les oppositions auxquelles se heurtaient les journalistes dès qu'ils voulaient modifier quelque chose dans la présentation de l'information.
Elle a estimé très significatif que lors d'un récent colloque international sur la liberté de la presse, on ait oublié d'inviter des femmes journalistes alors que dans de nombreux pays les femmes n'ont même pas accès à cette profession.
Mme Virginie Barré a toutefois insisté sur les textes juridiques qui pouvaient être d'ores et déjà utilisés : un arrêté de 1986 pour la terminologie - que chaque journaliste devrait appliquer - ou la convention relative à l'élimination des discriminations envers les femmes, ratifiée par la France, mais pas toujours appliquée.
C'est pourquoi Mme Virginie Barré a estimé nécessaire une meilleure circulation de l'information sur ces questions et regretté qu'il n'existe pas dans les études françaises de modules réservés à la question des femmes, comme cela était le cas dans toutes les universités anglo-saxonnes.
Mme Maryse Bergé-La vigne a constaté que les femmes journalistes devaient, comme les femmes politiques, être meilleures et plus disponibles que les hommes, mais elle a estimé que les femmes journalistes semblaient accéder plus facilement à des postes de responsabilité.
Elle a demandé à la présidente de l'AFJ s'il lui paraissait plus important de féminiser le mot de sénateur en sénatrice ou de faire en sorte que l"`image" de sénateur renvoie aussi bien à un homme qu'à une femme.
Mme Virginie Barré a estimé très important que la grammaire et la linguistique soient correctement utilisées lorsqu'on parle de femmes. Elle a constaté que si l'on avait facilement inventé les mots d'ordinateur ou de logiciel on n'arrivait toujours pas à créer les mots de députée ou de sénatrice. Elle a estimé tout aussi important qu'une attention vigilante soit portée au niveau du langage utilisé, rappelant qu'on parlait facilement d'une directrice d'école mais rarement d'une directrice d'entreprise.
Elle a enfin souligné que l'expression "Mme le Président" était absurde sur le plan grammatical.
M. Jean-Louis Lorrain, président, a insisté sur l'importance de l'image, en particulier pour les élections, et considéré que dans cette optique des efforts devaient être faits en matière de communication ou même d'éducation pour ne pas dévaloriser ou déformer l'image des femmes.
Mme Virginie Barré a indiqué qu'il y avait peu de travaux en France sur la représentation comparée des hommes et des femmes par les médias et notamment par la télévision.
Elle a regretté la force d'inertie française dans ce domaine car certains pays européens comme la Suède avaient fait des travaux très approfondis sur cette question.
M. Philippe Richert, rapporteur, a souligné que la question de la représentation des hommes et des femmes était un sujet essentiel, sur lequel des évolutions apparaissaient, et qui représentait un réel enjeu pour la démocratie.
Mardi 4 mars 1997 - Présidence de M. Lucien Neuwirth, vice-président
Mme Brigitte Dionnet, membre du comité national du Parti communiste français et Mme Michèle Guzman, responsable aux femmes pour le Parti communiste français
Mme Michèle Guzman a tout d'abord jugé très positive la constitution au Sénat d'une mission d'information sur les femmes et la vie publique.
Elle a souligné qu'en dépit d'un taux d'activité en croissance permanente (45,7 % en 1996), les femmes demeuraient très minoritaires dans les lieux de décision. Elle a relevé qu'elles étaient encore loin d'occuper le même type d'emplois que les hommes et d'entretenir le même rapport à l'emploi. Elle a, par ailleurs, considéré que le développement rapide du travail à temps partiel constituait un signe avant-coureur d'une remise en cause de la dynamique de l'emploi des femmes.
Après avoir exposé que les femmes -et surtout les jeunes filles- étaient également davantage touchées par la montée du chômage, elle a relevé qu'elles étaient de plus en plus contraintes à recourir aux différents types d'emplois précaires ou au « sous-emploi ». Elle s'est inquiétée du fait que l'aggravation de la situation de l'emploi des femmes ait pour corollaire l'aggravation des rapports sociaux des femmes au travail.
Elle a jugé tous ces phénomènes très préoccupants car ils touchaient à un domaine où les femmes avaient acquis leur autonomie.
Mme Michèle Guzman a estimé que la domination du milieu professionnel par les hommes expliquait la faiblesse de la représentation des femmes dans les postes à responsabilités, tant dans le secteur privé que dans le secteur public.
Elle a, par ailleurs, souligné que la politique familiale tendait à ramener les femmes au foyer et contribuait à faire régresser les mentalités, l'ambiguïté de la politique des congés parentaux confortant la « ségrégation sexuée » du marché du travail et la division traditionnelle des tâches au sein de la famille.
Elle a avancé d'autres éléments qui, selon elle, ne favorisaient pas évolution vers une société de femmes et d'hommes libres et égaux : la négation de la diversification des formes de la famille, les restrictions touchant les services publics (maternités et crèches notamment), la remise en cause du droit à choisir sa maternité, etc.
Elle a souligné que les femmes restaient massivement sous-représentées dans la vie associative, syndicale, politique et, de manière générale, dans tous les lieux de décision.
Elle a exposé que la revendication paritaire était, pour les communistes, une question de démocratie, le 29ème Congrès du Parti communiste ayant décidé d'accorder la primauté au rôle de l'individu. Elle a ajouté que dans une époque aspirant à une meilleure possibilité de comprendre et de maîtriser des choix, la parité était l'expression féminine de cette aspiration.
Elle a estimé que la volonté des femmes de prendre toute leur place dans la vie publique était intimement liée à leur combat pour la liberté et l'égalité, contre toutes les formes de domination. Elle a souligné que les femmes ne se plaçaient pas en situation «d'assistées » en ce domaine mais avaient choisi l'action.
Tout en considérant le débat prévu pour le 11 mars prochain à l'Assemblée nationale sur les travaux de l'Observatoire de la parité comme une étape utile, elle a cependant rappelé qu'avant d'être accordé en 1944, le droit de voie des femmes avait déjà fait l'objet de 77 débats à la Chambre des députés et de 26 au Sénat, entre 1901 et 1936.
S'agissant des quotas, Mme Michèle Guzman a jugé que, s'ils n'assuraient pas l'égalité, ils tendaient à réduire l'inégalité en instaurant avantage de mixité.
Elle a relevé que si les quotas procédaient le plus souvent d'une politique volontariste des partis, la parité comptait, pour s'imposer, sur une sensibilisation de l'opinion publique qui conduirait à l'instaurer par une loi, ceci d'autant plus que la chute de la confiance portée aux institutions représentatives était sévère.
Après avoir relevé que 82 % des Français se prononçaient en faveur de la féminisation de la vie politique, elle a estimé que la reconnaissance de l'égalité entre hommes et femmes en politique entraînerait une amélioration de la condition féminine dans l'ensemble de la société. Elle a considéré que cette reconnaissance impliquait aussi que la parité puisse être imposée dans tous les domaines de la société.
Elle a souligné que la parité n'avait pas pour objet d'établir une proportion numérique dans une démocratie universaliste, mais de fonder l'égalité sur la différence entre les deux sexes reconnue comme symbole de la démocratie-. Elle a insisté sur la nécessité qu'une loi crée une obligation de résultat en ce domaine et fixe une nouvelle règle du jeu électoral pour atteindre l'objectif d'égalité, seule méthode pour amener le pouvoir politique à renoncer à ses privilèges. Le principe de la parité étant posé comme objectif, elle a considéré que sa mise en oeuvre devrait être progressive et s'accompagner de mesures annexes touchant notamment au mode de scrutin (avec l'instauration de la proportionnelle) et au statut de l'élu.
Mme Michèle Guzman a estimé que la féminisation de la vie politique devait s'imposer à la France contemporaine, non pas en terme d'affrontement, mais de complémentarité, de façon à contribuer à la modification du fonctionnement du monde politique par des comportements et une organisation du travail différents.
Mme Joëlle Dusseau a demandé si la spécificité française résidant dans le fort taux de femmes travaillant à temps complet, n'entravait pas l'engagement politique de ces dernières.
Mme Brigitte Dionnet a réfuté cette analyse, relevant que la participation croissante des femmes à la vie professionnelle s'était accompagnée de leur plus fort investissement dans la vie sociale et que les difficultés des femmes à entrer en politique résidait davantage dans l'impact de la crise économique (crainte pour les enfants en termes d'échec scolaire, de sécurité, etc.) que dans la vie professionnelle elle-même.
M. Lucien Neuwirth, président, a souligné que l'effet de « prime au sortant » gênait le renouvellement du corps politique, aussi bien en ce qui concernait les femmes que d'autres catégories.
Répondant à Mme Joëlle Dusseau qui s'interrogeait sur la position du Parti communiste quant à une éventuelle modification de la Constitution destinée à instaurer la parité, Mme Michèle Guzman a indiqué qu'il y serait favorable si la nécessité s'en faisait sentir.
Mme Joëlle Dusseau a ensuite demandé quelles étaient les propositions concrètes avancées par le Parti communiste pour qu'une plus grande limitation du cumul des mandats entraîne le remplacement effectif d'hommes par des femmes.
Mme Michèle Guzman a indiqué que le Parti communiste en était au stade de la réflexion sur ce point, ajoutant que ce sujet ne pouvait être traité isolément et devait s'inscrire dans un ensemble cohérent.
Elle a en revanche écarté le recours à des incitations financières, d'autant que le Parti communiste avait ses propres méthodes de financement, essentiellement par ses militants.
En réponse à Mme Joëlle Dusseau qui l'interrogeait sur les autres propositions du Parti communiste, Mme Michèle Guzman a exposé que celles-ci figuraient dans deux propositions de loi déposées sur le Bureau des Assemblées depuis 1994. Elle a précisé qu'une de ces propositions de loi, récemment redéposée, avançait des propositions précises concernant par exemple le congé formation, les heures de travail consacrées à l'exercice de mandats, la protection des élus contre le licenciement, etc.
Elle a, par ailleurs, souligné la responsabilité de l'État en ce domaine, attestée par le faible nombre des femmes dans les emplois à la discrétion du Gouvernement avec, par exemple, au 1er juin 1995, seulement 6 % des directeurs d'administration centrale, 11 % des recteurs ou 3,4 % des préfets.
Elle a estimé qu'il appartenait à chaque parti de prendre des mesures concrètes en la matière, ce que le Parti communiste avait réalisé à l'occasion de différentes élections, mais qu'une loi demeurait nécessaire pour les obliger à tous s'engager dans cette voie.
M. Lucien Neuwirth, président, est convenu de la responsabilité des partis dans la faible place faite aux femmes dans la vie politique. Il a considéré que l'évolution devait venir des militants eux-mêmes et que les femmes devaient se montrer revendicatives, soulignant qu'au sein de notre République, elles devaient bénéficier d'une citoyenneté à part entière.
Après avoir rendu hommage au Parti communiste, qui enregistrait le plus fort taux de représentation de femmes tant au Sénat que parmi les maires par exemple, Mme Bergé-Lavigne a relevé que ce parti semblait plus volontaire que les autres en la matière. Notant que la lutte des femmes, aujourd'hui considérée comme essentielle, était dans le passé jugée secondaire par rapport à la lutte sociale générale, elle s'est interrogée sur les raisons de cette évolution du Parti communiste.
Mme Brigitte Dionnet a attribué cette évolution, non à un changement d'individus, mais à une nouvelle démarche politique conduisant à une autre hiérarchisation des priorités. Elle a précisé que la démarche du Parti communiste partait des besoins des individus, pris tant individuellement que collectivement. Le parti a donc travaillé avec les femmes, dans le but de satisfaire leurs exigences et d'enrichir le débat avec ses propositions. Elle a souligné que, représentant 40 % des effectifs du Parti communiste, les femmes constituaient une richesse tant pour le combat féminin que pour celui du Parti communiste.
Après avoir relevé qu'aucun groupe ne disposait d'une « solution toute faite », Mme Michèle Demessine s'est félicitée que ce problème fût devenu une vraie question politique, alors que l'on avait jusqu'ici confié aux seules femmes le soin de lui trouver une solution. Elle a souligné que l'expérience du Parti communiste tenait au fait qu'il s'était penché sur ce problème de longue date puisque, dès 1925, le Parti avait présenté des candidates aux élections municipales, alors même que les femmes ne disposaient pas encore du droit de vote.
Elle a cependant indiqué que des obstacles de fond interdisaient d'espérer des avancées rapides en ce domaine, ce qui incitait à mettre en oeuvre le concept de parité. Elle a précisé que ces obstacles tenaient, d'une part, à la vie des femmes elle-même et, d'autre part, à l'insuffisance des moyens donnés aux citoyens pour qu'ils s'investissent dans la vie politique. Elle en a déduit la nécessité de réformer le statut de l'élu.
Mme Brigitte Dionnet a estimé que l'introduction progressive du scrutin proportionnel serait également un signe positif mais que le mode de scrutin ne devait pas être dissocié d'autres problèmes, posant ainsi la question globale de nos institutions.
Mme Michèle Bergé-Lavigne a fait part de ses hésitations quant au concept de parité et s'est interrogée sur l'impact éventuel des récentes élections municipales à Vitrolles.
Mme Michèle Guzman a jugé que le « mandat par délégation » confié au nouveau maire de Vitrolles n'affectait pas le débat et que le souci de parité impliquait naturellement l'élection de davantage de femmes issues de tous les partis.
M. Lucien Neuwirth, président, a rappelé l'utilisation en 1947 d'un mode de scrutin original qui permettait à l'électeur d'inscrire sur son bulletin cinq choix préférentiels parmi les candidats de la liste, notant cependant que cette formule n'avait plus été utilisée depuis.
M. Philippe Richert, rapporteur, a assuré que la mission ferait tout son possible pour faire évoluer rapidement le rôle et la place des femmes dans la vie publique en France. Estimant qu'à cette fin, il convenait de libérer des mandats en leur faveur, il a évoqué la question du cumul des mandats. Il a estimé qu'en cas d'interdiction des cumuls verticaux (un mandat national et un mandat local), les élus concernés conserveraient très probablement leur mandat national, ce qui ne libérerait donc pas de place aux femmes au plus haut niveau d'exercice du pouvoir. Il s'est, par conséquent, interrogé sur la possibilité de faire évoluer la situation en jouant sur le cumul entre deux mandats de niveau équivalent. Il a, à cet égard, cité en exemple Mme Janine Bardou qui avait renoncé à son mandat de président de conseil général lorsqu'elle était devenue sénateur.
Mme Janine Bardou a indiqué qu'elle avait respecté une tradition de la Lozère consistant à ne pas cumuler les mandats de parlementaire et de président de conseil général, mais qu'elle avait hésité entre ces deux derniers.
Elle a relevé que cette tradition, toujours louée, n'avait pourtant jamais été imitée, alors qu'une telle règle s'avérait nécessaire. Elle a cependant jugé indispensable l'exercice d'un mandat local par les parlementaires.
Elle a estimé que l'instauration du scrutin proportionnel pouvait être utile mais que son efficacité réelle dépendrait des partis. Elle a, à cet égard, cité l'exemple des élections législatives de 1986 à l'occasion desquelles davantage de femmes avaient été inscrites sur les listes de son parti, mais peu en rang utile. Elle en a conclu que seule la participation des femmes aux comités d'investiture des partis serait de nature à faire évoluer la situation.
Elle a enfin qualifié de « très urbaines » les discussions sur la place des femmes dans la vie publique, jugeant que l'on accordait trop peu d'intérêt aux femmes en milieu rural. À cet égard, elle a salué le département de la Lozère qui avait élu une femme à la tête du conseil général.
En réponse, Mme Brigitte Dionnet a insisté sur le fait que les femmes étaient général défavorables au cumul des mandats et que les modes actuels d'exercice de la politique pouvaient constituer pour elles un repoussoir. Elle a estimé que, pour parvenir à élargir le partage des responsabilités, il convenait de conjuguer différents facteurs, notamment l'instauration du scrutin proportionnel.
Répondant ensuite à M. Philippe Richert, rapporteur, qui s'interrogeait sur l'éventualité d'une distinction entre le statut de l'élu et celui de l'élue, Mme Brigite Dionnet a estimé nécessaire la mise en oeuvre de discriminations positives de nature à réduire les inégalités existant dans le domaine politique, à l'instar des droits spécifiques accordés dans le but de permettre aux femmes de mener de front une vie professionnelle et leur vie privée. Estimant nécessaire un débat sur un éventuel statut inégalitaire des élus, Mme Joëlle Dusseau a souhaité que soit envisagée une période transitoire de dix ans, durant laquelle des mesures fortement incitatives permettraient de combler le retard. Ella a déploré la difficulté d'appréhender les réalités sociologiques, eu égard au manque de renseignements concernant l'âge moyen des élus, l'âge d'accès au premier poste électif et la durée de détention des mandats.
Après avoir souligné la quasi-absence de statistiques en fonction des sexes en cette matière, M. Philippe Richert, rapporteur, a demandé si la première limitation du cumul des mandats en 1985 avait ou non permis d'accroître la proportion de femmes parlementaires.
Mme Brigitte Dionnet a répondu que la présence importante de femmes communistes au Sénat démontrait que la volonté politique permettait d'obtenir des résultats en la matière.
M. Lucien Neuwirth, président , a souligné la croissance du nombre des femmes maires et conseillères municipales en milieu rural.
Mme Maryse Bergé-Lavigne a jugé dangereuse l'idée d'un statut spécifique pour les élues, car elle comportait le risque d'enfermer les femmes dans un statut qui ne tendrait qu'à leur permettre d'exercer, parallèlement à leur mandat, les mêmes responsabilités familiales qu'aujourd'hui. Elle s'est en revanche déclarée favorable à l'amélioration globale du statut de l'élu, tant en faveur des femmes que des hommes.
M. Ambroise Dupont a déclaré partager ce point de vue.
M. Lucien Neuwirth a souhaité que l'on donne davantage de moyens aux femmes élues, notamment en matière d'aide à l'exercice des responsabilités familiales.
Mme Michèle Guzman a craint que la coexistence de deux statuts n'entraîne un accroissement des inégalités. Elle a souhaité que, dans le cadre d'un statut unique, des mesures de discrimination positives puissent répondre aux besoins des élus des deux sexes. Elle a enfin rappelé le souci du parti communiste de voir une loi traduire la volonté politique en ce domaine et être assortie de toutes les mesures d'accompagnements évoquées.
Mercredi 5 mars 1997 - Présidence de Mme Nelly Olin, président
M. Jean-François Mancel, secrétaire général du Rassemblement pour la République (RPR)
En introduction, M. Jean-François Mancel a constaté que la sous-représentation des femmes dans la vie politique faisait de la France « la lanterne rouge » des pays de l'Union européenne. Il a reconnu que le RPR avait dans ce domaine beaucoup de chemin à accomplir. Après avoir mentionné que les femmes représentaient 40 % des adhérents du RPR, il a souligné l'investissement réel des femmes dans l'activité militante de son parti, indiquant qu'elles n'y occupaient pourtant que 10 à 20 % des postes de responsabilité au niveau cantonal, départemental ou national. Il a cependant remarqué que le nombre de femmes secrétaires départementaux avait doublé depuis un an et demi. Il a estimé que cette tendance devrait s'accroître notamment grâce à la mise en place depuis 1996 de contrats d'objectif entre les fédérations départementales et le centre national du RPR, comportant explicitement un objectif de parité et incitant à l'augmentation du nombre d'adhérentes. Aussi a-t-il souhaité que le RPR puisse franchir d'ici deux ans une étape en atteignant une parité réelle au niveau des adhérents. Il a par ailleurs indiqué qu'à l'occasion de la journée de la femme, le RPR organiserait dans une centaine de départements des opérations de communication pour montrer que les femmes ont toute leur place dans la vie politique.
Abordant la préparation des échéances électorales de 1998, M. Jean-François Marcel a indiqué que pour les cantonales -où les investitures relevaient des comités départementaux- des orientations avaient été données en vue d'atteindre la parité entre les candidats. Pour les législatives, il a admis que le nombre important de candidats RPR sortants constituait un handicap à l'investiture de femmes, car il serait injuste de refuser l'investiture à un sortant homme ayant accompli un travail efficace sur le terrain et soutenu l'action du Gouvernement au Parlement. Il a, par ailleurs, fait observer que l'important n'était pas le nombre de femmes investies, mais le nombre de femmes élues et qu'il prenait date après les élections afin de comparer les résultats du RPR avec ceux d'autres partis affichant un nombre très important de femmes candidates.
Il a également rappelé que son parti avait souhaité que pour les prochaines législatives soit introduite une mixité dans l'équipe des candidats, titulaire et suppléant. Réfutant les critiques qu'avait suscitées cette proposition, il a expliqué que d'après sa propre expérience, la fonction de suppléant donnait à des femmes l'occasion d'acquérir la compétence et la notoriété nécessaires pour se présenter elles-mêmes à un scrutin avec les meilleures chances de succès. Il a jugé, à cet égard, que la parité consistait moins à présenter 50 % de candidates qu'à instaurer une réelle égalité des chances.
Il a ensuite indiqué que le conseil national du RPR avait imposé pour les listes aux régionales un quota d'un tiers de femmes en position d'éligibles. Il a évalué que cette mesure était susceptible de faire passer le nombre des élues RPR de 38 à environ 100 à 120, pour un total actuel de 375 conseillers régionaux RPR.
M. Jean-François Mancel a ensuite fait valoir que si le Conseil national du RPR avait approuvé l'objectif de la parité et adopté ces différentes mesures, il avait clairement écarté la mise en place par voie législative ou constitutionnelle de quotas au niveau national.
Il a toutefois indiqué qu'à titre personnel, il s'interrogeait sur l'opportunité d'introduire dans la Constitution, dans une formulation qui restait à définir, l'objectif d'une plus grande représentation des femmes afin d'afficher « un signal fort » et de montrer que le monde politique était conscient de la nécessité d'une plus grande mixité.
Mme Nelly Olin, président, a alors indiqué que cette analyse, dont elle appréciait la clarté et la sérénité, la confortait dans l'idée que le débat ne devait pas se poser en terme de conflit entre hommes et femmes ni même en terme de quotas, expression qu'elle a jugée péjorative pour les femmes.
M. Lucien Neuwirth a fait valoir que si les femmes étaient des citoyennes à part entière depuis 1944, l'obstacle principal à une plus grande féminisation de la vie politique résidait dans les partis politiques, véritables « sas obligatoires ». Il s'est demandé si le RPR n'aurait pas intérêt à imposer au niveau des postes de responsabilité militante -délégués cantonaux, par exemple- une mixité des équipes afin que chaque responsable se voit adjoindre une personne de l'autre sexe. Il a jugé que cette mesure donnerait sans doute l'occasion à des femmes d'acquérir l'expérience des responsabilités et la notoriété qui leur permettraient ensuite d'être élues. Il a enfin estimé qu'il serait désobligeant d'introduire dans la Constitution des mesures spécifiques aux femmes, alors même que l'objectif recherché était l'égalité entre les sexes.
M. Jean-François Mancel est convenu que l'instauration d'une mixité à tous les postes de responsabilité militante serait de nature à favoriser l'égalité des chances et que c'était précisément ce que visaient les contrats d'objectifs au RPR. Il a, par ailleurs, fait observer que l'égalité des chances entre hommes et femmes était d'autant plus importante pour un parti politique se réclamant du Général de Gaulle que c'était lui qui avait reconnu le droit de vote aux femmes en 1944.
Revenant sur son idée d'inscrire dans la Constitution des dispositions spécifiques, il a précisé qu'il s'interrogeait encore sur l'opportunité d'une telle mesure. Il s'est demandé, à ce propos, s'il ne serait pas judicieux d'ajouter à l'article premier de la Constitution -selon lequel la France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion- la mention « sans distinction de sexe ».
M. Lucien Lanier s'est déclaré très réservé sur cette perspective.
Observant que les propositions de révision de la Constitution visaient jusqu'à présent à permettre l'instauration de quotas, M. Philippe Richert, rapporteur, s'est interrogé sur la nécessité d'engager une procédure aussi lourde pour une disposition finalement symbolique. Il a, par ailleurs, demandé des précisions sur la position du Conseil national du RPR quant à l'instauration d'une limite d'âge pour la candidature aux élections et à une nouvelle restriction du cumul des mandats.
M. Jean-François Mancel a répondu que s'il n'était pas question d'instaurer des quotas au niveau national, il ressentait pour sa part une aspiration forte à un affichage symbolique illustrant la volonté de faire avancer la cause des femmes. Concernant le cumul des mandats, il a précisé que le RPR avait arrêté sa position, consistant à le limiter à un mandat national et un mandat local, sans pour l'instant interdire le cumul d'un mandat national et d'une fonction exécutive dans une collectivité locale. Il a, par ailleurs, souligné que l'instauration d'une limite d'âge de 75 ans pour les candidats avait été une décision difficile. Il a indiqué, en outre, qu'elle ne permettrait pas de présenter autant de femmes que de sièges libérés, car le RPR avait rencontré des difficultés à trouver pour certaines circonscriptions une candidate valable, ce qui démontrait la nécessité de former en amont des femmes prêtes à accéder aux postes à responsabilité.
Observant qu'on jugeait souvent les femmes pas assez prêtes pour se porter candidates, Mme Maryse Bergé-Lavigne s'est demandée si on avait les mêmes exigences envers les hommes. Se référant à l'instauration par le parti socialiste d'un quota de 30 % de candidates aux législatives, elle a fait observer qu'on avait objecté à cette décision l'absence de femmes compétentes mais que le résultat montrait qu'il s'agissait avant tout d'une question de volonté politique. Tout en s'interrogeant sur la nécessité d'inscrire la notion de parité dans la Constitution, elle a remarqué que la consécration constitutionnelle du droit à l'emploi, par exemple, n'avait pas eu d'incidence pratique, au point qu'on pouvait juger superflu de faire figurer dans la Constitution une formule de pur affichage. Ella a par ailleurs souhaité savoir si le Premier ministre entendait annoncer des mesures novatrices lors du débat sur les femmes à l'Assemblée nationale. Elle a également demandé comment avait été perçue, au sein du RPR, l'éviction de la plupart des femmes du premier Gouvernement de M. Alain Juppé.
M. Jean-François Mancel a estimé que les difficultés du RPR en ce domaine n'étaient pas propres à son mouvement, même si le nombre de candidats sortants constituait dans son cas un handicap important. Il a relevé à ce propos que pour des formations dans l'opposition n'ayant que peu de sortants, il était beaucoup plus facile de présenter de nombreuses femmes. Il a observé de surcroît une très grande diversité d'attitude au sein des différentes fédérations départementales.
S'agissant du débat prévu à l'Assemblée nationale, il a déclaré ignorer les intentions du Premier ministre. Il a considéré par ailleurs que le remaniement du Gouvernement de M. Alain Juppé n'avait constitué en aucune manière une agression à l'égard des femmes mais qu'il illustrait en définitive qu'en politique, les femmes étaient traitées avec ni plus ni moins d'égard que les hommes. Il a, en outre, jugé que l'émotion suscitée chaque fois qu'une femme était évincée démontrait que la normalisation des rapports entre hommes et femmes n'était pas encore ancrée dans les mentalités. Il a surtout considéré qu'il ne s'agissait pas de placer à des postes de responsabilité des femmes parce qu'elles sont femmes, mais seulement pour leur compétence ou leur expérience.
Après avoir observé que l'on appliquait plus volontiers aux femmes qu'aux hommes l'idée qu'il faudrait un long apprentissage pour se présenter à une élection, Mme Nicole Borvo a dénoncé la rareté des femmes dans les postes de responsabilité alors même qu'elles étaient nombreuses à militer. Elle a appelé de ses voeux une amélioration du statut de l'élu afin de mieux concilier vie professionnelle, vie familiale et vie politique, estimant que cette réforme était aussi nécessaire pour les hommes que pour les femmes. Elle a également souhaité l'instauration d'un scrutin proportionnel, plus favorable aux femmes, ainsi que l'inscription de la notion de parité dans un texte légal, jugeant à cet égard que cette mesure mobiliserait les citoyens et les associations autour d'une revendication légitime.
M. Jean-François Mancel a estimé que les difficultés des femmes à s'imposer dans la vie politique n'étaient guère différentes de celles des hommes jeunes qui doivent se battre pour s'imposer en politique face aux plus anciens. Évoquant le cas de Mme Edith Cresson, il s'est déclaré persuadé que l'intensité -injuste à ses yeux- des critiques dont son action avait été l'objet était imputable au fait qu'elle soit une femme.
M. Lucien Neuwirth a établi un parallèle entre la situation des femmes voulant entrer en politique et celle des jeunes à la recherche d'un premier emploi, dont on exigeait une expérience professionnelle alors même qu'ils n'étaient pas encore entrés dans la vie active.
Mme Paulette Brisepierre a souligné que s'il était difficile pour une jeune femme de concilier vie professionnelle, vie politique et vie familiale, dans la mesure où les femmes assuraient encore un rôle prépondérant dans l'éducation des enfants, la situation était en revanche très différente pour les femmes n'ayant plus cette charge. Elle a estimé qu'une nouvelle répartition des tâches au sein des couples pourrait faire évoluer la situation, même si l'éducation des enfants représentait pour les femmes une chance tout autant qu'une charge.
M. Jean-François Mancel est convenu qu'une meilleure répartition des tâches familiales serait de nature à favoriser l'engagement des femmes dans la vie politique, notant cependant qu'elle se heurtait encore à la réticence des hommes. Il a également observé que les femmes exerçant des fonctions électives étaient naturellement beaucoup plus réservées sur des mesures volontaristes que les simples militantes aspirant à ces fonctions.
Mme Nelly Olin, président, en se référant à son parcours personnel, a fait valoir qu'être une femme n'était pas nécessairement un handicap dans une carrière politique. Elle a avant tout jugé primordial que les femmes manifestent leurs compétences.
Jugeant que l'émancipation des femmes passait au premier chef par le travail, M. Lucien Lanier a souhaité plus d'égalité entre les hommes et les femmes dans ce domaine. Il a en revanche considéré qu'en politique, si des mesures de sensibilisation étaient envisageables, il ne fallait surtout pas mettre « la loi avant les boeufs » mais faire confiance à l'évolution de la société.
Rappelant que, de façon générale, il fallait aujourd'hui faire « moins de textes et mieux les faire », M. Jean-François Mancel a admis qu'il était effectivement préférable de faire confiance aux partis politiques, tout en souhaitant une véritable accélération des évolutions actuelles. Il a espéré à cet égard que, sur deux élections législatives, le RPR atteigne environ 50 % de femmes élues à l'Assemblée nationale.
M. Philippe Richert, rapporteur, a émis des doutes sur la possibilité pour le RPR d'atteindre ce résultat en si peu de temps, compte tenu du faible nombre des sièges disponibles en raison du poids des sortants masculins. Il est toutefois convenu que l'évolution de l'opinion publique et la mobilisation récente des partis politiques permettaient d'espérer une réelle progression. Il a estimé que, dans ces conditions, la question était de savoir quels moyens étaient à mettre en oeuvre pour accélérer le mouvement.
M. Jean-Louis Lorrain a fait observer que l'image actuelle du monde politique pouvait présenter peu d'attrait pour les femmes et qu'à l'inverse, une meilleure représentation des femmes pouvait améliorer l'image de la classe politique dans l'opinion publique.
M. Jean-François Mancel a conclu en observant qu'une rénovation des pratiques politiques et du fonctionnement de notre démocratie tout entière lui paraissait indispensable à l'aube du XXIè siècle, faute de quoi non seulement les femmes mais aussi les hommes risqueraient fort de se détourner de la politique, ajoutant qu'à ses yeux, une meilleure représentation des femmes dans la vie publique pouvait contribuer à cette rénovation.
Mardi 11 mars 1997 - Présidence de M. Lucien Neuwirth, vice-président
M. Lionel Jospin, premier secrétaire du parti socialiste
M. Lionel Jospin, Premier secrétaire du parti socialiste, a tout d'abord souligné l'actualité du débat sur la place des femmes dans la société. Il a constaté que, malgré les avancées législatives du début des années 1980, notamment en matière d'égalité professionnelle et salariale ou de lutte contre les comportements ségrégatifs, l'égalité des droits reconnue par la loi n'avait pas entraîné une égalité de fait, d'autant que ces droits restaient fragiles et étaient régulièrement attaqués. Il a également considéré qu'une volonté politique d'ouvrir plus largement la vie publique aux femmes ne pouvait être dissociée de mesures visant à combattre les inégalités sociales dont elles étaient victimes, notamment en matière de chômage, de salaire ou de travail précaire.
M. Lionel Jospin a ensuite constaté la place trop faible des femmes dans la vie publique, qui, de l'avis commun, n'honorait pas la France, citant à cet égard quelques chiffres : 21,72 % de conseillères municipales, 29,89 % de femmes députés européens, mais seulement 12,58 % de conseillères régionales, 5,10 % de conseillères générales et 7,53 % de maires.
Il a ensuite présenté la place des femmes au sein du parti socialiste, avec 7,2 % des effectifs du groupe à l'Assemblée nationale et 6,7 % de celui du Sénat, 14,5 % des conseillers régionaux et 5,6 % des conseillers généraux, les pourcentages des élues socialistes maires et conseillères municipales étant équivalents aux moyennes nationales. Il a toutefois souligné que le groupe socialiste au Parlement européen comportait 46,6 % de femmes, après constitution de la liste paritaire de 1994.
Il a également constaté que les femmes s'investissaient en nombre moins important que les hommes dans les partis et que leur nombre s'amenuisait au fur et à mesure que l'on s'élevait dans la hiérarchie.
Il a indiqué que le parti socialiste avait fixé dans ses statuts un quota de femmes à tous les échelons, établi à 10 % en 1972, 15 % en 1977, 20 % en 1987 et 30 % en 1990. Il a précisé que 30 % des adhérents au parti socialiste étaient des femmes, celles-ci représentant 14,5 % des secrétaires de section, 6,8 % des responsables de fédérations départementales, tandis que le bureau comptait 24,65 % de femmes et le secrétariat 37 %, auxquels s'ajoutaient également 30 % des déléguées nationales.
M. Lionel Jospin a souligné que l'objectif de parité au sein du parti socialiste n'était pas seulement un affichage ou un « argument de vente », mais traduisait une véritable volonté de sensibiliser les acteurs politiques à la nécessité de remédier à l'archaïsme de la situation actuelle.
Il a rappelé que, devenu Premier secrétaire du parti socialiste, il avait proposé avec succès, en octobre 1995, de fixer un objectif de parité dans les statuts, réforme qui devrait être validée au cours du Congrès de 1997. Il a précisé qu'elle se traduirait par la mise en oeuvre de la parité dans les scrutins de listes, ce qui devrait concerner les élections régionales, et qu'elle avait abouti à la définition d'un quota de 30 % de candidatures de femmes pour les scrutins uninominaux, en tenant compte des circonscriptions gagnables. M. Lionel Jospin a remarqué que cette volonté interne de réforme contrastait avec l'immobilisme observé dans les partis de la majorité et a souligné que le parti socialiste, mettant ses actes en conformité avec ses idées, souhaitait combattre la confiscation du pouvoir par un petit nombre d'élus.
Evoquant les causes de la lenteur de la progression de la place des femmes dans la vie publique française, M. Lionel Jospin a tout d'abord cité leur accession tardive (1945) au droit de vote, le scrutin majoritaire uninominal, le scrutin indirect au Sénat, ainsi que le cumul et la durée des mandats. Il a aussi observé que les impératifs familiaux et les tâches domestiques, ajoutés à leur vie professionnelle, dissuadaient les femmes de s'engager dans la vie politique et que beaucoup d'entre elles semblaient éprouver certaines réticences à l'égard du pouvoir politique tel qu'il était exercé, le jugeant trop éloigné des préoccupations concrètes, incapable d'apporter des solutions à leurs problèmes et consacré trop exclusivement aux joutes oratoires et aux conflits de pouvoir.
M. Lionel Jospin a vu dans cette situation de blocage un signe d'obsolescence et d'inadaptation des réponses politiques à la vie sociale, contre lequel le parti socialiste avait décidé de réagir, notamment :
- par une restriction supplémentaire du cumul des mandats et des fonctions : interdiction du cumul d'un mandat parlementaire national et d'un mandat parlementaire européen, d'un mandat parlementaire et d'une fonction exécutive locale, de deux fonctions exécutives, impliquant l'interdiction du cumul entre la fonction de ministre et une fonction exécutive locale ou le cumul de deux fonctions exécutives locales. Pour la mise en oeuvre de ce dispositif, le Premier secrétaire du parti socialiste a suggéré qu'une loi assure l'étalement sur huit ans (1999-2007) de l'application de ces dispositions à l'occasion du renouvellement de chaque assemblée ;
- par une uniformisation à cinq ans de la durée de tous les mandats ;
- par un élargissement du scrutin proportionnel à une partie des députés sur des listes nationales, et aux élections sénatoriales à partir de trois sièges ;
- par la généralisation du scrutin de type municipal à l'ensemble des communes, agglomérations et régions ;
- par l'élection des députés au Parlement européen dans le cadre de grandes circonscriptions régionales ;
- par l'extension des élections au suffrage direct, avec un scrutin de liste de type municipal pour la région et un scrutin mixte pour le département. M. Monel Jospin a indiqué que son parti n'avait pas encore fixé de position concernant le Sénat ;
- par la mise en forme d'un statut de l'élu afin, notamment, d'inciter les femmes à s'engager dans la vie politique ;
- enfin, par une révision de la Constitution destinée à consacrer le principe de parité hommes/femmes afin de rendre possibles des initiatives législatives destinées à le mettre en oeuvre.
M. Lionel Jospin a également évoqué la possibilité d'instituer des mesures incitatives, par exemple en octroyant un complément de financement aux partis politiques en fonction du nombre de leurs élues au Parlement.
En réponse à M. Philippe Richert, rapporteur , qui l'interrogeait sur l'inscription de quotas dans la loi et sur l'étalement sur huit ans de la réforme des règles de cumul, M. Lionel Jospin a rappelé que la question des quotas avait été posée au parti socialiste dès 1970 et que ceux-ci s'étaient progressivement imposés pour aboutir, en 1994, à une liste paritaire aux élections européennes puis, en 1995, au voeu de proposer 30 % de candidates socialistes aux prochaines élections législatives, cette évolution devant concerner ultérieurement les autres scrutins. Il a souligné que cette attitude, même si elle devait rester unilatérale, ne constituait en aucune façon un handicap pour son parti, mais qu'en revanche, une limitation supplémentaire du cumul des mandats ne pouvait être décidée que par une loi applicable à l'ensemble des partis, afin que les candidats socialistes ne soient pas désavantagés par rapport aux autres candidats. Il a appelé de ses voeux un consensus qui permettrait d'accélérer cette réforme.
Il a souligné que les quotas, s'ils avaient pu susciter certaines réticences depuis les années soixante-dix, emportaient aujourd'hui l'adhésion de beaucoup des femmes. Il a écarté l'argument selon lequel les quotas représenteraient une sorte de protection d'une minorité, les femmes ne constituant pas une minorité mais une partie constitutive de l'humanité.
II a observé qu'ils permettaient d'atteindre un objectif de parité et a souligné les avantages de la mixité. Il a ajouté que le parti socialiste était ouvert à toute proposition visant à atteindre cet objectif à condition qu'il ne s'agisse pas d'un débat prétexte.
Mme Joëlle Dusseau , après avoir revendiqué le titre de « sénatrice », a tenu à relativiser l'opposition souvent faite entre le fort engagement des femmes dans le mouvement associatif et leur faible investissement en politique, la hiérarchie associative étant aussi masculine que la hiérarchie politique, y compris dans des associations très féminisées. Elle a établi un parallèle avec le faible nombre de femmes maires, ce qui freinait leur accession au mandat de conseiller général, et ainsi de suite. Elle a également constaté que le scrutin uninominal défavorisait les femmes et a mentionné l'hypothèse évoquée par le parti communiste d'un statut « sexué » de l'élu.
Mme Hélène Luc a rappelé l'importance de la journée mondiale de la femme qui, malgré ses détracteurs, avait le mérite de familiariser l'opinion publique avec l'idée de parité, non seulement dans la vie économique mais également dans la vie politique. Elle a opposé les inconvénients du scrutin uninominal aux avantages du scrutin proportionnel quant à l'élection de femmes, notant que les sept élues de son propre groupe étaient toutes sénateurs de départements où l'élection se faisait à la représentation proportionnelle. Elle a cependant constaté que les élections au conseil général, très personnalisées, pouvaient difficilement reposer sur un scrutin de liste.
M. Lionel Jospin a reconnu que les femmes accédaient difficilement aux postes de responsabilité au sein du mouvement associatif. Il a également considéré que le scrutin proportionnel favorisait indiscutablement la présence de femmes, rappelant que ce mode de scrutin avait figuré à plusieurs reprises dans le programme du parti socialiste et qu'il avait été introduit en 1986 pour les élections législatives.
Il a toutefois souligné qu'aujourd'hui, le parti socialiste n'était plus favorable à la proportionnelle intégrale, lui préférant, pour les législatives, un scrutin majoritaire combiné avec l'élection de députés à la proportionnelle sur une liste nationale.
Il a estimé que les femmes pourraient bénéficier de mesures spécifiques dans le cadre d'un statut de l'élu et que les journées consacrées à la femme constituaient un symbole important. Il a ajouté que l'objectif de parité, dont il n'était pas totalement convaincu au départ, lui paraissait un moyen de « frapper fort pour faire avancer réellement la mixité ».
Mme Maryse Bergé-Lavigne a observé que cet objectif de parité n'avait pas eu beaucoup d'effets et qu'il convenait de se fixer une obligation de résultat, la parité devant, à cette fin, être inscrite dans la Constitution, soit par référendum, soit par un vote du Congrès.
M. André Maman a souligné la réticence des hommes face à cette obligation de parité. Il s'est interrogé sur les incidences de la parité politique au regard des inégalités sociales dont souffraient les femmes et sur le fait que, dans plusieurs États, ces dernières n'étaient parvenues à accéder aux fonctions politiques qu'en raison du déplacement du véritable pouvoir vers d'autres centres de décision, les milieux économiques notamment.
M. Lionel Jospin a estimé que la mise en place d'un statut de l'élu supposait un consensus entre les partis politiques. Il a évoqué la tentative faite par M. Marcel Debarge d'instaurer un tel statut, abandonnée en raison du risque d'accentuer le discrédit des élus soupçonnés de vouloir s'octroyer certaines facilités alors que l'opinion publique se débattait dans de graves difficultés économiques. Il a également souligné que la ségrégation entre les sexes revêtait une dimension culturelle, attestée par l'exclusion des femmes de certaines professions ou la déconsidération attachée à certaines fonctions quand elles devenaient presque entièrement féminisées. Il a enfin contesté que dans les États évoqués par M. André Maman, notamment dans les pays Scandinaves, le Parlement ne soit plus un lieu de pouvoir, reconnaissant toutefois que la question était de savoir si le vrai pouvoir était encore le pouvoir politique.
Mercredi 19 mars 1997 - Présidence de Mme Nelly Olin, président
Mme Marcelle Devaud, ancienne vice-présidente du Sénat et Mme Micheline Galabert, présidente de l'Association des femmes de l'Europe méridionale
Mme Marcelle Devaud a tout d'abord jugé très positive la création d'une mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique, surtout dans une assemblée à laquelle elle conservait un attachement tout particulier mais qui s'était si longtemps opposée au vote des femmes.
Elle a ensuite évoqué l'évolution sensible de la condition féminine depuis le XIXe siècle, « le plus machiste de l'histoire », jusqu'au XXe siècle, qui avait permis aux femmes d'accéder à la citoyenneté, avant de souligner le paradoxe de la condition féminine en France, pays où le travail des femmes à temps plein est le plus répandu, mais où les femmes demeuraient les moins représentées dans les lieux de pouvoir et dans les instances dirigeantes.
Se déclarant personnellement opposée au système des quotas, « déplaisant et humiliant », Mme Marcelle Devaud a néanmoins jugé le concept de parité équitable et conforme aux principes de la démocratie, tout en reconnaissant que la parité ne saurait être atteinte que « par étapes ».
Estimant peu souhaitable de réviser, à nouveau, la Constitution, afin de favoriser la mixité de la vie politique, fût-ce par une disposition transitoire - » le crédo des démocrates » ne devant pas subir d'incessantes modifications-, Mme Marcelle Devaud a estimé préférable de faire en sorte qu'une loi organique assure une meilleure représentation des femmes dans les assemblées parlementaires. Elle a également évoqué plusieurs mesures n'impliquant pas de réformer la Constitution, pour peu néanmoins que les partis politiques en acceptent le principe : la limitation du nombre des candidatures du même sexe au sein d'une liste et, dans le cadre du scrutin uninominal, l'obligation de désigner un candidat et un suppléant de sexes différents.
Elle a par ailleurs insisté sur les obstacles aux candidatures féminines que présentaient les partis politiques français, relevant en particulier le très faible nombre de femmes au sein des comités d'investiture. Pour ceux-ci, a-t-elle ajouté, « une femme de plus, c'est un homme de moins ».
En revanche, elle s'est déclarée persuadée que si des circonscriptions étaient confiées à des femmes compétentes, les électeurs n'hésiteraient pas à voter pour elles et que l'attitude des partis politiques à l'égard des femmes pourrait s'en trouver modifiée par un effet d'entraînement.
Mme Marcelle Devaud a également relevé l'influence positive susceptible d'être exercée, quant à l'accès des femmes à la vie politique, par des mesures telles que la réduction du cumul des mandats. Elle a considéré que cette proposition, sans doute « peu en vogue au Sénat », posait un véritable problème d'éthique politique mais qu'elle serait beaucoup mieux acceptable aujourd'hui que sous la IVe République, du fait de la décentralisation et de l'ampleur des tâches assumées par les exécutifs locaux.
Puis elle a souligné la nécessité d'inscrire dans le traité sur l'Union européenne le principe de l'égalité des chances entre hommes et femmes, moins réducteur que celui de l'égalité des rémunérations auquel se limitait l'article 119 du Traité de Rome.
En conclusion, Mme Marcelle Devaud a affirmé que l'accès des femmes à la vie publique « n'est pas une affaire de femmes, mais doit s'inscrire dans l'évolution de notre société vers une nouvelle organisation du travail compatible avec les contraintes des femmes ». Le degré de civilisation des États se mesurant à la participation des femmes à la vie publique, elle a ajouté que sur ce point « La France doit devenir un État civilisé ».
Mme Micheline Galabert a posé la question de l'apport du point de vue féminin au fonctionnement de l'État, relevant que la quatrième conférence mondiale sur les femmes de Pékin, en septembre 1995, avait conclu ses travaux sur la nécessité d'introduire la problématique féminine dans tous les aspects de la vie publique.
Aussi a-t-elle regretté que la réflexion sur la réforme de l'Etat en France ait été mise en oeuvre sans intégrer les préoccupations relatives aux femmes (le « mainstreaming »), observant par exemple que les études d'impact désormais jointes à chaque projet de loi ne prenaient pas en compte cette dimension. De même, elle a relevé que l'évaluation des politiques publiques ne comportait pas de critère d'appréciation sur le plan de l'égalité des chances entre hommes et femmes. Se référant aux mesures volontaristes mises en oeuvre au Royaume-Uni et en Irlande afin de privilégier l'accès des femmes aux emplois publics de responsabilité, Mme Micheline Galabert a estimé qu'en France, l'État n'utilisait pas les prérogatives dont il pourrait pourtant faire usage -les nominations aux emplois à la discrétion du Gouvernement, par exemple- afin de faire progresser la situation des femmes.
Soulignant l'enjeu, pour la cause des femmes, de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale, où la situation des femmes était loin d'être favorable, Mme Micheline Galabert a jugé essentiel d'intégrer explicitement le principe de l'égalité des chances entre hommes et femmes dans le modèle social européen. Elle a, à cet égard, déploré que l'égalité entre hommes et femmes ne soit abordée, dans le Traité de Rome, qu'au travers du principe de l'égalité des rémunérations.
Elle a ensuite commenté les diverses propositions évoquées dans le perspective de la conférence intergouvernementale, afin que l'égalité entre hommes et femmes soit inscrite comme une stipulation du Traité européen. Elle a néanmoins fait part de l'opposition de la France à l'intégration, dans le Traité de Rome, de la notion de « mainstreaming » (intégration des préoccupations relatives aux femmes dans l'ensemble des politiques publiques).
Mme Danièle Pourtaud a indiqué qu'à sa connaissance, il ne semblait pas encore s'être dégagé d'accord sur le principe de la prise en compte dans le traité européen du principe d'égalité des chances entre hommes et femmes au-delà du domaine professionnel. Elle a évoqué une proposition néerlandaise qui tendrait à autoriser les Etats à prendre des mesures de discrimination positive, non pas seulement en faveur des femmes, mais plus généralement en faveur du sexe sous-représenté.
A ses craintes qu'une telle rédaction se révèle préjudiciable à la cause des femmes, Mme Micheline Galabert a objecté qu'une formule permettant de privilégier le sexe sous-représenté éviterait opportunément que des sphères entières d'activités soient monopolisées par l'un ou l'autre des deux sexes.
Mme Michelle Demessine a rappelé que la directive du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès a l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, n'était pas encore transposée dans le droit français.
A la demande de Mme Michelle Demessine, Mme Micheline Galabert a précisé que le rapport français sur la mise en oeuvre des principes adoptés lors de la 4e Conférence mondiale sur les femmes, censé être présenté à l'ONU à la fin de l'année 1996, était encore en préparation.
Mme Christiane Jourdan, présidente de l'Action catholique générale féminine (ACGF)
Mme Christiane Jourdan a tout d'abord mentionné, parmi les objectifsde l'ACGF définis en 1983, « la promotion individuelle et collective des femmes [...] dans un ensemble humain où hommes et femmes se reconnaissent comme partenaires ». Elle a indiqué que l'ACGF entretenait ainsi des contacts réguliers avec quelque 25.000 adhérentes regroupées en 2.000 équipes réparties dans toute la France et se réunissant tous les mois.
Elle a également exposé l'importante activité éditoriale de l'ACGF, évoquant, entre autres, une étude entreprise sur les femmes de la Bible, ainsi qu'une relecture de l'Évangile de Saint-Luc faisant apparaître que le concept de parité y était déjà présent. Elle a souligné qu'une relation nouvelle entre hommes et femmes, fondée sur la parité, était indispensable à la construction du royaume Dieu.
À cet égard, elle a estimé que la parité hommes-femmes devait être instaurée dans tous les domaines de la vie, et que le concept de démocratie paritaire permettait de prendre en compte la dualité de la nature humaine fondée sur une « irréductible différence » entre ses composantes féminine et masculine.
Mme Christiane Jourdan a souligné que l'engagement de l'ACGF en faveur de la promotion des femmes s'était manifesté dès le lendemain de la première guerre mondiale, quand la Ligue, aïeule de l'ACGF, fondée en 1901 en réaction contre la république laïque, avait commencé à militer pour le vote des femmes et en faveur des syndicats féminins. Elle a indiqué que l'ACGF soutenait les femmes candidates aux élections et les incitait à s'engager dans la vie politique.
Dans cette perspective, elle a précisé qu'avait été créée en décembre 1992, sous l'influence de l'ACGF, l'association « Elles aussi » -fédération d'associations féminines- dans le but de soutenir des candidatures féminines aux élections municipales. Elle n'a pas exclu que cette initiative ait contribué à l'augmentation du nombre de conseillères municipales, passé de 17,1 % en 1989 à 21,8 % en 1995. Elle a indiqué que l'action de l'association « Elles aussi » se poursuivrait en vue des élections de 1998.
M. Philippe Richert, rapporteur, a souhaité savoir si dans son action en faveur de l'engagement des femmes dans la vie politique, l'ACGF avait rencontré des difficultés spécifiques liées à la sensibilité catholique.
Mme Christiane Jourdan a répondu que le document des évêques français publié en 1991 « La politique, affaire de tous », témoignait du souci de l'Église catholique d'inciter tous les chrétiens, y compris les femmes, à participer à la vie politique, le principal obstacle à leur engagement politique venant plutôt de leurs réticences face à ce type d'engagement, tant parce qu'elles n'étaient pas certaines de pouvoir y faire face durablement qu'en raison des difficultés qu'elles rencontraient pour concilier toutes leurs activités. À cet égard, elle a estimé que l'aménagement du temps de travail pourrait être de nature à favoriser l'engagement politique ou associatif des femmes.
En réponse à M. Jean-Louis Lorrain, qui s'interrogeait sur la place des femmes dans l'Église catholique elle-même, Mme Christiane Jourdan a mentionné la création récente, auprès d'un nombre encore très limité d'évêques, de femmes déléguées à la Pastorale des femmes. Elle a précisé que l'ACGF, sans revendiquer l'ordination de femmes, estimait que des ministères nouveaux pouvaient être créés pour les femmes dans l'Église catholique.
Mme Nicole Bécarud, présidente de l'Association française des femmes diplômées d'université
Après avoir retracé sa carrière professionnelle et militante associative, Mme Nicole Bécarud a indiqué que l'Association française des femmes diplômées d'université (AFFDU) avait été créée en 1920 et constituait aujourd'hui la branche française de la Fédération internationale des femmes diplômées d'université (FIFDU). Elle a précisé que, fondée à l'origine sur la conviction que l'éducation des filles était non seulement la clé de la promotion des femmes, mais aussi un véritable facteur de paix, l'AFFDU avait pour objet d'inciter et d'aider les jeunes filles à poursuivre des études supérieures de haut niveau, notamment au moyen d'aides financières attribuées grâce aux dons et legs perçus par l'association. Elle a cependant souligné les limites de cette action liées aux ressources réduites de l'AFFDU.
Elle a ajouté que l'action de l'AFFDU s'orientait également aujourd'hui vers l'aide à l'insertion professionnelle des diplômées, et pourrait s'étendre au soutien de jeunes femmes en difficulté.
Elle a évoqué les dernières manifestations organisées par l'AFFDU, ayant porté sur différents thèmes comme « travailler en Europe pour des femmes-cadres », « l'adaptation des diplômes au monde économique » ou « parité hommes-femmes dans le monde du travail : réalité ou illusion ? ».
Elle a précisé que, membre fondateur de la coordination « Demain, la parité », l'AFFDU avait publié un rapport sur la place des jeunes filles dans les études scientifiques et dans les classes préparatoires scientifiques, qui serait suivi d'une étude sur la place des jeunes filles dans les écoles d'ingénieurs et les écoles de commerce.
Mme Nicole Bécarud a enfin souligné que l'appartenance de l'AFFDU à une fédération internationale regroupant quelque 200.000 femmes diplômées d'université dans 67 pays conférait à cette association une représentativité internationale non négligeable, dans la perspective de l'organisation à Paris, en 1998, d'une conférence mondiale de l'UNESCO sur l'enseignement supérieur, dont l'un des thèmes porterait sur l'accès des femmes à l'enseignement supérieur.
Interrogée par M. Philippe Richert sur les moyens de favoriser la parité dans l'enseignement supérieur français, Mme Nicole Bécarud a estimé que la présence encore trop modeste des jeunes filles dans les filières d'excellence scientifique pouvait s'expliquer par des raisons culturelles, qui faisaient que les jeunes filles n'abordaient généralement pas les concours avec autant de confiance que leurs camarades masculins. Parmi les incitations susceptibles de favoriser l'accès des jeunes filles aux études scientifiques, elle a cité la Bourse de la vocation scientifique et technique.
Mme Nicole Bécarud a également estimé qu'une action de sensibilisation devrait être entreprise auprès des enseignants et des orienteurs qui, parents eux-mêmes, reproduisaient trop souvent les comportements dominants. Elle a par ailleurs attiré l'attention sur les clichés et les stéréotypes que renvoyaient de la femme les manuels scolaires et les livres pour enfants. Elle a insisté sur la nécessité d'orienter les jeunes filles en dehors de tout préjugé et seulement en fonction des besoins anticipés du monde du travail. Puis elle a estimé que les femmes cadres devaient bénéficier d'un meilleur accès à la formation permanente.
Elle a observé qu'à l'heure actuelle, si les filles étaient aussi présentes dans l'enseignement supérieur que les garçons, voire plus, elles rentabilisaient généralement moins bien leur diplômes et qu'elles interrompaient souvent leur formation plus tôt que leurs condisciples masculins.
Elle a enfin souligné qu'une des spécificités de l'AFFDU était de recruter ses adhérentes sur le seul critère du diplôme (Bac + 3), indépendamment de toute considération sur leurs fonctions sociales, d'où une grande diversité des compétences et des statuts au sein de l'association. Elle a indiqué qu'à ce titre, l'AFFDU était régulièrement consultée par certains intervenants publics, par exemple le CEREQ (centre d'études et de recherches sur les qualifications) ou les délégués régionaux aux droits des femmes.
M. Jean-Louis Lorrain ayant considéré que les diplômes ne représentaient sans doute pas le facteur le plus important dans la réussite professionnelle, et ayant jugé que des études approfondies mais trop spécialisées pouvaient devenir un facteur d'exclusion sur le marché du travail, Mme Nicole Bécarud a fait observer que le chômage touchait généralement moins les jeunes diplômés que les non-diplômés. Elle a toutefois reconnu que s'il convenait d'encourager les jeunes à acquérir des diplômes au niveau le plus élevé, leur attitude à l'égard de la carrière devait aujourd'hui changer, les diplômés devant intégrer la nécessité d'être mobiles au cours de leur carrière.
Mme Hélène Luc a marqué à cet égard que les gens diplômés avaient plus de facilités, non seulement à trouver un emploi, mais aussi à se reconvertir par la suite. Elle s'est néanmoins interrogée sur la prise en charge du coût de la formation, les collectivités locales étant de plus en plus sollicitées, dans ce domaine comme dans d'autres. Elle a par ailleurs déploré la très nette sous-représentation des femmes parmi les recteurs et les présidents d'université.
Mme Nicole Bécarud a constaté que parmi les candidats à un poste, les femmes étaient souvent plus diplômées que les hommes, mais que les candidatures féminines n'étaient privilégiées que pour les postes fonctionnels dépourvus de pouvoir, alors que les postes opérationnels étaient de préférence confiés à des hommes, tendance qu'elle a résumée en une phrase : « Quand on cherche des compétences, on prend des femmes. Quand on doit donner du pouvoir, on ferme aux femmes ».
Parmi les actions volontaristes à entreprendre pour que les mentalités changent, elle a cité l'importance symbolique du vocabulaire. Dans cette optique, elle a estimé que la féminisation des titres, commune dans d'autres États francophones, devrait être plus systématique quand le génie de la langue le permet. Elle a enfin estimé que la désignation de femmes à des postes de haute responsabilité pourrait constituer un moyen de faire évoluer la perception de la place des femmes dans la vie publique.
Mardi 15 avril 1997 - Présidence de Mme Nelly Olin, président
M. François Léotard, président de l'Union pour la démocratie française (UDF)
M. François Léotard, sans revenir sur le constat maintes fois dressé de la faible place réservée aux femmes dans la vie publique française, a tout d'abord souligné que cette situation fâcheuse donnait une très mauvaise image de notre démocratie dans les pays étrangers et causait du tort à notre pays au moment même où la France accentuait son ouverture sur l'extérieur. Il a cité, à titre d'exemple, un éditorial du Herald Tribune paru récemment à ce sujet.
Il a vu dans cette situation, non pas une fatalité française mais une pratique « pathologique », ancrée dans nos traditions culturelles et politiques. Il a estimé qu'elle devait être combattue dans le cadre d'un accord des principales forces politiques. Il a considéré que la sous-représentation féminine était aussi une injustice à laquelle une loi devait remédier, la loi ayant démontré sa capacité à vaincre d'autres injustices comme, en son temps, le travail des enfants, l'absence de congés payés et bien d'autres.
Il n'a pas exclu que cette situation puisse être une des causes du malaise politique ambiant et qu'elle favorise le vote extrémiste, alimenté par des facteurs qui n'étaient probablement pas qu'économiques.
Avant d'aborder les solutions envisageables, il a identifié deux obstacles à surmonter : une difficulté d'ordre constitutionnel, d'abord, avec le principe d'égalité enraciné dans l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les réticences du milieu politique, ensuite. Il a également insisté sur la spécificité de l'identité féminine, notamment la maternité et le lien à l'enfant, qui commandait de concevoir des solutions adaptées.
M. François Léotard a également justifié la nécessité de favoriser l'accès des femmes à la vie publique par la montée actuelle des valeurs féminines, notamment le sens de la vie, la volonté de dialogue et un certain pragmatisme. Il a fait sienne l'idée de Mme Béatrice Majnoni d'Intignano pour qui les femmes avaient un meilleur rapport au temps -car elles souhaitaient préserver une vie privée- et un meilleur rapport au pouvoir, recherché non comme une fin en soi mais un moyen d'y rendre des services.
Il a fait observer que dans les conseils municipaux, où les femmes étaient en nombre relativement plus important qu'ailleurs, les élus locaux avaient quotidiennement l'occasion d'apprécier toutes ces qualités féminines.
En raison même des obstacles à surmonter, il a alors fait part de sa conviction que seul le recours au peuple par la voie référendaire pouvait être de nature à changer la situation, brisant en un seul temps les difficultés constitutionnelles et l'hostilité des milieux politiques.
Il a estimé que la question soumise au peuple devrait englober d'autres « pathologies » du système et permettre de moderniser la vie politique dans son ensemble, le projet de loi devant aussi traiter le problème des modes de scrutin, limiter la durée des mandats, interdire les cumuls.
Concernant les modes de scrutin, M. François Léotard a regretté leur trop grande diversité, leur hétérogénéité ainsi que leur instabilité, une majorité nouvelle ayant toujours tendance à vouloir modifier les règles du jeu électoral. Il a, à ce propos, fait état de sa préférence pour un mode de scrutin de type municipal, qui pourrait être généralisé à tous les échelons. Il a souligné que le recours accru au scrutin de liste favoriserait l'accès des femmes aux responsabilités politiques.
Rappelant des propositions déjà anciennes, il s'est ensuite prononcé, à titre personnel, en faveur d'une limitation dans le renouvellement des mandats -pas plus de deux mandats successifs, comme aux États-Unis- soulignant que cela favoriserait le renouvellement du personnel politique et l'accès des jeunes et des femmes aux mandats électifs. Il a réfuté l'argument suivant lequel ce serait à l'électeur de trancher, dans la mesure où sa liberté de choix, loin d'être totale, était déjà largement encadrée par la loi, avec par exemple les règles sur les inéligibilités.
M. François Léotard a vu dans le cumul des mandats le principal obstacle au renouvellement de la classe politique, ajoutant qu'à ses yeux, « un homme - un mandat » constituait l'objectif à atteindre. Il a néanmoins reconnu que sa position était loin de faire l'unanimité. Il a souligné que la France était un des seuls pays où les mandats pouvaient se cumuler, au point de susciter l'étonnement, voire l'ironie, de nos partenaires étrangers. Il a estimé qu'une interdiction légale de tout cumul favoriserait une plus grande représentativité des élus et leur garantirait plus de disponibilité et de meilleures conditions de travail, Il a remarqué, à cet égard, que les élus nationaux français étaient trop souvent absents des réunions internationales le week-end, du fait qu'ils devaient aussi consacrer de leur temps à leur circonscription locale. Il a précisé qu'à ses yeux, interdire les cumuls supposerait en même temps d'améliorer le statut de l'élu.
S'agissant de la place des femmes dans la vie publique, M. François Léotard a noté qu'au cours du débat à l'Assemblée nationale, le Premier ministre avait reconnu l'intérêt du scrutin proportionnel qui permet de composer des listes mixtes.
A titre personnel, il a également jugé souhaitable, le cas échéant, de subordonner pour une durée provisoire de cinq ou dix ans, le versement de l'aide publique aux partis politiques à la présence de 50 % de femmes sur leurs listes aux scrutins locaux et nationaux.
En conclusion, il s'est déclaré convaincu que l'approbation des Français à ces mesures serait massive, la classe politique ne pouvant dès lors plus s'y opposer. Il a estimé qu'elles formaient un ensemble cohérent favorisant une modernisation de la vie politique vers plus de transparence, plus de fluidité et plus de démocratie.
Il a rappelé à cet égard que l'UDF avait déjà déposé une proposition de loi sur le scrutin de liste, tout en convenant qu'elle n'était sans doute plus suffisante au regard du rôle déterminant joué aujourd'hui par les femmes, à la pointe du combat démocratique, comme en témoignait leur engagement pour la paix en Bosnie-Herzégovine, en Corse, au Pakistan ou en Amérique latine.
À une époque où le terme « citoyen » était particulièrement valorisé -au point d'être employé comme un adjectif usuel appliqué, par exemple, à l'entreprise- il a estimé que la France n'aurait pas véritablement trouvé les valeurs « citoyennes » de la République tant qu'elle n'aurait pas suffisamment pris en compte la place des femmes dans la vie politique.
Mme Nelly Olin, président, s'est déclarée très sensible à l'hommage que l'intervenant venait ainsi de rendre à toutes les femmes.
M. Philippe Richert, rapporteur, a observé que la limitation du cummul des mandats aboutirait sans doute à libérer les postes les moins importants, que le scrutin de liste favorisait certes l'accès des femmes à la vie politique, mais qu'il demeurait peu probable de voir des femmes placées en tête de liste à l'occasion des élections régionales, ou de leur voir attribuer les postes les plus valorisants.
À propos du cumul des mandats, il a constaté que la charge de travail des élus était rarement conciliable avec une vie de famille normale. Il a indiqué qu'à sa connaissance, les élus allemands n'étaient guère plus nombreux que les Français dans les réunions internationales, mais simplement parce qu'au lieu de cumuler des mandats, ils tenaient à consacrer leur week-end à leur vie familiale.
Il s'est ensuite interrogé sur ce qu'il adviendrait d'une révision constitutionnelle en cas d'absence de soutien de la majorité aux mesures préconisées par M. François Léotard.
M. François Léotard a répondu que c'était précisément pour passer outre aux réticences des milieux politiques qu'il proposait un référendum.
À la demande de M. Lucien Neuwirth, M. François Léotard a précisé que, pour lui, il devait s'agir d'un référendum organisé sur la base de l'article 11 de la Constitution, la question étant posée sur l'ensemble des mesures destinées à moderniser la vie politique.
Sur l'impossibilité de concilier la vie politique avec une vie de famille normale, il a observé que les hommes politiques acceptaient une charge de travail extravagante mais en totale contradiction avec les idées de diminution et de partage du temps de travail qu'ils prônaient pour la société. Il a également fait valoir les intérêts divergents, parfois antagonistes, entre un mandat national et les préoccupations liées aux mandats locaux.
Se référant à un point de vue du président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Pierre Mazeaud, il a estimé que les conditions d'élaboration et la qualité des lois seraient meilleures avec moins d'absentéisme, imputable en large part aux cumuls. Il a considéré que les mesures récentes mises en oeuvre à l'Assemblée nationale, telles que le blocage des votes en milieu de semaine, se révélaient insuffisantes et ne remplaçaient pas la présence physique du député lors de l'élaboration de la loi. Il a souligné que des lois médiocres favorisaient les contentieux et, en définitive, la judiciarisation de notre société au détriment de la décision politique.
Enfin, persuadé que le monde politique ne se réformerait pas de lui-même, il a jugé indispensable le recours au référendum, seul à même de débloquer la situation.
M. Lucien Neuwirth a rappelé qu'un référendum de l'article 11 de la Constitution supposait désormais que le Parlement ait son mot à dire. Il a par ailleurs souligné que le statut de l'élu était un élément fondamental en cas de non- cumul des mandats car il pouvait être parfois très difficile de se réinsérer en cas de non-réélection.
Mme Michelle Demessine s'est déclarée « pour une fois » en accord avec la plupart des analyses et propositions de M. François Léotard, jugeant très pertinent l'emploi du terme « pathologie » pour caractériser la situation actuelle. Elle a, à son tour, souligné l'importance de la place des femmes dans le cadre d'une modernisation de la vie politique. Elle a considéré que la situation française était « honteuse » sur un plan international. Elle a tiré du débat à l'Assemblée nationale un bilan négatif, marqué selon elle par la « désinvolture » de la plupart des interventions.
Elle a accepté l'idée d'un référendum si cela se révélait nécessaire, tout en soulignant qu'il lui paraissait difficile de ne pas se préoccuper de faire évoluer les partis politiques. Elle a constaté que le programme des partis politiques ne tenait nullement compte des atouts que représenteraient les femmes pour la vie publique, accusant ainsi un véritable déficit de fond. Elle a également fait observer que la plupart des parlementaires avaient beaucoup de difficultés à imaginer une situation sans cumul des mandats, ce que, pour sa part, elle parvenait très bien à concevoir.
Elle a ajouté que les modes de scrutin poussaient eux-mêmes au cumul. Enfin, elle a estimé que la réforme du mode de scrutin proposée entraînerait des bouleversements considérables dans les structures institutionnelles.
M. François Léotard, relevant la mauvaise image -qu'il a jugée injuste-des parlementaires dans l'opinion publique, a souhaité sa revalorisation pour éviter qu'elle serve d'argument au Front National.
Il a réfuté l'idée selon laquelle un parlementaire dépourvu de mandat local serait un mauvais parlementaire ou ne ferait que de mauvaises lois -sauf à soutenir que les parlementaires de la plupart des pays étrangers sont de mauvais parlementaires parce qu'ils ne cumulent pas- rappelant qu'il lui serait toujours possible de consulter les élus locaux, comme cela se pratique chaque fois. Il a récusé les critiques émises à rencontre du débat à l'Assemblée nationale et a déclaré partager l'analyse selon laquelle la place des femmes dans la vie publique relevait d'un débat de fond en rapport avec la démocratie.
Il a justifié la nécessité de lier statut de l'élu et limitation du cumul des mandats, notamment pour prévoir le versement d'indemnités décentes aux élus locaux et des pensions de retraites suffisantes aux maires. Il a, à cet égard, rendu un hommage appuyé à l'action des élus locaux. Il s'est enfin interrogé sur la possibilité d'assurer des conditions plus égales de retour à la vie active en cas de non-renouvellement du mandat, notant une forte disparité de situation selon que l'ex-élu était ou non fonctionnaire.
M. Lucien Neuwirth ayant à son tour insisté sur le lien entre les cumuls et le statut de l'élu, M. François Léotard a considéré qu'un maire à temps plein devait percevoir une indemnité équivalente à celle d'un parlementaire.
Il a également jugé souhaitable de réfléchir à des mesures évitant que la fonction publique « colonise progressivement » le Parlement, en prévoyant, par exemple, une perte de droit de la qualité de fonctionnaire après un certain temps de mandat. Parallèlement, il a estimé nécessaire de mettre en place un soutien public à l'engagement des salariés du secteur privé dans les fonctions électives et, en fin de mandat, une amélioration des retraites des élus.
Il a jugé symptomatique et très inquiétant qu'aux dernières municipales, 40 % des maires sortants ne se soient pas représentés.
M. José Balarello est pleinement convenu de la nécessité de traiter simultanément le problème du cumul et celui du statut de l'élu. Il a par ailleurs constaté la place croissante des femmes dans la vie locale. Il a ensuite souligné qu'une législation anti-cumul aurait le mérite de favoriser la qualité du travail législatif, trop souvent confisqué par les cabinets ministériels et l'administration. Il a toutefois insisté sur la nécessité d'adopter une démarche pragmatique, consistant d'abord à accoutumer l'opinion publique à la présence des femmes dans les scrutins municipaux, l'augmentation de leur nombre dans les autres fonctions s'opérant par la suite d'elle-même et progressivement.
Il s'est enfin interrogé sur l'absence de femmes à la tête des très grandes entreprises.
Mme Nelly Olin, président, a évoqué l'expérience belge de l'institution de listes paritaires, dont il serait intéressant d'observer les conséquences à terme.
M. François Léotard a fait observer que la progression des femmes dans les scrutins municipaux était déjà devenue une réalité et qu'il n'y avait donc pas priorité à agir dans cette voie. En revanche, il a jugé nécessaire d'agir sur d'autres élections où le retard demeurait très important et où une évolution sensible, en l'absence de mesures volontaristes, ne pourrait être attendue avant plusieurs décennies.
Il a déclaré ne pas avoir d'opinion arrêtée sur les causes de l'absence des femmes dans la hiérarchie des grandes entreprises, avançant cependant l'hypothèse que les femmes refuseraient les contraintes d'horaires imposées aux cadres ou entretiendraient un rapport au pouvoir différent de celui de leurs collègues masculins.
M. Gérard Braun a fait observer à M. François Léotard que sur ces sujets, il était assez isolé au sein même de sa propre famille politique, et s'est interrogé sur la possibilité concrète, en cas de succès du référendum, d'appliquer toutes ces mesures en même temps.
M. François Léotard a considéré que les Français accueilleraient bien ces réformes et que même si les partis politiques ne jouaient qu'imparfaitement le jeu au départ -en plaçant leurs candidates dans des circonscriptions peu gagnables, par exemple- l'évolution se ferait inéluctablement.
Il est revenu sur la nécessité de combattre cette image d'une forteresse défendant ses intérêts, trop souvent attachée au monde politique. Il est cependant convenu que les mesures qu'il proposait pouvaient sembler brutales et autoritaires et qu'elles risquaient d'être mal perçues par les intéressés.
M. Philippe Richert, rapporteur, se plaçant dans l'hypothèse « un homme-un mandat », s'est interrogé sur la possibilité de l'appliquer avec 36.000 communes, soulignant qu'elle supposerait à la fois d'accélérer le regroupement des communes -comme cela s'était produit en Allemagne- et de dégager des moyens Financiers considérables. Il a, en particulier, estimé qu'il faudrait prévoir des dispositifs permettant aux candidats non réélus de retrouver un emploi ou de percevoir des indemnités.
Liant cette réforme à celle de l'administration territoriale, il a souhaité savoir si son coût avait été évalué.
En réponse, M. François Léotard a indiqué qu'après avoir été longtemps partisan du bénévolat, il avait constaté que ce système favorisait avant tout les fonctionnaires et qu'il avait donc évolué en faveur d'une meilleure indemnisation des mandats pour permettre à toutes les catégories de citoyens de les exercer. Il a jugé indispensable de faire admettre que la démocratie avait un coût.
Il a estimé que la question du regroupement de communes devait être abordée très prudemment, s'interrogeant même sur sa nécessité dans la mesure où les quelque 500.000 élus locaux constituaient une véritable richesse pour notre démocratie. Il a craint qu'à vouloir se priver de cette richesse, on s'engage dans un processus de déqualification de la fonction élective, comme aux États-Unis où les personnalités les plus brillantes préféraient souvent exercer dans le privé.
Dans le même ordre d'idée, il a déploré que les maires soient de plus en plus souvent mis en examen, voire condamnés au pénal, en l'absence de toute faute personnelle, la pénalisation croissante de l'action municipale risquant à terme de dissuader les candidats à cette fonction.