3. Un bilan peu convaincant
Une activité importante
Même si on laisse de côté les actes ayant trait à la
libre circulation, qui n'entrent pas dans le champ du présent rapport,
le bilan du troisième pilier semble au premier abord loin d'être
négligeable, d'autant que la plupart des instruments mis à sa
disposition sont désormais utilisés.
Pour ce qui est des
conventions
, on peut constater que, outre les
conventions mentionnées plus haut, le Conseil a adopté plusieurs
protocoles réglant notamment, pour chaque cas, la question de
l'étendue du contrôle de la Cour de Justice. Par ailleurs,
plusieurs projets sont en cours de négociation :
- convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des
fonctionnaires des Communautés ou des Etats membres ;
- convention " déchéance du permis de
conduire " ;
- convention sur l'exécution des jugements en matière
matrimoniale...
De nombreuses
actions communes
ont été
lancées :
- échange de magistrats de liaison visant l'amélioration de la
coopération judiciaire,
- lutte contre le racisme et la xénophobie,
- tenue de répertoires des compétences et des connaissances en
matière de lutte antiterroriste ainsi qu'en matière de lutte
contre la criminalité organisée,
- programmes de coopération concernant les documents d'identité
(SHERLOCK) et la pratique judiciaire (GROTIUS),
- coopération en matière de lutte contre la drogue
(échanges d'informations, coopération des services),
- coopération en matière d'action contre la traite des
êtres humains et l'exploitation sexuelle des enfants...
Le Conseil a également fait usage des autres instruments, moins
contraignants, dont il dispose dans le cadre du troisième pilier :
positions communes, décisions, résolutions, recommandations... Si
bien que le rapport du Conseil sur "
les réalisations dans le
domaine " Justice et Affaires intérieures au cours de
l'année 1996
", préparé en vue du Conseil
européen de Dublin, donne à première vue l'impression
d'une activité foisonnante (document JAI 68 du 4 décembre
1996).
Peu de réalisations concrètes
Un rapide examen suffit cependant pour parvenir à la conclusion que les
activités menées dans le cadre du troisième pilier n'ont
que des conséquences pratiques limitées, alors que
l'amélioration " sur le terrain " de la sécurité
des personnes et des biens est aujourd'hui une préoccupation majeure des
citoyens des Etats membres.
Ainsi, comme on l'a souligné plus haut, aucune des conventions
établies n'a pour l'instant d'effet contraignant, faute d'une
ratification par l'ensemble des Etats membres.
Quant aux
actions communes
, même si leur intérêt
n'est pas négligeable, elles consistent pour l'essentiel dans des
échanges d'informations et de connaissances techniques, ainsi que dans
des programmes d'échanges de fonctionnaires, et n'ont donc pas de
conséquences en termes d'harmonisation des politiques menées par
les Etats membres. Il en est
a fortiori
de même pour les autres
actes du Conseil, qui ont une valeur indicative et non impérative.
On peut remarquer enfin que le Conseil n'a pas jusqu'à présent
utilisé les
possibilités de décisions à la
majorité
que le traité ménage dans certains cas ;
pas davantage la " passerelle " de l'article K9
n'a-t-elle
été empruntée
. Ainsi, alors que la portée
restreinte de son action ne pouvait guère faire de doute, le Conseil n'a
pas cherché à faire usage des possibilités ouvertes par le
traité en vue d'une efficacité plus grande.
Des critiques convergentes
Invités au début de 1995, dans la perspective de
Conférence intergouvernementale, à faire un bilan de
l'application du traité de Maastricht, tant le Conseil que la Commission
européenne estimaient que la création du troisième pilier
de l'Union n'avait pas entraîné le surcroît
d'efficacité escompté, tout en soulignant que le recul du temps
manquait pour porter un jugement dans un tel domaine.
A la fin de 1995, le rapport du " Groupe Westendorp " chargé
de préparer la CIG confirmait cette appréciation :
" ... Le Groupe a analysé les dispositions et le fonctionnement
du titre VI du traité et, tout en reconnaissant que la
coopération JAI n'existe que depuis peu et qu'elle représente un
progrès par rapport à la situation antérieure, il a
estimé
à l'unanimité
que l'ampleur des défis
est sans commune mesure avec les résultats des actions entreprises
jusqu'ici pour y faire face ".
Ce même rapport soulignait que les Etats membres dans leur
"
grande majorité
" regrettaient
l'"
absence
d'objectifs et d'un calendrier pour leur réalisation
",
jugeaient "
inadéquats
" les instruments du
troisième pilier, analogues à ceux de la PESC malgré la
différence de nature des tâches, et estimaient qu'il manquait
"
un véritable mécanisme institutionnel
d'impulsion
".
Un an plus tard, le "
cadre général pour un projet de
révision des traités
" présenté par la
présidence irlandaise a réaffirmé ce diagnostic :
"
L'Union européenne doit être maintenue et
développée en tant qu'espace de liberté, de
sécurité et de justice. Jusqu'à présent, les
progrès accomplis dans ce sens n'ont pas été à la
mesure des défis auxquels l'Union doit faire face
".
Il est donc clair que l'efficacité limitée de l'actuel
troisième pilier est très largement reconnue, et que les Etats
membres sont conscients que leurs opinions publiques souhaitent que le
traité révisé débouche sur des progrès
concrets dans ce domaine.
Quelles conséquences tirer de ce constat ?
Alors qu'ils sont très largement d'accord pour diagnostiquer les
insuffisances du troisième pilier, les Etats membres paraissent
paradoxalement n'en tirer véritablement les conséquences que pour
certains aspects de ce pilier, ceux ayant trait aux questions de libre
circulation. Depuis le lancement de la CIG, il est admis que celle-ci doit se
traduire par une renforcement institutionnel dans ce domaine
précis ; les questions de sécurité n'y sont
attachées qu'à titre de " mesures d'accompagnement " et
l'essentiel de la coopération en matière de justice et
d'affaires intérieures paraît destiné à rester
très largement en dehors de la réforme envisagée.
Une telle approche n'est pas sans inconvénients.
Tout d'abord, présenter l'action européenne en matière de
sécurité sous l'angle de mesures d'accompagnement de la libre
circulation revient implicitement à suggérer que celle-ci est une
cause de développement de l'insécurité. Or il est
manifeste que les contrôles aux frontières sont des obstacles bien
faibles au développement des phénomènes de
criminalité internationale et d'immigration irrégulière,
et que ce n'est donc pas, pour l'essentiel, comme une sorte de compensation
à la libre circulation des personnes que doit être envisagé
un renforcement de l'action de l'Union en matière de police et de
justice.
Ce renforcement est nécessaire en lui-même
:
il ne serait pas moins justifié si les contrôles aux
frontières étaient maintenus.
Ensuite, on perçoit mal la logique de la coupure entre les politiques
concernant les contrôles aux frontières, les visas, l'asile,
l'immigration, d'une part, principaux domaines appelés à
être communautarisés, et les autres grands domaines relevant du
troisième pilier, d'autre part. Pourquoi ce qui est valable dans un cas
ne le serait-il pas dans les autres ? Ainsi que le souligne Henri
Labayle : "
Comment ne pas mesurer ce que l'entrée ou le
séjour d'un étranger sur le territoire d'un Etat
représentent pour la souveraineté nationale, combien il sera
difficile pour des Etats si éloignés que le sont les micro-Etats
de l'Union et les anciens empires coloniaux de coexister dans ces
domaines ? Doit-on vraiment penser que le droit international
privé, le statut des enfants nés hors du mariage, la
déchéance du permis de conduire ou la non-extradition en
matière fiscale sont des obstacles plus difficiles à franchir,
que l'harmonisation du droit privé et des politiques pénales sont
plus difficiles à entreprendre ?
"
(2(
*
))
. En d'autres termes, la
séparation introduite entre les questions de libre circulation et les
autres ne paraît justifiée ni par une plus grande facilité
à réaliser des transferts de souveraineté dans ce domaine,
ni par une urgence plus grande qui s'attacherait à certaines questions
plutôt qu'à d'autres.
Pour votre rapporteur, les défis que doivent relever l'Union et les
Etats membres en matière de sécurité ne peuvent trouver de
réponse satisfaisante dans des mesures fragmentaires, limitées
à certains domaines : ils appellent au contraire une vision
d'ensemble et une démarche globale.