II. LES PRÉVISIONS POUR 1996 ET 1997
A. LE CONTENU DU RAPPORT DEPOSÉ PAR LE GOUVERNEMENT
1. Un rapport économique et financier ?
Le document déposé par le Gouvernement à l'occasion du débat d'orientation budgétaire contient deux rapports : l'un sur l'évolution de l'économie nationale et des finances publiques, l'autre spécifiquement consacré au débat d'orientation budgétaire.
La communication du premier de ces rapports répond à l'obligation faite au Gouvernement par l'article 38 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances d'adresser au Parlement, en l'absence de dépôt d'un projet de loi de finances rectificative, un rapport sur l'évolution de l'économie nationale et des finances publiques avant le 1er juin.
Une fois indiqué qu'il y a lieu de se réjouir de la bonne exécution par le Gouvernement de cette obligation juridique, il faut observer que celle-ci n'est, sur le fond, pas pleinement satisfaisante.
Le document présenté n'a, en effet, pas la même portée que le rapport définissant l'équilibre économique et financier que l'article 38 de l'ordonnance susvisée impose au Gouvernement de communiquer en même temps que son projet de loi de finances initial.
On ne peut, en particulier, y trouver d'indications assez précises et détaillées pour qu'y soient définis "l'équilibre économique et financier, les résultats connus et les perspectives d'avenir".
2. La commission des Comptes et des budgets économiques de la Nation
Pourtant, de tels éléments ont déjà fait l'objet d'une communication officielle par le Gouvernement devant l'instance restreinte que constitue la commission des Comptes et des budgets économiques de la Nation à la fin du mois de mars dernier.
À cette occasion, le Gouvernement a, en effet, présenté la première esquisse de ses budgets économiques dont il aurait été souhaitable qu'il communique à l'ensemble du Parlement une version mise à jour à l'occasion de ce débat.
Les budgets économiques de la Nation qui comportent une description détaillée de l'activité de l'économie nationale pour l'année en cours et l'année suivante et sont bâtis à partir de méthodes d'analyse conjoncturelle et du fonctionnement du modèle METRIC, décrivent en détail les perspectives économiques associées aux choix budgétaires du Gouvernement.
Ils apportent une information économique et financière détaillée et cohérente dont la communication aurait été utile au Parlement à l'occasion du débat d'orientation budgétaire.
B. LES PRINCIPAUX ÉLÉMENTS DE LA PRÉVISION DU GOUVERNEMENT POUR 1996 ET 1997
Équilibre du PIB en volume
(En %)
La croissance du PIB s'élèverait à 1,3 % en 1996 -contre une prévision de 2,8 % associée à la loi de finances pour 1996- et s'accélérerait en 1997 où elle serait de + 2,8 % .
La progression de l'activité en 1996 suppose une reprise économique et le retour en cours d'année à une croissance de l'ordre de 2,5 %.
Le scénario de la prévision attribue un rôle central à la demande des entreprises dont l'investissement s'accélérerait. L'investissement des entreprises expliquerait 0,4 point de la croissance en 1996 et 0,7 point des 2,8 % de croissance de 1997. En outre, à un comportement de déstockage les entreprises substitueraient ensuite un comportement inverse si bien que de négative en 1996 la contribution des stocks à la croissance deviendrait positive l'année suivante (0,4 point de croissance en 1997).
La consommation des ménages progresserait de 1,3 % en 1996 puis de 1,8 % en 1997 contre 1,7 % en 1996.
La consommation des administrations s'accroîtrait respectivement de 1,6 % et 1,5 % en 1996 et 1997.
Quant aux échanges extérieurs leur contribution à la croissance resterait positive en 1997 mais moins qu'en 1996 (+0,1 point contre + 0,3 point).
Conséquence de ce scénario, l'emploi salarié resterait stable en 1996 et progresserait de 1,2 % en 1997. Il s'ensuivrait une augmentation du chômage contenue à partir de 1997.
Cette évolution pèserait sur l'accroissement des rémunérations salariales et le pouvoir d'achat du taux de salaire par tête n'augmenterait respectivement que de 0,6 et 1 % en 1996 et 1997.
L'inflation resterait contenue, les prix à la consommation ne progresseraient en moyenne que de 1,8 et 1,7 %.
Enfin, le besoin de financement des administrations publiques passerait de 4 à 3 % du PIB entre 1996 et 1997.
C. DE QUELQUES INCERTITUDES
(1) BIPE : Bureau d'informations et de prévisions économiques
(2) OFCE : O bservatoire français des conjonctures économiques
(3) REXECODE : Centre de recherches pour l'expansion de l'économie el le développement des entreprises
(4) Emplois salariés seulement
(5) Niveau moyen sur la période
Source Service des Études du Sénat. Division des Études Macro-économiques
Le tableau précédent illustre quelques unes des incertitudes qui s'attachent à la prévision du Gouvernement.
1. Quel environnement international ?
La première incertitude est relative à l'environnement international de l'économie française. Les hypothèses des autres instituts de conjoncture sont moins optimistes que celles des services du ministère de l'Économie et des Finances. Ainsi, si selon ces dernières la croissance moyenne de nos partenaires de l'OCDE serait de 2,3 % en 1996, l'OFCE et Rexecode retiennent des chiffres très inférieurs (+ 1,4 et + 1,8 %).
À ce sujet, force est de rappeler que les instituts de prévision allemands estiment que la croissance en Allemagne, qui est notre principal partenaire, ne devrait pas dépasser 0,5 % en 1996.
De la même manière, le dynamisme de l'économie américaine comporte des effets ambigus pour les économies européennes. Porteur d'activité via l'accroissement de la demande adressée à celles-ci, il est aussi à la source d'inquiétude sur ses conséquences potentielles en matière de taux d'intérêt.
2. Quelle réduction des déficits ?
Une deuxième incertitude porte sur les performances réalisées en matière d'assainissement des finances publiques.
Dans le rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire, il est souligné que les perspectives de croissance retenues par le Gouvernement pour 1996 et 1997 sont très proches de celles des différents instituts de prévision français.
Ce commentaire est exact, mais il convient d'observer que, derrière la similitude des prévisions de croissance économique, apparaît une très grande différence quant au niveau des déficits publics.
En effet, si le Gouvernement prévoit qu'en 1997 le besoin de financement des administrations publiques atteindra l'objectif fixé de 3 % du PIB, le "consensus" des autres prévisionnistes retient un niveau de déficit de l'ordre de 3,8 % du PIB.
On doit donc relever un vif contraste entre des prévisions économiques convergentes et des prévisions en matière de finances publiques caractérisées par un fort écart entre les perspectives du Gouvernement et celles des autres prévisionnistes.
Derrière ces écarts apparaît en réalité un débat sur la nature des effets à court terme de la réduction des déficits.
Un rappel sommaire des termes de ce débat suffira. Il oppose une vision keynésienne de l'économie, où la réduction des déficits publics exerce son effet dépressif sur l'activité, à une analyse néoclassique, où l'épargne publique provoque les conditions d'une désépargne privée qui vient en compenser les effets.
3. Quels comportements des agents économiques ?
Enfin, le comportement des agents économiques sous-jacent à la prévision de croissance pour 1996 et 1997 suppose la rupture avec certaines tendances.
Il en va ainsi pour le comportement de consommation des ménages. Dans la prévision du Gouvernement la consommation des ménages s'accroît davantage que le pouvoir d'achat de leur revenu. Une telle évolution n'est possible que si la condition d'une baisse du taux d'épargne des ménages est remplie. Elle devrait être de 0,5 point en 1996 et encore de 0,6 point en 1997. La vive croissance de la consommation au premier trimestre de l'année donne du crédit à cette hypothèse. Elle a d'ores et déjà permis de dégager un fort acquis de croissance de la consommation pour cette année. Mais la poursuite de cette tendance demeure hypothétique.
En ce qui concerne les entreprises, l'accroissement de leur effort d'investissement en 1996 suppose qu'elles soient moins sensibles à la conjoncture économique générale qu'au retard à combler dans leur équipement et moins attachées que par le passé récent à rétablir une situation financière certes améliorée mais moins -voir supra- qu'escompté.
La reprise économique décrite par la prévision du Gouvernement est, à l'évidence, envisageable compte tenu des progrès réalisés par l'économie française sur de nombreux fronts : inflation, compétitivité des entreprises, coût du financement...
Il n'en reste pas moins que certaines incertitudes l'entourent.
L'effort d'épargne réalisé par le secteur public sera-t-il compensé par la désépargne des agents privés ?
L'environnement international de la France n'affectera-t-il pas nos marges de manoeuvre ?
Ces incertitudes justifient, à elles seules, une politique des finances publiques prudente d'autant que la composition de la croissance où l'investissement et la demande extérieure devraient continuer de jouer un rôle essentiel dans un contexte de grande modération salariale n'est "a priori" guère favorable à une réduction spontanée des déficits.