VII. LA BULGARIE : DES INQUIÉTUDES
L'évolution de la politique audiovisuelle en Bulgarie suscite quelques inquiétudes.
Le retour au pouvoir des ex-communistes, en décembre 1994, s'est en effet traduit, en mai 1995, par la nomination de nouveaux directeurs à la radio, à la télévision, à l'agence de presse nationale et par une mise à l'index de l'opposition anticommuniste dans les média officiels, avant les élections municipales d'octobre 1995. Une pétition dénonçant le retour de la censure fut adressée au Gouvernement, le 22 novembre 1995, par trente-quatre signataires. Le 18 décembre 1995, les sept journalistes de la radio nationale bulgare signataires de cette pétition étaient licenciés.
Ils ont cependant été reçus par le Président de la République M. Jeliou Jelev. Ancien dissident, victime lui aussi d'un certain ostracisme de la part des média publics. Ce dernier, qui a réclamé à son tour la démission du directeur de la radio nationale, a estimé que « Le Parti socialiste bulgare n entend pas seulement censurer mais usurper les moyens d'information nationaux » et qu'il était difficile « d'imaginer que la candidature de la Bulgarie à l'Union européenne ou à l'OTAN soit sérieusement envisagée alors que des journalistes réputés de média nationaux sont mis à la porte d'une manière aussi brutale ».
Cette situation politique explique le caractère peu développé du paysage audiovisuel bulgare, en attente d'un statut.
A. UNE RÉGLEMENTATION ATTENDUE
Des projets de loi sur l'audiovisuel sont en discussion au Parlement bulgare. Aucun d'entre eux n'a encore été adopté. Ces projets prévoient une présence prédominante d'oeuvres européennes et une promotion de la production nationale de films de télévision. Ils prennent en compte les principes de protection de la production audiovisuelle européenne inhérents à la Directive « Télévision sans Frontières » et à la Convention sur la télévision transfrontalière. D'ores et déjà, la télévision nationale bulgare s'efforce, dans la mesure de ses possibilités financières, de diffuser des oeuvres européennes, ainsi que des oeuvres nationales.
L'instance compétente pour la diffusion télévisée - voies hertziennes et câbles - est le Comité des Postes et Télécommunications, qui a rang de ministère et dont le Président est M. Lubonir Kolarov. Selon cette institution « la liberté de réception, de transmission et de retransmission est assurée conformément il l'article 10 de la Convention européenne sur les droits et les libertés fondamentales de l'homme, convention dont la Bulgarie est signataire depuis I991. Le droit fondamental ainsi que la liberté d'opinion et de diffuser des informations, sont sanctionnés par la Constitution (articles 39, 40 et 41) » .
Le Comité a attribué 51 licences de diffusion radiophonique, 17 licences de diffusion télévisée par voie hertzienne et 94 licences à des opérateurs du câble.
Les conditions d'attribution d'une licence prévoient notamment que la société candidate soit une personne physique ou une personne morale enregistrée selon le code commercial bulgare ; le dossier de demande doit comprendre en particulier une grille de programmes, préciser la langue de diffusion, comporter une déclaration concernant le respect des droits d'auteur, et l'engagement de ne pas diffuser des programmes à caractère d'intolérance nationale ou religieuse, pornographique, violent, ou portant atteinte aux droits de l'homme. La durée maximale des licences est de 5 ans pour la radio et de 10 ans pour la télévision.
La principale instance régulatrice des décisions du Comité des Postes et télécommunications est la Commission parlementaire pour l'audiovisuel
Il semblerait qu'il y ait un consensus entre les différents projets législatifs pour mettre en place une institution qui s'inspirerait du Conseil supérieur de l'audiovisuel existant en France.
B. UN AUDIOVISUEL PEU DÉVELOPPÉ
Un décret du 18 juin 1992 a décidé la cessation du monopole d'État dans le secteur audiovisuel. Il a permis la création de chaînes de radio et de télévision privées. En revanche, aucun projet de privatisation des chaînes nationales n'est en vue.
Le budget d'État de la télévision nationale s'élève à 3.7 millions de dollars pour 1995. Ses recettes publicitaires s'élevaient à 4 millions de dollars en 1994, soit un budget total d'environ 40 millions de francs.
La redevance est purement symbolique : 12 léva (soit à peine 1 franc) par an et par poste.
Pour la radio nationale le budget d'État (non communiqué) est supérieur aux recettes publicitaires.
Nova TV , unique chaîne de télévision privée, serait financée par l'entreprise Multimex qui serait liée à la société Multigroup, une des premières puissances financières du pays (pétrole, transports, électricité, matières premières, etc.). Elle n'enregistre pas de recettes publicitaires conséquentes (80 000 dollars en 1994).
On estime à 350 000 le nombre de foyers câblés en Bulgarie, dont environ 100 000 à Sofia, mais seulement 33 000 foyers sont reliés à des réseaux légaux. Par conséquent, plus de 90 pour cent du réseau actuel est illégal. Le Comité des PTT souhaiterait légaliser les câblodistributeurs « pirates » afin de pouvoir exercer un véritable contrôle sur l'ensemble du secteur. L'adoption d'une loi sur l'audiovisuel devrait pouvoir modifier les pratiques actuelles.
En termes d'audience et d'impact, la télévision nationale jouit d'une place prédominante. New Télévision est la première chaîne privée à se tailler une place non négligeable dans le paysage audiovisuel. Seven days (privée) vient de commencer à émettre sur une partie de la région de Sofia.
De même la radio nationale est dominante en termes d'audience et d'impact. Les principales stations privées sont Radio FM +. Signal + et Viva.
C. LES DIFFICULTÉS DES MÉDIA FRANÇAISE EN BULGARIE
La Bulgarie est un État francophone et francophile : le français est parlé par 300 000 personnes - sur huit millions d'habitants - et un Bulgare sur trois comprend le français. Toutefois, le développement des média français n'en est pas rendu plus aisé.
1. Les difficultés de TV5
Dans le domaine audiovisuel, les autorités bulgares déclarent volontiers vouloir appliquer les orientations et directives européennes et respecter le principe de la liberté de réception des émissions de télévision en provenance d'États européens tiers. Dans la pratique, il est possible de déceler dans les décisions du Comité des Postes et Télécommunications la volonté de réserver le réseau hertzien aux opérateurs nationaux publics et privés.
Le contenu de la future loi sur l'audiovisuel, ainsi que l'aptitude de la Bulgarie à saisir les opportunités offertes par Média 2, permettront de mesurer la capacité de ce pays à intégrer l'Union européenne.
Dans cette perspective, il serait bon que la Bulgarie favorise effectivement la diffusion d'une chaîne européenne comme TV5 Europe plutôt que CNN, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Depuis 1991, la présence de TV5 et CFI a placé la France en bonne position sur les écrans de télévision bulgares.
Depuis 1991, à la demande de la municipalité, les programmes de TV5 sont diffusés sur Sofia, par voie hertzienne. La convention qui autorisait cette diffusion prévoyait huit heures d'émission quotidienne (de 17 heures à 1 heure). Des conventions analogues ont été signées dès 1991 avec des municipalités de Plovdiv (deuxième ville du pays) et de Bourgas.
Les conditions d'attribution des fréquences pour les stations radiophoniques et les chaînes de télévision ont été réglementées en juin 1992. Conformément à ces règles. TV5 a constitué en 1994, une SARL de droit bulgare. TV Penta.
Fn juillet 1994, la Commission provisoire d'attribution des fréquences du Comité des Postes et Télécommunications a toutefois décidé de réduire le temps de diffusion de TV5 de 2 h 30 (17 heures-22 h 30) et d'attribuer, sur le canal 41, la tranche horaire restante (22h30-17 h) à CNN.
Depuis lors, le maintien de TV5 à Sofia sur le réseau hertzien est incertain, malgré l'intervention de M. Jacques Toubon, alors Ministre de la Culture et de la Francophonie, lors de sa visite à Sofia (22-24 mars 1995) suivie de celle de M. Patrick Imhaus. Président de TV5, en mai de la même année. Fa licence autorisant TV5 à diffuser de 17 h à 22 h 30, qui expirait le 31 août, n'a été reconduite que jusqu'au 31 décembre 1995, avec, il est vrai, une prolongation de la diffusion jusqu'à 23 h.
Dans ces conditions, en l'absence de garanties suffisantes, les investissements proposés par TV5 avec l'aide du ministère des Affaires étrangères (environ 1,6 million de francs), pour améliorer la qualité de l'image et produire une heure par jour de programmes sous-titrés en bulgare n'ont pas été effectués.
Le Président du Comité persiste dans son intention d'attribuer le canal 41 à une (ou plusieurs) chaîne(s) nationale(s) privée(s), obligeant ainsi TV5 à être diffusée uniquement par le câble. Or, si 100 000 foyers sont câblés à Sofia, seulement dix pour cent le sont légalement l'idée du Comité des Postes serait de légaliser les câblodistributeurs « pirates » et de leur imposer la reprise de TV5 dans leurs bouquets de programmes. C'est le langage qu'il a continué de tenir lors de contacts ultérieurs.
À part Sofia, TV5 est diffusée dans la plupart des grandes villes de Bulgarie, à l'exception de Varna.
Cette couverture satisfaisante de la province ne semble pas être remise en cause sauf si la future loi sur l'audiovisuel prévoyait l'interdiction de toute diffusion hertzienne de chaînes étrangères.
CFI reste la principale source de programmes français de la télévision nationale qui reprend en moyenne une trentaine d'heures par mois. La réforme annoncée par CFI suscite des interrogations, tant du côté de la télévision nationale, seul partenaire actuel, que des télévisions privées, qui pourraient être concernées à l'avenir.
MCM est diffusé à Bourgas en hertzien de 2 à 4 heures par jour.
M6 est présente sur différents réseaux câblés. Il faut noter le net succès d'Eurosport et de MCM sur le câble faisant suite au cryptage de MTV
Ostankino 1 est diffusé de 5 à 15 heures par jour selon les villes, en réseau hertzien et CNN, sur le même canal que TV5 (canal 41 ) de 23 h 00 à 17 h 00. Deutsche Welle est présent sur le câble et la télévision nationale reprend chaque semaine quelques heures d'Euronews .
2. Les difficultés de RFI
Présente à Sofia en modulation de fréquence depuis 1991. RFI a obtenu une licence d'exploitation jusqu'en 1999. Un studio de production de programmes locaux, installé à l'Institut français de Sofia, permet, depuis le 16 octobre 1995, de diffuser quotidiennement en bulgare - condition posée pour le renouvellement de l'autorisation d'émission - une demi-heure d'information le matin et une heure de programmes musicaux et culturels l'après-midi. Selon le directeur de l'Information de RFI : « en français comme en bulgare, il s'agit d'expliquer le monde au monde, la France au monde, d'offrir une valeur ajoutée, celle de l'Europe et de l'économie ». Attentif au moindre dérapage, la radio a exclu la politique intérieure bulgare de ses bulletins d'informations, pour se consacrer à un aperçu des faits économiques, politiques et culturels émanant de l'étranger.
Le Comité des Postes a cependant refusé, sans préciser les motifs, toute les demandes d'émission de RFI effectuées par les villes de province. Cette décision a été évoquée par M Barnier. Ministre délégué aux affaires européennes, lors de sa visite officielle à Sofia les 17 et 18 décembre 1995.
RFI se trouve, en effet, confrontée à une réelle concurrence.
BBC est diffusée 24 heures sur 24 avec des points d'information diffusés de Londres en bulgare toutes les deux heures, auxquelles s'ajoutent 3 fois 1/2 heure d'émissions d'information et culturelle.
VOA Europe est diffusée de Washington de 22 heures à 6 heures 30 dont 1/2 heure en bulgare.
Deutsche Welle est diffusée 24 heures sur 24 dont 3 fois 1/2 heure en bulgare.
Plusieurs radios privées FM de province diffusent les émissions en bulgare de la BBC et de VOA Europe.
Certaines radios diffusent les programmes musicaux de VOA Europ e pendant la nuit.
Europe libre a son propre réseau en province qu'elle partage avec la radio libre FM Classique.
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Davantage encore que la Roumanie, le pluralisme de l'offre audiovisuel a du mal à s'imposer en Bulgarie autant dans les faits qu'en principe.
Faute d'un statut moderne et d'une économie dynamique de l'audiovisuel, le paysage audiovisuel bulgare demeure anémié.
Malgré la francophilie affichée, les média français rencontrent des difficultés à s'implanter. L'ouverture de la Bulgarie aux média étrangers, et notamment européens, doit se poursuivre.