E. LE PROBLÈME MONÉTAIRE
Si le risque de voir des secteurs industriels de l'Union européenne être mis gravement en difficulté du seul fait des spécialisations des PAECO paraît devoir être relativisé, ce risque pourrait en revanche devenir beaucoup plus grand dans l'hypothèse où s'y ajouteraient des pratiques de « dumping monétaire ».
• Il ne semble pas que les monnaies des PAECO soient
aujourd'hui fortement sous-évaluées ; leur taux de change
est certes inférieur à ce que suggèrerait une approche en
termes de parité de pouvoir d'achat, mais la théorie
économique enseigne que cette approche doit être corrigée,
dans le cas des pays en situation de rattrapage, par la différence des
productivités.
Les biens produits par les « secteurs exposés » de ces pays ne peuvent en effet être compétitifs sur le marché international qu'au prix d'une sous-évaluation par rapport à la parité de pouvoir d'achat, en raison des tendances inflationnistes naissant de la contagion des augmentations de salaire des « secteurs exposés » vers les « secteurs abrités » qui connaissent une forte intensité en travail et de faibles gains de productivité (voir annexe, p. 48).
II n'y a donc « dumping monétaire » que si la sous-évaluation de la monnaie par rapport à la parité de pouvoir d'achat est plus que proportionnelle à la différence des niveaux de développement.
Si tel était le cas pour les PAECO, on pourrait observer des tendances anormales à la baisse dans les prix à l'importation dans l'Union européenne, entraînant une évolution négative sur la balance commerciale de cette dernière : or, comme cela a été souligné plus haut, l'Union européenne dégage au contraire un excédent croissant dans ses rapports avec les PAECO.
• Toutefois, les déséquilibres
sectoriels entraînés par la forte dépréciation,
à partir de l'automne 1992, des monnaies de plusieurs États
membres de l'Union ont montré la nécessité,
parallèlement à la création d'une monnaie unique par
certains des États membres de l'Union européenne, d'assurer une
stabilité suffisante des relations monétaires entre les pays
participant à l'union monétaire et les pays qui, provisoirement,
resteront en dehors de celle-ci.
Les PAECO ne sont pas appelés à participer à l'union monétaire à court et moyen terme : l'étude de l'OFCE souligne à cet égard (voir annexe, p. 146) que « cette hypothèse exigerait une intensification des mesures de stabilisation - déjà très rigoureuses - incompatible avec la nécessité de restructuration et de croissance économique » et que « même lorsque ces pays remplissent pratiquement les critères de convergence définis par le traité de Maastricht, comme la République tchèque, leur convergence réelle est loin d' être achevée ».
L'adhésion des PAECO s'effectuera après le démarrage de la troisième phase de l'union économique et monétaire (UEM) ; ils feront donc juridiquement partie des « États membres faisant l'objet d'une dérogation » (article 109 K du traité). Or, le traité (article 109 M) impose à ces États de respecter le principe applicable à tous les États membres avant l'entrée en vigueur de la troisième phase de l'UEM, selon lequel « chaque État membre traite sa politique de change comme un problème d'intérêt commun. Les États membres tiennent compte, ce faisant, des expériences acquises grâce à la coopération dans le cadre du système monétaire européen (SME) et grâce au développement de l'Ecu, dans le respect des compétences existantes ».
La logique du traité serait donc que les nouveaux adhérents participent au système de change qui se mettra en place entre la monnaie unique et les autres monnaies européennes. On peut certes considérer qu'une telle formule, notamment dans le cas de certains pays candidats, représenterait une contrainte excessive. Cependant, compte tenu de la possibilité d'introduire dans un système tel que le SME des assouplissements particuliers pour tenir compte de la situation de certains pays, une participation des nouveaux adhérents au futur système de change semble souhaitable tant du point de vue des membres de l'Union européenne (qui auront moins de chances de devoir faire face à des dévaluations compétitives) que des nouveaux adhérents pour lesquels, comme le remarque l'étude de l'OFCE (voir annexe, p. 11), le respect d'une convergence nominale peut constituer un élément incitant à la modernisation et aidant à contenir les évolutions des coûts et des prix. Enfin, il convient de noter que les PAECO devront de toute manière avoir atteint un degré minimum de convergence réelle pour pouvoir adhérer à l'Union ; aussi bien, certains d'entre eux (Hongrie, République tchèque, Estonie) ont d'ores et déjà l'expérience d'une discipline de change.
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Au total, il apparaît indispensable de replacer les problèmes économiques de l'élargissement à l'Est dans le cadre d'une dynamique comportant une phase de préparation à l'adhésion et une phase de transition post-adhésion. A cette condition, le choix de l'élargissement, même s'il comporte de nombreuses variables aléatoires notamment pour les pays candidats, devrait favoriser le processus de rattrapage engagé par les PAECO tout en contribuant à améliorer les perspectives de croissance de l'Union à Quinze à mesure que le niveau de vie progressera dans les nouveaux marchés ainsi ouverts.
L'exemple de l'adhésion de l'Espagne doit être rappelé dans la mesure où cet élargissement, qui avait suscité de vives appréhensions en France, a eu dans la durée des effets nettement bénéfiques sur l'économie de notre pays : les exportations françaises vers l'Espagne ont été, depuis l'adhésion, multipliées par quatre, tandis que les investissements français dans ce pays étaient multipliés par dix ; la France dégage un excédent régulier dans ses échanges avec l'Espagne, y compris dans le domaine agricole et agro-alimentaire.
Les premières mesures de libéralisation des échanges avec les PAECO ont été, de même, accueillies avec inquiétude par la France : or celle-ci, dont les échanges avec ces pays étaient traditionnellement déficitaires, dégage aujourd'hui un excédent, y compris, là également, dans le domaine agricole et agro-alimentaire, et cela alors même que, selon l'étude de l'OFCE (voir annexe, chapitre III), ces échanges se situent nettement au-dessous de leur potentiel.
Il convient donc d'envisager sans frilosité la perspective de l'élargissement : il ne s'agit pas là, pour reprendre une formule due au Président Edgar Faure, d'une « politique sans risques », (il n'en existe d'ailleurs pas, remarquait-il) mais pas non plus d'une « politique sans chances » (ce qu'était la politique dilatoire adoptée par la France au début des années 1990).