Rapport d'information n° 228 (1995-1996) de M. Denis BADRÉ , fait au nom de la délégation pour l'Union européenne, déposé le 15 février 1996
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I. À CONDITION D'ÊTRE MIS EN
OEUVRE DE MANIÈRE PROGRESSIVE, L'ÉLARGISSEMENT NE POSERA PAS DE
PROBLÈME INSURMONTABLE SUR LE PLAN MACROÉCONOMIQUE
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II. LES PRINCIPES ET OBJECTIFS DE LA POLITIQUE
AGRICOLE COMMUNE DEVRONT ÊTRE CONSERVÉS ; EN REVANCHE, LA
POLITIQUE DE COHESION DEVRA ÊTRE REVUE
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CONCLUSION
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EXAMEN DU RAPPORT
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INTRODUCTION GÉNÉRALE ET
RÉSUMÉ DES PRINCIPALES CONCLUSIONS
N° 228
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 15 février 1996.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1),
sur les conséquences économiques et budgétaires de l 'élargissement de l'Union européenne aux pays associés d'Europe centrale et orientale (PAECO)
Par M. Denis BADRÉ,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : MM. Jacques Genton, président ; James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Philippe François, vice-présidents : Nicolas About, Michel Caldaguès, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, François Lesein, Paul Loridant, Charles Metzinger, secrétaires : MM. Robert Badinter, Denis Badré, Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, MM. Charles Descours, Ambroise Dupont, Jean François-Poncet, Yves Guéna, Christian de La Malène, Pierre Lagourgue, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Guy Penne, Mme Danièle Pourtaud, MM. Jacques Rocca Serra, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, André Rouvière, Jean-Pierre Tizon, René Trégouët, Marcel Vidal, Xavier de Villepin.
Union européenne - Elargissement de l'Union européenne - Fonds structurels - Pays d'Europe centrale et orientale - Politique agricole commune - Rapports d'information.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le Conseil européen de Copenhague, en juin 1993, a approuvé le principe de l'élargissement de l'Union européenne (UE) aux pays associés d'Europe centrale et orientale (PAECO). Neuf pays ont d'ores et déjà présenté une demande d'adhésion : la Bulgarie, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie ; par ailleurs, la Slovénie entend faire de même lorsqu'elle aura conclu un accord d'association avec l'Union européenne (accord qui n'a pu jusqu'à présent être conclu en raison d'un contentieux avec l'Italie portant sur le statut des biens immobiliers appartenant à des Italiens avant la seconde guerre mondiale).
Avec la perspective de l'adhésion de ces dix pays, la Communauté va se trouver confrontée à ce que M. Alain Lamassoure a appelé « la révolution du nombre et de l'hétérogénéité » : si l'on tient compte des candidatures, plus anciennes, de Chypre et de Malte, l'Union pourrait compter, d'ici dix à quinze ans, vingt-sept États membres et connaître des écarts de développement considérables entre ses parties occidentale et septentrionnale, d'une part, et ses parties méditerranéenne et surtout orientale, d'autre part ; démographiquement, elle passerait de 370 à 476 millions d'habitants. Ses équilibres économiques, financiers, institutionnels, seraient inéluctablement remis en question.
Le Conseil européen de Madrid a prévu que les négociations en vue de l'élargissement s'ouvriraient six mois après la conclusion de la conférence intergouvernementale chargée de réviser le traité sur l'Union européenne : à supposer que celle-ci s'achève, comme nombre de gouvernements ont déclaré le souhaiter, au cours du premier semestre de 1997, alors les négociations pourraient commencer dès le début de 1998.
Le texte des conclusions de la Présidence est le suivant :
« Le Conseil européen répète que les négociations en vue de l'adhésion de Malte et de Chypre à l'Union commenceront, sur la base des propositions de la Commission, six mois après la conclusion de la Conférence intergouvernementale de 1996, en tenant compte de ses résultats (...).
« Le Conseil européen aspire à ce que la phase initiale des négociations [avec les PAECO] coïncide avec le commencement des négociations avec Chypre et Malte ».
Ces négociations vont s'insérer dans un calendrier déjà singulièrement chargé :
- 1996-1997 : conférence intergouvernementale
- 1998 : décision sur la liste des États membres entrant dans la troisième phase de l'Union économique et monétaire (UEM)
- 1999 : détermination des perspectives financières de la Communauté. Entrée dans la troisième phase de l'UEM
- 2003 : terme de la « clause de paix » commerciale contenue dans les accords de Marrakech.
Les risques d'interférence entre le processus d'élargissement et ces échéances sont évidents et pourraient conduire à des crises :
- les problèmes budgétaires que pose l'élargissement appelleront des choix difficiles avec le risque d'oppositions fortes entre les pays contributeurs nets, les bénéficiaires actuels de l'effort de cohésion, et les PAECO ; les arbitrages seront d'autant plus difficiles à rendre que les principaux contributeurs nets seront durablement engagés dans un effort de rigueur budgétaire dans le cadre du « pacte de stabilité » qui accompagnera l'entrée dans la troisième phase de l'UEM. Dans ce contexte, la liste et le contenu des politiques communes, les priorités budgétaires et sans doute la procédure budgétaire elle-même devront être revus.
- les demandes de compensations que les partenaires commerciaux de la Communauté ne manqueront pas de lui présenter sur la base de l'article XXIV-6 du GATT lors des nouvelles adhésions, au moment même où la « clause de paix » des accords de Marrakech arrivera à terme, pourraient aboutir à des concessions qui remettraient en cause les politiques communes, d'autant que les difficultés budgétaires prévisibles pousseront dans ce même sens.
Dans un tel contexte, il est indispensable que la conférence intergouvernementale parvienne à créer les conditions de l'efficacité d'une Union élargie. En l'absence des adaptations institutionnelles nécessaires, la Communauté non seulement ne pourrait fonctionner de manière satisfaisante après l'élargissement, mais encore aurait les plus grandes difficultés à prendre les décisions préparant ou accompagnant celui-ci.
Votre rapporteur se félicite donc que le Conseil européen ait fait du succès de la conférence intergouvernementale un préalable à l'élargissement. De même, il approuve la position du Gouvernement sur la nécessité d'aborder séparément les différentes échéances de la construction européenne au cours de la prochaine décennie. Il est certes nécessaire d'avoir une vision globale commune de l'évolution souhaitable de l'Union, mais les négociations sur les différentes échéances doivent rester indépendantes les unes des autres, si l'on veut éviter les risques de blocage que susciterait la recherche de compromis portant à la fois sur l'élargissement, sur les perspectives financières, et sur les relations entre participants et non-participants à la monnaie unique.
Étant donné l'ampleur des questions soulevées par le processus d'élargissement, la délégation du Sénat pour l'Union européenne a décidé de suivre ce processus dans la durée. Sans remettre en cause la répartition des rôles entre le Parlement et le Gouvernement telle qu'elle résulte de la Constitution, l'on ne pourrait en effet admettre que, dans des domaines d'une telle importance, le contrôle parlementaire se ramène au débat de ratification des résultats de négociations au cours desquelles les Assemblées n'auraient pu s'exprimer. Il est nécessaire que le Parlement soit suffisamment informé et associé pendant les négociations elles-mêmes, pour pouvoir faire valoir ses préoccupations en temps utile ; cette expression parlementaire, dont la portée est indicative, ne peut être considérée comme une atteinte aux prérogatives de l'Exécutif ; au surplus, elle est indispensable si l'on entend obtenir l'adhésion de l'opinion au processus d'élargissement.
La délégation a abordé une première fois les problèmes de l'élargissement à l'Est, sous l'angle de la situation économique des pays candidats et de la question de leur adhésion à l'UEO et à l'OTAN, sur le rapport de M. Jacques Golliet (n° 567. 1993-1994).
Elle s'est prononcée sur la réforme des institutions de l'Union dans la perspective de la conférence intergouvernementale, sur le rapport de M. Yves Guéna (n° 224, 1994-1995).
Il est apparu nécessaire, ensuite, d'examiner plus particulièrement les conséquences économiques et budgétaires de l'élargissement, notamment son impact prévisible sur les principales politiques communes.
Tout en prenant connaissance avec intérêt des analyses présentées à ce sujet par la Commission européenne lors du sommet de Madrid, la délégation a souhaité disposer d'une expertise indépendante et a, pour cela, demandé une étude à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui s'est adjoint la collaboration d'économistes du Deutsches Institut für Wirtschaftsordnung (DIW, Berlin). Les résultats de cette étude sont publiés intégralement en annexe au présent rapport.
Par ailleurs, la délégation a entendu, le 17 janvier dernier, le ministre délégué au budget, M. Alain Lamassoure, sur les conséquences budgétaires de l'élargissement de l'Union aux PAECO.
Enfin, votre rapporteur a complété son information en rencontrant des hauts fonctionnaires des différents ministères concernés, et par des entretiens avec M. Luc Guyau, président de la FNSEA, et M. Jean-Claude Sabin, vice-président de l'APCA chargé des affaires européennes et internationales.
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L'élargissement mettra en cause l'ensemble des politiques communes de l'Union et devra conduire à une analyse critique de celles-ci. La politique commerciale de l'Union, comme on l'a déjà souligné, la politique agricole commune, la politique de cohésion, mais aussi les politiques menées dans le domaine social, dans ceux de la recherche, de l'environnement, de l'énergie, des transports et bien sûr de la sécurité nucléaire devront être réexaminées en fonction de l'élargissement. Les données de base des deuxième et troisième « piliers » de l'Union vont se trouver transformées.
Le principe de subsidiarité devra être, à bien des égards, le fil conducteur de ce réexamen. Une Communauté comptant vingt-sept États membres aux situations extrêmement diverses ne pourra se fixer comme objectif de constituer un échelon d'administration supplémentaire dans les domaines les plus variés. Ce n'est pas en intervenant dans le détail du financement de programmes de recherche ou de projets d'aménagement qu'elle trouvera sa meilleure justification, mais au contraire en se concentrant sur les missions essentielles qu'elle seule peut accomplir : pour reprendre l'exemple de l'aménagement du territoire, c'est en privilégiant les investissements transnationaux structurants qu'elle remplira pleinement son rôle ; pour reprendre celui de la recherche, c'est en cherchant d'abord à susciter ou favoriser toutes les synergies entre les efforts de recherche nationaux qu'elle apportera une utilité spécifique. Dans les deux cas, on voit à quel point l'idéal d'une Communauté « proche des citoyens » est souvent mal compris : une Communauté proche des citoyens n'est pas une Communauté intervenant toujours plus dans les domaines affectant directement la vie quotidienne des citoyens : c'est au contraire une Communauté répondant aux préoccupations de ceux-ci en se montrant efficace dans les domaines qui relèvent de sa responsabilité spécifique.
Il va de soi que le présent rapport n'entend pas aborder, même très rapidement, l'ensemble de ces questions. Conçu comme une étape dans une démarche de suivi global, il se propose seulement d'essayer de cerner, sur un plan général, les conséquences économiques et budgétaires de l'élargissement et, sur un plan plus particulier, ses principales conséquences sur la politique agricole commune et sur les politiques structurelles.
Votre rapporteur, à partir des éléments d'information qu'il a pu réunir sur ces aspects, entend souligner notamment les points suivants :
- à condition d'être mis en oeuvre de manière progressive, l'élargissement ne posera pas de problème insurmontable sur le plan macroéconomique et pourrait, au contraire, aider les économies de l'Europe occidentale à retrouver une perspective de croissance plus forte ;
- les principes et objectifs fondamentaux de la politique agricole commune (c'est-à-dire, pour l'essentiel, la capacité à répondre aux besoins des consommateurs européens, à contribuer à un aménagement harmonieux du territoire, et à participer à l'expansion des échanges mondiaux) pourront et devront être conservés ;
- une réforme profonde des politiques structurelles sera nécessaire, non dans le but d'atténuer l'effort de cohésion, mais dans celui de simplifier ses procédures et de concentrer ses objectifs ; tirant les leçons des faiblesses et des limites du programme PHARE, les aides structurelles apportées aux PECO devront se fixer un nombre réduit de priorités parmi lesquelles la modernisation des infrastructures.
I. À CONDITION D'ÊTRE MIS EN OEUVRE DE MANIÈRE PROGRESSIVE, L'ÉLARGISSEMENT NE POSERA PAS DE PROBLÈME INSURMONTABLE SUR LE PLAN MACROÉCONOMIQUE
Les PAECO sont, pour la plupart, des « petits » pays selon les références communautaires : seule la Pologne, dont la population, avec 38,4 millions d'habitants, est comparable à celle de l'Espagne, fait exception ; on peut considérer que la Roumanie, avec 22,8 millions d'habitants, appartient à une catégorie intermédiaire, mais les huit autres pays candidats ne représentent, ensemble, que 44 millions d'habitants, la population totale concernée par l'élargissement à l'Est atteignant ainsi 106 millions d'habitants.
Le poids économique des PAECO est difficile à apprécier en raison des incertitudes pesant sur la fiabilité des statistiques disponibles. Si l'on s'en tient à ces dernières, le PIB cumulé de ces dix pays représente moins de 4 % de celui de l'Union européenne et ne dépasse guère celui des seuls Pays-Bas. Exprimé en standards de pouvoir d'achat, le PIB par habitant s'établit à environ 30 % de la moyenne communautaire, avec des écarts importants entre les pays : pour la Slovénie, la République tchèque, l'Estonie, ce ratio atteint 40 à 50 % de la moyenne communautaire ; dans le cas de la Roumanie, il n'atteint pas 20 % de celle-ci.
Même si ces données doivent être considérées avec prudence, elles sont révélatrices à la fois de l'ampleur du rattrapage à réaliser, et des enjeux relativement limités pour l'Union européenne, sur le strict plan économique, de l'élargissement à l'Est. Celui-ci, comme le souligne la Commission européenne dans le rapport intérimaire (CSE (65) 605) qu'elle a remis au Conseil européen de Madrid, est un défi qui s'adresse principalement aux pays candidats eux-mêmes, auxquels « il incombe de mettre en place le cadre réglementaire et administratif adéquat, de réaliser la restructuration et la réorientation de leurs économies et d'assurer la stabilité de leur développement macro-économique sur une longue période » .
A. DES EVOLUTIONS POSITIVES
1. Le retour de la croissance
Aussi bien la Commission européenne, dans son rapport au Conseil européen (CSE (95) 606) sur la préparation à l'adhésion des PAECO, que la commission économique pour l'Europe de l'ONU, dans son « Bulletin économique pour l'Europe » (décembre 1995), observent que la situation économique des PAECO s'est redressée, après une période de récession liée à la réorientation externe et interne caractérisant le début du processus de transition.
En 1994, dernière année pour laquelle des statistiques complètes sont disponibles, le taux de croissance a été compris entre 2 % et 5 % selon les pays ; des statistiques partielles suggèrent que cette tendance à la reprise, qui avait commencé à se manifester dès 1993, s'est dans l'ensemble poursuivie en 1995. Le nombre des chômeurs dans les PAECO, qui atteignait 7,6 millions au début de 1994, s'établissait ainsi à 6,8 millions au milieu de l'année 1995, soit une diminution de 10,4 %.
Si le taux d'inflation est resté élevé (de l'ordre de 10 % dans le cas de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Slovénie, supérieur à 20 % dans les autres pays et dépassant 50 % dans le cas de la Bulgarie), il a diminue dans l'ensemble des PAECO. Dans la plupart de ceux-ci (la Roumanie, la Lettonie et la Lituanie faisant exception), les déficits budgétaires ont par ailleurs été réduits.
Quelles que soient les difficultés actuelles des pays candidats -malgré la reprise générale, un seul d'entre eux, la Pologne, a retrouvé le niveau de production qu'il avait atteint avant la récession caractérisant le début du processus de transition- on peut conclure que la réorientation de leurs économies commence à porter ses fruits. Contrairement à ce que l'on pouvait craindre au vu des retards considérables légués par un demi-siècle d'économie planifiée, et de l'ampleur de la restructuration à accomplir, la transition s'est jusqu'à présent effectuée sans crise sociale et politique assez grave pour conduire à un blocage.
2. Le développement des échanges avec l'Union européenne
La reprise s'est manifestée dans un contexte de développement des échanges avec l'Union européenne, qui est décrit dans les tableaux ci-dessous (source : Eurostat). Il est à noter que ces chiffres concernent l'ensemble des PECO, c'est-à-dire, outre les dix PAECO, l'Albanie et les États issus de l'ex-Yougoslavie : toutefois, les PAECO assurent 90 % des échanges ainsi retracés.
Importations de l'Union européenne en provenance des PECO
Exportations de l'Union européenne vers les PECO
On peut constater une progression régulière des exportations des PECO vers l'Union européenne, à laquelle le secteur agricole et agro-alimentaire fait exception.
Ce rapprochement s'exprime aussi, par comparaison, dans le fait que les importations originaires des PECO augmentent nettement plus que celles revenant de la CEI : la progression de ces dernières, entre 90 et 94, est de 31 % tandis que celles-là, sur la même période, augmentent de 167 %.
De même, la progression des exportations de l'Union européenne vers les PECO (+ 233 % entre 90 et 94) est bien plus forte que celle des exportations vers la CEI (+ 42 %).
Par ailleurs, il apparaît que, même si les flux provenant des PECO représentent en 1994 une part sensiblement plus importante qu'en 1990 des importations totales de l'Union européenne (6,2 % contre 2,8 %), cette part reste relativement limitée si l'on tient compte de la proximité géographique. Il en est de même des exportations de l'Union européenne vers les PECO (7,4 % des exportations totales de l'Union européenne en 1994 contre 2,8 % en 1990).
Il est à noter que l'Union européenne dégage depuis 1991 un excédent dans ses échanges avec les PECO (dans le cas du secteur agricole et agro-alimentaire, l'excédent est apparu à partir de 1992).
Commerce entre l'Union européenne et les PECO
Si l'on examine la ventilation pays par pays de ces rapports commerciaux, deux phénomènes apparaissent nettement :
- quatre pays d'Europe centrale assurent à eux seuls 70 % des exportations des PECO vers l'Union européenne et reçoivent également 70 % des exportations de l'Union européenne vers les PECO : il s'agit de la Pologne, de la République tchèque, de la Hongrie et de la Slovénie ;
- deux pays membres de l'Union européenne assurent, à eux seuls, 68 % des exportations de l'Union européenne vers les PECO et reçoivent 69 % des exportations des PECO vers l'Union européenne : il s'agit de l'Allemagne (qui, à elle seule, assure 50 % des exportations et reçoit 53 % des importations) et de l'Italie.
3. Des situations très diverses
On peut distinguer, parmi les PAECO, les pays ayant plus anciennement engagé un processus de réformes économiques (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovénie), les pays où la transition a débuté plus tard, mais est mise en oeuvre de manière volontariste (États baltes, Slovaquie), enfin la Bulgarie et la Roumanie, où la transition est sensiblement plus lente.
Mais ces groupes sont eux-mêmes loin d'être homogènes : ainsi le taux d'inflation est bien plus élevé en Hongrie et en Pologne qu'en Slovénie et en République tchèque ; le déficit budgétaire élevé de la Hongrie, ainsi que le solde fortement négatif de ses comptes extérieurs, contrastent avec l'équilibre atteint par la République tchèque dans ces domaines (la restructuration de l'industrie tchèque pouvant paraître, en revanche, moins avancée que celle de l'industrie hongroise) ; dans la plupart des secteurs, le poids démographique de la Pologne lui donne une situation à part.
De même, les États baltes ne forment pas un ensemble homogène, qu'il s'agisse des problèmes d'intégration de la minorité russophone (laquelle est bien plus importante en Estonie et Lettonie qu'en Lituanie) ou du degré de réorientation des économies (l'Estonie, s'appuyant sur des liens commerciaux en développement rapide avec la Finlande, est bien plus avancée dans la transition que les deux autres États Baltes).
Il serait donc prématuré d'opérer dès aujourd'hui des distinctions entre les candidatures, ce qui pourrait de plus avoir des effets pervers sur le rythme des restructurations. Le Conseil européen de Madrid a confié à la Commission européenne le soin, non seulement de préparer ses avis sur chaque candidature, mais aussi « d'entamer la préparation d'un document d'ensemble sur l'élargissement », en précisant que cette procédure garantira « l'égalité de traitement de tous les pays candidats » .
Le Gouvernement français a nettement indiqué à cet égard qu'il se refusait à privilégier à l'avance telle ou telle candidature. Votre rapporteur approuve ce principe de base.
B. LA PROGRESSIVITE NECESSAIRE
1.°Une restructuration incomplète et inégale
Dans la plupart des PAECO, malgré une tendance au ralentissement du processus de privatisation, le secteur privé assure d'ores et déjà plus de la moitié du PIB. Cependant les progrès sont lents dans la réforme de l'administration, dans la mise en place d'un cadre juridique stable et effectivement appliqué, et dans la création d'un système financier efficace.
• Sur ce dernier point, indispensable à
l'intégration au marché communautaire, les faiblesses sont
particulièrement nombreuses :
- les structures bancaires sont fortement concentrées et, dans presque tous les cas, le crédit bancaire reste largement orienté vers le secteur public ;
- le système bancaire est sous-capitalisé et se trouve fragilisé par le niveau élevé des créances douteuses sur des entreprises non rentables ;
- le contrôle prudentiel reste insuffisant, en raison des lenteurs dans l'acclimatation des procédures de gestion des risques, qui étaient absentes de l'économie planifiée ;
- les lenteurs des privatisations entravent le développement des marchés financiers.
• Même si le degré d'évolution
des administrations et des systèmes juridiques est plus difficile
à cerner, il convient de souligner que la capacité à
transposer et à faire respecter les normes communautaires est une des
conditions de réalisation de l'intégration, l'exécution
des règles étant, dans le système communautaire, de la
responsabilité des États membres ; au demeurant, la
définition d'un cadre juridique et administratif suffisamment stable est
nécessaire pour encourager l'apport de capitaux extérieurs.
A cet égard, la situation de la plupart des PAECO en ce qui concerne la mise en oeuvre effective des législations sur les investissements étrangers ou sur les faillites d'entreprises ne peut être considérée comme satisfaisante.
2. La nécessité d'une période de transition post-adhésion
L'écart considérable qui sépare les PAECO et l'Union européenne en termes de PIB moyen par habitant ne pourra se résorber que lentement. Compte tenu des caractéristiques socio-culturelles des PAECO et des pesanteurs spécifiques aux économies en transition, on ne peut envisager que les pays candidats obtiennent des taux de croissance analogues à ceux observés aujourd'hui en Asie du Sud-Est ; le rattrapage qui semble engagé devrait certes conduire ces pays à conserver durablement une croissance plus rapide que celle de l'Union européenne, mais, même dans les hypothèses les plus favorables, une vingtaine d'années devrait être nécessaire pour que la moyenne des PAECO rejoigne celle des pays les moins favorisés de l'Union à Quinze.
On ne peut donc envisager d'appliquer intégralement l'ensemble des normes communautaires aux nouveaux adhérents dès leur adhésion, dans la mesure où certaines de ces normes supposent atteint un niveau de développement qui ne soit pas trop sensiblement éloigné de la moyenne communautaire, et où l'application des mêmes normes à des pays de niveau de développement trop différent pourrait entraîner certaines distorsions économiques.
Des mesures transitoires seront donc nécessaires plus encore que ce ne fut le cas lors des élargissements précédents : en particulier, non seulement écart de développement entre les PAECO et l'Union européenne est bien plus marqué que ne l'était celui séparant la Communauté et la Grèce, l'Espagne et le Portugal, mais encore l'acquis communautaire s'est considérablement renforcé par rapport à la période où la Communauté s'est élargie aux pays méditerranéens.
Le document de la Commission européenne déjà cité (CSE (95) 605) indique à cet égard que l'adoption intégrale des règles de l'Union par les nouveaux membres pourrait « poser des problèmes d'ordre économique, social et budgétaire, notamment dans les domaines tels que l'agriculture, la libre circulation des travailleurs, la libre circulation des capitaux et le secteur des services financiers, l'énergie, les transports. l'environnement, la politique sociale et la protection des consommateurs » .
Toutefois, la Commission européenne précise à juste titre que reconnaître la nécessité de ménager des transitions n'est pas admettre la possibilité de dérogations permanentes, c'est-à-dire d'une adhésion à la carte. Dans chaque domaine, les mesures provisoires devront être enfermées dans des délais définis.
La reconnaissance de la nécessité d'une période de transition post-adhésion est importante pour apprécier la possibilité d'une adhésion des PAECO dans des délais raisonnables. La définition des mesures transitoires sera un élément-clef des négociations d'adhésion : une définition trop restrictive risquerait de faire peser des contraintes trop fortes sur les économies des PAECO, et par là d'entraver leur adaptation ; une définition trop large pourrait retarder les restructurations ou introduire des distorsions de concurrence.
C. DES CONSÉQUENCES MACROÉCONOMIQUES POSITIVES
• L'OFCE a étudié deux scénarios
macroéconomiques concernant les six PAECO dont l'association à
l'Union européenne est la plus ancienne (Bulgarie, Hongrie. Pologne,
République tchèque, Roumanie, Slovaquie) :
- la simple poursuite des accords d'association ;
- L'intégration à l'Union européenne « avec octroi des fonds structurels selon des critères proches de ceux actuellement en vigueur ».
Dans les deux cas, les résultats apparaissent positifs tant pour les PAECO que pour l'Union, en raison de l'entraînement exercé sur la croissance des économies par le développement des échanges ; mais le second scénario est plus favorable que le premier :
- le premier scénario (voir annexe, p. 150) est pratiquement neutre pour l'Europe des Quinze tout en stimulant la croissance des PAECO ;
- le second scénario (ibid. p. 153) débouche sur une croissance nettement plus marquée des PAECO et a également un impact positif, quoique limité, sur le PIB et le niveau de l'emploi dans l'Europe des Quinze.
Le coût budgétaire de l'application des fonds structurels aux PAECO telle qu'elle est conçue par l'étude serait de l'ordre de 20 milliards d'Écus par an en s'en tenant aux six pays en cause ; en fin de période (c'est-à-dire à quinze ans d'échéance), l'effet sur les soldes publics des États membres de l'Union à Quinze serait cependant négligeable en raison du supplément de croissance obtenu.
Il est à noter que, sur le plan macroéconomique, l'étude ne fait pas apparaître d'opposition entre les pays du Nord et du Sud de la Communauté : les pays du Sud bénéficieraient de l'élargissement dans des proportions comparables à ceux du Nord, les conséquences s'avérant au demeurant réduites dans les deux cas. En tout état de cause, l'impact finalement limité de l'élargissement exclut que les pays méditerranéens de l'Union pâtissent de celui-ci.
• Le montant des transferts publics de l'Europe des
Quinze vers les nouveaux adhérents est, selon l'étude de l'OFCE,
un facteur important d'accélération du rythme de croissance des
PAECO après leur adhésion.
Votre rapporteur - qui reviendra plus loin sur ce point - tient cependant à exprimer des réserves sur les montants des transferts envisagés par cette étude, qui pourraient atteindre 8 % du PIB de certains des pays bénéficiaires. Non seulement le coût budgétaire ex ante des transferts suggérés peut difficilement être considéré comme « négligeable » (p. 153). ainsi que semblent l'admettre les auteurs de l'étude, mais encore on peut s'interroger sur la capacité des PAECO à absorber utilement des aides structurelles proportionnellement aussi importantes. Cette observation n'est toutefois pas de nature à remettre en cause les orientations générales de l'étude, ni les tendances de ses résultats.
D. LES PROBLÈMES SECTORIELS
Si l'adhésion des PAECO ne semble pas devoir poser de problème macroéconomique insurmontable, elle pourrait être source de problèmes sectoriels.
Le principal secteur en cause, l'agriculture, sera examiné plus loin. Dans les autres domaines, la concurrence des PAECO concerne aujourd'hui principalement des secteurs à fort contenu en main d'oeuvre relativement peu qualifiée (textile-habillement, chaussures, meubles, productions minières), où il dégagent chaque année un excédent dans leur commerce avec l'Union européenne.
L'écart de coût salarial vis-à-vis des pays membres de l'Union est en effet considérable : il est en moyenne de 1 à 4 par rapport aux pays membres les moins développés (Grèce, Portugal, Irlande), cet écart étant approximativement deux fois plus marqué vis-à-vis des pays membres les plus développés.
Certains PAECO peuvent également se montrer compétitifs dans des secteurs de production à forte intensité capitalistique pour lesquels ils bénéficiaient d'une spécialisation au sein du COMECON (chimie de base, sidérurgie, travail des métaux).
Cependant, on ne peut tirer de ces tendances actuelles des conclusions durables sur la spécialisation des PAECO. Ainsi que l'observe l'étude de l'OFCE (voir annexe, p. 18 et 33), il est probable qu'avec le rattrapage, les spécialisations évolueront et que les échanges inter-branches diminueront au profit des échanges intra-branches. Ce phénomène a déjà commencé à se manifester dans certains domaines (équipement automobile, électronique...) où le niveau de formation moyen relativement élevé de la main d'oeuvre des PAECO a permis les transferts de technologie nécessaires.
Au demeurant, l'observation par poste de l'évolution de la balance commerciale de l'Union européenne avec les PECO ne manifeste pas de tendance à l'aggravation des déficits dans les secteurs où ces derniers apparaissent particulièrement compétitifs : ainsi, dans des secteurs tels que le vêtement, la chaussure, le meuble, le taux de couverture des échanges a plutôt tendance à s'améliorer au profit de l'Union européenne, même si le déficit persiste. On n'est donc pas en présence de spécialisations fortement marquées.
D'une manière générale, dans l'optique de leur intégration à la Communauté, les PAECO ne peuvent avoir vocation à constituer principalement et durablement une zone de production à faible coût et de réexportation vers l'Europe occidentale.
Dans ces conditions, il paraît difficile de prévoir la nature et l'ampleur des restructurations qui pourraient être nécessaires, même dans les secteurs aisément identifiables comme susceptibles d'être confrontés à des menaces spécifiques en raison de l'élargissement (textile, sidérurgie).
E. LE PROBLÈME MONÉTAIRE
Si le risque de voir des secteurs industriels de l'Union européenne être mis gravement en difficulté du seul fait des spécialisations des PAECO paraît devoir être relativisé, ce risque pourrait en revanche devenir beaucoup plus grand dans l'hypothèse où s'y ajouteraient des pratiques de « dumping monétaire ».
• Il ne semble pas que les monnaies des PAECO soient
aujourd'hui fortement sous-évaluées ; leur taux de change
est certes inférieur à ce que suggèrerait une approche en
termes de parité de pouvoir d'achat, mais la théorie
économique enseigne que cette approche doit être corrigée,
dans le cas des pays en situation de rattrapage, par la différence des
productivités.
Les biens produits par les « secteurs exposés » de ces pays ne peuvent en effet être compétitifs sur le marché international qu'au prix d'une sous-évaluation par rapport à la parité de pouvoir d'achat, en raison des tendances inflationnistes naissant de la contagion des augmentations de salaire des « secteurs exposés » vers les « secteurs abrités » qui connaissent une forte intensité en travail et de faibles gains de productivité (voir annexe, p. 48).
II n'y a donc « dumping monétaire » que si la sous-évaluation de la monnaie par rapport à la parité de pouvoir d'achat est plus que proportionnelle à la différence des niveaux de développement.
Si tel était le cas pour les PAECO, on pourrait observer des tendances anormales à la baisse dans les prix à l'importation dans l'Union européenne, entraînant une évolution négative sur la balance commerciale de cette dernière : or, comme cela a été souligné plus haut, l'Union européenne dégage au contraire un excédent croissant dans ses rapports avec les PAECO.
• Toutefois, les déséquilibres
sectoriels entraînés par la forte dépréciation,
à partir de l'automne 1992, des monnaies de plusieurs États
membres de l'Union ont montré la nécessité,
parallèlement à la création d'une monnaie unique par
certains des États membres de l'Union européenne, d'assurer une
stabilité suffisante des relations monétaires entre les pays
participant à l'union monétaire et les pays qui, provisoirement,
resteront en dehors de celle-ci.
Les PAECO ne sont pas appelés à participer à l'union monétaire à court et moyen terme : l'étude de l'OFCE souligne à cet égard (voir annexe, p. 146) que « cette hypothèse exigerait une intensification des mesures de stabilisation - déjà très rigoureuses - incompatible avec la nécessité de restructuration et de croissance économique » et que « même lorsque ces pays remplissent pratiquement les critères de convergence définis par le traité de Maastricht, comme la République tchèque, leur convergence réelle est loin d' être achevée ».
L'adhésion des PAECO s'effectuera après le démarrage de la troisième phase de l'union économique et monétaire (UEM) ; ils feront donc juridiquement partie des « États membres faisant l'objet d'une dérogation » (article 109 K du traité). Or, le traité (article 109 M) impose à ces États de respecter le principe applicable à tous les États membres avant l'entrée en vigueur de la troisième phase de l'UEM, selon lequel « chaque État membre traite sa politique de change comme un problème d'intérêt commun. Les États membres tiennent compte, ce faisant, des expériences acquises grâce à la coopération dans le cadre du système monétaire européen (SME) et grâce au développement de l'Ecu, dans le respect des compétences existantes ».
La logique du traité serait donc que les nouveaux adhérents participent au système de change qui se mettra en place entre la monnaie unique et les autres monnaies européennes. On peut certes considérer qu'une telle formule, notamment dans le cas de certains pays candidats, représenterait une contrainte excessive. Cependant, compte tenu de la possibilité d'introduire dans un système tel que le SME des assouplissements particuliers pour tenir compte de la situation de certains pays, une participation des nouveaux adhérents au futur système de change semble souhaitable tant du point de vue des membres de l'Union européenne (qui auront moins de chances de devoir faire face à des dévaluations compétitives) que des nouveaux adhérents pour lesquels, comme le remarque l'étude de l'OFCE (voir annexe, p. 11), le respect d'une convergence nominale peut constituer un élément incitant à la modernisation et aidant à contenir les évolutions des coûts et des prix. Enfin, il convient de noter que les PAECO devront de toute manière avoir atteint un degré minimum de convergence réelle pour pouvoir adhérer à l'Union ; aussi bien, certains d'entre eux (Hongrie, République tchèque, Estonie) ont d'ores et déjà l'expérience d'une discipline de change.
*
* *
Au total, il apparaît indispensable de replacer les problèmes économiques de l'élargissement à l'Est dans le cadre d'une dynamique comportant une phase de préparation à l'adhésion et une phase de transition post-adhésion. A cette condition, le choix de l'élargissement, même s'il comporte de nombreuses variables aléatoires notamment pour les pays candidats, devrait favoriser le processus de rattrapage engagé par les PAECO tout en contribuant à améliorer les perspectives de croissance de l'Union à Quinze à mesure que le niveau de vie progressera dans les nouveaux marchés ainsi ouverts.
L'exemple de l'adhésion de l'Espagne doit être rappelé dans la mesure où cet élargissement, qui avait suscité de vives appréhensions en France, a eu dans la durée des effets nettement bénéfiques sur l'économie de notre pays : les exportations françaises vers l'Espagne ont été, depuis l'adhésion, multipliées par quatre, tandis que les investissements français dans ce pays étaient multipliés par dix ; la France dégage un excédent régulier dans ses échanges avec l'Espagne, y compris dans le domaine agricole et agro-alimentaire.
Les premières mesures de libéralisation des échanges avec les PAECO ont été, de même, accueillies avec inquiétude par la France : or celle-ci, dont les échanges avec ces pays étaient traditionnellement déficitaires, dégage aujourd'hui un excédent, y compris, là également, dans le domaine agricole et agro-alimentaire, et cela alors même que, selon l'étude de l'OFCE (voir annexe, chapitre III), ces échanges se situent nettement au-dessous de leur potentiel.
Il convient donc d'envisager sans frilosité la perspective de l'élargissement : il ne s'agit pas là, pour reprendre une formule due au Président Edgar Faure, d'une « politique sans risques », (il n'en existe d'ailleurs pas, remarquait-il) mais pas non plus d'une « politique sans chances » (ce qu'était la politique dilatoire adoptée par la France au début des années 1990).
II. LES PRINCIPES ET OBJECTIFS DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE DEVRONT ÊTRE CONSERVÉS ; EN REVANCHE, LA POLITIQUE DE COHESION DEVRA ÊTRE REVUE
A. L'AVENIR DE LA PAC EST UN DES PRINCIPAUX ENJEUX DE L'ELARGISSEMENT
1. Une situation spécifique
Chaque élargissement de la Communauté a eu, dans le domaine de l'agriculture, une physionomie particulière. L'élargissement aux pays méditerranéens a posé des problèmes extrêmement différents de ceux de l'adhésion de la Grande-Bretagne, du Danemark et de l'Irlande. De même, l'élargissement aux PAECO n'est presque en rien similaire aux récentes adhésions de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède, pays dont l'agriculture -d'une importance économique réduite- était caractérisée par un niveau des prix garantis plus élevé que dans l'Union européenne.
L'agriculture des PAECO est remarquable, dans le contexte européen, par son poids relatif. Ainsi, les six pays examinés par l'étude de l'OFCE, dont la population représente le quart de celle de la Communauté, disposent d'une superficie agricole représentant 38 % de celle de la Communauté et d'une population active agricole qui, avec 8,7 millions de personnes, est supérieure à celle de l'Union européenne (8,2 millions) ; cependant la valeur de leur production agricole, aux prix et taux de change courants, a représenté en 1993 seulement 7 % de celle de la Communauté (voir annexe, p. 55).
Le « document de stratégie agricole » présenté par la Commission lors du Conseil européen de Madrid (CSE (95) 607), qui porte sur les dix PAECO, observe quant à lui que, dans l'ensemble de ces pays, le secteur agricole emploie en moyenne plus du quart de la population active (contre 6 % en moyenne dans l'Union européenne) et représente 8 % du PIB (contre 2,5 % dans l'Union européenne).
Par ailleurs, les orientations de la production agricole des PAECO semblent, au premier abord, conduire à une situation de concurrence plus que de complémentarité vis-à-vis de l'agriculture communautaire : les principales orientations sont en grande partie les mêmes et représentent dans certains cas (céréales, viande de porc, oeufs, fruits, pommes de terre...) un pourcentage important de celles de la Communauté.
La situation économique du secteur agricole dans les PAECO est caractérisée par des niveaux de prix nettement inférieurs à ceux de l'Union européenne (voir annexe, p. 58) et par un net fléchissement de la production depuis le début de la transition, comme le montre le tableau ci-dessous :
Production agricole brute (évolution en % de Tannée précédente)
n.d. : non disponible
(1) Provisoire Source : OCDE
Ce recul de la production, qui semble aujourd'hui arrêté, s'est accompagné d'une contraction des exportations et de l'apparition d'un déficit persistant dans les échanges avec l'Union européenne, principalement dû à l'essor des importations de produits agro-alimentaires en provenance de celle-ci.
2. La PAC remise en cause ?
Les caractéristiques du secteur agricole des PAECO ont été mises en avant par les courants de pensée traditionnellement hostiles à la PAC (qui sont présents tant au sein de la Commission qu'au sein du Conseil) pour justifier l'idée que l'élargissement à l'Est devrait entraîner une réforme radicale de la PAC.
Les dimensions de ce secteur dans les pays candidats et ses orientations souvent similaires à celles de l'agriculture communautaire ont été présentées comme devant conduire, du fait de l'application des mécanismes de soutien prévus par la PAC, à une expansion rapide de la production des PAECO dans des domaines où l'écoulement de la production communautaire peut d'ores et déjà rencontrer des difficultés ; la croissance de la production totale et le coût de la gestion des excédents entraîneraient une dérive du budget communautaire et aboutiraient à des conséquences incompatibles avec les disciplines du commerce international ; pour prévenir de tels résultats, l'adhésion des PAECO devrait donc s'accompagner d'une réforme radicale. Les principes d'une telle réforme sont envisagés -pour être repoussés- dans le « document de stratégie agricole » déjà cité de la Commission européenne, où ils constituent « l'option 2 » :
- « pas de prix de soutien, ou des prix de soutien proches des niveaux du marché mondial ; compensation du revenu (entière ou partielle) par l'intermédiaire de paiements directs ; suppression des quotas et autres mesures de gestion de l'offre » ;
- « nouveau découplage des paiements compensatoires et réduction de ceux-ci au fil du temps » ;
- « aides directes au revenu (pouvant inclure les paiements compensatoires) et paiements rémunérant les services environnementaux sur une base nationale avec ou sans co-financement communautaire ».
Ce schéma, qui peut paraître intellectuellement séduisant, remettrait en cause des objectifs fondamentaux de la PAC : assurer la capacité de l'agriculture communautaire à répondre aux besoins des consommateurs européens, participer à l'expansion des marchés mondiaux. Comme le souligne la Commission européenne, son application entraînerait des « dommages sociaux et environnementaux » dont la compensation excéderait les possibilités budgétaires de la Communauté : « Par exemple le rapprochement des prix du lait et du sucre du niveau des prix mondiaux entraînerait des réductions draconiennes et nécessiterait quelque 10 à 15 milliards d'Écus de paiements directs en cas d'octroi d'une compensation entière. Des montants atteignant de tels ordres de grandeur exerceraient une lourde pression immédiate sur le budget et ne pourraient pas être financés dans le cadre de la ligne directrice » .
Avant tout, aussi bien les analyses de la Commission européenne que l'étude de l'OFCE suggèrent que l'élargissement de l'Union aux PAECO ne pas inéluctable une réforme radicale de la PAC : même si les prévisions dans ces domaines sont affectées de fortes incertitudes, il n'apparaît pas que l'élargissement doive nécessairement conduire à la formation d'excédents massifs, ni qu'il fasse peser la menace d'une dérive inacceptable des dépenses communautaires.
3. Des conséquences maîtrisables
• L'extension de la PAC aux nouveaux États
devrait conduire, à terme, en raison des transformations structurelles
et de l'incitation représentée par la hausse de prix garantis,
à des rendements proches de ceux observés en moyenne dans
l'agriculture communautaire, ce qui entraînerait à
réglementation constante, selon l'étude de l'OFCE. la formation
d'excédents devant être exportés en dehors de la
Communauté dans le cas des céréales, du lait, et de la
viande de boeuf. Toutefois, ces projections reposent sur les hypothèses
d'un alignement des niveaux de prix des PAECO sur celui de la Communauté
et d'une absence de mesures de maîtrise quantitative de la production.
Or, comme le souligne l'étude, le « terme » auquel les rendements des agricultures des PAECO seront comparables à la moyenne communautaire est vraisemblablement assez lointain : « Étant donné les conditions initiales et les bouleversements structurels qu'implique un tel processus de rattrapage, il est raisonnable de prévoir qu'il ne se réalisera, en moyenne, que très progressivement ». Comme le soutien de la Communauté sera nécessaire pour que ce rattrapage soit possible, celle-ci disposera à la fois des moyens et des délais pour assurer la compatibilité du développement agricole des PAECO et du maintien des grands équilibres de la PAC.
En particulier, la convergence des niveaux de prix - qui ne doit pas être conçue a priori comme un alignement des PAECO sur le niveau actuel des prix dans l'Union européenne - devra nécessairement être progressive : une augmentation rapide des prix agricoles dans les PAECO, où l'alimentation continue à représenter une part importante du budget des ménages, aboutirait à des distorsions tant sociales qu'économiques ; elle pèserait particulièrement sur les ménages modestes et susciterait des tensions sociales, tout en pesant sur la consommation dans les autres secteurs alors que celle-ci contribue de manière importante à la croissance.
Comme l'alignement des prix constitue un des éléments déterminants pour que se réalise une égalisation approximative autour des rendements moyens actuels, celle-ci ne doit pas être considérée, en toute hypothèse, comme une perspective rapprochée.
Compte tenu de ces différents éléments, on ne peut conclure que l'extension de la PAC aux PAECO conduirait inéluctablement à la formation d'importants excédents inexportables, dont la gestion obérerait le budget communautaire. Si la convergence des niveaux de prix s'effectue de façon progressive et si des mesures de maîtrise de la production sont introduites en temps utile, ce n'est pas l'élargissement qui, par lui-même, compromettra les équilibres fondamentaux de la PAC.
• Les implications budgétaires de l'extension
de la PAC - avec toutes les réserves qu'appellent les tentatives de
projection dans ce domaine, compte tenu du rôle que jouent dans
l'évolution des dépenses les fluctuations imprévisibles de
l'écart entre prix communautaires et prix mondiaux - ne paraissent pas
devoir, au regard de l'enjeu, constituer une charge insupportable pour les
finances communautaires.
L'estimation annoncée par la Commission européenne dans le « document de stratégie agricole » déjà cité est la suivante :
« Suivant l'hypothèse d'un scénario d'adhésion en 2000 des 10 pays associés, l'impact budgétaire de l'élargissement serait un coût supplémentaire de l'ordre de 12 milliards d'ECU par an (...), y compris les paiements aux cultures arables et les primes animales (ces aides représentant environ la moitié des coûts totaux) et les mesures d'accompagnement (programme agri-environnemental, afforestation et pré-retraite) ».
Cette estimation est détaillée dans le tableau suivant :
Selon l'OFCE, cette évaluation peut paraître « excessive au regard des évolutions observées et des possibilités existantes en matière de restrictions quantitatives des productions potentiellement excédentaires ».
Dans l'hypothèse à la fois d'une convergence progressive des niveaux de prix et d'une mise en place précoce des instruments de maîtrise des quantités produites - scénario qui n'a rien d'irréaliste compte tenu de la situation de départ des PAECO - les dépenses budgétaires au titre du soutien des prix pourraient être sensiblement moins élevées que ne l'envisage la Commission (voir annexe, p. 66). En outre, selon l'OFCE, « les aides directes compensatoires des baisses de prix des céréales, qui représentent une part importante des débours actuels de la PAC et du coût potentiel de son extension aux PAECO, n'ont pas de raison d'être pour ces pays, où les prix devraient augmenter et non baisser ». Dès lors, même en admettant que les agricultures des PAECO bénéficient de mesures importantes d'aide à la modernisation et à la restructuration, « les coûts budgétaires additionnels de l'élargissement au titre de la PAC pourraient être, à terme, compris entre 5 et 10 milliards d'Écus, selon la générosité des dispositifs d'aides au revenu, à la modernisation et à la réorientation consentis aux PAECO ».
Il est à noter que la Commission européenne émet également de sérieuses réserves sur le versement des aides directes compensatoires aux agriculteurs des PAECO, « du moins pendant une période transitoire suivant l'adhésion » , en mettant en avant l'absence de justification économique de ces aides dans le cas de ces pays, ainsi que le risque « de créer des disparités de revenus pouvant aboutir rapidement à des malaises sociaux dans les pays ou régions concernés ».
Elle préconise que les PAECO bénéficient plutôt durant cette période transitoire de programmes supplémentaires visant au développement rural intégré et à la protection de l'environnement, pour la gestion desquels les autorités nationales pourraient disposer d'une certaine latitude.
Ces programmes mobilisant des crédits du FEOGA pourraient financer la rénovation des installations, la restructuration foncière, le développement d'industries de transformation ; ils pourraient également encourager la mise à niveau sanitaire des productions et l'amélioration de la qualité des produits de manière à assurer le respect des normes communautaires.
La mise à niveau sanitaire constitue en effet un objectif d'une particulière importance : étant donné la qualité sanitaire remarquable atteinte par l'agriculture communautaire, il convient de manifester la plus grande vigilance pour que cet acquis ne se trouve pas remis en cause. L'accord en cours de négociation avec la Hongrie en matière sanitaire devrait avoir à cet égard valeur d'exemple : c'est le plus tôt possible qu'il convient en effet d'entreprendre la mise à niveau dans un tel domaine.
Le respect des normes de qualité doit être également une priorité, à la fois dans l'intérêt des consommateurs et dans l'optique de la loyauté de la concurrence sur le marché communautaire.
Votre rapporteur souhaite, enfin, que ces programmes éventuels puissent faire bénéficier les PAECO de l'expérience - parfois négative - qui a été celle des États membres de la Communauté en matière d'aménagement rural. Les pays candidats se trouvent, en ce qui concerne la part de la population rurale, dans une situation qui n'est pas sans évoquer celle des États membres actuels il y a quelques décennies ; pour qu'ils ne connaissent pas un exode rural aussi massif que celui qu'a par exemple connu la France - et qui la conduit aujourd'hui à prendre des mesures pour tenter de revitaliser le milieu rural - il est souhaitable qu'ils soient en mesure d'adopter une politique appropriée à un stade précoce du processus de restructuration.
Au total, à supposer que les négociations aboutissent à la définition de périodes de transition adaptées, tenant compte des situations diverses des pays et des secteurs de production, et que ces périodes soient pleinement mises à profit pour orienter les restructurations de manière à freiner le développement des dépenses, l'impact budgétaire de l'extension de la PAC pourrait rester dans des limites acceptables relativement à l'intérêt du débouché que représente, pour les producteurs de l'Europe des Quinze, et notamment les industries agro-alimentaires, le marché de consommation potentiel des PAECO.
Dans cette perspective, il serait souhaitable que les entreprises françaises du secteur agro-alimentaire soient plus souvent qu'aujourd'hui présentes dans le capital d'entreprises homologues des PAECO. De même, l'intérêt manifesté par divers pays candidats pour l'organisation coopérative et mutualiste de l'agriculture française devrait recevoir une réponse plus active, notamment dans le domaine économique et financier. C'est en effet en s'impliquant le plus précocement possible dans le processus de rattrapage qu'il sera possible de tirer le meilleur parti de celui-ci.
• S'agissant enfin de la gestion de la période
transitoire, la Communauté pourra tirer parti de l'expérience
acquise lors de l'adhésion des pays méditerranéens (la
méthode adoptée lors de l'adhésion de l'Autriche, de la
Finlande et de la Suède ne pouvant être appliquée au cas
des PAECO). Durant la période transitoire située entre
l'adhésion et l'application pleine et entière de la PAC, des
montants compensatoires d'adhésion (MCA) devraient être
institués, dans cette hypothèse, afin de combler le
différentiel de prix lors du passage de la frontière ; la
mise en place des MCA permettrait de réaliser progressivement la
convergence des niveaux de prix entre la Communauté et les nouveaux
adhérents ; elle pourrait être complétée par
des dispositifs permettant de faire face aux fluctuations monétaires
trop importantes.
Dans le cas de l'Espagne et du Portugal, des mécanismes complémentaires aux échanges (MCE) avaient également été mis en place afin de suivre l'évolution des quantités échangées dans les secteurs sensibles durant certaines périodes ; la Commission européenne pouvait prendre des mesures temporaires de limitation des échanges lorsqu'un déséquilibre grave était constaté. Un mécanisme analogue pourrait être transitoirement utile lors de l'adhésion des PAECO.
L'essentiel, cependant, reste que les modalités de la période transitoire soient définies au cas par cas, non seulement pays par pays, mais également secteur par secteur. Des formules totalement différentes ont été retenues pour l'élargissement aux pays méditerranéens et pour l'élargissement à l'Autriche et aux pays nordiques : de même, une approche pragmatique, adaptée aux situations particulières, doit être retenue dans le cas des PAECO.
4. L'inconnue des négociations commerciales internationales
L'extension de la PAC pourrait peut-être susciter, pour la Communauté en voie d'élargissement, plus de difficultés externes qu'internes.
Deux contraintes doivent en effet être prise en compte :
- l'extension de la PAC aboutira à des conséquences incompatibles avec les engagements pris dans le cadre des accords de Marrakech, non seulement par la Communauté (en termes de soutien global), mais aussi par les pays candidats. Ces derniers n'ont pas négocié de manière satisfaisante leurs droits commerciaux, en n'intégrant pas véritablement à leurs démarches la perspective de leurs adhésions ; ils disposent donc de droits très limités et, au surplus, déclarés dans des monnaies nationales qui ont tendance à se déprécier fortement.
- les partenaires commerciaux de la Communauté seront fondés à demander à celle-ci des compensations à l'élargissement sur la base de l'article XXIV-6 du GATT (qui reste valide dans le cadre de l'OMC). Une situation paradoxale est en train de se créer à cet égard dans certains secteurs, dans la mesure où. en l'absence de restitutions à l'exportation vers les PAECO dans ces secteurs, les opérateurs européens et notamment français ont tendance à négliger ces marchés, permettant aux opérateurs américains d'y pénétrer et de se constituer ainsi des références qui justifieront, le moment venu, des demandes de compensation.
Compte tenu de la date probable des premières adhésions, le problème se posera cependant moins en termes de compatibilité de l'extension de la PAC avec les accords de Marrakech et les règles du GATT qu'en termes généraux de compatibilité de la PAC avec une libéralisation accrue du commerce agricole international. La perspective de l'élargissement risque d'être le prétexte de nouvelles offensives contre la PAC, analogues à celles qui furent menées au début des années 1990, lors de la phase finale du cycle de l'Uruguay. Malgré l'intérêt politique qui s'attache, pour l'ensemble du monde occidental, au succès du processus d'élargissement, on ne peut s'attendre à une attitude complaisante de la part des Etats-Unis.
Les négociations dans ce domaine reprendront en effet en 1999, conformément à la « clause de rendez-vous » des accords de Marrakech, afin de « poursuivre l'objectif à long terme de réductions progressives et substantielles du soutien et de la protection » ; par ailleurs, la « clause de paix » inscrite dans les mêmes accords viendra à échéance en 2003. Les négociations d'élargissement auront donc pour toile de fond des négociations commerciales internationales dont elles seront par certains aspects un élément. Compte tenu de la tendance de certains États membres à donner inconditionnellement priorité au développement des échanges internationaux par rapport à la consolidation de l'Union élargie, cette situation réclamera de la part du Gouvernement la plus grande vigilance. Il convient d'espérer, à cet égard, une plus grande convergence entre la France et une Allemagne dont l'unification a sensiblement modifié les données agricoles.
Dans cette perspective, votre rapporteur approuve le principe suggéré par la Commission européenne, dans le « document de stratégie » précité, d'un « approfondissement » de la réforme de 1992. Développer, enrichir la réforme de 1992 n'est pas renier les objectifs fondamentaux de la PAC : approvisionner les consommateurs européens, contribuer à l'aménagement du territoire, être présent sur les marchés mondiaux ; c'est au contraire les poursuivre sous une forme adaptée aux évolutions du contexte européen et international. Sous cet angle, la question pourra se poser d'une éventuelle nouvelle baisse des prix institutionnels des céréales ; un assouplissement du système de prix du lait pourrait également être étudié.
Un approfondissement de la réforme pourrait au demeurant faciliter l'intégration des PAECO, à la condition de veiller, dans le cadre de la préparation à l'adhésion, à ce qu'ils prennent, dès maintenant, des orientations compatibles avec les buts poursuivis. La mise en place d'une régulation de l'offre laitière, particulièrement dans le cas de la Pologne, devrait constituer une démarche préalable à l'intégration ; de même, la recapitalisation du cheptel bovin devrait s'inscrire dans le cadre des équilibres généraux de la PAC, compte tenu des contraintes internationales.
En tout état de cause, il est difficile de ne pas se rallier à la conclusion du « volet agricole » de l'étude de l'OFCE : en définitive, les perspectives de réforme de la PAC « ne seront que très modérément influencées » par l'adhésion des PAECO considérée en elle-même (voir annexe, p. 67).
B. RÉEXAMINER LA POLITIQUE DE COHÉSION
1. L'effort de cohésion doit s'étendre aux PAECO
• L'article B du traité sur l'Union
européenne fait du «
renforcement de la cohésion
économique et sociale »
un des buts de l'Union
européenne. Les politiques structurelles font l'objet du titre XIV
du traité instituant la Communauté européenne
(articles 130 A à 130 E). L'article 130 A précise que
«
la Communauté vise à réduire
l'écart entre les niveaux de développement des diverses
régions et le retard des régions les moins favorisées, y
compris les zones rurales » ;
l'article 130 B
précise que cet objectif relève à la fois de la
responsabilité des États et de la Communauté, laquelle
agit «
au travers des fonds à finalité structurelle
(...), de la Banque européenne d'investissement et des autres
instruments financiers existants ».
L'article 130 D
prévoit la mise en place du fonds de cohésion, destiné
à contribuer financièrement «
à la
réalisation de projets dans le domaine de l'environnement et dans celui
des réseaux transeuropéens en matière
d'infrastructure ».
Il est à noter que le même article 130 D confie au Conseil statuant à l'unanimité le soin de définir « les missions, les objectifs prioritaires et l'organisation des fonds à finalité structurelle, ce qui peut comporter le regroupement des fonds ». Le traité laisse donc au Conseil la plus grande latitude pour déterminer les modalités de mise en oeuvre de l'effort de cohésion.
Le Conseil européen d'Edimbourg (décembre 1992), qui a défini les perspectives financières pour 1994-1999 (« paquet Delors II), a prévu un doublement en monnaie constante des ressources consacrées aux actions structurelles, après le premier doublement consacré par le « paquet Delors I » pour la période 1987-1993. Les dépenses de la Communauté au titre des actions structurelles atteindront ainsi, pour l'année 1999, un montant de J 30,9 milliards d'Écus (valeur 1992) et représenteront 35,6 % des dépenses inscrites dans les perspectives pluriannuelles.
La cohésion économique et sociale est donc une orientation fondamentale de la Communauté européenne, qui mobilise à cet effet des moyens considérables. Il ne serait pas concevable qu'elle renonce à cet objectif au moment où son hétérogénéité va se trouver fortement accrue par l'adhésion des PAECO ; de plus, il serait irréaliste de demander à ces pays de se plier aux disciplines de l'Union sans prévoir de les aider à combler le retard, compte tenu de l'ampleur de celui-ci. Il convient donc de leur étendre le schéma appliqué aux pays dits « de la cohésion » (Espagne, Grèce, Irlande, Portugal), dont l'écart de développement par rapport à la moyenne communautaire est bien moins grand, et qui bénéficient d'aides de grande ampleur dans une optique de convergence.
Par ailleurs, l'étude de l'OFCE suggère que l'extension des politiques structurelles aux PAECO, en desserrant les contraintes limitant l'investissement productif, et en favorisant d'autres apports de capitaux publics et privés, devrait entraîner chez les bénéficiaires un notable supplément de croissance (près de 1,5 % par an en moyenne), ce qui laisse supposer que la politique de cohésion pourrait être plus efficace dans le cas de ces pays que dans celui des bénéficiaires actuels, dont le retard initial était moindre.
• Le coût budgétaire de l'extension aux
PAECO de la politique de cohésion est naturellement fonction de la
référence employée.
Une hypothèse extrême est celle présentée au chapitre 2 de l'étude de l'OFCE : les PAECO recevraient, par habitant, un effort non de même montant, mais de même intensité que celui dont bénéficient les « pays de la cohésion » compte tenu de la différence des écarts de développement. On aboutirait alors, uniquement pour les six pays couverts par l'étude, à une dépense supplémentaire de 43,6 milliards d'Écus (voir annexe, p. 36) qui excéderait aussi bien les possibilités budgétaires des États contributeurs que la capacité d'absorption des pays bénéficiaires.
L'hypothèse finalement retenue par l'OFCE (ibid., p. 134,135) prévoit des transferts estimés par référence à ceux actuellement mis en oeuvre dans l'Europe des Quinze et modulés en fonction du PIB par habitant et du taux de chômage. La dépense supplémentaire serait alors de 20,3 milliards d'écus pour les six mêmes pays.
Une estimation simple peut être effectuée en appliquant aux PAECO l'aide moyenne par habitant et par an accordée aux pays bénéficiant du fonds de cohésion (soit 216 Écus) : la dépense supplémentaire serait alors de 20.7 milliards d'Écus pour les six principaux pays candidats, et de 22,8 milliards d'écus pour l'ensemble des PAECO. En prenant pour référence l'aide accordée aux « nouveaux Länder » (ex-RDA), soit 142 écus par habitant et par an, la dépense serait ramenée à 15 milliards d'écus pour les dix PAECO.
Toutefois, l'évaluation des aides structurelles dont pourraient bénéficier les nouveaux adhérents doit également tenir compte des risques de déséquilibre que comporteraient des aides représentant une part trop importante de leur PIB. Dans son « rapport intérimaire » au Conseil européen de Madrid « concernant les effets de l'élargissement » (CSE (95) 605), la Commission européenne souligne à cet égard que : « L'expérience montre que des volumes d'assistance élevés par rapport au PIB des bénéficiaires sont difficiles à utiliser de façon efficace et qu'ils peuvent même altérer leurs structures économiques. Dans le cas des nouveaux États membres, cet aspect peut encore être aggravé par les problèmes liés aux systèmes administratifs, à la capacité d'absorption et à la nécessité de cofinancement national. Ces considérations devront être prises en compte dans le contexte de l'élargissement ».
Compte tenu de ces risques, il serait raisonnable d'envisager de plafonner les aides structurelles à une fraction du PIB de chaque pays. En prenant pour référence le PIB par habitant en standard de pouvoir d'achat -malgré toutes les incertitudes qui s'attachent à cette notion statistique dans le cas des PAECO- un plafonnement à 5 % pour chaque pays limiterait à environ 20 milliards d'écus par an les aides structurelles maximales envisageables pour l'ensemble des PAECO.
2. La nécessité d'une réforme
• Des dépenses structurelles de l'ordre de
20 milliards d'Écus au profit des PAECO représenteraient une
augmentation de l'ordre de 60 % des dépenses structurelles de
l'Union. Si on leur ajoute le coût de l'extension de la PAC - pour lequel
on peut retenir un ordre de grandeur de 10 milliards d'Écus par an
- on peut évaluer, très approximativement à une trentaine
de milliards d'Écus par an la charge budgétaire qui pourrait
résulter de l'élargissement au titre des deux principales
politiques communes, ce qui représenterait une hausse de l'ordre de
40 % des perspectives retenues pour celles-ci par le « paquet
Delors II ».
Il est clair qu'une telle hausse pèserait lourdement sur le budget des pays contributeurs, dont la France, même s'il est probable que l'échelonnement dans le temps des adhésions éviterait qu'elle ait un caractère trop brutal. Étant donné, d'une part, que l'extension des dépenses structurelles aux PAECO constituerait la principale source d'augmentation des dépenses et que d'autre part, la politique de cohésion telle qu'elle a été menée jusqu'à présent n'a pas toujours donné des résultats pleinement satisfaisants et peut paraître, par certains aspects, peu conforme au principe de subsidiarité, il paraît souhaitable que l'application de la politique de cohésion aux PAECO soit précédée d'une réforme de cette politique, destinée à en améliorer l'efficacité et à en alléger le coût, sans remettre en cause la solidarité communautaire au profit des régions et pays les moins favorisés.
Mme Monika Wulf-Mathies, chargée des politiques régionales au sein de la Commission européenne, s'est prononcée, dans le cadre de la préparation du Conseil européen de Madrid, en faveur d'une « réforme approfondie » des politiques structurelles après 1999, qui serait « fondée sur une concentration géographique et thématique des activités » en vue d'aboutir à un système « plus efficace, mieux géré, et soumis à une meilleure discipline » (« Europe », 30 novembre 1995). Le rapport sur la politique de cohésion que la Commission présentera au cours de l'année devrait contenir es indications plus précises sur la réforme envisagée.
• Votre rapporteur approuve l'orientation ainsi
affirmée en faveur d'une « concentration géographique
et thématique ».
La gestion actuelle, impliquant l'approbation, projet par projet, d'une multitude de programmes répondant à six principaux objectifs et couvrant au total une très large partie du territoire communautaire, ne se montre pas toujours d'une efficacité suffisante dans le cas de l'Union à Quinze. Ainsi, le premier doublement des dépenses structurelles (« paquet Delors I »), correspondant à la période 1988-1993, a eu des effets inégaux sur les pays particulièrement bénéficiaires de l'effort de cohésion. La comparaison des taux moyens de croissance du PIB (à prix constant) durant cette période conduit à constater que si le Portugal (2,4 %) et surtout l'Irlande (5,5 %) connaissent des taux nettement supérieurs à la moyenne communautaire (2 %), en revanche, l'Espagne ne dépasse pas la moyenne communautaire et la Grèce (1,3 %) se situe en-dessous (Source : Eurostat. édition 1995). Dans une Union de vingt-sept membres, et compte tenu des caractéristiques des systèmes administratifs des PAECO, il est à craindre que les modalités actuelles de gestion ne conduisent à une efficacité encore plus modeste et à des résultats très inégaux selon les pays.
La concentration des aides structurelles sur quelques thèmes (qui pourraient être, dans le cas des PAECO, le développement des infrastructures de transport, l'amélioration de la sûreté des installations nucléaires, la mise en oeuvre des normes européennes pour l'environnement, la reconversion de certaines industries...) favoriserait la qualité de la gestion et serait mieux perçue par les opinions publiques. En liaison avec une plus grande concentration géographique, elle contribuerait à la maîtrise de l'augmentation des dépenses communautaires.
La concentration des aides sur les régions relevant de l'objectif 1 permettrait, sans renoncer à la solidarité au profit des États les moins favorisés de l'Union à Quinze, de financer une partie de la hausse des dépenses entraînées par l'extension aux PAECO des aides structurelles par une diminution des aides versées aux pays contributeurs nets.
Les régions relevant de l'objectif 1 sont celles dont le PIB est inférieur à 75 % de la moyenne communautaire. Compte tenu de l'abaissement de celle-ci, certaines régions actuellement bénéficiaires cesseraient de l'être, mais les « pays de la cohésion » resteraient éligibles pour la totalité (Grèce, Portugal) ou la majeure partie (Espagne) de leurs régions, l'Irlande cessant toutefois normalement d'être éligible (ce qui appellerait une dérogation à son profit pour une période transitoire, afin d'éviter une interruption brutale des transferts). Dans le cas de la France, seuls les départements d'outre-mer resteraient éligibles. Les PAECO seraient éligibles dans leur totalité.
La concentration géographique ainsi suggérée équivaudrait à une restitution partielle de compétences, en matière d'aménagement du territoire, aux pays contributeurs nets, la Commission européenne gardant en tout état de cause son contrôle sur les aides publiques afin de faire respecter la loyauté de la concurrence dans le marché intérieur unique. Une telle répartition des responsabilités serait sans doute plus conforme au principe de subsidiarité, dans le cas des pays contributeurs nets, que le système actuel qui introduit un échelon supplémentaire (et plus éloigné des réalités) dans le processus de décision, sans que pour ces pays cette intervention soit justifiée par un transfert de ressources.
La recherche de l'efficacité, et donc le respect du principe de subsidiarité, doivent s'appliquer tout particulièrement à la politique de cohésion compte tenu de son importance parmi les politiques communes, et de son rôle dans la perception que les citoyens de l'Union peuvent avoir de la instruction européenne.
Plutôt que de se traduire par un soutien aux programmes les plus variés, la politique de cohésion doit donc se construire autour de projets effectivement structurants, favorisant à la fois le développement de la zone bénéficiaire et la cohésion d'ensemble de la Communauté.
• C'est dans le même esprit que devrait
être envisagée l'évolution du programme PHARE, dont une
trop grande partie des crédits a été dans le passé
consacrée à des travaux d'expertise au coût souvent
élevé et à l'utilité parfois incertaine. Le Conseil
européen d'Essen (décembre 1994) a demandé que ce
programme ait pour orientations privilégiées, en ce qui concerne
l'assistance technique, « le rapprochement des législations et
des normes » et le « soutien au processus de réforme
économique », et que par ailleurs ses moyens puissent
être affectés, à concurrence de 25 %, à la
« mise en place d'infrastructures appropriées ».
Cette approche, qui a constitué un progrès, devrait être
amplifiée pour que l'aide accordée pendant la période de
pré-adhésion parvienne à préfigurer les aides
structurelles.
Les financements affectés aux PAECO dans le cadre du « paquet Delors II », prélevés sur la ligne consacrée à l'action externe de la Communauté, s'établiront au total à environ 7 milliards d'Écus pour la période 1995-1999 ; les crédits affectés à des opérations assimilables à des actions structurelles atteindront au maximum 25 % de ces crédits, soit 1,75 milliards d'Écus, ce qui ne paraît pas en rapport avec le nombre d'États bénéficiaires et de l'ampleur de leurs besoins.
Il serait donc souhaitable d'accentuer la réorientation du programme PHARE vers la modernisation des infrastructures : au demeurant, l'assistance technique nécessaire aux pays candidats pourrait leur être fournie pour une part plus importante qu'aujourd'hui dans le cadre d'une coopération entre administrations, qui serait au surplus dans bien des cas mieux adaptée à leurs besoins que les expertises financées par ce programme.
CONCLUSION
L'élargissement à l'Est donne parfois lieu à des présentations alarmistes, dont certains pourraient imaginer qu'elles ne sont pas toutes dénuées d'arrière-pensées : après l'affirmation que l'intégration des PAECO est incompatible avec le maintien de l'acquis communautaire, vient souvent l'exposé des bouleversements nécessaires pour que la construction européenne se conforme enfin à un des modèles existants en devenant une zone de libre-échange améliorée pour les uns, une fédération de type américain ou allemand pour les autres.
Diverses conceptions de la construction européenne sont possibles. Elles sont toutes respectables. Il est certain que l'élargissement à l'Est ne peut simplifier les conditions de fonctionnement de l'Union et que, dans ce sens, de nouvelles adhésions ne sont concevables qu'après que la conférence intergouvernementale aura restauré la capacité de décision indispensable pour une Union élargie.
A l'analyse, les arguments économiques et budgétaires souvent avancés pour justifier une réorientation fondamentale de la construction européenne en fonction de l'élargissement à l'Est ne paraissent cependant pas confirmés. Les obstacles sont certes considérables ; ils ne sont pas insurmontables. Bien conduit, le processus d'élargissement ne devrait ni provoquer de perturbation sectorielle majeure, ni entraîner de dérive budgétaire non maîtrisable ; en lui-même, il n'implique nullement un abandon des principes de la PAC.
Les difficultés prévisibles doivent être au demeurant mises en regard des avantages attendus non seulement sur le plan politique, en termes de démocratie et de stabilité en Europe centrale, mais aussi sur le plan économique.
L'ouverture d'un marché de 106 millions de consommateurs, la participation au processus de rattrapage engagé par ces pays, peuvent offrir à nombre d'entreprises de l'actuelle Communauté une perspective de dynamisme accru. L'intégration d'économies dont les liens avec l'Europe orientale n'ont pas disparu peut être l'occasion d'une ouverture plus grande vers cette partie de notre continent dont la crise profonde qu'elle traverse aujourd'hui ne doit pas faire oublier les potentialités.
Sur le plan économique, comme sur le plan budgétaire, l'intégration progressive des PAECO n'est pas, dans la durée, hors de portée de l'Union. C'est peut-être dans d'autres domaines - réformes institutionnelles préalables, élargissement et adaptation de l'OTAN, reprise des négociations commerciales internationales... - que devront être surmontées les principales difficultés.
EXAMEN DU RAPPORT
La délégation s'est réunie le 14 février 1996 pour l'examen du présent rapport.
Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.
M. Jacques Genton, président, après avoir approuvé les orientations du rapport, a souligné la nécessité d'obtenir l'adhésion de l'opinion publique aux évolutions que va connaître la construction européenne dans les prochaines années. Il a considéré qu'après le rapport de M. Yves Guéna sur la conférence intergouvernementale, le rapport de M. Denis Badré sur élargissement permettait d'avoir une vue plus complète de ces évolutions. La délégation doit s'attacher à clarifier les enjeux de manière à favoriser une prise de conscience des choix à effectuer, et par là un débat sur les difficultés effectives.
M. Christian de La Malène, après avoir à son tour apporté son soutien à la démarche du rapporteur, s'est félicité de la décision du Conseil européen, en juin 1993, d'accepter l'élargissement aux pays associés d'Europe centrale et orientale. Il s'est toutefois inquiété des incertitudes pesant sur le coût de cet élargissement, remarquant que les évaluations du rapporteur semblaient plus optimistes que celles que le ministre du budget, M. Alain Lamassoure, avait présentées à la délégation. Il a approuvé la volonté du rapporteur de conserver les principes de la PAC et de faire porter l'effort de réforme vers la politique de cohésion, mais a exprimé la crainte que beaucoup des partenaires de la France ne se prononcent en sens inverse. Les pays actuellement bénéficiaires des fonds structurels, a-t-il estimé en citant l'exemple de l'Irlande, s'opposeront à une réduction au profit des nouveaux adhérents des montants qu'ils perçoivent ; quant à la maîtrise des dépenses supplémentaires provenant de l'extension de la PAC, a-t-il ajouté, les nouveaux adhérents risquent de s'y opposer en réclamant le bénéfice des aides directes compensatoires. Concluant son propos, il a déclaré redouter que les problèmes de l'élargissement ne soient abordés au coup par coup, sans réformes d'ensemble préalables.
M. Xavier de Villepin a mis l'accent sur les liens étroits entre la conférence intergouvernementale et l'élargissement : le succès de la conférence, a-t-il rappelé, est en tout état de cause une condition de l'élargissement. Puis il a estimé que la perspective de l'élargissement allait entraîner une remise en cause de la PAC et de la politique de cohésion. Les pays candidats, a-t-il remarqué, ont un important retard économique à combler et demandent leur adhésion notamment dans le but d'accélérer leur rattrapage : ils vont donc beaucoup solliciter le budget communautaire, alors que dans le même temps les pays contributeurs vont s'attacher à réduire leurs dépenses, conformément à une tendance générale qui s'observe déjà aux Etats-Unis, commence à gagner l'Europe et marquera la fin du siècle. Il a conclu en estimant que les Etats-Unis, loin de considérer la perspective d'une Europe élargie comme une mesure pour leur suprématie, semblaient plutôt considérer que celle-ci serait confortée par l'entrée de l'Union européenne dans une longue et difficile période de transition.
M. Jacques Oudin a insisté sur le contexte budgétaire difficile de l'élargissement : tous les grands pays européens, a-t-il remarqué, connaissent d'importants déficits publics qu'ils jugent prioritaire de réduire, si bien que le succès de la renégociation des perspectives financières sera non moins important pour la réussite de l'élargissement, et non moins difficile à obtenir, que le succès de la conférence intergouvernementale. Evoquant une éventuelle réforme de la politique de cohésion, il a estimé que de profonds changements seraient nécessaires, le système actuel s'avérant peu efficace et suscitant des gaspillages voire, dans certaines régions, des détournements au profit du crime organisé. Concluant son rapport, il a souligné la nécessité d'adopter une attitude très stricte sur l'évolution du budget communautaire.
M. Daniel Millaud s'est interrogé au sujet des conséquences de l'élargissement à l'Est sur les territoires d'Outre-Mer, soulignant que ceux-ci ne perçoivent pas de droits de douane sur les produits provenant des pays de l'Union, ce qui entraîne déjà pour eux des pertes de recettes cinq fois supérieures aux versements du Fonds européen de développement. Puis il a rappelé que le principe de liberté d'établissement s'appliquait aux TOM français, contrairement aux TOM des autres États membres de l'Union. De ce fait, a-t-il remarqué, 106 millions de personnes supplémentaires, lorsque l'élargissement aura eu lieu, recevront le droit de s'établir dans les TOM français : même si un afflux massif est peu probable, cette situation montre à quel point le régime d'association des TOM est désormais inadapté. Le maintien de ce régime alors que l'Europe a changé, a-t-il conclu, crée les conditions d'une nouvelle forme de colonisation des TOM.
M. Pierre Fauchon est tout d'abord revenu sur les contraintes budgétaires. Il a souligné que si les situations des États membres étaient effectivement marquées par la fragilité monétaire et le déficit, en revanche une Europe plus unie n'aurait pas, quant à elle, les mêmes contraintes et pourrait entreprendre des grands travaux transnationaux qui pourraient concourir à relancer la croissance et renforcer la cohésion. Il a souhaité que, d'une manière générale, l'Union privilégie désormais les investissements structurants et réexamine donc en profondeur la politique actuelle de cohésion, qui donne lieu à trop d'opérations inutiles et de fraudes. Enfin, il a estimé que l'Union ne devait pas se lancer dans l'ouverture de l'élargissement sans réformer préalablement son fonctionnement et renforcer sa légitimité.
M. Christian de La Malène a exprimé la crainte que la conférence intergouvernementale n'aboutisse à un médiocre compromis, qui serait néanmoins présenté comme un succès rendant possible l'élargissement.
En résumé, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :
- la conférence intergouvernementale doit être considérée à la fois comme un préalable à l'élargissement et comme une opportunité, car en tout état de cause il est nécessaire de doter l'Union d'un fonctionnement plus efficace ;
- le coût budgétaire de l'élargissement ne peut être évalué avec précision, tant les incertitudes sont nombreuses, mais il paraît possible, dans le cadre d'un approfondissement de la PAC et d'une réforme de la politique de cohésion, de limiter la hausse des dépenses agricoles à environ dix milliards d'Écus et celle des dépenses structurelles à environ vingt milliards d'Écus ; pour que de telles hausses, qui restent considérables, ne pèsent pas de manière excessive sur les pays contributeurs nets, il est nécessaire d'en financer une partie par un important effort d'économie sur les dépenses actuelles de la Communauté : on pourrait alors obtenir un taux d'augmentation acceptable compte tenu de la contrepartie constituée par ouverture d'un marché potentiellement important ;
- de nouvelles offensives contre la PAC sont effectivement probables ; l'intérêt de la France, dans ces conditions, est certes d'en défendre les principes, mais aussi d'en proposer dès maintenant l'approfondissement, de manière à ôter leur fondement à certaines critiques ; dans le même esprit, la restructuration des agricultures des PAECO doit être entreprise sans attendre et conduite en fonction de la perspective de l'élargissement ;
- un réexamen attentif du budget communautaire est nécessaire dans l'optique de l'élargissement, mais aussi dans celle de la révision des perspectives financières ; il doit conduire à un recentrage des interventions communautaires sur les tâches que seule la Communauté peut accomplir. Plus de dépenses communautaires ne signifie pas « plus d'Europe » : bien au contraire, on peut avoir « plus d'Europe » avec moins de dépenses communautaires.
À l'issue du débat, la délégation, sur proposition de son président, a adopté le présent rapport.
L'ELARGISSEMENT DE L'UNION EUROPEENNE AUX PAYS D'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE : UNE ANALYSE PROSPECTIVE DES CONSEQUENCES ECONOMIQUES ET BUDGETAIRES 1 ( * )
INTRODUCTION GÉNÉRALE ET RÉSUMÉ DES PRINCIPALES CONCLUSIONS
Jacques LE CACHEUX
Décidé, en principe, lors du Sommet européen de Copenhague en 1993, élargissement de l'Union européenne (UE) aux pays d'Europe centrale et orientale (PECO) devrait constituer un changement d'échelle sans précédent. Ces adhésions, dont on ne peut aujourd'hui prévoir précisément ni la date, ni les modalités, déplaceront sensiblement le centre de gravité géographique de l'Union et obligeront vraisemblablement à une refonte de ses règles de décision et de fonctionnement. Sans préjuger des conclusions de la Conférence intergouvernementale qui devrait apporter des solutions à ces problèmes, la présente étude propose des évaluations des conséquences macroéconomiques et sectorielles, ainsi que des implications budgétaires, de l'adhésion des principaux PECO à l'UE 2 ( * ) .
Outre leur nombre et leur poids démographique, ces pays présentent, dans une perspective d'élargissement de l'UE, des caractéristiques économiques singulière : régies, jusqu'à la fin de la précédente décennie, par un système de planification centralisée et structurées par leur appartenance au bloc soviétique, ces économies sont aujourd'hui en phase de transition, de transformations structurelles et d'ouverture commerciale et financière ; leur niveau de développement apparaît très en-deçà de ceux observés dans les pays membres actuels ; et, bien que leurs économies donnent des signes tangibles d'amélioration durable, leurs évolution futures demeurent particulièrement incertaines. De même, de nombreuses interrogations subsistent actuellement sur le cours précis que prendra, dans les années à venir, le processus d'intégration économique et monétaire de l'Union.
Dans ces conditions, il est apparu utile, avant d'analyser de manière prospective les principales conséquences économiques et budgétaires de l'adhésion des PECO, de résumer quelques enseignements d'expériences antérieures d'intégration régionale et de s'interroger brièvement sur les orientations futures de l'Union en matière économique et monétaire. Ces préalables permettent de préciser les hypothèses sur lesquelles reposent nos évaluations, dont les principales conclusions sont résumées dans la dernière partie de ce chapitre introductif.
1. Quelques enseignements des expériences antérieures d'intégration
Au cours des années récentes, les expériences d'intégration économique régionale se sont multipliées ; la variété de leurs conditions initiales, de leurs modalités spécifiques et de leurs conséquences macroéconomiques et sectorielles est riche d'enseignements dans la perspective de l'élargissement aux PECO de l'Union européenne. Ces pays sont aujourd'hui caractérisés par un niveau et transformations structurelles profondes d'une ouverture de développement de revenu par tête très inférieur à celui de l'actuelle UE à Quinze ; leurs économies sont engagées, depuis le début de la décennie, dans un processus de transition vers l'économie de marché, s'accompagnant de transformations structurelles profondes et d'une ouverture rapide sur le reste du monde. Il semble, pour ces raisons, que les comparaisons les plus pertinentes soient, d'une part, avec les expériences d'adhésion à la Communauté européenne des pays d'Europe du Sud -- notamment de l'Espagne ( cf. Chapitre 1) --, d'autre part, avec des expériences plus récentes et plus contrastées d'intégration économique entre pays économiquement très dissemblables : l'adhésion du Mexique à l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et l'unification allemande.
1.1. Les objectifs et modalités de l'intégration
Les trois expériences d'intégration régionale évoquées ont en commun d'avoir comporté l'adhésion d'entités dont le niveau de développement économique et le degré d'ouverture aux échanges internationaux étaient initialement relativement faibles à des ensembles préalablement constitués, beaucoup plus riches et d'un poids -- géographique, démographique et économique -- beaucoup plus important 3 ( * ) . Mais elles se distinguent par des ambitions et des modalités très diverses. En premier lieu, le degré d'intégration régionale et ses finalités ultimes ne sont pas les mêmes : l'ALENA n'est qu'une zone de libre-échange, dont l'objet est limité à la libéralisation des transactions sur biens et services et des mouvements de capitaux ; à l'extrême opposé, l'unification allemande est littéralement une fusion -- ou une absorption -- qui dépasse très largement la seule intégration économique des marchés, puisqu'elle comporte également l'adoption par l'Allemagne de l'Est de l'ensemble du système politique, monétaire, fiscal et social de la RFA, s'accompagnant en outre de la mise en oeuvre de mécanismes d'assistance financière massive ; quant à l'adhésion des pays d'Europe du Sud à la Communauté européenne (CE), elle allait au-delà de l'intégration des marchés, dans la mesure où l'appartenance à la CE impliquait aussi la participation à l'ensemble de l'« acquis communautaire » -- tarif extérieur commun et politique commerciale européenne, politique européenne de la concurrence, Politique agricole commune (PAC) et solidarité financière, participation, à terme, au Système monétaire européen (SME), etc. --, sans toutefois remettre en cause les principaux attributs de la souveraineté nationale dans les domaines politique, monétaire, fiscal et social 4 ( * ) .
En second lieu, ces expériences d'intégration ont été menées selon des rythmes temporels fort différents : l'adhésion des pays d'Europe du Sud à la CE a ménagé, avant et après la signature du traité, des périodes de transition longues, au cours desquelles de nombreux régimes dérogatoires du droit commun de la CE ont été appliqués dans la plupart des domaines -- commercial, agricole, monétaire et financier, notamment --, de sorte que l'ouverture des marchés et l'imposition des règles communes n'ont été que graduelles ; au contraire, l'unification allemande et la participation du Mexique à l'ALENA ont pris effet quasi immédiatement. Certes, dans l'expérience allemande de big bang, des pans importants du système économique est-allemand ont, souvent par nécessité, fait l'objet d'une adaptation progressive -- la privatisation des entreprises et le rattrapage des salaires, notamment -- ; mais l'essentiel des mesures de libéralisation des marchés et d'intégration politique, monétaire, fiscale et sociale a été appliqué sans délais (cf., en particulier, Horn, 1995).
Toutefois, en dépit de ces nombreuses différences dans les ambitions, l'ampleur les modalités et les rythmes de l'intégration, l'analyse de ces expériences récentes et des évolutions économiques consécutives révèle certains traits communs des processus d'intégration économique régionale ; elle suggère aussi l'existence de solutions, plus ou moins efficaces et plus ou moins coûteuses, aux difficultés qu'engendrent les disparités des situations économiques initiales. Dans les trois cas, l'interaction dynamique entre les mesures de libéralisation des marchés, la mise en oeuvre des politiques économique -- nationales ou communes -- et les processus de convergence et de rattrapage -- des prix, des salaires, de la productivité de la main-d'oeuvre, des taux d'emploi, du revenu par tête, etc. -- est à l'origine de tensions, de coûts et, en définitive, d'évolutions macroéconomiques et structurelles plus ou moins « vertueuses » ou, au contraire « perverses ».
1.2. Les bénéfices mutuels de l'ouverture commerciale
L'ouverture commerciale est la principale caractéristique commune aux trois expériences d'intégration économique régionale considérées. A chaque fois, ses conséquences macroéconomiques apparaissent largement bénéfiques pour la zone dans son ensemble, et notamment pour les pays initialement membres du fait de l'accroissement sensibles des importations des nouveaux adhérents en provenance de la zone ; dans les trois exemples, et en dépit, parfois, des appréhensions initiales suscitées par les écarts de coûts salariaux, l'intensification des échanges commerciaux s'est traduite par l'apparition d'excédents pour les pays les plus développés et a eu, de ce fait, des effets favorables en termes de croissance dans ces pays. Toutefois, au cours des premières étapes de l'intégration, l'ouverture commerciale engendre également, le plus souvent, des difficultés sectorielles, du fait de l'avantage dont bénéficient les nouveaux membres en termes de compétitivité-coûts pour certaines productions -- généralement les plus intensives en main-d'oeuvre peu qualifiée -- ; mais, si cette concurrence accrue comporte des coûts en emploi et risque d'engendrer une pression à la baisse sur les salaires des catégories de main-d'oeuvre les moins qualifiées, elle a également des conséquences bénéfiques sur le pouvoir d'achat des consommateurs dans les pays importateurs.
Du point de vue du pays adhérent, le bilan des conséquences de l'ouverture commerciale est, a priori, plus mitigé, car dépendant des capacités d'ajustement de l'offre locale et des évolutions des coûts de production dans les différents secteurs de l'économie nationale. L'effet d'entraînement sur la croissance ne peut, en effet, se concrétiser que si les producteurs locaux sont en mesure de répondre à la demande accrue par une offre qualitativement adaptée et compétitive : l'apparition d'un déficit commercial traduit, en partie, cette difficulté, commune aux trois expériences, de adaptation à la concurrence renforcée sur les produits incorporant des technologies avancées et/ou du capital humain spécifique. En général, le retard de développement des nouveaux adhérents est lié à une certaine insuffisance -- quantitative ou qualitative -- du stock existant de capital productif, des infrastructures et du capital humain. L'adaptation à l'ouverture extérieure passe donc nécessairement par le déclassement d'une fraction du capital existant -- l'exemple le plus extrême étant ici celui de l'Allemagne orientale (Horn, 1995) -- et doit, pour éviter l'aggravation et la persistance des déséquilibres, s'accompagner d'importants investissements de modernisation, de formation du capital humain, et d'évolutions salariales compatibles avec celles de la productivité de la main-d'oeuvre. Du fait de l'inégale progression de la productivité selon les branches et de la tendance à l'uniformité des évolutions salariales dans l'économie nationale, le processus d'adaptation engendrera généralement des tensions inflationnistes -- « effet Balassa » (cf. Chapitres 1 et 4) --, et exercera des influences contradictoires sur l'évolution des taux de change nominal et rée1 : la résultante -- et la politique de change mise en oeuvre par les autorités Nationales -- conditionnera, à son tour, la compétitivité des secteurs exposés à la concurrence extérieure (cf. infra).
L'expérience est-allemande est, de ce point de vue, particulièrement éclairante, dans la mesure où l'unification monétaire a irrévocablement fixé le taux de change nominal. Cependant, l'inflation y a été, depuis 1990, plus forte qu'en Allemagne de l'Ouest, de sorte que le taux de change réel s'est apprécié. Suite à la réalisation de l'union économique et monétaire allemande, l'accroissement des importations en provenance des Länder occidentaux a été immédiat, massif et durable, en raison de l'inadaptation de l'offre locale -- le PNB est-allemand a chuté de près de 50 % au cours du second semestre 1990 et du premier trimestre 1991 (Horn, 1995) -- et de l'évolution du revenu disponible des ménages est-allemands : d'une part, en effet, les salaires ont connu une progression extrêmement rapide -- +30 % au second semestre 1990, puis +60 % en 1991 et encore près de 20 % par an en 1992 et 1993 --, atteignant pratiquement la parité avec les salaires ouest-allemands -- délibérément recherchée par les syndicats 5 ( * ) -- en 1994, tandis que la productivité de la main-d'oeuvre connaissait une évolution bien moins rapide dans la plupart des secteurs ; d'autre part, l'augmentation consécutive du chômage a été freinée par l'octroi de subventions aux entreprises est-allemandes et ses effets sur le pouvoir d'achat des ménages est allemands amoindris par les transferts sociaux. En pratique, l'Allemagne de l'Ouest a maintenu, grâce à des transferts budgétaires aux entreprises et aux ménages de l'Est 1a croissance de la demande est-allemande, tandis que l'offre s'effondrait (Burda, 1990 ; Atkinson, et alii, 1994 ; Horn, 1995). Mais on peut penser qu'à terme, en raison des efforts financiers publics dans les domaines des infrastructures et de l'aide à la modernisation des entreprises, et de l'afflux des capitaux privés et des technologies ouest-allemands, le développement d'une offre locale compétitive permettra de résorber le chômage et le déficit commercial de la partie orientale de l'Allemagne.
1.3. Les financements du rattrapage
L'une des conditions essentielles à la réussite de l'intégration de pays accusant un certain retard de développement à une zone régionale économiquement plus avancée est la mise à disposition de moyens de financement suffisants pour assurer transformation et la modernisation des capacités de production et des infrastructures et, éventuellement, favoriser la croissance rapide de la demande solvable. C'est, bien sûr, à cette condition que l'intégration peut engendrer des gains, commerciaux notamment, pour les pays partenaires. II apparaît, en effet, que les capacité intérieures de financement des pays en développement et/ou en transition sont généralement, insuffisantes et que le rattrapage ne peut être réalisé que par l'apport -- temporaire, si le rattrapage est effectif -- de financements extérieurs.
A court terme, les financements extérieurs ont pour effet de solvabiliser la demande locale, favorisant notamment les importations ; il importe, dès lors, assez peu, dans une perspective macroéconomique et du point de vue des pays fournisseurs, de savoir à quels usages ils sont destinés. Mais à plus long terme, c'est par le développement d'une offre compétitive que les pays nouvellement intégrés à une zone régionale pourront soutenir l'emploi et la croissance du revenu disponible de leur résidents : le financement de l'investissement productif -- privé et en infrastructures publiques -- est, de ce fait, préférable aux transferts aux ménages.
En principe, dans un monde de mobilité des capitaux financiers, les perspectives de rentabilité qu'engendrent celles d'une croissance accélérée grâce à l'intégration devraient suffire à attirer dans les pays adhérents les capitaux privés nécessaires au financement du développement de l'offre. Pourtant, les diverses expériences récentes suggèrent que de telles évolutions « vertueuses » sont loin d'être la règle. D'une part, en effet, l'accélération du développement nécessite également le financement de la formation du capital humain et des infrastructures dont les analyses modernes en termes de « croissance endogène » ont montré que l'offre privée, décentralisée, tendait à être sous-optimale. D'autre part, les risques d'instabilité politique et économique, de même que les risques d'échec des processus de rattrapage, peuvent dissuader les investisseurs privés d'apporter aux pays en transformation structurelle des financements suffisants. Les concours publics, sous forme de prêts ou dons, en provenance des nouveaux partenaires ont souvent, dans ces conditions, des effets d'entraînement sur les capitaux privés, pourvu qu'ils soient bien ciblés 6 ( * ) .
En outre, si la libéralisation des mouvements internationaux de capitaux privés et la « globalisation financière » ont, dans une certaine mesure, favorisé l'essor des flux financiers en direction des pays en transformation structurelle -- pays « émergents », selon la terminologie des investisseurs internationaux --, les nouvelles modalités de financement -- investissements en portefeuille, surtout -- se révèlent souvent plus versatiles : l'horizon temporel des investisseurs n'est pas toujours compatible avec les rythmes de la transformation structurelle et du rattrapage ; leur perception subjective des risques est fondée sur une notion mal définie de « crédibilité » des politiques, notamment macroéconomiques, mises en oeuvre et, par nature, sujette au mimétisme, tant dans le sens de l'optimisme que dans celui du pessimisme, comme l'illustre temple du Mexique (cf., notamment, Rother, 1995). L'octroi de financements publics stables et durables peut donc contribuer par ce biais aussi à conforter et pérenniser les apports privés d'investissements directs.
1.4. La gestion du taux de change et des politiques macroéconomiques
La gestion du taux de change et des politiques macroéconomiques du pays adhérent au cours de la phase de rattrapage qui suit l'adhésion à une zone économiquement plus avancée apparaît comme l'un des éléments les plus déterminants, mais aussi les plus délicats, de la réussite du processus d'intégration : elle doit, en effet, être jugée soutenable et « crédible » par les investisseurs privés, tout en étant soumise à des tensions contradictoires susceptibles d'engendrer, au cours de la phase de rattrapage, des déséquilibres. Les expériences récentes de l'Espagne (cf. Chapitre 1) et du Mexique (Röther, 1995) illustrent les difficultés de cette gestion et les risques d'instabilité financière encourus, tandis que l'unification allemande révèle à la fois les avantages d'une orientation « crédible » et les dangers d'une appréciation réelle forte de la monnaie.
Dans le cas de l'Allemagne, la fixation irrévocable et parfaitement crédible du taux de change -- avec l'instauration d'une monnaie unique et d'une politique monétaire commune, conduite, qui plus est, par une institution à la réputation sans tache, la Bundesbank -- et l'apport massif de financements publics ont favorisé l'essor des financements privés, de sorte que l'on peut être optimiste sur la réussite, à terme, du processus de transformation, de modernisation et de rattrapage de l'économie est-allemande. Mais au cours de ce processus, la forte appréciation réelle de la « monnaie est-allemande » aura considérablement détérioré la compétitivité de l'offre 1ocale préexistante 7 ( * ) . L'appréciation réelle a résulté, dans un premier temps, du choix de la parité de conversion au moment de l'unification monétaire, qui, étant donné les niveaux relatifs de productivité de la main-d'oeuvre des deux parties de l'Allemagne, plaçait, d'emblée, les coûts unitaires des producteurs est-allemands très au-dessus de ceux de leurs concurrents occidentaux. Mais elle a été, en outre, considérablement accentuée par les évolutions salariales (Atkinson et alii, 1994 ; Horn, 1995), aggravant ainsi à la fois le déficit commercial des Länder orientaux et leur chômage.
Dans les expériences espagnole et mexicaine, au contraire, c'est la succession de phases de « crédibilité » des orientations macroéconomiques et de change et de crises de « défiance » qui caractérise le processus de rattrapage, révélant à la fois les difficultés de sa gestion dans le temps et les risques d'échec. Dans la première phase de l'ouverture et de l'intégration régionale, en effet, l'ancrage nominal de la monnaie nationale -- au SME dans le cas de l'Espagne, au dollar américain dans le cas du Mexique -- apparaît comme un instrument utile de stabilisation macroéconomique, notamment parce qu'il permet de contenir, dans une certaine mesure, les tensions inflationnistes. Mais tant que l'inflation intérieure demeure supérieure à celle des partenaires, la fixité du taux de change nominal engendre une appréciation réelle de la monnaie nationale, confortée par les entrées de capitaux privés aussi longtemps que le processus est jugé « crédible » et/ou que les taux d'intérêt sont maintenus à un niveau jugé suffisant par les investisseurs internationaux pour compenser le risque de dépréciation nominale. La tendance persistante à l'appréciation réelle de la monnaie correspond à une perte de compétitivité, génératrice de déséquilibres commerciaux durables, même si, à terme, l'ajustement poursuivi doit se traduire par un regain de compétitivité susceptible de restaurer l'équilibre extérieur si le processus de rattrapage réussit. Mais la stabilisation du taux de change nominal est alors, à tout moment, menacée par des crises de défiance des investisseurs internationaux prenant soudainement conscience de l'ampleur des déséquilibres, qui risquent de contraindre les autorités nationales à des orientations macroéconomiques plus strictes, compromettant ajustement 8 ( * ) .
Ainsi, les exigences contradictoires que doivent tenter de concilier les politiques macroéconomiques et la gestion du taux de change mettent en lumière la difficulté qu'il y a à conjuguer convergence nominale et rattrapage : la sous-évaluation de la monnaie est favorable à l'insertion dans les échanges mondiaux et à la stimulation de l'offre nationale, tandis que la pression concurrentielle qu'exerce l'appréciation réelle incite à la restructuration, à la modernisation et pèse sur les évolutions des coûts et des prix. Mais dans un monde de mobilité élevée des capitaux, les autorités nationales n'ont pas toujours la maîtrise de ces évolutions.
2. Les incertitudes sur l'évolution future de l'Union européenne
Alors que les précédents élargissements de la Communauté européenne ont eu lieu dans un contexte où l' » acquis communautaire » auquel adhéraient les nouveaux membres était assez clairement défini, les conditions de l'adhésion des PECO à l'UE apparaissent beaucoup plus incertaines : la plupart des politiques communes ont connu des évolutions importantes au cours des années récentes et sont susceptibles de subir de nouvelles modifications dans l'avenir proche ; par ailleurs, l'adoption du traité de Maastricht et les perspectives d'unification monétaire ont radicalement transformé la nature de l' »acquis communautaire » et posé le problème de sa « géométrie économique » future.
2.1. L'orientation future des politiques communes
L'achèvement du Marché unique a conféré une importance accrue à la réglementation européenne et à la politique commune de la concurrence. Dans le domaine des normes et de la réglementation -- notamment prudentielle des banques et établissements financiers --, l'harmonisation européenne a fait des progrès considérables. Elle tend à substituer aux pratiques des États membres des conditions de concurrence uniformes, même si le principe de reconnaissance mutuelle permet de tolérer la persistance de certaines spécificités. De même, la politique de la concurrence exerce un contrôle de plus en plus strict sur les pratiques nationales en matière de subventions aux entreprises, de privilèges fiscaux, etc. Étant donné le caractère de plus en plus contraignant de ces orientations communes, conformes à la logique du Marché unique, il n'est pas évident que les PECO puissent être soumis d'emblée au droit commun communautaire en ces domaines : d'une part, en effet, les restructurations en cours ont de grandes chances de n'être pas achevées au moment de leur adhésion, ce qui nécessiterait des dérogations ; d'autre part, il n'est pas certain que les capacités administratives locales permettent d'assurer sans délais le respect des réglementations communes. Ces deux considérations plaident, à tout le moins, pour des périodes transitoires post-adhésion relativement prolongées.
Les orientations de la politique commerciale de l'Union ont également évolué dans un sens résolument plus libéral. Sous la pression des négociations commerciales internationales du GATT, des concessions importantes ont déjà été faites en direction d'un système d'échanges extérieurs moins protégé pour de nombreux produits et de règles plus contraignantes pour les interventions publiques, l'accès minimum garanti, etc. Les accords récents d'Union douanière avec la Turquie, les accords signés avec pays de la rive sud de la Méditerranée -- qui concernent, certes, des zones d'influence « naturelles » de l'UE -- et les projets en cours de discussion d'accords de libre-échange avec le Mercosur et, éventuellement, avec les États-unis -- donc l'ALENA -- semblent orienter l'UE vers une dilution de la préférence communautaire et de la protection douanière extérieure commune. Et il se pourrait que les États-unis exercent de nouvelles pressions pour une libéralisation encore accrue des échanges extérieurs de l'UE dont l'adhésion des PECO pourrait fournir l'occasion et le prétexte, étant donné les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Dans ce contexte, l'avenir de la Politique agricole commune (PAC) est également incertain, si l'on en juge d'après le contenu du récent Livre blanc sur l'agriculture européenne. La PAC a subi, en 1992, une profonde réforme qui, dans l'esprit de certains, n'est que la première étape d'une transformation radicale de ses objectifs et modalités de sa mise en oeuvre. Les mécanismes de soutien des prix ont été sensiblement réduits pour les produits de base -- notamment les céréales -- de manière à rapprocher les prix intérieurs des niveaux mondiaux et limiter les subventions aux exportations ; les quantités exportées avec subvention ont été plafonnées et un accès minimum au marché communautaire a été introduit pour les produits en provenance du reste du monde. Parallèlement, les aides directes au revenu des exploitants, sous diverses formes et moins directement liées aux quantités produites, ont été accrues. Étant donné l'accent mis sur des objectifs autres que les quantités produites -- notamment l'incitation à la protection de l'environnement, à des modes de production plus extensifs, etc. -- et les probables futures pressions américaines pour un ultérieur affaiblissement des mesures de soutien des prix et de la préférence communautaire 9 ( * ) , on ne peut exclure, même si ce n'est pas inéluctable, une nouvelle réforme de la PAC au début de la prochaine décennie.
Dans un autre domaine, sur lequel l'UE ne s'est, jusqu'à présent, que peu aventurée, mais potentiellement crucial, la « Charte sociale européenne » adjointe au traité de Maastricht -- signée par tous les pays membres à l'exception du Royaume-Uni -- édicte certains principes, très généraux il est vrai, concernant la réglementation du travail et la protection des droits sociaux. Si elle devait se traduire par une réglementation européenne plus contraignante en la matière, l'adhésion des PECO se trouverait soumise à des conditions plus strictes que celles qui prévalaient lors des précédents élargissements. Étant donné notamment l'état de leur législation sociale et de leurs systèmes de protection sociale, il n'est pas certain qu'ils puissent les satisfaire immédiatement.
Enfin, la « politique de cohésion » et les transferts au titre des fonds structurels ont été considérablement renforcés depuis les adhésions de pays d'Europe du Sud. Ils répondent désormais, pour l'essentiel, à des critères de développement relatif qui rendent d'emblée, l'ensemble des PECO candidats éligibles. Mais une modification des critères dans un sens plus restrictif pour l'ensemble des pays membres risque de se heurter à l'opposition de pays qui, tels l'Espagne et l'Italie, perdraient beaucoup (cf. Chapitre 4).
2.2. La « géométrie » économique et monétaire de l'Union
Alors que l' »acquis communautaire » auquel adhéraient les pays candidats lors des précédents élargissements de la Communauté européenne était effectivement ensemble de règles communes et uniformes s'appliquant à tous les membres de la CE, tel n'est plus aujourd'hui le cas, notamment en matière monétaire. Au moment des adhésions des pays de l'Europe du Sud, déjà, certains pays membres -- le Royaume-Uni -- ne participaient pas au Mécanisme de change européen (MCE) du Système monétaire européen (SME) institué en 1979. Mais, s'il existait des régimes dérogatoires du droit commun -- marges de fluctuation élargies, par exemple -- ils étaient conçus comme transitoires et tous les pays membres avaient, au moins théoriquement, vocation à participer au MCE. En instituant des critères de convergence dont le respect est impératif pour la participation à la phase ultime de l'unification monétaire, le traité de Maastricht a explicitement ouvert la voie à l'instauration d'une « géométrie économique » variable dans l'UE, quelles qu'en soient les modalités spécifiques -- à la carte », en « cercles concentriques », « noyau dur » et « périphérie », etc. Et, depuis les crises de change de 1992-93, cette éventualité est devenue réalité, puisque plusieurs monnaies flottent désormais librement hors du MCE -- la livre sterling et la lire italienne --, tandis que d'autres ont été fortement dévaluées -- la peseta espagnole, l'escudo portugais et la couronne suédoise. En outre, quelles que soient les évolutions macroéconomiques au cours des prochaines années en Europe, il est, dès à présent, assuré que, dans l'hypothèse d'un respect des échéances prévues dans le traité de Maastricht, la future monnaie unique ne concernera pas la totalité des pays membres actuels : le Royaume-Uni s'est réservé, par la Clause d'opting out adjointe au traité, la possibilité de ne se joindre à la future zone monétaire ; et bon nombre de membres actuels ne pourront en aucun cas satisfaire les critères -- notamment de finances publiques -- à l'horizon de la fin du siècle.
Alors qu'il n'est guère envisageable de prolonger indéfiniment le SME actuel, la future organisation monétaire de l'Europe, qui aura au moins « deux cercles », reste à imaginer. Avec la perspective de l'élargissement aux PECO, les exigences auxquelles devra satisfaire cette organisation monétaire future sont particulièrement contraignantes, étant donné ce qui a été souligné plus haut concernant la gestion du taux de change des PECO et le désir, légitime, des pays participant à la monnaie unique d'éviter les dévaluations compétitives et les tendances centrifuges des pays de la périphérie. C'est, de ce fait, toute la conception de l'unification économique et monétaire qui doit être repensée et adaptée aux nouvelles réalités.
3. Les principales hypothèses de l'étude
Implicitement ou explicitement, notre étude repose sur un grand nombre hypothèses spécifiques dont il convient de préciser, brièvement, les implications économiques et le caractère plus ou moins « volontariste ».
3.1. Les présupposés et les scénarios exclus
Étant donné les diverses incertitudes évoquées ci-dessus, le nombre de scénarios imaginables est potentiellement considérable et nous avons choisi de restreindre l'analyse à quelques configurations qui nous sont apparues comme les plus probables, dans le contexte actuel.
3.11. Les politiques dans l'Union européenne
A l'horizon de l'étude -- une dizaine d'années, voire une quinzaine pour les projections macroéconomiques à long terme présentées dans le chapitre 4 --, nous avons supposé que les principales politiques communes de l'UE ne subiraient pas d'infléchissements radicaux. En particulier, l'orientation relativement libérale qui caractérise les politiques commerciale et de la concurrence est censée prévaloir à l'avenir. En outre, les perspectives d'unification monétaire inscrites dans le traité de Maastricht sont, dans leurs grandes lignes, sous-jacentes aux différentes projections : dans la mesure où l'on n'analyse pas explicitement les conséquences de différentes politiques de change des PECO, ceci n'apparaît pas directement, mais transparaît dans les hypothèses sur les orientations des politiques macroéconomiques menées dans les pays membres actuels de l'UE et dans les perspectives macroéconomiques qui en résultent dans la projection de référence par rapport à laquelle sont évalués les scénarios.
3.12. Le processus de transformation des économies des PECO
Ces scénarios sont également fondés sur une vision prospective relativement « vertueuse » des processus de transformation et d'ouverture extérieure en cours dans les PECO candidats, vision que d'aucuns pourraient juger quelque peu optimiste. Il apparaît, en effet, à la lumière des évolutions économiques récentes observées dans ces pays, qu'après une période de dépression profonde consécutive à l'effondrement du Comité d'assistance économique mutuelle (CAEM, ou Comecon) et à la libéralisation des économies, les six PECO considérés sont entrés dans une phase de reprise durable et ont entamé un processus de rattrapage dont l'intégration à l'UE devrait renforce la vigueur (Chapitres 1 et 4). On ne peut, il est vrai, exclure complètement la possibilité de rechute ou de retour en arrière sur telle ou telle réforme dans tel ou tel pays ; mais il semble raisonnable de tabler sur la poursuite -- et sur la réussite, modérée, du moins dans l'hypothèse de l'adhésion -- des processus en cours et du redressement macroéconomique.
3.2. L'environnement international
Les projections présentées dans les différents chapitre sont, comme toujours très dépendantes des hypothèses faites sur l'environnement international dans lequel s'inscrivent les scénarios analysés.
3.21. Évolutions à l'est
Dans la mesure où les PECO étaient des partenaires privilégiés de l'ex-URSS, les évolutions économiques futures dans les Républiques de la Communauté des États indépendants (CEI) -- et singulièrement en Russie et en Ukraine -- conditionnent, en partie, les performances à venir de ces pays, notamment leurs échanges extérieurs. Il en va de même pour les relations des six PECO considérés entre eux et avec les quatre postulants éventuels à l'UE non explicitement pris en compte ici -- la Slovénie et les trois États baltes. Mais le processus de transformation des économies de la CEI apparaît particulièrement lent et sa réussite incertaine, du moins à l'horizon prévisible de sorte que les hypothèses retenues pour les échanges commerciaux avec ces pays sont très conservatrices.
3.23. La croissance mondiale et les échanges
L'ensemble des scénarios est évalué par rapport à une projection fondée sur des hypothèses d'environnement international qui, dans une très large mesure, projettent les tendances observées au cours des années récentes. Cette projection a été décrite dans une précédente étude remise au Sénat et réalisée à l'aide du modèle MIMOSA (cf. Chapitre 4).
4. Les Principales conclusions
4.1. Les conséquences sectorielles
Dans le domaine agricole et agro-alimentaire (Chapitre 2), il apparaît que l'intégration des PECO peut être réalisée sans remettre radicalement en cause les équilibres et les mécanismes actuels de la PAC, en dépit du fait que le potentiel agricole de ces pays est considérable et qu'ils sont spécialisés dans des productions similaires à celles dans lesquelles l'UE est d'ores et déjà auto-suffisante, voire excédentaire. La lenteur des transformations structurelles dans l'agriculture et dans les branches en aval permettent d'escompter la persistance d'excédents dans les échanges agricoles et agro-alimentaires de l'UE avec les PECO considérés. En outre, si elle ménage une transition post-adhésion suffisamment longue et prudente, si elle utilise à bon escient les instruments de maîtrise quantitative de l'offre agricole déjà existants dans le cadre de la PAC actuelle, l'intégration des PECO pourrait conforter leur développement agricole tout en étant relativement peu coûteuse pour le budget communautaire -- entre 5 et 10 milliards d'Écus par an, au terme de la période transitoire.
L'analyse détaillée des relations commerciales des PECO avec la France et l'Allemagne (Chapitre 3) révèle que cette dernière est nettement plus tournée que la France vers ces pays et que le niveau actuel de ses échanges avec eux semble, selon une norme estimée à partir d'un « modèle de gravité », excéder d'ores et déjà leur potentiel, sorte que l'on ne devrait pas s'attendre à un essor ultérieur très sensible, du moins niveau agrégé. Dans le cas de la France, au contraire, une analyse conduite avec les mêmes méthodes et des références similaires montre que le niveau actuel des échanges très en-deçà de son potentiel, laissant une marge de croissance importante pour les années à venir.
Au niveau sectoriel, il apparaît, comme on pouvait s'y attendre, que les PECO considérés exportent vers l'UE principalement des produits de consommation à fort contenu en main-d'oeuvre peu qualifiée et à faible contenu en capital humain ; et qu'inversement, l'UE exporte vers ces pays principalement des biens d'investissement et des produits à faible contenu en main-d'oeuvre et à fort contenu en capital humain. Il en résulte des difficultés d'ajustement pour certains secteurs de production dans l'UE. Toutefois, il est probable qu'avec le rattrapage des économies des PECO, les modalités de la spécialisation et de la division internationale du travail évolue, conformément aux tendances observées dans les échanges entre économies de niveau de développement comparable : les échanges inter-branches feraient alors progressivement place aux échanges intra-branches (cf. également le Chapitre 1).
4.2. Les conséquences macroéconomiques de l'intégration
Dans les deux scénarios macroéconomiques étudiés -- simple poursuit orientations inscrites dans les actuels Accords d'association ou véritable intégration des six PECO à l'UE, avec octroi des fonds structurels selon des critères proche de ceux actuellement en vigueur (cf. Chapitre 4) -- les conséquences macroéconomique de l'élargissement apparaissent bénéfiques, pour les PECO eux-mêmes bien sûr, mais également pour les pays membres actuels de l'Union, y compris ceux d'Europe du Sud dont on pouvait penser qu'ils subiraient plus vivement que les autres la concurrence des nouveaux membres. Ce résultat positif est très largement imputable aux effets d'entraînement du développement des échanges commerciaux sur la croissance des économies. En outre, dans le second scénario, le surcroît de croissance est attribuable au-delà d'une intensité plus grande des échanges commerciaux, au desserrement de la contrainte financière pesant sur les PECO que permet l'octroi des fonds structurels profitant ainsi indirectement aux membres actuels de l'UE dont les exportations les PECO s'accroissent davantage.
4.3. Les implications budgétaires
Globalement, les débours occasionnés au budget communautaire par l'adhésion des six PECO, aux titres des fonds structurels et de la PAC, seraient, dans l'hypothèse la plus haute -- second scénario macroéconomique -- inférieurs à 35 milliards d'Écus par an. Certes un tel montant peut apparaître non négligeable et obligera, en tout état de cause, à relever sensiblement les plafonds en vigueur depuis l'adoption du « paquet Delors II ». Mais évalué à l'aune du PIB des pays donateurs, il représente pourcentage inférieur à celui que représentait le Plan Marshall pour l'économie américaine. En outre, cet accroissement des dépenses communautaires est, dans très large mesure, auto-financé grâce au surcroît de croissance que l'élargissement devrait induire dans l'UE actuelle. Enfin, si les financements ainsi octroyés engendrent des évolutions raisonnablement « vertueuses » dans les PECO, leur montant devrait décroître dans le temps à mesure que s'accomplit leur rattrapage.
Références bibliographiques
ATKINSON, Anthony, Olivier BLANCHARD, Jean-Paul FITOUSSI, John FLEMMING, Edmond MALINVAUD, Edmund PHELPS et Robert SOLOVV, 1994 : Pour l'emploi et la cohésion sociale, 3° rapport du Groupe international de politique économique de l'OFCE, Collection « Références/OFCE », Presses de la Fondation nationale des sciences Politiques, Paris.
BURDA, Michael, 1990 : « Les conséquences de l'union économique et monétaire de l'Allemagne », in J.-P. FITOUSSI, éd., A l'est, en Europe -- Des économies en transition, Collection « Références », Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris.
HORN, Gustav, 1995 : « Some aspects of German unification », miméo, DIW, Berlin.
LE CACHEUX, Jacques, 1990 : « Réformes financières et convertibilité des monnaies dans les économies de l'Est », in J.-P. FITOUSSI, éd., A l'est, en Europe -- Des économies en transition, Collection « Références », Presses de la Fondation nationale des sciences Politiques, Paris.
PASSET, Olivier, 1990 : « L'Allemagne orientale », in J.-P. FITOUSSI, éd., A l'est, en Europe -- Des économies en transition, Collection « Références », Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris.
ROTHER, Björn, 1995 : Les régimes de taux de change fixe dans les programmes de stabilisation macroéconomique : quelques expériences de l'Allemagne et du Mexique, mémoire de stage, miméo, OFCE, Paris.
CHAPITRE 1
INTÉGRATION DES PAYS D'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE À L'UNION EUROPÉENNE : UN PROCESSUS À CONSTRUIRE
Jacky FAYOLLE
Ce chapitre s'attache à proposer une problématique d'ensemble permettant de cerner les enjeux du processus d'intégration des pays d'Europe centrale et orientale (PECO) dans l'Union européenne. Il relève tout d'abord les particularités de l'élargissement envisagé par rapport aux élargissements précédents de la Communauté Européenne (partie 1). Puis il s'efforce de mesurer l'hétérogénéité nouvelle qu'introduirait dans l'Union européenne l'adhésion des PECO et d'évaluer les implications qui pourraient en résulter, notamment pour l'appel aux fonds structurels. Il tire de cet examen des éléments pour des scénarios diversifiés explorant le processus d'intégration des PECO (partie 2). Il rapproche enfin cette réflexion prospective, qui soulève les problèmes du rapport entre convergence macroéconomique et rattrapage structurel, de l'expérience constituée par le long processus d'intégration de l'Espagne à la Communauté européenne. Certains enseignements d'ordre général paraissent en effet pouvoir être tirés de cette expérience (partie 3).
1- Un élargissement aux enjeux inédits...
1-1- ...du côté de l'Union européenne
L'élargissement de l'Union européenne sur son flanc Est pose des problèmes qualitativement nouveaux par rapport aux expériences antérieures d'intégration de nouveaux membres dans la CEE, puis l'Union :
a) C'est un vaste groupe de pays qui se portent aujourd'hui candidats pressés à l'intégration : l'entrée des six pays que sont la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Tchéquie accroîtrait la population communautaire d'un quart (tableau 1). Seul le premier élargissement de 1973 dépasse cette ampleur, en raison de l'entrée du « poids lourd » qu'était la Grande-Bretagne. Chaque expérience précédente d'intégration a soulevé des problèmes particuliers, qui ont pu être traités patiemment au cas par cas, au travers de délais assez longs de préparation et d'espacement des entrées successives. De plus, les nouveaux candidats est-européens sont, après l'implosion du Comecon, des pays dont l'insertion internationale est flottante : leur volonté d'intégration correspond à un besoin de stabilisation des paramètres de cette insertion, aussi bien sur le plan politique qu'économique. Aucun des précédents entrants n'était sans doute en telle situation de manque d'appartenance internationale. Les candidats est-européens sont enfin des pays relativement pauvres : ils apporteraient à l'Union européenne trois fois plus de population que de PIB, s'ils adhéraient aujourd'hui.
b) L'acquis communautaire, théoriquement adopté par tout nouvel entrant, est aujourd'hui une construction complexe. L'acte unique et le traité de Maastricht posent d'autres exigences aux nouveaux arrivants que celles du traité de Rome. Déjà le passage à quinze, intervenu après la conclusion de ces deux accords, soulève des problèmes nouveaux, par exemple dans le domaine de l'inévitable adaptation des procédures institutionnelles. Or, l'Autriche, la Finlande et la Suède, au niveau de développement élevé, n'avaient qu'un poids démographique et économique limité en proportion de la masse des douze. Bref, le passage d'une démocratie européenne de type « athénien » à une démocratie « de masse », non plus réservée à une élite relativement homogène mais largement ouverte, pose des problèmes inédits : l'acquis communautaire peut-il rester intangible, ou doit-il prendre en compte l'hétérogénéité accrue de l'Union ? Faut-il introduire des clauses dérogatoires à cet acquis, au risque de le dissoudre, chaque fois que des spécificités nationales paraissent le justifier (à l'image de la dérogation accordée au Royaume-Uni pour le volet social de Maastricht) ? Faut-il, plus formellement, hiérarchiser cet acquis en différents cercles « fonctionnels " (le marché, la monnaie, la défense, etc.) et susciter un processus d'adhésion différenciée à ces cercles ?
Tableau 1 : Impact des élargissements sur la taille de la Communauté Européenne
Légende : Ce tableau indique, pour chaque élargissement, l'accroissement comptable de la population et du PIB communautaires suscités par l'arrivée de nouveaux membres, compte tenu de la taille humaine et économique de chaque pays au moment de l'élargissement. L'accroissement du PIB se réfère aux mesures des PIB nationaux en dollars constants de 1990 (conversion selon la parité des pouvoirs d'achat), de manière à ne pas troubler ces mesures par la variabilité des taux de change courants. Pour les élargissements effectifs ou hypothétiques postérieurs à 1990, c'est l'Allemagne unifiée qui est prise en compte dans ces calculs. Les deux dernières lignes présentent, à titre de simple illustration des ordres de grandeur en jeu, deux hypothèses d'intégration de certains pays de l'Est (les données utilisées se réfèrent, pour ces deux lignes, à l'année 1992, en raison des contraintes de disponibilité des données).
c) L'intégration des pays d'Europe centrale et orientale (PECO) est difficile à considérer comme un processus se déroulant toutes choses égales par ailleurs :
- D'une part, parce que l'état de l'Union européenne au moment de cette intégration n'est pas aujourd'hui déterminé et qu'on peut l'imaginer selon différents scénarios (cf. encadré 1). Les résultats de la conférence intergouvernementale de 1996 ne se dégageront qu'au terme d'un processus assez long. Le contour de la future Union monétaire est tellement incertain que les marchés passent leur temps à tester la capacité des éventuels participants à respecter les critères de convergence et leur résistance aux tentations de laxisme monétaire ou budgétaire. Si l'entrée de pays est-européens fait pencher encore plus la balance en direction de la périphérie que du noyau dur de cette Union - sauf à supposer qu'une extension de la zone mark à certains pays de la Mitteleuropa réédite le scénario économique de l'unification allemande -, l'unicité laborieusement acquise du marché européen en serait d'autant plus fragilisée : le risque de surévaluation permanente des monnaies du noyau dur pourrait vite devenir insupportable. L'entrée de membres est-européens dans l'Union européenne serait alors le cheval de Troie dans une forteresse européenne déjà bien ébranlée. Il est nécessaire, pour éviter un dérapage de cette nature, de clarifier suffisamment tôt les finalités et la nature de l'offre faite aux pays est-européens.
- D'autre part, parce que l'élargissement communautaire intervient dans un contexte de libéralisation généralisée des relations économiques internationales. Certes, ce processus ne doit pas être perçu de manière trop simpliste et uniforme : Il ne supprime pas les hétérogénéités entre les organisations productives nationales, ni les segmentations des marchés financiers internationaux (sinon, les Japonais auraient financé l'unification allemande plutôt que les déficits publics américains ou leurs propres excès immobiliers) ; la réalité mondiale demeure à bien des égards, en dépit de la conclusion de l'Uruguay Round, celle d'un « commerce administré », qui laisse la porte ouverte aux menaces et rétorsions unilatérales, plutôt que celle d'un libre-échange parfait. II reste que la globalisation de la concurrence internationale érode les préférences régionales antérieures, qui perdent de leur portée. En même temps qu'elle s'interroge sur les modalités d'adhésion des pays est-européens, l'Union européenne explore la possibilité d'accords de libre-échange avec le Mercosur latino-américain ou avec les Etats-Unis. Elle propose aussi aux pays méditerranéens un nouveau cadre pour les relations euro-méditerranéennes, dans lequel des apports financiers d'origine communautaire plus importants seraient conditionnés par la libéralisation des échanges et des économies. Cette banalisation libre-échangiste des préférences régionales fait s'interroger sur le destin d'une Union européenne élargie : ne va-t-elle pas se réduire à une vaste zone de libre-échange, agrémentée de quelques garde-fous institutionnels, mais laissant jouer les effets d'éviction commerciaux et financiers entre participants à des marchés dont la croissance pourrait manquer durablement de vigueur, faute de politiques communes suffisamment affirmées ?
Scénarios pour l'Union européenne Les difficultés de la conjoncture européenne, c'est-à-dire l'avortement de la reprise engagée en 1994, illustrent le caractère « impossible » de la situation actuelle de l'Union européenne, en voulant dire par là qu'il ne peut s'agir d'une situation durable et qu'elle, appelle nécessairement une issue. L'espace européen souffre d'une carence de stabilité et de coopération monétaires qui inhibe l'Europe sociale, puisque chaque pays répercute sur le fonctionnement de son propre marché du travail les contraintes qui découlent de cette situation. Chaque pays qui souhaite accéder à « l'aristocratie » européenne du noyau dur est incité à des programmes d'ajustement contraignants. Ce faisant, l'ensemble des pays européens risque fort d'avoir du mal à consolider un sentier stable et durable de croissance commune. Les stratégies centrifuges s'affirment : elles combinent, avec des pondérations variables selon les pays, renationalisation des politiques économiques (via les dévaluations notamment) et 1'effort solitaire pour respecter les critères de convergence. Ce dualisme préfigure une scission l'ensemble européen entre un noyau dur qu'on pourrait qualifier « d'autiste », enfermé dans la vertu monétaire, et une périphérie jouissant de l'irresponsabilité monétaire. Si bien que la transition à l'Union monétaire, loin de promouvoir la cohésion européenne et l'assurance sur l'avenir, apparaît aujourd'hui comme un facteur de division et d'incertitude en Europe. Face à cette situation, on peut imaginer différentes options stratégiques. Chacune repose sur un certain type de rapport entre union politique et union monétaire. L'intégration des pays est-européens ne relève pas de la même problématique dans tous les cas de figure : 1-un scénario Confirmation et prolongement de Maastricht Ce premier scénario est fondé sur le refus collectif des dirigeants européens d'ouvrir la « boite de Pandore » des finalités et critères de l'union monétaire définis par le traité de Maastricht. Sans être optimaux, ces finalités et critères sont le moyen de tester l'adhésion de chaque pays à des règles collectives de discipline garantissant la stabilité monétaire de l'Europe et la réussite de l'Union monétaire. Celle-ci doit être réalisée rapidement afin de réduire les coûts et les incertitudes de la transition Elle devrait être renforcée par la définition d'un « pacte de stabilité » précisant les obligations des participants à l'union monétaire, notamment en matière de gestion budgétaire. Les avancées de l'union politique sont nécessaires pour légitimer le contenu prédéfini et renforcé de l'union monétaire et favoriser l'adhésion des opinions publiques nationales à ce contenu. Cette union politique permettra d'encadrer les marchés par une coordination renforcée des politiques budgétaires et par des politiques communes plus consistantes. Dans ce scénario, les nouveaux arrivants adoptent l'acquis communautaire, intègrent pleinement l'union politique et postulent à l'union monétaire en fonction de leur capacité à satisfaire les critères établis. 2-un scénario Zone de libre-échange politiquement encadrée Le second scénario repousse de manière indéfinie, voire abandonne, une Union monétaire jugée trop précoce ou trop contraignante en l'absence d'une identité européenne suffisamment fondée. L'Union politique, censée permettre l'identification par les Européens de leurs intérêts communs, devient un préalable à la poursuite ou à la reprise du projet d'union monétaire. Cette identification n'a cependant pas des résultats garantis, si bien que le scénario peut conduire à entériner les forces centrifuges actuelles. Le résultat serait alors la concrétisation d'une zone de libre-échange pan-européenne, plus ou moins bien encadrée par des garde-fous institutionnels. L'intégration rapide de nouveaux membres est dans le prolongement naturel de cette évolution. Des régimes transitoires permettraient de gérer l'adaptation à l'extension généralisée du libre-échange. 3-un scénario d'Intégration structurelle Cette dernière option dépasse le chassé-croisé précédent entre union monétaire et union politique. Elle repose sur une relance politique du projet européen. Elle prend au sérieux l'offre allemande d'une union politique plus consistante et lui répond en proposant de mettre au coeur de celle-ci l'entente sur les règles publiques et sociales devant gouverner l'union économique et monétaire. La coordination et l'harmonisation des politiques économiques prennent gagnent en crédibilité et en efficacité car elles sont basées sur la reconnaissance mutuelle et opérationnelle de ces règles. Cette option exigeante vise à nourrir le fédéralisme européen 10 ( * ) par clarification de normes communes (sur la fiscalité, la politique de l'emploi et des revenus, etc...). Elle suppose une clarification franco-allemande sur la signification de la stabilité monétaire, qui est la finalité principale retenue pour l'union monétaire. Une critique primaire du monétarisme est ressentie par les Allemands - patrons et syndicalistes - comme une mise en cause de cette stabilité, alors que la société allemande partage la conscience aiguë de sa nécessité pour assurer la clarté et la solidité du contrat social. Quel est l'horizon sur lequel on juge de la stabilité des prix et de la monnaie ? La stabilité nominale a-t-elle un sens si les politiques monétaires et budgétaires tirent à hue et à dia contre l'emploi ? Peut-on parler de stabilité sans que l'Europe se dote de réglementations bancaires et financières qui lui soient propres et qui limitent en particulier la dépendance des gestions bancaires à l'égard des marchés financiers ? Dans ce troisième scénario, l'intégration de nouveaux membres prend en compte leur capacité à respecter les règles publiques et sociales de l'Union et l'apport de ces règles à leur objectif de rattrapage. Elle se fait sans doute au coup par coup, mais on peut imaginer des formules d'antichambre, à l'image de l'Espace économique européen pour les nouveaux adhérents en provenance de l'Association européenne de libre-échange. |
1-2...et du côté des pays est-européens
Les questions soulevées du côté de l'Union européenne ont leur pendant du côté des pays est-européens. Tout se passe comme si ces pays, qui émergent à peine de leur passé socialiste, devaient refaire deux à trois fois plus vite (en une à deux décennies si on associe à l'objectif d'intégration une échéance suffisamment tangible pour qu'elle reste motivante) le chemin emprunté par les économies ouest-européennes, passées durant les quarante années de l'après-guerre, d'une reconstruction nationale largement impulsée par l'intervention publique au marché unique des marchandises et des capitaux. L'état actuel des transitions est-européennes vers une économie de marché ouverte, inachevées, est porteur de hiatus avec les exigences de la soumission rapide à la discipline du marché unique et de la convergence macroéconomique (sous réserve de toutes les distinctions nécessaires entre les différents pays est-européens) :
a) La recherche d'un alignement formel des cadres réglementaires est-européens sur l'acquis communautaire ne devrait pas dissimuler la réalité durable d'organisations et de comportements assez distants des pratiques concurrentielles communautaires. Structures corporatives et intervention de l'État participent à la configuration des « économies mixtes » assez particulières qui ressortent de l'étape actuelle des transitions. Le besoin d'un guidage public des processus en cours ne permet pas de traiter simplement cette dimension de la transition comme un héritage du passé et une entrave à l'efficience des marchés. La modernisation des administrations et la restructuration des secteurs publics, le redressement de l'efficacité des interventions publiques devraient être au premier rang du champ de la coopération au sein de l'Union élargie. Certes, l'intégration des nouveaux arrivants dans l'Union passe d'abord par le marché. L'intégration de l'Autriche, de la Suède et de la Finlande est passée par le préalable de leur participation à l'Espace économique européen, instauré en 1992 et caractérisé par l'extension à cet espace des libertés fondamentales de circulation au sein du marché unique et du régime de concurrence communautaire. Mais l'expérience acquise par ces trois pays au sein de l'Association européenne de libre-échange et leurs niveaux de développement ont fait de cet antichambre de l'intégration un moment bref et relativement paisible. Les pays est-européens ne bénéficient pas du même point de départ, même si les accords d'association signés avec plusieurs d'entre eux contribuent à accélérer d'ores et déjà l'ouverture de leur économie.
b) La rationalisation des systèmes financiers est-européens est loin d'être achevée. La période de transition se prête même à un désordre systémique accentué. Il n'est pas aisé d'articuler la monétisation des nouvelles relations de marché, la rigueur de la gestion monétaire et la consolidation d'intermédiaires financiers aptes à canaliser l'épargne interne. L'économie de spéculation trouve des opportunités inégalées dans le négoce des actifs physiques et financiers hérités du passé socialiste, tandis que le cumul des dettes anciennes et nouvelles ne facilite pas une discrimination efficace des bons et mauvais débiteurs potentiels. La plongée brutale de tels systèmes financiers dans un marché unique des capitaux ouvert et déréglementé peut s'avérer réciproquement déstabilisante. La crise mexicaine, tout comme la crise de liquidités sur le marché interbancaire russe au cours de l'été 1995, ont valeur d'avertissement à cet égard, sauf à vouloir faire le grand ménage financier par la pleine exposition à la déréglementation internationale. Les pays est-européens sont confrontés à la nécessaire reconstruction de relations de crédit actives et efficaces, dont des organismes financiers recapitalisés et suffisamment transparents devraient être les maîtres d'oeuvre. La déréglementation des marchés financiers et leur emprise sur les gestions bancaires ne constituent probablement pas l'ambiance la plus adéquate en la matière. Le renforcement et l'amélioration des réglementations bancaires et financières propres à l'espace européen s'en trouvent en revanche d'autant plus justifiés. L'usage de l'ECU-monnaie unique (l'Euro) pour les transactions des pays est-européens entre eux et avec les partenaires de l'Union européenne pourrait également participer à la consolidation et à la sûreté de leurs systèmes de paiement. La prépondérance de la devise de l'Union pour le libellé des contrats commerciaux et financiers, ainsi que comme référence externe pour l'ancrage des monnaies est-européennes, s'opposerait au rôle perturbateur du dollar et assurerait une meilleure fiabilité des anticipations de revenus et de paiements réels. Le recours à la gamme des produits dérivés de couverture s'en trouverait spontanément limité. Une telle perspective est évidemment dépendante du sort de l'unification monétaire européenne.
c) La réussite de l'intégration des pays est-européens dépend fondamentalement de la promotion effective de schémas efficients de spécialisation par cette intégration. La dynamique du marché unique élargi peut-elle spontanément favoriser une complémentarité des spécialisations productives à l'Est et l'Ouest de l'Europe ? Le renforcement de politiques communes incitatives à des actions pertinentes de reconversion, de spécialisation et de coopération n'est-il pas plutôt exigé par les besoins de l'intégration de pays aux structures économiques très fragiles ? L'intégration économique entre des pays ou des zones dont les structures et les niveaux de développement sont hétérogènes apparaît comme un processus risqué, moins assuré, ex ante, de sa crédibilité que lorsque les pays peuvent fonder leurs choix de spécialisation sur des niveaux de développement comparables. La Communauté européenne, débutant par un petit groupe de pays relativement homogène, a tiré grand profit, dans l'après-guerre, de l'impulsion donnée en son sein aux échanges intra-industriels 11 ( * ) (c'est-à-dire internes à chaque branche d'activité), sources d'économies d'échelle et de gains dans la variété des produits. La nature de ce développement des échanges, contribuant à la croissance rapide de l'époque, a rendu plus supportable le coût des adaptations sectorielles.
Pourtant, l'association entre pays aux niveaux de développement franchement différents n'est pas d'emblée condamnée à l'échec. Après tout, le théorème des avantages comparatifs justifie la libération des échanges entre pays dont les niveaux absolus de développement technologique sont différents. Le problème à cet égard, c'est que la nature des avantages comparatifs et des spécialisations potentielles des pays est-européens reste largement indéterminée. La phase de « destruction créatrice » subie par ces pays ne révèle encore que maigrement les lignes de force de leur développement à venir. Et, sans doute, la détermination de ces avantages et spécialisations est-elle pour partie endogène aux dynamiques actuelles. Cependant, l'exigence de conciliation entre les avantages globaux de l'intégration économique et son acceptabilité sociale - concernant par exemple la réallocation de la main-d'oeuvre entre activités ou les changements de la répartition interne des revenus induits par la libéralisation des échanges - est source des enjeux majeurs de l'intégration. Celle-ci pourrait être définie comme la détermination de règles publiques et sociales communes qui organisent une redistribution acceptable des avantages globaux issus de la libéralisation des échanges. L'économie de l'intégration, c'est l'évaluation des coûts et avantages du libre-échange plus une économie publique des transferts intra- et internationaux de revenus.
2- Comment gérer l'hétérogénéité accrue de l'Union Européenne élargie ?
2-1-Retard et spécificités des candidats est-européens
Lorsqu'on cherche, pour appréhender plus précisément les questions précédemment énoncées, à apprécier quantitativement l'écart de développement des PECO par rapport aux pays de l'Union européenne, l'exercice est techniquement délicat. La mesure comparative des PIB des PECO est difficile car elle souffre des carences des systèmes statistiques de ces pays, qui ne seront comblées que progressivement, et de la difficulté à convertir convenablement ces PIB dans les unités de compte couramment retenues pour les comparaisons internationales. Elle a évidemment une importance politique. On sait qu'au sein de l'Union européenne le niveau de PIB de chaque pays compte pour la détermination de ses droits et devoirs et que l'équité a nécessité un effort d'harmonisation des calculs entre comptables nationaux de l'Union... Les PIB nationaux utilisés dans la suite de ce texte sont évalués en dollars internationaux de 1990, après conversion selon les taux de parité des pouvoirs d'achat proposés par la dernière mouture (PCI VI) du « projet de comparaison internationale » des prix géré par un ensemble d'organisations internationales (ONU, EUKOSTAT, OCDE) 12 ( * ) Le tableau 2 montre que les niveaux comparatifs des PIB est-européens issus de ce travail correspondent à un juste milieu raisonnable », si on les rapporte aux comparaisons effectuées en utilisant les taux de change courants (même lissés) ou à celles qui utilisent des indicateurs physiques pour évaluer ces niveaux : les premières sous-estiment probablement les PIB des pays est-européens, en raison de la sous-évaluation dominante de leurs monnaies ; les secondes témoignent du biais inverse, car elles ne tiennent pas assez compte des différences de qualité d'une même quantité physique entre pays est-européens et occidentaux. Ce qu'il faut retenir de ce tableau, c'est que les PIB par tête des PECO, comparés à celui des Etats-Unis, s'étagent, au début des années quatre-vingt-dix, dans une fourchette allant d'un peu plus de 10 % (pour la Roumanie) à un peu plus de 30 % (pour la Tchécoslovaquie encore unifiée). Avant l'entrée dans la dépression, la fourchette correspondait plutôt à l'intervalle de 15 à 40 %.
Tableau 2 : PIB par tête des PECO comparé à celui des Etats-Unis (en %)
Légende : Ce tableau présente différentes estimations des PIB par tête des PECO les moins et les plus développés, en % de celui des États-unis. Ces estimations se réfèrent aussi à des années différentes. La première, basée sur la méthode des indicateurs physiques qui relie de tels indicateurs aux agrégats de comptabilité nationale, est issue d'une publication de la Banque Mondiale, Historially Planned Economies, A Cuide to the Data, World Bank, sous la direction de Paul Marer 1992. Les autres estimations sont issues du dernier Rapport sur le développement dans le monde (1995) de la Banque mondiale. Dans le cas des estimations selon la parité des pouvoirs d'achat, les deux années 1987 et 1993 sont présentées, afin de montrer 1'évolution récente selon une même mesure.
L'écart de développement des PECO par rapport à différents pays de l'Union européenne peut être apprécié plus complètement par le graphique 1. Ce graphique positionne chaque pays en fonction de son taux d'emploi (en abscisse), défini comme le rapport de l'emploi à la population totale (en %), et de son niveau de productivité (en ordonnée), défini comme le rapport du PIB à l'emploi (en dollars internationaux constants de 1990). Comme le produit de ces deux grandeurs n'est autre que le PIB par habitant, il est possible de faire apparaître sur ce graphique des courbes « d'iso-PIB par tête » : tous les pays qui sont sur la même courbe ont le même PIB par habitant 13 ( * ) . Le PIB par tête est d'autant plus élevé que le taux d'emploi et la productivité le sont simultanément - condition dont la réalisation ne va évidemment pas de soi - mais on peut obtenir un même PIB par tête en privilégiant soit l'emploi, soit la productivité (comparer le Portugal et l'Irlande, par exemple). Le graphique fait apparaître les trois courbes correspondant respectivement au niveau de PIB par habitant des Etats-Unis en 1992 (pris par convention égal à 100), à 50 % et, enfin, à 10 % de ce niveau. Tous les pays est-européens présents sur le graphique apparaissent situés dans la fourchette allant de 10 % à 50 % du niveau de PIB par tête américain, alors que les « pays de la cohésion sociale » se situent à proximité du niveau de 50 %. Pour les pays de l'Union européenne et les Etats-Unis, figure leur position de 1992. Pour les PECO, apparaissent trois années : l'année, variable selon les pays, correspondant à leur niveau maximal de PIB par tête avant l'entrée dans la transition, l'année 1992, qu'on peut assimiler en première approximation au creux de la dépression associée à la transition, et l'année 1995, grossièrement estimée 14 ( * ) .
Graphique 1
PRODUCTIVITÉ ET TAUX D'EMPLOI DANS LES PECO
PIb par emploi (Dollars 1990)
Les PECO se caractérisaient jusqu'à la fin des années quatre-vingt par des taux d'emploi élevés de leur population 15 ( * ) . Ces taux se replient fortement durant la transition et se rapprochent des taux enregistrés dans l'Europe du Sud (Portugal mis à part). Aussi, même si le redressement des performances de productivité s'est engagé entre 1992 et 1995 (et parfois à vitesse élevée, comme en Pologne, notamment dans l'industrie), les PECO ont à peine entamé le rattrapage de leur PIB par tête 16 ( * ) . Tout se passe comme si les PECO prenaient, à des degrés divers certes, une trajectoire dont les différentes étapes sont successivement balisées par les situations de la Turquie, du trio constitué de la Grèce, de l'Irlande et de l'Espagne ensuite, des pays les plus développés de l'Union enfin : il faudrait consentir d'abord des taux d'emploi faibles afin d'amorcer le rattrapage de la productivité et avant de bénéficier de ce rattrapage, lorsqu'il devient suffisant, sous forme de créations d'emplois financées par les gains de productivité des secteurs modernes. Le cas du Portugal, qui constitue un contre-exemple du caractère obligé de cette trajectoire, devrait cependant attirer l'attention. Il est vrai que l'équilibrage du marché du travail portugais a bénéficié de la variable d'ajustement constituée par l'émigration. Il reste que ce graphique illustre avec force l'hétérogénéité qu'introduirait dans l'Union européenne l'adhésion groupée de plusieurs pays est-européens.
2-2-Les voies de l'intégration : les marchés et les politiques
La question de l'intégration des PECO à l'Union européenne réveille, d'une certaine manière, le débat entre big-bang et gradualisme qui était apparu au démarrage des transitions est-européennes. Même lorsque le big-bang macroéconomique - c'est-à-dire une masse critique de mesures de stabilisation et de libéralisation - a bien été mis en oeuvre, les forces de rappel de la réalité ont souvent imposé, via l'action des contraintes internes et externes, un gradualisme de facto, parfois plus subi que volontaire. Le pilotage de la transition a dû prendre en compte l'état de la conjoncture internationale et son impact sur les conditions d'accès aux financements internationaux, ainsi que les inerties des comportements internes et les persistances de mécanismes issus de l'économie de pénurie antérieure. Le contexte international difficile de la première moitié des années quatre-vingt-dix a eu un impact contradictoire sur les transformations associées à la transition : il les a spontanément accélérées en durcissant la confrontation entre les structures socialistes vieillies et les normes de productivité et de qualité des marchés occidentaux ; il a incité les gouvernements, au travers de stop and go perturbants, à proportionner le rythme des transformations aux contraintes externes et au degré d'inertie de l'offre.
La leçon devrait être retenue pour la détermination des modalités de l'élargissement. Il serait dommageable que l'intégration des politiques économiques et structurelles se contente de « suivre » celle des marchés, quitte à en rattraper en urgence les dérapages ; il serait souhaitable qu'elle l'anticipe de manière à élargir l'horizon des engagements et des choix d'activité. Un scénario du type « zone élargie de libre-échange », accompagné d'une intégration assimilée pour l'essentiel à l'admission au sein du marché unique, ne semble pas le plus adéquat pour répondre à cette préoccupation. La réussite d'une Union politique et monétaire fortement intégrée au sein de l'Europe des Quinze constituerait un cadre plus incitatif pour l'accueil des nouveaux membres est-européens. Il paraît plus adapté pour consolider l'environnement des réformes structurelles, favoriser leur poursuite et inciter à une « sous-coopération » régionale est-européenne. Même si l'admission peut être collective et concerner un groupe de pays, les précédentes expériences d'intégration montrent que la soumission à la discipline du marché unique et de la convergence macroéconomique est avant tout un exercice solitaire qui met à l'épreuve la capacité d'adaptation nationale. Depuis 1990, les pays est-européens ont appris l'individualisme économique, et c'était sans doute une phase nécessaire. On peut penser néanmoins que leur intégration dans l'Union européenne est l'occasion de développer des logiques plus coopératives - y compris entre eux-mêmes.
Au fur et à mesure que l'Union européenne s'étend, elle associe des pays pour lesquels les gains respectivement tirés du développement des échanges inter- et intra-industriels sont différemment pondérés. Alors que la dynamique du noyau fondateur de la Communauté s'était largement appuyée sur la création d'échanges intra-industriels en son sein, les élargissements successifs accentuent les incitations au développement des échanges intersectoriels et aux choix de spécialisation conséquents. Avec l'extension de l'Union aux pays moins développés du Sud puis de l'Est de l'Europe, dans un contexte de croissance affaiblie qui plus est, le recentrage sur la croissance des échanges inter-industriels soulève avec force le problème des adaptations sectorielles, de part et d'autre. La montée en charge des fonds structurels en porte la marque tandis que les stratégies de délocalisation sont le moyen pour les entreprises d'affirmer ou d'acquérir une dimension transnationale leur permettant d'internaliser la redistribution géographique des activités. La formation d'entreprises multinationales à vocation européenne permettrait d'activer la mobilité des facteurs de production et esquisserait, notamment au travers des transferts de technologie, la formation d'un véritable système productif européen.
Cette problématique amène à imaginer pour les pays est-européens deux étapes de leur intégration économique dans l'Union européenne :
-une étape « inter-industrielle », au cours de laquelle ils identifient et améliorent rapidement, à partir de leurs dotations productives effectives ou mobilisables, une spécialisation leur permettant de trouver leur place dans les échanges internationaux et européens.
-une étape « intra-industrielle », qui suppose l'accès à un niveau technologique voisin de celui des pays occidentaux et bénéficie des investissements directs et implantations réalisés par les firmes de l'Ouest. Lorsque ces investissements atteignent une masse critique et s'avèrent complémentaires d'une capacité nationale, d'accumulation régénérée, l'apparition d'externalités positives et d'effets d'entraînement favorise la reconstitution d'identités économiques originales au sein des pays est-européens 17 ( * ) .
Il serait excessif de concevoir cette distinction logique comme une stricte succession chronologique obligée. Certains pays, notamment ceux du groupe de Visegrad, manifestent d'ores et déjà une aptitude à la diversification industrielle et à l'insertion progressive dans une concurrence intra-industrielle de haut niveau technologique. D'autres pays en restent à l'étape d'une identification de leurs avantages comparatifs effectifs et instantanés. Ils s'efforcent de réduire la distorsion entre ces avantages et la structure de leur commerce héritée du Comecon, en s'engageant dans les reconversions nécessaires. Ce faisant, ils éprouvent les contraintes de la concurrence avec des zones géographiques aux atouts comparables (les Balkans face à l'Afrique du Nord, par exemple) et se heurtent aux restrictions sectorielles encore imposées par l'Union européenne. Cette césure au sein de l'espace est-européen est évidemment importante pour les perspectives d'intégration à l'Union européenne 18 ( * ) . Elle justifie des politiques de change adaptées à la situation de chaque groupe, évitant une uniformité excessive des gestions de l'ancrage monétaire sur le DM, puis la monnaie unique 19 ( * ) . Par ailleurs, si l'intégration libère, pour le premier groupe de pays (ceux de Visegrad), une vague d'investissements directs d'origine communautaire qui amplifie un mouvement déjà actif, cet apport et les effets d'entraînement associés peuvent alléger l'appel aux fonds structurels européens par ces pays ; il n'en est pas de même pour le second groupe, pour lequel l'attraction des investisseurs étrangers passe sans doute par un effort bien plus intense d'amélioration des infrastructures alors que la capacité financière de ces pays est limitée. Le degré acceptable de pression sur les fonds structurels fournirait ainsi un critère simple pour étaler les adhésions dans le temps. Mais ce n'est évidemment pas une réponse satisfaisante aux besoins des pays concernés. C'est leur dire clairement que leur adhésion n'est envisageable que dans mesure où elle est supportable par les finances communautaires.
2-3-Un exercice d'évaluation de la sollicitation potentielle des fonds structurels
Le degré de sollicitation des fonds structurels par l'intégration des pays est-européens peut être illustré par l'exercice suivant. Il s'agit clairement d'un exercice illustratif, qui vise à éclairer les problèmes (un peu à la manière dont, en mathématiques, on déroule une démonstration par l'absurde), non pas d'un scénario proposant une évolution vraisemblable. Les fonds structurels aujourd'hui versés aux quatre « pays de la cohésion sociale » (Espagne, Grèce, Irlande, Portugal) répondent à un ensemble de finalités et de critères. Le niveau de développement de ces pays, apprécié par leur PIB par tête, constitue un résumé, sinon exhaustif, du moins pertinent de ces critères. La décomposition du PIB par tête en ses deux composantes que sont le taux d emploi et la productivité (à l'image du graphique 1) permet d'affiner ce résumé : la productivité est un indicateur du degré de modernisation économique ; le taux d'emploi est un indicateur de l'adéquation entre cette modernisation et les besoins d'emploi de la population. On peut donc penser qu'une relation simple est à même de rendre compte grossièrement des fonds structurels reçus par chaque pays de la cohésion 20 ( * ) . Dans cette relation, la productivité et le taux d'emploi du pays bénéficiaire sont pris en écart à la moyenne pondérée du couple franco-allemand, pris comme référence communautaire :
Fonds structurels reçus par tête =
a x (PIB par tête franco-allemand - PIB par tête du pays)
+ b x (Taux d'emploi franco-allemand - taux d'emploi du pays)
Deux estimations des coefficients a et b ont été pratiquées. La première prend en compte uniquement les cas espagnol et grec, c'est-à-dire les montants de fonds structurels programmés pour ces deux pays sur la période 1994-99 (soit respectivement 139 et 250 Écus de 1992, par habitant et par an 21 ( * ) ). En effet, l'Irlande et le Portugal paraissent plus spécifiques : l'Irlande reçoit un montant très élevé de fonds structurels (272 Écus de 1992 par habitant et par an), alors que son PIB par tête est, avec l'Espagne, le plus élevé parmi les pays de la cohésion ; le Portugal, qui doit recevoir 233 Écus par tête, se caractérise par un taux d'emploi bien plus élevé que celui de ses trois partenaires. Le chiffrage de la relation présentée ci-dessus, à la fois pour l'Espagne et l'Irlande, permet une détermination directe et immédiate des coefficients a et b : une productivité par travailleur inférieure de 1000 dollars de 1990 à la performance franco-allemande « rapporte » environ 14 Écus, par habitant et par an sur la période 1994-99 ; un taux d'emploi de la population inférieur de un point (1 % de la population) au taux franco-allemand « rapporte » à peu près 6 Écus.
La seconde estimation prend en compte les quatre pays de la cohésion et elle doit, cette fois-ci, s'effectuer par voie économétrique. Même si l'estimation de la relation est d'une qualité grossière, celle des deux coefficients est très significative et ce résultat suffit au propos tenu ici. Le coefficient a prend une valeur proche de la première estimation (13 Écus) mais le coefficient b prend une valeur plus élevée (près de 11 Écus). La prise en compte de l'Irlande et du Portugal pondère davantage le critère taux d'emploi, car l'Irlande, qui reçoit relativement beaucoup de fonds structurels, a un taux d'emploi nettement plus faible que le Portugal qui en reçoit relativement peu.
Une fois estimés, ces coefficients peuvent être appliqués aux PECO pour évaluer les fonds structurels qu'ils recevraient, s'ils adhéraient aujourd'hui (en 1995) et s'ils étaient soumis à des critères similaires à ceux des pays de la cohésion. Les tableaux 3 et 4 indiquent les résultats de l'exercice, respectivement en montants par tête et en montants globaux, selon les deux hypothèses afférentes aux coefficients. Pour des raisons de disponibilité des informations statistiques, les Républiques tchèque et slovaque ont encore été traitées de manière agrégée.
Tableau 3 : Coûts de l'accès des PECO
aux fonds structurels
(montant par tête en Écus de 1992, pour
l'année 1995)
Tableau 4 : Coûts de l'accès des PECO
aux fonds structurels
(Montant en milliards d'Écus de 1992, pour
l'année 1995)
Les différences entre les deux estimations ne sont finalement que limitées compte tenu des ordres de grandeur en jeu. Les versements par tête s'étagent entre 370 Écus (Tchécoslovaquie, hypothèse 2) et 529 Écus (Roumanie, hypothèse 1), c'est-à-dire, dans tous les cas, selon des montants bien supérieurs à ceux qui concernent aujourd'hui « les pays de la cohésion ». Ce résultat ne fait qu'illustrer le niveau de développement inférieur des PECO. Les montants globaux s'élèvent à 27,5 milliards d'Écus si l'on s'en tient aux pays du groupe de Visegrad, à près de 44 milliards d'Écus si on ajoute la Bulgarie et la Roumanie. La Pologne, peuplée, et la Roumanie, peuplée et pauvre, sont les consommateurs virtuels les plus importants de fonds structurels.
Comment apprécier ces ordres de grandeur ? D'un côté, ils apparaissent excessifs :
- Ils accroîtraient considérablement les engagements communautaires au titre des fonds structurels, puisque les engagements programmés au titre du paquet Delors II, à destination de toutes les régions concernées de l'Union européenne, s'élèvent à environ 25 Milliards d'Écus par an 22 ( * ) . Ce serait plus qu'un doublement dans le cas de l'intégration du seul groupe de Visegrad. Ces sommes peuvent aussi apparaître excessives par rapport aux actuels engagements internationaux de l'Union. La programmation déjà décidée des actions extérieures de l'Union s'efforce d'observer sur la période 1995-99 une certaine parité entre les crédits affectés à la coopération avec les PECO (7 milliards d'Écus sur l'ensemble de la période) et ceux consacrés à l'action méditerranéenne (5,5 milliards d'Écus).
- Ces sommes dépassent sans doute la capacité d'absorption immédiate de certains PECO, si on les compare à leur PNB, après conversion selon les taux de change courants (simplement lissés sur les années récentes). Une telle conversion apparaît justifiée si on cherche à apprécier les difficultés de l'absorption qui peuvent se manifester par une déstabilisation du taux de change, à l'image du cas mexicain. Pour prendre une mesure rapide de ce risque, on peut rapprocher les fonds structurels virtuellement destinés au pays bénéficiaire de l'ensemble des flux nets de ressources effectivement reçus par ce pays en 1993 23 ( * ) (endettement net à long terme, dons publics, investissements directs et de portefeuille, avant tout paiement d'intérêts et rapatriement de bénéfices). En proportion du PNB, on trouve ainsi en Hongrie 15,8 % pour les flux nets de ressources en 1993 contre environ 15 % pour les fonds structurels « virtuels » ; en Tchécoslovaquie, 5,9 % contre 18 % ; en Pologne, 2,1 % contre 25 % ; en Bulgarie 0,5 % contre près de 50 % ; en Roumanie, 4,1 % contre plus de 50 %. Le déséquilibre est évident et violent. Il se manifeste aussi lorsqu'on se réfère au rapport entre les fonds structurels reçus chaque année sur la période 1994-99 par les « pays de la cohésion » et leur PNB : 1,3 % pour l'Espagne ; 4,2 % pour la Grèce ; 2,6 % pour l'Irlande ; 3,2 % pour le Portugal. Sur la période 1989 à 1992, un pays comme l'Espagne qui a bénéficié de forts apports de capitaux, a enregistré un excédent de sa balance des capitaux à long terme allant, selon les années, de 4 à 6 % du PIB.
D'un autre côté, les ordres de grandeur obtenus restent bien inférieurs à ceux produits par différents scénarios normatifs évaluant les besoins de financement externes des PECO dans une optique de rattrapage, puisque la confrontation de plusieurs études de ce type aboutit à une fourchette allant de 80 à 300 milliards d'Écus par an 24 ( * ) . Ils sont aussi inférieurs aux transferts publics qu'a dû pratiquer l'Allemagne en direction de ses Länder de l'Est. Ces transferts ont, de 1991 à 1993, largement dépassé le seuil de 50 % du PIB est-allemand. Évidemment, cette remarque soulève d'elle-même sa propre objection : de tels transferts ne sont guère envisageables sans un arrimage monétaire rigoureux, voire irréversible, car, en son absence, ils provoqueraient des perturbations insoutenables des taux de change. Même dans le cas d'un tel arrimage, les conséquences externes de ces transferts, sur l'ensemble de l'Union européenne, restent difficiles à gérer, comme on l'a vu dans le cas de l'unification allemande, dont l'absorption n'a guère fait l'objet, il est vrai, d'une gestion européenne concertée. Engager de tels transferts à destination de l'Europe de l'Est signifierait en quelque sorte rééditer un choc de nature semblable et poserait de nouveau la question de sa gestion coordonnée par les membres de l'Union.
Un raisonnement tentant pourrait alors être le suivant : différons l'entrée de chaque PECO dans l'Union européenne jusqu'à ce que ses « droits » aux fonds structurels, sur la base de l'exercice précédent, ne dépassent pas le montant moyen programmé pour les quatre « pays de la cohésion » sur la période 1994-99 (soit 212 Écus par tête). Supposons que chaque PECO, dans les années à venir, stabilise son taux d'emploi au niveau atteint en 1995 (cf. graphique 1) et développe sa productivité, et donc aussi son PIB par tête, au rythme de 5 % par an, ordre de grandeur fréquemment rencontré dans les scénarios de rattrapage. Son appel virtuel aux fonds structurels diminuerait en conséquence progressivement et, lorsqu'il atteindrait le seuil indiqué, l'adhésion serait possible (à supposer que le coût de cette adhésion en fonds structurels en soit le critère unique). Il faudrait alors, à partir de 1995, entre dix ans, pour le premier entrant que serait l'ex-Tchécoslovaquie, et trente ans, pour la Roumanie, afin que l'ensemble des PECO adhèrent à l'Union européenne. Cet exercice d'école révèle l'éloignement de l'échéance que susciterait une stricte approche comptable de l'adhésion : cette échéance ne serait guère tangible que pour les premiers entrants. L'exercice ne dit rien non plus sur la manière dont les PECO seraient à même de financer leur rattrapage rapide avant l'adhésion.
Comment dénouer celte contradiction entre l'ampleur des fonds que mobiliserait une adhésion des PECO « à droit égal » et la nécessité de leur proposer un horizon tangible pour cette adhésion ? Les exercices précédents, qui n'ont d'autre valeur, répétons-le, que d'indiquer des problèmes, pèchent par silence sur des paramètres essentiels : ils ne s'interrogent pas sur la dynamique propre des apports de capitaux privés et sur leur complémentarité avec le redressement de la capacité d'épargne interne des PECO ; ce faisant, ils substituent implicitement des apports publics à des investissements privés encore trop timorés ; ils ne disent rien sur l'élasticité de l'offre et de la croissance des PECO aux fonds reçus. Les scénarios macroéconomiques construits à l'aide du modèle MIMOSA dépassent ces limites et endogénéisent pour partie ces facteurs dynamiques. Ils montrent que la contradiction énoncée peut être dénouée et que l'intégration des PECO à horizon tangible peut être compatible avec un montant de fonds structurels à la fois raisonnable et suffisant pour favoriser leur rattrapage. Mais la vraisemblance de ces scénarios suppose acquis, à l'Est comme à l'Ouest, les comportements économiques et les dispositifs institutionnels permettant d'engager une telle dynamique. Or, à bien des égards, c'est le déblocage des conditions initiales qui est à la fois difficile et décisif.
2-4- Scénarios d'approfondissement et d'élargissement de l'Union européenne
Le diagnostic porté sur l'état et la dynamique des diverses économies est-européennes conduit ainsi à envisager deux options de base pour la vitesse et l'ordre de l'intégration :
- Si on insiste, au vu de l'analyse précédente, sur l'hétérogénéité grandissante entre anciens partenaires du Comecon, un processus d'adhésion différenciée, distinguant au moins deux groupes de pays (le groupe de Visegrad et les autres), tend à s'imposer. On admet d'abord les pays qui paraissent pouvoir s'adapter à la concurrence du marché unique, et même en tirer profit, sans exercer une pression jugée excessive sur les fonds communautaires et perturber gravement leur affectation actuelle.
- Dans une seconde optique, les hétérogénéités n'apparaissent pas obligatoirement comme un handicap empêchant un élargissement d'emblée vaste. Associer simultanément un grand nombre de pays minimise les risques d'une diversion des échanges au détriment des pays tiers non admis et du bien-être collectif. Ce peut être d'autant plus bénéfique que les pays qui s'associent partent d'une situation initiale où leur commerce réciproque est très en-deçà de son niveau et de sa structure optimaux. C'est partiellement le cas entre l'Ouest et l'Est de l'Europe (la France est nettement en-deçà de son potentiel d'échanges avec les pays est-européens, à la différence de l'Allemagne), mais aussi, après l'effondrement du Comecon, entre les pays de l'Est eux-mêmes, qui n'entretiennent plus qu'un commerce résiduel encore marqué par les distorsions héritées du passé. Intégrer rapidement le maximum de pays de l'Est serait alors le plus sûr moyen pour normaliser et redynamiser leurs échanges réciproques.
On peut enfin penser à une voie médiane, qui juxtapose l'intégration rapide de certains pays avec la constitution d'une communauté est-européenne spécifique mais pouvant bénéficier d'une association politique et d'accords préférentiels avec l'Union européenne. La logique géographique (et sans doute les enseignements des modèles de gravitation) donne un fondement objectif à une telle voie. C'est l'actuel schéma latino-américain, où cohabitent l'Alena et le Mercosur, ce dernier s'étant largement inspiré de l'exemple européen pour définir ses objectifs de marché commun, d'union douanière et de coordination des politiques économiques. Un tel découpage est en filigrane à l'Est de l'Europe, si on examine les logiques qui animent (ou pourraient le faire) le groupe de Visegrad d'un côté, la zone de coopération économique des pays riverains de la mer Noire de l'autre 25 ( * ) . La contribution de la Turquie, économie déséquilibrée mais potentiellement dynamique, est sans doute majeure pour que ce second ensemble prenne de la consistance, affirme sa viabilité et aide certains pays à sortir d'un enfermement est-européen qui leur pèse. La Grèce, qui est largement à la traîne dans la construction communautaire et qui souffre de son excentration géographique, pourrait aussi en tirer profit. Nul besoin d'insister sur l'ampleur des conditions à réaliser, notamment politiques, pour qu'une telle voie apparaisse crédible. La solution des tensions balkaniques est évidemment une condition de la libération des perspectives sur ce plan-là. En l'absence des conditions politiques adéquates, un projet de sous-zone d'intégration régionale balkanique et est-européenne ressemblerait plus au pacte andin, communauté aléatoire, qu'au Mercosur, dont la réussite n'est au demeurant pas garantie, compte tenu des fortes dissymétries et divergences d'intérêt entre le Brésil et l'Argentine. L'histoire de l'intégration en Amérique latine est celle d'une lente et douloureuse émancipation à l'égard de l'échec de l'aspiration bolivarienne à l'unité, après les indépendances, et elle est riche, depuis trente ans, de tentatives avortées. Les pays est-européens sortent, eux, à peine de l'empire et oscillent entre les plaisirs d'une indépendance retrouvée et les difficultés de son exercice solitaire.
Ces trois options recoupent en partie les scénarios proposés pour le sort commun de l'Union européenne et de l'intégration des voisins est-européens. La première option d'adhésion différenciée par groupes, voire au coup par coup, en fonction de la capacité d'accès à un niveau de développement suffisant, notamment sur le plan technologique, et des exigences de réalisme budgétaire et monétaire, peut s'insérer dans la continuité du processus lancé par le traité de Maastricht. Mais elle peut aussi participer à un processus d'intégration structurelle, à l'architecture complexe et politiquement exigeante. La seconde option, qui mise sur le potentiel de création et d'expansion des échanges paneuropéens, correspond naturellement au scénario de la zone de libre-échange élargie. L'option médiane peut être l'une des formes prises par le scénario d'intégration structurelle, si elle ne vise pas à faire d'une sous-zone d'intégration régionale un ghetto périphérique du noyau dur, qui écarterait définitivement ses membres de l'Union européenne, mais une voie d'association collective à l'Union européenne.
Le croisement des scénarios d'évolution de l'Union européenne, esquissés au début de ce texte, et des options d'intégration des pays est-européens permet d'envisager une première typologie des scénarios d'élargissement de l'Union à ces pays.
S'il résulte formellement de ce croisement neuf scénarios élémentaires, ils ne sont clairement pas équiprobables... Les scénarios signalés d'une croix sont ceux qui paraissent dotés d'une vraisemblance minimale. C'est évidemment une appréciation ouverte.
Tableau 5 : Esquisse de scénarios d'intégration des PECO dans l'Union européenne
Les options d'intégration restent à évaluer plus précisément, en fonction des opportunités qu'elles offrent à la réalisation des objectifs nationaux des pays est-européens, maintenant que leurs préférences peuvent s'affirmer plus librement, ainsi que sous l'angle de la compatibilité avec les finalités de l'Union européenne. On peut proposer trois critères d'évaluation :
-L'équité, statique et dynamique, du partage des avantages nets de l'intégration, entre pays accueillants et accueillis.
- Les contraintes et degrés de liberté résultant de l'intégration pour la politique économique des pays est-européens, sachant que ces politiques, depuis le début de la transition, ont souffert de l'instabilité de leur environnement.
- L'apport de l'intégration à la régénération d'une capacité d'accumulation et de croissance endogène dans les pays est-européens.
Sans entrer dans une évaluation rigoureuse et prospective pour juger, à l'aide de ces critères, de l'opportunité de l'adhésion de chaque pays est-européen, il est utile de reconsidérer sous cet angle les expériences antérieures d'intégration de nouveaux membres dans l'Union européenne. Elles peuvent avertir sur les épreuves qui attendent les candidats est-européens et sur les bénéfices qu'ils sont en droit d'escompter de leur adhésion, à différents horizons. On s'attachera ici au cas de l'Espagne, pour en tirer quelques réflexions plus générales.
3- Rattrapage, convergence et intégration : expériences
3-1-Rattrapage et convergence espagnols : des phases distinctes
L'émancipation espagnole à l'égard du corset franquiste, puis l'intégration de l'Espagne dans les différents cercles de la Communauté européenne obéissent à un processus de longue haleine, aux étapes bien dessinées. L'Espagne accède à la Communauté en 1986, c'est-à-dire un quart de siècle après les réformes de 1959 qui rompaient non pas avec le franquisme mais avec sa période autarcique, et dix ans après l'entrée de l'Espagne dans le post-franquisme. Cette entrée dans la Communauté signe définitivement la « normalisation » européenne de l'Espagne. La peseta entre dans le SME en 1989 et l'Espagne participe naturellement au marché unique instauré en 1993. Pourtant ce processus, d'apparence cartésienne en dépit de ses soubresauts politiques, n'a rien d'un long fleuve tranquille.
L'Espagne franquiste a connu deux périodes économiques assez distinctes. Jusqu'en 1959, elle combine une économie de pénurie et de substitution aux importations, à tendance autarcique, avec un État certes interventionniste, qui réglemente à l'excès la vie économique, mais bien éloigné de l'État-providence qui s'érige alors dans les démocraties occidentales. L'Espagne est exclue des bénéfices du plan Marshall et souffre d'un accès limité à la diffusion internationale des technologies. La surévaluation de sa monnaie induit paradoxalement, au travers des protections compensant cette surévaluation, un prix élevé des biens d'équipement importés et un coût du capital excessif, qui handicapent la modernisation productive. Le penchant autarcique inhibe, plutôt qu'il ne la favorise, la formation d'une capacité endogène d'accumulation et n'évite pas le resserrement progressif de la contrainte extérieure. L'ouverture à l'exportation s'affaiblit et la capacité d'importation est rationnée.
Les réformes de 1959 permettront à l'Espagne de reprendre graduellement contact avec l'économie de marché ouverte. Elles promeuvent une libéralisation progressive et prudente du commerce extérieur, ainsi qu'une rationalisation de la gestion budgétaire et fiscale, durablement prolongée par une politique très orthodoxe. La convertibilité externe de la peseta est instaurée en 1961. A partir de 1964 des plans de développement s'efforcent d'orienter la croissance 26 ( * ) . La période 1960-75 sera celle d'une modernisation autoritaire, qui impulse le rattrapage de la productivité et du revenu par tête et mise sur l'amélioration de la capacité d'exportation. Mais cette modernisation ne permet guère l'intégration de la force de travail espagnole. Il n'est toujours pas facile de licencier, car le marché du travail reste très encadré, mais l'embauche n'est pas non plus au rendez-vous. Sur cette période le facteur travail ne contribue guère à la croissance espagnole. Certes, les effets n'en sont guère visibles en termes de chômage. La population active déclarée paraît complètement endogène au marché du travail : sont actifs ceux qui travaillent effectivement. L'agriculture, à la productivité toujours faible, et l'émigration servent encore d'amortisseurs aux déséquilibres potentiels sur le marché du travail. L'économie espagnole est une économie mixte, qui mêle ouverture au marché international et encadrement corporatiste des marchés du travail et des produits.
Le manque de flexibilité de ces marchés va coûter cher à l'Espagne sur la première décennie post-franquiste (1975-1985). La croissance internationale affaiblie et troublée de cette époque se combine aux incertitudes de la transition économique et politique espagnole pour faire ressortir le manque d'aptitude de l'économie ibérique à un redéploiement efficace de son insertion internationale, ainsi que son déficit de régulation macroéconomique. Sa structure productive, notamment à l'exportation, reste primaire et vulnérable. Retombée de l'effort d'accumulation, destruction d'emplois et inflation sont le lot de la période. Pourtant, le rattrapage de productivité se poursuit mais il participe à l'affirmation du caractère dualiste de l'économie espagnole. La modernisation est sélective et induit, sur le marché du travail, une partition plus dure entre insiders dotés d'un emploi et outsiders exclus. Une économie de rattrapage, où le secteur moderne reste minoritaire mais entraîne l'évolution salariale, est plus vulnérable que d'autres à un tel dualisme. La conséquence en est, sur cette période, une contradiction nouvelle entre le rattrapage de la productivité, qui se poursuit, et le rattrapage du PIB par habitant, qui recule, alors que les rattrapages des deux variables par rapport à la moyenne européenne étaient parallèles sur la période antérieure. Le secteur en cours de modernisation est trop minoritaire pour pouvoir absorber l'afflux de population active et les autres secteurs trop peu productifs pour pouvoir le faire tout en respectant la norme salariale que diffuse le premier. Le caractère massif du chômage se révèle ouvertement et l'évaluation du taux de chômage non inflationniste (NAIRU) bondit, selon certaines estimations, de moins de 5 % à près de 20 % entre la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt. Plus qu'une hausse inopinée du taux de chômage naturel, on peut y voir la révélation d'un chômage de masse jusque-là déguisé au sein d'une société en transition, où les comportements de recherche d'emploi se normalisent. Il reste que la faible élasticité des salaires au chômage, sur un marché du travail resté très réglementé, ainsi que l'insuffisante mobilité interrégionale participent à la persistance du dualisme entre insiders et outsiders . La contrepartie de cette évolution est l'érection tardive d'un État-providence, qui socialise la protection sociale. Mais ce caractère tardif met l'Espagne en porte-à-faux, puisque les conditions de la croissance et les retournements idéologiques en cours à l'échelle internationale sont beaucoup moins favorables à la progression des prélèvements obligatoires que durant les premières décennies de l'après-guerre. De ce point de vue, l'accès aux fonds structurels européens sera un appoint plus qu'utile, compte tenu des limites de l'État-providence national dans le cas espagnol. Il peut être vu comme l'esquisse de règles de solidarité européenne pour des pays dont le retard les a empêchés de construire leur État-providence dans le cadre national et qui doivent aujourd'hui concilier poursuite du rattrapage, maintien de la cohésion sociale et pleine ouverture à la concurrence internationale.
La période postérieure à 1986, c'est-à-dire à l'entrée de l'Espagne dans la Communauté, a procuré dans un premier temps, c'est-à-dire jusqu'à ce que la surévaluation de la peseta au sein du SME apparaisse intenable, des marges de manoeuvre élargies pour la croissance et la politique économique espagnoles. A la différence des vingt années précédentes, la phase d'expansion de la seconde partie des années quatre-vingt a été largement de nature extensive, privilégiant le rattrapage du taux d'emploi de la population et du PIB par tête sur celui de la productivité et du salaire moyen. L'accès aux débouchés offerts par le marché unique impulsait ce retour à une croissance extensive.
Les difficultés de la régulation macroéconomique, différées tant que l'expansion était au rendez-vous et que la peseta se voyait créditée d'une confiance excessive, sont néanmoins assez vite apparues au tournant des années quatre-vingt-dix. Elles ne sont pas sans analogie avec des évolutions survenues en d'autres régions (voir le cas du Mexique dans l'Alena). L'intégration accélère l'ouverture de l'économie espagnole, mais plus rapidement à l'importation qu'à l'exportation. Jusqu'à l'unification allemande, les entrées spontanées de capitaux sont suffisamment amples pour financer des investissements incomplètement couverts par l'épargne interne et pour combler le déficit externe. Elles suscitent cependant, comme ailleurs, un problème d'adaptation du policy-mix (la configuration des politiques budgétaire et monétaire). La volonté de maîtriser l'évolution de l'offre de liquidités et le caractère expansionniste de la politique budgétaire incitent au caractère restrictif de la politique monétaire (et aussi de la politique des revenus). Mais le niveau des taux d'intérêt qui découle d'une telle orientation encourage plutôt de nouvelles arrivées de capitaux et renforce l'évolution du change réel vers la surévaluation. Le secteur exposé à la concurrence internationale encaisse la contrainte de change par un effort de maîtrise de ses coûts et de ses prix, mais les prix relatifs du secteur abrité s'élèvent considérablement. Le rendement, en termes de résorption du chômage, de cette orientation de déflation compétitive reste limité, compte tenu de l'inflation engendrée par le secteur abrité et des rigidités qui affectent la fixation des salaires. L'Espagne épuise, comparativement à l'Europe, son avantage compétitif en termes de coûts unitaires salariaux. Certes le niveau des coûts salariaux espagnols apparaît encore, à la veille des crises monétaires de 1992-93, plus bas que la moyenne européenne. Et de plus, ces coûts relatifs sont plus faibles lorsque conversion se fait au taux de change courant que lorsqu'elle s'effectue selon la parité des pouvoirs d'achat : la peseta reste globalement sous-évaluée, compte tenu du bas niveau initial des prix (notamment dans le secteur abrité), mais l'écart entre les deux conversions tendait à disparaître (avant que les dévaluations ne lui permettent de s'élargir de nouveau après 1992). Et, surtout, cette vision globale ne rend sans doute pas compte des contraintes spécifiques pesant sur le secteur exposé.
En effet, la période 1986-92 apparaît comme une période de recul du rattrapage de productivité de l'industrie manufacturière espagnole. Tout se passe comme si ce rattrapage industriel, déjà largement acquis au moment de l'entrée dans la Communauté, avait alors fait place à une croissance industrielle plus riche en emploi, moins rationalisatrice. Le secteur industriel espagnol était constitué d'activités situées des marchés de faible dynamisme et concurrencées par les pays à bas salaires, mais aussi d'implantations multinationales dans des secteurs porteurs, qui s'étaient développées depuis le début des années quatre-vingt. Dans les deux cas, l'intégration à la Communauté ouvrait des marchés et semblait légitimer une stratégie plus extensive misant sur les économies d'échelle. Cette stratégie a été prise à contrepied par la « peseta forte » et par la dérive relative des coûts unitaires relatifs de l'industrie espagnole.
En fin de compte la contrainte de compétitivité révélée par l'intégration aiguise la nécessité d'un arbitrage durable sur les choix de spécialisation. La période 1986-92 a montré la difficulté pour l'industrie de contribuer à la fois à la compétitivité et à l'emploi. L'Espagne peut accélérer la modernisation de son industrie, aussi bien sur le plan des coûts que sur celui des produits, et adapter la gestion de son change à la vitesse de cette modernisation. Mais une telle priorité ne résoudra pas les problèmes du chômage massif et elle peut favoriser une tertiarisation accentuée et déréglementée, faite d'activités à bas salaires absorbant l'abondance de main-d'oeuvre et réduisant les coûts relatifs du secteur abrité. La détermination d'une stratégie de spécialisation équilibrée reste un enjeu majeur pour les années quatre-vingt-dix.
On peut synthétiser les phases successives du rattrapage espagnol par le tableau suivant, qui considère pour cinq variables (productivité du travail ; PIB par habitant ; salaire par tête ; taux d'activité, c'est-à-dire population active/population totale ; taux d'occupation, c'est-à-dire emploi/population active) leur rattrapage sur la moyenne communautaire (en notant + si le rattrapage est effectif, - s'il recule, = si la situation relative de l'Espagne est stable).
Tableau 6 : les phases successives du rattrapage espagnol
3-2-Le conflit entre rattrapage et convergence aiguisé par l'intégration ?
Quelle morale provisoire peut-on tirer de l'expérience espagnole pour l'intégration des pays d'Europe de l'est ?
-Sur longue période, rattrapage de la productivité et du salaire par tête vont de pair mais s'accordent difficilement avec celui du taux d'emploi (qui est le produit du taux d'activité et du taux d'occupation). On retrouve, sous-jacente, la question du choix de spécialisation productive et de son intensité en emploi. Le rattrapage du PIB par habitant est évidemment d'autant plus important que l'on sait concilier ceux de la productivité et du taux d'emploi, mais l'expérience espagnole montre que c'est un exercice difficile. Le rattrapage de productivité va spontanément à l'encontre de celui des taux d'activité et d'occupation de la population en âge de travailler ; celui du PIB par tête n'équivaut pas au rattrapage du salaire réel moyen
- Plus l'intégration aux différents cercles communautaires est rapide et forte, plus la conciliation du rattrapage réel et de la convergence nominale devient un second exercice difficile. L'histoire de la normalisation espagnole, puis de l'intégration ibérique dans la Communauté, est celle d'un conflit entre rattrapage sur les partenaires européens et participation à la convergence européenne. Le rattrapage de l'emploi et du revenu par tête bénéficie de la phase expansive du cycle conjoncturel qui, dans le cas espagnol, a coïncidé avec l'intégration communautaire (1986-91). Mais, comme cette phase s'accompagne d'une gestion du change difficilement soutenable, le réveil dans la phase suivante est douloureux. Le rattrapage réel s'interrompt pour que la convergence nominale - la mise de l'inflation et des déficits aux normes européennes - prenne le dessus. De plus, une distorsion nouvelle apparaît entre les rattrapages respectifs du taux d'activité (qui se poursuit, car les comportements de recherche d'emploi se normalisent) et du taux d'occupation de la population (qui recule, car la restructuration du marché du travail est devenu prioritaire).
Une fois entrée dans la Communauté, l'Espagne a cru à l'expansion sans contrainte des débouchés offerts par sa participation au Marché unique européen. Elle s'est heurtée plus durement que prévu à la contrainte de compétitivité, a fortiori dans la phase de surévaluation de la peseta des années 1989 à 1993. Les critères de convergence instaurés par le traité de Maastricht, qui privilégient les variables nominales, jouent à cet égard comme une incitation à l'apprentissage de la contrainte de compétitivité. L'amplitude marquée du dernier cycle conjoncturel espagnol résulte, pour partie, de ce conflit entre rattrapage et convergence : le rattrapage motive une expansion forte, soutenue dans la décennie quatre-vingt par les apports de capitaux externes et par l'impulsion publique ; la discipline de la convergence joue comme une force de rappel, qui remet l'économie espagnole dans le rang. Dans la phase de reprise engagée depuis 1993, la recherche d'un nouvel équilibre reste difficile et son issue incertaine.
Le rattrapage n'est possible que si la croissance potentielle attendue pour l'Espagne, reposant sur une mobilisation normale des ressources productives nationales, est supérieure à celle de ses partenaires européens. Il n'est réalisable que si cette croissance est effectivement accessible, c'est-à-dire si elle ne vient pas buter sur une contrainte extérieure exprimant la réticence des investisseurs étrangers à financer les déficits externes susceptibles d'accompagner une croissance potentielle plus forte que dans les autres pays. L'interaction entre la croissance potentielle et la contrainte extérieure est source de fluctuations cycliques qui compliquent le processus de rattrapage. Ces fluctuations ne sont pas strictement endogènes à l'économie espagnole, car elles proviennent pour partie d'une contamination par les tensions affectant les économies plus avancées : la contrainte extérieure sur l'économie espagnole se resserre, par un effet d'éviction, lorsque ces économies sont en proie à des tensions freinant l'apport de capitaux à l'Espagne (ainsi lorsque les capitaux allemands, voire internationaux, ont été sollicités prioritairement par les besoins financiers de l'unification allemande). Les perturbations cycliques peuvent même entraver le rattrapage, si l'obligation de convergence, se faisant sentir spécialement dans la période de récession, devient trop sévère pour un pays encore retardataire : ainsi, si l'alignement de l'inflation espagnole sur les meilleures performances européennes est recherché à l'excès, il peut s'opposer au relèvement du niveau relatif des prix espagnols, qui accompagne nécessairement le rattrapage 27 ( * ) . De fait, le rattrapage espagnol apprécié à partir du niveau du PIB par tête comparé à la moyenne européenne, subit des reculs durant les périodes de récession : son comportement est procyclique, c'est-à-dire qu'il évolue en phase avec le rapport du PIB espagnol à sa tendance de long terme.
Le rattrapage progressif d'une économie retardataire associe trois phénomènes tendanciels : une croissance potentielle et une inflation normale plus fortes que chez les partenaires plus avancés ainsi qu'un déficit externe jugé soutenable, c'est-à-dire compatible avec une règle de solvabilité misant sur un rendement plus élevé des investissements effectués dans le pays en rattrapage. L'impact, sur le processus de rattrapage, de l'intégration de ce pays dans une communauté constituée de pays en moyenne plus avancés, peut être contradictoire. Incitant à une ouverture accélérée, l'intégration peut accroître la sensibilité cyclique du déficit et de la contrainte externes. Le pays croit s'intégrer dans un marché unique « parfait » des marchandises et des capitaux, où il ne pèse que marginalement : il peut ainsi attirer sans difficultés les capitaux pour financer ses déficits budgétaires et écouler ses marchandises sans risque de mévente. L'Espagne des jeux de Barcelone et de l'exposition universelle de Séville a participé à cette illusion, qu'a illustré, un moment, à l'orée des années quatre-vingt-dix, un engouement exagéré pour la peseta. Le détournement de capital externe par l'unification allemande a renvoyé l'Espagne dans les cordes et révélé son déficit de compétitivité : l'inflation espagnole « sous-jacente » s'avérait incompatible avec la fixité de la peseta au sein du SME et avec le critère de convergence maastrichtien en matière d'inflation. L'intégration rapide aux différents cercles communautaires peut ainsi révéler crûment les obstacles à un rattrapage qui serait gérable plus graduellement par une formule d'intégration progressive
Sur la dernière décennie, l'Europe élargie a appris que la vitesse de l'intégration dans le marché unique et la convergence des performances macroéconomiques (notamment nominales) n'étaient pas identiques à la constitution d'un espace productif et social homogène, fondant ainsi la possibilité d'une zone monétaire optimale. L'adoption pleine et entière de l'ouverture des marchés et d'une discipline nominale forte peut bien sûr être conçue comme le moyen d'apprentissage des règles de compétitivité. Mais parce qu'elle révèle, voire accentue, certaines dissymétries réelles, elle ne paraît guère soutenable sans des mécanismes de solidarité à la hauteur (du type fonds structurels et de cohésion sociale). L'intégration forte et rapide sans de tels mécanismes, c'est risquer des stop and go destructeurs dans la réalité conjoncturelle et dans la poursuite même de l'intégration.
3-3-Rattrapage : une vieille histoire...à surprises
La recherche d'une stratégie convenable d'intégration des pays est-européens dans l'Union européenne réactive ainsi l'intérêt d'une réflexion déjà ancienne sur le rattrapage des économies retardataires. Dans une série d'essais de référence, A. Gerschenkron avait développé l'idée que le rattrapage des pays précocement industrialisés par les pays retardataires n'était pas réductible à une loi d'imitation obligée (à la Rostow, pour citer un auteur plus connu) mais donnait lieu à la diversification des voies d'industrialisation 28 ( * ) . Ne bénéficiant pas des conditions initiales favorables qui ont favorisé l'industrialisation précoce des pays leaders, les pays retardataires se montrent capables d'inventer des substituts originaux à ces conditions : c'est le cas, dans la seconde partie du XIX e siècle, des banques universelles qui impulsent le rattrapage allemand par le crédit, ou encore, à la fin du siècle dernier, de l'intervention étatique dans une Russie dont le marché du travail restait bridé par la persistance puis l'héritage d'un servage tardif. La perception du retard incite le pays concerné à trouver les moyens institutionnels permettant de maximiser les avantages potentiels associés aux transferts de technologie en provenance des pays plus avancés et à l'implantation des techniques les plus récentes. Évidemment, cette tension entre les obstacles à l'industrialisation qui sont à la source du retard constaté et les potentialités d'une modernisation accélérée peut donner lieu à des formes pathologiques du rattrapage. C'est le cas lorsque la gestion autoritaire des distorsions économiques typiques du rattrapage (développement prioritaire de l'investissement et de la production de biens d'équipement au détriment de la consommation et de la production des biens correspondants, allocation centralisée des ressources en capital aux activités nouvelles, marginalisation de l'agriculture,...) dégénère en un système sociopolitique oppressif et peu efficient. Le cas soviétique fut la manifestation exacerbée d'une telle pathologie, dont les coûts ne sont généralement pas supportés par le seul pays atteint. Pas plus qu'il n'y a une loi unique pour trouver les voies de l'industrialisation, il n'y a de réussite garantie du rattrapage. L'héritage historique, et la capacité à s'en émanciper, jouent pour décider de l'échec ou de la réussite 29 ( * ) . Les travaux contemporains sur la croissance endogène offrent un cadre pour formaliser certaines des idées avancées par Gerschenkron afin de caractériser les trajectoires de rattrapage, qu'il s'agisse du poids des conditions initiales (comme la taille du capital humain et celle des marchés), de la divergence des trajectoires d'économies aux capacités d'épargne différentes ou de la défaillance des seuls mécanismes de marché à assurer l'appropriation et la diffusion du savoir technologique nécessaire au rattrapage.
Alors que l'échec des socialismes est-européens est largement celui d'un rattrapage à marche forcée, c'est paradoxalement une réflexion assez sommaire sur les modes de rattrapage envisageables qui a souvent caractérisé jusqu'à présent les projections effectuées, depuis le début de la présente décennie, pour les actuelles économies en transition. Dans ces exercices, il s'agit au départ d'identifier pour chacun des pays est-européens un modèle paraissant convenable et accessible à un horizon de l'ordre de la décennie : de la Grèce à l'Autriche en passant par l'Espagne. Mais l'ampleur des besoins d'investissement et de financement suscités par les objectifs de rattrapage les fait paraître trop ambitieux et incite à la modestie. Une prospective plus réaliste cherche alors à dégager la voie d'une stratégie de modernisation compatible avec les probables contraintes extérieures et financières. Une fois passée la récession catastrophique des premières années quatre-vingt-dix, la croissance de l'offre raisonnablement envisageable pour la suite supporte encore le fardeau du déclassement, progressif mais systématique, des stocks d'équipement légués par l'ancien système. Les résultats envisagés par ce type de projections pour la fin de la décennie sont assez décevants, les niveaux de vie apparents antérieurs à 1990 sont parfois à peine retrouvés et le rattrapage sur les modèles de l'ouest est renvoyé au siècle prochain 30 ( * ) . Or, les évolutions effectivement enregistrées au cours des cinq premières années de la transition semblent témoigner déjà d'une nervosité ou d'une flexibilité de ces économies plus fortes que le gradualisme implicite de ces projections : une flexibilité d' abord à la baisse, jusqu'en 1993, avec une dévalorisation brutale du stock d'équipements, puis à la hausse, avec une capacité de reconversion peut-être sous-estimée. Il serait téméraire de trop vite préjuger des modes de rattrapage qu'inventeront les différents pays est-européens, mais, dans tous les cas, la mise sur pied de dispositifs de solidarité spécifiques qui donnent sens au processus d'intégration à l'Union européenne sera une exigence difficilement contournable.
* * *
La trajectoire de l'Espagne, depuis sa sortie de la période franquiste, incite à considérer les enjeux des élargissements de l'Union européenne avec le recul nécessaire : qui, désormais, pourrait contester le bien-fondé de la participation espagnole à l'Union européenne ? Cette participation a définitivement ancré l'Espagne dans la démocratie européenne et a accompagné son insertion retrouvée dans les réseaux économiques internationaux. Cette appréciation, qui relève d'un pari positif sur une certaine communauté de destin européenne, n'incite pas pour autant à banaliser les difficultés apparues à certaines étapes du processus d'intégration. La conciliation de la convergence macroéconomique et du rattrapage structurel est un exercice suffisamment difficile pour être source d'accidents plus graves que de simples aléas de passage. Les dispositifs de la coopération et de la solidarité européennes ont sans doute à évoluer pour mieux prévenir ces accidents et maîtriser les risques de réversibilité de l'intégration dont ils sont porteurs. La vivacité du désir d'intégration des pays d'Europe centrale et orientale, mais aussi leur vulnérabilité, sont une forte incitation à renforcer en ce sens la construction européenne.
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Chapitre 2
SCÉNARIOS D'INTÉGRATION DES PECO À L'UE : LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE
Jacques LE CACHEUX
A la différence de l'industrie, l'agriculture des PECO représente un poids relatif considérable par rapport à celle de l'UE. Dans le « groupe de Visegrad », où la population équivaut à 17,5 % de celle de l'UE à 15, la superficie agricole atteint 22,8 % celle de l'UE ; en Bulgarie et Roumanie, pour une population représentant 8,4 % de celle de l'UE, la superficie agricole équivaut à 15,2 % de celle de l'UE. L'emploi agricole y représente, en moyenne, une part considérablement plus élevée que dans les pays membres actuels de l'UE : dans les pays du « groupe de Visegrad », en 1993, 4,5 millions de personnes étaient employées dans l'agriculture, auxquelles s'ajoutaient 3,5 millions en Roumanie et près de 700 000 en Bulgarie, soit plus que les 8,2 millions personnes employées dans l'agriculture de l'UE actuelle. Seule la République tchèque a un taux d'emploi agricole voisin de celui de l'UE -- 5,7 % de l'emploi total -- ; mais il atteint 35,2 % en Roumanie, 25,6 % en Pologne, 21,2 % en Bulgarie, 10 % en Hongrie, et 8,4 % en République slovaque. En revanche, la part de la production agricole dans le produit national (PNB), bien que plus élevée aussi que dans l'UE, est bien moindre que celle de l'emploi : de 3,3 % en République tchèque, 6,3 % en Pologne et en Hongrie, à 10 % en Bulgarie et 20 % en Roumanie (chiffres 1993). Évaluée aux prix et taux de change courants de 1993, le produit agricole brut des six PECO considérés atteignait à peine 14 milliards d'Écus, alors que celle l'UE était proche de 210 milliards d'Écus (chiffres de la Commission européenne, DGVI, 1995a).
En outre, les principales productions agricoles sont quasiment les mêmes que celles de l'UE -- viande bovine, porcine et ovine, volailles, lait et oeufs, céréales, pommes de terre, fruits et légumes -- et représentent, dans certains cas, un pourcentage important de celle de l'UE : la Pologne est le premier producteur européen pommes de terre, le premier producteur mondial de petits fruits, le huitième producteur mondial de lait, ... La production des 6 pays équivaut à 85 % de celle de l'UE pour les pommes de terre, 45 % pour les céréales, 38 % pour les fruits, 35 % pour la viande de porc, 32 % pour les oeufs, ... (APCA, 1995).
1. Éléments sur la situation actuelle de l'agriculture des PECO
Les secteurs agricoles des PECO étaient, en moyenne, plus importants mais moins performants que ceux des pays occidentaux à la veille du processus de transition vers l'économie de marché ; à l'exception notable de la Pologne, ils étaient caractérisés par un degré élevé de collectivisation et de concentration (Tableau 1). Comme dans les autres secteurs des économies des PECO, les premières années de la transition ont enregistré une contraction marquée de la production agricole ; bien qu'un certain redressement se soit opéré en 1994 dans plusieurs PECO -- Roumanie, Bulgarie et République slovaque surtout --, le produit agricole brut demeure très en-deçà des niveaux atteints en 1989 et la plupart des problèmes structurels persistent.
Tableau 1 : Structures des exploitations agricoles dans les PECO
Source : Commission européenne, 1995a.
1.1. Problèmes structurels
Bien que les situations des secteurs agricoles des PECO soient très diverses -- notamment en ce qui concerne la part de l'emploi agricole dans l'emploi total, le degré de concentration du secteur agricole, les spécialisations, etc. --, ces secteurs souffrent tous, à des degrés divers, de maux comparables : inadéquation du crédit, coût élevé des intrants -- notamment importés (carburants, engrais, etc.) --, lenteur des privatisations -- tant dans le secteur qu'en amont et en aval -- et de la réorganisation des circuits de transformation et distribution, etc. Les rendements sont, en moyenne, plus faibles -- et, dans certains cas, de beaucoup -- que les rendements moyens de l'UE.
1.2. Productions et prix
La phase initiale de la transition s'est traduite par une contraction importante des volumes de production agricole, de 20 à 35 % en 4 ans, selon les cas : les surfaces cultivées ont été réduites, le cheptel également, et les rendements ont, dans la plupart des cas, baissé. Ces évolutions sont liées aux problèmes structurels évoqués ci-dessus, à des hausses de prix à la production insuffisantes pour compenser celles des prix des intrants, à la concurrence des produits alimentaires importés -- notamment de l'UE -- et à la perte de débouchés extérieurs -- dans la CEI. Pourtant, les productions végétales se sont, en général, redressées depuis 1993, tandis que les productions animales continuent de se contracter -- sauf en Pologne où un léger mieux a été constaté en 1994 (Tableau 2). Globalement, la zone ne dégageait, en 1994, aucun surplus exportable -- différence entre production et usage intérieur.
Tableau 2 : Produit agricole brut réel dans
les PECO, 1990-1994
(1989 = 100)
Source : Commission européenne, 1995a.
En 1994, les pays de Visegrad ont produit 44,5 millions de tonnes de céréales, 3,9 millions de tonnes de fruits, 7,4 millions de tonnes de légumes, 5,2 millions d'hectolitres de vin, près de 800 000 tonnes de viande bovine, 2,6 millions de tonnes de viande porcine, 17,8 milliards de litres de lait (APCA, 1995).
Mesurés en ECU aux taux de change courants, les prix à la production étaient, en 1994, pour toutes les grandes productions et dans tous les pays considérés, inférieurs aux prix pratiqués dans l'UE, sauf pour la viande de porc en Pologne (niveau équivalent à celui de l'UE) : le prix du blé tendre atteignait 71 % du niveau pratiqué dans l'UE en République slovaque, 69 % en Pologne, 67 % en République tchèque et 51 % en Hongrie ; pour le kilo de boeuf, à la production, les chiffres correspondants étaient 42 %, 30 %, 43 % et 44 %, respectivement ; pour le litre de lait, 58 %, 28 %, 55 % et 65 % respectivement (Commission européenne, 1995a) (Tableau 3).
Tableau 3 : Prix de quelques produits agricoles dans les PECO, l'UE et sur les marchés mondiaux en 1994
(1) Ecu/tonnes
(2) % du prix UE
(3) % du prix mondial
Source : Commission européenne, 1995a.
1.3. Échanges avec l'UE
Excédentaires pour la plupart des produits en 1989, les échanges extérieurs agro-alimentaires des PECO avec les pays de l'UE sont aujourd'hui déficitaires (400 millions d'Écus de solde négatif pour les échanges agro-alimentaires des six pays considérés avec l'UE en 1994) -- à l'exception de la Hongrie (400 millions d'Écus d'excédent agro-alimentaire avec l'UE en 1994) (Tableau 4). En valeur, les exportations de la Pologne et de la Hongrie se sont contractées, celles des autres PECO n'augmentant que faiblement ; au contraire, les exportations de l'UE ont progressé très fortement -- sauf en Roumanie. Les mouvements de prix -- et de taux de change -- expliquent une part de cette inversion des soldes ; pour l'essentiel, elle est attribuable à l'essor des ventes des industries agro-alimentaires de l'UE dans les PECO.
Tableau 4 : Échanges Agro-alimentaires des PECO avec l'UE, 1989-1994 (millions d'Écus)
Source : Commission européenne, 1995a.
2. Stratégies d'intégration
Les problèmes posés par l'intégration des secteurs agricoles et agro-alimentaires des PECO dans l'UE ne sont pas du même ordre de grandeur que ceux posés lors des précédents élargissements, en raison du poids relatif des PECO dans ces productions, ni de même nature, en raison des différences de spécialisation et des spécificités de la PAC. Celle-ci est, en effet, fondée sur le principe du prix unique et plus ou moins garanti pour les produits agricoles bénéficiant d'organisation de marché -- céréales, lait, viande bovine et sucre, essentiellement -- alors que les mécanismes de marché sont relativement plus libres pour les autres productions. Les coûts budgétaires dépendent de la politique de prix, du choix des niveaux de référence des droits à produire octroyés aux PECO, des règles d'attribution des aides directes aux exploitants de ces pays et, bien sûr, des réactions de l'offre agricole des PECO à ces mesures.
2.1. Prix unique : quel niveau ? quels ajustements ?
Les prix à la production étant, en moyenne, sensiblement inférieurs dans les PECO aux niveaux pratiqués dans l'UE, l'application du prix unique, inéluctable à terme -- même si on met en oeuvre une transition longue -- peut être réalisée de trois manières : baisse des prix intérieurs de l'UE, hausse des prix de production dans les PECO, appréciation nominale des monnaies des PECO.
La première option paraît, aujourd'hui, peu probable pour la plupart des produits de base, mais, si les prix mondiaux -- des céréales notamment -- devaient reculer sensiblement et durablement, elle pourrait être, à terme, à nouveau réclamée (cf. Commission européenne, 1995b). La troisième option permettrait d'améliorer la rentabilité des exploitations agricoles des PECO -- grâce à la baisse induite des prix des intrants en monnaies locales --, tout en évitant les augmentations des prix à la production ; mais l'évolution du taux de change nominal ne se décrète pas et n'a aucune raison d'être dictée par les nécessités de la politique agricole -- bien que la manipulation des « taux verts >> soit envisageable au cours de la période transitoire.
Reste donc la deuxième option -- hausse des prix à la production dans les PECO -- qui devrait entraîner une augmentation des quantités produites, théoriquement maîtrisable, pour les produits de base, grâce à l'existence de restrictions quantitatives.
2.2. Quotas et jachères
Les principales productions de base -- céréales, protéagineux, lait -- sont désormais soumises à des limitations quantitatives contraignantes dans l'UE : le mécanisme équivaut à l'octroi, à chaque pays membre, de droits à produire, fondés sur un niveau de production de référence et ajustés annuellement d'un pourcentage uniforme. Fixer des références pour les PECO est un exercice délicat -- en raison des chutes de production enregistrées depuis le début de la transition --, mais urgent -- parce que les perspectives d'adhésion et de hausse des prix pourraient favoriser des comportements d'anticipation opportunistes de la part des gouvernements des PECO.
2.3. Solidarité financière et aides directes
La PAC est fondée sur le principe de solidarité financière : prélèvements et débours du budget communautaire ne sont aucunement liés sur une base nationale. Les règles de prix et les critères d'octroi des subventions et des aides directes sont uniformes -- sauf pour les zones de montagne. Toutefois, les pays membres conservent une certaine liberté dans l'octroi d'aides particulières, dans les conditions de crédit, la fiscalité spécifique, etc.
Les principales aides directes sont, aujourd'hui : la prime à l'herbe (fonction de la superficie en prairie), la prime « vache allaitante » et la prime « bovins mâles " (fonction du cheptel bovin de ces catégories, plafonné), la prime de compensation de gel des terres (fonction des surfaces gelées et des rendements céréaliers de référence). Les deux premières, ainsi que les subventions de modernisation du fonds FEOGA-Orientation, ont des finalités d'orientation structurelle et devraient être étendues aux exploitations des PECO, selon des modalités susceptibles d'amendements. Les deux autres ont été conçues pour compenser les baisses de revenu engendrées par les réductions des prix et/ou des surfaces cultivées ; il est envisageable d'en modifier les critères d'octroi aux exploitations des PECO -- du moins dans la période transitoire --, dans la mesure où l'adhésion entraînera une hausse, et non une baisse des prix à la production dans ces pays.
2.4. Régimes transitoires
Les précédents élargissements de l'UE ont été suivis de périodes transitoires longues -- de 5 à 10 ans, selon les pays et les politiques -- destinées à éviter les perturbations brutales des marchés, à permettre la convergence progressive des conditions de concurrence et l'adaptation des politiques nationales des pays adhérents. Pour les PECO, la période transitoire est d'autant plus justifiée que les écarts initiaux de prix, de structures et de capacités administratives par rapport aux membres actuels de l'UE sont importants. Prévoir une dizaine d'années semble donc raisonnable et conduirait ainsi à n'appliquer intégralement la PAC aux PECO qu'aux environs de 2007, au mieux.
La période transitoire post-adhésion, caractérisée par une levée progressive des restrictions d'accès aux marchés de l'UE et une mise en oeuvre également étalée dans le temps des instruments de la PAC dans les PECO autorise une gestion active et relativement discrétionnaire des « taux verts », avec prélèvements compensatoires, et des aides directes. Elle permet d'étaler et de moduler les coûts budgétaires de l'élargissement, même si le principe d'uniformité de traitement est maintenu pour la phase ultime.
3. Évaluations des conséquences économiques et budgétaires
La similitude des spécialisations agricoles et la convergence des structures de consommation alimentaire des PECO et de l'UE incitent à prévoir que l'application de la PAC aux PECO encouragera les transformations structurelles, les transferts de technologies et les modifications de comportements des producteurs qui, à terme, devraient se traduire par des rendements de facteurs dans l'agriculture comparables à ceux que l'on observe, en moyenne, dans l'UE actuelle. Mais, étant donné les conditions initiales et les bouleversements structurels qu'implique un tel processus de rattrapage, il est raisonnable de prévoir qu'il ne se réalisera, en moyenne, que très progressivement. Il nécessitera, en outre, la mise en oeuvre de politiques structurelles, tant dans l'agriculture que dans les branches amont et aval et dans l'infrastructure rurale : celles-ci ne pourront être menées qu'avec le concours, technique et financier, de l'UE.
3.1. Politiques de prix et évolutions des productions
La convergence des niveaux de prix est, à terme, inéluctable : c'est le principe même de la PAC. Mais, au cours de la période transitoire qui suivra l'adhésion, les écarts initiaux devront être comblés progressivement, avec institution de montants compensatoires d'adhésion, amenés à se substituer aux quotas d'importation actuels, qui eux-mêmes devront être réajustés à la hausse avant l'adhésion pour tenir compte des exigences du GATT.
Les hausses de prix pour la grande majorité des produits agricoles de base - sauf à imaginer de nouvelles baisses importantes des prix de production dans l'UE - finiront par engendrer une augmentation des quantités produites qui, même en tenant compte de la croissance de la consommation intérieure des PECO, aboutirait, en l'absence de maîtrise quantitative de la production, à l'apparition de surplus exportables potentiellement coûteux pour le budget agricole européen.
En 1994, déjà, la Roumanie (1 million de tonnes), la Hongrie (484 000 tonnes) et la République tchèque (417 000 tonnes) avaient des surplus exportables de céréales, mais sans commune mesure avec ceux de l'UE à 15 (16,8 millions de tonnes). En faisant des hypothèses modérément optimistes de redressement des rendements moyens dans les PECO -- et en l'absence de quotas et de jachère -- et de leur consommation intérieure (Commission européenne, 1995a), les surplus exportables de céréales atteindraient environ 6 millions de tonnes en l'an 2000 (mais environ 30 millions dans l'UE-15). Pour les oléo-protéagineux, le surplus exportable atteindrait 1 million de tonnes, mais le déficit serait de 18 millions de tonnes pour l'UE en l'an 2000. Pour les pommes de terre, le surplus exportable de la seule Pologne atteindrait 700 000 tonnes, les autres pays étant en quasi-autosuffisance. Pour le lait, le surplus exportable des six PECO serait alors de 750 000 tonnes, contre 6,8 millions de tonnes dans l'UE-15. Pour la viande de boeuf, le surplus exportable des six PECO serait, en 2000, de 27 000 tonnes (contre environ 150 000 dans l'UE-15). Pour la viande de porc, la zone aurait un déficit de l'ordre de 90 000 tonnes, face à un surplus exportable de 500 000 tonnes dans l'UE-15.
Ainsi, il apparaît que, dans la plupart des cas, les quantités exportables à terme sont relativement faibles. Dès lors, pour assurer l'équilibre des marchés, on peut envisager soit d'ajuster de manière appropriée les droits à produire, soit d'encourager l'exportation de ces surplus en dehors de l'UE -- notamment vers la CEI, débouché traditionnel des PECO et dont la production souffre d'une récession encore plus profonde et, sans doute, plus durable --, ce qui pèserait davantage sur le budget européen si les prix mondiaux se situaient en deçà des prix intérieurs de l'UE 31 ( * ) .
3.3. Spécialisations possibles des PECO dans un marché agro-alimentaire unique
Comme il a été souligné en introduction à ce chapitre, les spécialisations agricoles des PECO considérés sont, dans une large mesure, les mêmes que celles des membres actuels de l'UE. Il apparaît également, à la lumière des projections, que, notamment pour les pays du « groupe de Visegrad », les surplus exportables susceptibles de se développer au terme de la transition des secteurs agricoles, pourraient concerner les mêmes produits de base que ceux qui sont déjà excédentaires actuellement dans l'UE ; de même, la concurrence des pays balkaniques -- Bulgarie et Roumanie -- avec les pays d'Europe du Sud pourrait être vive sur certains marchés - fruits et légumes, vins, en particulier. Étant donné ces perspectives -- probablement lointaines --, il est souhaitable, non seulement de ménager des transitions longues, mais encore d'organiser à un stade très précoce de l'adhésion, la maîtrise des quantités produites. De même, les politiques structurelles devraient viser à encourager le développement des productions agricoles pour lesquelles les problèmes d'excédents sont inexistants ou moindres. Mais il est probable, malgré tout, que l'intégration des PECO dans l'UE impliquera, dans le domaine agricole, des restructurations à l'Ouest, si les PECO finissent par atteindre, pour les productions dans lesquelles ils disposent d'avantages naturels, des positions concurrentielles.
En outre, étant donné le coût relativement faible des transports -- notamment vers le marché allemand --, on pourrait assister à la délocalisation vers ces pays de certaines industries transformatrices dans le domaine de l'agro-alimentaire. En effet, si les conditions économiques générales et les infrastructures des PECO s'améliorent, on ne peut exclure que l'offre locale de produits de base soit suffisamment compétitive pour attirer des entreprises ouest-européennes et les inciter à produire sur place des produits destinés, non seulement au marché local -- comme c'est déjà le cas aujourd'hui -- mais également à l'exportation vers les membres actuels de l'UE. La mise en oeuvre d'une politique de prix unique pour les principaux produits de base serait, bien entendu, susceptible d'éviter de telles délocalisations, dont le risque plaide pour une application uniforme des règles de la PAC.
3.4. Implications budgétaires pour l'UE
L'expérience des années récentes a bien montré la difficulté qu'il y a à prévoir le coût budgétaire de la PAC et des différentes mesures prises pour la réformer, même dans les pays membres fondateurs de l'Union européenne, comme la France : les recettes et les débours budgétaires au titre de la PAC dépendent, en effet, pour une large part de l'évolution des écarts entre prix intérieurs et prix mondiaux des produits de base soumis à organisation de marché et des réactions des exploitants agricoles aux diverses incitations que font naître les prix -- des intrants et des produits -- et les différentes primes.
Dans son Livre blanc sur l'agriculture (Commission européenne, 1995b), la Commission évoque un coût budgétaire additionnel de l'ordre de 10 à 15 milliards d'Écus en cas d'adhésion des 10 PECO -- les six considérés ici, la Slovénie et les trois États baltes -- et de maintien des règles actuelles de la PAC. Outre l'incertitude qui entoure les projections de prix mondiaux et celles de production et d'utilisation des produits agricoles dans les PECO -- sans même parler des perspectives de débouchés à l'Est, dans la CEI --, cette évaluation apparaît excessive au regard des évolutions observées et des possibilités existantes en matière de restrictions quantitatives des productions potentiellement excédentaires. Si l'on retient l'hypothèse d'une période transitoire post-adhésion longue, la convergence des prix de production agricole des PECO vers les niveaux pratiqués dans l'UE devrait être étalée sur une dizaine d'années, ce qui favorisera la maîtrise des quantités produites à condition que les quotas et jachères soient mis en place dès le début et gérés de manière à éviter l'apparition d'excédents. Dans ces conditions, les dépenses budgétaires au titre du soutien des prix pourraient être limitées. En outre, comme on l'a souligné plus haut, les aides directes compensatoires des baisses de prix des céréales, qui représentent une part importante des débours actuels de la PAC et du coût potentiel de son extension aux PECO, n'ont pas de raison d'être pour ces pays, où les prix devraient augmenter et non baisser.
En revanche, il apparaît nécessaire, si l'on souhaite développer une agriculture compétitive dans ces pays et encourager son orientation vers certaines productions et vers des modes de culture plus respectueux de l'environnement, de recourir à tout l'arsenal des primes et aides directes à la modernisation et à la restructuration disponible dans le cadre de la PAC. Mais le coût budgétaire de ces mesures n'excéderait que de quelques milliards d'Écus celui des financements déjà assurés à ce titre dans le programme PHARE ; il est, de plus, largement discrétionnaire et modulable. Globalement, donc, les coûts budgétaires additionnels de l'élargissement au titre de la PAC pourraient être, à terme, compris entre 5 et 10 milliards d'Écus, selon la générosité des dispositifs d'aides au revenu, à la modernisation et à la réorientation consentis aux PECO.
En guise de conclusion
La taille et les spécialisations des secteurs agricoles des PECO font de leur intégration dans l'UE un défi sensiblement plus difficile à relever que cela n'avait été le cas pour les précédents élargissements. Mais, dans le même temps, l'ampleur du marché de consommation potentiel que représentent ces pays en fait un débouché des industries agro-alimentaires ouest-européennes -- comme le démontrent les surplus dégagés actuellement par l'UE dans les échanges agro-alimentaires avec les PECO. Si l'intégration progressive de ces pays à l'UE permet, comme on peut le prévoir, de favoriser leur transformation économique et leur rattrapage en termes de revenu par tête, leur utilisation intérieure de produits agricoles et agro-alimentaires devrait augmenter sensiblement. D'autre part, leur production, bien que potentiellement importante, a été considérablement réduite depuis le début du processus de transition vers l'économie de marché et souffre actuellement des graves déficiences structurelles du secteur agricole et des secteurs en aval.
L'extension progressive aux PECO des mécanismes de fixation des prix agricoles et, surtout, des subventions et aides directes de l'actuelle PAC devrait être conduite de manière à favoriser la transformation structurelle des secteurs agricoles et leur orientation vers des modes de production plus compétitifs et plus respectueux de l'environnement ; mais pour la plupart d'entre eux, l'emploi agricole représente aujourd'hui une part si considérable de l'emploi total qu'il n'est guère envisageable d'en brusquer la contraction, dans une période de chômage massif. Si l'aide aux restructurations est suffisamment ciblée et si les restrictions quantitatives applicables aux principaux produits de base sont mises en oeuvre comme il convient, l'intégration de secteurs agricoles des PECO à la PAC pourrait être très bénéfique pour ces pays et relativement peu coûteuse pour le budget de l'UE.
Mais il est vrai que de nombreuses incertitudes entourent les conséquences à attendre de cette intégration. Les principales concernent l'évolution future des cours mondiaux et la capacité de redressement des secteurs agricoles des PECO, ainsi que leurs implications en termes de quantités maximales d'exportations subventionnées autorisées par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Dès lors, on ne peut exclure que de nouveaux aménagements de la PAC soient nécessaires au début de la prochaine décennie, soit sous la pression des évolutions externes, soit pour mettre davantage l'accent sur des orientations environnementales dans l'UE. Mais ces perspectives de réformes ne seraient que très modérément influencées par l'adhésion des PECO.
Références bibliographiques
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TRACY, Michael, 1995 : « Les politiques agricoles européennes Est-Ouest et leurs incidences commerciales », communication au colloque Globalisation des économies agricoles et alimentaires, SFER, Paris, 16-17 octobre.
Chapitre 3
L'OUVERTURE DES ÉCONOMIES D'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE : IMPACT SUR LES ÉCHANGES EXTÉRIEURS ET L'EMPLOI DE LA FRANCE ET DE L'ALLEMAGNE 32 ( * )
Dieter SCHUMACHER
La transformation des pays d'Europe centrale et orientale (PECO), auparavant régis par un système de planification centralisée, en économies de marché lesquelles les décisions sont décentralisées implique des changements économiques et sociaux radicaux qui affectent, entre autres, leurs relations avec les économies occidentales. Avec l'effondrement du Conseil d'assistance économique mutuelle (CAEM ou Comecon), les échanges commerciaux entre les économies de l'est ont enregistré une contraction spectaculaire, tandis que leur commerce extérieur avec les pays occidentaux se développait rapidement, notamment avec l'Europe de l'Ouest.
C'est dans ce contexte que s'inscrit notre analyse, qui se propose, en premier lieu, d'étudier les tendances caractérisant le niveau et la composition sectorielle des échanges commerciaux français et allemands avec les PECO depuis le début de leur processus de transformation ; ensuite, de présenter les résultats de projections de ces flux, fondées sur un modèle de gravité dans lequel on suppose que les relations commerciales futures seront conformes à celles qui prévalent entre économies de marché ; enfin de mettre en évidence quelques-unes des implications de la structure sectorielle de ces échanges sur l'emploi en France et en Allemagne.
Seuls les PECO actuellement liés à l'Union européenne (UE) par des accords d'association sont pris en considération. Ces accords comportent un calendrier d'abaissement progressif des droits de douane et des obstacles non tarifaires, dont l'objectif est l'achèvement d'une zone de libre échange pour les produits manufacturés à la fin de la décennie. Ils ont été signés avec les pays dits du « groupe de Visegrad » (Hongrie, Pologne et Tchécoslovaquie d'alors -- République slovaque et République tchèque aujourd'hui) en 1991, puis par la Bulgarie et la Roumanie au printemps 1993, enfin par les États baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) au cours du premier semestre 1995 ; des accords similaires devraient être prochainement signés avec la Slovénie 33 ( * ) .
I. Les échanges commerciaux de la France et de l'Allemagne avec les PECO
1.1. Commerce extérieur français
Entre 1989 -- année qui précède les transformations politiques en Europe centrale et orientale -- et 1994, la valeur des exportations françaises vers les PECO a plus que doublé, tandis que celle des importations françaises en provenance des PECO ne s'est accrue que de 40 %, c'est-à-dire dans les mêmes proportions que le total des importations françaises (Tableau 1). Alors que les échanges français avec ces pays étaient traditionnellement déficitaires, ils ont été excédentaires au cours des années récentes. Du côté des exportations françaises, les accroissements les plus importants en pourcentage ont été vers l'ex-Tchécoslovaquie, la Pologne et la Roumanie ; du côté des importations, ils concernent d'abord la Pologne, la Bulgarie et les Républiques slovaque et tchèque. La part des ventes françaises aux six PECO considérés dans le total des exportations françaises est passée, durant ces cinq années, de 0,6 à 1,2 % alors que celles des importations en provenance de ces PECO est restée pratiquement stable, oscillant entre 0,8 et 0,9 % des importations françaises. Pour l'ensemble des dix PECO, la part dans le total des ventes françaises à l'étranger s'élevait, en 1994, à 1,5 %, celle des importations à 1,3 %.
Tableau 1 : Echanges commerciaux de la France
avec les PECO, 1989-1994
(millions de dollars US)
Source : FMI, Direction of Trade Statistics, Washington 1995.
Tableau 2 : Echanges commerciaux de l'Allemagne*
avec les PECO, 1989-1994
(millions de dollars US)
* 1989 et 1ère moitié de 1990 seulement l'Allemagne de l'Ouest.
Source : FMI, Direction of Trade Statistics, Washington 1995.
1.2. Le commerce extérieur allemand
Pourtant, le commerce extérieur français est moins intense que celui de l'Allemagne : avec les dix PECO, les exportations françaises ne représentaient, en 1994, que le sixième des exportations allemandes vers ces pays et les importations le septième, alors que le commerce extérieur allemand total n'atteint pas le double de celui de la France. En outre, les échanges de l'Allemagne avec les PECO ont crû davantage, triplant en cinq ans (Tableau 2) : les importations allemandes ont plus augmenté que les exportations ; mais les échanges extérieurs allemands avec ces pays demeurent excédentaires. En 1994, les exportations allemandes vers les dix PECO représentaient 5,2 % du total des ventes de l'Allemagne à l'étranger, les importations 5,5 % des importations allemandes totales.
C'est avec les Républiques slovaque et tchèque, puis la Pologne et la Hongrie -- dans lesquels les réformes et la libéralisation des échanges ont le plus progressé --, que l'accroissement du commerce allemand a été le plus important. Outre l'avancement des réformes, cette progression s'explique sans doute par la proximité géographique et par l'existence de relations commerciales à l'époque du CAEM. En outre, les pays du « groupe de Visegrad » ont tenté de développer leurs exportations en encourageant une dépréciation réelle considérable de leurs monnaies. En revanche, le commerce allemand avec la Bulgarie et avec la Roumanie s'est développé plus lentement.
Cet essor des échanges allemands n'a concerné que l'Allemagne occidentale, ceux de 1'ex-RDA s'effondrant dans le même temps. Les espoirs initialement entretenus de voir l'Allemagne orientale maintenir des flux commerciaux importants avec les pays de l'ex-CAEM -- ses principaux partenaires jusqu'en 1989 --, ce qui aurait facilité son processus de réformes économiques, ne se sont pas concrétisés. En effet, alors que les exportations est-allemandes vers les PECO se sont accrues immédiatement après l'unification économique et monétaire allemande de l'été 1990 -- grâce à la garantie, par le gouvernement fédéral, des engagements antérieurs et au maintien de subventions massives --, elles se sont effondrées avec le démantèlement du CAEM au début de 1991, tout comme les ventes intérieures des entreprises est-allemandes l'avaient fait au cours des mois précédents. Ainsi, les exportations est-allemandes vers les PECO n'atteignent plus que le dixième de leur valeur de 1990.
Si la disparition du CAEM et les difficultés liées, dans les PECO, aux réformes structurelles, expliquent en partie cette contraction des échanges est-allemands, des facteurs d'offre y ont également contribué, et notamment le manque de compétitivité des produits est-allemands : les prix subventionnés ne suffisaient pas à compenser la médiocre qualité et le bas niveau technologique des produits. En outre, les facteurs qui avaient été jusqu'alors, considérés comme des « atouts naturels » de l'Allemagne de l'est -- la connaissance des langues, des cultures et des mentalités locales, de même que la familiarité avec les modalités du commerce dans les pays socialistes -- ont rapidement perdu de l'importance (Lösch et Wohlers, 1994). En quelques mois, et dépit des engagements contractuels existants, les importations est-allemandes en provenance des PECO ont chuté à moins de 30 % de leur valeur de 1990, principalement du fait de la baisse de la production industrielle, qui réduisait la demande de biens intermédiaires, et d'un accès plus facile aux produits ouest-allemands. Avec la reprise de la production en Allemagne orientale, ses importations totales se sont modérément redressées en 1994, mais cette reprise a principalement bénéficié aux pays occidentaux, les achats aux PECO demeurant faibles.
Les pertes de parts de marché des producteurs est-allemands dans les PECO ont, cependant, été plus que compensées par les gains des entreprises ouest-allemandes ; et de même les fournisseurs des PECO ont pu développer leurs ventes en Allemagne occidentale. Au total, l'Allemagne unifiée a, aujourd'hui, avec les pays du « groupe de Visegrad », des liens commerciaux plus intenses que la somme des échanges des deux Allemagne en 1990 avec ces pays. Il convient de souligner que l'essor de ces échanges s'est poursuivi en 1993 en dépit de la chute des importations et des exportations allemandes totales du fait de la récession. Avec la reprise de 1994, le commerce extérieur allemand s'est redressé, les échanges avec les PECO faisant preuve d'un grand dynamisme, notamment les importations en provenance de ces pays.
1.3. Structures par produits
Le Tableau Al (appendice) résume la structure par produits des échanges de la France et de l'Allemagne avec les six principaux PECO en 1993 34 ( * ) . La France qui exporte vers ces pays principalement des machines, du matériel de transport -- en particulier des véhicules, en 1991 et 1992, et des avions --, du matériel électrique, des produits chimiques, des produits agricoles et agro-alimentaires. Pratiquement toutes les industries exportatrices françaises ont accru leurs ventes dans les six PECO, notamment celles des équipements de télécommunication et de véhicules qui ont fortement augmenté, tandis que les aciers et métaux ferreux ont vu leur importance se réduire. Les exportations de l' Allemagne vers ces pays sont relativement plus concentrées sur les biens d'équipement ; mais celles de textiles et de cuir se sont considérablement accrues aussi, du fait de la délocalisation de certains fabrications. Les produits chimiques, agricoles et agro-alimentaires sont relativement importants dans les exportations allemandes que dans celles de la France.
Au contraire, les PECO vendent essentiellement des biens de consommation, les principaux postes étant l'habillement, les produits agro-alimentaires et les meubles. Les catégories ayant enregistré les accroissements les plus importants l'habillement, les matériels électriques et les véhicules automobiles, tandis que leurs ventes de minerais ont décru en valeur absolue, au total et vers la France ; que celles de produits agricoles et agro-alimentaires ont stagné, et donc perdu de l'importance relative, vers les deux pays. En résumé, on peut dire que, dans les exportations totales des six PECO vers la France et l'Allemagne, la part des matières premières et des biens de production à forte intensité capitalistique s'est réduite, tandis que celle des biens incorporant beaucoup de main-d'oeuvre -- et, dans une certaine mesure, de certains biens d'investissement à fort contenu technologique, comme les matériels électriques et les véhicules automobiles -- s'est accrue. Ces tendances indiquent sans doute les secteurs compétitifs des PECO dans des conditions de marché, tels qu'on peut les identifier également à l'aide des Avantages comparatifs révélés (AAR) dans les échanges de la France et de l'Allemagne avec ces pays, qui sont présentés dans les Tableaux A7 et A8 de l'Appendice.
La structure des exportations de chacun des six PECO étudiés à la France et à l'Allemagne est résumée dans les Tableaux A9 et A10 de l'Appendice. C'est aujourd'hui la Roumanie qui fournit à la France et à l'Allemagne la gamme la moins diversifiée de produits, ses exportations étant très concentrées dans l'agro-alimentaire et le textile, la Bulgarie étant elle aussi spécialisée dans ces deux catégories de produits. L'habillement est aussi le premier poste des ventes polonaises et hongroises à la France et l'Allemagne, suivi, dans le cas de la Pologne, par les meubles, l'agro-alimentaire et les produits des industries métallurgiques et, dans le cas de la Hongrie, par les matériels électriques et les produits agro-alimentaires. L'ensemble de l'ex-Tchécoslovaquie a des ventes plus diversifiées, qui incluent principalement des produits des industries métallurgiques, des équipements mécaniques, de l'habillement, de l'acier et des métaux ferreux, des matériels électriques et des produits des industries automobiles. Dans le cas des importations françaises en provenance de Bulgarie et de Hongrie, les produits chimiques tiennent aussi une place importante. L'essentiel des importations françaises de matériels électriques en provenance des six PECO était, en 1993, fourni par la Hongrie et les Républiques slovaque et tchèque, de même que -- mais dans l'ordre inverse -- l'essentiel des produits des industries automobiles, Pologne venant en troisième place pour ces produits.
On dispose aussi de données par catégories de produits pour l'année 1'année 1993 pour la République slovaque et la République tchèque séparément, ainsi que pour les États baltes et la Slovénie (Tableaux A11 à A13 de l'Appendice). Il apparaît que la République tchèque concentre, à elle seule, l'essentiel du commerce extérieur de l'ex-Tchécoslovaquie, la République slovaque ne représentant qu'un cinquième du total, et exportant principalement de l'habillement, du textile et des chaussures, ainsi que des aciers et métaux ferreux. Le commerce avec les États baltes est, pour l'heure, extrêmement réduit, la France en important surtout des huiles minérales, l'Allemagne important également des métaux non ferreux, de l'habillement, du bois (de Lettonie) et des produits chimiques (de Lituanie). Les échanges de la France avec la Slovénie sont essentiellement constitués, dans les deux sens, de véhicules automobiles, tandis que ceux de l'Allemagne sont dominés par les transactions liées à la sous-traitance dans le textile et l'habillement, avec, en outre, des importations relativement importantes de matériels électriques.
2. Les déterminants des flux bilatéraux : un modèle de gravité
Pour effectuer des projections des échanges commerciaux avec les PECO, il faut pouvoir se faire une idée de ce que serait la structure « normale » de ces échanges dans un environnement de marchés libéralisés et relativement stabilisés. Nous avons choisi de recourir au « modèle de gravité », qui cherche à expliquer les volumes des échanges bilatéraux par (i) les produits nationaux des deux partenaires, considérés comme un indicateur des offres et des demandes respectives et (ii) un certain nombre de facteurs favorisant -- la proximité culturelle, une langue commune, des liens historiques ou l'appartenance à une zone commerciale régionale -- ou, au contraire, inhibant -- les coûts de transport, les barrières douanières et non tarifaires --les échanges.
Initialement proposée par Linnemann (1966), l'hypothèse de base de ces modèles s'est révélée empiriquement très fructueuse. Elle a également été combinée, dans les études sectorielles, avec celle des dotations de facteurs (par exemple, Leamer, 1974 ; Soete, 1987). Au cours des années récentes, cette approche a bénéficié d'un regain d'intérêt, d'une part dans l'analyse des tendances au régionalisme dans le commerce mondial (notamment, Frankel, 1992 ; Frankel et Wei, 1993 ; Saxonhouse, 1993 ; Dhar et Panagariya, 1994), d'autre part pour estimer les échanges potentiels avec les PECO à la suite des bouleversements politiques et économiques qui s'y sont produits (notamment, Havrylyshyn et Pritchett, 1991 ; Wang et Winters, 1991 ; Winters et Wang, 1994 ; Baldwin, 1994 ; Vittas et Mauro, 1994 ; Festoc, 1995).
Les résultats d'un projet de recherche mené au DIW et appliquant l'approche en termes de gravité pour estimer le potentiel des échanges entre les PECO et les pays de l'OCDE ont été présentés dans Schumacher (1995). Les flux bilatéraux y étaient estimés en fonction du Produit national brut (PNB) et de la population de chacun des pays, ainsi que de variables indiquant l'existence d'une frontière commune, l'appartenance commune à une zone commerciale régionale (CE, AELE, CUSTA), l'usage d'une langue commune et l'existence passée de liens coloniaux. Les estimations concernaient le commerce total, le commerce de biens manufacturés et le commerce par branche manufacturière. Il ressort aussi de cette étude que les estimations qui n'incluent, comme variables explicatives, que le PNB, le revenu par tête et la distance géographique un pouvoir explicatif presque aussi bon, tant pour les flux commerciaux agrégés que pour les échanges par branche, du moins lorsque l'échantillon comprend l'ensemble des pays de l'OCDE : la hiérarchie sectorielle des élasticités des volumes échangés par rapport au revenu et à la distance ne sont, dans ce cas, que très peu modifiées par la prise en compte des variables indicatrices.
Toutefois, la valeur estimée de l'élasticité par rapport à la distance est sensiblement plus élevée dans les régressions qui n'incluent que les principales variables explicatives, ce qui montre que des variables indicatrices telles que celle qui traduit l'existence d'une frontière commune ou l'appartenance commune à une zone commerciale régionale capturent une partie de l'impact de la distance. En ce qui concerne l'Allemagne, par exemple, il se trouve que les partenaires commerciaux qui ont un revenu national élevé sont aussi, le plus souvent, ceux qui sont géographiquement proches et appartiennent à l'Union européenne ; de même, frontière commune et langue commune coïncident souvent ; liens coloniaux et langue commune encore plus fréquemment : l'interprétation des coefficients de l'équation complète est donc délicate, dans la mesure où les variables explicatives ne sont pas indépendantes les unes des autres.
Dans ce chapitre, nous utilisons donc la forme « réduite », l'hypothèse étant d'expliquer la structure de long terme des flux bilatéraux entre économies de marché par leur PNB respectif, la distance qui les sépare et leurs dotations respectives en facteurs de production, appréhendées indirectement par le revenu par tête. Les résultats présentés ici confirment ceux des travaux antérieurs : les flux agrégés sont très bien expliqués à l'aide de ces variables ; en revanche, les flux par catégories de produits le sont beaucoup moins bien, sauf à introduire dans les équations un grand nombre de variables représentatives des dotations susceptibles de capturer les avantages comparatifs sectoriels. L'équation « réduite » est toutefois suffisante pour prévoir le signe des changements d'avantage comparatif en fonction du revenu par tête du pays fournisseur.
Pour évaluer la structure « normale » des flux d'échanges entre économies de marché, la spécification suivante a donc été estimée :
où X ij représente les ventes du pays i au pays j ; Y i le PNB du pays fournisseur i ; Bi la population du pays fournisseur i ; Y j le PNB du pays de destination j ; B j la population du de destination j ; D ij la distance, en miles, séparant les centres économiques des pays i et j.
Les équations ont été estimées pour les valeurs moyennes, entre 1988 et 1990, des exportations et des importations de 22 pays de l'OCDE avec 70 pays -- les mêmes 22 et 48 pays en développement, dont le commerce avec ces pays de l'OCDE est important. Des coefficients ont, en outre, été estimés séparément pour le commerce de la France et de l'Allemagne avec chacun des 69 autres pays de l'échantillon, à l'aide des équations suivantes :
pour les exportations, i étant soit la France soit l'Allemagne, et
pour les importations, j étant soit la France soit l'Allemagne.
Dans les équations d'exportations par pays, l'impact des variables caractérisant le pays fournisseur est capturé par la constante ; il en va de même pour les variables caractérisant le pays de destination dans les équations d'importations de chacun des deux pays. Ces équations sont estimées pour l'ensemble des biens, les biens manufacturés et chacune des catégories de produits 35 ( * ) .
Les données de PNB par tête et de population sont celles de l'année 1989, telles que publiées dans le Rapports sur le développement de la Banque mondiale. La distance entre pays a été évaluée par la distance à vol d'oiseau entre leur centre économique respectif -- la capitale administrative, le plus souvent, sauf pour l'Allemagne de l'ouest (Francfort a. M.), l'Australie (Sidney), le Brésil (Rio de Janeiro), le Canada (Montréal), les Etats-Unis (Kansas City 36 ( * ) ), l'Inde (Bombay) et le Pakistan (Karachi).
Les régressions multiples pour les flux commerciaux agrégés des pays de l'OCDE produisent des résultats conformes à ceux des études précédentes quant aux signes et à la significativité des coefficients des variables (Tableau 4) : les échanges bilatéraux sont d'autant plus importants que les revenus nationaux respectifs sont élevés et que la distance géographique séparant les deux pays considérés est faible. Les résultats concernant les flux bilatéraux d'échanges de produits manufacturés sont assez similaires. Le pouvoir explicatif des équations estimées est très élevé dans le cas des exportations des pays de l'OCDE (R 2 = 0,8), mais médiocre dans le cas de leurs importations (R 2 = 0,5) -- l'omission des variables représentant les dotations de facteurs étant particulièrement dommageable dans l'explication des importations en provenance des pays en développement.
Les résultats des équations d'exportations et d'importations -- agrégées et de produits manufacturés -- de la France et de l'Allemagne (Tableau 3) montrent que les échanges de ces deux pays dépendent beaucoup du PNB du pays partenaire et de distance géographique. En revanche, son revenu par tête ne joue un rôle significatif pour que les exportations allemandes ; les échanges extérieurs français apparaissent, quant à eux, moins sensibles au PNB du partenaire, et relativement plus à la distance que les échanges extérieurs allemands.
Tableau 3 : Résultats des régressions pour le commerce avec 70 pays
Note : (1) Indique un niveau de significativité de 99 %, (2) Indique un niveau de significativité de 95 %.
Source : Calculs de l'auteur pour la méthode et les données cf. texte.
Au niveau des catégories de produits -- désagrégés selon la nomenclature ISIC à trois chiffres --, la qualité des estimations est, dans la plupart des cas, bien moindre : les valeurs de R 2 sont comprises entre 0,3 et 0,8, et les coefficients estimés varient considérablement. En règle générale, le pouvoir explicatif est très médiocre pour les échanges de produits à fort contenu de matières premières ou à fort contenu de main-d'oeuvre, tels que les produits agro-alimentaires, le textile, l'habillement, les produits en cuir, les produits en bois, les métaux non ferreux et les autres biens manufacturés (instruments de musique, jouets, articles de sport et bijoux). Cette faiblesse est attribuable à la seule utilisation de la variable de revenu par tête comme indicateur de dotation de facteurs, au détriment de toutes autre. En outre, des valeurs des élasticités par rapport au revenu et à la distance beaucoup plus élevées que sur données plus agrégées sont obtenues pour les produits de certaines branches.
Dans le Tableau A15 (Appendice), les résultats concernant tous les pays de l'OCDE sont présentés pour ces mêmes catégories de produits, ordonnés selon la valeur estimée du coefficient de chacune des variables (la valeur du t de Student est également indiquée). Il apparaît que la distance et le PNB sont des déterminants significatifs de tous les flux bilatéraux ; il en va de même, dans la plupart des cas, pour le revenu par tête. Mais les valeurs estimées des coefficients varient considérablement d'une catégorie de produits à l'autre, et entre les exportations et les importations.
En général, les exportations apparaissent plus sensibles à la distance que les importations. Du côté des exportations, ce sont les produits agro-alimentaires, les biens d'équipement, les matériels électriques et les instruments de précision qui sont affectés des coefficients -- négatifs -- les plus faibles pour la distance ; du côté des importations, il en va de même pour les « autres produits manufacturés », le textile et les matières plastiques. Il apparaît ainsi que les échanges des pays de l'OCDE des pays géographiquement éloignés sont surtout des exportations de biens d'investissement et des importations de biens de consommation, reflétant une division internationale classique du travail. Par ailleurs, les produits de base -- huiles minérales, aciers et métaux ferreux, « autres minerais non ferreux » et métaux non ferreux -- sont échangés principalement entre pays voisins, ce qui vaut aussi pour les importations de matériels de transport.
Les résultats pour les flux par catégories de produits de la France et de l'Allemagne sont présentés dans les Tableaux A16 et A17 (Appendice). Les exportations françaises paraissent dépendre significativement du PNB et de la distance du pays importateur, sauf pour les produits en cuir et l'habillement. Le revenu par tête du pays importateur n'a un impact significatif que pour les exportations françaises de certains biens de consommation -- chaussures, produits en cuir, habillement, poterie, « autres produits manufacturés », textile, et produits en verre. Les exportations allemandes sont elles aussi significativement dépendantes du PNB et de la distance du pays importateur pour toutes les catégories de produits, et le revenu par tête est significatif dans presque tous les cas.
Les importations françaises et allemandes sont, pour tous les produits, déterminées par le PNB du pays fournisseur ; mais la distance n'a une influence significative que pour les importations d'huiles minérales, de biens d'équipement et de matériels électriques, ainsi que pour les importations françaises d'acier et de métaux ferreux, et pour les importations allemandes de matériels d'imprimerie et d'instruments de précision. Le revenu par tête du pays fournisseur a une influence significative sur les importations françaises et allemandes de biens d'équipement et de matériels électriques, sur les importations françaises de produits en caoutchouc, et sur les importations allemandes d'instruments de précision, de matières plastiques et de produits chimiques.
Globalement, les résultats confirment que les exportations sont plus sensibles à la distance géographique que les importations.
3. Le commerce de la France et de l'Allemagne avec les PECO
Afin d'estimer les échanges potentiels de la France et de l'Allemagne avec les PECO, nous nous appuyons sur les résultats décrits ci-dessus : pour les flux totaux, ceux des régressions concernant la France et l'Allemagne ; pour les catégories de produits, les résultats des équations estimées sur l'ensemble des pays de l'OCDE, qui semblent constituer une base plus robuste pour évaluer les changements de structure du commerce des PECO en fonction de leur revenu par tête.
Outre la distance, le déterminant le plus crucial du commerce potentiel avec les PECO est le niveau du PNB. Or, le processus d'élaboration d'un système de comptabilité nationale à l'occidentale n'en est encore qu'à ses débuts dans ces pays, de sorte qu'il subsiste des écarts importants entre les différentes évaluations. Le Tableau 4 compare les estimations les plus récentes publiées par la Banque mondiale pour l'année 1992 à celles fournies, pour des années antérieures, par plusieurs autres sources : relativement cohérents avec ceux de la CSFB, les chiffres de la Banque mondiale sont très inférieurs à ceux de la CIA ; il est vrai que le niveau actuel du PNB est probablement en deçà de celui de la fin des années quatre-vingt, dans la mesure où une fraction importante du capital physique et humain a perdu de sa valeur au cours de la transition vers des économies de marché. Il se peut même que les données les plus récentes de la Banque mondiale surestiment encore le niveau de développement de certains PECO -- mais sans doute pas celui des pays du « groupe de Visegrad » (Lösch et Wohlers, 1994). On peut cependant considérer qu'il s'agit d'une référence assez réaliste.
Tableau 4 : Données de base pour les PECO
Sources : World Bank, World Tables 1994, Washington (D.C.) 1994 ; World Bank, World Development Report, various issues ; Lösch and Wohlers (1994) : 151 ; Wang and Winters (1991) : 45 ; calculs de l'auteur.
Selon la Banque mondiale, le niveau du revenu par tête en Hongrie, en Pologne et dans l'ex-Tchécoslovaquie en 1992 atteignait environ le dixième de celui de l'Allemagne occidentale, soit approximativement le niveau de la Turquie et des pays en développement à revenu moyen (Chili, Iran, Thaïlande ou Panama, par exemple) ; celui de la Bulgarie et de la Roumanie était deux fois moindre, soit un vingtième du revenu par tête en Allemagne de l'ouest, ou encore le niveau atteint par les moins riches parmi ceux que l'on classe dans les pays en développement à revenu moyen (Colombie, Equateur, Jamaïque, Maroc ou Paraguay, par exemple). Selon la CIA, au contraire, le revenu par tête dans les PECO égalait, à la fin des années quatre-vingt, celui de pays plus développés comme l'Espagne, Hongkong, l'Irlande, Israël ou Singapour.
Les estimations initiales des échanges de la France et de l'Allemagne avec les PECO sont fondées sur les données Banque mondiale pour 1992 et reflètent le niveau moyen des flux bilatéraux des années 1988-1990 (Variante I). Comparer ces chiffres avec ceux effectivement observés en 1992 nécessite qu'on leur applique un taux de croissance, correspondant à l'augmentation des flux totaux d'échanges extérieurs de chacun des deux pays entre la période de référence et 1992, mesurés en dollars courants : pour la France, les exportations ont été augmentées de 28 % et les importations de 19 % ; pour l'Allemagne -- incluant désormais l'Allemagne orientale --, les exportations ont été augmentées de 22 %, les importations de 42 % (Variante Ia).
Mais le revenu par tête des PECO en 1992 était bien en deçà du niveau auquel on s'attendrait étant donné leur capital humain et la relation observée, en moyenne, dans les économies de marché, entre l'offre de capital humain -- évaluée par le nombre moyen d'années d'études de la population (Schumacher, 1995) -- et le revenu par tête 37 ( * ) . Dans un deuxième temps, nous avons donc, sur la base de cette relation observée, fait l'hypothèse que le potentiel des PECO dans un régime d'économie de marché correspondait à un triplement de leur revenu par tête (Variante II).
Dans un troisième temps, on a, en outre, supposé qu'avec la reprise en Allemagne orientale, le centre de gravité économique de l'Allemagne tendrait, à long terme, à se déplacer vers l'est (Variante III) : dans les estimations, on a remplacé la distance géographique à Francfort a. M. par celle à Berlin, ce qui aboutit à rapprocher la Pologne de 36 %, la Russie de 17 %, et les autres PECO d'un pourcentage bien moindre -- entre 4 et 8 %.
Tableau 5 : Valeurs estimées des exportations et des importations françaises et allemandes avec les PECO
(milliards de dollars-US)
Source : Calculs DIW ; pour la méthode, cf. texte.
Les estimations des flux commerciaux potentiels de la France et de l'Allemagne avec les PECO sous les différentes hypothèses sont résumés dans le Tableau 5. Lorsque l'on compare ceux de la Variante la -- simple actualisation en fonction de la croissance constatée des échanges extérieurs français et allemands entre 1988-1990 et 1992 --, on constate que les niveaux effectivement atteints par les flux bilatéraux diffèrent très sensiblement de ceux estimés pour 1992 (Tableau 6). Ainsi, même en 1994, le commerce de la France avec les six PECO considérés atteignait à peine 40 % du potentiel estimé, en dépit de l'accroissement constaté depuis 1989. Au contraire, les échanges de l'Allemagne avec ces pays excédaient déjà les niveaux potentiels estimés en 1992, et plus encore en 1994, notamment avec la Pologne, l'ex-Tchécoslovaquie et la Hongrie, tandis que ceux avec la Bulgarie -- sauf les importations en provenance de ce pays, très en retrait -- et la Roumanie étaient alors proches de leur potentiel estimé.
Tableau 6 : Flux bilatéraux effectifs en pourcent du potentiel
Source : Calculs DIW.
Selon ces estimations, on peut donc conclure que le potentiel de développement des échanges bilatéraux entre la France et les six PECO considérés est très important, même dans l'hypothèse de niveaux de revenu par tête proches de ceux observés en 1992. Pour ce qui est des échanges allemands, qui excèdent déjà leur potentiel actuel, seul une croissance très soutenue du revenu par tête dans les six PECO (Variante II, avec triplement du niveau) ou, dans le cas de la Pologne, un déplacement vers l'est du centre de gravité économique de l'Allemagne (Variante III) seraient susceptible d'engendrer un essor ultérieur sensible des flux bilatéraux.
Aujourd'hui, les principaux partenaires commerciaux de l'Allemagne sont les Républiques slovaque et tchèque (ensemble), puis la Pologne et la Hongrie. C'est également le classement obtenu dans nos estimations. Avant les changements politiques à l'est, seule, parmi les six PECO considérés, la Hongrie avait, avec l'Allemagne, des échanges commerciaux « normaux », alors que ceux de la Pologne et, plus encore, de la Tchécoslovaquie étaient très inférieurs au potentiel. La Hongrie, bien que plus petite et plus éloignée que la Tchécoslovaquie, était alors un partenaire commercial plus important de l'Allemagne. Depuis lors, la plus grande ouverture traditionnelle de la Hongrie vers l'ouest s'est estompée. Quant à la Pologne qui, avec près de 40 millions d'habitants, est de loin le plus grand des pays du « groupe de "Visegrad », son commerce avec l'Allemagne ne devrait, selon nos estimations, dépasser celui des Républiques slovaque et tchèque réunies que dans l'hypothèse où le développement de l'Allemagne orientale se renforcerait, le centre de gravité économique allemand se rapprochant alors de la Pologne.
Le bas niveau des estimations de flux bilatéraux des PECO est très tributaire de la faiblesse actuelle de leur production et de leur revenu. Pour la même raison, les estimations fondées sur les données CIA d'avant 1990 tendaient généralement à indiquer un potentiel commercial entre les pays du CAEM et l'OCDE beaucoup plus élevé que les valeurs observées, ce que l'on attribuait alors aux conséquences de choix politiques. Mais on pourrait également supposer que les revenus réels des pays du CAEM étaient déjà bas par rapport à ceux des économies occidentales de marché. En tout état de cause, s'il y avait retard au potentiel, il a, dans le cas échanges avec l'Allemagne, été rapidement comblé et tout essor ultérieur des flux bilatéraux correspondants dépendra de la croissance future de ces pays, tandis que la France ne semble pas avoir épuisé son potentiel d'échanges au niveau actuel de leurs revenus.
La structure sectorielle des échanges de la France et de l'Allemagne avec les six PECO considérés est, elle aussi, déterminée essentiellement par les importants écarts de revenus par tête et de salaires, ainsi que la relativement bonne situation de ces pays en matière de capital humain. Les avantages comparatifs sectoriels peuvent être dérivés de nos estimations à partir des élasticités des exportations et des importations des différentes catégories de produits par rapport au revenu et à la distance (cf. Tableaux A15 à A17) : les PECO devraient, en effet, devenir des marchés d'exportation d'autant plus importants que l'élasticité des exportations du produit considéré par rapport au revenu du pays importateur (b 3 + b 4 dans l'équation d'exportations) est faible et que l'élasticité par rapport à la distance (b 5 dans l'équation d'exportations) est élevée ; de même, dans les importations de la France et de l'Allemagne, les ventes des PECO devraient représenter une part d'autant plus importante pour les produits dont l'élasticité des importations par rapport au revenu du pays fournisseur (b 1 + b 2 dans l'équation d'importations) est faible et dont l'élasticité par rapport à la distance (b 5 dans l'équation d'importations) est forte.
Par comparaison avec la structure des échanges des pays de l'OCDE (cf. Tableau A15), il apparaît que le bas niveau du revenu national des PECO tend à privilégier les exportations françaises et allemandes d'équipement, d' »autres produits chimiques », de produits agro-alimentaires, de matériels électriques, de métaux non ferreux et de produits chimiques, c'est-à-dire principalement de biens d'investissement et de produits chimiques. De même, du côté des exportations des PECO, le faible niveau de leur revenu semble favoriser les produits agro-alimentaires, l'habillement, les produits en bois, le textile, les « autres produits manufacturés » et les meubles, c'est-à-dire principalement des biens de consommation. Du fait de la proximité géographique de l'Allemagne, les échanges des PECO avec ce pays incluent davantage d'huiles minérales, d'acier et de métaux ferreux et d' » autres produits minéraux non métalliques », dans les deux directions ; davantage d'importations allemandes de chaussures, de produits en bois et de meubles ; et davantage d'exportations de véhicules et de papier. Ceci vaut particulièrement pour les échanges allemands avec les Républiques slovaque et tchèque, et, un peu moins, pour la Hongrie, la Pologne, la Bulgarie et la Roumanie -- dans l'ordre de distance croissante de Francfort a. M.
Avec la croissance du revenu national des PECO, la structure sectorielle des échanges devrait se modifier. Les pays de l'OCDE devraient exporter davantage de chaussures, de produits en cuir, d'habillement, de meubles et de produits en bois (l'élasticité b 4 dans les équation d'exportations étant relativement plus élevée pour ces catégories de produits). En revanche, ils devraient importer davantage d'huiles minérales, de matières plastiques, d'instruments de précision, de véhicules, d'acier et de métaux ferreux, et d'équipement (l'élasticité b 2 dans les équations d'importations étant relativement élevée pour ces catégories de produits). En résumé, plus le pays partenaire a un revenu élevé, plus les pays de l'OCDE en importent des biens d'investissement, moins ils en importent des biens de consommation ; et c'est l'inverse du côté des exportations de l'OCDE vers ces pays. Ainsi, avec la croissance dans les PECO, la division intersectorielle du travail devrait progressivement s'estomper, tandis que la division intrasectorielle se renforcerait.
4. Structures sectorielles des échanges et emploi
Au cours des prochaines années, cependant, on peut s'attendre à ce que perdure une importante division intersectorielle du travail : l'essor des échanges avec les PECO entraînera donc vraisemblablement des changements dans les structures sectorielles de la production et de l'emploi en France et en Allemagne, qui auront des répercussions régionales et affecteront les demandes de facteurs de production. D'une part, en effet, l'emploi bénéficiera de l'accroissement des exportations vers les PECO ; mais d'autre part, les producteurs français et allemands seront soumis à une concurrence plus intense des importations en provenance de ces pays. Étant donné leur niveau actuel de revenu et de développement, les PECO constituent avant tout des concurrents des pays en développement ; mais, en raison de leur proximité géographique, ils disposent d'atouts potentiels dans la division internationale du travail que des pays plus éloignés n'ont pas.
Le solde des échanges par catégorie de produits fournit une indication sur le signe de l'impact sur l'emploi dans la branche considérée (Tableau A2). Dans le cas du commerce extérieur de l'Allemagne avec les six PECO étudiés, c'est avant tout dans les échanges d'ingénierie mécanique, de véhicules, de textile, de produits chimiques et d'instruments de précision qu'on observe des surplus, au niveau agrégé des six PECO ; au contraire, les déficits les plus importants sont enregistrés dans l'habillement, puis dans les meubles, les produits en bois, enfin dans toute une série de biens de consommation et de production. Dans le cas de la France, la structure des surplus et des déficits est similaire, mais les montants des soldes sont bien moindres. En tout, la France et l'Allemagne dégagent actuellement des surplus dans leurs échanges des marchandises avec les six PECO.
Les études antérieures aux changements politiques intervenus à la fin des années quatre-vingt concluaient généralement que les PECO occupaient, du point de vue des échanges intrasectoriels, du contenu en main-d'oeuvre et en capital humain de leurs exportations vers les pays occidentaux, une position intermédiaire entre les pays en développement et les pays de l'OCDE (Sapir et Schumacher, 1985 ; Schumacher, 1989). Les travaux menés plus récemment au DIW et portant sur la structure par produits des échanges de la France et de l'Allemagne avec les PECO jusqu'en 1993 confirment ces conclusions.
Pour estimer les impacts sectoriels sur l'emploi et le capital humain en France et en Allemagne, on utilise des fonctions de production de branche : le contenu total en emploi des exportations est calculé selon la formule : où x i représente la part de la branche i dans le total des exportations et l i la valeur moyenne du ratio travail/output dans la branche considérée. On calcule de même le contenu en capital humain des exportations. L'emploi est mesuré en heures travaillées, le capital humain par le coût salarial par heure travaillée, et l'output par la production brute 38 ( * ) . L'hypothèse sous-jacente est donc que les différences intersectorielles de coûts salariaux horaires ne reflètent que les écarts de qualification moyenne de la main-d'oeuvre 39 ( * ) . Le contenu en main-d'oeuvre des importations est calculé de la même manière, en remplaçant les x i par des m i , c'est-à-dire la part de la branche i dans le total de la production nationale du produit concurrent de l'importation correspondante, ce qui suppose que les biens importés peuvent être produits dans le pays importateur et qu'une unité des uns peut être exactement substituée à une unité produite nationalement. Le contenu en emploi des importations peut ainsi être interprété comme l'emploi perdu du fait du remplacement de la production dans le pays importateur par des importations. La différence entre les structures des contenus en emploi des exportations et des importations donne une indication du changement de la structure de l'emploi engendrée par une augmentation, d'une même montant, des exportations et des importations ; ce changement est d'autant plus important que les structures par produits des importations et des exportations diffèrent et que les fonctions de production des branches diffèrent.
Les chiffres présentés dans le Tableau 7 sont obtenus en divisant le contenu en facteur des exportations de la France et de l'Allemagne vers chacun des pays ou chacune des zones indiqués en ligne par le contenu en facteur des importations françaises et allemandes en provenance de cette entité, étant donné la structure par produits des échanges extérieurs français et allemands de l'année 1993. Il en ressort que le contenu en emploi des exportations françaises et allemandes vers les PECO est moindre que celui des importations en provenance de ces pays ; et qu'en termes de capital humain, c'est l'inverse. Une expansion équilibrée des échanges avec les six PECO considérés engendrerait donc une certaine contraction de l'emploi en France et en Allemagne, mais la productivité moyenne de la main-d'oeuvre dans l'ensemble de l'économie s'accroîtrait du fait de la modification induite de la structure par branche de la production nationale dans chacun des deux pays. La demande de capital humain s'en trouverait accrue, les pertes d'emploi étant concentrées dans les branches les plus utilisatrices de main-d'oeuvre peu qualifiée, tandis que la demande de main-d'oeuvre qualifiée augmenterait.
Tableau 7 : Contenu en emploi et en capital humain
des flux commerciaux avec les différents PECO et groupes de
pays
(Ratio exportations/importations)
Sources : Eurostat, Structure et activité de l'Industrie. Enquête annuelle. Principaux résultats 1988/89, et Eurostat, Labour Cost Survey 1988 ; DIW Foreign Trade Data. Pour la méthode de calcul, voir texte.
Les effets de ces modifications induites de la structure par branche de la production nationale en France et en Allemagne sont confortés par le renforcement de la division intrasectorielle du travail, selon la même logique : les processus de production les plus standardisés et les plus riches en main-d'oeuvre se déplaceraient vers les PECO, notamment dans les branches pour lesquelles la proximité géographique importe. Ainsi, sous-traitance par des entreprises allemandes s'est considérablement développée au cours des années récentes, en particulier dans le textile, l'habillement, le cuir, ou encore l'électro-ménager (Möbius, 1995). De même, dans l'automobile, les constructeurs allemands ont commencé d'inclure les PECO dans leur division interne du travail. Il se peut que des industries produisant des biens d'investissement poursuivent des stratégies similaires, ce qui accroîtrait la division du travail avec les PECO dans le domaine des biens intermédiaires.
Ainsi, les changements structurels induits en France et en Allemagne par l'essor des échanges avec les PECO nécessiteraient une amélioration moyenne du niveau de qualification de la main-d'oeuvre, renforçant une tendance de long terme observée dans l'ensemble des pays industrialisés.
L'impact des échanges avec les PECO sur ces changements structurels est, évidemment, plus fort en Allemagne qu'en France, même si le poids total des PECO dans le commerce extérieur allemand est actuellement encore modeste : les exportations totales vers les six PECO ne représentent que 0,84% du PIB allemand, les importations en provenance de ces pays que 0,73 % ; pour la France, les chiffres correspondants ne sont que de 0,18 % et 0,14 % respectivement. Toutefois, dans quelques secteurs, les PECO jouent un rôle non négligeable (Tableau A18, dans l'Appendice). En Allemagne, les ventes des six PECO atteignent entre 10 et 20 % des importations totales d'habillement, de produits en bois, de meubles, d'engrais, de verre et « autres minerais non métalliques », de métaux non ferreux et d'équipements ferroviaires ; tandis que les exportations allemandes vers ces pays représentent entre 14 et 16 % du total des ventes allemandes à l'étranger de textile et de produits du cuir. Dans le cas de la France, les échanges avec les PECO sont moins significatifs, même dans les secteurs où ces pays sont les plus présents : en 1993, la part des importations en provenance des six PECO dans le total des importations françaises n'atteignait 9 % que pour la construction navale, et entre 4 et 5 % pour les meubles, l'habillement et la poterie ; du côté des exportations françaises, les parts les plus importantes étaient celles des engrais et des pesticides (4%).
Conclusions
Pour résumer, on peut dire que les échanges de la France avec les PECO sont considérablement moindres que ceux de l'Allemagne ; ils ont, en outre, été beaucoup moins dynamiques au cours des années récentes, notamment du côte des importations ; ils demeurent, enfin, bien en-deçà du potentiel estimé selon la méthode de « gravité ». Au contraire, l'Allemagne semble avoir épuisé -- voire dépassé -- son potentiel d'échanges avec les six PECO considérés, grâce à une expansion rapide au cours des années récentes, notamment avec les Républiques slovaque et tchèque, la Pologne et le Hongrie, qui sont géographiquement les plus proches de l'Allemagne et où les réformes sont les plus avancées. L'intensification de la division internationale du travail a été particulièrement sensible dans les branches du textile, du cuir et de l'habillement, sous forme de sous-traitance et de délocalisations, mais aussi dans l'automobile et l'ingénierie électrique. Le commerce extérieur allemand s'est ainsi davantage tourné vers l'est, au détriment de l'ouest. Quant à savoir si les échanges de l'Allemagne avec les PECO retrouveront la place qu'ils occupaient à leur zénith (près de 18 % en 1913), cela dépend beaucoup de la capacité de ces pays à rattraper leur retard en termes de revenu par tête : si le processus de transformation de ces économies progresse et s'il engendre une croissance plus soutenue, le potentiel d'expansion du commerce avec eux est encore substantiel.
En France, les changements structurels induits par les échanges avec les PECO sont, pour l'instant, négligeables ; en Allemagne, ils sont beaucoup plus sensibles, mais l'économie allemande paraît suffisamment forte pour y faire face. D'ailleurs ces changements se sont, dans une large mesure, déjà produits et les effets accroissement ultérieur des échanges allemands avec ces pays devraient être étalés sur de nombreuses années, de sorte que les coûts de l'ajustement ne devraient pas être considérables comparés au PNB allemand. En réalité, l'économie allemande, tout comme celles des autres membres de l'UE, devrait bénéficier de ces changements, même s'ils impliquent l'adoption de politiques davantage inspirées par des considérations de long terme.
Les relations commerciales avec les PECO peuvent être stimulées par des transferts de capitaux et de savoir-faire qui leur permettraient d'accélérer leur développement. Le niveau d'éducation de leur population et l'expérience industrielle de leur main-d'oeuvre constituent des conditions sans doute plus favorables que celles qui caractérisent de nombreux autres pays à revenu intermédiaire, même si les PECO sont aujourd'hui classés au même niveau que ces derniers en termes de revenu par tête.
Mais une expansion ultérieure du commerce avec les PECO devra s'accompagner d'une attitude plus libérale de l'UE à l'égard des importations en provenance de ces pays : ainsi, actuellement, les importations de produits agricoles sont bridées par les dispositions de la Politique agricole commune et les Accords d'association n'ont guère assoupli ces contraintes. En principe, les Accords d'association prévoient une libéralisation progression du régime applicable aux produits industriels ; mais le détail des Accords montre que l'UE a suivi sa pente habituelle : le régime est d'autant moins libéral que les importations sont plus compétitives. Les bénéfices qu'en tireront les PECO dépendront beaucoup de la manière dont les Accords seront appliqués : or, ils laissent une large place à une attitude restrictive dans l'usage des droits de douane sur les produits « sensibles » au-dessus des quantités-plafonds, et dans le recours aux clause de sauvegarde -- quotas ou procédures anti-dumping -- dès lors que l'accroissement des importations est susceptible de « engendrer des dommages sérieux ». Globalement, cependant, les Accords d'association constituent un progrès significatif vers la libéralisation des importations en provenance des PECO, qui devrait permettre à leurs ventes de produits industriels de s'accroître encore, même si la tendance à la libéralisation n'est pas irréversible. Pour l'avenir proche, il semble plus important de s'abstenir de faire jouer les clauses de sauvegarde ou les procédures anti-dumping contre les produits pour lesquels les PECO sont les plus compétitifs, que de viser des réductions ultérieures des droits de douane. Mais à plus long terme, il est certain que l'élargissement de l'UE à ces pays serait la meilleure manière de stimuler le développement d'échanges qui devraient être mutuellement bénéfiques.
Références
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Winters, L.A. and Z.K. Wang (1994), Eastern Europe's International Trade. Manchester/New-York.
Appendice 1
Nomenclature des branches, catégories et classes (ISIC)
Numéro ISIC |
Catégories de produits |
|
100 |
Agriculture, chasse, sylviculture et pêche |
|
200 |
Industries extractives |
|
3 |
Industries manufacturières |
|
31 |
Industries alimentaires, boissons, tabac |
|
321 |
Textiles |
|
322 |
Articles d'habillement |
|
323 |
Cuirs et articles en cuir |
|
324 |
Fabrication de chaussures |
|
331 |
Bois et produits du bois |
|
332 |
Meubles |
|
341 |
Papier et articles en papier |
|
342 |
Imprimerie, édition et industries annexes |
|
351 |
Industries chimiques |
|
3511 |
dont |
Industries chimiques de base, engrais exclus |
3512 |
Engrais et pesticides |
|
352 |
Autres produits chimiques |
|
3522 |
dont |
Fabrication de produits pharmaceutiques et médicaments |
353/4 |
Raffineries de pétrole, fabrication de dérivés du pétrole, du charbon |
|
355 |
Caoutchouc |
|
356 |
Fabrication d'ouvrages en matière plastique non classés ailleurs |
|
361 |
Fabrication de grès, porcelaines et faïences |
|
362 |
Industries du verre |
|
369 |
Fabrication d'autres produits minéraux non métalliques |
|
371 |
Sidérurgie et première transformation de la fonte, du fer, de l'acier |
|
372 |
Production et première transformation des métaux non ferreux |
|
381 |
Fabrication d'ouvrages en métaux, sauf machines et matériels |
|
382 |
Construction de machines, sauf machines électriques |
|
3821 |
dont |
Construction de moteurs, de turbines |
3822 |
Fabrication de machines et matériels agricoles |
|
3823 |
Construction de machines pour le travail du métal |
|
3824 |
Fabrication d'autres machines et matériels pour l'industrie |
|
3825 |
Fabrication de machines de bureau, a calculer, etc |
|
3829 |
Machines et matériels non classés ailleurs |
|
383 |
Fabrication de machines, appareils et fournitures électriques |
|
3831 |
dont |
Machines et appareils électriques industriels |
3832 |
Récepteurs de radio, de télévision, matériel de télécommunications |
|
3833 |
Appareils électro-ménagers |
|
3839 |
Appareils et fournitures électriques non classés ailleurs |
|
384 |
Matériel de transport |
|
3841 |
dont |
Construction navale et réparation de navires |
3842 |
Matériel ferroviaire |
|
3843 |
Véhicules automobiles |
|
3845 |
Matériel aéronautique |
|
3844/9 |
Motocyles et cyles, matériel de transport non classé ailleurs |
|
385 |
Fabrication de matériel médico-chirurgical, instruments de |
|
précision, appareils de mesure et de contrôle, non classés |
||
ailleurs, matériel photographique et optique |
||
390 |
Autres industries manufacturières |
|
00 |
Total |
|
3801 |
Ferrailles, etc. |
|
999 |
Biens ne pouvant être classés ailleurs |
|
00 |
Tous biens |
Appendice 2
Avertissement : Les chiffres présentés dans les tableaux qui suivent sont disponibles sur demande auprès des auteurs. Ils sont issus des données de commerce extérieur du DIW.
CHAPITRE 4
INTÉGRER LES PAYS DE L'EST À L'UNION EUROPÉENNE ? UNE APPROCHE MACROÉCONOMIQUE
Sandrine CAZES, Bruno COQUET, Frédéric LERAIS
La construction européenne ne se réduit pas à l'économie ; elle inclut une composante économique et des actions dans ce domaine. Mais ses causes et ses conséquences sont avant tout historiques, politiques et sociales. La question de l'élargissement procède également de ce schéma : elle suppose un examen des enjeux et des projets politiques qui la sous-tendent, une évaluation des domaines et des niveaux de coopération économique -évaluation qui peut consister à en estimer les coûts et les avantages. Cette étude s'ordonne suivant la hiérarchie ainsi décrite.
L objet de ce travail est d'étudier les effets macroéconomiques d'un élargissement de l'UE 40 ( * ) aux six PECO. Jusqu'à présent de nombreuses études ont mesuré les conséquences partielles d'une telle éventualité, particulièrement sur le plan des flux de financement nécessaires à la transition vers l'économie de marché puis au rattrapage des économies industrialisées, mais aussi sur les aspects de commerce international. Nous prendrons en compte les apports de ces études afin de construire des scénarios d'intégration dont nous testerons ensuite les conséquences macroéconomiques à l'aide d'un modèle de l'économie mondiale 41 ( * ) .
Nous examinerons les enjeux auxquels est confrontée l'Europe dans la perspective de son élargissement (section 1). Pour cela il nous apparaît nécessaire d'effectuer ensuite un bilan succinct des évolutions économiques observées dans les pays de l'Est depuis le début de la transition (section 2). A cet égard, il est intéressant de décrire les obstacles - particulièrement financiers - qui l'ont ralentie, ou ceux - comme le commerce international - qui en ont parfois favorisé le cours. Dans la même optique, la section 3 dresse un bilan des besoins en matière de transferts financiers et des tendances observées depuis le début de la décennie. Elle évalue les conséquences sur les financements communautaires, et les efforts budgétaires à consentir en termes de fonds structurels dans la perspective de l'intégration des PECO à l'UE. La section 4 met l'accent sur les enjeux commerciaux de l'élargissement : elle décrit d'abord les méthodes d'évaluation des flux commerciaux utilisées dans des études antérieures, puis les Accords d'association ; ensuite sont présentés les résultats retenus pour calibrer et quantifier les conditions dans lesquelles s'effectuent les échanges dans notre modèle macroéconomique. Enfin, la section 5 expose les deux scénarios cardinaux que nous avons retenus : l'un se caractérise par des aides faibles et une ouverture commerciale mesurée, l'autre par un volontarisme financier plus appuyé, comparable à celui mis en oeuvre lors des précédentes vagues d'intégration, dans le cadre d'un Grand marché. Les résultats macroéconomiques à l'horizon 2012 de ces deux politiques d'élargissement sont présentés dans cette section, conjointement à la description des scénarios.
1. L'Union européenne dans la perspective de l'élargissement
1.1. Enjeux politiques et problèmes économiques
Depuis la signature du Traité de Maastricht, et après l'intégration de trois nouveaux pays au début des années quatre-vingt-dix, l'avenir de l'Europe s'inscrit dans une double problématique : d'une part, celle de l'Union à quinze, sa raison d'être, son organisation ; d'autre part celle de l'élargissement, c'est-à-dire des limites géographiques, politiques et économiques de l'Europe relativement à son objectif fondateur.
L'enjeu politique de l'intégration des PECO à l'UE peut se décrire de la manière suivante : leur histoire, leur géographie et leurs aspirations destinent-elles ces pays à un rapprochement avec l'Europe occidentale, ou bien doivent-ils demeurer dans la sphère d'influence de la Russie ? Ce choix est fondateur : de la réponse dépendent, non seulement les perspectives de l'Union européenne à moyen terme, mais également les conditions de la transition dans les pays de l'Est.
Ainsi posé, le débat politique semble clair, mais il s'est largement déplacé, et l'on observe que les avancées politiques et institutionnelles récentes de l'Europe s'articulent principalement autour de contraintes économiques hypertrophiées. Cependant, lorsque les décisions économiques viennent à structurer les décisions politiques, les constructions qui en ressortent sont plus fragiles : l'intérêt économique paraît plus volatile que la raison politique. Cette dérive illustre que la finalité originelle de la construction européenne a perdu de sa clarté et de sa force. De fait, le mythe fondateur de l'Europe, la paix par la prospérité et la solidarité, s'est largement dissipé. L'élargissement de l'Europe à l'Est offre l'occasion de remettre en lumière la finalité et l'essence de l'Europe ; les pays peuvent affirmer qu'ils partagent plus que des intérêts : qu'ils partagent un projet. L'Europe de demain, son existence et sa profondeur, ne pourront se construire qu'autour d'un tel projet unificateur.
1.2 Les évolutions de l'idée d'élargissement
Sans retracer l'histoire complète de l'élargissement nous pouvons revenir sur les deux dernières vagues d'adhésions, de l'Europe du Sud, puis des trois pays de l'AELE. L'intégration de la Grèce en 1981, suivie cinq ans plus tard de celle de l'Espagne et du Portugal, depuis longtemps candidats, répondaient en grande partie à des critères de stabilité politique de l'Europe occidentale. Depuis, l'Acte unique a consolidé économiquement cette participation en établissant le Grand marché ; il a également soutenu l'accroissement des transferts financiers destinés à favoriser un rattrapage, par les pays les plus pauvres, des niveaux de vie et de productivité du reste de la CEE. L'intégration récente et apparemment indolore des pays scandinaves et de l'Autriche n'a suscité ni controverse, ni modification institutionnelle particulière, ces pays paraissant accepter sans conditions les termes du Traité de Maastricht. De plus le niveau de développement et de revenu de ces pays, ainsi que leur taille relativement modeste, ont facilité ce rapprochement économiquement indolore.
Pourtant cette deuxième vague d'intégration soulevait des enjeux capitaux qui resurgissent aujourd'hui avec l'éventualité d'un élargissement à l'Est, animant une controverse naguère éludée. D'abord cet élargissement s'est affirmé plus comme une intégration économique que comme une adhésion à un projet européen. Par ailleurs, la Suède, et plus encore la Finlande et l'Autriche, sont des pays symboliques de la guerre froide, et leur intégration est à l'évidence directement liée à l'effondrement de l'Union soviétique 42 ( * ) . Certes, les pays d'Europe centrale et orientale appartenaient au Pacte de Varsovie, les régimes démocratiques y sont encore parfois précaires et les problèmes de nationalités sensibles, mais les dimensions politiques de l'adhésion sont similaires, car elles touchent à une rivalité Est-Ouest encore vive. Sans doute, et heureusement, parce que l'intégration apparaît comme un élément fédérateur effaçant d'anciennes rivalités, ce ne sont pas tellement ces différences d'ordre politique, mais plutôt l'écart de développement économique, qui est le plus souvent allégué pour soutenir ou contester l'intégration des PECO à l'UE.
De ce fait, c'est le processus de rattrapage jusqu'à présent promu par le Traité de Rome et ses évolutions qui est écarté, pour des raisons financières, au profit d'un processus de convergence a priori et prétendument moins coûteuse, et dont la logique politique sous-jacente n'est ni exposée, ni affirmée, mais s'insinue par défaut.
1.3 Objectifs de l'Europe et de l'élargissement
Pour évaluer la validité de la trajectoire de convergence en Europe, il demeure essentiel de se référer à l'objectif fondateur de consolidation de la paix par la prospérité et la solidarité ; il est par extension certainement vain et risqué de chercher d'autres critères et une autre finalité dans la logique de l'élargissement à l'Est.
Aujourd'hui le caractère dominant de l'Europe est l'union douanière. C'est aussi sa réussite principale. Il n'est dès lors pas surprenant que la problématique de l'élargissement porte sur l'intérêt commercial de l'intégration des PECO. Cependant, le commerce n'est pas une fin en soi. Même si l'on observe la résurgence d'un débat quant aux impacts pervers des échanges commerciaux sur tel secteur, ou sur telle catégorie sociale, le commerce international n'est pas au coeur du sujet, tout le monde semblant désormais convaincu de ses bienfaits. C'est donc en termes de niveau de vie, d'emploi, de protection sociale et de solidarité, et donc finalement de coopération, que la progression de l'Europe sera évaluée du point de vue économique.
Le débat ne porte pas sur les avantages de l'ouverture commerciale, mais se situe essentiellement sur les institutions, les transferts de souveraineté et les mécanismes de solidarité à mettre en oeuvre.
Sur le plan économique, ce débat est en rapport direct avec la notion de critères de convergence nominale, leur finalité et leur pertinence ; parce que souscrire à la logique de ces critères trahit une vision de la politique économique, de la subsidiarité, et de la coopération européenne profondément différente de celle contenue dans le Traité de Rome. Il s'agit donc de définir les modalités de la participation aux politiques communes (PAC, fonds structurels, monnaie unique) et de résorber les contradictions qui apparaissent quant aux conditions dans lesquelles doit se développer le libre-échange (concurrence, intervention publique, fiscalité, droit du travail, etc.) et les objectifs qu'on lui assigne à l'intérieur de l'Union (croissance, emploi, baisse des prix, etc.).
Pour l'heure, ces logiques économiques s'articulent autour de trois axes : l'UEM, le Grand marché issu de l'Acte Unique et les Accords d'association. Si elles peuvent apparaître comme les étapes d'un même processus, ces constructions institutionnelles déterminent en réalité des chemins divergents : en effet, elles renferment des niveaux et des degrés très hétérogènes de coopération entre les pays. Les concepts d'Europe à plusieurs vitesses, de cercles concentriques, d'Europe à géométrie variable ou à la carte tentent de concilier cette hétérogénéité. Ces théorisations illustrent pourtant une vision unique de la future Europe : les pays y seraient associés en groupes, ce qui entérinerait la dislocation du projet européen unitaire, c'est-à-dire le jeu de concessions et de solidarités qui était le ciment de la construction initiale. L'Europe ne se déterminerait plus comme un ensemble mais comme un puzzle dont la dernière pièce pourrait être les PECO, la Turquie, Malte, Chypre, etc.
D'une question simple, l'élargissement, découlent donc deux visions de la construction européenne. D'abord celle d'un parcours initiatique où les postulants doivent se discipliner, passer des épreuves, souscrire à des rites et remplir des critères ; ce parcours est sélectif et peut être révisé unilatéralement au cours du temps. Surtout, il repose essentiellement sur les capacités du pays candidat. Au succès des épreuves répond l'accès à des avantages. L'autre vision, reposant également sur une adaptation, est plus pédagogique et suppose un investissement tant du postulant que des pays hôtes ; elle préserve une unité dans le temps et l'espace entre les pays participants, même si dans une première phase ce processus se réalise en apparence au détriment d'approfondissements économiques plus importants entre les pays les plus performants. En effet, une telle logique suppose des approfondissements politiques et sociaux beaucoup plus déterminants pour le projet européen.
Politiquement, l'élargissement pose également le problème de l'opportunité d'une intégration individuelle ou par paquets 43 ( * ) . Une intégration par paquets semble difficilement compatible avec l'assurance que les nouveaux entrants partagent le projet commun, et pose des problèmes concrets tenant aux conditions économiques et sociales rencontrées dans chacun des six pays concernés. Aussi semble-t-il plus approprié de concevoir des adhésions individuelles, même si la possibilité d'adhérer doit être maintenue égale pour tous. D'un strict point de vue économique les pays se répartissent en deux groupes : d'une part la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, d'autre part la Bulgarie et la Roumanie. Ces deux groupes se caractérisent essentiellement par le niveau de leur PIB par tête et leur spécialisation 44 ( * ) ; en outre, les premiers ont conclu entre eux un accord de libre-échange (ACELE). Il en découle que les procédures de rattrapage, les contraintes de convergence et les politiques économiques à appliquer à court terme sont différentes, ainsi que l'horizon temporel de leur intégration.
Nous avons choisi de comparer ici les effets d'un engagement économique frileux ou d'un investissement déterminé de l'Union européenne envers les PECO. Les constructions que nous avons envisagées ne nécessitent pas le partage d'un projet politique commun -auquel ne pourrait cependant échapper une UEM véritablement coopérative.
2. Trajectoires économiques
2.1 A l'Est : des restructurations inachevées
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la récession a frappé les économies en transition avec une intensité inattendue. Dans un premier temps, l'impact de la désintégration du bloc de l'Est et les effets des réformes structurelles ont été largement sous-estimés. L'effondrement du CAEM a d'abord provoqué des chocs d'offre et de demande considérables : ces échanges, qui représentaient 15 à 35 % du PIB des PECO en 1990, furent réduits à néant dès l'année suivante. Mais la réorientation de leurs échanges, vers l'Europe occidentale en particulier, a toutefois permis d'éviter une contraction plus brutale encore, en offrant des débouchés importants aux productions de l'Est 45 ( * ) .
Dans une deuxième phase, la crise de l'économie mondiale à laquelle furent confrontées les réformes était inattendue, surtout avec une telle ampleur, et a considérablement pesé sur la demande adressée aux économies en transition en 1993 ; ajoutée aux dévaluations compétitives de la fin 1993 en Europe du sud, elle a contribué à la stagnation des exportations 46 ( * ) . La concurrence qu'affrontent les produits est-européens s'est exacerbée, tandis que les taux de change réels, initialement très avantageux du fait de la dépréciation exagérée qui avait suivi la libéralisation et la convertibilité des monnaies, se sont appréciés en raison de la forte inflation 47 ( * ) . Sur le marché du travail, le chômage est apparu sans que l'on distingue nettement s'il était le fruit direct de la restructuration ou s'il résultait de la dépression conjoncturelle.
La dégradation de la situation économique et sociale des pays industriels a creusé leurs déficits publics entraînant, de leur point de vue, la restriction de leurs marges de manoeuvre pour apporter l'aide financière promise aux pays en transition. Dans le même temps, le caractère conditionnel des financements des organisations internationales, combiné à la mauvaise conjoncture, a rendu les objectifs fixés aux pays en transition plus difficiles à atteindre.
Si la modernisation est amorcée dans les pays les plus avancés, la restructuration des économies est loin d'être achevée. Cependant, les pays qui ont rapidement adopté les réformes structurelles, bénéficient d'ores et déjà d'une profonde refonte de l'offre : les prix sont maintenant largement établis par des mécanismes de marché ; le commerce extérieur est libéralisé et intense ; les monnaies sont convertibles -ne serait-ce que partiellement. Le rééquilibrage du marché du travail, l'évolution des prix relatifs constituent des symptômes indéniables de l'avancée des réformes. Ces réformes étaient nécessaires, elles n'étaient pourtant pas suffisantes : dans chacun des pays la récession n'est pas forcément le signe que toutes les réformes indispensables ont été engagées, ni a fortiori que la reprise actuelle en est le fruit. Au total, la restructuration de l'offre à venir est encore profonde, de même que celle de l'intervention publique. Le problème est que l'intensification des réformes comporte des risques d'aggravation du coût social de la transition, puisqu'elle augure d'une baisse de l'emploi total et d'une montée tendancielle des taux de chômage et de la pauvreté.
La croissance enregistrée en 1994 ouvre des perspectives encourageantes : dans les pays dont les réformes sont les plus avancées, elle se fonde sur une nette reprise de la demande intérieure. Dans tous les pays à l'exception de la Slovaquie et de la Bulgarie la croissance s'appuie sur une reprise de l'investissement 48 ( * ) . C'est d'ailleurs l'élément le plus encourageant de la conjoncture observée en 1994. Il signale que les anticipations de demande sont favorables, que les entreprises trouvent des moyens de financement, et que l'outil de production se modernise. La consommation privée a également bénéficié d'un regain dans l'ensemble des pays à l'exception encore de la Slovaquie.
L'essor de la demande dans les pays industrialisés à partir de 1993, mais aussi le renouveau des échanges intra-CAEM, ont semble-t-il favorisé la reprise dans les PECO 49 ( * ) . Cette croissance de la demande extérieure est la contrepartie positive directe de la politique d'ouverture au commerce international qu'ont menée les PECO. Elle met en exergue l'importance de l'ouverture extérieure et du renforcement des liens avec l'UE dans la perspective de la transition ; elle induit cependant des craintes chez les pays européens, qui perçoivent parfois les pays de l'Est plus comme un danger concurrentiel que comme une occasion d'accroître leurs débouchés en accédant à un marché de plus de 100 millions d'habitants.
Tableau 1 : Evolutions macroéconomiques dans les peco
Sources : BERD ; UN/ECE. Les données en italique représentent des prévisions ou des chiffres non-définitifs
(1) Taux de croissance réel. (2) Taux de croissance de la consommation privée lorsque le chiffre est disponible.
(3) Taux de croissance de la FBCF Totale. (4) Taux de croissance des prix à la consommation moyenne annuelle.
(5) Taux de chômage. (6) Ratio Solde public/PIB en %.
2.2 A l'Ouest : des craintes à écarter
Après un bref engouement, l'importance des besoins financiers jugés nécessaires pour instaurer un marché et restructurer les entreprises dans les PECO, a rapidement suscité la crainte d'un coût budgétaire considérable pour les pays donateurs. La perspective de l'intégration des PECO à l'UE a exacerbé cette réticence dans les pays européens engagés dans une course à la réduction des déficits publics pour satisfaire aux critères d'entrée dans l'UEM.
Derrière cette crainte se profile l'idée classique selon laquelle l'épargne est supposée insuffisante pour financer la croissance, à l'Est comme à l'Ouest. Dans ce contexte, une dégradation du déficit budgétaire provoquerait ipso facto une hausse des taux d'intérêt, défavorable à la croissance 50 ( * ) . Mais ces craintes s'appuient sur des hypothèses borgnes : si l'on suppose que les autorités monétaires ont une aversion pour l'inflation, les taux d'intérêt courts n'augmenteront qu'en présence de tensions inflationnistes or, un déficit public n'est inflationniste que dans une situation de plein emploi des capacités de production. Ce n'est vraisemblablement pas le cas aujourd'hui, ni à l'Ouest ni à l'Est, comme en témoigne la faiblesse de la demande privée. Pour éviter d'alourdir le service de la dette, les autorités monétaires privilégient une réduction des déficits publics, alors qu'il apparaîtrait préférable de diminuer le taux d'intérêt afin de ne pas accentuer le déficit de demande. Outre les doutes que l'on peut avoir à l'égard de la mécanique entre déficits publics et aide aux PECO, la faiblesse des flux alloués à l'Est ne peut guère influencer les évolutions de déficits publics à l'Ouest, ni celles des taux d'intérêt. La plupart des travaux continuent de souligner l'importance des transferts de capitaux pour favoriser la dynamique de restructuration. En particulier, l'optique de l'intégration des PECO à l'UE s'articule autour de la nécessité de tels transferts, afin de favoriser le rattrapage et la convergence de ces pays vers les normes de l'Europe de l'Ouest. De la même façon, il est apparu que la crainte d'un report des financements jusqu'alors alloués aux pays en développement sur les pays de l'Est en raison de leur proximité de l'Europe et de leur spécialisation était non fondée. De fait, les financements à l'Est n'ont pas été très importants, tandis que certaines zones en développement, notamment l'Asie du sud-est, ont enregistré des entrées de capitaux particulièrement élevées.
Parmi les craintes qui se sont développées dans les pays européens, celle d'une concurrence exacerbée, dans un contexte d'offre excédentaire, a entraîné une attitude prudente devant l'ouverture commerciale. Ainsi les Accords d'association avec l'UE sont accompagnés de quotas sur des produits « sensibles », et de clauses de sauvegarde. Notamment dans le domaine agricole ces accords ne prévoient pas une libéralisation complète des échanges ni une suppression des droits de douane à terme. Enfin, le risque d'une immigration massive des populations des PECO, cherchant à échapper à la pauvreté en trouvant un emploi en Europe de l'Ouest, constitue une menace importante dans les pays de l'UE. Ces problèmes de mouvements de populations posent déjà des difficultés dans l'UE à quinze, et ont retardé la mise en application des accords de Schengen. Mais les risques associés au développement de la crise économique et sociale, et donc de la pauvreté, aux portes de l'UE posent des problèmes politiques et imposent des réponses économiques déterminées et ambitieuses.
3. Le financement de la transition et de l'intégration
3.1 Des besoins financiers importants ...
L'ouverture à l'Est a fait naître l'espoir que les PECO rejoignent à terme le niveau de richesse des pays de l'Ouest. Toutefois, pour rattraper rapidement les niveaux de productivité des pays industrialisés à économie de marché, il apparaissait indispensable que les pays en transition bénéficient de flux financiers importants. Selon les dynamiques de restructuration envisagées, les estimations des besoins de financement variaient amplement d'une étude à l'autre, de 100 à 600 milliards de dollars par an 51 ( * ) .
Certes une partie de ces besoins devait être couverte par des financements internes. Mais, la nécessité d'un ajustement rapide, associée à l'ampleur des besoins pour la reconstruction d'une zone de plus de 400 millions d'habitants, impliquait une aide extérieure intense. Le rôle des flux de capitaux extérieurs apparaissait donc crucial tant sur le plan quantitatif que qualitatif pour les pays de l'Est 52 ( * ) . Une des difficultés résidait dans le fait que ces flux étaient très supérieurs à toutes les expériences connues pour ce type de transferts : notamment ces montants dépassaient nettement les aides allouées dans le cadre du plan Marshall, qui à l'époque représentaient environ 1 % du PIB des États-unis, sur 4 ans 53 ( * ) . Mais la difficulté résidait aussi dans le déclenchement du processus de l'aide, quelque peu bloqué par les faibles marges de manoeuvre budgétaires.
3.2 ... mais des flux faibles et peu adaptés
Les flux financiers reçus par les PECO se sont avérés faibles et erratiques, et sont en diminution constante depuis 1991 (tableau 2). Depuis 1990, ils se sont élevés au total à environ 25 milliards de dollars par an, dont 12 provenaient de flux privés. Ces engagements financiers apparaissent dérisoires au regard de ceux consentis pour la seule réunification allemande, soit près de 80 milliards de dollars en 1990, ou 5 % du PIB de la RFA, et plus de 50 % de celui de l'ancienne RDA.
Tableau 2 : Flux bruts de capitaux à destination des PECO
En milliards de dollar
Source : UN/ECE
L'afflux de financements publics, en assainissant l'économie dans un premier temps, puis en initiant un développement dans un deuxième temps, aurait dû créer des conditions et des anticipations favorables aux entrées de capitaux privés, qui les auraient ainsi relayées. La modicité des flux, et la logique inspirant leur allocation, ont cependant conduit à une affectation macroéconomique qui la plupart du temps ne constituait une aide directe ni à la restructuration, ni à la réforme structurelle. D'une part, une proportion importante de ces flux publics a concerné des rééchelonnements de dettes ou des aides à la stabilisation macroéconomique. D'autre part, de nombreuses aides - ou prêts - ont été revues à la baisse pour des motifs de conditionnalités. En effet, ces dernières tendent à se cumuler et à devenir contradictoires : dans un contexte de récession, si les conditions fixées ex-ante ne sont pas assouplies, les objectifs ne sont pas atteints et les fonds ne sont pas débloqués, ce qui tend à aggraver la situation initiale. Ce manque de coordination des différents prêteurs et l'absence de souplesse dans les critères d'allocation de financements n'ont pas contribué à accélérer la restructuration, ni à éclaircir les perspectives et les anticipations des investisseurs privés.
Outre leur faiblesse, ces flux se concentrent fortement sur quelques pays, et leur nature reflète une politique habituelle de financement du développement dans un contexte de stabilisation macroéconomique. En effet deux tendances se dégagent quant à la structure des financements alloués aux pays en transition : les aides sont peu importantes et déclinent nettement, tandis que les flux privés s'intensifient essentiellement sous l'impulsion des émissions d'emprunts publics sur les marchés internationaux de capitaux.
De fait, la remontée en 1994 des financements privés extérieurs provient de l'émission d'emprunts sur les marchés internationaux de capitaux par les États des PECO. Dans le même temps, les investissements directs étrangers demeurent globalement faibles, voire marginaux, même si la Hongrie et la République tchèque ont bénéficié d'engagements importants ; les incertitudes institutionnelles, mais aussi la récession dont ont souffert les pays de l'Ouest et de l'Est ont dissuadé les entreprises multinationales d'investir aussi massivement qu'anticipé - et souhaité - au début de la transition.
L'ensemble de ces conditions a contribué à accroître la rareté et le coût des flux financiers vers l'Est au regard des besoins qui avaient été définis, limitant ainsi leurs possibilités de réformes. Aujourd'hui, la nature des financements reçus par les PECO les expose à des risques de crises, notamment en raison du caractère craintif et versatile des créanciers privés 54 ( * ) . La dynamique de croissance de ces pays pourrait se trouver fragilisée dès que des incertitudes atteindraient les créanciers. Dans ces conditions, un processus de croissance plus sain et plus stable peut reposer sur le développement des exportations ; dès lors la question de la libéralisation des échanges, mais surtout de l'appartenance à une zone de libre-échange comme l'Union européenne constitue un enjeu crucial dans l'optique de la transition.
3.3 Intégration et financement
L'intégration des pays de l'Est à l'UE se concrétiserait par leur participation aux politiques communes. Étant donné leur niveau de revenu, les PECO seraient des receveurs nets de fonds structurels, ce qui du point de vue des autres pays de l'UE signifierait un accroissement de leur contribution nette. Cependant, l'adhésion permettrait aussi de développer les autres types d'entrées de capitaux ; au total ; l'ensemble flux perçus dans le cas d'une intégration des PECO serait accru ce qui induirait des conséquences positives sur le processus de transition et sur la croissance économique dans ces pays.
3.3.1 Un budget européen en hausse
L'accroissement des fonds structurels aurait des conséquences immédiates sur le budget européen. Ces conséquences ne sont pourtant pas rédhibitoires : le coût ne doit pas tellement être analysé en termes absolus, mais plutôt relativement au PIB européen ; il serait alors très faible (environ 0,3 % du PIB de l'UE), notamment au regard d'un plan Marshall. En outre, il semble opportun de limiter les financements par transferts à une certaine proportion du PIB du pays bénéficiaire (5 à 6 %) afin d'éviter que ne surviennent des effets macroéconomiques pervers (mauvaise allocation des ressources, tensions sur les capacités de production, dégradation de la balance courante, etc.).
En conséquence, l'accroissement des fonds structurels dans la logique de l'intégration conduit à retenir des hypothèses extrêmement modérées quant aux transferts budgétaires à mettre en oeuvre. Toutefois, certains soulèvent l'objection qu'un accroissement des transferts publics vers le budget communautaire pourrait empêcher certains pays de satisfaire aux critères de Maastricht pour l'entrée dans l'UEM. En poussant ce raisonnement à l'extrême, on peut considérer les contributions nettes au budget européen comme une participation explicite et active au processus d'intégration européenne, et que dès lors il n'est pas justifié de les considérer comme une dépense publique traditionnelle ; dans ces conditions il serait souhaitable que les critères européens de déficit public n'incluent pas les financements nets des États au budget communautaire.
3.3.1.1 Remettre en cause les critères d'éligibilité ?
Différentes études tentent d'évaluer les impacts budgétaires de l'intégration des pays de l'Est (cf. Tableau 3). Si l'ensemble de la littérature s'accorde sur la nécessité d'accompagner l'intégration des PECO par des transferts sous forme de fonds structurels, les études divergent sur les montants nécessaires, sur les niveaux supportables pour les autres pays d'Europe et sur les capacités d'absorption des pays bénéficiaires.
Même si les évaluations s'étagent de 11 à 45 milliards d'écus par an, c'est-à-dire qu'elles n'excèdent pas 0,4 % du PIB actuel de l'UE, la plupart des observateurs craignent que l'intégration ne soit trop coûteuse en termes budgétaires, si les PECO bénéficient des fonds structurels selon les critères d'affectation actuels 55 ( * ) . Ces craintes sont exacerbées par le fait que les PECO se trouvent en concurrence avec les pays d'Europe du sud, non seulement sur les flux commerciaux 56 ( * ) , mais aussi sur les fonds structurels -puisque les pays d'Europe du sud recevraient alors moins de fonds structurels et pourraient passer du statut de débiteur net à celui de contributeur net à l'UE, se situant alors au-dessus des moyennes européennes définissant les critères d'éligibilité.
Tableau 3 : Fonds structurels et
intégration des PECO à l'UE
Évaluations selon quelques
études
* Au cours de décembre 1995 soit 1,3 dollar pour 1 Ecu, ** y compris PAC
Pour éviter les « dérapages » budgétaires, plusieurs solutions sont envisagées, sans qu'aucune n'apparaisse pleinement satisfaisante :
• Relever les critères
d'éligibilité aux fonds structurels exclurait des pays comme
l'Espagne ou l'Italie des fonds structurels, ce qui pourrait engendrer leur
veto à l'élargissement.
• Intégrer les pays de l'Est sans fonds
structurels comporte aussi des risques, notamment ceux associés à
une dérogation budgétaire et plus généralement
à « l'Europe à la carte » : si certains
pays de l'UE remettaient en cause les fonds structurels pour les pays de l'Est,
pourquoi ne pas les remettre en cause pour l'Irlande, le Portugal, etc.. En
outre, la logique qui consisterait à continuer de verser des fonds aux
pays d'Europe du sud et à l'Irlande sans en verser aux nouveaux
entrants, plus pauvres et éloignés des normes de
productivité de l'UE, apparaît incohérente.
• Attendre que les PECO aient suffisamment
convergé pour que leur adhésion soit moins coûteuse
entraînerait des délais de convergence incompatibles avec
l'idée que tous les pays font partie d'une même zone
économique et partagent des contraintes et des objectifs communs.
3.3.1.2 Des fonds structurels indispensables
Nous avons donc supposé que, dans le cadre de l'intégration des pays de l'Est, les politiques communes seraient appliquées dans les mêmes termes, et avec les mêmes critères d'éligibilité, que ceux actuellement en vigueur dans l'UE.
Les transferts budgétaires au titre de la PAC pourraient ne pas provoquer d'explosion du budget communautaire. En effet les aides accordées depuis la réforme de 1992 et la signature du GATT compensent, pour l'essentiel, des baisses de prix entraînées par le rapprochement entre les prix européens garantis et les cours mondiaux. Pour les pays de l'Est, la convergence vers les pays de l'UE entraînerait plutôt des hausses des prix agricoles. En conséquence par souci de clarté nous considérerons que l'élargissement n'aura qu'un impact marginal sur ce poste budgétaire 57 ( * ) .
Notre méthode pour évaluer les transferts repose sur une estimation économétrique simple des fonds structurels sur les pays de l'Europe des 15 en fonction du PIB par tête et du chômage. Cette équation estimée, elle est appliquée aux pays de l'Est pour l'année 1999. Les résultats obtenus sont proches de ceux observes pour l'Irlande (près de 200 écus par habitant). Les flux de fonds structurels représenteraient environ 20 milliards d'écus par an soit près de 0,2 % du PIB de l'Union Européenne à 15 ; autant dire que l'impact sur les dégradations des soldes publics ex-ante serait relativement faible. En revanche, pour les pays de l'Est, les sommes représentent des montants bien plus élevés, atteignant environ 5 % du PIB en moyenne. On demeure donc toutefois en deçà d'un cinquième du plan Marshall du point de vue des créditeurs, et encore bien en deçà des transferts effectués par l'Allemagne lors de la réunification (cf. § 3.2).
Ce résultat est certes empreint d'incertitudes : il dépend des évaluations de PIB par tête qui varient fortement d'un organisme à l'autre ; il dépend aussi d'une projection particulièrement délicate des taux de chômage. En effet, d'un côté on peut imaginer qu'avec la croissance économique l'emploi s'améliorera, mais on peut aussi penser que la restructuration et les gains de productivité demeurent, en grande partie, à venir. 58 ( * )
Tableau 4 : Fonds structurels et critères
d'allocation
Estimation des flux vers les pays de l'Est en 1999
Source : calculs des auteurs à partir de données Banque Mondiale, Planecon, UN/ECE *Sauf somme totale des fonds structurels
3.3.2 Des investissements directs plus élevés
Dans un scénario d'intégration, les transferts publics sont à la fois plus importants et moins discrétionnaires que dans le cadre des Accords d'association, ce qui pourrait se répercuter sur les autres entrées de capitaux. De ce point de vue, des arguments théoriques contradictoires se rencontrent dans la littérature. Dans une logique de libre-échange, les Accords d'association bilatéraux favorisent les investissements productifs dans les pays de l'UE (the hub) au détriment des investissements dans les pays satellites (the spoke) 59 ( * ) . En conséquence on applique un facteur majorant à l'investissement dans le cadre de l'intégration, par rapport à ce qu'il serait dans le cadre d'Accords d'association tels qu'ils ont été signés jusqu'à présent. Ce facteur peut s'expliquer à la fois par des échanges plus développés entre chacun des pays de l'Est et l'UE (ce qui avantage alors une localisation des productions dans les pays de l'Est), et par des investissements locaux s'adressant à des marchés plus vastes, donc plus rentables. Toutefois, on peut également concevoir que des entreprises puissent être incitées à investir sur des marchés bénéficiant de protections douanières et commerciales : d'une part, parce que cela leur permet de contourner la législation commerciale ( i.e. d'exporter) ; de l'autre, parce que cela limite la concurrence extérieure. Cependant, les expériences de l'Espagne et du Portugal laissent penser que l'adhésion s'accompagnerait d'un accroissement des flux d'investissement direct.
4. Flux commerciaux et intégration
Depuis 1990, la problématique d'ouverture des pays de l'Est et celle d'association à l'Union européenne se sont essentiellement cristallisées autour de la nécessité de développer les échanges internationaux, de leurs coûts et des gains à en attendre. Il nous apparaît nécessaire d'effectuer un bilan critique des travaux empiriques et normatifs afin de disposer d'une grille de lecture des évolutions du commerce dans la transition et pour quantifier les tendances de diversion et d'intensification 60 ( * ) du commerce mondial que nous intégrerons dans nos scénario - et notre modèle - macroéconomiques.
4.1 Perspectives d'évolution des échanges
Les perspectives d'évolution des échanges reposent sur les estimations du potentiel commercial entre l'UE et les PECO 61 ( * ) . On ne dispose pas dans la littérature de références théoriques robustes pour évaluer les flux commerciaux qui pourraient découler de l'union douanière ; en effet, ces économies étant en transition, il est difficile de préjuger de l'évolution de leurs avantages comparatifs 62 ( * ) . Aussi deux types des modèles prédictifs sont généralement utilisés : le modèle de gravité et les estimations basées sur des données historiques.
4.1.1 Une présentation des modèles
Le modèle de gravité permet d'estimer des flux d'échanges potentiels entre deux partenaires commerciaux. Utilisé pour le commerce entre l'Est et l'Ouest, il permet de déterminer un niveau jugé normal des échanges entre deux zones -et de constitue une cible potentielle des flux commerciaux entre l'UE et les PECO. L'idée sous-jacente à ce modèle est la suivante : plus des économies seront grandes, riches et proches 1'une de l'autre, plus elles échangeront ; ainsi, le pays i commercera d'autant plus avec le pays j que leurs PIB respectifs seront élevés, leur population peu nombreuse et qu'ils seront géographiquement proches, toutes choses égales par ailleurs. D'autres variables peuvent également entrer en ligne de compte, comme l' adjacence, l'existence de liens commerciaux privilégiés entre les partenaires, etc. (cf. encadré n° l).
Wang & Winters (1991) et Baldwin (1994) utilisent ainsi un modèle de gravité pour évaluer le potentiel commercial des pays de l' ex -CAEM lorsqu'ils seront pleinement intégrés à l'économie mondiale. Pour faire leurs projections, ils se basent sur des échantillons couvrant des économies occidentales 63 ( * ) . Wang & Winters évaluent le potentiel commercial des pays de l'Est à partir des estimations de PIB pour 1985 ; Baldwin calcule une matrice de flux d'échanges potentiels (exportations) à partir des données de PIB de 1989 pour la zone Est.
Collins & Rodrik (1991) évaluent quant à eux les flux d'échanges potentiels des pays de l'Est en utilisant une méthodologie non directement basée sur un modèle de gravité 64 ( * ) . Leur approche est empirique et historique. Ils estiment dans un premier temps le total des exportations, de chacun des pays de l'Est, pour l'année 1988, comme si ceux-ci étaient des pays occidentaux. Ils déterminent ensuite les parts de marché détenues par chaque pays sur l'ensemble des marchés ; pour cela, ils appliquent une procédure de mise à jour des matrices de structures des échanges de l'année 1928 (ces matrices sont actualisées à partir des évolutions, entre 1928 et 1988, des matrices de l'Allemagne, l'Autriche, l'Espagne, la Finlande, l'Italie et le Portugal).
Encadré 1 : Le modèle de gravité
Principes et fondements théoriques du modèle de gravité
L'équation de gravité s'écrit sous la forme standard suivante :
où Xij représentent les exportations du pays i vers le pays j ; PIBi et POPi, le revenu et la population du pays i ; DIST, la distance qui sépare les deux partenaires commerciaux et les bi les paramètres à estimer. Les variables sont exprimées en logarithmes.
Le modèle de gravité dispose-t-il de fondements théoriques robustes ? Face au scepticisme affiché par la plupart des économistes certains auteurs ont essayé de procurer au modèle de gravité une base formelle solide : Bergstrand (1985) ; Helpman & Krugman (1985) ; Bergstrand (1989). Il est par exemple possible de dériver une équation de gravité du modèle de Helpman & Krugman (1985) : l'idée que les taux d'exportation - tout comme d'importation - d'un pays augmentent en fonction du niveau de son revenu y est en effet présente. Ceci implique donc que la taille et la richesse (donc la variété des préférences qui en découle) de chacun des deux pays partenaires influent sur le niveau des échanges bilatéraux. Bergstrand (1989) introduit les coûts de transport en plus des variables de demande et d'offre.
Modèle de gravité et théorie classique du commerce international
Si l'on se réfère au modèle Heckscher-Ohlin classique, ce sont les différences de dotations factorielles relatives qui fondent le commerce international ; par conséquent, les tailles des économies n'interviennent pas (il y a neutralité de la demande). A priori, il n'y a donc pas de variable de revenu national ; la variable « population » exerce une influence positive ou négative, suivant que les exportations sont plus ou moins intensives en travail ou en capital et que le pays exportateur a une dotation abondante en travail ou en capital. Les différences de dotations factorielles relatives conduisent à la spécialisation de chaque pays et déterminent l'intensité des échanges. Pourtant, à partir du modèle Chamberlain-Heckscher-Ohlin, Helpman & Krugman (1985) font apparaître les variables « taille des économies » parmi les facteurs explicatifs des échanges, en faisant l'hypothèse qu'il existe des rendements d'échelle croissants dans l'un au moins des secteurs de l'économie. Il serait donc possible, en puisant dans la nouvelle théorie du commerce international, qui met l'accent sur les rendements d'échelle croissants, sur la concurrence imparfaite et sur les coûts de transport, de concilier les modèles de gravité et les fondements théoriques des modèles classiques (voir Baldwin, 1994 et Maurel, 1995).
Niveau d'agrégation et pertinence pour les pays de l'Est
Le modèle de gravité est-il adapté pour estimer les échanges potentiels entre des économies de marché et des économies anciennement planifiées ? Selon plusieurs auteurs, il est particulièrement performant pour les échanges de biens industriels, qui sont souvent des produits différenciés soumis à des économies d'échelle internes, mais il s'applique mal à des flux d'échanges basés sur une ou des ressources naturelles (Baldwin, 1994 ; Krugman, 1985). Dans le premier cas, le commerce intra-branche est amené à se développer, ce qui fait des variables PIB (et PIB par tête), de bonnes mesures de la demande d'importations et de l'offre d'exportations, ce qui n'est pas vérifié pour les pays exportateurs de ressources naturelles. Le modèle de gravité semble donc relativement bien adapté à l'évaluation des relations commerciales entre l'UE et les PECO, ceux-ci se composant en grande partie de produits industriels.
4.1.2 Des échanges en dessous de leur potentiel théorique
Tous ces travaux concluent que les PECO devraient devenir sensiblement plus ouverts au commerce. Concernant leurs exportations vers l'UE, les projections diffèrent selon les auteurs (cf. tableau 5). Le potentiel d'exportations des pays de l'Est varie aussi sensiblement d'un pays à l'autre, reflétant des degrés d'ouverture différents durant la période de fonctionnement du CAEM. Par ailleurs, ce sont surtout les exportations intra-zone, notamment celles des PECO vers l'ex-URSS qui chuteraient le plus (leur valeur potentielle projetée étant inférieure à leur valeur observée) 65 ( * ) . Quant à l'effet de diversion, il devrait surtout se traduire par des gains sur les marchés de l'UE à quinze : environ 70 % des exportations des PECO devraient s'y diriger.
Ces études soulignent l'existence d'un important potentiel pour les exportations de l'Ouest vers les marchés de l'Est 66 ( * ) . Lorsque ces résultats sont détaillés par pays 67 ( * ) , les gagnants de l'ouverture à l'Est apparaissent en général être le Royaume-Uni, la France et l'Italie, même si ce sont les quatre pays les plus pauvres de l'UE (Espagne, Grèce, Irlande, Portugal) qui devraient bénéficier des plus forts taux de croissance des exportations. La répartition des gains de parts de marché pour les échanges UE-PECO correspond, quant à elle, assez bien à la proximité géographique de chacun des deux pays partenaires.
Tableau 5 : Potentiel d'exportation des PECO vers l'UE
Résultats des principales études
Sources : Etudes citées et calculs des auteurs.
4.2 Réorientation des échanges
Trois tendances principales caractérisent les évolutions du commerce des pays de l'Est depuis le début de la transition :
• D'abord, ceux-ci ont massivement
réorienté leurs échanges vers les pays
développés et notamment l'Europe de l'Ouest : après
que la récession eut ralenti la progression de leurs échanges
avec les pays industrialisés, les exportations des pays de l'Est ont de
nouveau fortement progressé en 1994, comme en 1995. Les exportations de
produits manufacturés vers l'UE ont ainsi plus que doublé depuis
1988 ; cependant, la part des PECO dans les importations de l'UE demeure
modeste puisque celle-ci n'a fait que passer de 2,5 % à 4,5 %.
L'origine de cet accroissement est ambiguë : il est difficile de
l'attribuer exclusivement à des effets de demande ou d'offre. Cette
progression peut en effet s'expliquer par une hausse de la demande
adressée au bloc des pays de l'Est, mais également par des gains
de compétitivité, par les Accords d'association ou encore par un
surplus de production relativement au niveau de demande
intérieure
68
(
*
)
. Si
l'on s'en réfère aux explications théoriques, notamment du
modèle de gravité, on peut aussi considérer que cette
hausse procède d'une tendance par laquelle les échanges
rejoindraient un niveau
normal.
• Ensuite, la valeur des importations en provenance
des pays de l'Ouest a plus augmenté que les exportations vers cette
zone. L'ouverture des pays de l'Est a donc plutôt avantagé les
pays occidentaux, déjouant leurs craintes de voir leurs produits
évincés par les productions locales à bas prix.
• Enfin, depuis 1994, pour la première fois
depuis le début des réformes, les exportations intra-zone ont
augmenté, principalement sous l'impulsion de l'ACELE mais aussi de la
reprise des exportations de la CEI. Celles-ci sont cependant encore très
éloignées des niveaux observés dans l'ex-CAEM.
L'un des éléments importants de ces évolutions a trait aux Accords d'association signés entre les PECO et l'UE. Les Accords d'association européens (1992 pour les 4 pays de Visegrad, 1993 pour la Roumanie et la Bulgarie) signifient un engagement clair de l'UE envers le libre échange ; il faut cependant noter qu'ils sont signés pour une durée de dix ans, et que leur mise en oeuvre doit se faire de façon graduelle, la levée des barrières commerciales devant s'effectuer de façon asymétrique en faveur des PECO. De nombreux produits industriels en provenance des PECO entrent ainsi librement dans l'Union européenne depuis janvier 1995 ; les droits de douane ainsi que les quotas ont été supprimés sauf sur certains produits dits sensibles : sidérurgie , textile, chaussure, chimie de base, automobile, agriculture et agro-alimentaire 69 ( * ) . Par ailleurs, la liberté des échanges n'est pas prévue pour les produits agricoles, même s'il existe des réductions des charges à l'importation.
Si ces accords ont été négociés avec rapidité par l'UE, ils ne sont pourtant pas aussi déterministes qu'il n'y paraît. Bilatéraux, ils organisent des relations hétérogènes et ne facilitent ni l'investissement à l'Est, ni le commerce entre les PECO autant que dans un marché commun, alors que ces deux facteurs sont considérés comme des éléments capitaux de la pérennité de la croissance dans les pays de l'Est 70 ( * ) . Ils décrivent une Europe minimale satisfaisante pour l'intérêt des uns et les espoirs des autres, sans pour autant garantir les effets sur la convergence des PECO. En effet il faut garder à l'esprit le contre-exemple des relations Europe / ACP. En dépit de liens historiques importants, d'accords d'échanges privilégiés et d'une aide financière d'envergure dans le cadre des accords de Lomé, les pays ACP ne sont jamais véritablement parvenus à tirer profit de leur statut particulier pour assurer leur développement 71 ( * ) .
Tableau 6 : Échanges des pays de l'Est et de la CEI selon la destination
Taux de croissance en valeur (en Marks allemands)
Sources : UN/ECE et calculs des auteurs
4.3 Modèle de gravité et modèle macroéconomique
Notre travail s'inscrit entre les bornes que constituent les projections théoriques, les observations des grandes tendances des échanges et les évolutions conjoncturelles précédemment décrites.
4.3.1 Valeur prédictive du modèle de gravité
Les résultats obtenus à l'aide d'un modèle de gravité permettent de définir les modifications de tendance dans la répartition des flux d'échanges internationaux, mais comportent des limites qui proviennent notamment de leur caractère normatif.
L'utilisation du modèle de gravité pour déterminer un potentiel d'échanges suppose que l'on ait une idée a priori sur le type de transition que vont connaître les pays de l'Est, et de son influence sur la croissance du PIB. Elle est donc soumise à deux hypothèses fortes : le choix de l'échantillon (les pays sélectionnés sont-ils pertinents ?) et le choix du PIB 72 ( * ) (si l'on choisit par exemple une estimation du PIB élevée, on fait une hypothèse de convergence rapide)
Par rapport à ces difficultés nous avons considéré que l'étude de Baldwin (1994) apparaissait comme une référence pertinente pour notre travail :
• L'année de base (1989) qu'il choisit est
plutôt une année « haute » dans la mesure
où elle est antérieure à la transition et à la
chute de production observée dans tous les PECO. Elle nous a
semblé la plus appropriée à notre exercice de simulation
macroéconomique, dans la mesure où l'on considère que les
PECO retrouveront les niveaux de PIB d'alors entre 1997 et 1999, soit au moment
où d'éventuels accords d'intégration à l'UE
pourraient entrer en vigueur
73
(
*
)
.
• En outre, Baldwin considère deux
configurations : la première suppose que les pays de l'Est
atteignent un degré d'intégration au commerce européen
comparable à celui d'un pays européen occidental (UE ou AELE)
dans les années quatre-vingt. Sous cette hypothèse les potentiels
d'échanges dérivent des PIB observés en 1989 dans les pays
de l'Est. Dans la seconde, dite de « rattrapage », il
calcule les flux d'échanges théoriques qui découleraient
des niveaux de PIB atteints par les PECO s'ils rejoignaient en 2010 ceux
observés dans les pays les plus pauvres de l'UE
74
(
*
)
. La première
configuration apparaît raisonnable et correspond à des
hypothèses de croissance modérées qui
ex-post
s'avèrent tenir compte de la récession observée dans
les pays de l'Est au début des années quatre-vingt-dix.
4.3.2 Perspectives d'évolution des parts de marché
A la matrice des flux potentiels calculée par Baldwin peut correspondre une matrice des parts de marché potentielles. Nous disposons dans la base de données de Mimosa d'une matrice complète des échanges observés pour 1992. Il est possible de comparer ces parts à celles projetées par Baldwin : les principaux résultats sont reproduits dans le graphique 1. L'effet de diversion révèle alors plusieurs points intéressants :
• La part de marché observée pour
l'Allemagne dépasse déjà son niveau potentiel : ce
pays adresse une demande très importante aux pays de l'Est relativement
au niveau considéré comme normal. Logiquement la part de
marché acquise par les pays de l'Est entre 1989 et 1992 devrait donc se
réduire progressivement. Pour ce qui concerne les exportations de
l'Allemagne vers les pays de l'Est, tout se passe comme si les autres pays
européens avaient été moins prompts qu'elle à
s'engager sur les marchés de l'Est, l'ouverture
bénéficiant alors essentiellement à l'Allemagne.
Sa part de marché devrait donc légèrement reculer à terme.
• La baisse des échanges observée entre
les pays de l'Est révèle un ajustement beaucoup
exagéré. Avant la transition, leur commerce mutuel était
certes disproportionné, mais le modèle de gravité montre
qu'aujourd'hui leur potentiel d'échanges est beaucoup plus
élevé que le niveau observé. Les échanges avec la
CEI demeurent encore cependant très élevés relativement
aux résultats de Baldwin.
• Certains pays devraient bénéficier
d'exportations nettes supplémentaires : l'Italie, les pays de la
zone « autres UE », des pays européens hors UE, et
dans une moindre mesure les pays d'Europe du nord.
• La France, les pays d'Europe du sud, mais surtout
le Royaume-Uni, connaîtraient une diminution de leurs exportations
nettes
75
(
*
)
.
Par ailleurs, les résultats obtenus par Baldwin montrent que l'effet d'intensification des échanges entre l'UE et les PECO correspond une hausse du taux d'ouverture des pays d'Europe de l'Ouest de 0,4 point de PIB pour l'ensemble des pays européens.
4.3.3 Transposition dans le modèle Mimosa
La mise en oeuvre d'un modèle de gravité de ce type, et les résultats qu'il fournit, ne vont pas de soi dans la logique d'un modèle macroéconomique comme le modèle Mimosa. Cette mise en oeuvre soulève des problèmes :
• De cohérence entre les données de
flux commerciaux, potentiels et effectifs.
• Quant aux hypothèses sur la
réorientation géographique
ex ante
des échanges
commerciaux (partage des parts de marché entre les différents
pays partenaires).
• De traitement
ex ante
des échanges
avec le reste du monde, pour lesquels on ne dispose d'aucune estimation de flux
potentiels.
• Sur la manière de moduler l'intensification
des échanges selon les partenaires considérés.
Dans le modèle Mimosa, il est aisé de modifier les parts de marché ; il en résulte une modification des vecteurs de demandes adressées. L'intensification des échanges passe, elle, par une augmentation des taux d'ouverture à l'importation : dans notre modèle, les importations des pays de l'Est sont contraintes par les financements disponibles. Pour simuler un accroissement des taux d'ouverture, il est donc nécessaire de faire l'hypothèse de financements supplémentaires pour les pays de l'Est ; pour les pays industriels, l'augmentation des taux d'ouverture se fait simplement par un accroissement de la constante dans l'équation de demande d'importations (voir encadré n° 2).
Les résultats de Baldwin sont considérés comme des cibles, mais qui ne seraient, atteintes que dans les conditions du libre-échange. S'ils s'approchent d'une telle configuration le Grand marché , et a fortiori les Accords d'association, ne permettent pas d'atteindre les potentiels. En effet, il subsiste toujours des imperfections, des rigidités, l'influence des taux de change, des politiques économiques, etc. qui globalement ne permettent pas de rejoindre les flux théoriques. Aussi avons-nous supposé que la cible effective représenterait entre un tiers et deux tiers de la cible théorique, et qu'elle ne serait atteinte progressivement qu'à l'issue d'une période de 10 ou 20 ans 76 ( * ) .
Ces hypothèses ne constituent pas une infirmation de la validité de la cible donnée par le modèle de gravité, mais conduisent à formuler des hypothèses modérées en termes d'impacts macroéconomiques, au même titre que celles que nous avons retenues sur les flux financiers.
5. Conséquences macroéconomiques de l'élargissement
Les nécessités et les contraintes qui pèsent sur les flux financiers et commerciaux reflètent les incertitudes qui entourent la solution qui sera retenue. Dans ce champ des possibles, nous avons choisi de simuler deux scénarios polaires mais raisonnables, après avoir exclu les scénarios les plus improbables économiquement et politiquement.
5.1 Maastricht : un cadre approprié à l'élargissement ?
Au préalable, il faut imaginer ce que sera la configuration de l'UE au moment de l'intégration des pays de l'Est. Pour résoudre, ou plutôt pour contourner, les difficultés institutionnelles de l'élargissement, la solution généralement proposée est d'appliquer le cadre issu du Traité de Maastricht à une Communauté plus vaste. En éludant les questions politiques fondamentales sur l'Europe, cette option revient à ne rien décider. Quant aux pays de l'Est, elle les place ni plus ni moins dans un statut semblable à celui accordé aux autres pays bénéficiant d'Accords d'association, avec une aide financière comparable.
La difficulté première, indépendante de l'élargissement, consiste à imaginer comment seront gérés concrètement les décalages entre les pays pouvant accéder à l'UEM et ceux qui demeureront en dehors. La volonté systématique d'approfondissement de certains pays, et son refus tout aussi systématique par d'autres, ont abouti à des compromis de court terme, imprécis et fragiles à long terme. Des champs d'approfondissement ont été définis, sans avoir bâti une architecture institutionnelle apte à en assurer l'application. Autrement dit i) l'idée d'Europe a perdu de sa consistance : son objectif pacifique et coopératif est perturbé par des débats sur le rôle de la monnaie, de l'État et de la politique économique. ii) Le pouvoir qui l'incarne est flou : on connaît mal ses racines, ses limites et le champ de sa souveraineté.
De manière concrète on ignore donc comment fonctionnera l'UEM de Maastricht, institutionnellement, ou même économiquement ; on ne connaît pas non plus les épreuves initiatiques, pas plus que le nombre de groupes qui se créeront, ou les mécanismes qui empêcheraient les pays de diverger les uns des autres une fois les cercles établis lors de l'entrée dans l'UEM. On ne sait donc pas a fortiori comment seront régis les relations entre ces cercles et de nouveaux entrants. Il a rarement existé autant de critères objectifs de ce qu'il faut faire - économiquement - pour être dans l'Europe, et aussi peu de réponses et de solidarité pour que l'ensemble européen se construise rapidement et harmonieusement.
Dans la mesure où ce travail n'a pas pour vocation de tester les configurations institutionnelles d'une Europe économiquement idéale, les scénarios que nous présentons sont relativement communs, et demeurent compatibles avec la dynamique européenne de Maastricht telle qu'elle se dessine à l'heure actuelle.
5.2 Des scénarios exclus
Du point de vue des PECO nous avons exclu deux scénarios qui, pour être théoriquement compatibles avec la logique d'élargissement de l'UEM, n'en sont pas moins improbables.
• Le scénario dans lequel l'Europe ne s'engage
à rien, c'est-à-dire encore moins qu'aujourd'hui, nous
paraît difficilement concevable. Politiquement il relève d'une
logique peu plausible ; économiquement il induirait des effets
récessifs sur 1'Europe de l'Est, dont la croissance est insuffisante
pour rattraper le niveau de vie des pays de l'Ouest
77
(
*
)
. De plus il serait
incohérent avec la promotion des réformes de la transition
à l'Est, et de l'économie de marché, dans laquelle sont
par ailleurs engagés les pays industrialisés.
• L'autre scénario reposerait sur une
généralisation de l'UEM, ou tout au moins du Mécanisme de
change européen à l'ensemble des pays de la nouvelle Union
européenne. Outre que cela soulèverait déjà le
problème de la participation des 15 pays actuels, cette hypothèse
ne serait pas viable pour les PECO. Elle exigerait en effet une intensification
des mesures de stabilisation -déjà très rigoureuses-
incompatible avec la nécessité de restructuration et de
croissance économique.
78
(
*
)
De plus, même lorsque ces pays remplissent
pratiquement les critères de « convergence »
définis par le Traité de Maastricht, comme la République
tchèque, leur convergence
réelle
est loin d'être
achevée. En ce sens, la satisfaction des critères de convergence
nominale apparaît, ici, dénuée de sens.
Ces hypothèses exclues, la logique de l'UE définie par le Traité de Maastricht se réduit à celle des cercles concentriques. En dehors de toutes les réserves et des incertitudes que laisse le Traité de Maastricht pour construire et gérer cette Europe, nous avons retenu deux scénarios cardinaux, qui sans préjuger des institutions adaptées pour y subvenir, reflètent les deux grandes options économiques possibles : celle de la convergence et celle du rattrapage.
Dans ces deux scénarios nous supposons que les pays de l'Est maintiennent fixes les parités vis à vis de l'Ecu, ce qui induira certainement une appréciation de leur monnaie en termes réels, c'est à dire une dégradation de leur compétitivité-prix. A priori cette appréciation devrait être soutenable étant donné les gains de productivité et la croissance qu'ils devraient enregistrer. Toutefois, le comportement des marchés financiers, leurs anticipations, sont toujours susceptibles d'engendrer des crises spéculatives comme en ont connu dans des cas semblables l'Espagne, ou plus récemment le Mexique. De ce point de vue, nos deux scénarios s'inscrivent dans une optique conservatrice.
5.3 Scénario 1 : cercles concentriques et convergence
Ce scénario reflète et prolonge la logique et les engagements actuels. Pour l'objectif précis de l'intégration des PECO, il n'implique pas d'adapter le cadre institutionnel et réglementaire, mais suppose simplement de respecter et d'appliquer les engagements réciproques 79 ( * ) .
Les Accords d'association sont constitués de deux volets principaux : transferts financiers et échanges commerciaux. Nous avons donc considéré l'effet économique des Accords d'association avec les PECO comme s'ils étaient d'abord une aide à la transition par l'ouverture extérieure, et envisagé des apports financiers classiques et minimes 80 ( * ) . Nous avons également considéré une issue vertueuse, dans laquelle ces accords ont effectivement une incidence positive.
5.3.1 Des flux financiers nécessaires mais pas suffisants
Du point de vue financier, ce scénario suppose que les engagements de l'Europe sont entièrement remplis et que les fonds sont effectivement alloués, comme cela est prévu, en dehors de toute conditionnalité qui pourrait être associée au rythme des réformes et à une stabilisation macroéconomique « imparfaite ».
Dans ce scénario, l'aide consentie aux PECO par l'UE correspond aux échéanciers déjà contenus dans le Programme PHARE. Celle-ci est bien en deçà de celle consentie dans le cadre du plan Marshall, et a fortiori aux flux financiers nécessaires pour que les pays de l'Est rattrapent rapidement les conditions de production et de vie observées dans les pays d'Europe occidentale. Le caractère stabilisant des financements accordés au titre des fonds du programme PHARE favorise l'entrée de capitaux privés supplémentaires, que nous avons évalué à 0,2 % du PIB des pays de l'Est.
5.3.2 Des flux commerciaux sous surveillance
Du point de vue commercial, les Accords d'association se distinguent de l'union douanière dans la mesure où ils comportent des quotas et des droits de douanes résiduels, ainsi que des clauses de sauvegarde qui permettent à l'une des parties de revenir sur la baisse des barrières aux échanges ou de prendre des sanctions. Dans l'éventualité d'une concurrence exacerbée, et de rapports tendus, on peut imaginer que les quotas seront peu à peu plus contraignants, les PECO améliorant leurs avantages comparatifs dans des secteurs déjà identifiés et compétitifs ; soit que des avantages comparatifs nouveaux apparaîtront et la réaction de l'UE à la concurrence pourrait être d'utiliser des clauses de sauvegarde pour se protéger 81 ( * ) .
En outre, les accords sont bilatéraux, des distorsions de droits de douane peuvent donc persister entre les différents pays associés. Mais surtout dans ce contexte de libéralisation partielle entre les PECO, les échanges n'atteignent pas la totalité de leur potentiel.
Les Accords d'association excluent tout l'appareil d'harmonisation des règles de concurrence parmi lesquelles les clauses réglementaires portant sur les aides de l'État aux entreprises.
Du point de vue des PECO, ce scénario est beaucoup moins ouvert que pour l'UE : on considère en effet qu'ils sont demandeurs, ce qui ne sera peut être pas toujours le cas 82 ( * ) . Dans cette hypothèse les économies en transition n'ont pas intérêt à élever des barrières douanières, notamment sur les produits manufacturés.
Encadré 2 : L'impact des flux financiers au travers d'une maquette
Pour comprendre le fonctionnement des scénarios on peut styliser les éléments au travers d'une maquette simple des pays de l'Est :
Si les pays de l'Est pouvaient importer tout ce qu'ils désirent, leurs importations totales (M) seraient fonction de la consommation (C) et de l'investissement (I) :
(l) M = m r C + m i I
On ne suppose toutefois qu'ils sont contraints financièrement : ils ne peuvent importer qu'en fonction de leurs recettes d'exportations (tX) et des transferts nets que les agents publics ou privés sont prêts à leur accorder (F 1 ). On a donc la relation :
(2) M = t X + F 1
avec (t) les termes de l'échange.
C'est cette contrainte financière qui se reporte sur les investissements. On suppose par conséquent que la causalité de l'équation (1) est modifiée de la façon suivante :
Le reste de l'économie s'en déduit. La production est contrainte par l'offre :
(4) Y = v I + (l-d)Y 4
où v est le coefficient de capital et d le taux de déclassement.
Les exportations (X) sont supposées contraintes par la demande adressée (D 4 )
(5) X = D 4
et l'équation (6) détermine l'équilibre emplois-ressources de 1 économie :
(6) C = Y + M - X - I
L'emploi (L) est déterminé par la productivité du travail (u) :
(7) L = Y/u
En revanche, le commerce entre ces pays peut suivre une logique d'ouverture comme de fermeture. La première semble la plus cohérente avec la logique générale du scénario (mais pas la plus probable). Dans ces conditions les PECO disposent de marges de manoeuvre réduites pour leur politique extérieure : elles se limitent à une manipulation de leur taux de change 83 ( * ) , des droits de douanes sur les biens agricoles (car les biens manufacturés sont une des bases de leur « décollage ») ou encore des subventions à l'exportation.
5.3.3 L'association : neutre à l'Ouest, positive à l'Est
Du point de vue des pays de l'UE, le scénario d'association décrit des impacts macroéconomiques très faibles : toujours bénéfiques sur la croissance, ils ne dépassent pas 0,1 % du PIB de l'UE par an, à moyen terme. Les taux de chômage ainsi que les prix restent proches de leur valeur du compte central (sans Accord d'association). Les importations en provenance des PECO augmentent sensiblement, mais sont globalement compensées par un accroissement symétrique des exportations de l'UE vers cette zone. Il est notable que l'intégration serait donc très légèrement profitable, même aux pays de l'Europe du sud qui selon de nombreuses études risquent de subir la plus vive concurrence de la part des PECO.
Tableau 7 : Impacts des accords d'association entre les PECO et l'UE
Source OFCE, Modèle Mimosa. * En écart relatif par rapport au compte central ; ** Écart relatif en point de PIB ; ***Écart en point
Du point de vue des PECO, le surcroît de production engendré par les Accords d'association soutenus par les programmes PHARE, représenterait un surcroît de production de 11,6 % à l'horizon 2002, soit plus de 1 % par an de croissance supplémentaire par rapport à notre projection de référence.
Au total, le bilan est donc positif, et le coût de cette politique en termes budgétaires et macroéconomiques est quasiment nul à terme. De manière générale elle est bénéfique pour l'ensemble de l'économie mondiale. On peut également remarquer que la crainte d'une éviction des pays en développement par les pays de l'Est, tant pour les investissements que pour les flux commerciaux est infirmée par ces résultats.
5.4 Scénario 2 : solidarité et rattrapage
L'intégration est une alternative bien plus ambitieuse que l'association car elle implique un engagement plus clair des pays de l'UE. Elle réclame d'affirmer, voire de réviser, les objectifs et les moyens de l'Europe.
Dans un premier temps, cette stratégie recouvre celle des Accords d'association. La principale différence avec le scénario précédent est que les flux d'aide sont remplacés par des transferts budgétisés. Cette configuration requiert l'éligibilité à la PAC et aux fonds structurels selon les critères actuels. Par conséquent, elle induit une hausse du budget européen. Les difficultés déjà soulevées lors du débat sur le paquet Delors II montrent qu'une décision de cette nature implique un changement de logique pour les quinze pays participants. Il s'agirait non plus d'un approfondissement sélectif, à marche forcée, mais d'un approfondissement coopératif plus conforme à l'idéal européen originel. La logique fondamentale qui intervient ici est celle du rattrapage pour l'intégration, et non plus de l'aide pour la convergence.
En effet, nous avons considéré que le temps nécessaire à tous les postulants pour faire une demande formelle d'adhésion, et la négociation des modalités serait au minimum de trois à cinq ans avant que la décision, et le début du processus d'intégration ne prennent concrètement effet. Au total ces délais impliquent qu'aucune conséquence macroéconomique fondamentalement différente de celles décrites dans le premier scénario ne devrait intervenir entre 2000 et 2002. En revanche, si l'association induit ensuite une stabilisation des effets macroéconomiques, une véritable intégration leur donne une nouvelle impulsion.
Au-delà des Accords d'association, les pays de l'Est se dirigent vers le marché unique, en excluant dans une phase de « transition » la mobilité des facteurs (main d'oeuvre capital). Cette convergence se caractérise par :
• La suppression des aides de l'État aux
entreprises de l'Est.
• Des niveaux d'échanges qui tendent plus
rapidement vers leur potentiel.
• Une extension des politiques communes aux nouveaux
entrants.
Compatible avec les institutions actuelles, ce scénario exige pourtant que soit affirmée une position - budgétaire au minimum - dont on voit bien qu'un cadre institutionnel rénové pourrait lui conférer une efficacité plus grande.
5.4.1 Des flux financiers déterminants
Dans le cadre des politiques communes, chaque pays de l'Est reçoit un volume d'aide conforme aux règles en vigueur dans l'UE. En conséquence nous pouvons avoir des évolutions endogènes des PIB et donc -par rétroaction- des fonds structurels. Nous utiliserons une équation économétrique modélisant les transferts en fonction du PIB par tête et le taux de chômage (voir section 3).
L'avantage des fonds structurels, par rapport aux financements actuels sous forme de prêts, est qu'ils portent sur des financements de projets productifs et non pas sur des objectifs d'équilibres macroéconomiques 84 ( * ) .
La nature des flux de prêts demeure la même que dans le premier scénario. En niveau, il est en revanche possible de considérer que les effets de levier jouent par deux canaux de meilleures perspectives de croissance devraient accroître la rentabilité des prêts, donc leur volume ; en outre les gains de crédibilité devraient permettre de limiter les primes de risques sur ces pays, donc le coût du financement.
En outre, les investissements directs sont plus favorisés dans ce scénario que dans le précédent ; à court terme parce qu'il n'existe pas d'entrave aux échanges et que les différences de coût unitaire des facteurs sont encore très marquées ; à long terme parce que les entraves aux mouvements de capitaux seraient progressivement levées. Au total les flux privés (prêts et investissements directs) pourraient s'accroître de plus d'un point de PIB.
5.4.2 Des échanges commerciaux débridés
Le problème le plus complexe dans ce cas est certainement l'estimation de l'impact des réglementations européennes (concurrence, protection sociale etc.) sur les échanges et la croissance. Toutefois, les restructurations nécessaires dans le cadre de la transition devraient conduire à une croissance moindre.
Ce scénario prévoit que les accords commerciaux deviennent multilatéraux c'est-à-dire qu'ils s'appliquent dans le cadre d'un grand marché. Par rapport au scénario précédent, les échanges ne subiraient plus d'entraves, ni de menaces de rétorsion autres que celles normalement prévues pour tous les pays de l'UE. Pratiquement cela serait équivalent à introduire progressivement dans le modèle la totalité des flux d'échanges simulés par les modèles de gravité.
5.4.3 L'intégration favorise la convergence
Les possibilités de développement des PECO étant contraintes financièrement, les fonds structurels fournis par l'UE apparaissent déterminants : le PIB total des pays de l'Est est plus élevé de 29 % par rapport au compte central en 2012 (malgré les restructurations), soit un surcroît de croissance de près de 1,5 % par an sur les vingt années à compter de la mise en place des Accords d'association (1992). Les fonds structurels financent des investissements productifs, qui se traduisent par des importations en provenance d'Europe de l'Ouest.
Les pays ouest-européens bénéficient sensiblement du fait que les fonds structurels adressés aux PECO entraînent une hausse des importations des PECO. Les exportations vers les pays de l'Est dynamisent la croissance des pays industrialisés, et induisent une diminution légère du chômage et une amélioration des soldes publics et extérieurs.
Tableau 8 : Impacts de l'intégration des PECO à l'UE
Source : OFCE, Modèle Mimosa. * En écart relatif par rapport, au compte central ; ** Ecart relatif en point de PIB ; *** Ecart en point
Le coût budgétaire ex-ante est de 20 milliards d'Écus par an, soit 0,2 % du PIB de l'UE. Ce coût brut est donc négligeable ; pourtant, ce financement a pour contrepartie des impacts macroéconomiques très favorables, pour les pays bénéficiaires et neutres pour les pays contributeurs. Il est essentiel de noter que l'impact sur la dégradation des soldes publics est nul à terme grâce aux effets positifs de la croissance sur les recettes fiscales.
5.4.4 Les secteurs sensibles
Au total, les effets, bien que faibles, sont bénéfiques sur l'emploi et la croissance des pays de l'UE. Ces résultats macroéconomiques globaux peuvent toutefois masquer des résultats plus contrastés au niveau sectoriel tant du point de vue des pays de l'UE que des pays de l'Est.
Du côté des pays de l'UE, les secteurs « traditionnels », encore protégés, sont sans doute plus vulnérables que les autres. L'ajustement risque d'y être plus coûteux en termes d'emploi, parce que ce sont des secteurs ayant une forte concentration régionale de l'emploi, dont les travailleurs sont faiblement mobiles ou qui sont situés dans une zone économique souvent en déclin.
Ces secteurs représentent une part significative des économies de l'UE, plus ou moins importante selon les régions (les plus exposées étant la France, l'Allemagne et l'Italie du sud ; plus généralement, les régions les plus défavorisées sont aussi celles qui ont la part la plus élevée en produits sensibles). Mais la pénétration des PECO dans ces secteurs est faible : le ratio importations/production dépasse rarement 1 %. Cependant, ces ratios étant exprimés en valeur, ils peuvent se révéler beaucoup plus élevés en termes de quantités physiques de biens 85 ( * ) .
Pour les PECO, ce sont aussi des secteurs importants puisqu'ils représentaient au début de la transition, plus d'un tiers de la valeur ajoutée et près de 40 % de l'emploi (dans le secteur manufacturier). Les produits sensibles représentent de 25 % (Pologne) à 40 % (Hongrie) du total des exportations de ces pays et environ un tiers des exportations vers l'UE.
Mais les exportations en produits « sensibles » ont crû plus lentement que le reste du commerce. D'ailleurs, selon une étude de Hughes & Hare (1992), les produits « sensibles » ne font pas partie des secteurs les plus compétitifs ; ceci s'explique, selon les auteurs, par un manque de restructuration correspondant aux avantages comparatifs de ces pays 86 ( * ) .
6. Conclusion
La nature de l'intégration des pays de l'Est à l'Europe demeure sujette à des incertitudes et conditionnée par des considérations politiques dont les enjeux dépassent le champ étriqué de l'intérêt économique.
Malgré ces incertitudes, ce travail montre que les considérations macroéconomiques ne constituent pas un obstacle dirimant à cette intégration : que l'on se situe dans le cadre d'une coopération diffuse - l'association -, ou intense - l'intégration -, les conséquences macroéconomiques apparaissent toujours bénéfiques. Si sur le plan économique des difficultés peuvent apparaître, c'est au plan sectoriel. D'autre part, la manière de mettre en oeuvre des politiques de rattrapage et de convergence peut limiter les effets bénéfiques sur les pays de l'Est de l'intégration à l'UE 87 ( * ) .
On observe que le second scénario d'intégration est nettement plus favorable aux pays de l'Est, sans être coûteux pour les pays de l'UE. L'intégration politique, sociale et réglementaire pourrait donc constituer un élément positif. Toutefois, même en son absence, ce sont des transferts publics déterminés et importants des pays européens, qui engendreront des flux privés plus confiants et plus importants, et un commerce plus efficace et plus libre. Ces transferts publics constituent la clef d'une transition réussie, même s'ils ne se concrétisent pas à brève échéance par une participation aux institutions politiques européennes.
Ce que met en lumière la problématique de l'élargissement pour les États de l'UE, c'est la nécessité d'apporter une assistance économique et financière importante aux pays de l'Est. Dans un premier temps cette nécessité peut être considérée indépendamment de l'élargissement politique de l'Union : d'une part parce qu'elle en constituerait de toute manière un élément central, d'autre part parce qu'un soutien massif et continu favoriserait à terme l'accès des PECO à l'union politique. En effet, moins les obstacles économiques apparaîtront importants, plus les enjeux essentiels de l'union politique pourront être analysés et négociés clairement. L'adhésion politique soulève en effet des considérations plus larges, plus importantes et plus sensibles qui requièrent le partage de volontés et d'engagements, aussi bien des pays hôtes que des pays souhaitant adhérer au projet porté par l'Union européenne.
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* 1 Etude réalisée pour la Délégation du Sénat pour l'Union européenne par une équipe d'économistes de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE, 69 quai d'Orsay, 75007 PARIS) avec la collaboration d'économistes du Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung (DIW, BERLIN), sous la direction de Jacques LE CACHEUX (OFCE). Les auteurs des différents chapitres sont : Sandrine CAZES (Département des études, OFCE), Bruno COQUET (Département d'économétrie, OFCE), Jacky FAYOLLE (Département des diagnostics, OFCE), Jacques LE CACHEUX (Département des études, OFCE), Frédéric LERAIS (Département d'économétrie, OFCE) et Dieter SCHUMACHER (DIW). Ont également participé aux discussions : Odile CHAGNY (Département des diagnostics, OFCE), Gustav HORN (DIW), Mathilde MAUREL (Département des études, OFCE), Françoise MILEWSKI (Département des diagnostics, OFCE) et Björn ROTHER (Stagiaire au Département des études, OFCE).
* 2 Seuls les six plus grands PECO -- « groupe de Visegrad » (Hongrie, Pologne, République slovaque et République tchèque), Bulgarie et Roumanie -- sont pris en considération. Étant donné leur taille, il apparaît que l'adhésion des autres PECO candidats -- États baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), Slovénie -- peut être considérée, d'un point de vue strictement économique, comme ayant des effets négligeables.
* 3 Pour les données concernant les PECO et les pays d'Europe du Sud, voir le Chapitre 1. Dans le cas de l'ALENA, le Mexique représentait 31 % de la population et 5 % du PNB de la zone préexistante (Canada + Etats-Unis) (Rother, 1995). Dans le cas de l'Allemagne, la RDA représentait 27 % de la population mais, selon les estimations les plus fiables et au taux de conversion de 1 :1 adopté lors de l'unification monétaire (Burda, 1990 ; Passet, 1990), seulement entre 10 % et 15 % du PNB ouest-allemands.
* 4 Même si l'adhésion impliquait de nouvelles contraintes sur l'exercice de la souveraineté nationale et éventuellement des abandons limités de souveraineté dans ces différents domaines.
* 5 La principale raison de cette insistance des syndicats (ouest-allemands) sur la parité des salaires -- d'ailleurs regardée avec bienveillance par le gouvernement fédéral -- était 1a crainte d'une concurrence de la main-d'oeuvre est-allemande ou de migrations massives des Länder orientaux vers ceux de l'Ouest. En réalité, la convergence des salaires n'a pas complètement empêché l'augmentation des migrations -- pendulaires ou de résidence --, notamment à cause du chômage qui sévit à l'Est (cf. Horn, 1995).
* 6 La forme de conditionnalité dont il est ici question fait référence à la nature des projets financés, plus qu'à des conditions en termes de politiques ou de performances macroéconomiques.
Il faut également reconnaître que l'octroi d'aides publiques, même importantes, pour financer des infrastructures ou subventionner les investissements productifs privés ne garantit pas toujours la réussite du processus de rattrapage : les exemples abondent, dans les politiques régionales des différents pays comme dans les politiques d'aide au développement, d'évolutions « perverses », de type « Mezzogiorno ». L'aide revêt alors un caractère d'assistance permanente au revenu des résidents ; mais elle a, malgré tout, des effets bénéfiques sur les exportations de la zone donatrice, car elle soutient la demande locale.
* 7 Ce qui peut être considéré comme une condition favorable à la restructuration, mais comporte des coûts d'ajustement importants, notamment en termes de déclassement du capital productif et de chômage de la main-d'oeuvre.
* 8 Ces difficultés ne sont pas sans rappeler celles que rencontrent les processus de désinflation, voire de « désinflation compétitive » à la française. Dans des conditions tout autres, elles risquent également de se manifester pour la Russie qui tente, depuis plusieurs mois, une expérience de stabilisation monétaire avec ancrage nominal.
* 9 Les orientations contenues dans le nouveau Farm Bill américain, qui doit être adopté par le Congrès dans un proche avenir, seront, de ce point de vue, particulièrement intéressantes.
* 10 Cf. l'article de P.A. Muet [1995]
* 11 L'approche moderne du commerce international distingue entre le commerce inter-industriel (des biens agro-alimentaires contre des produits manufacturés, ou encore des produits textiles contre des ordinateurs) et le commerce intra-industriel, fait d'échanges croisés au sein d'une même activité (des Mercedes haut de gamme contre des Renault Clio). La référence aux avantages comparatifs, comme principe explicatif des échanges, n'est valide que pour le commerce inter-industriel, tandis que la structure de l'échange intra-industriel n'est guère prévisible. Le commerce intra-industriel est essentiel dans les échanges entre pays industriels avancés, aux niveaux de développement comparables.
* 12 Un ouvrage récent d'A.Maddison [1995] publie une rétrospective longue d'agrégats comptables nationaux pour un grand nombre de pays. Elle est largement basée sur le projet PCIVI et elle a été grandement utilisée pour les calculs présentés dans la suite du texte.
* 13 PIB/Population = (PIB/Emploi)x(Emploi/Population). Si le PIB par habitant est fixé à un niveau K, on aura l'expression suivante : PIB/Emploi = K/(Emploi/Population), ce qui est l'équation de l'hyperbole de niveau K. Sur le graphique 1, apparaissent les hyperboles correspondant à K=100 (assimilé au PIB par tête des Etats-Unis en 1992), K=50 et K=10. Pour établir les données rétrospectives nécessitées par le graphique 1, on a utilisé les séries de PIB et de population présentées par A. Maddison, op.cit., ainsi que les données d'emploi total disponibles dans les Economic Surveys annuels de la Commission économique de l'ONU pour l'Europe et dans la série des Principaux indicateurs économiques de l'OCDE consacrée aux économies en transition.
* 14 Pour cette année 1995, on s'est basé sur les prévisions publiées par l'OCDE pour les PECO dans ses Perspectives économiques. Pour la population, on a repris les chiffres actualisés pour 1995 tels qu'ils sont publiés par le bulletin de l'INED Population et sociétés ("Tous les pays du monde", n°304, Août 1995).
* 15 Bien sûr, le taux d'emploi est une grandeur affectée par des effets de structure démographique (les jeunes et le vieux travaillent moins que les adultes en âge de travailler). Mais la variabilité de la notion de chômage et de sa mesure pratique, selon les pays, est telle que les comparaisons internationales sont probablement moins faussées en comparant les taux d'emploi plutôt que les taux de chômage, sachant que le dénominateur de ce dernier (la population active) exclut toutes les personnes découragées de se présenter sur le marché du travail. A cet égard, les stabilisations, voire les baisses, des taux de chômage enregistrées depuis 1993 dans plusieurs PECO doivent être appréciées avec prudence.
* 16 Une vision plus précise des dynamiques conjoncturelles récentes des PECO, notamment en matière de productivité et de répartition, est présente dans l'article de J. Sgard [1995].
* 17 Le redressement de la capacité d'accumulation des PECO est, à cet égard, un paramètre stratégique. Ces pays sont passés, en peu de temps, d'une situation d'excès et d'inefficacité de l'accumulation à une situation d'insuffisance de cet effort d'accumulation. Les taux d'épargne et d'investissement nationaux se sont effondrés entre la fin des années quatre-vingt et 1993, passant pour l'ensemble des PECO (hors ex-URSS) de plus de 30 % du produit national à moins de 20 %. Le redressement ne fait que s'esquisser dans certains d'entre eux. Il est vrai cependant que la composante équipement de l'investissement global progresse plus vite que celui-ci. Cf. l'étude publiée par la Commission européenne [1995].
* 18 Sur cette différenciation des dynamiques commerciales entre les PECO, voir les deux articles de F. Lemoine [1995] et de D. Pianelli [1995]
* 19 L. Halpern et C. Wyplosz [1995] montrent que les devises est-européennes ont suivi, depuis le début de la transition dans chaque pays, des trajectoires de nature analogue : une dévaluation initiale brutale et exagérée puis une progressive appréciation du taux de change réel, qui s'explique par un effet de correction du mouvement antérieur mais aussi par l'amélioration des performances de productivité et par la revalorisation des prix relatifs des services. En dépit de cette communauté d'évolution qualitative, les points d'arrivée actuels ne sont pas équivalents : la monnaie tchèque reste très sous-évaluée alors que la devise hongroise serait passe d'être surévaluée.
* 20 On trouvera un exercice reposant sur une méthodologie analogue dans l'article de B. Saint-Aubin [1995]
* 21 Les montants en Écus indiqués par la suite le sont toujours en Écus de 1992.
* 22 Voir, pour une description plus complète de l'enjeu des fonds structurels, l'article de D. Besnainou [1995]
* 23 On peut certes critiquer le choix de l'année 1993, la dernière disponible avec des informations complètes, pour n'être pas représentative, puisqu'il s'agit sans doute du creux de la dépression est-européenne. Mais, outre que ce point ne perturbe pas la comparaison instantanée entre le montant effectif des flux financiers reçus et le montant potentiel des fonds structurels sollicités, cette comparaison aboutirait à un contraste encore plus marqué si les flux financiers effectifs, rapportés au PIB du pays destinataire, étaient mesurés en moyenne sur la période 1990-93. Pour plusieurs pays (Hongrie, Pologne, Tchéquie), l'année 1993 est en effet une année de montée en charge des apports externes. Cf le tableau 2 de l'article de J. Sgard [1995].
* 24 Cf. l'étude de la Commission européenne [1994 a].
* 25 Cf. le numéro spécial des Cahiers d'études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien [1993].
* 26 On notera l'analogie, mutatis mutandis, avec la périodisation française, qui combine les réformes de 1959 avec l'affirmation du caractère indicatif de la planification au début des années soixante, à travers les essais de programmation en valeur.
* 27 Différents auteurs (B. Balassa, P. Samuelson, J. Bhagwati, I. Kravis, R. Lipsey) ont proposé des explications du plus bas niveau des prix dans les pays pauvres. Ces explications reposent notamment sur le rôle du secteur abrité, producteur de biens non échangeables internationalement (services, construction, etc.), qui se caractérise par de faibles gains potentiels de productivité et par une forte intensité relative en travail. Tant que les salaires sont bas dans les pays pauvres, les prix des biens non échangeables sont bas également. Lorsque à l'initiative du secteur ouvert à la concurrence internationale et de ses gains de productivité, les salaires s'élèvent dans l'ensemble de l'économie pauvre, le prix des biens non échangeables s'élève relativement à ceux des biens échangeables et rattrape le prix des biens non échangeables dans les pays leaders. Le taux d'inflation est ainsi nécessairement plus élevé dans les pays pauvres, tant que dure le rattrapage de productivité dans le secteur exposé et rattrapage salarial dans l'ensemble de l'économie, sous l'hypothèse que les différences internationales de productivité sont faibles entre secteurs abrités. L'économie espagnole se caractérise par un secteur abrité important et protégé, qui concourt visiblement à la résistance relative de l'inflation dans ce pays. Cette divergence d'évolution entre prix des services prix du secteur exposé est déjà à l'oeuvre dans les PECO et contribue à y expliquer la persistance de fortes inflations. C'est un des facteurs que L. Halpern et C. Wyplosz ( op. cit. ) prennent en compte dans leur modélisation du taux de change réel des devises est-européennes pour en expliquer l'appréciation postérieure aux dévaluations initiales.
* 28 Ces essais ont été regroupés sous le titre Economie Backwardness in Historical Perspective [1962]
* 29 On peut, à cet égard, méditer sur cette réflexion de Gerschenkron, qu'il faisait porter sur siècle dernier : "Les éléments fondamentaux d'une économie retardataire étaient, " l'ensemble, les mêmes, dans la Russie des années quatre-vingt-dix et dans l'Allemagne années cinquante. Mais, qualitativement, les différences étaient formidables. La rareté capital en Russie était telle qu'aucun système bancaire ne pouvait raisonnablement réussir à attirer suffisamment de fonds pour financer une industrialisation à large échelle ; les standards d'honnêteté dans les affaires étaient si désastreusement bas, la méfiance générale, du public si forte qu'aucune banque n'aurait pu même espérer attirer le peu de capital disponible, ni s'engager dans des politiques de crédit à long terme, compte tenu d'un contexte économique où la faillite frauduleuse avait presque été élevée au rang d'une pratique courante des affaires" (A. Gerschenkron, op.cit., p.l9, traduit par J.F.)
* 30 Le rapport CEPII-OFCE, Economie mondiale 1990-2000 : l'impératif de croissance [1992], utilisait cette double démarche prospective et lui associait des chiffrages informatifs et éclairants, qui présentaient le type de résultats évoqués.
* 31 Il convient toutefois de souligner la fragilité des projections en matière de production agricole, tant dans les pays de l'UE que dans les PECO et, plus généralement, au niveau mondial.
* 32 Le traitement des données a été effectué par Cerlinde Höpp-Hoffmann et Karin Hollmann.
* 33 Les données d'échanges extérieurs des États baltes et de la Slovénie ne sont disponibles, sur une base comparable aux autres, que pour 1993 et 1994, de même que celles qui distinguent la République slovaque et la République tchèque. L'analyse porte donc essentiellement sur les pays du « groupe de Visegrad ».
* 34 Les catégories de produits sont celles de la nomenclature internationale (ISIC), reconstruites par le DIW à partir des données CTCI de l'OCDE. Les tableaux Al à A4, contenus dans l'Appendice à ce chapitre, permettent d'en retracer l'évolution de 1989 à 1993.
* 35 On a remplacé les zéros par de petites valeurs positives et utilisé la méthode des Moindres carrés ordinaires (MCO).
* 36 Cette ville est un centre économique à peu près équidistant de ceux de la côte est et de la côte ouest : elle apparaît donc comme un compromis acceptable.
* 37 Il se peut que le niveau élevé des qualifications que révèlent les données officielles ne corresponde pas au type de connaissances que nécessitent les économies de marché.
* 38 Les données utilisées sont celles de l'année 1988. Elles ont été recalculées pour passer de la nomenclature NACE à ISIC.
* 39 Dans la réalité, évidemment, les différences intersectorielles de coûts salariaux horaires peuvent être influencées par d'autres facteurs, comme la productivité du capital, la composition par âge, par sexe de la main-d'oeuvre, le taux de syndicalisation, etc. Mais l'hypothèse paraît raisonnable pour la majorité des branches.
* * Les auteurs sont économistes à l'OFCE, 69 quai d'Orsay, 75007 Paris. Ils remercient Jacky Fayolle, Jacques Le Cacheux, Hervé Le Bihan, Mathilde Maurel et Henri Sterdyniak pour leur aide et leurs commentaires sur des versions préliminaires de ce travail. Les auteurs demeurent cependant responsables des erreurs qui subsisteraient dans ce document.
40 1 Toutes les abréviations utilisées dans le texte sont recensées dans le lexique situé en fin de chapitre.
* 41 Nous utilisons ici la nouvelle version (1995) du modèle Mimosa de l'OFCE, qui décrit de manière détaillée l'économie mondiale en six pays et treize zones
* 42 En particulier le problème de la compatibilité entre cette neutralité et la Politique extérieur et de sécurité commune (PESC) a largement été occulté. Pour une synthèse sur les enjeux géopolitiques on peut se référer à IFRI, 1995.
* 43 Baldwin, 1992 ; Martin, 1995 ; Bofinger, 1995.
* 44 Fayolle, 1996 ; Lemoine, 1995
* 45 Les explications courantes de la chute de la production sont recensées dans Rosati, 1994. On peut voir aussi Bruno, 1994. Rodrik, 1992 va même jusqu'à attribuer l'essentiel de la récession observée en 1991 en Hongrie et la Tchécoslovaquie à la disparition des échanges avec l'Union soviétique
* 46 Les pays balkaniques sont particulièrement exposés à cette concurrence. Cf. Lemoine, 1995 ; Faini & Portes, 1995.
* 47 Cf . Halpem & Wyplosz, 1995.
* 48 Cette reprise doit néanmoins être considérée avec prudence dans certains pays, dans la mesure où les variations de stocks sont parfois extrêmement importantes.
* 49 Cf. UN/ECE, 1995.
* 50 Voir en particulier le débat sur le manque d'épargne Artus, Bismut & Plihon [1992].Certains économistes ont d'ailleurs insisté sur le fait que les pays d'Europe de l'Ouest ont souffert d'une hausse des taux d'intérêt parce que l'Allemagne connaissait des tensions sur les capacités de production.
* 51 Fitoussi & Phelps, 1990 ; CEPR, 1990 ; Collins & Rodrik, 1991 ; Bartolini & Symansky, 1994.
* 52 Voir le débat sur les effets des investissements directs sur la diffusion de la rationalité de marchés.
* 53 Pour application de la problématique du plan Marshall à celle de la transition cf. Eichengreen & Uzan, 1990 ; Kirman & Reichlin, 1990 ; Aglietta & alii, 1992 ; Sgard 1991.
* 54 Sgard, 1995.
* 55 Bensainou, 1995 ; Saint Aubin, 1995 ; Gual, 1995 ; Baldwin, 1994.
* 56 Gual & Martin, 1995, Lemoine, 1995.
* 57 Le Cacheux, 1996.
* 58 Coquet & Lerais, 1995.
* 59 Baldwin, 1994.
* 60 La diversion exprime la modification des parts de marché, et l' intensification l'augmentation du volume global des échanges.
* 61 Ces estimations se placent dans un cadre de libre échange en raison de la difficulté d'évaluer précisément l'impact des quotas et des droits de douanes : aujourd'hui les limites fixées ne sont pas atteintes, ils sont donc peu contraignants. Les réformes structurelles devant améliorer les conditions d'offre, elles auront un impact difficilement évaluable, pouvant donner peu à peu un caractère plus contraignant aux quotas. Commission Européenne, 1995b et 1994a ; Rollo & Smith, 1993.
* 62 Neven, 1995 ; Halpern, 1995.
* 63 Wang & Winters (1991) font leurs estimations à partir de données (moyennes des années 1984 à 1986 portant sur un échantillon de 76 pays ne comprenant pas les pays de l'Est.
L'échantillon retenu par Balwin (1994) couvre les principaux pays de l'OCDE
* 64 Il serait néanmoins possible de montrer que les auteurs se réfèrent implicitement à un modèle de gravité ; voir Baldwin, 1994.
* 65 Pour les exportations des PECO vers l'URSS les résultats sont issus de Baldwin (1994), car Wang & Winters ne prennent pas en compte les échanges intra-CAEM dans leur étude. Il faut remarquer que ces études étaient antérieures à la désintégration du CAEM.
* 66 A l'exception des exportations de la Finlande
* 67 Voir Schumacher, 1996 ; Baldwin, 1994 et les contributions rassemblées dans Faini & Portes 1995.
* 68 Cf. UN/ECE, Economie Survey of Europe, 1995, p.126. Pour le secteur manufacturier, par exemple, les coûts de production ont baissé, des programmes pour promouvoir les exportations ont été introduits et la compétitivité-prix s'est accrue grâce à la dépréciation, en termes réels, de la plupart des monnaies des PECO.
* 69 Toutefois, une levée des droits de douane est prévue pour janvier 1996 sur les produits sidérurgiques, puis une suppression des barrières douanières sur les produits textiles en janvier 1997.
* 70 Cf. Baldwin, 1994.
* 71 Cf. Colin & alii , 1993.
* 72 Pour une présentation détaillée voir Maurel, 1995.
* 73 Pour une simulation de l'économie mondiale voir Mimosa, 1995.
* 74 L'hypothèse est qu'entre 1989 et 2010 les PECO croissent à un rythme de 5 % par an en moyenne alors que dans le même temps les pays de l'UE croissent à 2 % par an.
* 75 Il faut garder à l'esprit que cette description s'entend toutes choses égales par ailleurs : elle ne tient pas compte des hausses d'importations des pays de l'Est induites par les réallocations de parts de marché liées à l'intensification. Celles-ci seront prises en compte par la dynamique de notre modèle macroéconomique.
* 76 En effet, Baldwin fournit une matrice des échanges potentiels intra-européens dont on peut voir qu'elle diffère sensiblement des flux observés, même entre les pays fondateurs du Traité de Rome.
* 77 Cf. Mimosa, 1995.
* 78 Cf. Coquet & Lerais, 1995.
* 79 Ce qui bien sûr ne signifie pas que des adaptations de ce cadre réglementaire ne sont pas souhaitables, pour cet objectif ou pour des objectifs plus généraux.
* 80 Cf. Section 3.
* 81 Neven, 1995.
* 82 Bofinger, 1995.
* 83 Halpern & Wyplosz, 1995.
* 84 Sgard, 1992
* 85 Mathieu & Sterdyniak, 1994.
* 86 CEPR, 1990 ; Collins & Rodrik, 1991 ; Hamilton & Winters, 1992 ; Rollo & Smith,
* 87 Cf. Fayolle, 1996.