COMPTE RENDU DE LA COMMISSION DES LOIS

Le mercredi 14 février 1995, la commission a procédé, à l'examen du rapport de MM. Lucien Lanier et Guy Allouche, sur la mission d'information qu'ils ont effectuée Polynésie française du 15 au 27 janvier 1996.

M. Lucien Lanier a rappelé que M. Guy Allouche et lui-même avaient effectué une mission d'information en Polynésie française du 15 au 27 janvier 1996 en vue notamment, de recueillir sur place tous les éléments d'information nécessaires à l'examen des deux projets de loi (organique et simple) portant statut d'autonomie de la Polynésie française.

Il s'est félicité de l'excellent déroulement de cette mission, facilité par l'accueil et l'accompagnement dans les différents archipels de M. Daniel Millaud dont il a salué l'efficacité, la neutralité et la « parfaite connaissance des lieux et des hommes ».

M. Lucien Lanier a souligné l'ampleur et la densité du programme de travail de cette mission, avec dix îles visitées dans trois archipels (Iles de la Société, Tuamotu et Marquises) et quarante entretiens de plus d'une heure chacun avec les représentants de toutes les composantes politiques, économiques, culturelles, sociales et religieuses de la Polynésie française. Il a toutefois regretté que la mission n'ait, en raison des distances, pas pu se rendre dans les deux archipels très éloignés des Australes et des Gambier.

De tous ces entretiens, il a déclaré avoir ressenti comme principales clés de l'identité polynésienne l'éloignement, l'insularité et une très grande diversité d'un territoire rassemblant plus de 110 îles sur une étendue aussi vaste que l'Europe, à plus de 18.000 kms de la métropole.

M. Lucien Lanier a rappelé l'ancienneté des attaches culturelles liant la Polynésie à la France, insistant néanmoins sur le fait qu'au-delà de l'héritage culturel de la France, la situation économique et sociale de la Polynésie était profondément marquée, depuis une trentaine d'années, par la disparition des structures traditionnelles et la prédominance d'une économie d'assistance.

Il a rappelé qu'avec l'installation du Centre d'expérimentation nucléaire à partir de 1964, la Polynésie française avait connu une forte croissance économique et démographique (220.000 habitants dont 45 % de moins de vingt ans) marquée néanmoins par de réels handicaps structurels : importance des revenus de transferts publics, hypertrophie des activités tertiaires -notamment du secteur public- au détriment de l'économie traditionnelle, part considérable des importations, avec une croissance économique très supérieure à celle des Etats voisins (sept fois le PIB des Fidji, par exemple) mais fragile car en large part liée à des financements extérieurs.

Aussi a-t-il noté qu'avec la suspension des essais nucléaires et le ralentissement corrélatif des transferts en provenance de la métropole, la Polynésie française était désormais frappée par un fort chômage et par les facteurs classiques de l'exclusion, touchant déjà près de 20 % de la jeunesse. Il a également jugé inquiétants l'exode rural et la concentration urbaine à Tahiti où se regroupaient déjà 50 % de la population totale du territoire, avec l'apparition de certains « phénomènes de banlieue ».

M. Lucien Lanier a retracé les efforts récents entrepris pour remédier à cette dégradation, notamment la loi d'orientation décennale de 1994 et le contrat de développement 1994/1998 prévoyant 3 milliards de crédits dont 50 % en provenance de l'Etat Il a également mentionné la compensation promise par le Chef de l'Etat pour amortir durant dix ans les effets économiques de la cessation définitive des essais nucléaires.

M. Lucien Lanier a par ailleurs évoqué les secteurs où la Polynésie française disposait d'atouts lui permettant de développer des activités économiques nouvelles : la culture de la perle noire et la nacre, les dérivés du coco (monoï et coprah), les fleurs, la vanille (en dépit des investissements importants à réaliser), l'agro-alimentaire (cultures maraîchères et fruitières, aux Marquises et aux Australes notamment) et la pêche, dont il a souhaité une meilleure organisation et une plus grande productivité. S'agissant du tourisme, souvent présenté comme le débouché le plus prometteur, il a incité à une certaine prudence d'autant que la formation du personnel local ne lui paraissait pas encore adaptée à un véritable tourisme de luxe.

Pour autant, M. Lucien Lanier n'a pas sous-estimé les handicaps économiques liés à l'éloignement et à l'isolement des archipels (à 23 heures d'avion de la métropole), à l'éparpillement des îles au sein d'un même archipel, au coût élevé des transports intérieurs et à leur réseau en étoile centralisé sur Tahiti.

Du point de vue juridique, il a noté le poids du régime foncier fondé sur l'indivision familiale de très vastes domaines. Il a constaté que dans les faits le droit coutumier prévalait souvent sur les règles du code civil -pourtant applicables depuis un siècle- et pouvaient constituer un obstacle à l'aménagement du territoire ou favoriser la spéculation foncière.

Du point de vue sociologique, M. Lucien Lanier a souligné la diversité des archipels (climatique, géographique, confessionnelle, etc.), notamment pour les Marquises.

En dépit de ces différences, il a considéré que la Polynésie française formait un ensemble cohérent dans l'immensité pacifique, agrégé par des intérêts communs et l'empreinte de la présence française.

En conclusion, il a souligné qu'au fil de quatre statuts successifs jusqu'en 1984, la Polynésie était engagée dans la voie d'une autonomie réelle dont il a souhaité l'évolution. Il a néanmoins préconisé un répit d'une dizaine d'années dans des évolutions statutaires, de façon à mettre en place les conditions d'un démarrage économique autonome du territoire.

Il a souligné l'aspiration des 48 communes à une meilleure prise en compte de leurs intérêts, à travers une forme de décentralisation inspirée du modèle métropolitain, ajoutant toutefois que toutes n'y semblaient pas réellement préparées.

Estimant qu'en ne traitant pas au fond les facteurs d'exclusion la France favoriserait les revendications indépendantistes, M. Lucien Lanier a souhaité que la Polynésie française parvienne à resserrer son unité, en dépit de l'éparpillement des îles, et à trouver une voie moyenne entre l'identité Polynésienne et les prolongements de la colonisation.

M. Guy Allouche s'est pleinement associé aux remerciements exprimés par M. Lucien Lanier à l'égard de M. Daniel Millaud. Il a par ailleurs souligné que la mission sénatoriale avait tenu à aller à la rencontre de l'ensemble des élus locaux.

M. Jacques Larché, président, a fait observer que cette démarche était une tradition constante de la commission, les sénateurs ayant pour principe de se rendre sur le terrain pour y rencontrer les élus locaux et y constater les réalités du terrain et non de demander aux personnes de se déplacer au chef-lieu du territoire pour rencontrer la délégation.

Reprenant son propos, M. Guy Allouche a souligné que l'aspiration des polynésiens à une plus grande autonomie devait trouver sa contrepartie dans plus de responsabilité et dans l'acceptation de mécanismes de contrôle et de contre-pouvoirs, exigences qu'il a estimé parfois difficiles de faire admettre par les responsables du territoire.

Considérant que la Polynésie française vivait depuis trente ans « sous perfusion financière », il s'est interrogé sur l'avenir du territoire à partir de 2006, date d'expiration de la compensation de l'arrêt des essais nucléaires.

Persuadé par ailleurs que ces essais auraient à moyen ou long terme des conséquences pour l'instant mal perceptibles, il a estimé qu'il devait subsister une solidarité naturelle entre la France et la Polynésie.

Il s'est déclaré préoccupé par un « développement à deux vitesses » entre d'une part l'archipel de la Société et, d'autre part, les autres archipels, notamment les Marquises où s'exprimaient des revendications à la départementalisation afin d'échapper à la tutelle de Tahiti, ressentie comme plus pesante et moins favorable que celle de l'Etat. Il a craint que le contrat de ville conclu avec Tahiti n'accroisse encore le déséquilibre entre Papeete et les autres îles.

M. Guy Allouche a noté que les communes demeuraient « les grandes oubliées » du nouveau statut

Enfin, il a relevé l'utilisation parfois incohérente des crédits, citant comme exemple le « gâchis » d'une usine d'incinération dont le coût avait atteint 5 milliards de francs CFP mais qui n'avait fonctionné que trois semaines, faute d'équipements de traitement des déchets en amont et d'approvisionnement énergétique fiable.

En conclusion, M. Guy Allouche a jugé que la Polynésie française avait beaucoup plus besoin d'une charte de développement économique que de nouvelles institutions.

M. Daniel Millaud s'est félicité de cette mission, regrettant que trop souvent les parlementaires votent des lois sans connaître exactement les réalités du territoire où elles devaient s'appliquer.

Il a rappelé que le Centre des Essais du Pacifique s'était installé en Polynésie précisément à la période où les mines de phosphate avaient cessé leur exploitation et où les cours du coprah et de la vanille s'étaient effondrés. Il a admis que cette installation avait donné un nouveau souffle économique au territoire, notant néanmoins qu'elle avait eu des effets préjudiciables sur la diversification des activités. Il a cité à cet égard la réticence de l'administration à l'installation d'investisseurs ou de travailleurs qualifiés étrangers (hôtellerie américaine, perliculteurs japonais, etc..) en raison de la crainte de l'espionnage.

M. Daniel Millaud a confirmé le déséquilibre démographique en Polynésie, lié à une urbanisation excessive à Tahiti qui a développé le phénomène de l'exclusion.

A ce sujet, il a considéré que la conclusion du contrat de ville avait représenté une grave erreur et qu'un contrat d'archipel eût été de très loin préférable.

Il s'est déclaré hostile à la « politique de perfusion », souhaitant au contraire que la population assume pleinement son propre développement économique.

II a enfin noté que le projet de nouveau statut n'apportait que très peu de changements réels par rapport à celui de 1984, l'important à ses yeux étant plutôt de rechercher une plus grande stabilité statutaire et de parvenir à des contrôles plus efficaces de l'Etat, sur le plan financier notamment.

M. Michel Dreyfus-Schmidt, évoquant une mission qu'il avait effectuée en Polynésie il y a quelques années avec plusieurs membres de la commission des lois, notamment le regretté Bernard Laurent, a fait part de l'attachement réel et profond des Polynésiens envers la France, bien au-delà de tout intérêt financier.

M. François Giacobbi a salué la qualité des exposés de MM. Lucien Lanier et Guy Allouche, en soulignant néanmoins qu'à ses yeux, par-delà l'insularité proprement dite, aucune confusion ne devait être entretenue entre la Polynésie française et la Corse.

Il a ainsi opposé les distances (180 kms du continent dans le cas de la Corse, 18 000 pour la Polynésie), les temps de trajet (23 minutes pour le passsage Nice-Calvi, contre 23 heures pour un Paris-Papeete) et, surtout, le statut juridique radicalement différent entre la Corse -région métropolitaine regroupant deux départements métropolitains- et la Polynésie française, territoire d'outre-mer régi par l'article 74 de la Constitution.

Il a par ailleurs souligné que l'indivision foncière en Corse n'avait rien à voir avec celle de la Polynésie et qu'elle avait d'ailleurs tendance à disparaître avec l'enchérissement des terrains, sur le littoral en particulier.

Aussi a-t-il rejeté toute tentation d'amalgame qui consisterait à proposer pour la Corse un statut d'autonomie inspiré de celui des TOM.

M. Lucien Lanier a pleinement approuvé cette mise au point, précisant qu'à ses yeux, aucune comparaison n'était justifiée entre la Corse et la Polynésie.

En conclusion, la commission a autorisé la publication du rapport d'information de MM. Lucien Lanier et Guy Allouche.

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