C. LES LANGUES ÉTRANGÈRES PROPOSÉES AU LYCÉE : UNE DIVERSIFICATION CONTRARIÉE ET UNE PÉDAGOGIE PRIVILÉGIANT L'ÉCRIT
En dépit d'une offre théorique particulièrement large qui place la France au premier rang européen et mondial quant au choix de langues proposées, la diversification linguistique au lycée est altérée par la poursuite du phénomène d'uniformisation constatée au collège, par un effet de masse et par les modalités des épreuves de langues au baccalauréat qui imposent notamment une pédagogie plus académique qu'il y a une quinzaine d'années et qui se traduisent par une chute des compétences à l'oral des candidats au baccalauréat.
Ce phénomène s'est aggravé avec la mise en oeuvre de la rénovation pédagogique des lycées qui a abouti à mettre en concurrence les langues rares avec d'autres options jugées plus attractives.
1. Une offre de langues théoriquement très large
Vingt langues vivantes peuvent en effet être choisies pour les épreuves obligatoires du baccalauréat, ces langues ayant été retenues selon plusieurs critères :
- langues officielles des États de l'Union européenne ;
- langues largement utilisées au plan international ;
- langues appartenant à des communautés étrangères fortement représentées sur le territoire national.
S'agissant des épreuves facultatives, 14 langues peuvent être proposées à l'oral et 35 à l'écrit.
2. Les objectifs poursuivis par la rénovation pédagogique des lycées pour l'enseignement des langues vivantes
La rénovation pédagogique des lycées qui a été mise en oeuvre pour la seconde dès la rentrée 1992 et s'est achevée avec la session du baccalauréat de 1995 devait permettre notamment de valoriser d'une manière plus satisfaisante l'enseignement des langues vivantes.
a) Les principes de la réforme
- en classe de seconde, les élèves peuvent choisir jusqu'à trois langues vivantes, une langue obligatoire pour tous et deux langues pouvant être prises en options obligatoires ou facultatives.
- en classes de première et de terminale, la situation diffère selon les séries :
la LV1 est obligatoire pour tous les élèves (4 heures hebdomadaires en 1 ère et 3 heures en terminale) et bénéficie d'un horaire plus important en série littéraire (L) ;
la LV2 peut être choisie comme enseignement obligatoire en séries économique et sociale (ES) et littéraire (L) et fait partie depuis la rentrée 1994 des enseignements obligatoires de la série sciences et technologies tertiaires (STT).
Les novations proposées permettent désormais de choisir la LV2 en option dans toutes les autres séries de la voie générale et de la voie technologique, et de choisir des options de langue vivante renforcée en séries ES et L.
La LV3 peut être choisie en option dans les séries ES, L et S, selon un horaire qui peut être porté à 5 heures pour les élèves des séries L et S qui n'ont pas suivi l'option en classe de seconde ; le choix d'une LV3 en classe de terminale en tant qu'enseignement de spécialité permet aux élèves de définir un profil « lettres-langues » ou « économie-langues » : dans ce cas, les langues vivantes représentent plus du tiers du total des coefficients en séries ES.
- L'enseignement modulaire des langues.
Les élèves des classes de seconde et première ont désormais la possibilité de suivre un enseignement de langue en module, à effectifs réduits et qui a pour objectif, en sus des horaires traditionnels, d'apporter une aide personnalisée et adaptée à leurs besoins, notamment sur le plan méthodologique.
Dans le domaine des langues, le module porte obligatoirement sur la LVl en classe de seconde tandis qu'en première, les établissements ont le choix de décider de faire porter le module sur les langues.
b) Des résultats décevants : une diversification par la troisième langue toute relative
Comme il a été vu, le recul du niveau de diversification linguistique au collège en LV1 au profit de l'anglais et en LV2 au bénéfice de l'espagnol, aurait pu conduire à envisager un élargissement des langues choisies au lycée au niveau de la LV3.
Les chiffres ci-après, s'ils révèlent une diversification non négligeable, en direction notamment de l'italien et du russe, marquent les limites de l'objectif recherché :
L'évolution des effectifs de la troisième langue au cours des années les plus récentes révèle encore une part très importante consacrée à l'espagnol, désormais dépassée par l'italien, mais une part marginale pour le portugais (en dépit d'une légère progression) et surtout pour l'arabe littéral qui n'effectue aucune percée significative dans l'enseignement secondaire.
S'agissant des autres langues rares choisies en LV3, leur situation est encore plus catastrophique :
- chinois : 0,51 %
- hébreu : 0,31 %
- japonais : 0,58 %
- néerlandais : 0,16 %
- polonais : 0,09 %
- autres : 0,4 %
Les langues régionales représentent pour leur part 4,15 % du total des LV3 étudiées.
- Les raisons d'une non-diversification
Le « blocage » linguistique au niveau de la troisième langue vivante au lycée résulte, outre les raisons utilitaristes déjà évoquées, du manque d'information des élèves, du poids « culturel » de l'anglais et de facteurs plus techniques :
la mise en oeuvre de la rénovation pédagogique dans les lycées a abouti à mettre en concurrence des langues rares choisies en LV3 avec d'autres options jugées plus attractives (informatique, technologies des systèmes automatisés, voire LV1 renforcée...) et à retarder le choix d'une troisième langue vivante en classe de première, et non plus en seconde, ces deux mesures ayant contribué à faire chuter la LV3 dans les lycées ;
la nécessité de disposer d'une masse critique de candidats à une langue rare, ou peu répandue, conjuguée aux contraintes de la dotation horaire globale (DHG) conduisent les chefs d'établissement à arbitrer en faveur d'une option « rentable » (option économique destinée à 35 élèves) plutôt qu'à la mise en place d'une option langue rare (5 heures de russe pour quelques élèves par exemple).
La mise en concurrence des langues rares avec d'autres disciplines dans le cadre des contraintes budgétaires de la dotation horaire globale de chaque établissement pénalise ainsi le développement du plurilinguisme, faute d'une dotation qui serait spécifique à l'enseignement des langues minoritaires.
- Une diversification reportée aux calendes grecques ?
Le quasi monopole conféré à l'anglais en LV1 au collège en classe de 6 ème , qui risque d'être conforté par la généralisation de l'apprentissage en primaire, la domination de l'espagnol en LV2 en classe de 4 ème et la diversification avortée de la LV3 en classe de première conduisent à s'interroger sur les chances de réalisation d'une véritable diversification linguistique dans l'enseignement secondaire.
Dans ces conditions, on peut craindre que la diversification soit reportée dans l'enseignement supérieur, à l'université et dans les grandes écoles, voire soit prise en charge dans la vie professionnelle par les entreprises privées, qui sont en mesure de l'assumer, et par les officines privées de langues, la maîtrise de deux ou plusieurs langues étrangères constituant un passeport nécessaire pour l'emploi des jeunes.
3. La place des langues vivantes dans l'enseignement professionnel : une situation qu'il convient d'améliorer
Il importe également de renforcer la formation en langues étrangères dans l'enseignement technique et professionnel, notamment dans les filières tertiaires, afin de répondre aux besoins des entreprises, même petites et moyennes, qui sont de plus en plus tournées vers les marchés extérieurs.
La série STT comporte ainsi désormais une deuxième langue vivante, qui sera sanctionnée par une épreuve orale obligatoire au baccalauréat à la session de 1996 alors que les anciennes sections G issues des lycées professionnels ne proposaient qu'une seule langue étrangère.
a) Le dispositif existant
Vingt langues sont actuellement proposées en enseignement obligatoire au baccalauréat professionnel, selon un horaire de 2 à 3 heures par semaine. À cet enseignement obligatoire s'ajoute un enseignement facultatif qui peut porter sur une quarantaine d'options. L'évaluation consiste pour la langue obligatoire en une épreuve écrite de deux heures, et pour la langue facultative en une épreuve orale de 20 minutes.
- Le BEP et le CAP proposent pour leur part trois langues (anglais, allemand et espagnol), ainsi que d'autres langues en fonction des possibilités rectorales. Pour les BEP existe un enseignement obligatoire de 2 heures par semaine, dont une heure dédoublée en seconde professionnelle. Des langues de proximité dans certaines régions frontalières, comme l'italien et le néerlandais, ne sont donc pas proposées.
Pour le CAP, l'enseignement d'une langue vivante étrangère est obligatoire dans le tertiaire et services et un enseignement facultatif a été introduit dans le secteur industriel, deux heures hebdomadaires étant affectées à cet enseignement.
- L'évaluation au BEP consiste en une épreuve écrite d'une heure et en une épreuve facultative orale de 20 minutes dans certaines spécialités.
Au CAP, l'évaluation prend la forme d'une épreuve orale facultative de 20 minutes dans certains CAP et plus rarement d'une épreuve obligatoire sous forme écrite.
b) Les perspectives de réorientation des langues vivantes dans l'enseignement professionnel
- Le CAP : la spécificité de ce diplôme qui s'adresse aussi bien à des jeunes en formation continue qu'à des élèves en situation d'échec scolaire impose des solutions adaptées, par exemple des projets éducatifs conjoints entre les établissements de deux pays européens qui associent des objectifs de formation professionnelle et des finalités linguistiques.
Il est à noter que ce type de projet peut susciter une nouvelle motivation des élèves en faveur des langues.
- Le BEP : les programmes de langues devraient être revus dans la perspective d'un cursus d'études allant jusqu'au baccalauréat professionnel ou technologique. L'horaire des langues a été augmenté et un enseignement modulaire portant sur l'enseignement général a été introduit en terminale de BEP.
Une étude est enfin en cours pour augmenter les coefficients de cet enseignement général à l'examen.
- Le baccalauréat professionnel
L'épreuve écrite qui était conçue dans une perspective excessivement et exclusivement professionnalisée a été revue dans un sens plus conforme aux objectifs du programme.
c) La nécessité d'un développement plus important des langues vivantes dans ces filières
Les formations techniques et professionnelles requièrent aujourd'hui un bagage linguistique de plus en plus important. C'est le cas notamment dans les filières technologiques tertiaires, en particulier pour les jeunes filles et dans les spécialités du commerce international.
Les futurs techniciens qui seront embauchés dans des PME désormais ouvertes sur le marché international, devront en effet de plus en plus disposer d'une bonne connaissance technique de plusieurs langues.
En effet si les grandes entreprises peuvent supporter le coût d'une formation linguistique complémentaire, les PME ne sont pas en mesure de le faire et la maîtrise de deux langues étrangères apparaît comme un facteur décisif dans la décision d'embauche.
Cet effort de formation doit donc se déployer au sein du système éducatif, étant précisé que le dispositif actuel devrait être assoupli afin de permettre de modifier les choix linguistiques effectués au collège, un changement d'orientation pouvant par ailleurs susciter chez les élèves, une motivation nouvelle pour l'enseignement des langues.
Cet objectif est cependant encore loin d'être atteint : le plus souvent une seule langue vivante est étudiée, et la grande hétérogénéité dans le niveau des élèves, ainsi que les contraintes de la dotation horaire globale, aboutissent trop fréquemment à sacrifier la deuxième langue dans les filières professionnelles.
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Parallèlement à ce dispositif traditionnel, ambitieux dans ses objectifs et complexe dans son organisation, mais décevant au vu de ses résultats, le système éducatif a mis en place des expériences prometteuses orientées vers le développement d'un véritable bilinguisme, et utilise dans une mesure non négligeable les ressources des programmes linguistiques européens et de la coopération entre États, notamment avec l'Allemagne.