N ° 7 3
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
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RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation des Affaires culturelles (1) à la suite d'une mission d'information sur l'enseignement des langues vivantes dans l'enseignement scolaire .
Par M. Jacques LEGENDRE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Pierre Laffitte, Albert Vecten, Jean Delaneau, Jean-Louis Carrère, vice-présidents ; André Égu, Alain Dufaut, André Maman, Ivan Renar, secrétaires ; François Autain, Honoré Bailet, Jean Bernadaux, Jean Bernard, James Bordas, Jean-Pierre Camoin, Jean-Claude Carle, Robert Castaing, Marcel Charmant, Philippe Darniche, Marcel Daunay, André Diligent, Ambroise Dupont, Daniel Eckenspieller, Alain Gérard, Jean-Paul Hugot, Pierre Jeambrun, Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Pierre Lacour, Henri Le Breton, Jacques Legendre, Guy Lemaire, François Lesein, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin, François Mathieu, Philippe Nachbar, Sosefo Makapé Papilio, Michel Pelchat, Jean-Marie Poirier, Guy Poirieux, Mme Danièle Pourtaud, MM. Roger Quilliot, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Claude Saunier, Franck Sérusclat, René Pierre Signé, Jacques Valade, Marcel Vidal, Henri Weber.
INTRODUCTION
L'idée de créer une mission d'information sur l'enseignement des langues vivantes dans l'enseignement scolaire est née d'une intuition, celle d'un resserrement de l'éventail des langues étrangères proposées dans les établissements.
Les nombreuses auditions menées par la mission d'information ont permis de vérifier que cette intuition était fondée.
L'évolution actuelle se traduit en effet par une hégémonie écrasante de l'anglais, une régression des grandes langues européennes de proximité et une disparition progressive des langues dites rares qui sont pourtant utilisées par des populations considérables sur la planète.
Le recul de l'allemand et de l'italien, « le naufrage lusitanien », la place résiduelle laissée à certaines langues de l'Union européenne, néerlandais, grec, langues Scandinaves, la part restreinte réservée aux grandes langues de la planète, russe, chinois, japonais, arabe, constituent autant d'éléments d'une évolution qui tend à élargir le « cercle des langues disparues ».
Il existe une relation directe entre le phénomène de recul de la place de la langue française dans le monde, et la faible place accordée dans notre pays aux langues étrangères. Il ne faut pas s'étonner, par exemple, que certains pays de l'Europe centrale, traditionnellement francophones, répugnent à engager des efforts en faveur de l'enseignement du français, alors que leur propre langue n'est plus enseignée en France.
La mission d'information a donc souhaité analyser de manière précise l'offre réelle de langues étrangères étudiées dans notre système éducatif, et évaluer les résultats obtenus en matière de diversification linguistique et d'efficacité de notre enseignement.
Face à une situation qui est aujourd'hui alarmante, comme le présent rapport tentera d'en faire la démonstration, la mission d'information en appellera à une action volontaire et énergique du Gouvernement et des responsables de l'éducation nationale en faveur de l'enseignement des langues étrangères.
La constitution de la mission d'information
La présente mission d'information résulte d'une initiative de M. Jacques Legendre, qui avait été rapporteur du projet de loi relatif à la langue française. À cette occasion, votre commission des affaires culturelles avait été conduite à constater que la diversité des langues étrangères enseignées en France était une source d'enrichissement culturel et une des conditions du maintien de la place du français en Europe et dans les institutions internationales.
Cette initiative s'est traduite par une lettre du 17 juin 1994 adressée au Président Maurice Schumann. Celui-ci a bien voulu communiquer à M. le Président du Sénat, le 28 juin 1994, une demande à soumettre au Bureau du Sénat en vue d'obtenir l'autorisation de créer une mission d'information.
Le Bureau du Sénat, dans sa séance du 5 juillet 1994, a émis un avis favorable à la demande présentée.
Approuvée par la commission des affaires culturelles, le 19 octobre 1994, la mission d'information, lors de sa réunion constitutive du 23 novembre 1994, a désigné M. Jacques Legendre comme président.
La mission était ainsi composée :
Membres titulaires :
MM. James Bordas
Jean-Louis Carrère
Adrien Gouteyron
François Lesein
André Maman
Ivan Renar
Pierre Schiélé
Membres suppléants :
Mme Danielle Bidard-Reydet
MM. Jean-Paul Hugot
Pierre Laffîtte
Philippe Nachbar
Philippe Richert
Marcel Vidal
Rapporteurs budgétaires pour avis :
MM. Jean-Pierre Camoin
Gérard Delfau
Jacques Legendre
Les travaux de la mission d'information
Du 15 décembre 1994 jusqu'au 27 septembre 1995, la mission d'information a procédé à l'audition de 23 personnalités, spécialisées à des titres divers dans l'enseignement des langues étrangères.
Près de dix-neuf heures ont été consacrées à ces auditions.
Ont été ainsi entendus :
15 décembre 1994 :
- M. Roger-François Gautier, sous-directeur des formations générales et technologiques à la direction des lycées et collèges ;
11 janvier 1995 :
- Mme Martine Safra, sous-directeur des enseignements à la direction des écoles ;
8 février 1995 :
- M. Claude Hagège, professeur au Collège de France (chaire de théorie linguistique) ;
8 mars 1995 :
- Mme Danielle Luccioni, conseiller à l'Union nationale des associations de parents d'élèves de l'enseignement privé (UNAPEL) ;
- Mme Catherine Blanc et M. Claude Vielix, de la Fédération des conseils de parents d'élèves des écoles publiques (FCPE) ;
- Mme Suzel Chassefeire et M. Alain Beauquesne, de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) ;
5 avril 1995 :
- M. Jean Janitza, professeur à l'université de Paris III- Sorbonne, membre du conseil national des programmes et directeur de l'IUFM de l'académie de Paris ;
17 mai 1995 :
- M. Antoine Bousquet, sous-directeur des affaires multilatérales à la direction des affaires générales, internationales et de la coopération ;
- M. le Recteur Michel Moreau, directeur général du Centre national d'enseignement à distance (CNED) et M. Guy Cautret, directeur de la programmation et de l'évaluation du CNED ;
31 mai 1995 :
- MM. Jean-Louis Biot, Yves Prévost et Claude Ritzenthaler de la Fédération de l'éducation nationale (FEN) ;
- MM. Christian Oliva et Jean-Marie Bulte, du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC) ;
5 juillet 1995 :
- M. Albert Vecten, sénateur, président du Conseil général de la Marne ;
- M. Daniel Morgen, inspecteur de l'éducation nationale, chef de la mission académique pour les enseignements régionaux et internationaux à l'académie de Strasbourg ;
13 septembre 1995 :
- M. Guyot, responsable des enseignements scolaires et universitaires à la direction de la formation du CNPF, accompagné de M. Gréau ;
- M. Michel Marcheteau, professeur au département des langues de l'École supérieure de commerce de Paris ;
- M. Torralbo, responsable du département des langues à l'École des mines et son prédécesseur M. Boidière ;
27 septembre 1995 :
- M. Denis Paget, secrétaire général adjoint du Syndicat national des enseignements du second degré (SNES).
La mission a également pris connaissance avec intérêt des propositions transmises par M. Jean-Marie Bressand, délégué général de l'association « le Monde bilingue », et des actes du colloque de Saint-Germain-en-Laye d'avril 1994 consacré à l'enseignement international et à l'enseignement bilingue.
La mission d'information s'est en outre réunie le 21 mai 1995 pour établir le bilan des premières auditions et examiner les orientations d'un rapport d'étape.
Ces premières orientations ont été exposées à M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'insertion professionnelle, lors d'une audience accordée le 18 juillet 1995 aux membres de la mission.
Enfin, la mission d'information a examiné les orientations finales de son rapport le 4 octobre 1995 et a procédé à son adoption le 25 octobre 1995.
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Après avoir analysé les dérives et la sous-utilisation d'un dispositif scolaire pourtant ambitieux pour l'enseignement des langues vivantes, le présent rapport rappellera les expériences prometteuses en matière de plurilinguisme, et la politique engagée en ce domaine par les programmes européens. Il tentera ensuite de définir les objectifs d'une politique des langues étrangères et de proposer les mesures nécessaires à sa mise en oeuvre.
I. UNE APPARENCE AMBITIEUSE, UNE RÉALITÉ MOINS GLORIEUSE
Le système éducatif français a mis en place depuis plusieurs décennies un dispositif diversifié et ambitieux permettant d'assurer en théorie une diversification linguistique satisfaisante.
Ce dispositif se signale en outre par un recours à des expériences linguistiques originales et prometteuses pour l'avenir.
Il utilise également largement les ressources des programmes linguistiques européens qui se sont multipliés au cours des dernières années à mesure que progressait la conscience de l'idée européenne chez tous les partenaires de l'Union.
Il se caractérise enfin par l'existence d'enseignants extrêmement compétents, y compris dans le domaine des langues dites rares, et d'un potentiel naturel important de locuteurs étrangers sur le territoire national résultant des caractéristiques de certaines régions françaises frontalières et du fait que la France est une terre d'immigration traditionnelle qui a accueilli de nombreuses communautés étrangères, aujourd'hui largement fondues dans le creuset français.
En dépit de l'ambition et de l'originalité du dispositif scolaire d'enseignement des langues, celui-ci n'assure plus une diversification linguistique satisfaisante dans le cadre d'un enseignement secondaire qui s'est massifié, et plus grave encore, l'évolution actuelle de l'enseignement des langues étrangères se traduit par une régression et une uniformisation linguistique caractérisée principalement par l'hégémonie d'une seule langue, l'anglais.
A. L'APPRENTISSAGE PRÉCOCE DES LANGUES ÉTRANGÈRES À L'ÉCOLE PRIMAIRE : UNE IDÉE SÉDUISANTE MAIS PORTEUSE DE MENACES POUR LA DIVERSITÉ LINGUISTIQUE
Dès 1853, Victor Duruy prônait l'idée de l'enseignement d'une langue étrangère à de très jeunes enfants, à un stade où leur oreille n'est pas encore fermée aux sonorités étrangères. Cette idée déjà ancienne a donné lieu à des expériences successives qui ont inspiré la généralisation de cette initiation précoce lors de la dernière rentrée scolaire.
1. Des expériences anciennes
Dès 1954, une expérience d'apprentissage précoce de l'anglais a été engagée à Arles pour la langue anglaise.
À la rentrée de 1975, l'anglais est enseigné dans les écoles primaires des départements du Nord-Pas-de-Calais, de l'Allier et à Paris.
Le rapport Girard, en 1974, dresse un bilan provisoire de ces expériences et souligne déjà la nécessité de développer la formation et le perfectionnement des maîtres concernés, condition qui conditionne largement la réussite de l'initiation engagée pour l'ensemble des classes élémentaires à la rentrée 1995.
Dans le même temps, les rapports se multiplient, notamment celui de la commission de réflexion sur l'enseignement des langues étrangères établi en juillet 1989 dans le cadre des commissions dites « Bourdieu-Gros ».
2. L'expérimentation engagée en 1989 : la consécration de l'hégémonie de l'anglais
a) De l'enseignement précoce des langues vivantes à l'enseignement d'initiation aux langues étrangères
En 1989, le ministre de l'éducation nationale met en place l'enseignement précoce des langues vivantes qui consiste en une large expérimentation de l'enseignement d'une langue étrangère à l'école primaire, pour une durée de trois ans.
Ce dispositif fait l'objet d'une évaluation en 1993, qui est confiée à l'inspection générale et qui conclut à son extension à la fin de la période d'expérimentation l'enseignement précoce des langues vivantes se transforme ainsi en enseignement d'initiation aux langues étrangères.
b) Le bilan de cette expérience
• Les effectifs concernés
- en 1989, 10 % des élèves de CM2 avaient bénéficié d'un enseignement de langue vivante étrangère dans les écoles primaires métropolitaines ;
- au terme de l'année scolaire 1993-1994, plus de 42 % de l'effectif total du CM2 étaient concernés, soit environ 500 000 élèves, ventilés entre les écoles publiques (388 000 élèves) et les écoles privées (110 000 élèves) ;
- les effectifs concernés en classe de CM1 ne représentaient qu'un peu plus de 15 % des élèves ;
- cette expérience engagée se poursuit aujourd'hui en s'inscrivant dans le cadre tracé par la mesure n° 7 du nouveau contrat pour l'école.
•
Les langues enseignées :
une large prédominance de l'anglais
Si dans le cadre de l'enseignement d'initiation aux langues étrangères, le choix des langues enseignées en CM2 est effectué en fonction de celles enseignées au collège, leur place respective traduit une hégémonie très importante de l'anglais, même si celle-ci apparaît moins écrasante que celle que l'on peut observer dans les choix effectués au collège en classe de 6 e .
Les effectifs d'élèves concernés se ventilent selon les langues étudiées ainsi qu'il suit :
- anglais : 77 %
- allemand : 16 %
- espagnol : 3 %
- italien : 2,1 %
- arabe : 0,9 %
- portugais : 0,3 %
- russe : 0,1 %
- autres : 0,7 %.
Les chiffres cités traduisent ainsi une désaffection à l'égard de l'allemand, qui est à tort considéré par les familles comme une langue difficile, alors que cette langue est devenue la première en Europe, et l'on ne peut que s'inquiéter de la place résiduelle qui est laissée à des langues de communautés importantes installées depuis longtemps en France (espagnol, italien, portugais), ou plus récemment (arabe), sans même évoquer la place laissée aux langues rares (polonais, chinois, japonais,...).
En tout état de cause, l'information des familles semble inexistante et le poids « culturel » de l'anglais n'est pas contrebalancé par une politique d'information de l'éducation nationale, les choix effectués se trouvant en outre imposés, à l'exception de certaines régions frontalières, par une insuffisance de locuteurs, maîtres ou intervenants extérieurs, maîtrisant les langues autres que l'anglais.
•
Les enseignants
concernés : un dispositif dépendant des intervenants
extérieurs
Pour l'année scolaire 1993-1994, l'initiation des élèves aux langues étrangères a été le plus souvent assuré par des professeurs du second degré (dans 38 % des classes des écoles primaires publiques) et par des instituteurs (36 %).
Les étudiants en langues, ou les intervenants extérieurs, assuraient 20 % des cours, tandis que les assistants étrangers étaient fort peu nombreux.
Les modalités retenues témoignent de la fragilité d'un système d'apprentissage précoce qui dépend trop largement de l'extérieur, et notamment des professeurs de l'enseignement secondaire qui devront faire face à des besoins accrus dans les collèges du fait de la progression des effectifs de ces derniers.
Au total, l'apprentissage précoce des langues ne pourrait être consolidé qu'en utilisant pour l'essentiel les maîtres du primaire, lesquels devront bénéficier d'un plan de formation aux langues ambitieux dans les années à venir.
•
Les crédits
utilisés
- 30 millions de francs ont été consacrés en 1989 au lancement du dispositif d'expérimentation ;
- 142 millions de francs en 1992 ;
- 167 millions de francs en 1993 et en 1994 ;
- ces crédits ont été reconduits pour la rentrée 1995, s'y ajoutant 9 millions de francs au titre de la formation continue des maîtres du premier degré.
•
L'évaluation de ce
dispositif
L'Inspection générale a été chargée d'une mission d'évaluation et d'appréciation du dispositif d'enseignement des langues à l'école et de son influence sur le choix de la première langue vivante à l'entrée en 6 ème .
Elle conclut que l'expérimentation a des effets contraires à la diversification de l'apprentissage des langues étrangères : « la dérive amorcée vers le quasi-monopole d'une langue risque d'aggraver les difficultés prévisibles de recrutement de personnels qualifiés, tant en laissant en « jachère » des compétences disponibles dans les autres ». (Rapport ELPV 199l - Documentation française).
Le rapport de l'IGEN de M. Jean Favard relatif au bilan des trois années d'expérimentation nationale concernant l'initiation aux langues étrangères à l'école primaire du 11 décembre 1992, conclut pour sa part que l'initiation remplit avec succès sa fonction d'éveil et de motivation des élèves mais confirme aussi que « l'expérimentation n'a pas permis de progresser dans la diversification de l'offre des langues enseignées ».
Il estime en outre que « si la demande des familles reste le seul facteur de détermination du choix des langues, l'évolution vers une position quasi-monopolistique de l'anglais semble difficile à contrecarrer. Seule, une politique volontariste consistant à adapter cette demande à l'offre institutionnelle serait ici opérante. Encore faudrait-il s'accommoder d'une interruption, à l'entrée du collège, du cursus commencé au cours moyen dans une autre langue que l'anglais, car dans le cadre d'un enseignement de masse, il semble peu réaliste d'imposer aux collégiens débutants l'étude obligatoire de deux langues vivantes ».
Le rapport ajoute, que selon, les témoignages des professeurs de collège, les traces laissées par l'initiation sont davantage d'ordre comportemental que linguistique, ces traces étant cependant jugées « incertaines, inégales et fragiles », et les élèves initiés étaient, pour un observateur étranger, difficile à distinguer des débutants. Il conclut que la continuité de l'initiation dans l'enseignement secondaire est loin d'être assurée et que les linguistes des collèges ont été pour beaucoup démunis face à l'hétérogénéité des élèves.
L'expérience de cet apprentissage précoce ne s'est donc pas traduit par une diversification des langues choisies lors de l'entrée au collège et a suscité des interrogations sur l'intérêt de son contenu pour les élèves.
Il est à craindre que la généralisation de cette initiation précoce dès le cours élémentaire, telle que proposée par le nouveau contrat pour l'école, ne renforce au contraire l'uniformisation linguistique et n'élargisse et ne prolonge un peu plus le « tunnel du tout anglais ».
3. La généralisation de l'expérience : la mesure n° 7 du nouveau contrat pour l'école
Dans le cadre du nouveau contrat pour l'école, M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, a annoncé en juin 1994 que l'enseignement des langues vivantes sera généralisé à l'école et qu'il débutera tôt dans la scolarité.
a) Ses modalités
« Dès le cours élémentaire, tous les élèves seront initiés chaque jour pendant quinze minutes à une langue vivante étrangère en utilisant les techniques audiovisuelles » (mesure n° 7 du nouveau contrat pour l'école).
À partir de la rentrée 1995, de courtes séquences seront ainsi proposées aux élèves de CEI dans une des sept langues retenues : anglais, allemand, espagnol, italien, portugais, russe et arabe.
Des cassettes audio élaborées par le Centre national de documentation pédagogique (CNDP) pour les quatre premières de ces langue seront proposées gratuitement aux écoles.
La mise en oeuvre de cette généralisation repose sur le volontariat des maîtres pour lesquels est prévue une formation continue ainsi que des stages d'information sur l'utilisation de nouveaux moyens pédagogiques.
b) La finalité du dispositif
Destinée à permettre un accès plus précoce et plus efficace à l'apprentissage des langues (sensibilisation, initiation puis apprentissage plus structuré), cette innovation pédagogique est destinée à faire acquérir aux élèves des compétences en langues étrangères mieux affermies à l'entrée au collège.
c) Une réussite subordonnée aux moyens mis en oeuvre et un risque d'effets pervers
Les moyens qui seront affectés à la mise en oeuvre de cette innovation conditionnent en effet sa réussite.
Force est de constater la réticence des enseignants du premier degré quant à sa généralisation, faute notamment d'une formation linguistique adaptée et dont le rôle ne peut se limiter à la seule manipulation des cassettes audio.
En l'absence d'un plan de formation ambitieux des maîtres, étalé sur plusieurs années, et d'une réforme des IUFM qui donnerait une place plus importante à la formation en langues étrangères des futurs professeurs des écoles, cette innovation pédagogique risque de rester lettre morte.
Elle ne pourrait être consolidée que si tous les enseignants du primaire disposaient d'une formation adéquate et assumaient entièrement cet apprentissage, le recours aux intervenants extérieurs, comme il a été dit, constituant un facteur de fragilité du système et étant de nature à introduire des inégalités entre les élèves lorsque ceux-ci entreront au collège.
Enfin, compte-tenu des réticences exprimées par les maîtres du primaire et d'un quasi boycottage de la mesure décidé par certains syndicats, la moitié des classes de cours élémentaire ne bénéficiera pas de cette initiation précoce lors de la présente année scolaire.
Outre la nécessité d'accélérer la mise en place d'un plan de formation des maîtres, devrait être prise en compte l'articulation des enseignements de langue entre l'école primaire et le collège, la diversification des langues devant être élargie dans le premier degré sauf à élargir encore le tunnel du tout anglais lors de l'entrée au collège.
Enfin, une évaluation de l'apprentissage précoce devra être rapidement effectuée pour s'assurer de ses effets quant à la diversification des langues proposées au collège. La mission d'information ne peut donc que faire état de ses interrogations, voire de ses inquiétudes, quant aux effets directs et induits découlant de la généralisation de la mesure n° 7 du nouveau contrat pour l'école : une réflexion tendant à reconsidérer les parcours scolaires linguistiques des élèves, à sensibiliser les familles à l'intérêt d'une diversification linguistique, à mettre en place les moyens nécessaires à la bonne application de cet apprentissage précoce, à mieux articuler les mesures linguistiques entre le primaire et le secondaire, s'impose à l'évidence.
4. L'enseignement des langues et cultures d'origine : un dispositif aujourd'hui vieilli
a) Le principe
Depuis 1974, a été introduit dans le système éducatif un enseignement des langues et cultures d'origine destiné initialement à maintenir les enfants issus de l'immigration en contact avec la langue et la culture de leur pays d'origine dans une perspective de retour au pays.
b) Les accords signés
Juridiquement, le dispositif repose sur des accords bilatéraux signés entre la France et les huit pays concernés et s'adresse aux élèves originaires d'Algérie, d'Espagne, d'Italie, du Maroc, du Portugal, de la Tunisie, de la Turquie ainsi que des États issus de l'ex-Yougoslavie.
Les dates de signature des accords témoignent d'une certaine inadaptation aux réalités d'aujourd'hui :
- Algérie : 1981
- Espagne : 1975
- Italie : 1974
- Maroc : 1983
- Portugal : 1975
- Tunisie : 1983
- Turquie : 1978
- ex-Yougoslavie : 1978
c) Les modalités et les effectifs concernés
Les cours sont dispensés à titre optionnel par des instituteurs fonctionnaires recrutés et rémunérés par les États partenaires de la France.
Les effectifs concernés ne sont pas négligeables puisque près de 100 000 élèves et plus de 1 000 enseignants bénéficiaient et dispensaient ce type d'enseignement.
d) Un système aujourd'hui inadapté
L'idée d'un retour au pays d'origine n'étant plus d'actualité pour la plupart des jeunes concernés, les accords conclus il y a parfois plus de vingt ans sont devenus obsolètes.
En outre, le faible rendement de cet enseignement, faute d'exigences pédagogiques suffisantes, et le fait qu'il est désormais boudé par de nombreux jeunes issus des pays du Maghreb, tandis que la demande reste forte pour le portugais, commandent inévitablement une renégociation de ces accords.