PARTIE 2 - LES ACCORDS DE COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE CONCLUS AVEC LE ROYAUME-UNI
A. UNE GESTION PARTENARIALE DE LA FRONTIÈRE FRANCO-BRITANNIQUE FONDÉE SUR DES ACCORDS INTERNATIONAUX
Le développement d'un cadre de gestion frontalière commun entre la France et le Royaume-Uni est historiquement la conséquence du projet de construction du tunnel sous la Manche. Le traité de Cantorbéry fixe dès sa signature en 1986 deux principes fondamentaux en la matière : la définition d'une frontière « virtuelle » sous la Manche et, surtout, la délocalisation des contrôles frontaliers dans l'État partenaire. Par la suite, le traité du Touquet a été conclu en 2003 pour faire face à la hausse du flux d'immigration irrégulière et de ses conséquences dans la région du Calaisis. Ce dernier a achevé le processus d'externalisation réciproque des contrôles aux frontières terrestres et maritimes entamé en 1986 et constitue encore à ce jour le cadre de référence en la matière.
Ce cadre juridique, efficace pour la gestion des flux d'immigration régulière, a en revanche rapidement montré ses limites face à l'intensification de l'immigration irrégulière. Les autorités françaises et britanniques se sont donc accordées sur un nouvel instrument avec la signature en 2018 du traité dit « de Sandhurst ». Celui-ci instaure une coopération opérationnelle en matière de prévention des départs clandestins, de lutte contre les réseaux de passeurs, de prise en charge des demandeurs d'asile ou encore d'exécution de mesures de retour. Surtout, il institue un cadre financier qui fixe le principe d'une contribution britannique au financement d'un dispositif de prévention des traversées, largement revalorisée pour la période 2023-2026 (540 millions d'euros).
B. LA SURVEILLANCE DE LA FRONTIÈRE COMMUNE : UNE RÉPARTITION À SENS UNIQUE
1. La surveillance du littoral : retarder les départs sans pouvoir les empêcher
En dépit des aménagements opérés par le traité de Sandhurst et de la mobilisation quotidienne de 800 policiers et gendarmes, le Calaisis reste exposé à une très forte pression migratoire dont l'État comme les collectivités locales peinent à maîtriser les conséquences. L'émergence du phénomène des « small boats », complexifie de surcroît le travail des forces de l'ordre, qui opèrent sur un terrain d'intervention extrêmement défavorable. Ces dernières sont en outre la cible de violences de plus en plus fréquentes et leur sécurité est devenue une préoccupation majeure, à laquelle s'associe pleinement la mission d'information, qui s'est rendue sur place au mois de novembre 2024.
Le caractère périlleux de la traversée de la Manche implique également la mobilisation de moyens considérables pour le sauvetage et l'assistance en mer. Toutefois, en dépit de l'action remarquable des sauveteurs en mer, de trop nombreux drames sont encore à déplorer, avec 72 morts sur les onze premiers mois de 2024.
Sur ce point, la mission d'information ne peut que constater que les indicateurs disponibles semblent accréditer l'idée que le Royaume-Uni demeure un pays attractif pour les clandestins. Il serait dès lors naïf de penser que les flux puissent diminuer tant que ces derniers seront convaincus de pouvoir rapidement trouver un travail outre-Manche et que leurs perspectives d'obtenir l'asile seront inversement proportionnelles à celle de subir un éloignement. La mission d'information considère que la France doit assumer d'aborder de manière effective ce sujet dans le cadre des échanges bilatéraux. Elle estime en revanche qu'il serait contre-productif de dénoncer les accords du Touquet ou de Sandhurst : cela n'aurait d'autre conséquence que de dégrader inutilement la relation avec les autorités britanniques pour un effet sur les flux d'immigration irrégulière probablement nul.
Arrivées irrégulières au
Royaume-Uni via des « small boats »
et nombre moyen de
personnes embarquées (2028-2024)
Source : Home Office, Accredited offical statistics, 28 novembre 2024
2. Un financement britannique qui n'est pas à la hauteur des enjeux
Si la contribution britannique au financement de la sécurisation de la frontière est indéniablement utile et très certainement indispensable, il n'est en revanche pas acquis qu'elle soit totalement équitable. Le ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, a ainsi estimé devant la commission que la contribution prévue par l'accord de Sandhurst ne couvrait que la moitié des coûts réellement supportés par la France pour la gestion de la frontière. La mission d'information considère donc que le Royaume-Uni doit prendre sa juste part dans le financement des dispositifs déployés dans le Calaisis dans leur globalité, en particulier en participant au financement du « socle humanitaire » déployé en partenariat avec des acteurs associatifs agréés.
3. Des tensions de toute nature de plus en plus marquées dans le Calaisis
Le stationnement quotidien de près de 2 000 personnes en transit à Calais est vecteur de tensions de toute nature, et ce malgré la qualité de la coopération entre l'État et les collectivités locales pour garantir la sécurité du territoire.
Les conséquences de cette concentration des flux migratoires dans la région de Calais sont difficilement supportables pour les habitants. Au niveau sécuritaire, la récurrence des rixes entre migrants et la multiplication des dégradations consécutives à des départs avortés ont notamment été signalées à la mission d'information. Sur un plan humanitaire, la situation est particulièrement dégradée, et ce malgré une mobilisation de tous les instants des services de l'État, qui poursuivent un double objectif : éviter la reconstitution de lieux de fixation souvent insalubres et permettre des conditions de vie dignes à la population migrante. Cette situation emporte par ailleurs d'importantes conséquences sur le plan économique : d'une part, les collectivités doivent consentir d'importants investissements pour faire face à la situation ; d'autre part, cette situation engendre des pertes de chances économiques en décourageant de potentiels investisseurs et entrepreneurs de venir s'installer sur l'agglomération calaisienne.
4. À terme, la nécessité d'un accord migratoire global avec le Royaume-Uni²
La mission d'information considère que la seule solution viable pour une réduction durable de la pression migratoire dans le Calaisis réside dans la conclusion d'un accord migratoire global avec le Royaume-Uni, de préférence au niveau européen. Un tel accord aurait notamment vocation à définir des voies de migrations légales ainsi que les modalités de coopération en matière de retours et de lutte contre les réseaux de passeurs. La mission d'information appelle donc à engager sans délai des négociations en ce sens. De fait, une fenêtre d'opportunité pourrait s'être récemment ouverte à la faveur de la dernière alternance politique outre-Manche.