B. LES ACCORDS RELATIFS À LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE, UNE STANDARDISATION DES PROCÉDURES BIENVENUES MAIS À LA PORTÉE LIMITÉE

Le deuxième ensemble d'instruments internationaux étudiés par la mission d'information est celui des accords relatifs à l'immigration irrégulière. Deux catégories d'instruments peuvent schématiquement être distinguées.

Des accords formalisés de réadmission bilatéraux et européens ont tout d'abord été conclus avec respectivement trente-huit et dix-huit États partenaires. Par ailleurs, de nombreux accords d'autres catégories contiennent des clauses de réadmission.

Les instruments les plus récents prennent quant à eux des formes plus souples que ces accords intergouvernementaux. Il peut par exemple s'agir d'arrangements administratifs, de déclarations communes ou de procès-verbaux, désignés ci-après sous le terme « d'instruments techniques de coopération en matière de réadmission ». Les rapporteurs en ont recensé sept au niveau bilatéral et six au niveau européen.

Instruments internationaux de coopération en matière de réadmission

Source : Commission des lois - Réalisé à partir de mapchart.net

1. Les accords de réadmission, un champ investi de manière croissante par l'Union européenne
a) Des accords de réadmission bilatéraux en perte de vitesse

L'obligation de réadmettre ses nationaux est un principe coutumier du droit international public49(*). Elle peut également se déduire des stipulations de l'annexe 9 de la convention relative à l'aviation civile internationale du 7 décembre 1944, dite « de Chicago ». Celle-ci prévoit, notamment « qu'un État contractant ne refusera pas de délivrer un document de voyage à un de ses nationaux ni ne contrecarrera autrement son retour en le rendant apatride ». L'application de cette obligation ne va toutefois pas de soi dans la pratique. La confirmation de la nationalité des personnes concernées n'est pas toujours aisée, tandis que les États d'émigration sont plus ou moins coopératifs dans la mise en oeuvre du processus.

Dans ce contexte, trente-huit accords bilatéraux de réadmission ont majoritairement été conclus dans les années 1990 et au début des années 2000 afin de fixer les modalités d'une coopération renforcée en matière de retour avec des États partenaires. Les États partenaires sont des États tiers et des États membres de l'espace Schengen (le terme utilisé est alors celui de « remise Schengen »). Le tableau ci-dessous dresse une liste exhaustive des États auxquels la France est liée par un accord de réadmission. Seul l'accord conclu en novembre 2024 avec le Kazakhstan et qui, selon les informations recueillies par les rapporteurs, n'est pas encore rentré en vigueur, n'y est pas mentionné.

Récapitulatif des accords bilatéraux de réadmission

Accords bilatéraux portant exclusivement sur la réadmission (3750(*)51(*))

État partenaire

Date de signature

Allemagne

10 février 2003

Argentine

1 février 1995

Autriche

20 avril 200752(*)

Benelux

16 avril 1962

Bulgarie

29 mai 1996

Brésil

28 mai 1996

Chili

26 juin 1995

Costa Rica

16 juin 1998

Croatie

27 janvier 1995

Dominique

9 mars 2006

Équateur

16 octobre 1998

Espagne

26 novembre 2002

Estonie

15 décembre 1998

Grèce

15 décembre 1999

Guatemala

11 novembre 1998

Honduras

20 novembre 1998

Hongrie

16 décembre 1996

Italie

3 octobre 1997

Kosovo

2 décembre 2009

Lettonie

5 décembre 1997

Lituanie

4 décembre 1998

Ile Maurice

2 avril 2007

Mexique

6 octobre 1997

Nicaragua

20 avril 1999

Panama

30 avril 1999

Paraguay

10 avril 1997

Pologne

29 mars 1991

Portugal

8 mars 1993

Roumanie

12 avril 1994

Sainte-Lucie

23 avril 2005

Salvador

26 juin 1998

Slovaquie

20 mars 1997

Slovénie

1 février 1993

Suède

14 février 1991

Suisse et Liechtenstein

28 octobre 1998

Uruguay

5 novembre 1996

Venezuela

25 janvier 1999

Accords bilatéraux d'une autre catégorie comportant des clauses de réadmission (8)

État partenaire

Catégorie d'accord

Bénin

AGC du 28 novembre 2007

(articles 16 à 18)

Burkina Faso

AGC du 10 janvier 2009

(articles 10 à 13)

Cap-Vert53(*)

AGC du 24 novembre 2008

(article 4)

Gabon

AGC du 5 juillet 2007

(article 4)

République du Congo

AGC du 25 octobre 2007

(Article 3)

Inde54(*)

Accord de partenariat pour les migrations et la mobilité du 10 mars 2018

(article 5)

Sénégal

AGC du 23 septembre 200655(*)

(article 4 - 42)

Tunisie

AGC du 28 avril 2008

(article 356(*))

Source : Commission des lois, à partir des données communiquées à la mission d'information

Selon les termes employés tant par la DGEF que par l'ambassadeur chargé des migrations, ces accords « visent à définir les procédures opérationnelles par lesquelles les parties identifient et documentent leurs ressortissants en situation irrégulière sur le territoire de la partie requérant, en vue de leur réadmission ; ils peuvent également concerner les réadmissions des étrangers ayant transité par l'État partie à l'accord ». Il s'agit donc d'accords procéduraux qui ne créent pas de droits dont des particuliers pourraient se prévaloir. Ils ne sont pour cette raison pas mentionnés à l'annexe 1 du Ceseda.

Afin d'en renforcer l'efficacité, ces accords ont pour la plupart été construits à partir d'un modèle-type établi par le Conseil de l'Union européenne le 30 novembre 1994. Leur contenu formalise un cadre de coopération en matière de retour reposant sur des procédures dont le caractère négocié est supposé fluidifier les réadmissions. En pratique, ces accords traduisent un engagement à réadmettre des personnes ne remplissant pas ou plus les conditions de séjour sur le territoire d'une partie. Ces accords comprennent en général trois volets, le premier d'entre eux étant consacré à l'identification des personnes. Ce point est crucial car, comme l'a rappelé le professeur Fleury-Graff au cours de son audition, « la difficulté n'est pas tant le respect de l'accord que la preuve de ce que telle personne rentre bien dans son champ d'application ». La procédure varie selon la nationalité présumée de la personne en situation irrégulière :

- pour les ressortissants de l'autre État partie57(*) : les accords listent les éléments permettant d'établir ou de présumer la nationalité des intéressés. Une audition par les services consulaires intervient en cas de doute dans un délai déterminé ;

- pour les ressortissants d'un État tiers : il doit être établi, selon les cas, que l'intéressé est entré dans l'État partie après avoir séjourné ou transité sur le territoire de l'autre ou qu'il dispose d'un document de séjour délivré par l'autre État partie. De la même manière, les accords listent les éléments permettant de caractériser ces situations. Par ailleurs, les accords intègrent systématiquement une série d'exceptions concernant notamment les réfugiés, les détenteurs d'un document de séjour délivré par un autre État Schengen et, parfois, les personnes résidant depuis plus de six mois dans le territoire de la partie requérante ou les ressortissants d'un État ayant une frontière commune avec l'État requérant58(*). Les ressortissants d'États tiers ne sont toutefois pas systématiquement inclus dans le périmètre des accords.

Les accords bilatéraux de réadmission fixent deuxièmement les modalités pratiques d'exécution des remises. Au-delà du principe de la délivrance d'un laissez-passer consulaire une fois la nationalité de l'intéressé confirmée, ils prévoient ainsi :

- les délais maximums de réponse de la partie requise, qui vont de 48h à 7 jours pour les accords étudiés ;

- les documents utilisés : des formulaires ad hoc sont parfois joints en annexe des accords, ou font l'objet de protocoles postérieurs ;

- les règles relatives au transport des personnes réadmises, y compris s'agissant de la mise en place d'escortes et des conditions d'intervention de membres des forces de l'ordre sur le territoire de l'autre État.

Les accords bilatéraux de réadmission comprennent une dernière partie relative au transit pour éloignement ou consécutif à une décision de refus d'entrée sur le territoire. Cette autorisation du transit est, selon les cas, applicable aux seuls transits routiers et/ou aériens.

Ces accords ne sont enfin pas assortis de comités de suivi dédiés. Ils se bornent généralement à préciser que les États parties coopèrent ou se consultent « en tant que de besoin » pour examiner leur mise en oeuvre.

L'accord de réadmission franco-italien du 3 octobre 1997

Cet accord dit « de Chambéry » prévoit une réadmission de droit, sans formalités, des personnes ne remplissant pas ou plus les conditions d'entrée ou de séjour sur le territoire d'une des parties, qu'il s'agisse :

· de ressortissants de l'une des parties (article 1er) : pour autant que ladite nationalité soit présumée ou établie, à l'aide des éléments listés par l'accord (article 2). En cas de doute, une audition est organisée sous trois jours par la partie requise (article 3). Les renseignements devant figurer dans la demande sont mentionnés dans l'accord, qui précise également que les frais de transferts jusqu'à la frontière sont aux frais de la partie requérante (article 4). La partie requérante doit répondre à la demande dans un délai de 48h ;

· de ressortissants d'États tiers (article 5) : cette obligation s'applique en cas d'entrée sur le territoire d'un État partie après avoir transité ou séjourné par le territoire de l'autre ou de détention d'un document de séjour délivré par l'autre État partie. La demande doit être transmise dans un délai de trois mois à compter de la constatation de l'irrégularité du séjour et le même délai de réponse de 48 heures s'applique. Cette obligation ne s'applique toutefois pas aux ressortissants d'États tiers ayant une frontière commune avec l'État requérant, à ceux qui ont obtenu a posteriori un document de séjour de l'État requis, séjournent depuis plus de 6 mois dans l'État requérant, ainsi qu'aux réfugiés, aux Dublinés, aux personnes précédemment éloignées par l'État et aux détenteurs d'un document de séjour délivré par un autre État membre de l'espace Schengen (article 6).

L'accord comprend également une section dédiée à l'autorisation du transit pour la mise en oeuvre d'un éloignement ou consécutif à un refus d'entrée sur le territoire (articles 10 et suivants). Celui-ci peut s'effectuer par voie terrestre (sous escorte exclusivement) ou aérienne sous la responsabilité de la partie requérante. L'accord fixe directement les conditions d'intervention des agents d'escorte en dehors de leur territoire, de gestion des éventuels dommages, de répartition des gardes ou des conséquences des refus d'embarquement. Il précise par ailleurs que l'obligation de transit ne s'applique pas en cas de risque de traitement inhumain, de condamnation à la peine de mort ou de menace sur la vie ou la liberté. Sont également visés les risques d'accusation ou de condamnation pénales pour des faits antérieurs au transit (article 19).

Enfin, l'accord prévoit que les parties coopèrent et se consultent « autant que de besoin » pour le suivi de l'exécution de l'accord, les éventuels différends étant réglés par voie diplomatique (article 22). L'exécution de l'accord peut être suspendue unilatéralement avec un préavis d'un mois pour des raisons d'ordre public, de sécurité ou de santé publiques (article 25). Théoriquement de durée illimitée, l'accord peut également être dénoncé avec un préavis de trois mois (article 26).

b) Une communautarisation des accords de réadmission dont les bénéfices doivent être analysés avec précaution

En application de l'article 79 du TFUE, l'Union européenne est compétente pour « conclure avec des pays tiers des accords visant la réadmission, dans les pays d'origine ou de provenance, de ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas ou qui ne remplissent plus les conditions d'entrée, de présence ou de séjour sur le territoire de l'un des États membres ». L'Union européenne détient en effet une compétence partagée en matière d'immigration irrégulière. Les accords de réadmission européens sont contraignants pour les États membres, qui disposent néanmoins d'une certaine marge de manoeuvre pour préciser leurs modalités d'exécution à travers l'édiction de « protocoles d'application ». Ces protocoles peuvent par exemple procéder à la désignation des autorités compétentes, des points de passage frontaliers concernés ainsi que des points de contact entre les partenaires.

La conclusion d'un accord européen rend caduc les accords bilatéraux préexistants, même si ceux-ci sont rarement dénoncés59(*). L'ouverture de négociations au niveau de l'Union empêche quant à elle les États membres de mener des discussions analogues à leur niveau. Les États membres sont en revanche libres de conclure des accords de réadmission bilatéraux en l'absence d'intervention de l'Union européenne.

Les dix-huit accords de réadmission européens recensés ont été conclus entre 2002 et 2020 avec, d'une part, des États d'Europe centrale et de l'Est non-membres de l'UE et, d'autre part, des États et territoires d'Asie60(*). La Commission européenne dispose également de six mandats de négociation avec des États tiers : le Maroc (depuis 2000), la Chine (depuis 2002), l'Algérie (depuis 2002), la Tunisie (depuis 2014), la Jordanie (depuis 2015) et le Nigéria (depuis 2016)61(*). Selon les informations communiquées par le SGAE, seules les négociations avec le Nigéria sont toutefois encore actives.

Récapitulatif des accords européens de réadmission

Accords européens de réadmission (18)

État partenaire

Date de signature

Albanie

14 avril 2005

Arménie

19 avril 2013

ARYM

19 décembre 2007

Azerbaïdjan

28 février 2014

Bosnie Herzégovine

18 septembre 2007

Biélorussie (application suspendue par la partie biélorusse)62(*)

8 janvier 2020

Cap-Vert

18 avril 2013

Géorgie

22 novembre 2010

Hong Kong

27 novembre 2002

Macao63(*)

13 octobre 2003

Moldavie

10 octobre 2007

Monténégro

18 septembre 2007

Pakistan

26 octobre 2009

Russie

25 mai 2006

Serbie

18 septembre 2007

Sri Lanka

4 juin 2004

Turquie

16 décembre 2013

Ukraine64(*)

18 juin 2007

Source : Commission des lois, à partir des données communiquées à la mission d'information

Sur le fond, les accords européens sont construits sur les mêmes modèles-types que les accords de réadmission conclus au niveau bilatéral. Ils comportent donc également une vingtaine d'articles visant à réglementer les procédures d'identification, de rapatriement et de transit des personnes ne remplissant pas les conditions d'entrée, de présence ou de séjour sur le territoire de l'un des États membres de l'UE ou de l'autre État partie à l'accord.

À l'instar des accords bilatéraux, ces accords sont structurés en trois parties dont la première consacre l'obligation de réadmission à laquelle est soumise chacune des parties prenantes. Une deuxième partie décrit les formalités de réadmission des personnes en situation irrégulière, en particulier s'agissant des procédures de demande, de fourniture des moyens de preuve - notamment de la nationalité de la personne réadmise, de la prise en charge des frais engagés ou des délais. Si un délai important est en général accordé aux autorités d'un État partie à l'accord pour formuler la demande de réadmission (de quelques mois à un an), la réponse à cette demande doit toutefois être apportée sous quelques jours. La troisième partie concerne les opérations de transit.

Une clause de non-incidence est systématiquement prévue : les accords européens de réadmission ne peuvent remettre en cause les droits reconnus aux personnes réadmises, notamment par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Enfin, l'accord précise systématiquement les conditions de réunion d'un comité de suivi, généralement mixte, chargé de contrôler son application.

L'accord du 17 mai 2005 entre la Communauté européenne et la République d'Albanie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier

L'accord du 17 mai 2005 comporte 23 articles visant à réglementer les procédures d'identification, de rapatriement et de transit des personnes qui ne remplissent pas, ou ne remplissent plus, les conditions d'entrée, de présence et de séjour sur le territoire de l'Albanie ou de l'un des États membres de l'Union européenne (UE).

La première section traite des obligations de réadmission par l'Albanie, et la deuxième section de celles de l'UE. L'accord stipule ainsi que l'une ou l'autre des parties réadmet les personnes précitées sur son territoire, à la demande de l'autre partie et sans autres formalités que celles précisées par l'accord. Ces deux sections traitent en outre de la situation des ressortissants de pays tiers ou d'apatrides.

La troisième section décrit, point par point, les formalités pratiques de réadmission des personnes en situation irrégulière telles que : la demande (article 7 ; elle doit préciser, dans la mesure du possible, les renseignements individuels de la personne ou ses éventuels besoins d'assistance ou de soin), les moyens de preuve de la nationalité (articles 8 et 9), les délais (article 10 ; la demande de réadmission doit être présentée dans un délai maximal d'un an après que la partie demandeuse a eu connaissance de la situation de la personne, tandis que la réponse doit être motivée et apportée sous 14 jours), les modalités de transfert et modes de transport (article 11et le traitement des cas de réadmission par erreur (article 12).

La section IV aborde les opérations de transit, et la section V les coûts de transport et de transit : tous les frais engagés jusqu'à la frontière de l'État de destination finale dans le cadre des opérations de réadmission et de transit sont à la charge de l'État requérant. La section VI aborde la question de la protection des données à caractère personnel (article 16) et rappelle la clause de non-incidence (article 17).

La section VII aborde enfin les modalités de mise en oeuvre et d'application de l'accord. L'article 18 prévoit notamment l'institution d'un comité de réadmission mixte chargé de contrôler l'application de l'accord et de décider de ses modalités de mise en oeuvre, tandis que l'article 20 précise que les dispositions de l'accord priment sur celles de tout accord ou arrangement bilatéral conclu entre les États membres et l'Albanie.

c) Un apport des accords de réadmission à la politique de retour qui doit être évalué avec précaution
(1) La nécessité de privilégier une évaluation qualitative

Il est particulièrement délicat, et peut-être illusoire, d'établir une position définitive quant à l'apport réel des accords de réadmission à la politique de retour des étrangers en situation irrégulière.

En premier lieu, les données quantitatives disponibles ne sont que faiblement éclairantes. La mission d'information ne peut par ailleurs que déplorer qu'aucun travail d'évaluation de ces accords n'ait été engagé jusqu'à présent. En second lieu, une approche pragmatique oblige à dire que l'enjeu est moins celui de l'efficacité des accords de réadmission dans l'absolu que de déterminer ce que l'on doit raisonnablement en attendre. La question est donc la suivante : l'intérêt de ces accords doit-il être évalué au prisme de l'application (ou non) de leurs stipulations stricto sensu ou résulte-t-il plutôt du vecteur de dialogue qu'ils constituent avec les pays tiers en matière de réadmission ?

D'un point de vue quantitatif, il a régulièrement été rappelé aux rapporteurs que plus de 90 % des réadmissions étaient réalisées vers des États tiers couverts par un accord de réadmission, qu'il soit bilatéral ou européen. Pour impressionnant qu'il soit, ce taux doit être manié avec précaution. Il s'explique probablement par le fait que les accords ont été conclus avec les États qui représentent le plus d'enjeux en termes d'immigration irrégulière. Tout en soulignant les limites de cet indicateur au cours de son audition, la DGEF a néanmoins estimé que ces accords avaient « un effet utile en termes de réadmission ». Cela s'expliquerait notamment par le fait qu'ils permettent d'établir des règles procédurales claires, auxquelles les deux parties sont théoriquement tenues de se référer.

Nos partenaires européens semblent également se heurter à cette difficulté. L'absence de statistiques pertinentes empêchant d'objectiver l'efficacité des accords de réadmission, les analyses produites sont essentiellement génériques. Cela est notamment retranscrit dans une note de synthèse produite en septembre 2022 par le réseau européen des migrations sur les accords de réadmission : « les États membres ont indiqué que leurs accords bilatéraux de réadmission contribuent à augmenter le nombre de retours et à faciliter les opérations de retour, ainsi qu'à consolider la bonne coopération avec les pays tiers. Cependant, ils n'ont fourni aucune preuve de l'efficacité des accords bilatéraux de réadmission dans l'amélioration des mesures de réinsertion »65(*).

Volume de réadmissions réalisées vers les États tiers, en fonction de la présence d'un accord de réadmission (2014-2013)

 

États tiers sous accord de réadmission

États tiers sans accord de réadmission

Part des réadmissions sous accords

2014

5 085

589

90 %

2015

5 745

566

91 %

2016

5 537

629

90 %

2017

5 921

681

90 %

2018

6 513

592

92 %

2019

8 260

598

93 %

2020

3 149

180

95 %

2021

3 335

176

95 %

2022

4 829

226

96 %

2023

5 324

400

92 %

Total

53 698

4 637

92 %

Source : DGEF

L'analyse est tout autre d'un point de vue qualitatif. Il a régulièrement été souligné auprès de la mission d'information que la conclusion d'un accord ne permettait pas à elle seule de tirer de conclusion quant à la qualité de la coopération en matière de réadmission. Il existe des États tiers non couverts par des accords pour lesquels la coopération est pleinement satisfaisante, et réciproquement. La qualité de cette coopération dépend ensuite d'une pluralité de facteurs, qu'il s'agisse de l'état de la relation bilatérale dans les autres domaines, du degré de structuration du dialogue administratif ou encore de l'existence d'outils incitatifs en matière migratoire (par exemple des programmes de retours aidés). Enfin, certains accords de réadmission sont de facto éteints.

Cette observation accrédite l'idée selon laquelle l'apport des accords de réadmission ne résulte pas nécessairement de leur contenu, dont l'exécution repose avant tout sur la bonne volonté de l'État partenaire. Il serait effectivement bien naïf de penser que la coopération d'un pays tiers en matière de lutte contre l'immigration irrégulière puisse découler de la seule existence d'un accord international. De fait, la multiplication des accords de réadmission sur les dernières décennies n'a en rien enrayé la dégradation continue des taux de retours. Pour rappel, à peine plus d'un laissez-passer consulaire sur deux a été délivré dans les délais utiles à l'éloignement en 2024 (57,5 % ; 2 329 pour 4 025 demandes). Une personne auditionnée a notamment conclu de ces données que « certains accords de réadmission n'étaient notoirement pas respectés ».

Les auditions menées se sont donc conclues de manière récurrente sur ce constat : en matière migratoire, l'apport des instruments internationaux procède moins de leur lettre que de l'état de la relation bilatérale avec l'État partenaire et de la qualité de l'action diplomatique qui les accompagne.

Si l'on adopte cette perspective, l'intérêt premier des accords de réadmission est alors diplomatique. Les accords de réadmission permettent ainsi d'ouvrir des espaces de discussion, à intervalles réguliers, qui ont au moins le mérite d'aplanir certaines difficultés ou de résoudre les dossiers les plus sensibles. En d'autres termes, ces accords offrent un prétexte aux autorités des États parties pour se parler, y compris lorsque les relations bilatérales sont le plus dégradées.

(2) Une complémentarité entre accords bilatéraux et européens qui ne semble pas faire débat

Les mêmes conclusions semblent valables si l'on étudie spécifiquement les accords de réadmission européens. À la différence des accords bilatéraux, des évaluations ont été conduites en la matière par la Commission européenne66(*) et, plus récemment, la Cour des comptes européenne67(*) : celles-ci tirent un bilan mitigé, quoique partiel, des accords européens, faute de données disponibles qui permettraient de faire un suivi effectif des réadmissions. D'un point de vue qualitatif, la DG HOME a également estimé au cours de son audition que ces accords « définissent les procédures qui facilitent la mise en oeuvre pratique de la réadmission et [surtout] un dialogue structuré avec le pays tiers ». Elle a également rappelé que l'existence d'un accord européen de réadmission ne garantit pas en soi une coopération satisfaisante en la matière.

La contribution des accords de réadmission à la diminution récente (et relative) de la pression migratoire aux frontières extérieures a néanmoins été mise en avant, sans que celle-ci ne puisse être réellement quantifiée. Pour rappel, les franchissements irréguliers ont chuté de 40 % sur les onze premiers mois de l'année 2024 selon l'agence Frontex (220 700).68(*)

La question parfois évoquée d'une éventuelle concurrence entre accords européens et bilatéraux semble quant à elle en partie théorique, les deux niveaux d'accords apparaissant largement complémentaires. Une approche à 27 présente l'avantage de donner plus de poids aux États membres dans les négociations et la mise en oeuvre des accords. En pratique, l'harmonisation des procédures entre les différents États membres est également gage de simplicité. La communautarisation des accords de réadmission a enfin le mérite de décharger pour partie les États membres du suivi administratif de ces accords et de les faire bénéficier d'accords avec des États tiers parfois moins prioritaires au niveau bilatéral.

La conclusion d'un accord européen n'est toutefois pas toujours possible, ni souhaitable. Certains États partenaires préfèrent encore adopter une approche bilatérale, dont ils considèrent sans doute qu'elle leur offre un plus grand poids dans la négociation. Le procédé d'adoption de ces accords est ensuite particulièrement long et complexe, pour une issue parfois incertaine. Enfin, les enjeux migratoires avec certains États tiers sont parfois exclusifs à un État membre, ce qui justifie de maintenir le dialogue au niveau bilatéral.

Au vu de ces éléments, la mission d'information considère qu'il n'existe pas d'incompatibilité entre le développement d'accords de réadmission européens - même si cette dynamique s'est étiolée sur la période récente - et le maintien du recours à des instruments bilatéraux.

2. Une nouvelle génération d'instruments internationaux en matière de réadmission plus techniques et plus souples

Au-delà des accords de réadmission stricto sensu, la coopération en matière de retour se matérialise également par des instruments internationaux relevant du droit souple. Ces instruments sont le support d'une coopération technique juridiquement peu contraignante et sont au nombre de sept au niveau bilatéral, avec des dénominations variées. Il peut ainsi s'agir de protocoles de coopération, de documents-cadres ou encore d'arrangements administratifs). L'Union européenne mobilise également à son niveau de tels instruments, qui sont au nombre de six.

Les rapporteurs ont fait le choix de présenter ici ces outils dans la mesure où ils sont majoritairement mobilisés dans le domaine de la réadmission. Il doit toutefois être précisé que certains d'entre eux vont au-delà, en intégrant par exemple des stipulations relatives au codéveloppement.

Récapitulatif des instruments internationaux de coopération technique
en matière de réadmission

Instruments bilatéraux de coopération techniques (7)

État partenaire

Date de signature

-

-

Instruments de coopération technique européens (6)

État partenaire

Date de signature

Afghanistan (caduc)

2 octobre 201669(*)

Bangladesh

20 septembre 2017

Côte d'Ivoire

30 mai 2018

Éthiopie

5 février 2018

Gambie

4 mai 2018

Guinée70(*)

27 juillet 2017

Source : Commission des lois, à partir des données communiquées à la mission d'information

Le recours à des instruments internationaux plus souples que les accords intergouvernementaux fait partie intégrante de la nouvelle approche des pouvoirs publics en matière migratoire. Selon les quelques informations glanées par la mission d'information sur le mystérieux comité stratégique sur les migrations de janvier 2023, celui-ci aurait au moins acté cette orientation. Celle-ci a surtout été confirmée en ces termes par le ministre de l'intérieur Bruno Retailleau lors de son audition devant la commission : « Je vais tenter de développer une nouvelle génération d'accords, moins ambitieux en ce qu'ils sont moins généraux, mais plus efficaces en ce qu'ils sont plus ciblés. Ces formes plus souples, quasiment administratives, permettent de formaliser des procédures très précieuses pour nos services ». La mission d'information soutient sans réserve cette orientation, qui paraît effectivement de nature à maximiser la plus-value des instruments internationaux en matière de réadmission.

Le caractère non-contraignant de ces accords est un vecteur clé de leur efficacité, tout comme leur discrétion. Comme l'a rappelé la DGEF au cours de son audition, « ces accords valent en effet engagement réciproque mais n'ont pas de portée normative à proprement parler ».

La mission d'information a fait le choix d'une présentation minimale du contenu de ces instruments techniques, dont l'efficacité dépend pour partie de leur confidentialité. Dans l'ensemble, certains de ces instruments techniques peuvent être très semblables à des accords intergouvernementaux. Au niveau bilatéral, certains semblent par exemple répliquer les termes d'un accord de réadmission, tandis que d'autres évoquent plutôt un accord de gestion concertée et de codéveloppement. D'autres instruments techniques s'apparentent davantage à des documents administratifs. L'un d'entre eux est par exemple signé par des hauts fonctionnaires (en l'espèce le directeur de l'immigration, côté français) et détaille les procédures administratives applicables en matière de réadmission selon un vocabulaire qui se rapproche parfois plus de celui d'une circulaire que d'un accord intergouvernemental.

Parfois qualifiés de « Standard operating procedures » (SOP), les arrangements administratifs conclus par l'Union européenne ne disposent pas non plus d'un caractère contraignant et peuvent également ressembler à des accords intergouvernementaux « amaigris ». L'un d'entre eux s'apparente par exemple à un accord de gestion concertée au formalisme allégé. Il comprend un volet relatif à la réadmission identifiant des bonnes pratiques pour un déroulement efficace de la procédure de retour. Des priorités d'intervention sont identifiées pour la gestion des migrations, la lutte contre les réseaux ou la fiabilisation de l'état civil. Elles sont parfois assorties d'engagements concrets. Des projets relevant de l'aide au développement sont enfin mentionnés.

Au vu de l'ensemble des éléments présentés, la mission d'information souligne l'importance des instruments internationaux pour la mise en place d'une coopération efficace avec les pays tiers en matière de réadmission. S'il est vrai que ceux-ci ne garantissent en rien une amélioration mécanique de la coopération, il serait tout à fait irréaliste d'en attendre de tels effets. En revanche, ils ont le mérite de fluidifier les procédures de réadmission ou, a minima, de structurer des canaux de discussion permettant, parfois, d'aplanir les difficultés les plus saillantes. Dans ce contexte, la mission d'information ne peut qu'encourager le recours à ces outils, quelle que soit leur nature. Reprenant à son compte les orientations présentées par le ministre de l'intérieur devant la commission, elle appelle notamment à développer autant que possible le recours à des instruments techniques, dont la flexibilité est souvent gage d'une plus grande efficacité.

Proposition n° 9 : Mobiliser l'ensemble des instruments internationaux disponibles pour favoriser la coopération des États d'émigration en matière de réadmission. Pour ce faire :

- Soutenir la conclusion d'accords de réadmission européens, sans s'interdire la négociation d'accords bilatéraux lorsque la situation le justifie ;

- Développer autant que possible le recours à des instruments techniques, dont la flexibilité est souvent gage d'une plus grande efficacité.


* 49 Pour davantage de précisions sur le sujet, voir : Anne Eck, « Les accords européens de réadmission : tensions entre recherche d'effectivité de la réadmission et protection des droits fondamentaux », Université de Strasbourg (2022).

* 50 Le nombre d'États partenaires s'élève à 40, en raison de la conclusion d'accord avec les États dits du Benelux ainsi que d'un accord commun avec la Suisse et le Liechtenstein.

* 51 Ne sont pas mentionnés dans cette liste : deux accords ayant fait l'objet d'un refus de ratification (Bolivie - 13 septembre 1999 ; Surinam - 30 novembre 2004), trois accords rendus caducs par un accord de réadmission européen conclu postérieurement (ARYM - 8 octobre 1998 ; Serbie et Monténégro - 15 avril 2006), ainsi qu'un accord dont les services du ministère de l'intérieur ont indiqué qu'il n'était pas en vigueur (République tchèque - 2 avril 1997).

* 52 En remplacement de l'accord du 30 novembre 1962.

* 53 Un accord de réadmission européen a toutefois été conclu postérieurement.

* 54 Les termes utilisés dans cette stipulation sont toutefois de portée plus générale que ceux traditionnellement usités.

* 55 Complété par un avenant le 25 février 2008.

* 56 Du protocole n° 1 relatif à la gestion concertée des migrations.

* 57 Certains accords de réadmission concernent exclusivement les ressortissants de l'autre État partie.

* 58 Peuvent également s'appliquer des exceptions au bénéfice de personnes précédemment éloignées par la partie requise ou qui ont obtenu un document de séjour a posteriori de la partie requise.

* 59 Réseau européen des migrations, Note de synthèse, « Accords bilatéraux de réadmission. », septembre 2022 : « Seule la Lituanie a pris des mesures pour suspendre formellement les accords de réadmission bilatéraux préexistants à l'ARUE, bien que d'autres États membres de l'UE les aient suspendus dans la pratique ».

* 60 Leur recensement étant particulièrement complexe, le périmètre retenu n'inclut pas les accords d'une autre nature comprenant une unique clause de réadmission.

* 61 Les mandats accordés à la commission européenne incluent également la conclusion d'accords de facilitation de visas avec la Chine, le Maroc, la Jordanie et la Tunisie.

* 62 Selon les éléments communiqués par la Commission européenne, les accords de réadmission conclus avec la Russie et la Biélorussie n'ont, contrairement aux accords applicables en matière de visas, pas fait l'objet d'une suspension formelle.

* 63 Les recherches effectuées n'ont à date pas permis de prendre connaissance du contenu de l'accord.

* 64 Si l'accord est toujours en vigueur, son utilisation par les États membres est néanmoins marginale depuis le début du conflit.

* 65 Réseau européen des migrations, Note de synthèse, « Accords bilatéraux de réadmission. », septembre 2022.

* 66 Communication n° 76 du 23 février 2011 de la commission européenne au Parlement européen et au Conseil sur l'évaluation des accords de réadmission conclus par l'Union européenne.

* 67 Cour des comptes européenne, Rapport spécial, « Coopération de l'UE avec les pays tiers en matière de réadmission : des actions pertinentes, mais peu de résultats », 2021.

* 68 Frontex, communiqué de presse, « EU external borders: Irregular crossings down 40 %; Western African route at record high », 13 décembre 2024.

* 69 Un accord conclu le 26 avril 2021 suite à l'expiration du « Joint Way Forward » n'a pas pu être mis en oeuvre du fait de la prise de pouvoir par les Talibans.

* 70 Un projet de PV portant sur la coopération en matière de délivrance de LPC signé par la France le 27 juin 2006, avait été ensuite transmis aux autorités guinéennes. Ces dernières n'ont donné aucune suite

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