B. UNE NOUVELLE DYNAMIQUE FRANCO-TURQUE POUR RÉPONDRE AUX BOULEVERSEMENTS DU MONDE MÉDITERRANÉEN
1. Renforcer la confiance en relançant les coopérations bilatérales tous azimuts
a) Encourager les coopérations décentralisées, culturelles et éducatives
Les membres de la délégation sénatoriale sont convaincus que le développement des coopérations bilatérales concrètes notamment au niveau local peut contribuer utilement au renforcement de la relation franco-turque. A Izmir, ils ont ainsi pu prendre la mesure des actions menées dans le domaine économique, culturel et éducatif avec le soutien de l'AFD et de nos personnels diplomatiques. La ville d'Izmir et ses 3,5 millions d'habitants incarnent bien cette Turquie moderne ouverte sur la Méditerranée et engagée à relever les nouveaux défis environnementaux. Le maire d'Izmir, Cemil Tugay, a ainsi pu présenter aux membres de la délégation ses projets notamment dans les domaines des transports et du traitement de l'eau en rappelant l'expertise des groupes français dans ces domaines.
La présence française à Izmir s'appuie sur l'engagement de plusieurs personnalités locales qui contribuent à développer la présence française ainsi que sur un important réseau francophone et francophile autour de l'Institut français et du Lycée Saint-Joseph qui permet de maintenir une offre attractive pour les écoliers et les étudiants qui souhaitent apprendre le français à un moment où l'accès au français dans les écoles publiques est devenu plus difficile.
Les membres de la délégation ont également pu échanger à Ankara avec la proviseure du Lycée Charles-de-Gaulle qui a évoqué les échanges conduits avec les autorités turques concernant le maintien de la possibilité pour les élèves turcs de s'inscrire dans les établissements français. Le président de la commission des affaires étrangères, Fuat Oktay, a considéré que l'origine des difficultés était à rechercher dans l'absence de respect du principe de réciprocité, la Turquie rencontrant des difficultés à créer des établissements d'enseignement turcs en France.
Les membres de la délégation sénatoriale réaffirment l'importance des établissements d'enseignement français pour l'avenir du dialogue franco-turc et leur souhait qu'un accord puisse être trouvé afin de préserver l'accès le plus large possible à cet enseignement qui a toujours contribué activement à travers ses alumni au renforcement des relations entre les deux pays.
b) Accepter d'ouvrir le débat sur des coopérations en matière de défense
Si le renforcement de la confiance entre la France et la Turquie peut trouver à se concrétiser dans les investissements économiques et les actions culturelles et éducatives, il doit aussi pouvoir s'affermir dans les coopérations militaires bilatérales qui nécessitent le plus haut niveau de confiance et constituent une priorité pour les interlocuteurs turcs rencontrés.
Le général lkay Altýndað, directeur général de la sécurité au ministère de la défense, a rappelé que la Turquie avait engagé plusieurs coopérations avec des États européens - notamment avec l'Espagne sur les porte-hélicoptères et avec l'Allemagne sur les sous-marins - tout en ajoutant qu'elle prévoyait de lancer de nouveaux programmes concernant notamment les drones sous-marins. Il a ainsi appelé de ses voeux une reprise des échanges avec la DGA afin d'examiner dans quelle mesure des collaborations pourraient être engagées entre les entreprises turques et françaises compte tenu des projets envisagés par la Turquie. Ce dialogue a été suspendu ces dernières années à mesure que la relation franco-turque se distendait à l'occasion d'incidents comme celui survenu le 10 juin 2020 entre les frégates française Courbet et turque Gökova au large de la Libye. Compte tenu des délais particulièrement longs qui caractérisent le développement des programmes militaires, il pourrait être particulièrement pertinent de procéder à une revue stratégique commune afin d'examiner les sujets d'intérêt communs et de signifier qu'une page a bel et bien été tournée.
Les membres de la délégation sénatoriale considèrent que la reprise de ce dialogue serait utile compte tenu des enjeux partagés, des niveaux d'expertise respectifs des BITD turque et française et de la nécessité de renforcer les capacités industrielles des pays membres de l'OTAN. Une coopération relancée dans ce domaine sensible où prédominent les enjeux de souveraineté pourrait constituer un élément important pour renforcer la confiance entre les deux pays. La diplomatie parlementaire doit pouvoir jouer son rôle pour approfondir ce dialogue en lien avec le ministère des armées et les industriels concernés.
2. Redonner un élan à la relation franco-turque en coordonnant davantage les initiatives sur les conflits en cours
a) Des positions convergentes sur l'Ukraine et Gaza
Les désaccords qui ont pu exister en matière de politique étrangère ces dernières années ne sauraient faire oublier le fait que les deux pays partagent également des analyses convergentes sur l'avenir de plusieurs régions traversées par de graves conflits qui mettent en péril la sécurité collective.
Le vice-ministre des affaires étrangères, Melmet Kemal Bozay, a ainsi rappelé que les deux pays étaient confrontés aux mêmes enjeux de réchauffement climatique, de transition énergétique et de numérisation de la société. Il a insisté sur la nécessité de renforcer la relation franco-turque pour aider à la résolution des crises et de développer les échanges commerciaux entre les deux pays. Il a appelé de ses voeux l'établissement d'une confiance mutuelle afin d'aborder de manière différente la résolution des conflits régionaux.
« Nous pouvons avoir des divergences mais nous avons la Paix en dénominateur commun ».
Melmet Kemal Bozay, Vice-ministre des affaires étrangères,
La France et la Turquie qui ont toutes deux condamné l'agression russe du 24 février 2022 contre l'Ukraine oeuvrent sans relâche pour mettre un terme à cette guerre en créant les conditions d'une négociation respectueuse des intérêts de l'Ukraine. Les membres de la délégation ont rappelé à plusieurs reprises le rôle éminent que pourrait être amenée à jouer la Turquie dans ces négociations pour parvenir à une paix juste et durable, conformément aux principes fondamentaux du droit international et à la Charte des Nations Unies.
Un autre point de convergence important concerne la situation à Gaza puisque les échanges menés ont mis en évidence que la France et la Turquie plaidaient chacune pour un arrêt des combats à Gaza et considéraient qu'une solution politique à deux États constituait la seule perspective permettant de ramener une paix durable. Le vice-ministre des affaires étrangères, Mehmet Kemal Bozay, a estimé pour sa part qu'Israël aurait tout intérêt à laisser émerger un nouveau leadership palestinien en libérant Marwan Barghouti. Alors que les responsables turcs ont fait part de leur crainte qu'une véritable guerre régionale se déclenche au Proche-Orient, les membres de la délégation sénatoriale ont tenu à rappeler la responsabilité du Hamas à travers son agression du 7 octobre 2023 et celle du Hezbollah à travers les tirs répétés de roquettes sur le nord d'Israël dans la dégradation de la situation tout en reconnaissant le caractère excessif des actions menées depuis par Israël à Gaza.
Concernant les autres évolutions géopolitiques en cours ces derniers mois, la délégation sénatoriale a salué l'amélioration des relations entre la Turquie et la Grèce tout en entendant le souhait de la Turquie - rappelé par le président de la commission des Affaires étrangères de la Grande Assemblée nationale de Turquie - de voir « reconnaitre les droits légaux de tous les acteurs en Mer Égée » qui doit trouver une issue dans la poursuite du dialogue et la négociation. Les membres de la délégation sénatoriale ont également rappelé l'influence que pouvait avoir la Turquie auprès de l'Azerbaïdjan pour trouver, enfin, les termes d'une paix durable entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
b) L'aide à la Syrie comme exemple d'une nouvelle relation franco-turque ?
Si les autorités turques avaient insisté en octobre dernier lors du déplacement de la délégation sur l'importance que représentait pour elles la situation en Syrie compte tenu, en particulier, des enjeux de sécurité et de l'immigration, la chute du régime de Bachar El Assad et l'installation d'un nouveau pouvoir proche de la Turquie ont créé une situation nouvelle qui change la donne au Proche-Orient.
La France et la Turquie partagent un intérêt commun dans la stabilité de la nouvelle Syrie dans le respect de ses frontières internationales et dans la poursuite des actions visant à juguler l'influence de Daech dans ce pays, la Turquie ayant déjà neutralisé 4 500 combattants de Daech comme l'a rappelé le général lkay Altýndað, directeur général de la sécurité au ministère de la défense.
Alors que des incertitudes subsistent sur les orientations que prendra à long terme le nouveau pouvoir syrien, les membres de la délégation sénatoriale estiment que la stabilité de la Syrie sera d'autant plus forte que cette dernière pourra recouvrer rapidement sa pleine souveraineté territoriale et adopter des institutions permettant de concilier au mieux son intérêt national et les demandes d'autonomie locale. Ils considèrent ensuite que, dans le cadre de la levée des sanctions envisagée par les membres de l'Union européenne, des coopérations entre les entreprises françaises et turques pourraient être envisagées dans de nombreux secteurs d'activités économiques et sociaux (énergie, transport, eau, agriculture, santé...) afin d'améliorer rapidement la vie des Syriens et de jeter les bases d'un développement économique durable. Les membres de la délégation forment le voeu qu'une coopération exemplaire puisse permettre d'ouvrir une nouvelle page des relations entre les deux pays.