AVANT-PROPOS
« Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l'addiction, osons une thérapie de choc ! » : tel est le titre évocateur choisi par nos collègues Françoise Gatel et Rémy Pointereau pour leur rapport, approuvé par notre délégation le 26 janvier 20232(*). Rappelant que la simplification des normes applicables aux collectivités se trouve nettement en tête des priorités des élus, ce rapport entendait améliorer le processus de fabrique des normes imposées aux collectivités territoriales. Il est en effet essentiel d'agir de manière préventive plutôt que de s'épuiser à simplifier a posteriori des normes déjà produites.
La mission proposait ainsi six recommandations afin de corriger les défauts qui affectent actuellement les mécanismes de production des lois et décrets. Il privilégie des solutions simples qui peuvent être mises en oeuvre, pour l'essentiel, à droit constant, c'est-à-dire par simple engagement des acteurs.
Parmi ces solutions figurait la nécessité, avant de légiférer, d'évaluer l'intérêt même d'une nouvelle norme, c'est-à-dire de comparer les mérites de l'intervention d'un texte avec les autres solutions possibles dans le cadre juridique en vigueur. Cette démarche nécessite, pour être efficace :
- d'évaluer précisément les dispositions législatives en vigueur que le texte de loi envisage de modifier ou compléter ; ce point rejoint la nécessité de développer notre culture de l'évaluation, insuffisante en France ;
- de faire réaliser cette étude d'options par des experts indépendants et extérieurs au Parlement.
À la suite de ce rapport sur l' « addiction aux normes », notre délégation a organisé, le 16 mars 2023, les États généraux de la simplification, clôturés par la signature historique, par le Sénat et le Gouvernement, d'engagements communs pour la simplification des normes applicables aux collectivités locales. Cette charte reprenait notamment cette démarche novatrice d'étude d'options.
Françoise Gatel, alors présidente de notre délégation, avait souhaité en faire une première application sur la proposition de loi qu'elle avait déposée, visant à expérimenter le transfert de la compétence « santé scolaire » aux départements volontaires. Ce texte a été adopté, en première lecture par le Sénat, le 20 mars 2024.
Succédant à Françoise Gatel, notre collègue Bernard Delcros, Président de notre délégation, a naturellement souhaité poursuivre cette démarche vertueuse, qui s'inscrit dans la logique de sobriété et d'efficacité normatives que la délégation appelle de ses voeux et qui correspond à la mission qui lui a été confiée par le Président du Sénat en 20143(*).
Afin de nourrir utilement les prochains travaux parlementaires concernant la proposition de loi précitée, il nous appartient, en tant que législateurs, de répondre aux questions suivantes : la réforme votée au Sénat est-elle toujours pertinente aujourd'hui, dans le contexte budgétaire que chacun connaît ? Le département serait-il bien l'échelon local le plus adapté pour exercer cette compétence de santé scolaire ? Combien y a-t-il de départements volontaires aujourd'hui ? Quel serait l'impact, organisationnel, sanitaire, financier et économique de cette réforme sur cette collectivité ? Les communes, EPCI ou régions pourraient-ils également jouer un rôle en matière de santé scolaire ? Enfin, peut-on améliorer à droit constant, c'est-à-dire sans transfert de compétence, la politique de santé scolaire en France ?
C'est pour répondre à l'ensemble de ces interrogations avec un regard indépendant que la délégation a fait appel à l'entreprise attributaire du marché « Études » du Sénat, à savoir la société « Ernst & Young ». Elle a été chargée de formuler son analyse sur le fondement d'entretiens et de données provenant des administrations centrales et déconcentrées.
Cette étude d'options, reproduite en annexe du présent rapport, confirme tout d'abord le diagnostic partagé sur l'état préoccupant de la santé scolaire en France. Quelques chiffres suffisent à démontrer que l'offre de service n'est pas adaptée aux besoins : la chute de plus de 28 % de l'effectif des médecins scolaires depuis 2013, un taux d'encadrement d'un médecin pour 12 800 élèves et d'un infirmier pour 1 303 élèves, taux qui explique que moins de 20 % des élèves ont bénéficié de la visite médicale, pourtant obligatoire, en classe de sixième.
Par ailleurs, plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette étude d'options ainsi que du riche débat qui a suivi sa présentation au sein de notre délégation4(*).
1er enseignement : le
contexte financier a changé la donne
concernant
l'expérimentation du transfert de la compétence «
santé
scolaire ». L'enthousiasme des
départements a vécu, ce qui soulève de
légitimes interrogations sur la proposition de loi
précitée que le Sénat a adoptée en mars 2024,
visant à expérimenter le transfert de la compétence
« médecine scolaire » aux départements
volontaires. En effet, selon l'article unique de ce texte, chaque
département disposerait d'une année à compter de la
promulgation de la loi pour demander l'exercice de cette compétence, par
une délibération motivée du conseil départemental.
Or, au moment de l'examen du texte par le Sénat, l'association des
Départements de France avait indiqué que selon un sondage
réalisé en 2023, la moitié des 40 départements
interrogés s'était déclarée prête à un
tel transfert. Toutefois, à nouveau interrogée dans le cadre de
l'étude d'options, l'association a souligné, en novembre 2024,
que le contexte financier avait modifié l'avis des départements.
En effet, ces derniers redoutent désormais de récupérer
une compétence qui serait insuffisamment compensée par
l'État. Actuellement, seul le département de la
Nièvre serait toujours volontaire pour cette
expérimentation5(*). Il paraît donc essentiel de recueillir
la position actuelle des départements sur la démarche
d'expérimentation, dans le cadre de la poursuite de l'examen de la
proposition de loi. Précisons, à cet égard, que selon la
Cour des comptes, entre 1 milliard et 1,2 milliard d'euros serait
consacré à la santé scolaire chaque année. Cette
évaluation peut varier de quelque 600 millions à
700 millions d'euros, si l'on adopte une définition très
restrictive de la santé scolaire, à 1,3 milliard d'euros,
selon la définition la plus large
1er enseignement : recueillir la position actuelle des départements sur la démarche d'expérimentation, dans le cadre de la poursuite de l'examen de la proposition de loi.
2ème enseignement : l'étude d'options a le mérite de faire émerger dans le débat un sujet qui ne figurait pas dans le texte examiné par le Sénat en mars 20246(*) : en effet, l'étude rappelle que certaines communes de grande taille exercent d'ores et déjà des compétences en matière de santé scolaire, sur la base d'une convention avec l'État. Il s'agit des communes suivantes : Antibes, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Lyon, Nantes, Rennes, Grenoble, Paris, Strasbourg, Vénissieux et Villeurbanne. Les services municipaux concernés, en charge de la santé scolaire, ont vu leurs missions s'élargir au fil du temps, même si celles-ci ne s'étendent pas au-delà du premier degré scolaire. Selon la Cour des comptes, le taux de réalisation de la visite médicale des enfants dans leur 6ème année est beaucoup plus élevé dans les villes délégataires que dans les académies.Les villes délégataires semblent donc plus efficaces que l'Éducation nationale. Mais ce volontarisme local semble représenter un coût important pour les communes concernées. Ainsi, les données budgétaires fournies par l'association France urbaine, dans le cadre de l'étude d'options, établissent que le coût de la prise en charge pour ces communes s'élève à près de 40 euros par enfant et par an alors que l'État verse une subvention moyenne de 9,50 euros aux 11 villes gestionnaires du service de santé scolaire.
Cette étude d'options nous conduit donc à
formuler certaines
interrogations :
· Peut-on dresser un bilan précis coût/avantages des actions menées par les 11 communes précitées ?
· Le mécanisme de la délégation, par lequel la commune délégataire agit pour le compte de l'État, est-il préférable à celui d'un transfert de compétence ?
· L'expérimentation proposée par le Sénat devrait-elle être élargie à d'autres communes ?
· Devrait-elle également concerner des EPCI ?
2ème enseignement : évaluer l'intérêt de confier aux communes la compétence « santé scolaire », en particulier dans le cadre d'une convention de délégation de compétence conclue avec l'État.
3ème
enseignement enfin : l'étude d'options
conduit, à nouveau, à nous interroger sur les voies et moyens
propres à faciliter l'exercice du
métier des
professionnels qui interviennent dans le domaine de la santé
scolaire. Agir dans ce sens suppose de réfléchir à
plusieurs
améliorations : des conditions de travail plus
attractives, des formations continues adaptées aux enjeux contemporains
telles que la santé mentale, la mise en place d'une plateforme
numérique pour centraliser les données de santé des
élèves et faciliter leur suivi, l'autorisation de cumuls
d'activités plus étendus pour les médecins scolaires, de
meilleures rémunérations...
3ème enseignement : améliorer les conditions d'exercice du métier des professionnels de la santé scolaire.
Il ne s'agit, à ce stade, que de pistes de travail et de réflexion mais elles démontrent tout l'intérêt qui s'attache à la démarche novatrice initiée par notre délégation : l'étude d'options réalisée à son initiative confirme ainsi la nécessité d'une meilleure fabrique de la norme applicable aux collectivités territoriales.
Ce sujet sera d'ailleurs au coeur des prochaines «
Assises de la simplification », organisés au printemps
2025, en présence des principaux acteurs de la norme. La
délégation entend ainsi poursuivre inlassablement son travail de
« Sisyphe », sur ce sujet ô combien
essentiel pour les élus
locaux. Votre rapporteur en est
convaincu : tous les producteurs de textes doivent procéder
à un changement de logiciel permettant de passer de
l'addiction aux normes à l'obsession de l'efficacité.
Gageons que le présent rapport contribuera à cette salutaire prise de conscience.
* 2 Rapport d'information n° 289 (2022-2023) de Mme Françoise Gatel et M. Rémy Pointereau, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 26 janvier 2023 ; https://www.senat.fr/rap/r22-289/r22-289.html
* 3 À l'initiative du président Gérard Larcher, le Bureau du Sénat, par une décision du 12 novembre 2014, a confié à la délégation aux collectivités territoriales la mission de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales. Cette mission est plus particulièrement exercée par notre collègue Rémy Pointereau, premier vice-président délégué, chargé de la simplification des normes.
* 4 Voir en annexe le compte rendu de la réunion de la délégation du 12 décembre 2024.
* 5 À cet égard, l'association des départements de France (DF) a adopté, le 16 octobre 2024, une résolution visant à alerter sur la situation financière des départements.
* 6 Une autre piste a été évoquée par le cabinet d'étude : la création de groupements d'intérêt public (GIP). Ces structures permettent à divers acteurs de mettre des ressources en commun et de coordonner leur action à l'échelle d'un territoire. Cette piste est intéressante mais sa principale limite est l'ajout d'une structure supplémentaire au paysage institutionnel.