B. PARTIR DES BESOINS DES TERRITOIRES POUR DÉTERMINER LES ACTIONS À MENER DANS LE CADRE DU PROGRAMME

1. Mieux adapter l'offre de service aux problématiques des Territoires d'industrie

Les opérateurs de l'État partenaires du programme, interrogés par les rapporteurs, ont été explicites sur l'absence de priorisation des projets situés dans les Territoires d'industrie dans leurs programmes de droit commun : Bpifrance par exemple a assumé « ne pas avoir a priori une approche territoriale » et avoir fait le choix des projets à financer en fonction de leur qualité, et non de leur localisation - recoupant les constats faits par la Cour des comptes (cf. ci-dessus). Or même si le chiffrage précis est délicat, en l'absence de données, ces programmes de droit commun représentent sans aucun doute des montants beaucoup plus importants que les financements spécifiquement dédiés aux Territoires d'industrie (volet « filières » du PIA, VTE-TI et accès préférentiel aux accélérateurs), opérés également par Bpifrance.

Alors que ces dispositifs spécifiques aux Territoires d'industrie sont en voie d'extinction, faute de crédits, et qu'il est peu probable qu'un programme d'investissements industriels de l'ampleur de France 2030 vienne prendre le relais de ce dernier, il est particulièrement important que les opérateurs de l'État impliqués dans le programme élaborent une nouvelle offre de services mieux adaptée aux problématiques rencontrées dans les Territoires d'industrie. L'ANCT a d'ailleurs reconnu que le principe de priorisation vers les Territoires d'industrie de dispositifs de droit commun préexistants avait « rapidement atteint ses limites », et estimé que la phase 2 du programme a été l'occasion de réaliser une mise à jour complète de l'offre de service du programme, avec le souhait de « construire des mesures dédiées aux Territoires d'industrie avec des enveloppes identifiées sur trois volets (animation, ingénierie et financement) ». La capacité d'adaptation de l'État à partir des remontées des territoires avait d'ailleurs été partiellement démontrée, puisque par exemple, le foncier, qui ne faisait pas partie des enjeux identifiés initialement par le programme, avait été inclus dans la deuxième phase, notamment à la suite de la remontée des premières fiches action en 2019, qui faisaient apparaître cette problématique comme prépondérante au sein du volet « attractivité » du programme. Ce nouveau panier de services bénéficierait bien entendu d'abord aux Territoires d'industrie, mais également, au moins dans un second temps, à l'ensemble du territoire.

Les échanges les plus récents avec les représentants tant du monde industriel que des collectivités ne témoignent cependant pas d'évolutions du panier de l'offre de service. Intercommunalités de France déplore par exemple dans ses réponses écrites, que si le programme Territoires d'industrie sert à orienter les projets industriels jugés intéressants dans les territoires vers des dispositifs de financement existant par ailleurs, « l'inverse n'est pas vrai : les autres dispositifs nationaux ne s'appuient pas sur Territoires d'industrie. Autrement dit : les besoins remontés par Territoires d'industrie en matière de formation, de disponibilité du foncier, de modernisation du parc machine ne sont pas soutenus par les autres politiques industrielles de l'État, sous prétexte qu'ils ne sont pas assez innovants, pas assez importants. ». Pour l'association, l'adaptation des politiques industrielles existantes aux problématiques remontées dans les fiches projets élaborés au sein des Territoires d'industrie ne s'est fait pour l'instant qu'au niveau local, et non pas encore aux niveaux régional et national.

Une exception est peut-être à trouver dans les sites clés en main, le Grand Chalon estimant par exemple que l'une de ses fiches-actions du temps 1, visant à la « Simplification des procédures administratives de l'Autorité Environnementale pour les entreprises s'implantant sur SaôneOr (Attirer, Simplifier) » a directement inspiré, au niveau national les sites industriels clés en main - qui sans leur être exclusifs, ont particulièrement bénéficié aux Territoires d'industrie.

Les rapporteurs engagent donc l'État et tous ses opérateurs à examiner en détail les fiches-actions élaborées par les Territoires d'industrie, et à imaginer de manière proactive les outils pour y répondre. Sans prétendre à des propositions exhaustives, les rapporteurs attirent l'attention sur la question de la requalification du foncier, déjà évoquée, mais aussi de la modernisation de l'outil industriel, particulièrement importante pour de petits sites de production dont l'appareil de production est parfois vieillissante. Les offres relativement peu coûteuses en ingénierie, diagnostic et accompagnement, devraient être privilégiées.

Recommandation n° 11 : Mieux adapter l'offre de services proposée par les opérateurs de l'État partie prenante au programme aux spécificités des Territoires d'industrie, sur la base des fiches-actions remontées par les Territoires d'industrie, d'une part en assurant une réelle priorisation des projets émanant des Territoires d'industrie dans les dispositifs de droit commun, d'autre part en élaborant un nouveau panier de services dédié prenant en particulier en compte les problématiques du foncier, du logement et de la mobilité.

Plus fondamentalement, les rapporteurs suggèrent d'utiliser le programme Territoires d'industrie, qui couvre la moitié du territoire français, comme réservoir d'idée pour élaborer les grandes orientations de politique industrielle à l'échelle nationale.

Comme le suggère la DGEFP, qui n'a pas participé aux tous premiers moments du programme, « [l]e programme Territoires d'industrie bénéficie à un grand nombre d'intercommunalités ou de groupements d'intercommunalités, sans couvrir pour autant l'ensemble des bassins d'emplois concernés par les enjeux de réindustrialisation. Aussi, il apparaît important de capitaliser sur les projets déployés par Territoires d'industrie pour identifier les leviers efficaces en matière de développement des compétences industrielles, afin de les essaimer plus largement. [...]. Le partage d'expérience est ainsi le garant d'une politique de réindustrialisation efficace et bénéficiant à l'ensemble du territoire français. ». Cette opinion rejoint celle de France industrie, pour qui le programme « doit [...] être utilisé comme un capteur qui orienterait les grandes politiques publiques »115(*). Les comités de projet pourraient également être directement interrogés sur les freins juridiques rencontrés à des actions qu'ils auraient souhaité mettre en oeuvre.

Recommandation n° 15 : Utiliser les comités locaux et régionaux des Territoires d'industrie comme force de proposition - notamment sur le volet « simplification », pour inspirer un nouvel acte de simplification des normes affectant le secteur industriel.

2. Réactiver l'axe « simplification » du programme en encourageant le recours aux dérogations au droit commun

Parmi les principaux facteurs de réussite des projets industriels, le Medef cite celui d'un accompagnement par l'État dédié, visant à sécuriser le porteur de projet, notamment dans le cas de procédures administratives complexes et de régulations strictes. Si l'affichage « pro business » permis par les Territoires d'industrie peut rassurer les industriels quant au soutien des élus locaux, ces derniers demeurent contraints par un cadre juridique contraint et peu adaptable.

Au moment où le thème de la « simplification » est devenu l'un des axes forts de la politique économique, les rapporteurs estiment que ce quatrième axe de la première phase du programme Territoires d'industrie, rapidement abandonné au vu du peu d'appétence des acteurs à s'en emparer (selon les chiffres de la Délégation aux Territoires d'industrie, seulement environ 10 % des fiches-actions recensées mi-2019 portaient sur ce thème), devrait être réanimé.

Ils suggèrent une communication en ce sens auprès de l'ensemble des Territoires d'industrie de la part de la DTI, rappelant la possibilité, pour les porteurs de projets, de demander des dérogations de nature législative ou réglementaire par le biais du dispositif France Expérimentation, à titre expérimental, en cas de besoin d'adaptation des normes de niveau national.

Cette possibilité, qui pourrait trouver un écho surtout chez les porteurs de plus gros projets, pourrait être complétée par un rappel, par voie de circulaire, à l'ensemble des préfets, de la récente pérennisation de leur faculté de déroger à certaines normes pour prendre des décisions non réglementaires, notamment en matière de dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques - aménagement du territoire, construction et urbanisme, emploi et activité économique-, en vue notamment d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques, et en cas de motif d'intérêt général116(*).

Enfin, sur le modèle du fonctionnement des Territoires d'industrie, où les industriels sont associés dès l'origine à l'élaboration des actions du programme, les rapporteurs estiment qu'en raison de la prégnance de la problématique foncière, les acteurs du monde économique devraient être plus souvent associés, au moins à titre consultatif, aux instances programmatiques pilotées localement par la puissance publique ou les collectivités. Un recueil systématique des besoins, au moment de l'élaboration des documents d'urbanisme, serait notamment très pertinent, dans un contexte de pénurie foncière.

Recommandation n° 5 : Réactiver l'axe `simplification' du programme et encourager le recours à des dérogations ad hoc, en utilisant notamment le pouvoir de dérogation préfectoral.


* 115 Réponses écrites à un questionnaire.

* 116 Décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet.

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