Remise du prix de la délégation à Aurélie Tinland
Chère Aurélie Tinland,
Notre déplacement à Marseille au printemps dernier a constitué un temps fort des travaux que nous avons menés cette année sur les femmes sans abri, et a permis de nourrir notre rapport publié le 9 octobre dernier, intitulé Femmes sans abri, la face cachée de la rue.
Grâce à vous, qui nous avez servi de guide et d'intermédiaire, nous avons pu effectuer des maraudes, rencontrer des femmes sans abri ou accueillies à L'Auberge marseillaise et à la pension de famille Claire Lacombe, échanger avec des pair-aidantes, des psychiatres, des psychologues, des travailleurs sociaux et des professionnels de l'équipe mobile psychiatrie précarité Marss, du programme « Un chez soi d'abord », de l'association « Just » ou encore des « Régisseurs sociaux » ...
Depuis des années, vous êtes engagée en faveur du droit au logement et du droit à la santé, notamment mentale, des personnes sans domicile. Avec l'équipe Marss, vous arpentez les rues de Marseille pour aller à la rencontre des personnes, notamment des femmes, souffrant de troubles psychiques et psychiatriques sévères. Mais comment ne pas en souffrir, lorsqu'on vit dans la rue ?
Lors de notre rencontre à Marseille, vous nous avez fait part d'une réalité glaçante. Vous nous aviez expliqué, en vous fondant sur les témoignages des très nombreuses femmes que vous rencontrez, que « au bout d'un an à la rue, 100 % des femmes ont été victimes d'un viol, et ce quel que soit leur âge et quelle que soit leur apparence ». Cette déclaration percutante, nous avons choisi de la mettre en exergue dans la synthèse de notre rapport, afin de bousculer l'opinion publique et de lui faire prendre conscience de l'infamie des violences subies par les femmes sans abri.
En tant que psychiatre et chercheuse en santé publique, vous ne vous limitez pas à une pratique entre les murs de l'APHM ou de laboratoires. Vous êtes résolument une actrice de terrain. Votre pratique de médecin se nourrit de vos connaissances empiriques et inversement. Vous privilégiez des méthodes pragmatiques et la pair-aidance pour accompagner les personnes en difficulté sociale et psychique.
Aujourd'hui, nous souhaitons saluer votre double engagement de médecin chercheuse et de militante de terrain. C'est avec une grande satisfaction que mes collègues et moi-même vous remettons le prix de notre délégation.
[Applaudissements dans la salle.]
Réponse d'Aurélie Tinland
Merci beaucoup.
J'ai lu vos travaux consacrés aux femmes sans abri et les ai trouvés impressionnants. Ils m'ont donné le sentiment d'être entendue. Depuis des années, nous lançons des alertes sur la situation, évoquant la pénurie de places d'hébergement et les difficultés des femmes à la rue. Nous avions l'impression que rien ne se passait, ce qui était désespérant.
Les femmes sans abri ne sont pas entendues elles non plus. En effet, nous avons mené une étude sur les appels au 115 pour une mise à l'abri. 50 % des appels émanant de femmes n'obtiennent pas de réponse. Nous avons constaté que le sentiment de ne pas être entendu lors d'un appel à l'aide affectait profondément la confiance en la société et les liens sociaux. La détresse qui en résulte est considérable. L'impact de ne pas être écouté est délétère.
À l'inverse, la reconnaissance que vous m'accordez à travers vos recommandations fortes et pragmatiques est réparatrice et réconfortante. J'ai le sentiment d'avoir pu transmettre mes préoccupations. Vous avez repris le terme d'alerte et vous vous êtes engagées fortement. Je trouve ce rapport excellent.
Par ailleurs, aborder le sans-abrisme global par le prisme du sans-abrisme féminin est pertinent. Ces femmes sont vulnérables, mais aussi résilientes, compétentes et pleines de ressources. Nous devons considérer à la fois leur vulnérabilité et leur force.
Ce projet est prometteur et j'ai beaucoup d'espoir dans les travaux que vous avez réussi à faire adopter. Je pense également à mon équipe, car à travers moi, ce sont toutes les actions dont vous avez parlé et toutes ces personnes qui luttent quotidiennement pour plus de justice qui sont reconnues. C'est leur prix. Je le placerai dans notre bureau à Marseille, pour Just, pour HAS (Habitat alternatif et social) et pour l'équipe Marss. Merci.
Dominique Vérien, présidente. - Nous rencontrons la ministre du logement le 27 novembre prochain pour lui remettre notre rapport.
En effet, la priorité nous semble être le logement plutôt que l'hébergement. Nous devons faire en sorte que personne ne passe, ne serait-ce qu'un seul jour, à la rue. Nous savons que nos rapports sont écoutés, comme en témoigne Agnès Canayer qui nous a informés avoir déjà discuté de notre rapport sur les familles monoparentales avec Valérie Létard. Il serait bénéfique de compter plus de sénateurs - et surtout de sénatrices - au Gouvernement pour une meilleure efficacité !
J'invite enfin Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris, à me rejoindre. Je salue également Élisabeth Moreno qui vient de se joindre à nous.