N° 154
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 novembre 2024
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur les missions et moyens du centre de crise et de soutien du ministère de l'Europe et des affaires étrangères,
Par Mme Nathalie GOULET et M. Rémi FÉRAUD,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, MM. Vincent Capo-Canellas, Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
L'ESSENTIEL
La commission des finances a examiné, le mercredi 20 novembre 2024, le rapport de Mme Nathalie Goulet et M. Rémi Féraud, rapporteurs spéciaux de la mission « Action extérieure de l'État », sur les missions et moyens du centre de crise et de soutien du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
I. LE « COUTEAU SUISSE » DU QUAI D'ORSAY FACE AUX SITUATIONS DE CRISE
A. UN SERVICE DONT L'ORGANISATION EST ADAPTÉE À SA DOUBLE COMPÉTENCE
Le centre de crise et de soutien (CDCS) est né de la double volonté de professionnaliser les capacités d'urgence du Quai d'Orsay et de s'inspirer des méthodes de l'humanitaire. Si la création d'une première cellule de gestion de crises au ministère remonte à 1985, le centre de crise est organisé en 2008, sous l'impulsion du ministre des affaires étrangères et européennes Bernard Kouchner.
Ce service est chargé de la veille, de l'anticipation, de l'alerte et de la gestion des crises se déroulant à l'étranger et nécessitant, soit une réaction à un événement menaçant la sécurité des ressortissants français à l'étranger, soit une action humanitaire d'urgence1(*). À partir de 2015, il reçoit également une mission relative à la stabilisation.
L'organisation du CDCS reflète sa double compétence de gestion des crises consulaires et des crises humanitaires. Il se décompose ainsi entre trois pôles principaux correspondant aux missions du service :
- le centre de situation, chargé de la sécurité des Français à l'étranger et de la mise en oeuvre des réponses de première urgence face aux crises sécuritaires ;
- le centre des opérations d'urgence, chargé de la planification et de la réponse aux crises consulaires, de la préparation à la gestion de crise des agents de l'administration centrale et des postes diplomatiques et consulaires, de l'activation des cellules de crise ainsi que du suivi des affaires individuelles sensibles à l'étranger ;
- le centre des opérations humanitaires et de stabilisation (COHS), qui constitue le service de réponse humanitaire d'urgence de l'État.
B. UNE MISSION DE PROTECTION DES RESSORTISSANTS FRANÇAIS À L'ÉTRANGER
Tout d'abord, le CDCS assure des fonctions de veille et d'alerte et de préparation de la réponse aux crises. Le centre opère une activité de veille sur les évènements sécuritaires à l'étranger qui excède le seul champ politique et concerne également les risques naturels et épidémiologiques. Il est aussi chargé de la formation des postes diplomatiques aux situations de crise.
Dans le cadre de cette mission de veille, deux outils essentiels sont destinés aux usagers : la carte « Conseils aux voyageurs » comprenant 191 fiches pays (consultée 26,5 millions de fois au cours de l'année 2023) et le service « Fil d'Ariane » qui permet aux usagers de déclarer leurs déplacements à l'étranger.
Ensuite, le centre opère la gestion des situations individuelles les plus sensibles. Cette mission, menée par le centre des opérations d'urgence, regroupe le suivi des morts violentes ou survenues dans des conditions suspectes, des disparitions inquiétantes, des enlèvements de Français à l'étranger ou des situations d'« otages d'État ».
Enfin, lors de la survenance de crises consulaires, le centre des opérations d'urgence a la capacité d'ouvrir une cellule de crise.
Elle permet au centre de coordonner l'action du MEAE et, dans une optique interministérielle, d'assurer un chef-de-filât dans la conduite de la crise.
En particulier, le CDCS assure la conduite des opérations pour la partie civile des moyens engagés, lors de l'organisation d'opérations d'évacuation de ressortissants (RESEVAC).
Organisation d'une cellule de crise du CDCS
Source : commission des finances d'après le rapport d'activité 2023 du CDCS
C. UNE MISSION, PLUS RÉCENTE, D'ACTION HUMANITAIRE ET DE STABILISATION
Concernant les questions d'action humanitaire et de stabilisation, la mission du CDCS est double.
En premier lieu, il constitue l'unique service de réponse humanitaire d'urgence de l'État. Pour cette raison, il pilote la gestion des crises humanitaires et l'organisation des opérations d'urgence. D'un point de vue opérationnel, l'action du CDCS se décline entre :
- d'une part, la fourniture et l'acheminement de biens humanitaires et de services (nourriture, médicaments, transport, etc..) ;
- d'autre part, par le déploiement d'équipes du CDCS en zone de crise ou l'organisation d'opérations d'évacuation sanitaire.
À cette aide en nature s'ajoutent les financements apportés par le CDCS aux organisations de la société civile au titre du fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation (FUHS).
En second lieu, il coordonne l'aide humanitaire de la France au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Le CDCS anime ainsi la Task Force humanitaire créée en 2023 pour assurer la cohérence des différents vecteurs de l'aide humanitaire française. De même, le centre de crise et de soutien a été chargé de la réalisation de la nouvelle stratégie humanitaire de la France pour les années 2023 à 20272(*).
Ce chef-de-filât en matière d'aide humanitaire se traduit également par les partenariats développés par le CDCS avec la société civile, le secteur privé, au travers d'un fonds de concours et de partenariats avec des fondations d'entreprises, et avec les organisations internationales et les États étrangers.
Les cinq premières ONG
bénéficiaires de versements au titre du FUHS
sur la
période 2011-2022
(en millions d'euros)
Principales ONG bénéficiaires de
subventions |
Montants |
Solidarités International |
57,5 millions d'euros |
ACTED |
37,8 millions d'euros |
Première Urgence Internationale |
35,6 millions d'euros |
Humanité & Inclusion |
25,5 millions d'euros |
CARE France |
24 millions d'euros |
Source : commission des finances
II. DANS UN CONTEXTE DE MULTIPLICATION DES CRISES, LE CENTRE A BÉNÉFICIÉ, JUSQU'EN 2025, D'UNE FORTE AUGMENTATION DE SES MOYENS BUDGÉTAIRES ET HUMAINS
A. DES MOYENS BUDGÉTAIRES EN HAUSSE MAIS PEU LISIBLES SUR LE BUDGET DE L'ÉTAT
Le centre de crise dispose d'enveloppes dédiées au sein des missions « Action extérieure de l'État » et « Aide publique au développement ».
En premier lieu, le CDCS bénéficie, sur les crédits du programme 105 de la mission AEE, d'une enveloppe spécifique permettant de financer ses dépenses de fonctionnement, d'une part, et les opérations de protection des ressortissants, d'autre part.
Cette dotation budgétaire se décompose entre un montant de base, correspondant aux dépenses de fonctionnement du service, et d'une ligne de crédits relative à la gestion de crise, qui peut être réabondée en cours d'année en fonction des besoins.
Évolution de l'enveloppe du CDCS au sein du
programme 105,
en distinguant dépenses de fonctionnement et
dépenses de crise
entre 2017 et 2025
(en millions d'euros et en AE=CP)
Note n° 1 : le montant plus élevé de l'enveloppe du CDCS pour l'exercice 2017 s'expliquait par une dotation additionnelle de 1,63 million d'euros afin de répondre aux enjeux de sécurité de la communauté française à l'étranger, dans un contexte de menace terroriste renforcée.
Note n° 2 : pour l'exercice 2021, aucune ligne de crédits relative à la gestion de crise n'a été prévue dans la loi de finances initiale.
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Depuis 2013, date la plus antérieure des données transmises, la dotation du centre de crise et de soutien est en forte hausse. Entre 2013 et 2024, l'enveloppe du CDCS est en effet passée de 1,89 millions d'euros d'AE=CP à 5,15 millions d'euros en 2024, soit une multiplication par 2,7 des crédits alloués à ce service. De manière assez notable, le centre de crise et de soutien s'est trouvé préservé des différentes revues de dépenses et programmes d'économies ayant concerné le ministère de l'Europe et des affaires étrangères depuis 2008.
L'enveloppe dédiée au CDCS se caractérise par une surexécution constante des crédits. Pourtant, les moyens de la réserve de crise, à l'exception de l'exercice 2021, ont connu une progression constante.
Les moyens de gestion de crise du service sont sous-budgétisés.
Cette sous-estimation conduit, en cours d'exercice, à des redéploiements de crédits pour compenser la hausse parfois massive des dépenses liées aux opérations de protection de nos ressortissants.
Exécution de la dotation du centre de crise et de soutien entre 2019 et 2023
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
En second lieu, la mission d'aide humanitaire et de stabilisation repose sur un financement issu du programme 209 de la mission « Aide publique au développement » : le fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation (FUHS).
Cette enveloppe budgétaire constitue l'instrument de réaction rapide du ministère de l'Europe et des affaires étrangères face aux crises humanitaires. Il forme, avec l'aide alimentaire programmée (AAP), les contributions volontaires aux Nations unies et le fonds Minka, l'un des canaux de financement de l'aide humanitaire de la France.
Doté de 200 millions d'euros en AE=CP dans la loi de finances initiale pour 2024, le FUHS permet de financer deux types d'actions : la mise en oeuvre d'actions d'aide humanitaire (71,5 % des crédits exécutés en 2023) et le soutien à des actions de stabilisation (28,5 % des crédits exécutés).
En complément de l'enveloppe allouée au CDCS au sein du programme 105 et du FUHS du programme 209, le financement des opérations d'urgence du CDCS peut s'appuyer sur des crédits issus d'autres missions du budget de l'État. Le ministère de l'intérieur et le ministère des armées sont particulièrement concernés du fait de leur participation aux opérations d'évacuation ou d'assistance humanitaire.
B. LES OPÉRATIONS DU CENTRE PEUVENT ÊTRE FINANCÉES, A POSTERIORI, PAR DES FONDS EUROPÉENS
Dans la mise en oeuvre de sa mission de protection consulaire comme d'aide humanitaire, le CDCS peut recourir au mécanisme de protection civile de l'Union européenne (MPCU).
Dans sa dimension financière, le MPCU permet la prise en charge partielle des frais de transport et d'opérations comme lors de la mobilisation de matériel et de personnel déployés sur les lieux d'une crise humanitaire ou d'une catastrophe naturelle3(*). Le MPCU peut prendre en charge 75 % des frais engagés, les 25 % restants demeurent à la charge de l'État membre.
Exemples de recours au mécanisme de
protection civile de l'Union européenne
lors de crises
consulaires
Contexte |
Nature de l'opération |
Date |
Coût total |
Montant pris en charge |
Pandémie de Covid |
Rapatriement de 370 000 ressortissants français |
2020 |
29 375 119 euros |
533 283 euros |
Éthiopie |
Évacuation d'environ 260 personnes (240 Français et ayants-droits et une vingtaine de ressortissants européens) |
2021 |
342 305 euros |
211 274 euros |
Niger |
Évacuation des ressortissants |
2023 |
2 747 163 euros |
2 060 372 euros |
Soudan |
Évacuation des ressortissants |
2023 |
839 000 euros |
329 858 euros |
Israël |
Évacuation des ressortissants |
2023 |
7 600 000 euros |
225 000 euros |
Note : s'agissant des opérations d'évacuation de ressortissants d'Israël, la demande de remboursement à la Commission européenne est en cours de traitement.
Source : commission des finances d'après les données transmises par le CDCS
C. UNE POLITIQUE DE RESSOURCES HUMAINES DYNAMIQUE, MARQUÉE PAR UNE DIVERSITÉ DES PROFILS
Disposant d'une trentaine d'agents lors de sa création en 2008, le centre de crise et de soutien a vu ses effectifs largement augmenter depuis. Le service comptait 104 agents en 2024, contre 54 en 2013, soit un quasi doublement en une décennie.
La spécificité des missions du CDCS et la nature de ce service dédié à l'urgence ont conduit à une diversification des profils recrutés. Trois pôles additionnels sont constitués au sein du centre et ont vu leurs effectifs progresser : un pôle médical, une unité de gestion administrative et de soutien, ainsi qu'un pôle dédié aux affaires financières au sein du COHS.
III. IL IMPORTE DE CONSERVER LA SPÉCIFICITÉ DU CENTRE DE CRISE ET DE SOUTIEN, CONFRONTÉ À UNE EXTENSION CONTINUE DE SES COMPÉTENCES ET MOYENS
A. UN FINANCEMENT QUI DEVRA ÊTRE CLARIFIÉ
D'une part, l'enveloppe budgétaire du CDCS doit être plus réaliste au niveau de la budgétisation et faire l'objet d'une clarification de ses canaux de financement au stade de l'exécution. Sur le programme 105, il paraît nécessaire de prévoir au stade de l'examen du projet de loi de finances de l'année, une prévision plus réaliste du montant des dépenses de gestion de crise. De plus, au stade de l'exécution, le montant et la nature des refacturations opérés par d'autres départements ministériels au CDCS devraient davantage détaillés dans les documents budgétaires.
D'autre part, au niveau européen, une plus grande efficacité de la solidarité financière doit être recherchée.
Le principe de solidarité des opérations d'évacuation conduit à des comportements non-coopératifs de la part d'États-membres de l'Union européenne. Cette tentation du passager clandestin est d'autant plus importante en raison de l'image d'excellence du centre de crise et de soutien, d'une part, et du fait que la France assure le rôle d'« État pilote » dans un grand nombre d'États tiers, d'autre part.
De plus, les versements de l'assistance financière du mécanisme de protection civile de l'Union européenne sont sujets à des retards depuis les dernières années.
B. UN BESOIN DE PRÉVENTION À L'ÉGARD DU PUBLIC ET UNE OPPORTUNITÉ DE VALORISATION DU MODÈLE DU CDCS
Deux obstacles persistants contribuent à limiter l'efficacité de la mission de protection des ressortissants opérée par le CDCS : une trop faible utilisation du service « Fil d'Ariane » par les ressortissants lors de leurs déplacements et la faible mise en oeuvre du registre des Français à l'étranger.
Par ailleurs, la spécificité du modèle du CDCS, fondé sur le cumul des fonctions de protection consulaire et d'aide humanitaire, devrait être davantage valorisé auprès de nos partenaires étrangers afin d'« exporter » ce succès de la diplomatie française.
C. UNE MISSION D'AIDE HUMANITAIRE ET DE STABILISATION QUI INTERROGE
La remise en cause de la dualité fonctionnelle du service ne paraît pas opportune.
La distinction entre crises consulaires et crises humanitaires est complexe à opérer en pratique. Une même crise peut induire des menaces sur des ressortissants français et nécessiter une intervention de la France au soutien de populations vulnérables.
Pour autant, la centralisation de l'ensemble de l'aide humanitaire de la France par le CDCS doit être écartée. Si le rôle d'animation et de pilotage confié au CDCS est bienvenu pour améliorer l'articulation entre les différents guichets d'aide humanitaire, l'optique d'une centralisation des moyens au sein du centre ne paraît pas souhaitable. Elle contribuerait en effet à rigidifier les procédures d'attribution et de déploiement des financements et renforcerait les besoins en ressources humaines du centre.
En tout état de cause, dans un contexte de forte augmentation de l'aide humanitaire, les objectifs portés par le FUHS doivent être précisés. Cet outil ne dispose en effet d'aucun mandat formalisé à ce jour.
* 1 Article 3 du décret n° 2012-1511 du 28 décembre 2012 portant organisation de l'administration centrale du ministère des affaires étrangères.
* 2 Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, Stratégie humanitaire de la France 2023-2027.
* 3 Décision n° 1313/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relative au mécanisme de protection civile de l'Union européenne.