N° 560

 

N° 141

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2024 - 2025

Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 14 novembre 2024

 

le 14 novembre 2024

RAPPORT

au nom de

L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

sur

Les impacts des plastiques sur la santé humaine

Compte rendu de l'audition publique du 17 octobre 2024

et de la présentation des conclusions du 14 novembre 2024

par

M. Philippe BOLO, député

VERSION PROVISOIRE

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Pierre HENRIET,

Premier vice-président de l'Office

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Stéphane PIEDNOIR,

Président de l'Office

CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 17 OCTOBRE 2024 SUR LES IMPACTS DES PLASTIQUES SUR LA SANTÉ HUMAINE

Les effets néfastes de la pollution plastique sur l'environnement sont démontrés scientifiquement et désormais bien connus du grand public. Les impacts des plastiques sur la santé humaine ont fait l'objet de moins de recherches, même si depuis quelques années un nombre croissant d'études scientifiques met en lumière les risques sanitaires qu'ils font courir à la population.

Du 25 novembre au 1er décembre 2024 se tiendra en Corée du Sud le dernier cycle des négociations sur le futur traité international visant à supprimer la pollution plastique. Parmi les sujets encore en discussion figurent les mesures à prendre pour réduire la toxicité des plastiques.

Afin de contribuer aux débats en cours et aux décisions à venir, l'Office, qui s'est déjà beaucoup investi sur le sujet des plastiques, a organisé le 17 octobre 2024 une audition publique, sous forme de deux tables rondes, pour dresser un état des lieux des connaissances scientifiques sur les impacts des plastiques sur la santé humaine.

La première table ronde a traité des voies d'exposition et des effets sur la santé du plastique particulaire. La seconde table ronde s'est intéressée aux effets sur l'être humain des substances chimiques associées aux plastiques.

Les intervenants étaient :

- Fabienne Lagarde, enseignante-chercheuse à Le Mans Université ;

- Guillaume Duflos, directeur de recherche à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ;

- Muriel Mercier-Bonin, directrice de recherche à l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) dans l'UMR Toxalim (Centre de recherche en toxicologie alimentaire) ;

- Sonja Boland, ingénieure de recherche à l'Université Paris Cité ;

- Martin Wagner, chercheur à la Norwegian University of Science and Technology, Trondheim ;

- Robert Barouki, professeur, directeur de l'Institut thématique Santé publique de l'INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et membre du conseil scientifique de l'OPECST ;

- Xavier Coumoul, professeur de toxicologie et de biochimie à l'Université Paris Cité ;

- Megan Deeney, chercheuse à la London School of Hygiene and Tropical Medicine ;

- Christos Symeonides, directeur clinique et de recherche « plastiques et santé humaine » à la fondation Minderoo ;

- Marie-France Dignac, directrice de recherche à l'Inrae.

I. DEPUIS VINGT ANS, LA PRODUCTION DE PLASTIQUES A CRÛ DE FAÇON EXPONENTIELLE ET LES PLASTIQUES SONT DÉSORMAIS OMNIPRÉSENTS DANS L'ENVIRONNEMENT

A. LA PRODUCTION EXPONENTIELLE DE PLASTIQUES S'ACCOMPAGNE D'UNE AUGMENTATION SIMULTANÉE DE LA QUANTITÉ DE DÉCHETS

· Une production de plastiques en forte croissance

Fabienne Lagarde a rappelé que la mise sur le marché du plastique est assez récente puisqu'elle remonte aux années 1950. Depuis cette date, sa production n'a fait que s'accélérer : elle a doublé au cours des 20 dernières années et devrait dépasser 500 millions de tonnes pour l'année 2024. Convertis en film alimentaire, ces 500 millions de tonnes permettraient d'emballer 50 fois la France !

Selon les projections de l'OCDE, la production de plastiques devrait atteindre 750 millions de tonnes en 2040 et dépasser un milliard de tonnes avant 2050.

Avec 32 % des plastiques utilisés pour des emballages (soit 139 millions de tonnes en 2020), ce secteur reste le premier débouché de la production plastique et cette part devrait rester stable pendant les trente prochaines années. La production plastique reste donc largement influencée par les plastiques à usage unique.

Les textiles représentent désormais 10 % de la production plastique (45,2 millions de tonnes en 2020) et leur part devrait légèrement augmenter d'ici à 2050 (11,2 %).

· La production de déchets suit la courbe de production des plastiques

Fabienne Lagarde a expliqué que la courbe de production des déchets suivait celle de la production de plastiques. Ainsi, les déchets plastiques produits devraient passer de 360 millions de tonnes en 2020 à 617 millions de tonnes en 2040.

Elle a également insisté sur le fait que ce que l'on appelle « cycle de vie des plastiques » est en fait marqué par une absence de circularité, et ce, même dans les pays les plus avancés en termes de collecte, de tri et de traitement des déchets. En 2018, sur les 3,6 millions de tonnes de déchets plastiques produits en France, seul 0,6 million de tonnes a été réellement recyclé (soit 17 %) !

Au niveau mondial, moins de 10 % des déchets plastiques sont recyclés et malgré les progrès attendus en matière de collecte, de tri et de traitement des déchets, à politiques inchangées, ce taux ne devrait pas dépasser 14 % en 2040, contre 50 % pour les mises en décharge et 17 % pour l'incinération.

En 2020, les déchets plastiques mal gérés - à savoir les déchets qui finissent dans l'environnement - s'élèvent à 81 millions de tonnes, soit 22 % du total. En 2040, ils devraient représenter 119 millions de tonnes (soit 19 %).

B. LES PLASTIQUES SONT DÉSORMAIS OMNIPRÉSENTS DANS L'ENVIRONNEMENT

· La pollution plastique est amplifiée par la présence de microplastiques

Comme l'a fait remarquer Fabienne Lagarde, les plastiques ne sont pas inertes. Confrontés aux éléments naturels, notamment aux rayons ultraviolets, à l'eau et à l'oxygène, leur surface s'érode et ils se fragmentent pour former des microplastiques et des nanoplastiques.

Les fuites de microplastiques dans l'environnement ont lieu tout au long du cycle de vie des plastiques : au moment de leur production - à travers les pertes de granulés industriels ; au moment de leur utilisation - c'était le cas lorsque des microbilles de plastique étaient incorporées aux cosmétiques, pratique désormais interdite en Europe, mais cela reste le cas à travers l'usure des pneus et le lavage des textiles synthétiques ; au moment de leur fin de vie en raison de la dégradation des macroplastiques présents dans l'environnement.

· Les plastiques ont envahi tous les compartiments de l'environnement

Les plastiques ont peu à peu envahi tous les compartiments physiques de l'environnement. Fabienne Lagarde a rapporté que les plastiques sont décelables à 10 000 mètres au fond des océans, mais aussi dans les glaciers de l'Himalaya et même dans les nuages, sous forme de microplastiques.

La présence de microplastiques loin de leurs sources d'émission est liée à la forte augmentation des déchets plastiques mal gérés, mais également à leur faible taille, leur légèreté et leur persistance. Sonja Boland a évoqué des résultats de recherches sur le transport troposphérique des microplastiques qui montrent le passage dans l'air de particules contenues dans les embruns et leur transport sur de longues distances.

Désormais, le plastique est devenu partie intégrante de l'environnement. Guillaume Duflos a évoqué la découverte d'une nouvelle formation rocheuse, dite plasticomérat, dont l'un des principaux éléments est le plastique.

II. EN DÉPIT DES DIFFICULTÉS MÉTHODOLOGIQUES POUR DÉTECTER ET CARACTÉRISER LES PLASTIQUES ET LES RISQUES QU'ILS FONT COURIR EN MATIÈRE DE SANTÉ HUMAINE, LES SIGNAUX D'ALARME SE MULTIPLIENT

A. L'ANALYSE DES PLASTIQUES PARTICULAIRES ET DES RISQUES SANITAIRES QUI Y SONT LIÉS SE HEURTE À DES DIFFICULTÉS MÉTHODOLOGIQUES

· Les difficultés méthodologiques liées à la caractérisation et à la quantification des plastiques particulaires

Guillaume Duflos a insisté sur la complexité de la quantification des plastiques dans l'environnement en raison de leur grande variété de composition, de taille et de forme.

Ainsi, les analyses sur les eaux minérales et l'eau du robinet aboutissent à des résultats variant sensiblement d'une étude à l'autre. Des travaux de normalisation menés par l'Afnor ont toutefois établi une norme de caractérisation des microplastiques dans l'eau facilitant la comparaison des résultats et servant de référence au niveau international.

Muriel Mercier-Bonin a évoqué des problématiques similaires pour la détection et la quantification du plastique particulaire dans les échantillons humains. Elle a rappelé qu'une étude1(*) sur la quantité de microplastiques ingérés par les hommes avait fait grand bruit en 2019, évaluant l'absorption de plastiques à 5 grammes par semaine, soit l'équivalent d'une carte de crédit.

Depuis, plusieurs études ont considérablement revu à la baisse cette quantité de microplastiques ingérés hebdomadairement, sans pour autant parvenir à un consensus. En 2022, une étude scientifique2(*) a estimé qu'il faudrait 23 000 ans pour ingérer l'équivalent d'une carte de crédit. Une autre étude3(*) a évalué à 4 microgrammes par semaine l'ingestion de plastique, soit un million de fois moins. Une étude très récente4(*), réalisée à l'échelle de 109 pays à la fois industrialisés et en développement, a montré une forte exposition, évaluée à 500 milligrammes par jour dans les pays d'Asie du Sud-Est, en raison essentiellement de la consommation de fruits de mer.

Plusieurs intervenants ont donc insisté sur la nécessité d'améliorer les méthodes et processus analytiques. Guillaume Duflos a soulevé le problème de la contamination des échantillons analysés, compte tenu de l'utilisation massive d'objets en plastique dans les laboratoires. Il a également regretté la multiplication des formulations des matériaux plastiques qui amplifie les difficultés des travaux analytiques.

Fabienne Lagarde a constaté que les difficultés rencontrées pour appréhender les plastiques conduisaient à leur sous-évaluation, qu'il s'agisse des microplastiques ou, plus encore, des nanoplastiques.

Ø Une détection des nanoplastiques balbutiante

Guillaume Duflos a fait observer que la présence de nanoplastiques dans certains aliments comme le thé ou le riz avait été mise en évidence.

Xavier Coumoul a cité une étude5(*) - à confirmer - indiquant que les bouteilles d'eau en plastique contiennent 250 000 particules par litre, dont 90 % de nanoplastiques.

Toutefois, plusieurs intervenants ont concédé que la petite taille de ces particules et la diversité des environnements dans lesquels elles se trouvent posent un réel défi méthodologique pour leur détection et leur quantification. Sonja Boland a reconnu qu'on ne savait pas encore détecter les nanoparticules dans le poumon. Les nanoplastiques intéressent néanmoins les chercheurs dans la mesure où ils sont susceptibles de traverser la barrière intestinale ou encore l'épithélium et d'entrer dans la circulation sanguine pour atteindre des organes secondaires.

· Les limites des modèles utilisés dans les laboratoires

Plusieurs intervenants ont souligné les limites des modèles utilisés dans les laboratoires. Muriel Mercier-Bonin a regretté que dans la littérature scientifique, l'essentiel des travaux sont menés sur des particules commerciales, sphériques et essentiellement en polystyrène, ce qui ne correspond pas à ce qu'on trouve réellement dans l'environnement.

Or, comme l'a fait remarquer Sonja Boland, la toxicité des particules plastiques dépend de leurs caractéristiques physico-chimiques et de leur forme. Les fibres d'une certaine longueur peuvent induire une phagocytose frustrée : les macrophages n'arrivent pas totalement à ingérer les fibres trop grandes. Ceci peut provoquer une inflammation persistante.

Les doses utilisées en laboratoire sont souvent très élevées et les effets à long terme peu étudiés faute notamment de cohortes. Muriel Mercier-Bonin a ajouté que les études sont souvent réalisées sur des populations saines, alors qu'il faudrait les étendre aux populations à risque. Elle a ainsi expliqué que les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l'intestin - maladie de Crohn ou rectocolite hémorragique - présentaient davantage de microplastiques dans leurs selles que les volontaires sains.

Au-delà de ces limites méthodologiques, les signaux d'alarme concernant les risques que font peser les plastiques particulaires sur la santé humaine se multiplient.

B. LES SIGNAUX D'ALARME CONCERNANT LES RISQUES QUE FONT PESER LES PLASTIQUES PARTICULAIRES SUR LA SANTÉ HUMAINE SE MULTIPLIENT

· Les microplastiques sont présents dans tous les organes humains et s'y accumulent

Xavier Coumoul a rappelé qu'il existait trois voies d'exposition de l'homme aux plastiques : par l'alimentation, la respiration et le contact cutané. L'exposition peut être directe, à travers l'utilisation de produits du quotidien, mais également à travers l'inhalation. Sonja Boland a fait remarquer qu'en région parisienne, 3 à 10 tonnes de plastiques présents dans l'air étaient déposées par an, majoritairement des fibres, et que nous inhalons jusqu'à 30 millions de particules plastiques par an. L'inhalation de microplastiques est au moins aussi importante que l'ingestion.

L'exposition peut également être indirecte : les micro et nanoplastiques sont présents dans tous les écosystèmes et affectent les espèces animales et végétales que nous consommons. Guillaume Duflos a dressé une liste non exhaustive des produits alimentaires dans lesquels des microplastiques ont été retrouvés : le sel, la bière, les fruits et légumes, le thé, les oeufs, la viande, etc.

Muriel Mercier-Bonin a fait un lien entre le taux relativement élevé de microplastiques chez les populations d'Asie et leur consommation de fruits de mer.

Les organes d'absorption sont multiples : les poumons, le côlon, la peau. Il a été démontré que les plastiques pouvaient être transportés par le sang, mais également par les nerfs, et atteindre ainsi des organes qu'on qualifie de lointains, tels que les testicules, le placenta, les reins ou encore le cerveau. Xavier Coumoul a cité une étude6(*) selon laquelle la concentration du plastique dans cet organe s'élèverait à 5 milligrammes par gramme : cela signifierait que 0,5 % de la masse du cerveau serait constituée de plastique.

Il est par ailleurs observé que les microplastiques s'accumulent dans les organes. Ainsi, Sonja Boland a signalé que la quantité de plastique dans le poumon augmente avec l'âge, ce qui suggère que des particules peuvent persister dans l'organisme sans être éliminées.

Plusieurs intervenants se sont inquiétés de l'accumulation des plastiques dans l'environnement à la fois physique et vivant et de ses conséquences sur la santé humaine en faisant référence au principe One health (« une seule santé »), qui identifie les liens entre la santé animale, la santé humaine et la qualité de l'environnement.

· Des corrélations inquiétantes entre la présence de plastiques et l'altération de certains organes et de leurs fonctions, voire l'apparition de pathologies

- Les plastiques ont un impact sur la sphère digestive

Muriel Mercier-Bonin a présenté les premiers résultats issus des recherches de son laboratoire sur l'impact des plastiques sur la sphère digestive. L'exposition aux plastiques semble entrainer des modifications dans la composition du microbiote intestinal. Des bactéries apparaissent à la fois chez l'adulte et l'enfant, telles que les pathobiontes, qui peuvent contribuer à une dysbiose du microbiote intestinal. Par ailleurs, une diminution du butyrate, un acide gras à chaîne courte (AGCC) très bénéfique, a été observée chez l'enfant.

Des travaux non encore publiés sur des souris ont montré que l'administration de microplastiques dans leur alimentation entraîne une perte de bactéries bénéfiques et une augmentation des bactéries délétères pour le microbiote intestinal lorsque les rongeurs sont soumis à un régime occidental, riche en gras et en sucre.

Elle n'a pas exclu des phénomènes abrasifs liés au transit de microplastiques de taille importante, notamment sur les zones non couvertes par le mucus. Cette abrasion pourrait provoquer des inflammations.

- Les plastiques inhalés ont un impact sur la santé

Comme l'a expliqué Sonja Boland, en fonction de leur taille, les particules plastiques peuvent pénétrer plus ou moins profondément l'appareil respiratoire. Globalement, on trouve plus de fibres que de fragments, mais ce déséquilibre peut être lié à l'impossibilité, avec les techniques d'analyse actuelles, de déceler les nanoparticules.

Les particules les plus grosses, supérieures à 300 micromètres de diamètre, ne peuvent pas dépasser le naso-pharynx. Celles qui sont comprises entre 2,5 et 10 micromètres peuvent descendre jusqu'aux bronches. Toutefois, seules les particules respirables les plus fines, c'est-à-dire inférieures à 2,5 micromètres de diamètre, peuvent entrer dans les bronches et atteindre les alvéoles.

Sonja Boland a précisé que l'appareil respiratoire est pourvu de mécanismes d'élimination. La clairance mucociliaire permet d'éliminer les particules déposées sur du mucus qui vont être transportées, grâce au battement coordonné des cellules ciliées, vers la bouche pour être expectorées ou avalées. Au niveau alvéolaire, les macrophages vont ingérer les particules de plastique. Néanmoins, ces dernières peuvent entrer dans l'organisme puisque les macrophages vont migrer vers les ganglions et la circulation lymphatique, ou bien remonter par l'escalator mucociliaire pour être déglutis et atteindre l'appareil gastro-intestinal. Les nanoparticules peuvent déjouer les mécanismes de clairance, traverser l'épithélium et entrer dans la circulation sanguine pour atteindre les organes secondaires. Certaines nanoparticules peuvent remonter les nerfs, par exemple les nerfs olfactifs, et atteindre le cerveau.

La toxicité des particules plastiques inhalées a été démontrée dès les années 1970 auprès de travailleurs de l'industrie du flocage. Certains d'entre eux ont développé des altérations de la fonction pulmonaire, un essoufflement, de l'inflammation, de la fibrose et même des cancers du poumon. Les mêmes symptômes ont été observés auprès de travailleurs dans l'industrie du textile et du PVC.

Sonja Boland a cependant fait remarquer que si les particules de plastique étaient impliquées dans les effets sur la santé décrits précédemment, le rôle des additifs, des contaminants et des monomères ne pouvait pas être exclu. Dans l'industrie du polystyrène par exemple, ce sont surtout les monomères (les styrènes), reconnus pour leur toxicité et leur caractère cancérigène, qui induisent ces pathologies.

Une augmentation du cancer de l'estomac pourrait être également due à la déglutition des particules inhalées.

Sonja Boland a évoqué une corrélation possible entre des pathologies respiratoires et la présence de plastiques dans le poumon. Il y a plus de particules et de fibres présentes dans les tumeurs que dans les tissus normaux.

Il y a également un lien entre la présence de microplastiques et une altération de la fonction pulmonaire. On constate plus de plastiques dans le corps des personnes ayant des rhinites allergiques. Les paramètres sanguins sont également modifiés lorsque des plastiques sont détectés dans le poumon.

- La présence de microplastiques dans la plaque carotidienne est corrélée à l'augmentation du risque d'infarctus du myocarde

Xavier Coumoul a cité une étude7(*) qui a mesuré la quantité de microplastiques prélevés au niveau de la plaque carotidienne sur plus de 300 patients ayant subi une chirurgie carotidienne. Cette étude a montré qu'il existait un risque d'infarctus du myocarde 4,53 fois plus élevé, et potentiellement d'accident vasculaire cérébral, voire de mort, chez les personnes qui présentaient les plus forts taux de micro et nanoplastiques.

III. LA DANGEROSITÉ DES PLASTIQUES EST ÉGALEMENT LIÉE AUX SUBSTANCES CHIMIQUES QU'ILS CONTIENNENT ET QUI ENTRAÎNENT DES COÛTS EXORBITANTS POUR LA SOCIÉTÉ

A. LES PLASTIQUES SONT DES SOURCES ET DES VECTEURS DE SUBSTANCES CHIMIQUES PRÉOCCUPANTES

· Les plastiques sont des sources de substances chimiques

Plusieurs intervenants ont insisté sur le fait que la production de plastiques fait intervenir de très nombreux produits chimiques à différentes étapes de la fabrication.

Martin Wagner a mentionné quatre groupes de produits chimiques liés aux plastiques : les substances de départ, à savoir les monomères et les catalyseurs ; les additifs ajoutés à ces produits pour qu'ils soient fonctionnels (plastifiants, anti-oxydants, retardateurs de flammes, colorants, etc.) ; les auxiliaires de fabrication qui facilitent la production des matériaux et des produits plastiques ; les substances chimiques ajoutées non intentionnellement (NIAS - Non-Intentionnally Added Substances) qui sont soit des impuretés issues des autres substances chimiques, soit des produits dérivés qui se forment pendant la fabrication des plastiques, soit des produits de dégradation qui apparaissent au cours de leur utilisation ou au moment de leur fin de vie.

- De très nombreuses substances chimiques dont un quart d'entre elles s'avèrent dangereuses

Les informations sur les substances chimiques entrant dans la composition des plastiques sont fragmentées et éparpillées. Toutefois, Martin Wagner a expliqué que plus de 16 000 produits chimiques ont été recensés dans la base de données PlastChem.

Quatre critères ont été retenus pour définir la dangerosité des substances chimiques : leur caractère persistant pour identifier les substances chimiques qui ne se dégradent pas facilement dans l'environnement ; leur capacité de bioaccumulation, en référence aux substances chimiques qui s'accumulent dans le corps humain ou dans d'autres organismes ; leur mobilité, pour viser les substances chimiques qui se répandent facilement dans l'environnement ainsi que dans l'eau potable ; leur toxicité, pour évaluer leur nocivité pour la santé humaine.

Plus de 4 000 produits chimiques sur les 16 000 recensés, soit un quart d'entre eux, peuvent être classés comme dangereux. Leur caractère toxique sur l'environnement, en particulier aquatique, mais également pour la santé humaine, est scientifiquement bien documenté. De nombreuses études montrent la toxicité de ces substances chimiques pour certains organes, tels que le foie, ainsi que leur caractère cancérogène, mutagène ou reprotoxique. Certaines substances chimiques sont des perturbateurs endocriniens.

Christos Symeonides a présenté les résultats d'une revue générale8(*) portant sur l'impact sur la santé de trois substances chimiques utilisées quasiment exclusivement dans les plastiques : les polybromodiphényléthers (PBDE), utilisés comme retardateurs de flamme dans les produits textiles ou électroniques et classés comme des polluants organiques persistants par la convention de Stockholm ; le bisphénol A (BPA), monomère entrant dans la fabrication du polycarbonate, mais également dans la composition des résines époxy utilisées pour le revêtement des boîtes de conserve et des canettes ; les phtalates et en particulier le DEHP - phtalate de bis(2-éthylhexyle) - utilisés notamment pour rendre le plastique plus souple.

Cette revue générale s'est appuyée sur les données de près de 1 000 méta-analyses issues de 52 revues systématiques, représentant l'équivalent de 1,5 million de données.

Elle a mis en évidence des preuves épidémiologiques solides établissant des liens entre l'exposition du foetus aux PBDE pendant la grossesse et un poids faible à la naissance, un retard ou une altération de développement cognitif chez l'enfant ou encore une perte de quotient intellectuel (QI).

Des preuves statistiquement significatives de perturbation endocrinienne liée au fonctionnement du système hormonal thyroïdien chez l'adulte ont également été mises en évidence.

En ce qui concerne le BPA, la revue générale établit des liens avec des malformations génitales chez les nouveau-nés filles exposées au BPA dans l'utérus, avec le diabète de type 2 chez les adultes et la résistance à l'insuline, ainsi qu'avec le syndrome ovarien polykystique chez les femmes. L'exposition au BPA augmente également le risque d'obésité et d'hypertension chez les enfants comme chez les adultes ainsi que le risque de maladies cardiovasculaires chez les adultes.

Enfin, la revue générale établit des liens entre l'exposition au DEHP et des fausses couches, des malformations génitales chez les nouveau-nés garçons, un retard ou une altération du développement cognitif chez l'enfant, la perte de QI, un retard du développement psychomoteur, une puberté précoce chez les jeunes filles et de l'endométriose chez les jeunes femmes. L'exposition au DEHP a également de multiples effets sur la santé cardiométabolique, notamment la résistance à l'insuline, l'obésité ou encore l'augmentation de la pression artérielle.

- Les lacunes dans l'évaluation des substances chimiques conduisent à sous-évaluer leur dangerosité

Plusieurs intervenants ont insisté sur les lacunes dans l'évaluation des substances chimiques. Martin Wagner a précisé que (seuls) 161 produits chimiques ont été jugés non dangereux par des réglementations nationales, mais ces évaluations manquent de rigueur scientifique dans la mesure où elles portent soit sur des informations incomplètes, soit sur une partie seulement des critères de dangerosité.

Pour 10 000 produits chimiques utilisés ou présents dans les plastiques, il n'existe aucune donnée sur leur dangerosité.

Au niveau international, seulement 6 % des substances chimiques font l'objet d'une réglementation dans le cadre de la convention de Bâle, de la convention de Stockholm et du protocole de Montréal.

Par ailleurs, si la toxicité des produits chimiques commence à être bien documentée, les informations concernant leur persistance, leur bioaccumulation ou leur mobilité sont plus difficiles à trouver, dans la mesure où ces critères ne sont pas toujours retenus dans les évaluations gouvernementales.

Enfin, la détermination des plafonds réglementaires en deçà desquels la migration des substances chimiques ou leur absorption reste tolérable dépend de données scientifiques qui peuvent connaître des évolutions importantes.

Megan Deeney et Robert Barouki ont cité l'exemple du bisphénol A : jusqu'en 2023, la valeur seuil dans le sang du bisphénol A jugée tolérable était de 233 microgrammes par litre, définie à partir d'une cible correspondant à la toxicité rénale. Puis un nouveau test est apparu, fondé sur la quantité de certaines cellules immunitaires dans la rate. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a alors révisé les doses journalières tolérables de bisphénol A, qui sont désormais 20 000 fois plus faibles qu'auparavant, à 0,011 microgramme par litre.

- La population est largement contaminée par les substances chimiques liées aux plastiques

Les substances chimiques sont rejetées tout au long du cycle de vie des plastiques dans l'environnement et le contaminent. Cette pollution affecte à son tour les êtres humains, notamment à travers les aliments, l'eau et l'air.

Selon Megan Deeney, une étude récente9(*) montre que 25 % des 14 000 produits chimiques contenus dans les matériaux en contact avec les aliments ont été identifiés dans le corps humain. Une autre publication rassemblant les résultats d'études publiées entre 2020 et 202210(*) conclut à la migration dans les aliments de 61 substances contenues dans des matériaux plastiques en contact avec les aliments potentiellement cancérogènes pour la glande mammaire.

Robert Barouki a indiqué que pour les quatre composés perfluorés les plus importants et dont la toxicité est clairement reconnue, la valeur seuil tolérable pour l'absorption, traduite par une valeur seuil du dosage dans le sang, a été fixée à 6,8 microgrammes par litre de sang. Un grand programme européen a évalué l'ensemble de l'imprégnation des populations européennes et a constaté que 15 % de la population européenne était au-dessus de cette valeur seuil. Il a précisé que cela ne signifiait pas qu'il y ait immédiatement un danger dans la mesure où la valeur seuil est assez protectrice. Mais c'est une alerte.

En ce qui concerne la présence de BPA dans nos organismes, pratiquement toute la population est au-dessus du seuil tolérable depuis l'abaissement drastique de la valeur seuil en 2023.

· Les plastiques sont également des vecteurs de substances chimiques

Plusieurs intervenants ont souligné le rôle des plastiques comme vecteurs de substances chimiques : les plastiques hydrophobes vont adsorber les polluants chimiques également hydrophobes présents dans l'environnement et vont leur permettre non seulement de se disperser mais également de passer des barrières qu'ils ne pourraient normalement pas franchir.

Selon Christos Symeonides, cet effet « cheval de Troie » est renforcé par la persistance des plastiques dans l'environnement ainsi que par leur lente dégradation en micro et nanoplastiques qui favorisent l'accumulation des substances chimiques dans l'environnement physique et dans les organismes.

Sonja Boland a cité l'exemple des interactions observées en laboratoire entre des particules plastiques et le benzopyrène, un hydrocarbure aromatique polycyclique (HAP) très toxique et un polluant majeur de l'air. L'exposition de cellules à des particules de plastique contaminées par le benzopyrène se traduit par une pénétration du benzopyrène dans les cellules. En outre, on observe une réponse pro-inflammatoire de la part des cellules exposées à des particules recouvertes de ce polluant, alors que le benzopyrène seul et les plastiques seuls n'induisent pas cet effet. Il semblerait donc qu'il y ait un effet très spécifique des particules de benzopyrène en combinaison avec des plastiques dont il reste encore à analyser les mécanismes.

B. LES COÛTS SANITAIRES DES SUBSTANCES CHIMIQUES DANS LES PLASTIQUES SONT EXORBITANTS POUR LA SOCIÉTÉ

· Les résultats des premières études sur les coûts sanitaires liés à l'usage des plastiques sont particulièrement inquiétants

Christos Symeonides a présenté une étude de 202411(*) sur les plastiques et la santé humaine. Cette étude a quantifié les effets sur la santé de trois substances chimiques clés associées aux plastiques, à savoir les PBDE, le BPA et le DEHP, puis les a traduits en coûts économiques.

Les résultats concernent uniquement les États-Unis car à l'époque, c'était le seul pays pour lequel il existait des données de biosurveillance de l'exposition de la population aux substances chimiques liées aux plastiques. Seuls un ou deux effets sur la santé par substance chimique ont été retenus.

Pour les coûts liés à l'exposition aux PBDE, l'étude prend en compte les coûts économiques résultant d'une baisse des performances cognitives, du quotient intellectuel et du capital humain à la suite d'une exposition aux PBDE dans l'utérus. Ils sont évalués à 202 milliards de dollars pour 2010.

Pour les coûts liés à l'exposition au BPA, l'étude se concentre sur le coût de l'augmentation des maladies cardiaques, évalué à 166 milliards de dollars, ainsi que le coût des accidents vasculaires cérébraux, estimé à 62,4 milliards de dollars résultant d'une perte de la productivité.

Pour les coûts liés à l'exposition au DEHP, l'étude tient compte de l'augmentation de la mortalité à l'âge adulte entre 55 et 64 ans sur la base de la valeur de la vie statistique12(*). Elle conclut à plus de 40 000 décès annuels supplémentaires qui peuvent être attribués à la seule exposition au DEHP de la population américaine, ce qui correspond à un coût de 245 milliards de dollars.

Au total, les coûts s'élèveraient à 675 milliards de dollars par an pour ces trois substances chimiques et pour les États-Unis seulement.

Selon Christos Symeonides, au-delà du caractère inacceptable de ces 40 000 décès, la quantification des externalités négatives du plastique remet en cause l'idée répandue selon laquelle le plastique ne coûte pas cher. Martin Wagner a relevé que c'est bien la population qui subit les effets et les coûts liés à ces substances chimiques et non leurs producteurs.

· Les coûts indirects, liés à la production de plastiques, sont également très élevés

Plusieurs intervenants ont insisté sur le fait que les produits chimiques ont des conséquences en termes de pollution et de santé humaine tout au long du cycle de vie des plastiques.

Selon Megan Deeney, la production primaire de plastiques est ainsi responsable de quatre fois plus d'émissions de gaz à effet de serre que le secteur de l'aviation. 75 % de ces émissions auraient lieu pendant les phases d'extraction des matières premières puis jusqu'à la production des monomères et des autres produits chimiques.

Elle a ajouté que les travailleurs sont particulièrement exposés aux pollutions induites par les plastiques et que des niveaux élevés de produits toxiques sont observés dans l'air, les sols et les aquifères autour des sites de production. Le benzène, par exemple, est associé à un risque accru de cancer au sein des populations locales, comme dans la « vallée du cancer » de Louisiane aux États-Unis.

À l'instar de Megan Deeney, Christos Symeonides a cité les coûts sanitaires liés à l'exposition aux particules et aux gaz des travailleurs et des populations vivant près des sites de production. Il a rappelé que l'élimination des déchets par incinération provoque également l'émission de particules fines très dommageables pour la santé. Il a reconnu que les évaluations chiffrées13(*) des coûts liés à la production de plastiques, qui pourraient s'élever à plusieurs centaines de milliards de dollars, devraient être encore affinées et confirmées. Il a néanmoins estimé qu'elles permettaient de faire prendre conscience des coûts en matière de santé et de dépenses publiques engendrés par l'industrie du plastique.

IV. LES NEUF RECOMMANDATIONS DE L'OFFICE

A. LES RECOMMANDATIONS DE L'OFFICE S'APPUIENT SUR LES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES MISES EN AVANT PAR LA « COALITION DES SCIENTIFIQUES POUR UN TRAITÉ EFFICACE SUR LES PLASTIQUES »

Marie-France Dignac a expliqué que les plastiques tout au long de leur vie sont au centre de trois crises qui secouent aujourd'hui notre planète : la pollution des milieux (tout au long du cycle de vie des plastiques), le changement climatique, la perte de biodiversité. Ces trois crises sont interconnectées et c'est pour les traiter dans leur globalité que l'Assemblée des Nations Unies pour l'environnement a adopté en mars 2022 la résolution 5/14 visant à négocier un traité mondial pour mettre fin à la pollution plastique.

Selon Marie-France Dignac, ce traité ne sera efficace que s'il s'appuie sur les connaissances scientifiques indépendantes disponibles aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle une « Coalition des scientifiques pour un traité efficace sur les plastiques » s'est constituée en novembre 2022. Elle compte aujourd'hui plus de 400 membres de 64 nationalités différentes auxquels s'applique une politique très stricte en matière de conflits d'intérêts, notamment vis-à-vis des industries chimiques et pétrolières.

Plusieurs intervenants, également membres de cette coalition, ont présenté les principales recommandations de la coalition des scientifiques. L'Office en a retenu neuf qu'il compte mettre en avant auprès des négociateurs du traité.

B. LES NEUF RECOMMANDATIONS DE L'OFFICE

· Conclure un traité ambitieux et juridiquement contraignant

À l'instar des conclusions du dernier rapport de l'OCDE cité par Fabienne Lagarde et Marie-France Dignac, seul un traité ambitieux, qui ne se limite pas à améliorer la gestion des déchets mais impose des mesures sur l'ensemble du cycle de vie des plastiques aux pays du monde entier, permettra de réduire significativement la pollution plastique.

· Prévoir une diminution significative de la production et de la demande de plastiques vierges

Tout au long de l'audition publique, les intervenants ont insisté sur les corrélations entre l'augmentation de la production de plastiques vierges, l'augmentation des déchets et l'accumulation des micro et nanoplastiques dans les organismes vivants, en particulier le corps humain. Par conséquent, seules des politiques contraignantes limitant la production et la demande de plastiques vierges permettront de lutter efficacement contre la pollution plastique.

· Renforcer les capacités des gouvernements et des scientifiques

Il manque des expertises institutionnelles et des capacités techniques aussi bien publiques que privées pour analyser les substances chimiques et les polymères, ce qui amoindrit la capacité des autorités à réglementer efficacement les substances chimiques préoccupantes. Il convient donc de favoriser les échanges de connaissances au niveau mondial, d'assurer l'égalité d'accès aux capacités techniques à tous les États et aux acteurs privés ainsi que de renforcer les ressources institutionnelles afin d'assurer une gestion plus efficace des produits chimiques.

La promotion d'une expertise et d'une science indépendantes, notamment à travers des financements pérennes, est également indispensable. Le mode de financement par projet sur quelques années handicape le financement de la recherche sur le long terme, par exemple pour la mise en place et le suivi de cohortes. Il peut entraîner une perte des compétences et de connaissances lorsque le projet se termine et réduit l'efficacité de la recherche publique.

· Imposer aux industriels une plus grande transparence sur les substances chimiques en s'appuyant sur le principe « pas de données, pas de marché »

Pour deux tiers des substances chimiques, il n'existe aucune information sur leur dangerosité potentielle et pour 60 % d'entre elles, il n'y a pas d'information sur leur utilisation ou leur présence dans les matériaux et produits plastiques. Beaucoup de substances inconnues se retrouvent dans les plastiques, notamment les substances ajoutées non intentionnellement. Des informations essentielles existent peut-être, notamment auprès des industriels, mais elles ne sont pas disponibles pour le grand public et les autorités.

Faute de transparence sur la composition des plastiques et la présence de substances chimiques, les consommateurs ne peuvent disposer des informations nécessaires sur le contenu en substances chimiques des plastiques qu'ils utilisent. Ainsi, une grande partie de la population ignore la présence de bisphénol A dans les boîtes de conserve ou les canettes.

L'absence de transparence sur la composition chimique des plastiques rend le recyclage difficile et possiblement dangereux. Ainsi, des produits nocifs sont retrouvés dans les jouets fabriqués à partir des plastiques recyclés et dans les emballages alimentaires recyclés.

Pour imposer une plus grande transparence sur la composition des matériaux et des produits plastiques, les États doivent privilégier une approche commune à travers l'édiction de normes claires sur le type d'informations à récupérer auprès des parties prenantes tout au long de la chaîne de valeur. Une approche « pas de données, pas de marché » doit faciliter la diffusion d'informations essentielles pour le public.

· Réduire le nombre de substances chimiques utilisées dans les formulations de polymères

Pour être opérationnelle, une plus grande transparence sur les substances chimiques implique d'imposer une réduction du nombre des formulations et la simplification des produits chimiques entrant dans leur composition. Une telle mesure facilitera également le contrôle par les administrations du respect de la réglementation sur les substances chimiques en limitant le nombre d'analyses à réaliser.

· Améliorer l'efficacité de la réglementation des substances chimiques à travers une approche par groupes de substances chimiques et basée sur leur dangerosité

L'analyse des 16 000 substances chimiques utilisées pour la fabrication des matériaux et des produits plastiques est particulièrement coûteuse et chronophage et exige de disposer de données précises à la fois sur la dangerosité de chaque plastique et de chaque substance chimique qui y est liée, mais également sur l'exposition auxdits plastiques. En réalité, compte tenu de la multiplicité des substances, générer et évaluer ces données n'est pas envisageable.

De plus, les êtres humains étant exposés à de nombreuses substances chimiques liées aux plastiques, l'évaluation de l'exposition pour tous les scénarios afin de déterminer le risque couru introduirait une complexité insurmontable et risquerait de créer des incertitudes au niveau scientifique.

C'est la raison pour laquelle l'Office propose une approche basée sur la dangerosité et non sur le risque afin d'identifier plus rapidement et efficacement les substances préoccupantes qui exigent la prise de mesures.

Il conviendrait d'établir des critères de dangerosité pour identifier les substances chimiques préoccupantes en adoptant les quatre critères retenus pour l'élaboration de la base de données PlastChem, à savoir la persistance, la bioaccumulation, la mobilité et la toxicité.

Les 10 000 produits chimiques pour lesquels il n'existe pas de données doivent être évalués et réglementés en priorité.

Afin de faciliter la tâche des experts et des décideurs politiques, l'Office soutient une approche par groupes de substances chimiques en partant du principe que les produits chimiques ayant des structures chimiques similaires causent des effets identiques. 15 groupes prioritaires de substances chimiques ont ainsi été identifiés comprenant les bisphénols, les phtalates, les PFAS, etc.

· Développer des analyses de cycle de vie plus complètes pour mieux évaluer les externalités négatives liées à la production et à l'usage des plastiques

Les matières plastiques sont aujourd'hui omniprésentes non seulement parce qu'elles offrent une polyvalence et une flexibilité difficiles à égaler, mais également parce qu'elles constituent une matière première très bon marché.

Néanmoins, le prix du plastique ne tient pas compte du coût lié à l'impact de sa production et de son usage sur l'environnement et sur la santé humaine, qui est externalisé vers la population et les pouvoirs publics.

L'Office encourage le développement d'analyses de cycle de vie plus complètes permettant de tenir compte des externalités négatives liées à la production et à l'usage des plastiques pour définir leur prix réel.

· Définir des critères pour faciliter l'élimination des plastiques non essentiels

Le traité doit définir d'une part, un certain nombre de critères pour aider à l'élimination des plastiques non essentiels, d'autre part, un principe d'utilisation essentielle pour autoriser pendant une durée limitée des plastiques qui peuvent être jugés dangereux, non soutenables ou non durables, mais à l'heure actuelle essentiels pour la société ou la santé.

· Limiter les pertes de plastiques dans l'environnement

L'amélioration de la gestion des déchets dans tous les pays, notamment dans les pays en développement, ne pourra pas à elle seule mettre fin à la pollution plastique. D'une part, la proportion des déchets mal gérés ne pourra jamais être réduite à zéro, même dans les économies les plus avancées. D'autre part, le relargage des plastiques dans l'environnement physique et vivant a lieu tout au long de leur cycle de vie et ne concerne pas uniquement leur fin de vie, comme l'illustrent les pertes de granulés industriels lors de leurs production, transport et utilisation.

Néanmoins, l'amélioration de la gestion des déchets au niveau mondial est indispensable pour limiter les pertes de plastiques dans l'environnement.

En 2019, 22 % des déchets plastiques (soit 79 millions de tonnes) étaient mal gérés, c'est-à-dire ni recyclés, ni mis en décharge, ni incinérés. Selon une étude de l'OCDE, si les pratiques actuelles en matière de gestion des déchets ne s'améliorent pas, la quantité de déchets plastiques mal gérés devrait atteindre près de 270 millions de tonnes à l'horizon 2060, les déchets augmentant davantage dans les pays ayant des systèmes de gestion des déchets moins développés. Cela met en évidence la nécessité de partager les bonnes pratiques et les technologies existantes afin d'aider techniquement et financièrement les pays en développement à améliorer leurs systèmes de gestion des déchets pour pouvoir faire face à leur augmentation.


* 1 En 2019, le WWF avait alerté sur la quantité de plastiques ingérée par l'Homme, évaluée alors à 5 grammes par semaine, soit l'équivalent d'une carte de crédit. En 2021, ces résultats avaient été confirmés par une étude de Kala Senathirajah et al. : « Estimation of the mass of microplastics ingested. A pivotal first step toward human health risk assessment. », Journal of hazardous Materials, volume 404, Part B, 15 February 2021.

* 2 Martin Pletz, « Ingested microplastics: Do humans eat one credit card per week ? », Journal of Hazardous Material Letters, Volume 3, November 2022.

* 3 Nur Hazimah Mohamed Nor et al., « Lifetime Accumulation of Microplastic in Children and Adults », Environmental Science and Technology, 2021, 55, 8.

* 4 Xiang Zhao, Fengqi You, « Microplastic Human Diatery Uptake from 1990 to 2018 Grew across 109 Major Developing and Industrialized Countries but can Be Halved by Plastic Debris Removal », Environmental Science and Technology, 2024, 58, 20.

* 5 Naixin Qian et al., « Rapid single-particle chemical of nanoplastics by SRS microscopy », Proceedings of the National Academy of Sciences, 16 January 2024.

* 6 Matthew Campen et al., « Bioaccumulation of Microplastics in Decedent Human Brains Assessed by Pyrolysis Gas Chromatography-Mass Spectrometry », Research Square (Preprint), May 2024.

* 7 Raffaele Marfella, « Microplastics and Nanoplastics in Atheromas and Cardiovascular Events », The New England Journal of Medicine, 6 March 2024, Vol 390 N° 10.

* 8 Christos Symeonides et al., « An Umbrella Review of Meta-Analyses Evaluating Associations between Human Health and Exposure to Major Class of Plastic-Associated Chemicals », Annals of Global Health, 2024, Volume 90.

* 9 Birgit Geueke et al., « Evidence for widespread human exposure to food contact chemicals Nature », Journal of Exposure Science and Environmental Epidemiology, 2024.

* 10 Parkinson et al., « Potential mammary carcinogens used in food contact articles : Implications for policy, enforcement, and prevention », Frontiers in Toxicology, 2024.

* 11 Christos Symeonides et al., « An Umbrella Review of Meta-Analyses evaluating Associations between Human Health and Exposure to major Classes of Plastic-associated Chemicals », Annals of Global Health, 2024; 90 (1).

* 12 Le concept de « valeur de la vie statistique » est utilisé par les économistes lorsqu'ils désirent déterminer la somme d'argent que la société est disposée à débourser pour sauver un citoyen, ou réduire l'exposition au risque de chacun de ses membres.

* 13 Philip J Landrigan et al. « The Minderoo-Monaco Commission on Plastics and Human Health », Annals of Global Health, 2023, March 21. Erratum in Annals of Global Health, 2023 October 11.

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