EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 13 NOVEMBRE 2024
M. Laurent Lafon, président. - Nous en venons à présent à l'examen des contrats d'objectifs et de moyens (COM) 2024-2028 des sociétés de l'audiovisuel public.
M. Cédric Vial, rapporteur. - En application de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, nous sommes appelés à rendre un avis sur les projets de contrats d'objectifs et de moyens de quatre sociétés de l'audiovisuel public pour la période 2024-2028 : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel.
Je précise que le projet de COM d'Arte France suit une temporalité spécifique, puisqu'il découle du projet de groupe de la chaîne franco-allemande. Il sera la traduction, pour la partie française, du projet adopté le 9 octobre 2024 par l'assemblée générale du groupement européen d'intérêt économique (GEIE) d'Arte. Ce projet de COM 2025-2028 devrait nous être transmis prochainement pour avis. Quant à TV5 Monde, cette chaîne ne dispose pas de COM, mais possède son propre document de programmation stratégique multilatéral discuté entre États membres.
Si la loi prévoit l'obligation de conclure des COM, elle ne prévoit aucune sanction si l'État manque à cette obligation ou ne respecte par les termes du document. C'est ainsi que nous examinons fin 2024 des projets de COM déjà mis en oeuvre depuis presque un an. C'est un premier motif d'insatisfaction.
L'expérience a montré, par ailleurs, que ces COM étaient peu contraignants et qu'ils ne permettaient pas à l'État de mettre en oeuvre une véritable vision stratégique. La commission l'a regretté dans les avis défavorables qu'elle a rendus sur les projets de COM pour la période 2020-2022, puis sur les avenants qui ont prolongé ces COM sur l'exercice 2023.
Que penser des COM 2024-2028 ? Leurs objectifs s'inscrivent dans la continuité des orientations stratégiques définies par les précédents : notamment la poursuite de la transformation numérique, le renforcement de la place de l'information, des priorités données à la proximité et à la conquête du jeune public, ainsi qu'une offre culturelle diversifiée, adaptée à chaque antenne.
Les médias de service public sont confrontés à des défis communs, résultant de la transformation progressive du paysage audiovisuel depuis deux décennies. Si chaque société occupe une place particulière, la plupart des orientations sont partagées par l'ensemble des acteurs. Or les objectifs et indicateurs demeurent cloisonnés par société. Plus cloisonnés qu'avant, même, puisque des objectifs propres à France 2 ont été créés au sein de l'ensemble France Télévisions. Contrairement aux précédents COM, il n'y a plus de partie commune à toutes les entreprises dans les documents qui nous sont proposés.
Les synergies sont abordées a minima, l'accent étant principalement mis sur le projet ICI. Les coopérations ne sont pas abordées dans leur dimension structurelle, alors que leur mise en oeuvre nécessite de revoir l'organisation des sociétés pour redéfinir la stratégie, accélérer les rapprochements et optimiser la répartition des moyens. Comme leurs prédécesseurs, ces COM reflètent donc les projets séparés de chaque entreprise plutôt que la vision stratégique de leur actionnaire commun.
J'en viens au volet « moyens ». Les projets de COM font reposer les plans d'affaires des sociétés sur une trajectoire de moyens budgétaires ambitieuse. Cette trajectoire est déjà complètement dépassée. En effet, comme je vous l'ai indiqué dans mon propos sur le projet de loi de finances, une partie des crédits de 2024 n'a pas été versée, et ceux pour 2025 sont en retrait par rapport à la trajectoire des COM. Le Gouvernement nous demande donc notre avis sur une trajectoire qui n'existe plus et n'a jamais existé.
De simples ajustements ne suffiront pas à adapter les moyens à la réalité. Une réflexion doit s'amorcer sur de possibles sources d'économies et des priorités à identifier. Je suggère de sanctuariser autant que possible, d'une part, le financement de la création audiovisuelle et cinématographique et, d'autre part, la consolidation de notre audiovisuel extérieur, dans un contexte de guerre informationnelle au niveau mondial. Leur faire porter la plus grande part de l'effort serait, à mon avis, une solution de facilité.
Enfin, ces COM n'intègrent évidemment pas la réforme de la gouvernance que nous attendons toujours.
La proposition de loi du président Laurent Lafon, que nous avons adoptée en juin 2023, substitue aux COM des conventions stratégiques pluriannuelles. Une seule convention serait conclue, dans ce cadre, entre l'État et la holding France Médias, regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA. Nous n'en sommes pas là, mais le Gouvernement s'était engagé sur cette voie avant la dissolution de l'Assemblée nationale, allant même jusqu'à programmer une fusion, sauf pour France Médias Monde.
Dans l'attente de cette réforme indispensable, je suggère l'élaboration, dans des délais resserrés, de contrats d'objectifs et de moyens qui pourraient être d'une durée de trois ans - 2024-2026 -, ce qui permettrait de respecter la loi de 1986 tout en préparant l'avenir à partir de données crédibles.
En l'état, je vous propose un avis défavorable sur les COM soumis à notre examen. Il s'agit de renvoyer la balle au Gouvernement. Je vous propose de nous en tenir plutôt à trois ans, car il paraît complètement illusoire de se prononcer sur une trajectoire que l'on sait fausse à l'avance. Tenons-en nous au minimum que la loi de 1986 nous impose, à savoir trois ans. L'année 2024 étant presque terminée, il s'agira donc d'un COM descriptif. On peut aussi prévoir 2025, car on sait ce qui va se passer. L'année 2026, quant à elle, sera une projection par rapport à 2025 ; la courbe est assez facile à construire. Mais abstenons-nous de tirer des plans sur la comète pour 2027 et 2028.
M. Laurent Lafon, président. - De facto, les COM proposés portent déjà sur quatre ans.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial de la commission des finances des missions « Médias, livre et industries culturelles » et « Audiovisuel public ». - En sept ans, je n'ai pas souvenir d'avoir vu un COM qui ressemblait à autre chose qu'à un exercice de littérature. Les trajectoires budgétaires ne sont pas respectées. On navigue dans le sublime ! C'est grotesque. Je suis tout à fait d'accord avec Cédric Vial.
Actuellement, le sujet de l'audiovisuel public est aussi sur la table en Allemagne : il est en discussion dans tous les Länder. Les discussions sont très serrées, et les budgets ne sont pas à la hausse.
M. Laurent Lafon, président. - Nos collègues allemands travaillent, du reste, à la création d'une holding...
Mme Pauline Martin. - Comme bien souvent en période de vaches maigres, nous avons le sentiment de vivre un emballement de la politique de la « rustine ». Le rapporteur spécial de la commission des finances a exprimé le besoin d'une vraie réforme, ce qui est valable pour bien d'autres secteurs. Comme il nous appartient d'être force de proposition, tout particulièrement sur les COM, quelle stratégie de financement et quelle stratégie tout court devons-nous déployer, dans le flou artistique sur les moyens qui seront réellement mis à la disposition de l'audiovisuel public et face au cloisonnement pointé du doigt par notre rapporteur, afin de permettre l'émergence d'une filière audiovisuelle française forte face à la concurrence internationale ?
Mme Sylvie Robert. - Nous suivrons le rapporteur, en cohérence avec l'avis précédent sur l'audiovisuel public, les deux étant liés. Nous sommes effectivement amenés à nous prononcer sur une trajectoire qui n'existe pas, ce qui rend ces COM caducs. Comme l'a souligné Jean-Raymond Hugonet, la situation est particulièrement agaçante.
Si nous souscrivons aux arguments, je ne voudrais pas lier les COM à une quelconque réforme de la gouvernance. Dans le cadre de la présentation de son avis sur le projet de loi de finances, Cédric Vial a très justement rappelé qu'il existait différentes séquences - financement, indépendance, stratégie. Il faudrait procéder avec méthode et mettre d'abord l'accent, en 2025, sur la question de la sécurisation du financement, ce qui nous permettrait ensuite d'élaborer, de façon synoptique, à l'horizon d'une dizaine d'années, une véritable stratégie pour les sociétés de l'audiovisuel public. C'est cette stratégie qui manque aujourd'hui au Gouvernement. Or l'audiovisuel public est un secteur stratégique pour notre pays.
Je milite également pour que l'audiovisuel public devienne une référence en matière d'éducation aux médias et de lutte contre la désinformation. C'est le sens de l'outil « Le Vrai du faux ». La perspective d'une agence commune de vérification des faits, déployée à partir de 2026, serait une très bonne nouvelle.
Pour toutes ces raisons, à la fois de fond et de méthode, nous suivrons l'avis de notre rapporteur.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Le décalage du calendrier des COM est une illustration supplémentaire de la gestion chaotique du dossier de l'audiovisuel public depuis 2017. Le Président de la République avait annoncé une réforme que nous attendons encore.
Certes, la trajectoire des finances publiques n'est pas à la hausse aujourd'hui, mais, comme l'a souligné, dans son avis, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), le règlement européen sur la liberté des médias prévoit que ce secteur dispose des moyens nécessaires et suffisants pour exécuter ses missions d'intérêt général.
Une exigence mérite d'être rappelée : les COM devraient être concomitants à la nomination des présidents de l'audiovisuel public. En clair, il faudrait que le COM soit la traduction du projet pour lequel le président aura été retenu par l'Arcom.
Comme l'Arcom, Cédric Vial a souligné l'insuffisance du travail commun, pourtant nécessaire aux entreprises. Il faut rappeler cette carence aux responsables. C'est dans ce sens, bien sûr, qu'il convient de continuer à travailler.
Nous suivrons l'avis du rapporteur, en espérant que les mois à venir nous permettront d'avoir enfin une trajectoire lisible.
Mme Monique de Marco. - Nous sommes nous aussi en attente d'une réforme indispensable de l'audiovisuel public, sans doute différente de celle espérée par le rapporteur...
Ma première question concerne le programme ICI, qui a de la peine à se déployer. BFM Régions existe depuis 2019 et connaît une audience grandissante. De son côté, la part d'audience de la chaîne d'info en continu France Info a baissé, passant de 0,9 % à 0,8 % entre 2022 et aujourd'hui, contrairement aux audiences des chaînes privées comme BFM TV, CNews ou LCI.
Les deux projets de coopération entre France Télévisions et Radio France connaissent des échecs. Selon les syndicats, ils ont en commun le manque de moyens accompagnant leur déploiement. N'est-ce pas la preuve qu'il est difficile, voire impossible, de renforcer en réduisant les moyens ? Le projet de fusion ne peut avoir pour conséquence qu'un affaiblissement de l'audiovisuel public. Ces deux échecs ne montrent-ils pas également qu'il est vain de vouloir calquer les pratiques des chaînes publiques sur celles des chaînes privées ? Je pense, en particulier, aux chaînes d'info en continu. La vocation de l'audiovisuel public n'était-elle pas justement de permettre un autre traitement de l'information que celui de l'audiovisuel privé, entravé par des questions commerciales et de rentabilité ?
J'en viens maintenant aux contrats d'objectifs et de moyens. La trajectoire financière inscrite semble d'ores et déjà caduque, bien qu'en accord avec les objectifs assignés aux organismes audiovisuels. Si les objectifs sont bons, ils demeurent peu objectivés et insuffisamment précis. Les indicateurs associés sont peu nombreux et souvent flous, parfois dépourvus de cibles ou d'ambitions, ce qui peut compromettre le suivi.
Quant aux moyens, ils ne sont plus au rendez-vous. Il faut définir une trajectoire financière soutenable pour l'audiovisuel public, en adéquation avec les objectifs fixés dans les projets de COM. Les rapporteurs de l'Assemblée nationale ont appelé l'État à faire preuve d'une responsabilité accrue s'agissant de ses engagements contractuels envers les entités de l'audiovisuel public. Celles-ci ne peuvent exercer correctement leurs missions quand règne une incertitude permanente.
Pour toutes ces raisons, nous suivrons l'avis défavorable du rapporteur.
M. Cédric Vial, rapporteur. - Quelles missions voulons-nous pour l'audiovisuel public ? La question qui s'inscrit en creux est : a-t-on besoin en France d'un audiovisuel public ? C'est à nous d'y répondre, car il s'agit d'un choix politique. Si nous affectons des moyens à TV5 Monde, c'est que nous considérons la diffusion de la culture et de la langue française en dehors de nos frontières comme un enjeu. Idem pour France 24 ou RFI.
De la même façon, si nous avons créé Radio France, France Télévisions ou l'INA, c'est que nous avons pensé que, en laissant faire le marché, tout un pan de ce qui fait la France, la culture française et la création n'existeraient tout simplement plus.
Je suis donc d'accord avec vous, il y a un effort d'explication à faire pour reformuler les enjeux de l'audiovisuel public. On peut aussi parler de la qualité de l'information, de l'éducation aux médias, etc. Ce n'est pas uniquement avec des moyens que nous y arriverons : il faut aussi mieux définir les objectifs et mettre en place des outils comme les COM. C'est un peu comme la clef au début de la partition. Je profite de cette analogie pour regretter que ces COM ne fixent pas d'objectifs en termes de diffusion musicale à la télévision.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Bravo !
M. Cédric Vial, rapporteur. - Pour finir, je note trois points d'accord avec Monique de Marco. Tout d'abord, il faut une réforme, car nous ne pouvons pas continuer avec les outils d'il y a trente ans.
Nous sommes également d'accord sur ICI. Nous avons besoin d'un audiovisuel public de proximité, d'où le rapprochement entre France 3 et France Bleu. France 3, aujourd'hui, c'est 80 % de programmes nationaux contre 20 % de programmes locaux. Il faudrait peut-être inverser la tendance. Sur le terrain, nous constatons que des problèmes de gouvernance gênent le rapprochement. Il importe donc de passer ce cap.
Enfin, nous sommes d'accord sur la nécessité d'avoir une trajectoire stable. Je l'ai dit devant la ministre, je ne veux pas jouer à faire semblant. Nous ne pouvons pas valider des documents qui n'ont aucune réalité concrète. Il y va de notre crédibilité. Quitte à faire des économies, soyons clairs et annonçons-les afin que les entreprises puissent se projeter. Si la PPLO est adoptée, il faut pouvoir leur garantir que les moyens que nous leur donnons sont bien ceux dont ils disposeront.
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, dans la mesure où notre rapporteur nous propose de donner un avis défavorable à l'ensemble des contrats d'objectifs et de moyens, je vous propose, sauf avis contraire, de ne voter qu'une seule fois.
La commission émet un avis défavorable sur les contrats d'objectifs et de moyens 2024-2028 de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et de l'Institut national de l'audiovisuel.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.