- L'ESSENTIEL
- LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DE LA
DÉLÉGATION POUR ACCÉLÉRER ET AMPLIFIER LA
TRANSITION CLIMATIQUE DES ENTREPRISES
- AVANT PROPOS
- LISTE DES RECOMMANDATIONS
- I. LES ENTREPRISES SONT DÉJÀ
IMPACTÉES PAR LE DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE
- A. LES ENTREPRISES SUBISSENT DES DOMMAGES
IMPORTANTS EN RAISON DU DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE
- B. L'IMPACT DES ENTREPRISES SUR LE
DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE
- 1. Un impact au travers des émissions de
CO2
- 2. Une prise de conscience de cet impact
- a) Une prise de conscience par les entreprises de
leur impact climatique
- (1) À l'échelle
européenne
- (2) À l'échelle nationale
- b) Une difficulté pour les TPE et PME
à s'engager dans la transition climatique faute de politique publique
appropriée
- (1) 30 % de l'empreinte carbone de la
France
- (2) Le cas de la filière de la
construction
- (3) Le cas de la filière du transport
maritime
- a) Une prise de conscience par les entreprises de
leur impact climatique
- 3. Un impact qui interroge le modèle
économique et suscite la mobilisation des réseaux
d'entreprises
- 1. Un impact au travers des émissions de
CO2
- A. LES ENTREPRISES SUBISSENT DES DOMMAGES
IMPORTANTS EN RAISON DU DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE
- II. LA TRANSITION CLIMATIQUE CRÉÉ
ÉGALEMENT DES OPPORTUNITÉS POUR LES ENTREPRISES
- A. UN LEVIER DE LA CROISSANCE DU XXIÈME
SIÈCLE
- B. UN OUTIL DE LA TRANSFORMATION DE
L'EMPLOI
- A. UN LEVIER DE LA CROISSANCE DU XXIÈME
SIÈCLE
- III. UNE POLITIQUE DE DÉCARBONATION
EUROPÉENNE ET CONCENTRÉE EN FRANCE SUR DE GRANDES
ENTREPRISES
- A. L'OBJECTIF : UNE AMBITIEUSE
NEUTRALITÉ CLIMATIQUE EN 2050
- B. UNE POLITIQUE NATIONALE CIBLÉE SUR LES
GRANDES ENTREPRISES ET L'INNOVATION DE RUPTURE
- 1. Avec un mix électrique avantageux, la
France a souscrit à une politique ambitieuse de transition climatique
- (1) La France dispose d'un mix électrique
avantageux
- (2) La France est signataire de l'Accord de
Paris
- (3) La planification écologique a
été engagée dès 2011
- (4) Une planification qui tente de concilier
croissance et climat
- (5) Une planification préparée et
concertée avec plusieurs instances
- (6) Une planification qui ignore le
Parlement
- (1) La France dispose d'un mix électrique
avantageux
- La décarbonation dans France Relance et
France 2030
- b) Des montants substantiels
- c) Le ciblage des 50 entreprises les plus
émettrices de CO2
- (1) Un effort public conséquent
- (2) L'exemple de l'aciérie ArcelorMittal de
Fos-sur-Mer
- d) Des évaluations en cours
- (1) L'évaluation par l'État
- (2) L'évaluation par l'Institut des
politiques publiques
- (3) L'évaluation par le Réseau
Action Climat
- (4) L'évaluation par la commission des
finances du Sénat
- b) Des montants substantiels
- 2. L'impact limité du captage et stockage
du carbone
- 1. Avec un mix électrique avantageux, la
France a souscrit à une politique ambitieuse de transition climatique
- C. DES ENTREPRISES ENGAGÉES DANS LA
TRANSITION CLIMATIQUE SOUS LA PRESSION DE LEURS PARTIES PRENANTES
- 1. Un engagement des entreprises
- 2. Un engagement des salariés
- 3. Un effort d'adaptation pour les grandes
entreprises
- a) Les grandes entreprises sont les mieux
préparées à la transition climatique
- (1) Les grandes entreprises ont
intégré la RSE dans leur pilotage stratégique.
- (2) Le thème du climat constitue l'un des
grands thèmes abordés au cours des assemblées
générales des sociétés cotées depuis
plusieurs années à l'occasion du dialogue entre les
émetteurs, leurs actionnaires et plus généralement les
parties prenantes.
- (3) Le risque climatique constitue
également un élément de l'information
extrafinancière.
- (4) Les administrateurs des grandes entreprises
sont formés aux enjeux climatiques.
- (5) Les codes professionnels Afep-MEDEF et
Middlenext, recommandent une prise en compte des efforts de transition
climatique de l'entreprise dans la rémunération de leurs
dirigeants.
- b) Des normes de plus en plus contraignantes et
des échanges de bonnes pratiques
- c) La compensation carbone est-elle une bonne
pratique ?
- d) Les grandes entreprises peinent à
respecter leurs trajectoires de décarbonation
- a) Les grandes entreprises sont les mieux
préparées à la transition climatique
- 4. Un effort inatteignable pour les PME et
TPE ?
- 1. Un engagement des entreprises
- A. L'OBJECTIF : UNE AMBITIEUSE
NEUTRALITÉ CLIMATIQUE EN 2050
- IV. LES LACUNES DU PILOTAGE PAR L'ÉTAT DE
LA TRANSITION CLIMATIQUE DES ENTREPRISES
- A. UNE STRATÉGIE PUBLIQUE EN ATTENTE
- 1. Une stratégie uniquement
macro-économique
- 2. Une politique de transition climatique qui
n'est pas déclinée au niveau des entreprises
- a) La trajectoire de réchauffement de
référence pour l'adaptation au changement climatique
- b) L'impasse du financement de la transition
climatique
- (1) L'absence d'un plan de financement global de
la transition climatique
- (2) Un financement peu compatible avec la
situation des finances publiques
- (3) Une évolution erratique des
crédits budgétaires
- c) Le report sine die de la loi de programmation
sur l'énergie et le climat (LPEC)
- d) Le troisième plan national d'adaptation
au changement climatique
- e) La limite des outils de pilotage de la
politique climatique
- (1) Les limites du « budget
vert »
- (2) L'absence d'évaluation climatique des
lois
- (3) L'évaluation de la politique publique
de décarbonation des entreprises
- a) La trajectoire de réchauffement de
référence pour l'adaptation au changement climatique
- 3. Des faiblesses préoccupantes de la
trajectoire de décarbonation
- a) La France dépasse largement ses budgets
« carbone »
- (1) Une baisse record de 5,8 % en 2023
- (2) Toutefois, un bouclage difficile des budgets
carbone en raison des conflits sur l'utilisation de la biomasse
- b) Une trop forte empreinte carbone
- c) Le retard de la France pour les énergies
renouvelables
- a) La France dépasse largement ses budgets
« carbone »
- 1. Une stratégie uniquement
macro-économique
- B. UNE AIDE PUBLIQUE COMPLEXE ET DISPARATE
- C. LE DÉFI DE L'ASSURABILITÉ DES
ENTREPRISES FACE AU RISQUE CLIMATIQUE
- A. UNE STRATÉGIE PUBLIQUE EN ATTENTE
- V. CHANGER LE LOGICIEL DE L'ACTION PUBLIQUE POUR
RÉUSSIR LA TRANSITION CLIMATIQUE DES ENTREPRISES
- A. INVENTER UN NOUVEAU MODÈLE DE L'ACTION
PUBLIQUE RÉPONDANT À L'URGENCE CLIMATIQUE
- 1. Afficher les priorités de la politique
publique d'aide à la transition climatique des entreprises
- 2. Gérer les temporalités de la
transition climatique
- 3. Faire converger politique industrielle et
politique climatique
- 4. Simplifier la politique publique afin de
permettre une appropriation rapide par les entreprises
- 5. Inscrire les aides publiques dans une
stratégie bas-carbone
- 6. Prioriser les investissements publics vers les
technologies de décarbonation les plus efficaces
- 7. Associer le Parlement à la politique de
transition climatique de l'économie
- 1. Afficher les priorités de la politique
publique d'aide à la transition climatique des entreprises
- B. DÉPASSER LES CLOISONNEMENTS SECTORIELS
POUR AMPLIFIER LA TRANSITION ENVIRONNEMENTALE DES ENTREPRISES
- 1. Donner aux entreprises de la visibilité
de l'action publique
- 2. Créer une agence de la transition
climatique des entreprises
- 3. Inciter à la diffusion des plans de
transition énergétique
- 4. Encourager les débats sur la
stratégie climatique des grandes entreprises
- 5. Généraliser le crédit
d'impôt aux investissements dans la décarbonation
- 6. Intégrer la dimension climatique dans le
dialogue social de branche
- 1. Donner aux entreprises de la visibilité
de l'action publique
- C. DONNER UN PRIX AUX ÉMISSIONS DE
CARBONE
- D. TERRITORIALISER LA TRANSITION CLIMATIQUE DES
ENTREPRISES
- A. INVENTER UN NOUVEAU MODÈLE DE L'ACTION
PUBLIQUE RÉPONDANT À L'URGENCE CLIMATIQUE
- I. LES ENTREPRISES SONT DÉJÀ
IMPACTÉES PAR LE DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE
- ANNEXE : LE BILAN DU DIALOGUE ÉTAT -
COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EN MATIÈRE DE PLANIFICATION DE LA
TRANSITION ÉCOLOGIQUE
- EXAMEN EN DÉLÉGATION
- COMPTE RENDU DES RÉUNIONS DE LA
DÉLÉGATION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES DANS LE CADRE DES
AUDITIONS
- TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI
N° 46
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 octobre 2024
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux entreprises
(1) portant sur le thème
« Entreprises et
climat »,
Par Mmes Lauriane JOSENDE, Brigitte DEVÉSA
et M.
Simon UZENAT,
Sénatrices et Sénateur
(1) Cette délégation est composée de : M. Olivier Rietmann, président ; M. Pierre Cuypers, Mme Laurence Garnier, MM. Christian Klinger, Michel Canévet, Patrick Chauvet, Mme Marion Canalès, MM. Simon Uzenat, Martin Lévrier, Ian Brossat, Michel Masset, Guillaume Gontard, Emmanuel Capus, vice-présidents ; M. Michel Bonnus, Mmes Else Joseph, Brigitte Devésa, M. Jérôme Darras, secrétaires ; MM. Yves Bleunven, Denis Bouad, Jean-Luc Brault, Alain Cadec, Mmes Catherine Conconne, Nathalie Delattre, MM. Gilbert Favreau, Stéphane Fouassin, Fabien Gay, Mme Antoinette Guhl, M. Olivier Jacquin, Mme Lauriane Josende, MM. Daniel Laurent, Pierre-Antoine Levi, Mme Pauline Martin, MM. Franck Menonville, Serge Mérillou, Damien Michallet, Mme Anne-Marie Nédélec, MM. Cyril Pellevat, Clément Pernot, Sebastien Pla, Mme Anne-Sophie Romagny, M. Dominique Théophile, Mme Sylvie Valente Le Hir.
L'ESSENTIEL
Les dérèglements climatiques s'accélèrent mais la transition climatique des entreprises ne suit pas. Nous avons malheureusement dépassé les plafonds fixés par l'Accord de Paris. Les impacts climatiques ne font que s'aggraver. Cela converge en faveur d'une accélération de la transition climatique des entreprises, qui sont très conscientes de ces enjeux. En effet, 85 % des chefs d'entreprises affirment y être sensibilisés.
La transition climatique nécessite la décarbonation, c'est-à-dire la réduction nette des émissions de gaz à effet de serre (GES). Elle devra être orientée et guidée par une mobilisation sans précédent des politiques publiques, bien que la dette et le déficit publics hypothèquent leurs financements. Le fardeau de la dette publique et écologique exige un engagement sans faille. La « compétitivité carbone » des entreprises françaises représente un formidable vivier d'opportunités pour une économie durablement résiliente et performante sur le marché intérieur comme à l'international.
Dans ce contexte, la délégation aux Entreprises présente 21 recommandations pour permettre aux entreprises de se mobiliser pour réussir le pari historique de la compétitivité carbone.
UN IMPACT DU DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE SUR LES ENTREPRISES
Des entreprises déjà impactées par le dérèglement climatique
L'impact climatique sur l'activité économique est croissant.
Face au dérèglement climatique, le coût de l'inaction climatique atteindre les 260 milliards d'euros d'ici 2030 et représenter 10 % du PIB, alors que le besoin net de financement de la transition climatique pourrait atteindre 66 milliards d'euros, selon France Stratégie. Il faut agir !
L'eau, exemple de ressource indispensable aux entreprises, devient une ressource rare. Certains départements, comme les Pyrénées-Orientales, souffrent de sécheresse historique.
En France, la quantité d'eau renouvelable disponible (utilisable pour satisfaire les besoins humains sans compromettre la situation future) a baissé de 14 % entre 1990-2001 et 2002-2018. Elle pourrait encore diminuer de 50 milliards de m3 du fait de l'évaporation !
Le réchauffement climatique impacte globalement toutes les entreprises, quelle que soit leur taille et leur localisation.
Les événements climatiques extrêmes, comme les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations, perturbent les activités économiques en causant des arrêts de production, la fermeture de points de vente, la diminution des rendements agricoles ou d'activités touristiques et des ruptures d'approvisionnement. 64 % des entreprises européennes ont été directement concernées en 2023 contre 57 % l'année précédente, par des pertes économiques et de productivité, des sinistres climatiques et par l'inflation des prix des matières premières.
L'impact climatique des entreprises et la mobilisation des entrepreneurs
Les entreprises ont bien évidemment, comme toute activité humaine, un impact sur le dérèglement climatique avec une forte concentration sur quelques entreprises et pays. Depuis 1988, 71 % des émissions globales sont dues à seulement 100 entreprises dans le monde et la moitié de ces émissions est à imputer à 25 d'entre elles. En France, les PME et ETI représentent, à elles seules, 30 % de l'empreinte carbone.
Incitées par les consommateurs qui sont 94 % à prendre en considération la durabilité de leurs achats, les entreprises ont pris conscience de leur responsabilité, avant même la loi PACTE de 2019 qui leur impose désormais de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité.
MAIS des PME et TPE démunies et insuffisamment outillées
Malgré leur empreinte carbone, les PME et TPE ont du mal à s'engager dans une démarche opérationnelle de transition climatique, réduite trop souvent à une diminution de leur consommation énergétique |
La mobilisation des entreprises et de leurs dirigeants dans la décarbonation est nécessaire pour :
· Réorienter la stratégie globale de l'entreprise, voire modifier son modèle d'affaires ;
· Accélérer la transition car plus elle tarde, plus ses effets négatifs seront importants et plus les efforts pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES seront coûteux ;
· Englober toute la chaîne de valeur.
Les réseaux d'entrepreneurs (Mouvement Impact France, Comité 21, Convention des Entreprises pour le climat, Communauté du Coq Vert...) permettent un partage d'expérience utile et pertinent.
LA TRANSITION CLIMATIQUE CRÉE ÉGALEMENT DES OPPORTUNITÉS POUR LES ENTREPRISES
UNE POLITIQUE DE DÉCARBONATION CONCENTRÉE SUR LES GRANDES ENTREPRISES
Les deux stratégies quinquennales d'adaptation au changement climatique depuis 2011, montrent que la transition bas-carbone est économiquement possible et compatible avec une croissance soutenable.
Un ambitieux objectif européen : la neutralité climatique en 2050 a été mise au coeur de la stratégie économique européenne depuis 2019 et accentuée avec le paquet « Fit for 55 » (Ajustement à l'objectif 55) et le Net-Zero Industry Act en mars 2023. |
La résolution du Sénat du 5 avril 2022 a donc appelé à « l'indispensable accélération de la décarbonation des industries européennes au cours de la décennie ».
La moitié de cet effort de réduction des émissions de GES d'ici 2030 sera portée par les entreprises.
Avec un mix électrique avantageux, la France a souscrit à une politique ambitieuse de transition climatique |
Les émissions de GES du système électrique français pèsent moins de 5 % du bilan carbone national, contre 21 % en moyenne dans le bilan carbone des pays de l'Union européenne.
Cette situation conforte l'indépendance énergétique de la France et représente un facteur important pour leur compétitivité et l'énergie nucléaire est la seule qui permet de décarboner massivement.
Jusqu'à présent, la politique publique est concentrée sur les 50 sites industriels les plus émetteurs qui génèrent 55 % des émissions de CO2 de toutes les émissions industrielles, et 12 % des émissions nationales totales de GES. Les 4 millions de PME et TPE sont les oubliées de la politique publique de transition climatique....
· Thème du climat abordé au cours des assemblées générales des sociétés cotées depuis plusieurs années ;
· Administrateurs formés aux enjeux climatiques ;
· Codes professionnels Afep-MEDEF et Middlenext, qui appellent à une prise en compte du climat dans la rémunération des dirigeants d'entreprises ;
· Paris, 4e place financière mondiale, notamment grâce à son exemplarité ESG.
Même les grandes entreprises éprouvent des difficultés considérables à atteindre les objectifs de décarbonation qu'elles se sont fixées. Le nombre d'entreprises capables de quantifier leurs émissions de GES n'a pas progressé au niveau mondial depuis 2022, et stagne à 10 %. Par ailleurs, seules 11 % des entreprises ont atteint une réduction d'émissions compatible avec leur ambition. |
Un effort inatteignable pour les PME et TPE ?
Alors que les grandes entreprises peinent à atteindre leur objectif de décarbonation, la transition climatique des PME et TPE est encore plus difficile.
Ces dernières souffrent d'un déficit d'ingénierie et ne sont pas outillées. Il est essentiel que la mise en place de ces dispositifs ne s'accompagne pas de lourdeurs administratives au risque de freiner toute volonté d'aller plus loin dans l'adaptation aux changements climatiques. Freins majeurs : · Lourdeur des investissements · Prix et disponibilité des énergies · Difficulté à réduire l'empreinte carbone globale |
LES LACUNES DU PILOTAGE PAR L'ÉTAT DE LA TRANSITION CLIMATIQUE DES ENTREPRISES
« Souvent invisibles dans les « politiques publiques, les PME-ETI semblent ne pas compter pour la réussite de la transition écologique » (Bpifrance).
La politique de transition climatique, en attente de son cadrage national, ignore les PME et TPE et connaît une évolution erratique de ses crédits budgétaires alors que les investissements requièrent un cap clair et un cadre macroéconomique et financier stable.
§ La stratégie macroéconomique de l'État est en attente
La plupart des objectifs nationaux de la transition écologique n'ont pas été révisés depuis 2019, voire 2015, au point d'être désormais déconnectés des engagements européens de la France. Ainsi, la stratégie nationale bas-carbone ne donne plus aucune trajectoire après 2033. |
À ce jour, ni la loi de programmation énergie et climat, ni la Stratégie française énergie et climat, ni la 3ème Stratégie nationale bas carbone, ni le 3ème Plan national d'adaptation au changement climatique, ni la 3ème Programmation pluriannuelle de l'énergie n'ont été formellement adoptés, en dépit des obligations législatives. Ces documents sont essentiels afin de guider l'action climatique à long terme. Ces documents doivent en outre fixer le niveau des budgets carbone de la France pour les périodes 2029-2033 et 2034-2038 en cohérence avec l'atteinte de la neutralité carbone en 2050, établir les priorités d'action pour la production et la gestion de l'énergie au-delà de 2028, et fixer les nouveaux plafonds indicatifs d'émissions pour les transports internationaux et l'empreinte carbone de la France.
Haut-conseil pour le climat, 2 avril 2024.
Ces dérives de calendrier des instruments les plus structurants de la politique climatique ont conduit le Sénat à discuter d'une proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie.
§ Le financement de la transition climatique reste indéterminé
La question du financement de la transition climatique a été clairement posée dans plusieurs rapports publics en 2023, sans être jusqu'à présent résolue. L'ordre de grandeur des investissements climat que les acteurs publics et privés vont devoir engager, en plus, d'ici 2030 est de 100 milliards voire 110 milliards en faveur du climat. Mais la clé de répartition reste indéterminée, laissant les entreprises dans l'incertitude.
Pour financer ces investissements, un effort de dépenses publiques serait nécessaire. Cependant, l'ampleur de la dégradation de la situation financière de l'État et la nécessité de maîtriser la dépense publique ne devraient pas permettre de dégager des marges de manoeuvre suffisantes pour financer la transition climatique des entreprises. |
Par ailleurs, les évolutions de crédits publics sont erratiques. Alors que 10 milliards de crédits supplémentaires devaient abonder le ministère de la Transition écologique, la régulation budgétaire du 21 février 2024 l'a amputé de près de 3,1 milliards, privant de visibilité une politique qui devrait s'inscrire dans le long terme.
Au total, seul Bpifrance paraît en capacité de financer d'ici à 2028 la transition écologique et énergétique à hauteur de 35 milliards d'euros, pour accélérer la transition des entreprises avec un continuum mêlant financement, garantie et accompagnement. Cependant, accompagner 20 000 entreprises en 5 ans demeure insuffisant compte-tenu des 4 millions d'entreprises à mettre en mouvement pour réussir la transition climatique. C'est à l'État de l'amplifier.
CHANGER LE LOGICIEL DE L'ACTION PUBLIQUE POUR ACCÉLÉRER LA TRANSITION CLIMATIQUE DES ENTREPRISES
« La majorité silencieuse des dirigeants de PME - ETI reste à quai. Perplexes face à la complexité du sujet, timorés devant l'importance des investissements à réaliser, ils semblent être à la croisée des chemins » (Bpifrance, avril 2023).
Les différents entretiens conduits au cours de la mission, complétés par des visites de terrain, ont mené à la conclusion que les PME et TPE avaient impérativement besoin, pour s'engager durablement dans une démarche de décarbonation de trois éléments :
Les 21 recommandations de la délégation aux Entreprises s'articulent autour de trois axes :
§ Créer un environnement plus favorable à la transition climatique des entreprises,
§ Simplifier le processus d'adaptation et d'atténuation pour les entreprises,
§ Accompagner les entreprises dans leur processus de décarbonation.
Axe 1 : Créer un environnement plus favorable à la transition climatique des entreprises
Mieux cibler l'adaptation et l'atténuation des entreprises
Ni la compensation carbone ni les technologies de captage, stockage et valorisation du CO2 ne sont à la hauteur de la quantité d'émissions de GES qui doivent être réduites pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Il faut donc cibler la décarbonation nette, c'est-à-dire la réduction des émissions nettes de CO2, notamment dans les plans de transition climatique des entreprises, qui permettent aux entreprises d'ancrer dans leur stratégie des objectifs à long terme et d'en assurer le pilotage à court et moyen terme, en cohérence avec l'horizon de planification.
La délégation recommande que la politique publique de transition climatique en direction des entreprises, et particulièrement des TPE et PME :
1. Affiche comme priorité de l'action publique en faveur de la transition climatique des entreprises l'adaptation et la décarbonation, comme outils de réduction nette des émissions de CO2
2. Cible le plan de transition climatique des entreprises sur les objectifs de réduction nette des GES, lesquels ne doivent inclure ni les crédits carbones ni les émissions séquestrées, ni les émissions évitées
Les financements publics doivent prioriser les actions les plus efficaces au regard des coûts d'abattement. Ils définissent, pour un projet donné, la valeur socio-économique totale, c'est-à-dire les coûts monétaires mais aussi la valeur des externalités associées au projet, mobilisée pour éviter l'émission d'un montant donné de GES. Ils permettent d'ordonner différents projets entre eux pour estimer lesquels permettent d'arriver à un même objectif à moindre coût, ou encore de définir, sur la base de ce coût, quels sont les projets qui sont socialement souhaitables.
La délégation recommande de prioriser les financements publics dédiés à la décarbonation vers les technologies dont le ratio « émissions de CO2
évitées/coûts » est le plus fort et sur celles dont le potentiel de réduction d'émissions de GES est le plus élevé
Mieux mesurer la décarbonation des entreprises
Dans ce but, la méthodologie de l'évaluation de la demande énergétique à l'horizon 2050 doit être harmonisée car seule une cartographie précise permettra de guider l'action publique. Si plusieurs scénarios prospectifs coexistent aujourd'hui, ils présentent des divergences méthodologiques, des bases de données et des hypothèses différentes, parfois contradictoires. Cette harmonisation doit s'accompagner d'un débat public et parlementaire sur la décarbonation afin d'améliorer la transparence et la lisibilité des scénarios.
La délégation recommande d'harmoniser la méthodologie de l'évaluation de la demande énergétique à l'horizon 2050
Agir pour une transition climatique efficace des entreprises
Une expérimentation de la facturation carbone doit être conduite à une large échelle. Cette dernière indique, en instantané, les poids en carbone des produits et déchets et, en dynamique, la contribution de l'entreprise à la décarbonation nationale. Elle permet d'associer les consommateurs aux démarches de transition climatique des entreprises. Cette mesure comptable environnementale permettrait de calculer les performances environnementales de base de l'entreprise, comme de facturer en carbone des produits dont le contenu n'est a priori pas connu.
La délégation recommande d'expérimenter à une large échelle la facturation carbone
Toutes les entreprises doivent tendre vers la sobriété énergétique, laquelle contribue, comme l'efficacité, à une réduction de la consommation d'énergie.
Elle vise la tempérance dans nos usages énergétiques et suppose un changement de comportement, de pratique ou de mode de vie qui génère une baisse de consommation d'énergie.
Le rapport du 2 juillet 2024 de la commission d'enquête du Sénat sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050 appelle à la sobriété :
Il convient donc de mieux intégrer la sobriété comme objectif des politiques publiques en amont.
Dans cette perspective, un double effort est nécessaire :
Le retard de la France pour les énergies renouvelables est préoccupant. Leur part dans la consommation d'électricité a atteint 22,2 % en 2023 mais doit occuper 42,5 % en 2030, représentant un effort considérable. Cet objectif d'accélération va cependant poser à nouveau la question de l'acceptabilité sociale des installations d'énergie renouvelable. |
La délégation recommande d'accentuer les efforts en faveur de l'efficacité et la sobriété pour réduire la consommation et d'accélérer le déploiement des énergies bas-carbone, en s'appuyant par ailleurs sur la relance du nucléaire et le développement des énergies renouvelables
Axe 2 - Simplifier le processus d'adaptation et d'atténuation pour les entreprises
Mieux cibler la transition climatique des entreprises
La politique de transition climatique des entreprises doit devenir plus agile. En effet, les gains de la décarbonation engrangés jusqu'à présent relèvent principalement, dans le domaine industriel, de l'efficience énergétique - rapport entre la quantité d'énergie produite et l'énergie consommée. Or, il faudra de plus en plus s'orienter vers des technologies de rupture dont la soutenabilité économique n'est à ce jour pas complètement démontrée et acquise (utilisation généralisée de l'hydrogène, captage et stockage de dioxyde de carbone, procédé de réduction directe en métallurgie par exemple). L'action publique devra donc s'orienter vers l'assouplissement du cadre normatif (afin de permettre des innovations) et vers un soutien public en mobilisant davantage France Expérimentation.
La délégation recommande d'amplifier les expérimentations pour favoriser les innovations permettant d'accélérer la transition climatique des entreprises
Il existe près de 340 dispositifs d'aide à la transition climatique des entreprises proposés par les opérateurs publics. Selon un rapport de l'Inspection générale des finances d'avril 2023 : « foisonnantes et complexes, [elles] sont insuffisamment lisibles et visibles pour les entreprises, notamment les TPE et PME. Elles ont été constituées par sédimentation sans réelle cohérence d'ensemble ». Le parcours d'aides publiques doit être recentré sur une quinzaine de dispositifs, autour de l'aide au calcul des émissions de GES et à l'élaboration d'un bilan carbone pour les TPE et PME, d'un plan de transition pour les grandes PME et les ETI. Il doit partir de leurs demandes et être construit de manière transversale, en s'adressent aux différentes catégories d'entreprises quel que soit leur domaine d'activité. Enfin, lorsque la nouvelle stratégie nationale bas carbone sera publiée, les aides à la décarbonation de France 2030 devront être alignées.
La délégation recommande de :
- simplifier les aides à la transition climatique des entreprises, en substituant une politique de l'offre à une politique de la demande, fondée sur le parcours usager de l'entreprise, et s'adressant, de manière transversale, aux entreprises de tous secteurs et de toutes tailles ;
- mettre en cohérence les aides à la décarbonation de France 2030 avec la future Stratégie nationale bas carbone, ainsi que le futur Plan National d'Adaptation au Changement Climatique (PNACC 3)
Mieux mesurer la décarbonation des entreprises
« Beaucoup d'entreprises investissent massivement dans le développement de nouveaux produits et solutions, mais l'absence d'une méthodologie cohérente et reconnue pour évaluer l'impact de leurs produits et services sur la décarbonation risque d'entraver la création et l'adoption de solutions indispensables pour limiter les émissions », constataient plusieurs grands industriels en janvier 2021.
La confusion des différentes méthodologies de calcul de l'empreinte carbone des entreprises et des secteurs rend difficile la comparaison et la lecture des trajectoires de décarbonation. Il faut standardiser une méthode de mesure pour la décarbonation par secteur selon une approche en cycle de vie (ACV). Cette harmonisation devrait être confiée à l'ADEME.
La délégation recommande de confier à l'ADEME, en liaison avec les organisations d'employeur, la standardisation de la méthode de mesure pour la décarbonation par secteur, selon une approche en cycle de vie
Agir pour une transition plus efficace des entreprises
Le plan France Relance est actuellement un « inventaire à la Prévert » au sein duquel les aides à la transition climatique des entreprises sont dispersées. Il propose ainsi une centaine de dispositifs d'aides différentes, qui ne ciblent pas tous la décarbonation des entreprises. Par ailleurs, il paraît excessivement centralisé, les aides étant accordées sur décision du Premier ministre. La création de « France Transition » permettrait de les regrouper de façon plus visible et plus adaptée. Au-delà d'une meilleure lisibilité, France Transition serait chargé d'accélérer de façon proactive l'émergence de projets stratégiques avec les industriels et laboratoires publics, là où le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), l'ADEME et Bpifrance agissent trop souvent en guichet d'accueil.
La délégation recommande de créer « France Transition » afin de gérer les expérimentations des processus de décarbonation, de regrouper les fonds d'aides aux entreprises dispersés de France 2030 et ceux de Bpifrance ou de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), et soutenir de manière plus efficace les innovations au service de la décarbonation
Axe 3 - Accompagner les entreprises dans leur processus de décarbonation
Mieux cibler la décarbonation des entreprises
Lorsque les trajectoires des budgets carbone sectoriels indicatifs seront publiées, les aides publiques à la décarbonation devront être alignées. L'aide de l'État pour les grandes entreprises (+ 500 millions de chiffre d'affaires) est déjà subordonnée à la publication d'un bilan carbone et d'une stratégie de réduction des émissions de GES, contrairement aux aides destinées à financer des investissements de transformation vers l'industrie du futur des PME et ETI industrielles. Les entreprises auraient bien entendu la liberté de choisir les moyens les plus appropriés pour atteindre cet objectif.
La délégation recommande de subordonner les aides publiques d'État à la décarbonation au respect, par l'entreprise qui en bénéficie, de la Stratégie nationale bas carbone et des stratégies sectorielles et du Plan National d'Adaptation au Changement Climatique, lorsqu'ils seront publiés
La commande publique est un levier du développement durable. En tenant compte de la performance environnementale des biens, des produits et des services, en particulier de leur caractère biosourcé et des exigences de lutte contre les émissions de GES, la notion d'« offre économiquement et écologiquement la plus avantageuse » permettrait d'instaurer un droit de préférence pour les offres des entreprises présentant des atouts en matière de transition climatique, à égalité de prix ou à équivalence d'offre, comme le recours aux offres proposant la plus faible empreinte carbone. Ce critère avantagerait le recours aux PME locales, mais est subordonné à un profond changement des règles européennes régissant les marchés publics.
La délégation recommande de prioriser dans l'achat public les entreprises dont la chaîne de valeur est locale au regard du scope 3, lequel couvre les émissions associées aux activités en amont et en aval de la chaîne de valeur et permet de mesurer l'empreinte carbone d'une entreprise
Mieux mesurer la transition climatique des entreprises
Les entreprises ne doivent pas être les parties prenantes oubliées de la planification écologique territoriale. Leur intégration dans les COP régionales devrait aller de soi. Une transition climatique réussie est une coalition entre acteurs publics et privés qui se fonde sur une planification territoriale ascendante, au plus près des acteurs que sont les entreprises. Lorsque la planification écologique nationale sera réalisée, il faudra en effet relier les trajectoires de planification et intégrer les réalités locales aux trajectoires nationales. Cela implique un dialogue régulier pour permettre cet ajustement du système entre logique descendante et remontées ascendantes.
La délégation recommande d'associer les entreprises à la déclinaison territoriale de la planification de la transition climatique, pour un plan d'actions territoriales cohérent et partagé
Dans les grandes entreprises, qui jouent un rôle moteur d'entraînement de leur chaîne de valeur composée d'ETI et de PME, les stratégies climatiques et les plans de décarbonation devraient être évoquées régulièrement lors des assemblées générales afin de sensibiliser les actionnaires aux enjeux de la transition climatique. C'est le complément logique aux codes professionnels Afep-MEDEF et Middlenext, qui recommandent aux entreprises une prise en compte des efforts de transition climatique dans la rémunération de leurs dirigeants.
La délégation recommande de soumettre, à échéance régulière, les principaux éléments de la stratégie climatique de l'entreprise aux assemblées générales d'actionnaires des entreprises soumises à la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive)
Dans les branches professionnelles, et afin de donner toute sa portée à l'accord national interprofessionnel du 11 avril 2023 relatif à la transition écologique et au dialogue social, il faut intégrer les sujets de stratégie de transition climatique au dialogue social. Ce dialogue social territorial est nécessaire pour anticiper, accompagner et réguler les transformations de l'emploi dues à la transition climatique.
La délégation recommande d'intégrer la transition climatique au dialogue social de branche
Au regard de l'urgence climatique, nous avons besoin d'une évaluation précise des moyens engagés par les pouvoirs publics au service de la décarbonation des activités économiques et de leur efficience en termes de réduction de GES. La création d'outils numériques tels que des observatoires régionaux de la décarbonation devrait permettre un pilotage par la donnée, afin d'optimiser l'efficacité et la réactivité de la dépense publique.
La délégation recommande de créer des outils numériques tels que des observatoires régionaux de la décarbonation permettant de piloter, en quasi-temps réel, les performances des acteurs publics et privés et d'évaluer leur évolution par rapport aux trajectoires définies à l'échelle nationale et régionale
Les plafonds nationaux d'émissions de GES dénommés « budgets carbone » sont fixés par décret, pour cinq ans. La Stratégie nationale bas carbone résulte de longues concertations, mais contourne le Parlement. Ce dernier doit être associé à la définition de la stratégie d'adaptation de l'économie à la transition climatique et doit pouvoir évaluer chaque année l'impact des politiques publiques qui y sont consacrées. La stratégie climatique, ses objectifs et son financement, ne peuvent continuer à être élaborés dans le huis-clos des administrations et rester confinés dans les seuls arbitrages des cabinets ministériels. Il est urgent que le Parlement se saisisse de ces enjeux majeurs, en débatte et décide, car il s'agit d'engager l'avenir de la Nation.
La délégation recommande d'organiser un débat public annuel au Parlement consacré à la transition climatique de l'économie. Prenant appui sur les données et les politiques conduites par l'État et les collectivités compétentes en matière de développement économique, ce débat permettrait notamment l'évaluation, avec l'aide de la Cour des comptes, des politiques accompagnant les entreprises dans leur transition climatique
Agir pour une transition climatique plus efficace des entreprises
Le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte (C3IV ») est actuellement limité à quatre filières de la transition énergétique (batteries, éolien, panneaux solaires et pompes à chaleur). Généraliser un crédit d'impôt pourrait inciter les ETI et les PME à passer de la phase de recherche-développement à celle de la production décarbonée ou d'industrialisation de nouveaux produits à plus faible teneur en carbone.
La délégation recommande d'élargir le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de la décarbonation des processus de production
La comptabilité actuelle ne permet pas actuellement de valoriser des investissements en faveur de la décarbonation. Lorsqu'une banque, entreprise ou fonds d'investissement achète des parts d'une société, le bilan carbone de cette société va lui être imputable en tant qu'investisseur, au prorata des parts qu'elle détient. Actuellement, il n'existe pas de méthode permettant de valoriser un investissement dans une activité permettant de capter ou de réduire des émissions de GES.
Les « dividendes climat » rémunèrent les actionnaires par tonne de CO2 évitée, ce qui permettrait de financer des projets innovants de technologies de rupture et d'orienter l'épargne vers le long terme. Leur déploiement devrait faire l'objet d'une expérimentation conduite par France Expérimentation, et, à l'issue de son évaluation, pourrait s'accompagner d'une incitation fiscale afin de les favoriser.
La délégation recommande de déployer le dividende climat et d'étudier la mise en place d'une disposition fiscale le favorisant
LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION POUR ACCÉLÉRER ET AMPLIFIER LA TRANSITION CLIMATIQUE DES ENTREPRISES
Axe 1 - Créer un environnement plus favorable à la transition climatique des entreprises
Mieux cibler l'adaptation et la décarbonation des entreprises :
1. Afficher comme priorité de l'action publique en faveur de la transition climatique des entreprises l'adaptation et la décarbonation, comme outils de réduction nette des émissions de CO2
2. Cibler le plan de transition climatique des entreprises sur les objectifs de réduction nette des GES, lesquels ne doivent inclure ni les crédits carbones ni les émissions séquestrées, ni les émissions évitées
3. Prioriser les financements publics dédiés à la décarbonation vers les technologies dont le ratio « émissions de CO2 évitées/coûts » est le plus fort et sur celles dont le potentiel de réduction d'émissions de GES est le plus élevé
Mieux mesurer la décarbonation des entreprises :
4. Harmoniser la méthodologie de l'évaluation de la demande énergétique à l'horizon 2050
Agir pour une transition climatique plus efficace des entreprises :
5. Expérimenter à une large échelle la facturation carbone
6. Accentuer les efforts en faveur de l'efficacité et la sobriété pour réduire la consommation
7. Accélérer le déploiement des énergies bas-carbone, en s'appuyant par ailleurs sur la relance du nucléaire et le développement des énergies renouvelables
Axe 2 - Simplifier le processus d'adaptation et d'atténuation pour les entreprises
Mieux cibler la transition climatique des entreprises :
8. Amplifier les expérimentations pour favoriser les innovations permettant d'accélérer la transition climatique des entreprises
9. Simplifier les aides à la transition climatique des entreprises, en substituant une politique de l'offre à une politique de la demande, fondée sur le parcours usager de l'entreprise, s'adressant, de manière transversale, aux entreprises de tous secteurs et de toutes tailles
10. Mettre en cohérence les aides à la décarbonation de France 2030 avec la future Stratégie nationale bas carbone ainsi que le futur Plan National d'Adaptation au Changement Climatique (PNACC 3)
Mieux mesurer la décarbonation des entreprises :
11. Confier à l'ADEME, en liaison avec les organisations d'employeurs, la standardisation de la méthode de mesure pour la décarbonation par secteur, selon une approche en cycle de vie
Agir pour une transition climatique plus efficace des entreprises :
12. Créer « France Transition » afin de financer les expérimentations des processus de décarbonation, de regrouper les fonds d'aides aux entreprises dispersés de France 2030 et ceux de Bpifrance ou de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), et soutenir de manière plus efficace les innovations au service de l'adaptation et de la décarbonation
Axe 3 - Accompagner les entreprises dans leur processus de transition climatique
Mieux cibler la transition climatique des entreprises :
13. Subordonner les aides publiques d'État à l'adaptation climatique et à la décarbonation au respect, par l'entreprise qui en bénéficie, de la Stratégie nationale bas carbone et des stratégies sectorielles et du Plan National d'Adaptation au Changement Climatique (PNACC 3) lorsqu'ils seront publiés
14. Prioriser dans l'achat public les entreprises dont la chaîne de valeur est locale au regard du scope 3, lequel couvre les émissions associées aux activités en amont et en aval de la chaîne de valeur et permet de mesurer l'empreinte carbone d'une entreprise
Mieux mesurer la transition climatique des entreprises :
15. À l'échelle des entreprises, les associer à la déclinaison territoriale de la planification de la transition climatique, pour un plan d'actions territoriales cohérent et partagé
16. À l'échelle des grandes entreprises, soumettre, à échéance régulière, les principaux éléments de la stratégie climatique de l'entreprise aux assemblées générales d'actionnaires des entreprises soumises à la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive)
17. À l'échelle des branches professionnelles, intégrer la transition climatique au dialogue social de branche
18. À l'échelle régionale, créer des outils numériques tels que des observatoires régionaux de la décarbonation permettant de piloter, en quasi-temps réel, les performances des acteurs publics et privés et d'évaluer leur évolution par rapport aux trajectoires définies à l'échelle nationale et régionale
19. À l'échelle nationale, organiser un débat public annuel au Parlement consacré à la transition climatique de l'économie. Prenant appui sur les données et les politiques conduites par l'État et les collectivités compétentes en matière de développement économique, ce débat permettrait notamment l'évaluation, avec l'aide de la Cour des comptes, des politiques accompagnant les entreprises dans leur transition climatique
Agir pour une transition climatique plus efficace des entreprises :
20. Élargir le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de la décarbonation des processus de production
21. Déployer le dividende climat et étudier la mise en place d'une disposition fiscale le favorisant.
AVANT PROPOS
Le dérèglement climatique s'accélère, mais la transition climatique des entreprises ne suit pas.
Selon une étude scientifique récente1(*), la planète se réchauffe désormais plus rapidement que le rythme de + 0,18°C par décennie observé entre 1970 et 2010. Le réchauffement climatique a atteint un nouveau record, avec une augmentation moyenne de +1,19°C au cours de la dernière décennie (2014-2023) par rapport à l'ère préindustrielle, contre +1,07°C entre 2010 et 2019. La hausse des températures est plus élevée sur les continents (1,74 °C) qu'à la surface des océans (1,19 °C). Le réchauffement climatique s'est intensifié entre la décennie 2010-2019 analysée dans le dernier rapport du Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC) et la période 2014-2023, analysée dans cette nouvelle étude.
Lors de l'année 2023, la plus chaude jamais enregistrée, la hausse des températures s'est établie à 1,43 °C. L'écrasante majorité de cette surchauffe (1,3 °C, soit 90 %) est liée aux activités humaines. Les 10 % restants ont été causés par la variabilité naturelle du climat et, en particulier, le phénomène climatique El Niño2(*).
Selon l'étude, les rejets carbonés ont atteint des niveaux records sur la décennie 2013-2022, équivalant à 53 milliards de tonnes de carbone (CO2) par an. Les émissions sont provoquées par la combustion d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz), pour environ 70 % de ce total, ainsi que la production de ciment, l'agriculture et la déforestation. Le rythme de hausse, qui s'établit aujourd'hui à un peu moins de 1 % par an, a toutefois ralenti, comparé aux années 2000, où il dépassait 3 % par an.
Cette hausse des émissions entraîne une augmentation de la concentration des GES dans l'atmosphère, à des niveaux inédits depuis plusieurs millions d'années pour le CO2. Le déséquilibre énergétique de la Terre, c'est-à-dire la quantité d'énergie qui arrive dans le système climatique comparé à celle qui en repart, s'accroît. Il est désormais 50 % plus élevé que sur la moyenne des cinquante dernières années.
Pour cette étude, le budget carbone (plafond d'émissions) disponible pour conserver 50 % de chance de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C, comme prévu par l'Accord de Paris de 2015, s'épuise rapidement. Il a été divisé par plus de deux par rapport à l'estimation du GIEC. Au début de l'année, il s'établissait à 200 milliards de tonnes de CO2 contre 500 milliards dans l'évaluation de 2021. Cela ne correspond plus qu'à cinq ans d'émissions au rythme actuel.
Nous avons attendu trop tard pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d'ici 2050. Cependant, si la neutralité carbone est atteinte d'ici là, il sera possible de faire redescendre les températures mondiales plus tard dans le siècle.
Comme le souligne le Haut conseil pour le climat dans son rapport du 20 juin 2024 : le « décalage se creuse entre les mesures prises pour faire face aux impacts du changement climatique et les besoins d'adaptation car les aléas climatiques induits par le réchauffement s'intensifient plus rapidement que les moyens mis en oeuvre pour en limiter les impacts ». Il estime qu'il faut accélérer de 30 % pour que la baisse des émissions territoriales nettes permette d'atteindre l'objectif 2030 en cohérence avec le paquet « Fit for 55 » de l'Union européenne.
Nous sommes entrés dans le temps où les objectifs de l'Accord de Paris sont dépassés. Les impacts climatiques vont s'aggraver plus rapidement. Cette situation inquiétante plaide en faveur d'une accélération de la transition climatique, alors même que les moyens financiers à y consacrer sont compromis par un endettement et un déficit publics massifs.
L'atteinte de la neutralité carbone nécessite une transformation fondamentale de nos modes de production et de consommation. Cette transformation devra être orientée et guidée par une mobilisation sans précédent des politiques et des finances publiques.
Pour atteindre nos objectifs de réduction des émissions de CO2 de 200 millions de tonnes par an d'ici 2030 par rapport au niveau de 2019, « chacun doit contribuer, entreprises, pouvoirs publics et ménages », comme l'a indiqué le 16 mai le secrétaire général à la planification écologique lors de la table-ronde organisée par la délégation aux Entreprises. Les entreprises représentent environ la moitié de cette réduction, les pouvoirs publics, un quart, et les ménages un autre quart.
Alors que l'ensemble des entreprises sont concernées, la délégation aux Entreprises partage le constat de Bpifrance selon lequel « sur ce front environnemental, les dirigeants de PME (et dans une moindre mesure d'ETI) sont dans l'angle mort des législateurs français et européens, qui concentrent leur attention sur les gros industriels et les plus grands sites énergivores »3(*).
Alors que la stratégie nationale bas carbone se fait toujours attendre, que le bouclage financier de la transition climatique tarde alors même que l'emballement du dérèglement climatique devrait conduite à accélérer, la délégation aux Entreprises présente 21 recommandations pour mettre au diapason l'ensemble des entreprises dans le défi historique qu'elles affrontent.
LISTE DES RECOMMANDATIONS
Axe 1 - Créer un environnement plus favorable à la transition climatique des entreprises
Mieux cibler l'adaptation et la décarbonation des entreprises :
1. Afficher comme priorité de l'action publique en faveur de la transition climatique des entreprises l'adaptation et la décarbonation, la réduction nette des émissions de CO2
2. Cibler le plan de transition climatique des entreprises sur les objectifs de réduction nette des GES, lesquels ne doivent inclure ni les crédits carbone, ni les émissions séquestrées, ni les émissions évitées
3. Prioriser les financements publics dédiés à la décarbonation vers les technologies dont le ratio « émissions de CO2 évitées/coûts » est le plus fort et sur celles dont le potentiel de réduction d'émissions de GES est le plus élevé
Mieux mesurer la décarbonation des entreprises :
4. Harmoniser la méthodologie de l'évaluation de la demande énergétique à l'horizon 2050
Agir pour une transition climatique plus efficace des entreprises :
5. Expérimenter à une large échelle la facturation carbone
6. Accentuer les efforts en faveur de l'efficacité et la sobriété pour réduire la consommation
7. Accélérer le déploiement des énergies bas-carbone en s'appuyant par ailleurs sur la relance du nucléaire et le développement des énergies renouvelables
Axe 2 - Simplifier le processus d'adaptation et d'atténuation pour les entreprises
Mieux cibler la transition climatique des entreprises :
8. Amplifier les expérimentations pour favoriser les innovations permettant d'accélérer la transition climatique des entreprises
9. Simplifier les aides à la transition climatique des entreprises, en substituant une politique de l'offre à une politique de la demande, fondée sur le parcours usager de l'entreprise, s'adressant, de manière transversale, aux entreprises de tous secteurs et de toutes tailles
10. Mettre en cohérence les aides à la décarbonation de France 2030 avec la future Stratégie nationale bas carbone ainsi que le futur Plan National d'Adaptation au Changement Climatique (PNACC 3)
Mieux mesurer la décarbonation des entreprises :
11. Confier à l'ADEME, en liaison avec les organisations d'employeurs, la standardisation de la méthode de mesure pour la décarbonation par secteur, selon une approche en cycle de vie
Agir pour une transition climatique plus efficace des entreprises :
12. Créer « France Transition » afin de financer les expérimentations des processus de décarbonation, de regrouper les fonds d'aides aux entreprises dispersés de France 2030 et ceux de Bpifrance ou de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), et soutenir de manière plus efficace les innovations au service de l'adaptation et de la décarbonation
Axe 3 - Accompagner les entreprises dans leur processus de transition climatique
Mieux cibler la transition climatique des entreprises :
13. Subordonner les aides publiques d'État à l'adaptation climatique et à la décarbonation au respect, par l'entreprise qui en bénéficie, de la Stratégie nationale bas carbone et des stratégies sectorielles et du Plan National d'Adaptation au Changement Climatique (PNACC 3) lorsqu'ils seront publiés
14. Prioriser dans l'achat public les entreprises dont la chaîne de valeur est locale au regard du scope 3, lequel couvre les émissions associées aux activités en amont et en aval de la chaîne de valeur et permet de mesurer l'empreinte carbone d'une entreprise
Mieux mesurer la transition climatique des entreprises :
15. À l'échelle des entreprises, les associer à la déclinaison territoriale de la planification de la transition climatique, pour un plan d'actions territoriales cohérent et partagé
16. À l'échelle des grandes entreprises, soumettre, à échéance régulière, les principaux éléments de la stratégie climatique de l'entreprise aux assemblées générales d'actionnaires des entreprises soumises à la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive)
17. À l'échelle des branches professionnelles, intégrer la transition climatique au dialogue social de branche
18. À l'échelle régionale, créer des outils numériques tels que des observatoires régionaux de la décarbonation permettant de piloter, en quasi-temps réel, les performances des acteurs publics et privés et d'évaluer leur évolution par rapport aux trajectoires définies à l'échelle nationale et régionale
19. À l'échelle nationale, organiser un débat public annuel au Parlement consacré à la transition climatique de l'économie. Prenant appui sur les données et les politiques conduites par l'État et les collectivités compétentes en matière de développement économique, ce débat permettrait notamment l'évaluation, avec l'aide de la Cour des comptes, des politiques accompagnant les entreprises dans leur transition climatique
Agir pour une transition climatique plus efficace des entreprises :
20. Élargir le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de la décarbonation des processus de production
21. Déployer le dividende climat et étudier la mise en place d'une disposition fiscale le favorisant
I. LES ENTREPRISES SONT DÉJÀ IMPACTÉES PAR LE DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE
A. LES ENTREPRISES SUBISSENT DES DOMMAGES IMPORTANTS EN RAISON DU DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE
1. Un impact croissant du dérèglement climatique sur les entreprises
a) Les impacts physiques directs
Le 6e rapport d'évaluation du GIEC4(*) de mars 2023 atteste d'une augmentation des risques (vagues de chaleur, précipitations extrêmes, sécheresses, fonte de la cryosphère, changement du comportement de nombreuses espèces...) pour un même niveau de hausse des températures par rapport au précédent rapport d'évaluation de 2014. Les risques climatiques et non climatiques vont s'aggraver et se multiplier, ce qui rendra leur gestion plus complexe et difficile.
En provoquant un réchauffement de l'atmosphère et un dérèglement du cycle de l'eau, le réchauffement climatique occasionne une multiplication des catastrophes naturelles. Ainsi, les inondations, cyclones, incendies, canicules, sécheresses constituent des risques pour les infrastructures des entreprises, mais aussi pour les transports de leurs ressources ou de leurs produits :
- les incendies, les inondations ou la sécheresse, le gonflement des sols argileux et l'érosion des côtes peuvent détruire les sites de production ;
- la raréfaction des matières premières perturbe les processus de production et provoque des ruptures des chaînes d'approvisionnement ;
- l'augmentation de la chaleur cause des pertes de productivité : la canicule vient d'être reconnue comme intempérie dans le secteur du bâtiment travaux publics (BTP), ouvrant droit à une indemnité5(*) ;
- la pérennité des entreprises dont le modèle économique est fondé sur une saison (sports d'hiver, sports nautiques) est fortement incertaine.
Depuis 2010, tous les principaux effets du changement climatique attendus pour la France ont été observés en métropole comme en outre-mer.
Les événements les plus emblématiques et catastrophiques observés en métropole sont notamment les canicules (2010, 2011, 2015, 2016, 2017, 2018, 2019, 2020, 2022, 2023) les sécheresses des sols superficiels (2011, 2016, 2017, 2018, 2020, 2022), les fortes précipitations méditerranéennes et les inondations par ruissellement (2010, 2011, 2014, 2015, 2016, 2018, 2019, 2020, 2021), les inondations par submersion marine et les débordements de fleuves en zone basse littorale (2010 sur la façade atlantique, en 2022 à Saint-Pierre-et-Miquelon ou encore en 2023, 2024 dans les Hauts-de-France, les inondations chroniques à marée haute en Guyane), les feux de végétation (2016, 2017, 2019, 2020, 2021, 2022), les gelées interrompant le développement précoce des plantes (2016, 2024), le faible contenu en eau du manteau neigeux (hivers 2010-2011, 2016-2017, 2018-2019, 2021-2022, 2022-2023, 2023-2024), la propagation de maladies à vecteurs pour les humains, les animaux et les végétaux (2018, 2019, 2020, 2022, 2023).
En outre-mer, il s'agit par exemple de submersions marines en Guyane (2023), à Saint-Pierre-et-Miquelon (2022) et à Saint-Martin (2017), de fortes précipitations sur les outre-mer tropicaux (avec ou sans cyclone) aux Antilles, à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie.
Source : Rapport du Haut conseil pour le climat, 20 juin 2024
La perte de la biodiversité, dont dépend 50 % du PIB mondial, a été classée comme la troisième menace la plus grave à laquelle l'humanité sera confrontée au cours des 10 prochaines années, selon la 19e édition de rapport sur les risques mondiaux du Forum Économique Mondial, publiée en janvier 2024.
Les effets du dérèglement climatique sur les entreprises sont multiples, comme en témoigne cette synthèse :
La méthode d'analyse OCARA6(*), développée par Carbone 47(*) avec l'appui de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) Grand Est et à laquelle l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) est associée, permet aux entreprises d'identifier et de comprendre les conséquences du changement climatique et mettre en place des démarches de prévention et un plan d'adaptation sur leurs activités dans leur ensemble, comme par exemple l'approvisionnement en eau ou électricité. OCARA analyse au total une trentaine d'aléas climatiques, comme les pics de chaleur ou les feux de forêt.
Cette démarche se structure en trois étapes : (1) l'analyse de la résilience actuelle, (2) l'analyse de l'évolution future des scénarios d'impacts, (3) l'élaboration de plans d'adaptation et de résilience. Un référentiel d'analyse est mis gratuitement à la disposition des entreprises et sa dernière mise à jour date de mai 2023.
Source : Bpifrance
b) Les impacts économiques indirects
Selon l'Agence européenne de l'environnement8(*), les événements climatiques extrêmes ont coûté, entre 1980 et 2022, environ 650 milliards d'euros9(*) à l'Union européenne.
En ce qui concerne la France, le coût est estimé à 120 milliards.
Les risques hydrologiques (inondations) représentent près de 43 % et les risques météorologiques (tempêtes, y compris la foudre et la grêle) environ 29 % du total. En ce qui concerne les risques climatologiques, les vagues de chaleur sont à l'origine d'environ 20 % des pertes totales, tandis que les sécheresses, les incendies de forêt et les vagues de froid représentent les 8 % restants. Les risques les plus coûteux au cours de la période 1980-2022 comprennent : les inondations de 2021 en Allemagne et en Belgique (44 milliards d'euros), les sécheresses et les vagues de chaleur de 2022 sur l'ensemble du continent (40 milliards d'euros), les inondations de 2002 en Europe centrale (34 milliards d'euros), la tempête Lothar de 1999 en Europe occidentale (17 milliards d'euros), la sécheresse et la vague de chaleur de 2003 dans l'UE (17 milliards d'euros) et les inondations de 2000 en France et en Italie (14 milliards d'euros), le tout aux prix de 2022.
Un nombre relativement restreint d'événements est à l'origine d'une grande partie des pertes économiques : 5 % des événements liés au climat entraînant les pertes les plus importantes sont responsables de 59 % des pertes et 1 % des événements est à l'origine de 28 % des pertes.
Depuis 30 ans, les pertes annuelles moyennes ont augmenté de 41 %, soit 2,5 % par an et elles augmentent au fil des ans. Elles étaient évaluées à environ 10,4 milliards d'euros en 1981-1990, 12,2 milliards en 1991-2000, 14,7 milliards en 2001-2010 et 15,9 milliards en 2011-2020. Avec 59,4 milliards d'euros et 52,3 milliards d'euros, les années 2021 et 2022 présentent les valeurs annuelles les plus élevées pour l'ensemble de la série chronologique (suivies par 2002, 1999 et 1990).
D'ici 2050, les conséquences économiques et sociales du dérèglement climatique seront importantes, mais restent difficiles à estimer.
Si l'ensemble des secteurs de l'économie devraient être touchés par les effets du changement climatique à travers le monde, cinq secteurs y seraient particulièrement vulnérables : l'agriculture, l'énergie, les infrastructures, le secteur financier, le tourisme.
Le dérèglement climatique pourrait dégrader la qualité des services écosystémiques10(*), et accentuerait l'effondrement de la biodiversité.
Ces impacts indirects sont complexes à appréhender, comme l'a souligné le rapport « Les enjeux économiques de la transition vers la neutralité carbone » de la Direction générale du Trésor de décembre 2023 :
« Les risques associés au changement climatique peuvent ainsi directement réduire le stock de capital productif, son taux d'utilisation et sa productivité (événements climatiques extrêmes, pertes de production agricole et électrique). Ces risques de destruction et l'incertitude quant à la matérialisation des événements climatiques pourront conduire les entreprises à réduire leurs investissements, ce qui pèsera sur la production. Cet effet pourra toutefois être partiellement compensé si les nouveaux outils de production adoptés sont plus performants que les anciens.
« La matérialisation des effets du changement climatique et leur anticipation inciteront les entreprises à investir dans l'adaptation afin de limiter leur risque d'exposition aux chocs climatiques, mais ces investissements en recherche et développement (R&D) et en adoption de nouvelles technologies, réduisant la croissance potentielle. Ensuite, l'augmentation des températures et des niveaux d'humidité, ainsi que les événements climatiques extrêmes risquent de détériorer le capital humain, conduisant à une perte de productivité du travail. L'impact économique dépendra également des politiques budgétaires et monétaires, ainsi que des réactions du système financier et du bouclage international, dont les effets sont incertains ».
Il est en revanche établi que le dérèglement climatique aura un impact négatif sur le PIB mondial, dont le déclin est évalué par le GIEC dans son dernier rapport de synthèse du 20 mars 2023. Est également pronostiqué un réchauffement des températures d'environ 4°C en 2100 à un déclin du PIB mondial compris entre 10 % et 23 %.
L'impact pour la France n'est pas connu à cet horizon, mais est estimé à 45 milliards d'euros par an d'ici 2050, soit 1,3 % du PIB.
Le changement climatique a également des impacts importants sur la santé humaine. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent aujourd'hui dans des contextes très vulnérables au changement climatique, ce qui pourrait causer environ 250 000 décès par an supplémentaires entre 2030 et 2050.
En France, les évènements climatiques ont été directement responsables de 45 000 décès depuis 1980.
2. L'exemple de l'eau, une ressource en diminution de 14 %
« L'exacerbation des précipitations, des crues et des sécheresses extrêmes en raison de l'élévation de la température qui a accéléré le cycle hydrologique », lequel est devenu « plus irrégulier et moins prévisible », a été soulignée par l'Organisation météorologique mondiale dans un rapport publié le 7 octobre 2024.
Le rapport de la Cour des comptes sur la gestion quantitative de l'eau en période de réchauffement climatique du 17 juillet 2023 a souligné qu'en France métropolitaine, la quantité d'eau renouvelable disponible - celle qui peut être utilisée pour satisfaire les besoins humains sans compromettre la situation future - a baissé de 14 % entre la période 1990-2001 et la période 2002-2018, passant de 229 milliards de mètres cubes à 197 milliards de mètres cubes.
Antoine Peillon, secrétaire général à la planification écologique, estime11(*) pour sa part que la disponibilité en eau pourrait diminuer de 50 milliards de mètres cubes du fait de l'évaporation, alors que nous en prélevons actuellement 33 milliards pour divers usages.
C'est la raison pour laquelle France Stratégie a demandé, dans une note d'avril 2024, que la question de l'eau soit mieux prise en compte dans l'élaboration des différentes politiques publiques et leur territorialisation.
a) Moins consommer : le cas des Pyrénées-Orientales
La délégation aux Entreprises s'est rendue, le 1er février, dans ce département qui connaît depuis deux ans une sécheresse historique12(*), documentée dans le rapport du Haut conseil pour le climat de 2024, en ces termes : « le territoire des Pyrénées-Orientales concentre de nombreux impacts du changement climatique, liés au manque d'eau et à l'augmentation des températures, persistants et récurrents, provoquant des situations de crises à répétition et reflétant l'atteinte de limites capacitaires ».
Source : Météo France
Depuis janvier 2022 on recense vingt-deux mois déficitaires et uniquement cinq mois proches de la normale ou excédentaires. Une partie de ces mois dépasse même les 60 % de déficit par rapport à la moyenne de 1991 à 2020. Les températures ont été systématiquement deux à quatre degrés au-dessus des normales.
Depuis mai 2022, aucune précipitation importante n'a arrosé la plaine du Roussillon, dans l'est des Pyrénées-Orientales. La situation est si grave que dès février 2024, cinq communes ont été privées d'eau potable et que quarante autres étaient « sous surveillance ».
Le relief empêche le département de recevoir les précipitations, abondantes au printemps 2023, venues de l'Ouest. Elles sont bloquées par le relief en raison de « l'effet de foehn ».
Pendant le déplacement de la délégation, l'impact direct de la sécheresse a été mesuré lors de la visite du domaine La Vigne Barbé, domaine viticole fondé en 1994 et situé à Claira.
L'impact de la sécheresse sur la filière viti-vinicole
Malgré une superficie permettant une production normative de 90 hectolitres par hectare, composée de 60 % de vins rouges et 40 % de vins blancs le domaine La Vigne Barbé est actuellement limité à 29 hectolitres par hectare, une réduction drastique attribuable à une sécheresse persistante depuis trois ans. Cette situation est aggravée par des critères d'assistance financière peu adaptés, empêchant l'accès aux aides exceptionnelles malgré une baisse de production non négligeable par rapport à l'année précédente.
La Vigne Barbé, qui s'était lancée dans le passage à l'agriculture biologique dès 2008, fait face à un marché qui ne valorise pas suffisamment ses efforts écologiques, rendant ses produits « conformes aux attentes de la société » difficiles à écouler. Les dirigeants envisagent désormais la diversification des activités du domaine, notamment par l'introduction de visites guidées et la création de gîtes, bien que le refus de permis de construire freine cette initiative. Les récents investissements dans la production d'énergie, bien que prometteurs, se heurtent à des obstacles tels que des coûts élevés et des délais de raccordement par Enedis prolongés, accentuant les défis financiers du domaine. De plus, l'approche actuelle du gouvernement en matière d'octroi d'aides, basée sur les performances des années antérieures, ne tient pas compte de la réalité des exploitations qui subissent des baisses de rendement dues à des conditions climatiques défavorables.
Ce domaine représente ainsi un exemple des difficultés rencontrées par les exploitations viticoles dans un contexte de changement climatique et de rigidité des systèmes de soutien économique.
L'atteinte des limites capacitaires de la ressource en eau disponible oblige les acteurs publics et privés à rechercher des solutions d'une part, pour augmenter la ressource en eau disponible et d'autre part, pour réduire sa consommation.
Ainsi, pour remédier au déficit structurel du département, le conseil régional d'Occitanie s'est prononcé le 28 mars 2024 pour le lancement d'une étude sur le prolongement de l'Aqua Domitia, qui s'arrête actuellement dans l'Aude, jusque dans les Pyrénées-Orientales13(*). Cet ouvrage de 140 kilomètres de long prélève depuis 2016 une partie des eaux du Rhône pour les acheminer dans l'Aude. Sa distribution se répartit entre eau potable (40 %), irrigation agricole (40 %) et « volumes de substitution » (20 %), qui permettent de puiser moins dans des environnements vulnérables.
Les travaux pourraient prendre près d'une décennie, et beaucoup d'incertitudes pèsent sur la ressource aquifère du Rhône. En effet, selon une étude de 2023 de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, les débits d'étiage du Rhône, lorsque les niveaux sont au minimum, baissent également sous l'effet du changement climatique. Ils ont déjà diminué de 7 % en moyenne à la sortie du lac Léman, de 13 % à Beaucaire (Gard), en Camargue, entre 1960 et 2020. Actuellement, 5 % du débit du fleuve est prélevé en moyenne et alimente, avec sa nappe, 2,3 millions de personnes en eau potable. Une réduction importante de son débit risquerait de laisser l'eau de mer remonter dans son delta et de saliniser la Camargue.
En outre, le gestionnaire actuel14(*) dispose d'une autorisation lui permettant de pomper jusqu'à 75 mètres cubes par seconde, mais se contente de 15 mètres cubes en moyenne dans le plus puissant fleuve de France, dont le débit moyen est de 1 700 mètres cubes à son embouchure. Il reste donc une large marge.
En ce sens, l'étude lancée par le Conseil régional d'Occitanie a pour objectif de mesurer la faisabilité d'un tel projet, afin de savoir précisément quel volume pourrait être prélevé pour alimenter en eau les Pyrénées-Orientales. À ce jour, aucune étude précise n'a été menée sur la question.
L'autre volet de la gestion locale de l'eau est la réutilisation d'eaux usées traitées, la réduction des fuites dans les réseaux, lesquelles sont estimées à 40 % par endroit, et les économies d'eau. Ainsi, un « Plan de résilience pour l'eau dans les Pyrénées-Orientales à Horizon 2030 » a été mis en place par les pouvoirs publics et présenté à l'occasion du déplacement de Christophe Béchu, alors Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, le 22 mai 2024. « Ce plan répond à l'engagement de l'État, avec les collectivités, les entreprises, les agriculteurs, les acteurs du tourisme de faire de ce territoire un démonstrateur des solutions et des processus d'adaptation pour une gestion sobre et résiliente de l'eau en conciliant la gestion de crise, des mesures d'urgence et la préparation de chantiers structurels d'adaptation ».
Précurseur dans son exposition inédite aux effets dévastateurs du dérèglement climatique, les Pyrénées-Orientales ambitionnent d'être un territoire pilote. Le plan prévoit ainsi la mise en place notamment de 7 projets, dont 3 projets de réutilisation des eaux usées traitées (REUT)15(*) et 4 projets de création ou optimisation d'infrastructures d'adduction. Un référent « eau » doit également être nommé au niveau du Département pour avoir un unique interlocuteur pour les acteurs publics et privés. De fait, de nombreux projets et dispositifs sont mis en place dans les Pyrénées-Orientales qui pourraient devoir être répétés à l'avenir dans d'autres départements.
Cette adaptation au changement climatique a été illustrée par les entreprises visitées lors du déplacement du 1er février 2024, qui ont intégré cette forte contrainte dans leur modèle économique.
Un recyclage de l'eau exemplaire
Vaills, entreprise familiale qui en est à sa quatrième génération de direction sous l'égide des deux fils, spécialisée dans l'exploitation de gravières et de sablières, ainsi que dans l'extraction d'argiles et de kaolin, s'est distinguée par son engagement envers l'innovation et la durabilité. Leur nouveau site à Baho, traite les gravats « sales » - incluant plastique, bois, et argile - pour en extraire de la valeur, préservant ainsi les ressources naturelles et minimisant l'impact sur les décharges. Cette démarche permet de créer des matériaux de qualité comparable à ceux d'origine naturelle, utilisables notamment dans la production de béton, sans engendrer de surcoût pour les clients. Ce site a un taux de recyclage de l'eau atteignant 98 à 99 %. Avec cette initiative, Vaills fait de son site la première installation en France capable de transformer des gravats sales en produits finis de haute qualité. L'entreprise vise désormais à traiter entre 250 000 et 300 000 tonnes de ces matériaux par an, ce qui lui apporte un avantage comparatif dans le domaine de la durabilité environnementale.
Cet investissement de 11 millions d'euros, n'a pas bénéficié de subvention publique, mais de l'appui des institutions bancaires avec un modèle de prêt évolutif très encourageant. Chaque année, Vaills fait l'objet d'un audit destiné à évaluer ses performances en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Si l'entreprise montre des progrès et améliore sa note en matière de RSE, les conditions de son prêt s'améliorent en conséquence, avec une réduction du taux d'intérêt. Cette approche récompense directement les efforts des entreprises en faveur du développement durable et souligne l'importance d'incitations financières alignées sur des objectifs environnementaux et sociaux.
b) Mieux consommer : le cas des Antilles
Vos rapporteurs se sont rendus, du 20 au 24 mai 2024, en Martinique et en Guadeloupe pour évaluer l'impact du dérèglement climatique sur les entreprises, dont les effets sont accrus sur des territoires insulaires.
Ces départements sont exposés en première ligne à ces impacts et principalement à la montée des eaux, qui provoque un fort recul du trait de côte, jusqu'à un mètre par an dans certains endroits, et à l'intensité croissante des pluies ou des cyclones, qui ont parfois un impact direct sur la production industrielle.
L'impact d'une tempête tropicale sur un site industriel
L'entreprise Klingele à Baillif, en Guadeloupe, première industrie du département et seule cartonnerie des Antilles, a subi la tempête tropicale Fiona en septembre 2022, avec une inondation qui a ravagé l'usine de 3 500 m². Elle a récupéré 80 % de son chiffre d'affaires grâce à neuf mois d'importation de cartons, 40 % plus chers, afin de garder ses clients. Les pertes se sont élevées à 11 millions d'euros et le remboursement des assurances est attendu à hauteur de 5 ou 6 millions d'euros. Si elle n'était pas adossée à un groupe allemand, elle n'aurait pas survécu. Elle projette de déménager car les assurances demandent de rehausser de 80 cm le sol du site actuel, ce qui est impossible, et de financer une digue de protection du littoral sur 1,5 km, ce qui est également hors de portée de l'entreprise.
Cette entreprise s'inscrit par ailleurs dans une démarche durable : le carton est fabriqué à partir de 70 % de recyclable et est recyclé à 100 %, sans aucun produit chimique. Elle n'utilise pas de résine pour renforcer le carton, mais de la colle à l'amidon de maïs ou de blé et de l'encre à l'eau.
En Guadeloupe, d'autres zones à fort potentiel économique sont menacées : la zone industrielle du Jarry à Pointe-à-Pitre ou encore la plage de Sainte-Anne. L'élévation du niveau des mers provoquée par le réchauffement climatique conduit à des intrusions salines rendant impropres à la consommation certaines nappes phréatiques.
La gestion de l'eau en Martinique a fait l'objet d'un rapport thématique de la Cour des comptes en juillet 2023.
Ce département se trouve en effet dans une situation paradoxale. La ressource en eau est abondante, quoiqu'inégalement répartie.
Alors qu'en 2019, les opérateurs ont prélevé dans le milieu 41,5 millions de m3, seuls 21,7 millions ont été facturés, soit un taux de perte global de près de 48 %. Ce rendement révèle une insuffisance d'entretien et de renouvellement du réseau qui parcourt 3 429 km. Il est renforcé par les conditions géologiques et climatiques qui contribuent au vieillissement prématuré des réseaux soumis à de fortes tensions.
La dégradation de la gestion des eaux de surface a des répercussions sur les milieux aquatiques marins dont l'état se dégrade en raison des rejets des eaux usées non traitées, de la présence de 40 pesticides, dont seulement 20 sont autorisés, dont la chlordécone, ou encore de la menace représentée par 88 installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) dont sept sites classés en Seveso.
Outre des conflits d'usage, cette situation a provoqué, en 2020, des ruptures d'approvisionnement16(*) qui ont eu des conséquences sur les entreprises locales, mais également sur le « tourisme bleu », dont la valeur annuelle a été estimée à 67 millions d'euros en 2013. Ce dernier nécessite un approvisionnement continu en eau, trois cinquièmes des lits touristiques étant situés dans le Sud où la ressource en eau est la moins abondante. Cette situation dégradée a provoqué une flambée des impayés variant, en fonction des opérateurs, entre 6,58 % et 18,48 %.
Pour moderniser le réseau, la Cour des comptes estime que « les investissements nécessaires ne peuvent toutefois pas être financés par le seul prix de l'eau. La mobilisation de subventions importantes est nécessaire », sans pour autant les chiffrer. L'État finance d'importants investissements, actuellement de l'ordre de 70 millions d'euros par an, mais cette somme est dispersée dans les différentes collectivités ultramarines et n'est pas à la hauteur des enjeux.
Or, sans accès à l'eau, beaucoup d'entreprises ne peuvent simplement pas fonctionner. Par ailleurs, 98 % de la population locale boit de l'eau en bouteille, alors que le revenu moyen est de 500 euros par habitant.
La question de l'accès à l'eau et à l'assainissement a été largement mise en avant lors des Assises des Outre-mer, qui en ont fait une priorité des pouvoirs publics. Selon le président du MEDEF de Guadeloupe, « les coupures d'eau intempestives sont récurrentes » alors que le « plan eau Guadeloupe 2022 » avait un objectif, dans « une première phase d'urgence », la suppression des « tours d'eau » sous un délai de 24 mois.
En Guadeloupe, le départ en 2015 de Veolia17(*), qui n'a pas suffisamment entretenu le réseau pendant 20 ans, sans que l'État ne s'en émeuve, a été catastrophique. Désemparées, les collectivités locales ont repris la gestion en régie, désormais unifiée. Elles doivent par ailleurs affronter la crise sanitaire de la chlordécone. Fuites des réseaux, stockage de l'eau de pluie en citernes abandonnées, impayés accumulés, branchements illégaux, absence de factures pour les entreprises qui les réclament : l'état des lieux est inquiétant.
Ni la création d'un syndicat mixte unifié dans les deux départements ni la subvention annuelle de l'État (20 millions d'euros en Guadeloupe) ne semblent suffisantes pour couvrir les 800 millions d'euros de travaux à réaliser, d'autant que des embauches massives et excessives handicapent structurellement la gestion de ces syndicats.
La situation est pire pour l'assainissement. Sur 25 stations d'épuration financées par les fonds européens du fonds européen de développement régional (FEDER), seules 3 fonctionnent. Des stations neuves n'ont jamais fonctionné et doivent être rasées. Les eaux usées ne sont pas traitées et le corail meurt. La situation sanitaire se dégrade. Si l'écosystème et la biodiversité locale sont atteints, c'est l'attrait touristique qui sera menacé. Pour le MEDEF, « la situation est gravissime. Il faut en faire un chantier prioritaire et investir un milliard d'euros ». C'est le prix à payer pour atteindre le retour à une situation normale de l'eau en Guadeloupe pour tous sous 5 ans, avec un schéma quinquennal d'investissement comme le promet le « Livre bleu outre-mer » de 2018. Mais, faute de financements appropriés, force est de reconnaître qu'en cinq ans, on ne constate aucun retour à la normale.
Cette situation catastrophique a conduit l'Assemblée nationale à créer une commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, dont le rapport du 15 juillet 2021 qui a consacré un chapitre à la Guadeloupe, sur ce « scandale dû à des décisions trop longtemps repoussées », qualifié par la Générale des Eaux « d'accident industriel ».
Lors de la présentation des conclusions de ce déplacement, le 15 mai 2024, Mme Micheline Jacques, présidente de la délégation aux Outre-mer du Sénat, a toutefois rappelé que les canalisations posées dans les territoires ultramarins avaient été conçues pour l'Hexagone et que les concepteurs des réseaux n'ont pas tenu compte des milieux alcalins spécifiques aux îles des Antilles ou de l'Océan Indien. Ces canalisations auraient dû durer 70 ans, mais compte tenu de la composition physico chimique des sols, elles se sont abîmées beaucoup plus vite que prévu, ce que les élus n'ont pas pu anticiper. Ces derniers sont donc confrontés à des problématiques de masse.
Par ailleurs, jusqu'à récemment, les fonds européens n'étaient pas ciblés sur l'eau et l'assainissement. Les collectivités territoriales ne disposent pas de ressources suffisantes pour financer sur leurs fonds propres ces investissements considérables. Cependant, 50 millions du plan de relance ont été affectés à la rénovation des réseaux d'eaux et d'assainissement dans ces départements.
3. Un coût de l'adaptation au dérèglement climatique inférieur à celui de l'inaction
a) Le coût de l'inaction : 8 points de PIB en 2030, 15 en 2050 et 30 en 2100 ?
Le rapport Stern18(*) a été le premier à évaluer, en octobre 2006, l'impact économique des effets du dérèglement climatique. Le coût de l'inaction est supérieur au coût de la prévention : 5 % à 20 % du PIB mondial, contre 1 % pour celui de l'action. Dès 2008, Nicholas Stern a toutefois reconnu avoir sous-estimé l'ampleur des risques climatiques et du dérèglement climatique19(*).
Depuis, les rapports successifs du GIEC soulignent que plus les gouvernements tardent, plus la charge sera lourde.
Le changement climatique a déjà impacté l'accès à l'eau et à l'alimentation (réduction de la croissance de la productivité agricole sur les 50 dernières années), la santé (augmentation des maladies vectorielles transmises par les moustiques, hausse de la mortalité liée aux vagues de chaleur) et l'activité économique.
Le rapport de l'Institut de l'Économie pour le climat (I4CE) publié en avril 2024 sur les coûts de l'adaptation à un scénario de réchauffement de +4° a conclu à l'absence de chiffrage unique de l'adaptation en France, présentant un chiffrage partiel pour trois secteurs : le bâtiment, les infrastructures de transport terrestre et les productions agricoles végétales.
Il demande toutefois une politique d'adaptation plus ambitieuse, car « les réactions spontanées qui sont observées se révèlent souvent les plus coûteuses pour les finances publiques et représentent déjà plusieurs milliards d'euros par an ». Il s'agit du coût de la prise en charge publique de dommages, des coûts des réparations des infrastructures essentielles ou encore d'aides de crise. Si « réagir et réparer peut parfois paraître plus simple qu'anticiper et abordable à court terme, il est important de garder en tête que sans adaptation structurelle, ces dépenses subies ne vont cesser d'augmenter et perdre leur caractère exceptionnel. » Par ailleurs, aux coûts directs s'ajoutent des conséquences socio-économiques élargies (impacts sur le système de santé, la productivité du travail, l'efficacité des réseaux de transport, la balance commerciale, etc.) qui pèsent sur toute l'économie et renforcent les inégalités territoriales et sociales.
Le réseau des banques centrales et des autorités de surveillance pour le verdissement du système financier (NGFS) a estimé, en novembre 2023, qu'en cas d'inaction, l'impact du changement climatique s'élèverait à un recul de 8 points environ du PIB à horizon 2050.
L'ADEME a pour sa part chiffré le coût de l'inaction climatique à 260 milliards d'euros20(*). Les premières estimations de Cette étude, « très probablement sous-estimées »21(*), soulignent que si la température devait atteindre un niveau de réchauffement de +3.5°C, les dommages du changement climatique pourraient coûter plus de 10 points d'activité annuelle par rapport à un scénario fictif sans changement climatique d'ici la fin du siècle. La contribution des dommages serait la suivante :
· Les catastrophes naturelles se produisant dans le reste du monde qui affectent les exportations françaises (près de 6 points d'activité) ;
· La baisse des rendements agricoles (3 points d'activité) ;
· Les coûts directs des catastrophes naturelles en France (1/2 point) ;
· La montée du niveau de la mer (1/2 point) ;
· L'ensemble des autres dommages confondus (1/2 point).
Le coût du recul du trait de côte a été évalué par le CEREMA.
En 2028, environ un millier de bâtiments pourraient être touchés par le recul du trait de côte à l'échelle nationale. La valeur vénale des bâtiments identifiés, principalement résidentiels et commerciaux, est estimée à environ 240 millions d'euros.
À l'horizon 2050, 5 200 logements et 1 400 locaux d'activité pourraient être affectés par le recul du trait de côte, représentant une valeur totale de 1,2 milliard d'euros.
Le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques de juillet 2024, reprenant une évaluation de la direction générale du Trésor réalisée en 2020, chiffre, pour sa part, le coût macroéconomique de l'inaction climatique à 15 points de PIB en 2050 et 30 points en 2100.
b) Le coût de l'adaptation : 2 points de PIB par an
L'adaptation au changement climatique, définie par le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), est la démarche d'ajustement au climat actuel ou attendu, qu'il s'agisse de la variabilité climatique, mais aussi des évènements climatiques extrêmes.
Complémentaire des démarches d'atténuation22(*), la démarche d'adaptation vise à limiter les impacts du changement climatique et les dommages associés sur les activités socio-économiques et sur la nature.
Selon le ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires : « Les politiques publiques d'adaptation ont pour objectifs d'anticiper les impacts à attendre du changement climatique, de limiter leurs dégâts éventuels en intervenant sur les facteurs qui contrôlent leur ampleur (par exemple, l'urbanisation des zones à risques) et de profiter des opportunités potentielles ».
La démarche d'adaptation, qui agit sur les conséquences du changement climatique, est complémentaire des actions d'atténuation qui visent à réduire les causes du changement climatique, c'est-à-dire les émissions de GES.
Dès 2019, la délégation à la prospective du Sénat avait rédigé un rapport sur l'adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l'horizon 205023(*), soulignant la nécessité de dépasser l'opposition entre atténuation et adaptation24(*). Il pointait par ailleurs le flou total du financement du deuxième Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC)25(*).
Pour sa part, le coût de l'adaptation climatique a été chiffré en 2022, par l'Institute for Climate Economics (I4CE) à 2,3 milliards d'euros supplémentaires par an en France, pour financer dix-huit mesures à prendre d'urgence, dans onze chantiers prioritaires (sécurité civile, littoral, infrastructures de transport, bâtiment, etc...) :
Le rapport de Jean Pisani Ferry et Selma Mahfouz réalisé pour France Stratégie en 2023 a évalué les besoins de financement de la transition climatique, à savoir celui des besoins d'investissement climat pour accompagner les acteurs dans la transition climatique. Les investissements supplémentaires pourraient représenter environ 66 milliards d'euros par an à l'horizon 203026(*), soit plus de 2 points de PIB27(*). Cette évaluation reste sensible aux hypothèses, et demeure partielle, les secteurs aérien et maritime étant absents de son champ.
Dans le détail, les auteurs du rapport estiment qu'il faudrait investir 48 milliards de plus dans les bâtiments (27 milliards dans le tertiaire et 21 milliards dans le logement, dont 15 pour les passoires thermiques), 8 milliards dans la production d'énergie, ou encore 3 milliards dans les transports routiers.
Le rapport pointe que :
- la transition climatique des entreprises reposera sur trois mécanismes économiques principaux : la substitution de capital aux énergies fossiles, les changements de mode de vie et de consommation (sobriété), et la réorientation du progrès technique vers les économies de matières ;
- ce n'est pas par la décroissance qu'on atteindra la neutralité climatique, mais surtout en décarbonant l'énergie par la substitution de capital aux énergies fossiles et en réorientant le progrès technique vers les technologies vertes.
Toutefois, selon le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de la Cour des comptes de juillet 2024 : « l'évaluation des coûts de l'adaptation au réchauffement climatique est lacunaire, voire inexistante ». Or, un chiffrage partagé des politiques d'adaptation est le préalable indispensable à toute réflexion sur la répartition de ces surcoûts entre les acteurs privés et les acteurs publics. Les travaux de chiffrage des coûts d'adaptation doivent donc être approfondis.
La sobriété, vue par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Le concept de sobriété reste à ce jour encore assez mal défini et surtout sujet à polémique. Par exemple, Gabriel Bareux, directeur recherche et développement, et Olivier Houvenagel, directeur de l'économie du système électrique, le considèrent comme le concept le plus clivant de la concertation organisée par RTE pour préparer les scénarios Futurs énergétiques 2050 (publiés entre janvier 2021 et juin 2022).
De fait, plusieurs des organismes auditionnés par les rapporteurs proposent leur propre définition de la sobriété énergétique :
- pour RTE, la sobriété est « une modération organisée et volontaire des recours aux ressources énergétiques et matérielles » ; elle doit être distinguée de l'efficacité énergétique et de la précarité ;
- pour l'ADEME, la sobriété correspond à « une recherche de “moins”, de modération des biens et des services produits et consommés, tout en recherchant un “mieux”, notamment une augmentation de la qualité de vie et du bien-être » ;
- pour l'association Virage énergie, la sobriété énergétique est une « démarche qui vise à réduire les consommations d'énergie par des changements de comportement, de mode de vie et d'organisation collective (moindre usage de la voiture, alimentation plus locale et de meilleure qualité, etc.) ».
Le sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) définit la sobriété comme : « Un ensemble des mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, matière et eau, tout en garantissant le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires ».
(...) Il existe parfois une certaine confusion entre sobriété et efficacité énergétique, dans la mesure où ces approches contribuent toutes deux à diminuer la consommation d'énergie. Toutefois, elles correspondent à des logiques bien distinctes :
- la sobriété énergétique permet d'éviter la demande en énergie, en réduisant l'appel à certains biens ou services ;
- l'efficacité énergétique, parfois appelée efficience (même si les deux termes ne sont pas synonymes), vise, en mobilisant l'innovation technologique, à produire des biens ou des services nécessitant moins d'énergie à l'unité.
(...) L'efficacité énergétique demeure indispensable pour réussir la transition vers une économie à faible émission de carbone. À cet égard, l'efficacité énergétique et la sobriété apparaissent, à plusieurs titres, comme des stratégies complémentaires plutôt que concurrentes.
Ainsi, la sobriété énergétique peut limiter l'effet rebond28(*). De plus, certaines solutions de sobriété énergétique peuvent être mises en place dans des délais courts, à coût nul ou très faible, en attendant que soient mises en oeuvre les solutions d'efficacité énergétique nécessitant des délais importants et occasionnant des coûts élevés.
Par exemple, le plan de sobriété énergétique lancé en octobre 2022 a conduit à une réduction rapide et substantielle de la consommation d'énergie liée au chauffage, alors que les gains résultant des travaux d'isolation thermique des bâtiments demanderont encore plusieurs décennies pour produire leurs effets sur l'ensemble du parc existant.
En combinant ces deux approches, il est donc possible de réaliser des réductions de consommation d'énergie plus importantes et de faire un pas significatif vers la résolution de la crise énergétique et climatique.
Rapport n°1445 (Assemblée nationale) et n°776 (Sénat) du 27 juin 2023 sur les implications en matière de recherche et d'innovation technologique de l'objectif de sobriété énergétique, par Mme Olga Givernet , députée, et M. Stéphane Piednoir , sénateur
4. L'atténuation du dérèglement climatique, une priorité
L'atténuation du dérèglement climatique signifie, selon l'ADEME, une diminution de son degré de réchauffement. Celle-ci passe par la réduction des émissions de GES qui en sont la cause. Il s'agit donc d'une notion quantitative : il faut arriver à diminuer de manière forte les émissions de GES, le réchauffement climatique dépendant de la quantité totale de GES émis. D'après l'OCDE, les activités permettant l'atténuation du changement climatique sont celles qui réduisent ou limitent les émissions de GES et protègent et améliorent les puits et réservoirs des GES (ex forêts, sols et herbiers marins).
Dès 2019, le rapport précité de la délégation à la prospective du Sénat sur l'adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l'horizon 2050 soulignait qu'il ne fallait « plus opposer politiques d'atténuation et politiques d'adaptation, mais assurer leur synergie et utiliser la lisibilité et l'impact concret des politiques d'adaptation pour dynamiser les efforts d'atténuation ». L'encadré ci-après propose un extrait de ce rapport consacré aux démarches d'adaptation :
Le portage politique des politiques d'adaptation s'est longtemps heurté à un frein idéologique lié à l'histoire de l'émergence des politiques climatiques. Scientifiques, acteurs politiques et associatifs ont en effet longtemps mis l'accent exclusivement sur les enjeux de l'atténuation. C'était rationnel dès lors qu'on pensait qu'une mobilisation forte sur l'atténuation pouvait nous dispenser d'un effort sur l'adaptation. Cela traduisait également la crainte qu'une politique favorable à l'adaptation se fasse au détriment des nécessaires efforts d'atténuation. D'une certaine manière donc, on peut dire que le thème de l'adaptation est longtemps resté une sorte de tabou.
Celui-ci doit désormais être levé. Pour renforcer la légitimité des démarches d'adaptation, on peut s'appuyer sur des arguments forts :
- l'argument du pragmatisme : les impacts négatifs du changement climatique sont là et ils vont s'aggraver. C'est un fait. La population doit donc être protégée contre ses impacts inévitables ;
- l'argument de la synergie : les efforts d'adaptation ne contredisent aucunement les efforts d'atténuation - au contraire. L'adaptation peut être un accélérateur des politiques d'atténuation, car une partie non négligeable des solutions d'adaptation contribuent aussi à la réduction des émissions de GES - par exemple, la rénovation thermique ou le développement de l'agroécologie vont être à la fois des mesures d'adaptation et d'atténuation ;
- l'argument de l'intérêt : il est beaucoup plus difficile de mobiliser quelqu'un pour « sauver la planète » que pour améliorer sa situation personnelle. On peut le déplorer d'un point de vue moral, mais c'est ainsi. Or, les politiques d'atténuation, même si elles correspondent sans le moindre doute à l'intérêt bien compris de chacun de nous sur le long terme, sont souvent perçues comme des politiques altruistes, reposant sur la mise entre parenthèses à court terme de certains intérêts nationaux.
L'argument est connu : la France représente à peine 1 % des émissions mondiales de GES ; ce constat alimente donc la crainte que les efforts de notre pays pour réduire ses émissions se diluent au niveau international et restent sans effet sur la situation globale - surtout si les pays fortement émetteurs ne font pas d'efforts de leur côté.
Cette crainte en alimente une seconde : que la France fasse preuve de naïveté en visant une réduction forte de ses émissions, alors qu'elle-même est déjà très faiblement émettrice par rapport à ses concurrents et partenaires, et qu'elle finisse par payer sa « vertu écologique » par une perte de compétitivité.
Ce type d'arguments, qui contribuent fortement à freiner la mobilisation pour réduire les émissions de GES, est sans objet contre les politiques d'adaptation, car ces dernières établissent un lien direct et visible entre les investissements consentis par chaque pays dans l'adaptation et son retour sur investissement. Chaque pays, chaque territoire, chaque personne bénéficie en effet directement des efforts qu'il consent pour se protéger et s'adapter. Il n'y a donc pas de risques de « passager clandestin » et de jeux non coopératifs.
C'est la raison pour laquelle, si on prend soin d'optimiser la synergie entre mesures d'adaptation et d'atténuation, on a tout intérêt à s'appuyer sur la lisibilité et l'acceptabilité plus grandes des politiques d'adaptation pour dynamiser les efforts d'atténuation.
Source : rapport n°511 du 16 mai 2019 de Ronan Dantec et Jean-Yves Roux
Penser la complémentarité entre adaptation et atténuation permet de surmonter le célèbre dilemme du climatiseur, outil d'adaptation qui, en réalité, renforce le réchauffement climatique29(*).
Le rapport de juin 2021 du Haut-conseil pour le climat consacré à l'atténuation30(*) a confirmé la complémentarité de cette notion avec l'adaptation : « Il n'est pas possible de continuer à émettre des GES en pensant qu'il sera possible de s'adapter à n'importe quel niveau de changement climatique. Les synergies entre atténuation et adaptation sont nombreuses, même si elles ne sont pas systématiques. Leurs interactions doivent être anticipées afin d'être optimisées. Les inégales capacités d'adaptation doivent aussi être prises en compte, dans une optique de transition juste. Il est notamment nécessaire de considérer les liens entre inégalités socio-économiques et territoriales et vulnérabilité différentielle aux aléas. Il faut aussi arbitrer entre indemnisation et non-indemnisation et poser la question de la responsabilité financière de ceux qui se sont exposés aux risques en pleine conscience, alors même que tous les dommages ne sont pas indemnisables ».
Pour les entreprises, l'atténuation doit s'appréhender « indépendamment des obligations légales, il s'agit, pour les acteurs économiques, comme pour les territoires, de réaliser un diagnostic de vulnérabilité, d'élaborer une stratégie et de la décliner en plan d'action » et « implique une réflexion sur les risques et les opportunités pour leurs propres activités (dont les procédés et les équipements) en incluant également les fournisseurs, sous-traitants, clients et financeurs ainsi que sur leurs obligations en tant qu'employeur ».
Prendre en considération la nécessité de l'atténuation sur l'ensemble de la chaîne de valeur doit se traduire par une action résolue de décarbonation.
B. L'IMPACT DES ENTREPRISES SUR LE DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE
1. Un impact au travers des émissions de CO2
a) Des émissions essentiellement dues à l'activité économique
Les émissions de GES31(*) dues aux activités humaines ont réchauffé le climat à un rythme sans précédent. La température de la surface du globe s'est élevée de 1,1°C par rapport à la période pré-industrielle.
Quels que soient les scénarios d'émission, le GIEC estime que le réchauffement de la planète atteindra 1,5 °C dès le début des années 2030. Pour limiter ce réchauffement à 1,5°C et 2 °C, il sera nécessaire d'accélérer et d'approfondir dès maintenant la baisse des émissions pour, d'une part, ramener les émissions mondiales nettes de CO2 à zéro et, d'autre part, réduire fortement les autres émissions de GES.
L'association des entreprises à la lutte contre le réchauffement climatique a été opéré à l'initiative de Kofi Annan, alors secrétaire général de l'Organisation des Nations-Unies, à partir de son discours du 29 janvier 1999 au forum économique de Davos. Lancé en 2000, le Global Compact des Nations unies associe, pour la première fois, les entreprises et les Nations unies. Les Objectifs du Développement Durable (ODD), élaborés en 2015, sont souvent intégrés aux stratégies RSE des entreprises32(*). Le « Pacte mondial des ODD » demande aux entreprises d'aligner leurs stratégies et leurs opérations sur les dix principes universels liés aux droits de l'homme, au travail, à l'environnement et à la lutte contre la corruption ainsi que de prendre des mesures pour faire progresser les objectifs sociétaux et la mise en oeuvre des ODD.
L'atteinte du « zéro émission nette » de CO2 à l'échelle mondiale en 2050 ne peut reposer que sur une large palette sectorielle : bâtiments, transports, énergie, industrie, préservation des systèmes naturels existants. Le secteur de l'agriculture, la forêt et l'usage des terres représentent un potentiel important de réduction des émissions, avec des bénéfices potentiels pour la biodiversité.
La décarbonation des entreprises requiert quatre dimensions :
1. L'électrification des usages joue un rôle essentiel, à condition de produire de l'électricité bas-carbone ;
2. La baisse de la demande en énergie et en matériaux, par la recherche de gains d'efficacité et d'efficience ne freinant ni l'innovation ni la croissance, est essentielle pour réduire les émissions ;
3. La réduction des besoins par l'efficacité énergétique qui pourrait atteindre 45 % d'ici 2050 ;
4. La sortie des subventions aux énergies fossiles permettrait d'atteindre 10 % des réductions d'émissions nécessaires d'ici 2030.
Enfin, la décarbonation des entreprises ne doit pas tarder. Plus la réduction des émissions sera tardive, plus les effets négatifs seront importants, à cause du recours massif aux émissions négatives nécessaire pour atteindre le « zéro émission nette », et des impacts climatiques dus au dépassement temporaire des 1.5 °C qui réduiront l'efficacité des actions.
b) Des émissions en baisse en France, importatrice de carbone
En 2023, les émissions produites sur le territoire national ont continué de baisser pour atteindre 372,9 millions de tonnes CO2 eq33(*), soit -5,8 % par rapport à 2022, avec une baisse dans tous les principaux secteurs (énergie, industrie, bâtiments, transports). Elles ont baissé de 31 % par rapport à 1990.
Ces émissions sont en partie contrebalancées par des puits de carbone dont le stockage est estimé à 20,7 millions de tonnes CO2 eq, portant les émissions nettes à 352,2 millions de tonnes CO2 eq.
Le secteur des transports est le premier secteur émetteur (34 % des émissions en 2023), suivi des secteurs de l'agriculture (20 %), de l'industrie (17 %), des bâtiments (16 %), de la transformation d'énergie (9 %) et des déchets (4 %).
Dans l'industrie en revanche, le budget carbone fixé pour ce secteur dans la deuxième stratégie nationale bas-carbone (SNBC-2) pour la période 2019-2023, de 72 Mt CO2 eq par n en moyenne, ne serait pas respecté, à 3 % près, avec 74 millions de tonnes CO2 eq. La tendance des émissions à la baisse observée en 2022 (-6 % par rapport à 2021) se poursuit en 2023. Les émissions diminuent de 8% en 2023, ce qui s'explique principalement par des baisses de production industrielle, notamment dans les secteurs des minéraux non-métalliques (-7 % pour le ciment), de la chimie (-9 % pour la chimie organique et inorganique) et de la sidérurgie (-6 % pour l'acier brut). De plus, la consommation de gaz naturel a chuté de 19 % dans la grande industrie en 2023 comparativement à 2022, du fait de la baisse de production, mais aussi de phénomènes structurels comme des contraintes d'approvisionnement. Par ailleurs, le secteur industriel poursuit ses efforts de décarbonation dans le cadre des dispositifs de France 2030.
En 202034(*), l'empreinte carbone35(*) était de 552 millions de tonnes CO2 éq, selon le Datalab du ministère de la Transition écologique.
En 2022, elle est estimée à 623 millions de tonnes CO2 eq en 2022, soit 9,2 tonnes CO2 eq par personne. L'empreinte carbone de la France est 1,6 fois plus élevée que les émissions territoriales, supérieure à la moyenne mondiale qui était, en 2019, de 6,8 tonnes CO2 eq par personne36(*).
Par rapport à 1995, le niveau de l'empreinte a diminué de 15 %, alors que la demande finale intérieure, dont le montant conditionne en partie le niveau de l'empreinte, a augmenté de 40 %. Entre 1995 et 2020, les émissions intérieures ont nettement diminué (- 31 %) tandis que les émissions associées aux importations se sont accrues (+ 12 %). En 2020, ces émissions importées représentent la moitié des émissions totales de l'empreinte. Rapportée au nombre d'habitants, l'empreinte carbone est de 8,2 tonnes de CO2 eq par personne en 2020, un niveau supérieur de 45 % aux émissions de l'inventaire (5,7 t CO2 eq/habitant).
L'approche du CITEPA37(*) confirme cette tendance baissière.
Le rapport 2024 du Haut conseil pour le climat souligne que si le deuxième budget carbone de la SNBC 2 pour les émissions brutes (hors Utilisation des Terres, Changements d'Affectation des Terres et de la Forêts, UTCATF)38(*) est en voie d'être respecté, celui pour les émissions nettes (incluant le secteur UTCATF) est en voie d'être dépassé, du fait du faible niveau des puits de carbone.
Or, les objectifs du projet de SNBC 3 pour 2030 devront être nécessairement plus ambitieux que ceux de la SNBC 2. La SNBC 2 implique une baisse des émissions brutes d'environ 8,9 millions de tonnes CO2 eq par an en moyenne entre 2024 et 2030, tandis que les nouveaux objectifs du projet SNBC 3 impliqueraient une baisse de 15 millions de tonnes CO2 eq par an.
2. Une prise de conscience de cet impact
Depuis la loi PACTE39(*) de 2019, toutes les entreprises sont tenues de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité.
a) Une prise de conscience par les entreprises de leur impact climatique
Depuis plusieurs éditions, le Global Risks Report publié en marge du Forum de Davos fait des risques climatiques les principales préoccupations à long terme des chefs d'entreprise.
(1) À l'échelle européenne
Réalisée à la mi-2023 auprès des entreprises européennes, l'enquête de la Banque européenne d'investissement (BEI) sur l'investissement (EIBIS)40(*) a mis en lumière l'impact du changement climatique sur un nombre croissant d'entre elles.
Parmi les entreprises, 64 % ont affirmé avoir été impactées par les événements météorologiques, soit une augmentation de sept points par rapport à 2022. Seule une minorité d'entreprises a toutefois pris des mesures pour y faire face. D'après l'enquête, 36 % des entreprises de l'Union européenne questionnées (40 % aux États-Unis) auraient développé ou investi dans des mesures pour accroître leur résilience face aux risques physiques liés au changement climatique et réduire l'exposition à ces dangers ou les éviter.
La BEI a également interrogé les entreprises européennes sur leur perception de la transition écologique et de son impact sur leurs activités. Une évolution vers des normes et régulations climatiques plus strictes est considérée comme un risque dans 33 % des cas, mais comme une opportunité par 29 % des entreprises tandis que 38 % considèrent que la transition ne les impactera pas.
Si une minorité d'entreprises ont investi face aux risques liés au changement climatique, elles sont en revanche majoritaires à avoir pris des mesures pour s'engager dans la transition écologique. Les entreprises européennes sont 90 % à réduire leurs émissions de GES, 59 % investissent dans l'efficacité énergétique, 67 % dans la réduction des déchets et le recyclage et 32 % dans des secteurs et technologies moins polluants.
On peut y voir une adaptation des entreprises européennes à des normes environnementales plus contraignantes en Europe par rapport au reste du monde. Ces règles sont appelées à être durcies dans les années à venir, afin d'atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction des émissions de GES de 55 % en 2030 par rapport aux niveaux de 1990, conduisant donc également à une anticipation du secteur privé. Parmi ces mesures contraignantes, on peut citer le renforcement du marché du carbone, où les entreprises s'échangent des quotas de droits à polluer.
Cependant, l'envolée des coûts de l'énergie, apparue dans le sillage de la reprise économique post-Covid, puis significativement accentuée par l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022, a fortement impacté les entreprises européennes puisque 68 % d'entre elles ont constaté une augmentation de 25 % ou plus de leurs dépenses énergétiques et 78 % indiquent avoir mis en place des stratégies de réduction de la consommation d'énergie41(*).
La prise de conscience des contraintes environnementales se conjugue à la recherche, par les entreprises, de minimisation de leurs coûts dans une économie mondialisée.
(2) À l'échelle nationale
Réalisée par BVA pour le compte du ministère de l'Économie, une enquête, réalisée en septembre 2022 auprès de 501 chefs d'entreprises de plus de dix salariés, a indiqué que 85 % étaient sensibilisés à la limitation de leurs impacts environnementaux et 76 % à limiter leurs émissions de GES. Outre ce premier décrochage (le lien n'étant pas toujours établi entre les GES et l'impact environnemental), deux autres sont plus inquiétants puisque les entreprises des secteurs primaire et secondaire ne sont sensibilisés à 21 % pour l'impact environnemental et 29 % pour les émissions de GES et les PME de 10 à 49 salariés ne sont, pour les mêmes thèmes, que 15 % et 23 %. Ce sont les entreprises du commerce les plus sensibilisées.
Selon une autre étude conduite par Cap Terra en 202242(*), 80 % des entreprises sont préoccupées (52 % être assez préoccupées par ce sujet, et 28 % se disent même très préoccupées) et 76 % des entreprises ont changé leurs pratiques commerciales pour minimiser l'impact du changement climatique. Bien que 24 % des répondants n'aient pas entrepris d'action particulière en faveur du climat, 20 % de ceux-ci se disent toutefois intéressés par l'initiative.
Les raisons qui poussent les entreprises à s'engager dans une stratégie environnementale sont :
Ø la conviction sincère de la nécessité de protéger l'environnement en tant qu'entreprise (52 %) ;
Ø le souhait d'améliorer la réputation de la marque (36 %) ;
Ø la nécessité de répondre aux attentes des investisseurs, des consommateurs ou des clients (32 %)
En effet, 94 % des Français indiquent prendre en considération le facteur de la durabilité dans leurs processus d'achats. La prise en considération du changement climatique influence leurs choix de produits ou de fournisseurs.
Pour prendre en compte cette contrainte, les entreprises privilégient, à hauteur de 44 % une politique de réduction de la consommation énergétique, la réduction des déchets (36 %) ainsi que le recyclage des matériaux utilisés dans le processus de production et/ou dans les bureaux (35 %), le financement de l'utilisation de moyens de transport écologiques pour se rendre au travail (27 % des entreprises), la limitation des voyages d'affaires ( 27 %) ou encore la collaboration avec des fournisseurs déployant des efforts écologiques ( 25 %).
L'une des clés prises en compte par les entreprises dans l'élaboration de leur stratégie environnementale est l'implication des employés ; 32 % des entreprises ayant appliqué des mesures durables évoquent ainsi la sensibilisation de leurs salariés comme l'une des initiatives déployées.
Par ailleurs, d'après une étude de Bpifrance de juin 2020, si 80 % des dirigeants de PME et ETI françaises disent avoir conscience de l'urgence climatique et 86 % se sentent concernés par les objectifs mondiaux de baisse des émissions carbone, peu intègrent cette donnée dans leur stratégie et seuls 13% déclarent pouvoir réduire leurs émissions de carbone de manière importante dans les 5 prochaines années. Surtout, beaucoup de chefs d'entreprise se sentent démunis. À l'occasion des consultations des CCI organisées en 2019, les entrepreneurs faisaient part de leurs appréhensions et de leur sentiment d'être « insuffisamment outillés » pour faire face à ces enjeux.
Pour prendre la mesure de l'impact du dérèglement climatique, les entreprises sont invitées à élaborer une cartographie des risques. Elle consiste à recenser les risques et à les synthétiser sur un document dans lequel ils seront placés en tenant compte de l'impact en cas de survenance du risque et de la fréquence de réalisation du risque43(*).
Depuis 2017, les grandes entreprises44(*) ont l'obligation d'établir un plan de vigilance45(*) de nature à identifier les risques liés à leur activité et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement. Depuis la transposition dans l'ordre interne de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) de 2022, ce rapport doit être inséré dans le rapport de durabilité qui doit être rédigé par les toutes les grandes entreprises à compter de l'exercice 2024.
Si un plan est incomplet, il peut être demandé en justice de le compléter. La première condamnation en justice d'une entreprise a été rendue en décembre 202346(*).
Souvent perçue comme « négative », la prise de risques est pourtant indispensable à la vie de l'entreprise et conditionne son développement. La gestion du risque correspond non pas à un exercice défensif, mais à un levier de création de valeur.
Or, seulement 1 % des PME et ETI ont une approche formalisée de la gestion des risques. C'est négligeable par rapport à des entreprises cotées en Bourse ou à celles du CAC 40, qui ont, presque toutes (95 % des entreprises du CAC 40 et 90 % du SBF 120), investi dans ce domaine. Le fossé est immense.
Pour accélérer la prise de conscience de l'utilité de cette analyse de risque, aider les entreprises à comprendre les menaces et à les anticiper, le MEDEF et l'Association pour le management des risques et des assurances de l'entreprise ont développé, en 2018, l'outil en ligne Macartodesrisques.fr? puis ont construit, fin 2023, un parcours de formation de trois jours.
Toutefois, le « dérisquage » (derisking) est essentiellement perçu comme la nécessité pour les entreprises de diversifier leurs sources d'approvisionnement compte-tenu de la montée des incertitudes géopolitiques. Il ne comporte pas encore de dimension environnementale.
Par ailleurs, les principaux instruments des stratégies climatiques européenne, nationale et locale sont inconnus des chefs d'entreprise.
La stratégie européenne « Fit for 55 » n'est connue que par 10 % des entreprises ; la stratégie nationale bas-carbone que par 16 % des entreprises ; la trajectoire de GES applicable à leur secteur à 19 % ; les plans climat air énergie territoriaux à 21 % ; les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires à 27 %.
Enfin, selon une enquête menée par OpinionWay pour CCI France publiée en janvier 2023, 3 dirigeants interrogés sur 4 considèrent que la transition écologique aura des impacts importants sur l'économie française d'ici 2025, mais moins d'un sur 2 pense que cela aura des répercussions majeures sur son entreprise. Ce résultat est à nuancer cependant en fonction de la taille de l'entreprise : près de 3/4 des dirigeants des structures comptant 10 salariés ou plus estiment que la transition écologique aura un impact important sur leur entreprise, contre 42 % dans celles de moins de 10 salariés.
Pour CCI France, « il ne fait aucun doute que la prise de conscience de l'impact du changement climatique est très largement partagée, mais sa traduction en termes d'actions à mener l'est beaucoup moins, et dépend de la taille de l'entreprise ».
Le Haut conseil pour le climat estime en revanche, dans son rapport 2024, que : « les entreprises françaises ne semblent pas encore s'être approprié les enjeux de l'adaptation et que l'orientation des capitaux vers le financement de l'adaptation nécessite de modifier les conditions économiques et de financements des entreprises pour déplacer les curseurs de la rentabilité. À l'exception de certaines entreprises dont le modèle d'affaires est climato-dépendant et qui ont conduit des stress tests climatiques de leurs activités (ex. gestionnaires de réseau d'eau, d'électricité ou de transport), la plupart des entreprises françaises ont une vision partielle des impacts du changement climatique sur leurs biens et leurs activités et de leurs besoins d'adaptation, très peu d'entre elles ayant conduit des diagnostics de vulnérabilités et des plans d'adaptation ».
De même, Carbone 4 estime que « les entreprises prennent graduellement conscience de la nouvelle palette de risques physiques qui caractérisent un monde plus chaud », mais que « certains extrêmes récemment constatés n'étaient pas escomptés si tôt »47(*). Le risque physique n'est pas bien intégré. Seul un tiers des entreprises de plus de 500 salariés semblent avoir déjà lancé des projets en lien avec l'adaptation au changement climatique. Même lorsque le risque est identifié et un diagnostic établi, il demeure peu ou mal gouverné48(*). Les entreprises qui dédient des moyens humains à l'appréhension des risques physiques sont l'exception.
L'association propose de déconstruire les idées reçues des dirigeants d'entreprises au moyen d'un argumentaire pédagogique :
L'horizon de matérialité des impacts climatiques est trop lointain. |
Le dérèglement du climat a déjà des impacts en cascade à toutes les étapes de la chaîne de valeur d'une entreprise. |
Nous n'encourons aucun risque réel. Nous sommes assurés. |
Plusieurs aléas, comme les aléas graduels, ne sont pas couverts par les contrats d'assurance. Les événements climatiques pourraient devenir à ce point récurrents qu'ils ne représentent plus un risque à proprement parler. Des assureurs font d'ores et déjà le choix d'une tierce voie : augmenter les prix en réduisant la couverture. L'assurance, par essence, ne peut couvrir les problèmes de discontinuité d'activité. |
Nous avons déjà des modèles de risques basés sur les tendances historiques. |
Les conséquences du réchauffement climatique croissent beaucoup plus vite que l'élévation de température, les tendances passées ne sont pas suffisantes pour présager des risques futurs. |
Les leviers d'actions ne sont pas à notre portée. Les pouvoirs publics feront le travail à notre place. |
Les entreprises ne doivent pas s'attendre à ce que l'État prenne en charge le coût des impacts du changement climatique sur leur activité. Si l'État se doit d'endosser le rôle de coordinateur et de fixer les grandes orientations, pour un acteur économique, un plan d'adaptation au changement climatique se réalise avant tout à l'échelle d'un site. |
Nous parviendrons toujours à nous adapter. |
Une analyse de risques physiques reste un exercice de prospective, et non de prévision. L'incertitude est donc inhérente à l'exercice, et l'imprévu adviendra. Dans le même temps, plus le réchauffement climatique sera important, plus il sera difficile de s'adapter, et plus les pertes et dommages seront importants. Ce qui apparait pourtant comme une quasi-certitude, c'est qu'il ne sera plus possible de s'adapter partout ni tout le temps |
La priorité du moment, c'est l'atténuation. |
S'adapter n'est pas renoncer à atténuer. En effet, il y a aura des impacts physiques et donc un besoin d'adaptation dans un monde à “seulement” +1.5°C et inversement, il y aura des efforts de transition dans un monde à +4°C de réchauffement. Les deux combats doivent être menés de front. |
Je suis bien informé car j'ai déjà étudié les risques sur mes actifs. |
Les analyses de risque conduites se limitent souvent à une étude des actifs détenus en propre par l'entreprise. Or, en regardant uniquement les actifs, de nombreux sujets sont éludés, comme de potentielles ruptures. Une compréhension fragmentaire de l'ampleur du sujet donne lieu à une perception minorée des risques physiques en entreprise. L'aléa climatique peut en effet s'exprimer sur toute la chaîne de valeur de l'entreprise. |
J'ai vu les cartes du GIEC ; cela me suffit à comprendre les risques auxquels je serai exposé. |
Les diagnostics réalisés se limitent souvent à une synthèse des projections climatiques dans la géographie d'intérêt. Or disposer d'une information sur l'évolution du climat dans le temps ne permet pas de conclure quant aux risques futurs encourus et donc les actions à mettre en place. |
Il n'existe pas de méthode standardisée, ou de métrique unique. Ce qui rend l'analyse impossible. |
Il n'existe pas une métrique unique permettant d'évaluer le niveau de résilience d'une entreprise (ou de préparation) à des perturbations climatiques futures. Il se mesure par le moyen de 3 métriques distinctes (exposition, vulnérabilité, aléas climatiques), qui doivent être étudiées conjointement pour aboutir à la notion de risque. Ces métriques peuvent être standardisées - comme au sein de la méthode OCARA - mais nécessitent d'être adaptées au système étudié pour estimer la gravité et la probabilité du risque. |
Les entreprises ont donc conscience de l'impact du dérèglement climatique, mais ne savent pas encore vraiment comment s'y adapter.
b) Une difficulté pour les TPE et PME à s'engager dans la transition climatique faute de politique publique appropriée
(1) 30 % de l'empreinte carbone de la France
Les PME et ETI françaises représentent entre 27 % et 32 % de l'empreinte carbone française totale. Il s'agit d'une estimation49(*) car il n'existe pas de mesure fiable de l'empreinte carbone sur les PME et ETI, préalable à toute politique publique les concernant.
En 2020 31 % des dirigeants affirmaient suivre les sujets climatiques au sein de leur entreprise, via soit un service dédié, soit une personne ayant d'autres responsabilités. En 2023, 67 % ont déclaré surveiller leurs enjeux environnementaux. De même, en 2020, 16 % de ces chefs d'entreprise avaient évalué les émissions carbones de leur société, contre 35 % en 2023.
Cette évolution positive, qui devrait encore s'intensifier dans les années à venir, reflète une profonde et rapide prise de conscience. Elle est cependant freinée par la difficulté, pour les PME-TPE et ETI, à s'engager dans une démarche opérationnelle de transition climatique.
Selon l'enquête de CCI France précitée, près de trois entreprises sur quatre déclaraient ne pas prévoir de réduire leur consommation d'énergie. Pour les 25 % ayant engagé des plans de décarbonation, les mesures mises en oeuvre consistent essentiellement en des plans de réduction de la consommation énergétique : vigilance renforcée sur le gaspillage d'énergie dans les bureaux, remplacement d'équipements (automobile, chauffage, informatique, machines-outils...).
La remise en question du modèle économique de l'entreprise ou la réduction de son activité font partie des mesures et solutions les moins citées (respectivement 21 % et 7 %).
Pour CCI France, « il est, cependant, désormais nécessaire de viser l'adaptation au changement climatique et non plus uniquement la réduction des émissions de GES, et il importe d'aller plus loin pour accompagner les entreprises qui se trouvent dans des secteurs à risques ».
Le besoin de sensibilisation et d'accompagnement doit être individualisé car « diffuser des guides et des informations via des plateformes numériques ne suffira pas pour que les PME s'engagent dans des démarches de transition si ces outils ne sont pas complétés par des accompagnements personnalisés assurés par des conseillers/experts ».
Plutôt que d'assujettir à des obligations de reporting « complexes, chronophages, et finalement coûteuses » pour les entreprises dont l'impact sur le climat est négligeable, le réseau plaide pour accentuer les démarches de sensibilisation et d'information à destination des TPE-PME pour que celles qui peuvent réduire significativement leurs émissions soient accompagnées, techniquement et, le cas échéant, financièrement. En effet, « les TPE-PME souffrent d'un déficit d'ingénierie et ne sont pas armées pour se saisir spontanément d'opportunités dont elles ignorent souvent l'existence. Elles ont besoin d'être informées et accompagnées pour pouvoir s'engager dans une démarche plus sobre et plus vertueuse. Des incitations financières pour encourager la réalisation de diagnostics ou des offres de formations adaptées pourraient utilement leur être proposées ».
(2) Le cas de la filière de la construction
L'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (UNICEM) et la Fédération française du Bâtiment (FFB)50(*) ont été entendues par vos rapporteurs le 9 avril 2024.
Peu auparavant, les 7 et 8 mars, s'était tenu le Forum mondial bâtiment et climat. Les parties prenantes se sont engagées51(*), dans la déclaration de Chaillot à « mettre en oeuvre des feuilles de route, des cadres réglementaires et des codes de la construction et de l'énergie contraignants afin de tendre vers des bâtiments plus neutres en carbone, ainsi qu'un cadre financier adapté avec des incitations financières, fiscales et des outils réglementaires afin d'augmenter la part des bâtiments résilients, quasi nuls en émissions de gaz à effets de serre, et accessibles ».
En effet, le secteur du bâtiment est responsable de 37 % des émissions mondiales de CO2, dont 9 % pour le seul ciment52(*), représente la moitié de l'utilisation des matières premières. En France, 43 % de la consommation énergétique lui est associée.
Les enjeux de décarbonation de cette filière sont considérables car « la moitié du bâti, en 2050, dans le monde n'existe pas encore »53(*). Ainsi, le ciment devrait représenter à lui seul 12 % des émissions de GES en 2050. Alors qu'auparavant, la construction de bâtiments était réalisée en « circuit court », en utilisant les matériaux locaux, la chaîne de production est aujourd'hui fragmentée. Le lieu où le matériau est extrait n'est plus celui où il sera utilisé pour construire. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050 la filière doit privilégier le réemploi (la rénovation des 85 % de bâtiments construits avant 2001 en Europe, plutôt que la destruction - reconstruction) et la biomasse, comme le bois ou le bambou. Or, actuellement, seuls 11 % des bâtiments européens sont rénovés chaque année et seulement 0,2 % de ces rénovations permettent de réduire les émissions de manière significative. De plus, une rénovation permettant de décarboner un bâtiment de manière significative peut entraîner une augmentation des dépenses d'investissement de 10 à 20 % (et parfois plus) par rapport à une rénovation classique.
Cependant, la France est moins concernée par cette déclaration que les pays émergents, en raison de la nouvelle règlementation énergétique et environnementale de l'ensemble de la construction neuve, « RE 2020 », « la France fait figure d'exemple et est souvent citée en référence dans les discussions européennes en matière de performance énergétique/environnementale des bâtiments » selon l'UNICEM et la FFB.
Les atouts de la RE 2020 pour la compétitivité de la filière
Cette réglementation constitue une rupture dans le mode de conception des bâtiments neufs. Depuis l'instauration des premières réglementations thermiques on ne s'intéressait qu'à la réduction des consommations d'énergies des bâtiments. Le but était jusqu'à présent d'isoler et de concevoir les bâtiments de telle sorte qu'ils soient sobres du point de vue de la consommation d'énergie. Désormais avec la RE 2020, au-delà de la sobriété énergétique, il s'agit concevoir des bâtiments qui soient sobres du point de vue des matériaux et équipements.
Au-delà du volet carbone, la RE 2020 remet également au centre la conception bioclimatique en renforçant les exigences en matière d'isolation, d'exposition et sobriété sur les besoins énergétiques.
Pour répondre au réchauffement climatique, la RE 2020 intègre également un nouvel indicateur sur le confort d'été. Cet indicateur a pour objectif de limiter les températures à l'intérieur des logements au cours des périodes estivales. Pour concevoir des bâtiments résilients au climat futur, la RE 2020 se base sur le scénario météorologique de la canicule de 2003 pour établir le seuil réglementaire. La FFB en lien avec l'association QUALITEL mène un projet d'étude visant à caractériser cet indicateur sur le volet calculatoire ainsi que le volet réel par le biais d'enquêtes sociologiques auprès d'habitants de logements soumis à la RE 2020. Cette étude a pour objectif d'évaluer la pertinence de cet indicateur et de ne pas retomber dans les travers de la RT201254(*) avec des bâtiments qui subissent des surchauffes lors des périodes estivales avec un indicateur réglementaire mal calibré.
La RE 2020 encourage l'utilisation de matériaux à faible impact environnemental et favorise le recours aux énergies renouvelables. De ce fait les normes de mise en oeuvre, notamment les NF DTU55(*), sont amenées à intégrer ces recommandations en soutien contractuel aux nouvelles exigences réglementaires sur les ouvrages par l'introduction progressive de matériaux biosourcés et de nouvelles techniques d'isolation ou de chauffage ayant prouvé leur aptitude technique.
Les normes NF DTU contribueront à cette transition en fournissant des références techniques actualisées et adaptées aux nouveaux défis environnementaux du secteur du bâtiment. En effet, la RE 2020 a permis d'enrichir les normes volontaires telles que les NF DTU en renforçant les exigences en matière de performance énergétique et environnementale, en favorisant l'utilisation de matériaux durables, et en contribuant à l'harmonisation des pratiques de fabrication des produits de construction et de dimensionnement des ouvrages (Eurodoes) au niveau européen.
La RE 2020 permet aux entreprises d'avoir une visibilité à moyen terme avec des seuils réglementaires qui seront évolutifs d'ici à 2031. Cela permet à l'ensemble de la filière de s'adapter et d'anticiper les futurs seuils pour assurer une transition entre les différentes étapes de construction sans encombre.
Source : réponse d'UNICEM-FFB à la délégation aux Entreprises
Depuis 2015, la filière s'est par ailleurs engagée dans de grands programmes56(*) visant l'atténuation du dérèglement climatique dont les axes principaux sont les suivants :
- La diminution de l'émission de CO2 dans la production du ciment : alors qu'une tonne de ciment émettait une tonne de CO2 en 1990, elle n'en n'émet plus que 500 kg.
La recherche de l'efficacité énergétique conduit à utiliser du ciment bas carbone, obtenu avec des températures de cuisson inférieures au clinker57(*) actuel et qui peuvent recourir à d'autres mécanismes de réaction (les géopolymères), voire des bétons à faible teneur en clinker (35-49%). Ces derniers sont déjà rentrés dans le cadre normatif européen et homologués en France depuis mai 2021 (NF EN 197-5). Ces bétons faiblement dosés peuvent être composés d'autres coproduits tels que les laitiers58(*) de hauts fourneaux, la fumée de silice, la pouzzolane, les cendres volantes, le schiste, le calcaire.
La substitution du clinker par du metakaolin issu d'argile calcinée ou du laitier de haut fourneau de la sidérurgie générerait jusqu'à, respectivement, -40 % et -70 % d'émissions de GES par rapport à un ciment classique. Cependant le laitier des hauts fourneaux peut être limité en quantité et nécessite énergie, eau et sable.
Des travaux sont en cours pour introduire dans le béton une nouvelle famille de ciments à base de matériaux de construction recyclés ou des matériaux biosourcés et géosourcés (bois et bois d'ingénierie, mais aussi paille, chanvre...). Ces ciments sont d'ores et déjà normalisés depuis juin 2023 et permettraient de réduire encore drastiquement leur empreinte carbone et de limiter l'épuisement des ressources naturelles. Ces nouveaux bétons impliquent tout de même des modifications dans la manière de construire nos bâtiments car la durée de prise de ces bétons (délais de durcissement) est rallongée par rapport aux béton classiques ce qui engendre des rallongements des délais de chantier.
Des innovations de rupture émergent, tel le remplacement de la phase de cuisson à très haute température, 1450°C, aussi appelée clinkérisation, pendant une durée très longue de 18 heures, par l'activation à froid de la matière par des actions chimiques entre des matériaux grâce à des activateurs spécifiques59(*). Hoffmann Green développe ainsi un ciment fabriqué sans cuisson et donc sans clinkerisation60(*) ; ce qui permet de diviser par 5 son impact carbone. Le site de production, sans four ni cheminée, ne produit pas de déchet, et est alimenté jusqu'à 50% via un parc de trackers solaires.
- La gestion de l'eau, bien qu'insuffisamment prise en compte par la RE 2020, sera prochainement prise en compte dans la performance environnementale des bâtiments.
En effet, les entreprises du bâtiment ont aussi un rôle important à jouer dans la bonne gestion de la ressource en eau, en réduisant leur consommation sur le chantier. Les métiers de la finition, tels que les peintres ont déjà commencé à mettre en place des solutions de réduction des consommations d'eau par le biais de machines fonctionnant avec des agro-solvant en circuit fermé et se contentant de quelques dizaines de litres d'eau par an. Des travaux sont également menés sur d'autres corps de métiers tels que l'isolation thermique par l'extérieur qui nécessite de consommer 2,2 litres d'eau par mètre carré pour nettoyer les supports. La filière a d'ores et déjà répertorié 38 produits destinés au nettoyage des façades sans eau.
- La filière signale61(*) en revanche des difficultés de mise en oeuvre de la REP PMCB - responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du bâtiment -, ou plus simplement REP Bâtiment, entrée en vigueur en 2023.
Malgré une contribution financière, « le dispositif mis en place ne répond toujours pas aux enjeux et aux objectifs » : le maillage territorial est réparti inéquitablement, même s'il progresse, avec des zones blanches dans les territoires ruraux ; l'obligation de payer l'éco contribution, malgré l'absence de contrepartie sous la forme d'une solution de reprise sans frais, conduit à payer une prestation qui n'existe pas ; le volume minimum de reprise sur chantier de 50 m² est trop important pour au moins 80 % des entreprises, principalement celle exerçant une mono activité ; les consignes de tri ne sont pas harmonisées et des centres de traitement refusent des déchets différents, mais triés arrivant sur le plateau d'un seul camion, obligeant les entreprises à faire autant de trajets que de type de déchets ; le dispositif administratif et numérique que l'entreprise doit renseigner en amont de son arrivée dans les points de collecte n'est pas harmonisé, chaque éco-organisme imposant aux plateformes sa procédure et ses modes opératoires.
Enfin, la filière regrette que le marché de la rénovation peine à décoller et que le basculement tant espéré entre neuf et la rénovation de s'opère pas.
(3) Le cas de la filière du transport maritime62(*)
Vos rapporteurs se sont rendus à Marseille le 31 mai 2024 pour des entretiens à la CMA-CGM63(*) et au Grand Port de Marseille Méditerranée (GPMM).
Le secteur maritime pèse près de 3 % des émissions de GES selon l'Organisation maritime internationale.
Le transport maritime est extrêmement polluant car il utilise massivement du fioul lourd, qui émet à la fois du CO2, mais aussi d'autres GES. Les navires relâchent également des particules de soufre dangereuses pour la santé. Comme le secteur aérien, il ne dispose pas aujourd'hui d'une trajectoire crédible pour réduire ses émissions de GES massivement. Le secteur maritime est en pleine croissance : les navires transportent aujourd'hui 11 milliards de tonnes chaque année, contre 4 milliards dans les années 1990. Un tiers de ces marchandises concerne des produits énergétiques : pétrole, gaz et charbon. Si cette tendance se poursuit, en 2050, le transport maritime pourrait représenter 17 % des émissions de GES au niveau mondial.
L'intensité carbone d'un conteneur a été divisé par deux depuis 2008 en raison de l'augmentation de la taille des navires.
En 2018, l'Organisation maritime internationale a publié de premiers engagements visant à réduire de 50 % les émissions d'ici à 2050, sans préciser clairement comment y parvenir. Ces objectifs doivent être redéfinis d'ici 2028.
Ce secteur entend remplacer le fioul lourd par d'autres carburants. Une partie des armateurs, comme CMA-CGM, misent sur le gaz naturel liquéfié (GNL), mais l'augmentation des prix du gaz depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie rend plus difficile la poursuite de cette stratégie. D'autres acteurs misent sur des carburants dits « de synthèse » : de l'hydrogène produit à partir d'électricité renouvelable, de l'ammoniac ou des agrocarburants non alimentaires. Mais produire ces carburants est pour l'instant onéreux, compte tenu de la faible demande. Ensuite, il faudrait changer la motorisation ou utiliser de nouveaux navires qui ne sont pas encore disponibles. Ces carburants seront aussi sollicités par d'autres secteurs - l'aviation, le transport routier, par exemple - qui cherchent également à se décarboner.
D'autres solutions existent, comme le fait d'ajouter un moteur électrique pour une partie des trajets, ou d'ajouter une voile sur certains navires, comme le fait Louis Dreyfus Armateurs. Sur certains trajets, ces solutions permettent d'économiser 20 % de carburant. Ainsi, certaines entreprises tentent de se lancer sur le marché du transport à la voile, comme en atteste un salon qui s'est tenu à Saint-Nazaire en juin 2023 sur le sujet. Toutefois, ces solutions concernent des volumes limités.
Comme le secteur aérien, le transport maritime n'évoque pas la question de la baisse du trafic, pourtant identifiée par les scientifiques du GIEC dans leur dernier rapport comme la solution la plus efficace à la baisse des GES.
CMA-CGM : une gestion en temps réel de la flotte source d'efficacité énergétique Créé en 1978 par Jacques Saadé qui possédait alors un bateau et employait 4 collaborateurs, le groupe CMA-CGM est issu de la fusion en 1996 de la Compagnie maritime d'affrètement (CMA) et de la Compagnie générale maritime (CGM), elle-même héritière de la Compagnie générale transatlantique et des Messageries maritimes. C'est un opérateur mondial qui gère une flotte de 566 navires, assure 257 services maritimes et escales dans 160 pays et 420 ports, sur les 521 ports commerciaux existants dans le monde. Il s'est récemment diversifié dans le transport aérien, en acquérant des Airbus A350F qui consomment 20 % de moins de carburant. Il emploie 160 000 salariés dont 13 000 marins. Il fait partie des 5 premières entreprises mondiale de fret maritime. Son empreinte carbone totale est évaluée à 37,9 millions de tonnes. Sa stratégie de décarbonation et la réduction de 30 % d'émissions de GES d'ici 2030 et de 80 % d'ici 2040. Elle repose sur deux piliers : - Réduire la consommation d'énergie grâce à l'excellence opérationnelle et à l'optimisation des actifs. La délégation a pu ainsi se rendre au « fleet center » de la compagnie qui gère en temps réel la trajectoire de chacun de ses 900 navires en fonction des conditions de sécurité météorologique et de piraterie. Aidé par l'intelligence artificielle64(*), cette gestion permet d'économiser 400 000 tonnes de fuel annuel et de réduire entre de 12 à 14 % les émissions de GES. - Utiliser des énergies moins carbonées en augmentant la part des énergies bas carbone dans le mix énergétique, à la fois par l'acquisition d'actifs adaptés et le développement de filières de production durables. Le groupe a engagé des investissements massifs, sachant qu'une ligne maritime nécessite 12 navires représentant au total 2 milliards d'investissements. D'ici 2028, 119 navires sur 600 environ fonctionneront avec du biogaz et du méthanol. Outre un coût quadruple par rapport au fuel lourd, se pose la question du conflit des usages, les carburants alternatifs étant l'objet d'une vive concurrence. Depuis septembre 2022, le fonds énergies PULSE, doté d'1,5 milliard d'euros à déployer sur 5 ans, a soutenu 40 projets (dont du carburant ammoniaqué et le moteur à hydrogène) aux côtés de grands groupes, de start-ups innovantes et de fonds d'investissement, en vue d'accélérer la transition énergétique du groupe et de l'ensemble du secteur du transport et de la logistique. Par ailleurs, le groupe a décidé d'arrêter de transporter du plastique à bord de ses navires. |
Les rapporteurs se sont ensuite rendus au Grand Port de Marseille Méditerranée (GPMM) : il a reçu 72 millions de tonnes en 2023, dont 45 de vrac liquides représentant 60 % du trafic maritime. Il occupe un site de 400 ha à Marseille et 10 000 ha à Fos-sur-Mer. Il emploie 42 600 salariés dont 1050 dans le secteur public et sa chaîne de valeur compte 1570 entreprises.
Le site de Marseille est le seul de la Méditerranée à proposer une connexion électrique des navires à quai (CENAQ) qui permet d'améliorer considérablement la qualité de l'air et contribue à l'augmentation significative de l'accueil des grands paquebots de croisière. Le port a par ailleurs installé des panneaux photovoltaïques sur les toitures des entrepôts.
Le site de Fos accueille, pour sa part, de nombreuses entreprises de la « greentech » : H2V qui produit de l'hydrogène vert et du e-carburant, ELYS qui produit des carburants alternatifs pour alimenter 40 navires, GRAVITY qui propose la réduction électrique du minerai de fer, CARBON entreprise de panneaux photovoltaïques, SAF produisant du carburant durable pour l'aviation et AO6, un projet de parc éolien flottant en Méditerranée.
La mise à niveau des infrastructures de communication, routière et ferroviaire, comme le déploiement d'une ligne de très haute tension à 400 000 volts entre Fos-sur-Mer et Jonquières-Saint-Vincent65(*), sont indispensables au développement de ce « hub » de la décarbonation.
3. Un impact qui interroge le modèle économique et suscite la mobilisation des réseaux d'entreprises
a) Un dérèglement climatique qui interroge le modèle économique
Certains experts auditionnés par vos rapporteurs ont évoqué des scénarios conduisant à une remise en cause des modèles économiques classiques, qui ont partagé les rapporteurs.
Pour M. Philippe Dessertine, professeur à l'Institut des administrations des entreprises de l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne, directeur de l'Institut de haute finance à Paris et président de l'association « Comité 21 », auditionné par la délégation aux Entreprises le 25 janvier 2024 : « le dérèglement climatique, qui a aussi une dimension économique. Le modèle économique mondial que nous utilisons ne fonctionne pas pour huit milliards de personnes - il ne fonctionnait pas, déjà, pour six ou sept milliards de personnes. Ce modèle a dérivé du modèle industriel, créé il y a environ deux siècles et demi. Il est condamné. Il doit être bouleversé. À mon sens, ce changement doit être profond et rapide. C'est la raison pour laquelle je n'aime pas la notion de « transition ». L'urgence climatique nous oblige ».
Auditionné par les rapporteurs le 21 mai, le président de l'association du Collège des directeurs du développement durable (C3D), Fabrice Bonnifet, par ailleurs directeur de la stratégie RSE du groupe Bouygues, a également appelé à changer de paradigme économique.
Pour ce dernier, « aucune entreprise au monde ne peut suivre sa trajectoire de décarbonation car il faut réduire de 10% l'an quelle que soit sa croissance (si elle est de 3%, il faut baisser de 13% les GES). Beaucoup d'entreprises vont mourir si elles ne changent pas rapidement ». Il a récusé à la fois le discours de la « croissance verte » « un mensonge alors qu'il faut parler de décroissance et arrêter de mesurer la performance d'une entreprise en croissance ou en gain d'argent », et celui de la géo-ingénierie qui « ne fera que nous précipiter encore un peu plus vite vers le chaos climatique, ne serait-ce que parce que cela nous incitera à cesser d'atténuer nos émissions ». Ainsi : « vouloir tout climatiser va rendre les villes encore plus invivables pour ceux qui ne pourront pas y avoir accès et sera interdit à terme car cela augmente le réchauffement des villes ».
Abandonner la ressource fossile pour passer au tout électrique serait également « une illusion » car les énergies renouvelables vont avoir besoin de 10 fois plus de métaux critiques nécessitant « d'extraire dans les 25 prochaines années autant de métaux que depuis Antiquité, ce qui est impossible ». Les tensions sur les prix sont phénoménales : le prix du cuivre a, par exemple, fortement évolué depuis le début des années 2000 , comme l'indique le graphique ci-après :
Source : prix-du-cuivre.fr
« La transition climatique, ce n'est pas garder le mode de vie sans rien changer. Il faudra des modèles d'affaires différents avec l'économie régénérative, développer le réemploi et les matériaux comme un service (bâtiment dont l'utilisateur n'est pas propriétaire des équipements) avec une haute intensité d'usage pour combattre l'actuelle mauvaise allocation des ressources : on utilise une voiture 4 % de son temps ; 17 % des logements en permanence vides ».
Le 31 janvier 2024, il déclarait qu'il était « plus que jamais urgent de s'attaquer aux racines profondes de la crise écologique et sociale, plutôt qu'à ses symptômes. Nous avons passé bien trop de temps à essayer de trouver des artefacts pour atténuer les conséquences de notre aveuglement, à croire que l'on pouvait substituer le “sale” par du “pseudo-propre” dans une approche phasiste du “progrès”, mais l'implacabilité des faits démontre que les impacts négatifs ne diminuent pas. Nous ne remplaçons rien, nous continuons d'empiler les sources énergétiques et de déplacer les pollutions ailleurs. Six limites planétaires sur neuf sont déjà dépassées, la crispation sociale est au plus haut, les dettes explosent... Et on constate chaque jour à quel point nos prétendues solutions miracles ne résoudront rien à l'échelle du problème ».
Il a évoqué des nouveaux modèles d'affaires innovants, en repensant les activités et modes de production des entreprises, mais aussi à l'adaptation, afin de réduire l'impact négatif, de générer un impact positif, tout en demeurant rentable :
- L'entreprise contributive, dont le modèle d'affaires repose sur le partage, la réparation, la réutilisation permettant ainsi de préserver les ressources et de favoriser un mode de consommation soutenable.
- L'économie circulaire, qui vise à maximiser l'utilisation des ressources et à minimiser les déchets, en favorisant la réutilisation, la réparation, le recyclage et la régénération des matériaux et des produits. Elle s'oppose ainsi au modèle économique linéaire traditionnel qui consiste à extraire des matières premières, à produire des biens, à les consommer et à les jeter. Elle repose sur trois principes fondamentaux : la conception de produits durables et réutilisables, la réutilisation et le recyclage des matières premières et des produits en fin de vie, et l'optimisation de l'utilisation des ressources naturelles. Elle implique une collaboration entre les différents acteurs de la chaîne de valeur, de la conception des produits à la gestion des déchets, en passant par la production, la distribution et la consommation.
- L'économie de la fonctionnalité, quant à elle, se base non plus sur la vente d'un produit, mais sur la vente de son usage. Ce modèle économique dépasse la notion de priorité et se reconnecte au besoin du consommateur en lui fournissant des solutions durables. Les entreprises cherchent alors à maximiser la valeur pour le client tout en minimisant leur impact environnemental et en optimisant l'utilisation des ressources. L'économie de la fonctionnalité peut également être bénéfique pour les entreprises, qui peuvent réduire leurs coûts en optimisant l'utilisation des ressources et en améliorant leur efficacité opérationnelle.
- L'économie collaborative, également appelée économie du partage, est un modèle économique qui permet à des individus ou des entreprises de partager des biens, des services ou des connaissances avec d'autres personnes, avec ou sans échanges monétaires, souvent à travers une plateforme en ligne. Les ressources sont alors utilisées de manière plus efficace car plusieurs personnes peuvent utiliser le même bien ou service. L'économie collaborative peut prendre de nombreuses formes, telles que le covoiturage, la location de logements ou d'objets, le partage de compétences ou de connaissances, ou encore le financement participatif.
Pour Fabrice Bonnifet, « ces modèles ont pour objectif central de redéfinir ce qui a de la valeur et permettent de valoriser des modes de consommation environnementalement, socialement et économiquement vertueux. C'est à l'entreprise d'amorcer cette transition vers de nouvelles offres et au consommateur de s'emparer de ces opportunités de consommer moins, mais mieux ».
b) La mobilisation des réseaux d'entrepreneurs
Lors d'un déplacement à Nantes, puis Vannes, vos rapporteurs ont rencontré, les 4 et 5 avril de nombreux chefs d'entreprises appartenant à des réseaux d'entrepreneurs sensibilisés et mobilisés en faveur de la transition climatique, à l'occasion du « Jour E » organisé par Bpifrance et consacré aux solutions opérationnelles offertes aux entreprises pour entrer en transition climatique.
Ces échanges se sont poursuivis à l'occasion d'une audition, le 28 mai, du Mouvement Impact France, représenté par Mme Caroline Neyron, directrice générale du Comité 21, représenté par M. Philippe Dessertine, de la Convention des Entreprises pour le climat (CEC), représentée par MM. Éric Duverger, fondateur de la CEC et Grégoire Fraty, conseiller spécial de la CEC, et du Collège des directeurs du développement durable (C3D), représenté par son président, M. Fabrice Bonnifet.
Le Mouvement Impact France, qui se définit comme le « premier réseau lobbying et business des acteurs économiques à impact social et écologique » réunit depuis dix ans « une communauté de pionniers qui ont démontré qu'un autre modèle est possible », car « l'urgence sociale et écologique nous appelle à changer de modèle pour répondre aux besoins de tous et toutes, pour faire mieux avec moins. Entrepreneurs, nous pensons que le succès de la transition écologique et sociale repose sur un nouveau type d'entreprises qui se développent, en préservant le capital écologique et social de l'humanité ». Ce réseau considère que les entreprises pouvaient grandir :
- en revendiquant un rôle sociétal dans son coeur de métier, en interne vis-à-vis de ses salariés et en externe avec des services et produits inclusifs ;
- en engageant une véritable transition en matière d'éco-consommation et d'éco-conduite, dans l'entreprise et auprès de ses parties prenantes ;
- en partageant la valeur, avec une stratégie financière éthique, fondée sur des modes de gestions équitables et transparents (transparence des écarts de rémunération, échelle de rémunération proportionnée, partage de la valeur avec les fournisseurs et les salariés) ;
- en partageant le pouvoir, en instaurant un principe de gouvernance éthique avec une transparence décisionnelle, une parité de genre et de hiérarchie dans les instances de décision et l'intégration de l'entreprise dans son écosystème territorial.
Le réseau d'entrepreneurs à impact social et écologique entend démontrer que « l'efficacité économique peut se conjuguer avec justice sociale et transition écologique » et qu'ainsi, les entreprises pourront répondre aux aspirations de la jeunesse et attirer les jeunes talents, pourront renouer avec la confiance des consommateurs, et pourront investir de nouveaux marchés.
Le Comité 21 se présente comme « le plus grand réseau français des acteurs du développement durable », qui fédère depuis 1995 les acteurs du développement durable en France. Il regroupe à la fois des collectivités locales, des entreprises, des associations, des établissements d'enseignements supérieurs et des citoyens qui « veulent avoir un impact positif sur la société » en la transformant vers un modèle durable en s'appuyant sur l'Agenda 2030 et les 17 Objectifs mondiaux du Développement Durable (ODD).
La Convention des Entreprises pour le Climat (CEC), créée en décembre 2020, est une association d'intérêt général dont la vocation est d'organiser des parcours de prise de conscience et de transformation pour décideurs économiques. Elle entend « rendre irrésistible la bascule de l'économie extractive vers l'économie régénérative avant 2030 » (même si « toutes les entreprises ne deviendront pas régénératives avant 2030 »), en promouvant « un modèle d'affaires allant au-delà de la réduction d'impact ou même du "net zéro” pour viser la régénération des écosystèmes en s'appuyant sur des formes nouvelles et élargies de coopérations entre acteurs d'un même territoire ».
Elle propose dans cet objectif un programme qui vise à accélérer la transition écologique des entreprises en formant des chefs d'entreprise afin de leur faire « prendre conscience de l'urgence climatique et écologique », « d'assimiler les connaissances nécessaires sur les enjeux », « d'élaborer une feuille de route pour transformer son entreprise dans le sens d'un modèle régénératif66(*), respectueux du vivant ».
Les rapporteurs se sont déplacés à Vannes sur le site de l'entreprise « Les bottes d'Anémone », fleuriste éco-responsable qui s'approvisionne en circuit court, « générant ainsi 11 fois moins d'émissions de GES qu'un bouquet traditionnel ». Tiphaine Turluche, sa fondatrice a ainsi estimé qu'il est « essentiel de ne pas créer une claque climatique, qui permet de prendre conscience de l'immensité et de l'imminence de ce qui arrive et de la nécessité de bifurquer, sans l'accompagner d'une démarche encourageant les dirigeants vers l'action et la transition climatique de leur entreprise ».
Les entreprises regroupées au sein de la Convention des entreprises pour le climat imposent la réalisation d'un BEGES de scope 367(*) pour les entreprises de plus de 50 salariés, conditionnent les rémunérations des dirigeants à la réussite de critères environnementaux, favorisent les mobilités les moins polluantes en entreprise, accélèrent la rénovation énergétique des bâtiments d'entreprise.
Pour son fondateur, Éric Duverger : « 450 contributeurs bénévoles de la convention accompagnent les 2000 entreprises représentant 80 milliards de chiffre d'affaires dans un Parcours de transformation et de réinvention de leur business model pour feuille de route de l'économie régénérative, faite de modèles d'affaires allant au-delà de la réduction d'impact ou même du "net zéro” pour viser la régénération des écosystèmes en s'appuyant sur des formes nouvelles et élargies de coopérations entre acteurs d'un même territoire ». Il estime ainsi que « la transition climatique n'est pas encore engagée car sous information des dirigeants d'entreprise ne sont pas tous conscients des limites planétaires et de leur dépassement ou du caractère systémique de la crise qui invite à changer le modèle économique actuel (qui raisonne en activité en augmentation de volume et en linéaire) avec seulement 7 % d'économie circulaire actuellement », selon son intervention lors de la table-ronde du 28 mai.
Enfin, la Communauté du Coq Vert, rencontrée à Nantes lors du « Jour E » qui proposait une série de masterclass traitant de thématiques techniques liées à la transition énergétique et écologique, est une communauté de dirigeants et de dirigeantes convaincus de la nécessité d'agir et déjà engagés dans la transition écologique et énergétique. Lancée par Bpifrance, en partenariat avec l'ADEME et le ministère de la Transition écologique, ce réseau a vocation à favoriser le partage d'expertise entre entrepreneurs engagés. Ainsi, sa publication « Climat cherche patrons militants », coécrit par 36 entrepreneurs engagés dans la transition écologique et énergétique, met en lumière les témoignages d'entrepreneurs et d'acteurs économiques et institutionnels dont le point commun est l'engagement pour le climat.
Ces réseaux d'acteurs sont essentiels car ils permettent de mobiliser les dirigeants d'entreprise dont l'implication est le préalable à la modification du business model et à la décarbonation. L'effort est parfois conséquent. Jean-Paul Chapron, président du conseil de Surveillance d'ASI68(*) et représentant de la Convention des entreprises pour le climat, a cité ainsi le cas de l'entreprise Mustela qui arrêtera en 2027 la production et la commercialisation de lingettes jetables représentant 20 % de son chiffre d'affaires afin de prendre en compte des impacts négatifs d'un produit qui génère un déchet à usage unique bouchant les canalisations, et des microparticules se retrouvant dans les océans et les écosystèmes69(*).
II. LA TRANSITION CLIMATIQUE CRÉÉ ÉGALEMENT DES OPPORTUNITÉS POUR LES ENTREPRISES
A. UN LEVIER DE LA CROISSANCE DU XXIÈME SIÈCLE
1. Une nouvelle course aux avantages concurrentiels
Les contraintes imposées par la transition climatique constituent également des opportunités économiques et industrielles.
a) Décarboner : un marché de 1 800 milliards
Le marché de la décarbonation est considérable. Une course technologique et commerciale pour conquérir des avantages concurrentiels et prendre place sur ce marché s'est engagée dans le monde :
« Les plans de transition nationaux tels que le Green Deal européen, le quatorzième plan quinquennal chinois, la loi indienne sur la conservation de l'énergie, la stratégie de croissance verte du Japon et, plus récemment, la loi américaine sur la réduction de l'inflation sont en train d'être transformés en stratégies industrielles » selon un think-tank européen70(*).
Selon les relevés de Bloomberg, les investissements mondiaux directement liés à la transition énergétique71(*) progressaient déjà à un rythme soutenu au cours de la décennie 2010. Ils étaient de 200 milliards de dollars en 2010. Ils ont atteint 400 milliards en 2015, et près de 600 milliards en 2019. Les années 2020 marquent une forte accélération. Le flux annuel d'investissement serait selon la même source, en élargissant le périmètre, passé à 1 200 milliards en 2021 et à 1 800 milliards en 2023. Il serait appelé à tripler d'ici 2030 soit un total de 5 400 milliards de dollars.
La dynamique se poursuit sous l'effet des efforts mondiaux de décarbonation que l'Agence Internationale de l'Énergie, dans son scénario Net Zéro 2050, évalue à 4 200 milliards $ par an en moyenne d'ici 2030. Ce montant cohérent avec l'évaluation du scénario Net Zéro de Bloomberg, qui l'estime de son côté à 4 800 milliards $ d'ici 2030.
La croissance des investissements mondiaux de décarbonation devrait être particulièrement vive d'ici 2030, de l'ordre de 16 % par an, avant de ralentir de 2030 à 2050.
La France dispose de dispositifs de recherche très avancés dans le domaine de la transition climatique, mais connait des difficultés à voir émerger des filières industrielles compétitives. Elle souffre d'échanges extérieurs structurellement déficitaires, d'un fort déficit public et d'une désindustrialisation ayant entraîné un niveau relativement faible de l'investissement productif dans l'industrie manufacturière. REXECODE estime donc72(*) que « l'objectif est de réussir la décarbonation, mais aussi de corriger les faiblesses françaises d'une croissance médiocre et d'une compétitivité insuffisante qui limitent les marges d'action et les capacités d'investissement. L'axe stratégique central est de mettre en oeuvre une « politique de l'offre pour le climat », en faisant de la décarbonation un levier d'innovation et de croissance ». L'effort public devrait donc être « focalisé sur les innovations énergétiques et industrielles susceptibles d'être exportées et utilisées dans d'autres pays du monde ». L'institut juge par ailleurs que l'effort financier public pour éviter des émissions de CO2 « n'est pas optimal ». Pour financer la transition climatique, il propose de mobiliser l'épargne avec la création de fonds d'investissement à capital garanti destinés à l'épargne moyenne73(*).
b) Capter les métaux critiques : un enjeu de souveraineté
Par ailleurs, la sortie des énergies fossiles va bouleverser les problématiques d'accès des entreprises aux ressources au niveau international, les métaux se substituant au pétrole.
Le XXe siècle était pétrolier, le XXIe siècle sera métallique74(*).
Dans son dernier rapport de mai 2024, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a calculé que, pour atteindre l'objectif de zéro émission nette de CO2 d'ici à 2050, la consommation de lithium devra être multipliée par neuf d'ici à 2040, celle de graphite par quatre et celle de cobalt, de nickel et de terres rares par deux. « Sans lithium, graphite ou nickel, impossible de fabriquer des batteries et donc de produire des véhicules électriques. La Chine l'a deviné avant tout le monde. Elle raffine aujourd'hui 60 % de tous les métaux utilisés dans les batteries des véhicules électriques »75(*).
Le marché des minerais critiques, aujourd'hui évalué à 325 milliards de dollars, devrait doubler d'ici à 2040. Selon la Banque de France76(*), la consommation des 27 matériaux importants pour atteindre la neutralité climatique devrait être multipliée par 7 d'ici 2050, en passant de 4,7 millions de tonnes en 2021 à 32,8 millions en 2040. « Ces déséquilibres potentiels entre offre et demande pourraient être source de vulnérabilités macro financières. Ils pourraient d'abord générer des disruptions importantes dans les chaînes de valeur mondiales. La forte volatilité observée récemment sur le prix de certaines matières premières pourrait ainsi n'être qu'un aperçu de tensions plus structurelles à venir. Celles-ci pourraient avoir des impacts particulièrement négatifs pour des économies comme celles de l'Union européenne, qui n'ont de position dominante ni dans l'extraction et le raffinage de ces matières premières, ni dans leur intégration dans les nouvelles technologies de la transition ».
Comme « la France et l'Europe n'ont pas de vastes ressources minières (même si on exploitait au maximum tous les projets en cours, on ne réussirait à couvrir qu'environ 20 % des besoins européens »77(*)), elles cherchent à tisser des partenariats économiques et politiques avec des pays producteurs pour sécuriser leurs filières d'approvisionnement.
Pour la direction générale du Trésor78(*), une réindustrialisation circulaire des matériaux importés de notre dépendance serait réduite de 76 % en 2050 si le réemploi et le recyclage étaient développés. Sans l'économie circulaire, un scénario pessimiste chiffre le coût à 6 milliards d'euros supplémentaires le coût de l'importation de ces minerais critiques.
2. Un nouvel enjeu : la compétitivité carbone
Le choc de la transition écologique risque d'être du même ordre de grandeur que le choc de l'ouverture du commerce international à la Chine qui a provoqué des délocalisations massives.
En effet, les efforts de décarbonation de l'économie française ne se font pas dans une économie fermée.
D'une part, le rythme de ces efforts, ainsi qu'un certain nombre de modalités - comme le marché de quotas d'émission pour les industries hautement émissives -, sont déterminés au niveau européen. Dès lors, prendre en compte les interactions entre politiques climatiques au niveau international est une nécessité s'imposant à la conception, l'évaluation et la modélisation de la macroéconomie du climat.
Le volet « Compétitivité » du rapport réalisé pour France Stratégie en mai 2023 « Les incidences économiques de l'action pour le climat », rédigé par Lionel Fontagné, entendu par vos rapporteurs le 6 mars, a analysé les conditions de cette nouvelle compétitivité.
En dépit d'éléments communs, les politiques climatiques nationales sont hétérogènes, qu'il s'agisse de leur ambition - à savoir le niveau de leurs engagements en termes de décarbonation - ou des politiques (prix, réglementations, subventions) mises en oeuvre. En raison des difficultés inhérentes à la comparaison des efforts au niveau international, il est illusoire de tenter de réduire les effets de cette hétérogénéité à une métrique commune de l'effort de chaque pays, qui serait un équivalent prix des mesures réglementaires ou incitatives mises en place pour décarboner l'économie. Une conséquence directe de cette diversité est l'existence de fortes différences de prix du carbone au niveau international, ou de distorsions de concurrence.
Dans l'hypothèse où les politiques nationales viseraient le même objectif de réduction des émissions, mais en faisant appel à des instruments différents, il y aurait des distorsions de concurrence.
Dans l'hypothèse où les politiques nationales feraient appel aux mêmes instruments (en particulier à un prix du carbone, qui cependant pourrait différer), il y aurait une réallocation de la production des industries fortement émissives vers les régions moins-disantes. Comme le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz l'a rappelé en 200679(*), les États taxant moins, ou pas, le carbone, ils subventionnent de facto leurs industries fortement émissives.
Les émissions seraient dès lors simplement déplacées des pays les plus ambitieux vers les moins ambitieux avec des « fuites de carbone ». Mais alors que les distorsions de concurrence, s'agissant de subventions, relèvent des instruments de défense commerciale prévus par les disciplines multilatérales, le moindre effort de décarbonation d'un pays, s'apparentant lui aussi à une subvention, est en réalité inattaquable dans le cadre des règles multilatérales du commerce. On doit alors s'appuyer sur des instruments permettant de limiter les fuites, en capitalisant sur les possibles exceptions environnementales aux règles du commerce international.
Pour l'auteur, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui vise à réduire les fuites de carbone, ne saurait les éliminer complètement, même s'il les réduit de 40 % par rapport au système actuel d'allocation gratuite de quotas d'émission aux secteurs énergo-intensifs exposés à la concurrence internationale : « Le MACF est par nature un instrument imparfait, parce qu'il ne corrige que les différences de prix du carbone dans certains secteurs très énergo-intensifs et ne porte que sur les importations ».
Les modèles prédictifs ont besoin :
- d'une dimension multinationale, dans la mesure où les émissions et leur déplacement sont un problème global ;
- d'une dimension sectorielle, étant donné que les émissions, ou encore les marchés du carbone, sont avant tout sectoriels ;
- d'une dimension dynamique dans le cadre d'une économie mondiale en croissance dont le centre de gravité se déplace vers l'Asie.
Il faut trouver le bon équilibre car, comme le souligne le président de France Industrie80(*), M. Alexandre Saubot : « décarboner ne doit pas se traduire par un déplacement de la production en dehors de France ou d'Europe » 81(*), dans des pays qui produiront dans un cadre énergétique et règlementaire moins favorable à la lutte contre le dérèglement climatique, ce qui se traduirait, in fine, par une augmentation des émissions de CO2.
3. Un nouvel eldorado, la greentech ?
La greentech, qu'on appelle aussi ecotech ou encore cleantech, regroupe les startups et PME qui offrent des solutions innovantes permettant de lutter - directement ou indirectement - contre le dérèglement climatique, en diminuant les GES, les pollutions de l'eau, de l'air et du sol, et en contribuant à la préservation des matières premières et ressources naturelles.
Dans son étude présentée le 4 avril lors du Jour E à Nantes, en présence de vos rapporteurs, Bpifrance a dénombré plus de 2 750 entreprises à fin 2023. Par rapport à 2022, 690 entreprises supplémentaires ont été identifiées (dont 101 identifiées dès leur création en 2023, 177 créées en 2022 et 412 créées avant 2022) et 100 ont été retirées de l'index (en difficultés financières ou rachetées). En 2021, ces entreprises n'étaient que 1 800.
La répartition sectorielle a légèrement changé au profit de la protection des écosystèmes et transition environnementale (29 %) puis 19 % dans les nouvelles énergies, 18 % dans le verdissement de l'industrie, 14 % dans la mobilité propre, 12 % dans le verdissement de l'agriculture et agroalimentaire et 7 % dans la construction durable. De nombreuses entreprises proviennent de la Deeptech82(*) (18 %) et ont des enjeux industriels (42 %).
Les Greentech créent des emplois rapidement (39 000 emplois créés au total par les entreprises de moins de 12 ans, soit 19 emplois en moyenne par entreprise). Elles génèrent un chiffre d'affaires important qui croît beaucoup après 5 ans : 813 millions d'euros de CA en cumulé pour les Greentech de moins de 5 ans et 4,3 milliards d'euros pour celles de moins de 12 ans.
Les Greentech françaises bénéficient de financements publics et privés croissants.
Offrant un effet de levier sur le privé, Bpifrance a déployé pour les Greentech, dans le cadre de France 2030 et de son plan Climat, plus de 2,89 milliards de financement (+36 % par rapport à 2022), 288,6 millions d'investissement direct (+73 %), 150 millions d'investissement indirect (+15 %) et 143 missions d'accompagnement (+18 %).
En parallèle, les levées de fonds ont augmenté de 9 % en 2023 pour atteindre le montant record de 2,78 milliards d'euros, soit 33 % des levées de fonds françaises, ce qui en fait désormais le premier secteur attirant le plus les investisseurs. Les levées supérieures à 100 millions (Ynsect, Accenta, Mylight 150 et surtout Verkor83(*) avec sa levée de 850 millions) expliquent notamment cette accélération. 2,4 milliards (86% du total) ont été levés par des Greentech industrielles et 1,9 milliards (69% du total) par des Deeptech.
La France est le deuxième pays d'Europe en termes d'investissement en capital risque dans les Greentech, derrière la Grande-Bretagne. Ce résultat est d'autant plus remarquable qu'on note une nette baisse du capital-risque dans le monde en 2023 à la suite de celle que connaît l'Amérique du Nord (59 %), mais qui est moindre en Europe (5 %).
La politique publique accompagnant ces entreprises comporte :
- l'initiative Greentech Innovation, qui vise à détecter et accompagner les start-up et PME « porteuses de solutions innovantes, capables d'accélérer la transition écologique » et comporte 272 entreprises couvrant tous les sujets de la transition écologique84(*) ;
- le programme French Tech 2030, qui permet de sélectionner et d'accompagner des start-up françaises sur appel à candidatures, à l'aide d'un jury d'experts. Les 20 start-ups sélectionnées bénéficient « d'un accompagnement dédié et d'un parcours personnalisé au sein des dispositifs de France 2030 répondant à leurs enjeux, ainsi que des opportunités de rencontres avec des investisseurs privés » ;
- le réseau national d'incubateurs Greentech, qui « vise à accélérer et à démultiplier l'émergence de solutions innovantes depuis le secteur privé et la recherche, mais aussi via l'orientation de la commande publique vers ces expérimentations ». Il est composé de plus de 30 membres actifs à ce jour.
Les startups spécialisées dans la restauration des écosystèmes, dans le développement de nouveaux matériaux, la capture de carbone ou le développement des mobilités propres ont attiré 2,8 milliards d'euros d'investissements en 2023, soit 9 % de plus qu'en 2022. Cela représente un tiers des levées de fonds en capital risque réalisées par la French Tech, et en fait le premier secteur ayant attiré les investisseurs.
B. UN OUTIL DE LA TRANSFORMATION DE L'EMPLOI
1. De nouveaux emplois
Selon le secrétariat général à la planification écologique85(*), la transition écologique impacterait directement 8 millions d'emplois et pourrait être créatrice nette d'environ 150 000 nouveaux emplois d'ici 2030 (soit 2 % de l'emploi total). Ce gain net masquerait néanmoins des reconfigurations profondes entre secteurs (400 000 ETP créés pour 250 000 détruits), lesquelles nécessiteront un travail d'accompagnement en profondeur dans les territoires.
Une forte incertitude demeure dans certains secteurs clé, comme le bâtiment et l'agriculture, dont la trajectoire en emplois nets dépendra de choix de société (construction neuve, agroécologie...), ainsi que dans l'économie circulaire - au potentiel important et pérenne, mais sans prospective claire. Les métiers dont le nombre d'actifs serait amené à croître fortement sont souvent plus exigeants physiquement, ce qui pourra affecter les choix des futurs actifs.
L'effort de formation doit être massif car « tous les actifs devront être progressivement formés à des degrés variés aux enjeux de transition écologique, tous les secteurs étant impactés à terme », ce qui suppose une révolution pédagogique qui doit intégrer la dimension climatique à tous les niveaux et dans toutes les formations car « la formation initiale sera déterminante pour permettre à la nouvelle classe d'âge de maîtriser les bons gestes et comportements pour 2030 : cela implique d'avoir revu en profondeur une grande partie des enseignements professionnels dans les secteurs les plus concernés ».
Il existe par ailleurs « un risque élevé de postes non pourvus à cause d'un renouvellement générationnel insuffisant » et une partie des besoins futurs doit être pourvue par la massification de compétences et de métiers déjà existants, notamment dans l'industrie et l'énergie, ce qui nécessitera d'ajuster les places de formation.
L'ADEME analyse régulièrement comment évoluent les emplois de filières stratégiques pour la transition énergétique. Depuis 2008, elle étudie une trentaine de filières réparties dans trois secteurs qui contribuent directement à la transition énergétique : les Énergies Renouvelables et de Récupération (EnR&R), les transports terrestres sobres en énergie et peu émetteurs et enfin l'efficacité énergétique du bâtiment résidentiel. La dernière étude, parue en juillet 2021, dresse un état des lieux des marchés et des emplois dans ces filières sur la période 2017-2019. Entre autres enseignements, elle indique que les emplois directs de ces secteurs progressent de 72 % depuis 2006 pour atteindre le nombre de 357 730 ETP86(*) en 2019.
Ces observations ont été complétées par des études prospectives menées par l'ADEME dans le cadre de l'évaluation des impacts économiques des scénarios de transition. En mars 2022, l'ADEME a réalisé cet exercice pour chacun des quatre scénarios de Transition(s) 2050 qu'elle a conçues, ainsi que pour la « Stratégie Nationale Bas Carbone 2 » de mars 2020.
L'ADEME a élaboré, dans ce cadre, quatre scénarios contrastés susceptibles de conduire la France à la neutralité carbone en 2050 (S1 - Génération frugale ; S2 - Coopération territoriale ; S3 - Technologies vertes et enfin S4 - Pari réparateur). Chaque scénario repose sur un corpus d'hypothèses spécifiques reflétant des choix de société différents et conduisant à des impacts économiques variés, notamment sur l'emploi. Les observations relevées sur la période 2017-2019, qui attestent de l'impact favorable de la transition sur l'emploi dans les trois filières, sont confortées par de nombreuses modélisations de scénarios visant la neutralité carbone.
L'évaluation de la SNBC 2 avait montré qu'un tel scénario générerait de nombreux emplois supplémentaires par rapport au tendanciel aux horizons 2030 et 2050 (respectivement 500 000 et 900 000 emplois supplémentaires selon le modèle ThreeME87(*) ; 300 000 et 700 000 pour le modèle IMACLIM du CIRED). Il en va de même pour Transition(s) 2050 : à l'exception de S1, qui prévoit une baisse drastique au niveau de la production industrielle et du BTP, tous les scénarios envisagés débouchent sur une nette amélioration de l'emploi par rapport au tendanciel. Cependant, ces chiffrages ne sont pas directement comparables avec ceux de la SNBC 2, car le scénario tendanciel de Transition(s) 2050 est plus ambitieux que celui de la SNBC 288(*). Au sein de Transition(s) 2050, les créations d'emplois liées à la lutte contre le changement climatique sont donc sous-estimées, puisqu'une partie d'entre elles sont déjà comprises dans les emplois du tendanciel.
Ainsi, un regain d'investissement dans la transition écologique pourrait permettre à la France de stimuler l'emploi, d'affirmer son indépendance énergétique, tout en réduisant ses émissions de GES. Un tel investissement serait donc triplement positif.
Si les arguments du « job killing »89(*) sont faibles, l'idée que la transition serait massivement créatrice d'emplois verts doit aussi être relativisée. Les emplois verts90(*) sont bien amenés à se développer, mais ils ne représenteront qu'une part modeste de l'emploi total. Ces emplois exigent une variété de compétences clés plus large que les emplois neutres, mais, pour l'heure, ils ne sont pourtant pas mieux rémunérés à profession égale. Pour atteindre nos objectifs climatiques, il est donc essentiel de combler un déficit potentiel d'attractivité pour les métiers de la transition bas carbone.
Quel impact d'une taxe carbone sur l'emploi ?
Le Conseil d'analyse économique a publié une note en novembre 202391(*), et vos rapporteurs ont reçu en entretien le 6 mars 2024 M. François Fontainé, co-auteur de la note.
- Cette étude quantifie les effets de la transition énergétique sur l'emploi, modélisée par l'instauration d'une taxe sur le carbone de 100 euros la tonne de CO2. Au niveau macroéconomique, cette taxe aurait des répercussions limitées sur l'emploi en France.
Les entreprises adapteront sans doute leur mix énergétique en conséquence. Cette tarification du carbone sera très probablement adoptée au niveau européen, parallèlement à un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Il faut également tenir compte de la diversité des technologies et des mix énergétiques au sein de chaque secteur car la forte hétérogénéité entre entreprises implique de nombreuses réallocations de l'emploi au sein d'un même secteur, plus importantes que les réallocations entre secteurs. La somme des destructions et créations d'emplois intrasectorielles représenterait en effet 4 % de l'emploi total.
Un éventuel impact négatif sur l'emploi peut être minoré si le marché européen du carbone est amélioré afin de s'assurer de son efficacité : en ciblant les entreprises et non pas les établissements -- les réallocations de production sont en effet aisées à cette échelle -- et en encadrant plus strictement les mesures compensatoires. Pour réussir cette transition, il faut accompagner les entreprises et les territoires les plus affectés en s'assurant que les difficultés d'accès au crédit n'empêchent pas les entreprises efficaces, dont le potentiel de transformation est important, de réaliser les investissements nécessaires à leur transition vers un mode de production moins carboné.
2. Des emplois traditionnels en transition et impactant la santé des salariés
Comme indiqué précédemment, 8 millions d'emplois pourraient être impactés en France par la transition climatique.
France Stratégie a organisé le 19 décembre 2023 une série de webconférences pour compléter le rapport de synthèse Pisani Ferry - Mahfouz. L'une d'entre elles s'est intéressée aux impacts de la transition écologique sur le marché du travail.
La plupart des modélisations sur lesquelles se sont appuyés les auteurs du rapport « Marché du travail » reposent sur des modèles macroéconomiques et sectoriels qui partent d'hypothèses différentes et aboutissent à des résultats qui ne concordent pas toujours. Pour autant, la synthèse de ces travaux montre que les effets de la transition écologique sur le volume d'emplois créés et détruits devraient être modérés, même si ce résultat masque d'importants écarts selon les secteurs : un million d'emplois disparaîtront dans certains, un million d'emplois apparaîtront dans d'autres92(*).
Quatre secteurs seront particulièrement touchés : la construction (avec la rénovation énergétique), l'énergie (en raison des émissions de GES), le transport (à la fois sur la répartition des modes de transport et la fabrication des matériels) et l'agriculture.
Par ailleurs, les changements environnementaux accroissent des risques bien connus pour la santé des travailleurs, qu'il s'agisse de risques anciens (troubles musculosquelettiques, chutes), récents (risques psycho-sociaux, désinsertion professionnelle) ou nouveaux (risques identifiés en lien avec le télétravail et la digitalisation). Le changement climatique accroît par ailleurs les facteurs de pénibilité, alors que 45 % des salariés travaillent en horaire atypique93(*) et que 35 % des salariés sont exposés à au moins trois contraintes physiques : rester longtemps debout, ou dans une posture pénible, effectuer des déplacements à pied longs ou fréquents, devoir porter ou déplacer des charges lourdes, subir des secousses ou des vibrations.
La préservation de la santé physique et mentale des travailleurs a ainsi été reconnue comme un enjeu de performance et de responsabilité pour les organisations dans les conclusions des Assises du travail du 18 avril 2023.
Enfin, l'impact environnemental de l'activité d'une entreprise devient un facteur de leur attractivité, notamment dans les jeunes générations : 16 % des cadres de moins de 35 ans citent l'impact environnemental de l'activité d'une entreprise comme un critère essentiel dans le choix d'un emploi, selon un avis du Conseil économique, social et environnemental de 202394(*).
L'OPCO 2i95(*) a pour sa part réalisé, avec le BIPE96(*), en juin 2022 une étude d'« Impact de la transition écologique sur les métiers et les compétences de l'industrie » et ses auteurs ont été entendus par vos rapporteurs le 15 mai 2024.
Pour l'industrie, l'analyse réalisée par l'OPCO 2i est nuancée : « les difficultés RH figurent en queue de peloton des difficultés rencontrées : il s'agit surtout de difficultés à recruter (indiquées par près d'1/4 des entreprises), l'accès à des formations adaptées ne concernant qu'une entreprise sur dix. Le recrutement constitue néanmoins un obstacle majeur pour 4 des 10 branches professionnelles regroupées et l'accès à des formations adaptées est une difficulté particulièrement importante pour la branche Recyclage ».
L'étude permet de montrer que la transition écologique « conduit des entreprises à intégrer de nouveaux métiers, mais elle est peu susceptible de faire émerger de nouveaux métiers à l'échelle interindustrielle (hors transition numérique). Les évolutions de process (éco conception, utilisation de matières premières recyclées, amélioration de l'efficacité énergétique, changement de source d'énergie...) pourront faire évoluer les compétences (apparition de nouvelles compétences, renforcement de certaines) ».
Enfin, la transition écologique induirait des hausses d'effectifs : 30 % des entreprises industrielles tablent sur une hausse nette des effectifs d'ingénieurs et de chercheurs, d'agents de maîtrise et techniciens supérieurs à l'horizon de 3 à 5 ans. Les effectifs d'opérateurs et de techniciens seraient positivement impactés dans une moindre mesure (+14 %) et les effectifs d'employés ne seraient quasiment pas impactés. L'attractivité de l'industrie serait renforcée pour les profils les plus qualifiés pour 70 % des entreprises.
3. Des pénuries qui pourraient freiner la transition climatique des entreprises
(1) Des métiers « verts »
Les métiers nécessaires en plus grand nombre dans la transition climatique sont aussi ceux dont les difficultés de recrutement sont déjà très fortes (agriculture, bâtiment ou métallurgie), et ce pour des raisons structurelles : conditions de travail contraignantes, contrats peu durables et rémunérations peu attractives ».
Pour M. François Fontainé, co-auteur de la note de novembre 2023 du Conseil d'analyse économique de l'impact sur l'emploi de la transition énergétique : « Les entreprises en transition climatique recherchent des salariés sans, paradoxalement, leur proposer des « primes salariales » pour les attirer. La prime salariale tend à disparaître au sein des emplois verts, mais elle est compensée par le sentiment d'une utilité sociale supérieure. Il n'existe donc pas d'attractivité spécifique de ces emplois. Les tensions sur certains métiers ne sont pas nouvelles et sont surestimées quand on approche le plein emploi. Les technologies anciennes très carbonées vont souffrir »97(*).
La question des conditions de travail, des parcours de rémunération (qui ne se limitent pas à une revalorisation du SMIC), et la lutte contre la pénibilité sont des enjeux essentiels pour pouvoir disposer des travailleurs dont les entreprises auront besoin.
Sans agenda social impliquant adaptation des formations et sécurisation financière des parcours de reconversion dans les métiers de la transition climatique, celle-ci sera freinée faute de vivier de recrutement.
Ces pénuries pourraient donner l'occasion d'accélérer le changement de modèle : ainsi, plutôt que de s'acharner à combler les pénuries de conducteurs routiers, le report modal vers le ferroviaire et mutualisant les transports pourrait être favorisé.
Des passerelles devront être mises en place à l'intérieur même des filières, et des formations devront être proposées aux salariés afin qu'ils se reconvertissent dans des métiers connexes (comme, par exemple, la reconversion, dans le bâtiment, du neuf vers la rénovation). Ces mutations de l'emploi prendront du temps et devront être anticipées.
L'accompagnement des territoires et des personnes concernées par la disparition de leur emploi sera également décisif.
L'anticipation est d'autant plus vitale que la transition climatique nécessite des programmes d'investissement de long terme. Par exemple, le renouveau de la filière nucléaire aura besoin d'ingénieurs : extrapolé à l'ensemble des 220 000 emplois de la filière nucléaire, le besoin prévisible serait d'environ 100 000 recrutements équivalents temps plein, tous métiers confondus.
Le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN)98(*) travaille par exemple à assurer la pérennisation des savoir-faire de la filière, en effectuant une analyse continue des charges à venir sur 10 ans et des capacités qui y sont liées, à travers le programme Match. Dans ce but, il se base sur les besoins des projets des donneurs d'ordre, qui sont ensuite analysés selon les 18 segments métiers, socle commun à toute la filière. Ces résultats sont communiqués tous les ans pour favoriser le partage et l'échange entre donneurs d'ordres et industriels et améliorer la cohésion de filière.
(2) Des ingénieurs pour la transition climatique
Selon le SYNTEC99(*), entendu en audition le 5 juin, la France forme 40 000 ingénieurs par an alors qu'il en faudrait 60 000 pour accompagner la transition climatique des entreprises. « L'atout de la formation française des ingénieurs est sa pluridisciplinarité », pour Michel Kahan, Président de Syntec-Ingénierie. Les ingénieurs sont les « accélérateurs de la transition climatique ». L'ingénierie entend « éclairer, innover et être force de proposition pour un monde plus durable et résilient. Elle fera de l'éco-conception, la signature de la profession, en plaçant les enjeux environnementaux au même plan que les optimisations techniques, fonctionnelles et économiques ».
En France, l'ingénierie représente 80 000 entreprises, réparties sur l'ensemble du territoire, qui emploient 315 000 personnes et génèrent un chiffre d'affaires annuel de 52,8 milliards d'euros.
L'EDEC100(*) « Climat et Métiers de l'Ingénierie » s'engage, avec l'État, à cofinancer et à déployer un plan d'actions au profit des 54 branches professionnelles et de l'interprofession de son champ de compétences afin de répondre à trois objectifs : informer les branches professionnelles et les entreprises sur les enjeux et impacts de la transition écologique et énergétique sur les métiers et les compétences ; appuyer les branches professionnelles dans la formalisation de leur stratégie de gestion des compétences ; accompagner les entreprises et leurs salariés dans le développement des compétences.
L'accord-cadre soutenu par l'OPCO Atlas, opérateur de compétences des entreprises et salariés des services financiers et du conseil, s'engage à développer l'emploi et les compétences dans l'ingénierie afin de répondre aux enjeux climatiques et de biodiversité. Avec ce programme, l'État identifie les entreprises d'ingénierie comme des acteurs clés dans la conception et la mise en oeuvre de solutions en faveur du climat et entend renforcer la montée en compétence des salariés du secteur pour répondre aux grands enjeux de la transition écologique.
Pour réussir la transition climatique, les entreprises auront besoin de davantage d'ingénieurs, dont les pouvoirs publics doivent accélérer la formation, notamment en sensibilisant les femmes à ces métiers.
4. La nécessité d'intégrer la transition climatique dans la formation des salariés
La transition climatique devrait être intégrée dans toutes les formations proposées aux salariés.
Jusqu'à présent, les feuilles de route élaborées par les industriels avec le soutien de l'État n'intègrent pas de volet relatif à l'emploi et aux compétences. Néanmoins, les entreprises de plus de 300 salariés sont soumises à l'obligation de présenter une Gestion Prévisionnelle de l'Emploi et des Compétences (GPEC) en Comité Social et Économique (CSE) et doivent y intégrer la transition écologique depuis la loi du 22 août 2021 « Climat et Résilience ».
À ce titre, anticiper l'évolution des compétences nécessaire pour que l'emploi s'adapte aux changements du marché du travail induits par la décarbonation est crucial.
Se fondant sur l'analyse des plans sociaux intervenus dans l'industrie de 1997 à 2019, le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) a ainsi alerté, dans une note de mars 2023, qu'une insuffisante adaptation à la transition, ou une mauvaise spécialisation, pourrait déstabiliser l'industrie française, déjà mise à l'épreuve par la désindustrialisation : « l'expérience de la désindustrialisation montre que les salariés et les territoires sont durablement affectés par un choc négatif sur le marché du travail et qu'il a été très difficile, voire impossible, pour les politiques publiques de réellement cibler les personnes touchées. En conséquence, compenser les « perdants » de la transition écologique, comme on espérait pouvoir le faire dans les années 2000 pour les « perdants » de la mondialisation, ne peut suffire. L'enjeu de la transition écologique qui se dessine consiste surtout à développer des politiques permettant de concilier décarbonation et renforcement des tissus productifs. À l'heure où la concurrence internationale s'intensifie dans les secteurs d'avenir, rater le virage de l'industrie verte, c'est prendre le risque d'une nouvelle vague de désindustrialisation, aux conséquences durables pour les individus concernés et les territoires ».
Comme le souligne le Réseau Action Climat, « cette dimension emploi-compétences doit être anticipée pour les salariés et faire l'objet d'un dialogue social actif. C'est l'une des clés de la transition écologique juste ».
III. UNE POLITIQUE DE DÉCARBONATION EUROPÉENNE ET CONCENTRÉE EN FRANCE SUR DE GRANDES ENTREPRISES
L'« équation de Kaya », proposée en 1997101(*), permet d'identifier les grands leviers d'action d'une politique publique de décarbonation. Les émissions de GES peuvent être décomposées selon une identité comptable :
Les émissions de GES sont égales au produit de la population (POP), du revenu (PIB) par habitant (PIB/POP) et de l'intensité carbone de l'économie (GES/PIB). Cette dernière peut être à son tour décomposée entre l'intensité énergétique de l'économie et l'intensité carbone de l'énergie utilisée. Réduire l'intensité carbone de l'économie permet de réduire les émissions à population et activité économique données.
A. L'OBJECTIF : UNE AMBITIEUSE NEUTRALITÉ CLIMATIQUE EN 2050
Le huitième programme d'action pour l'environnement, qui guide l'action environnementale de l'Union européenne pour la période 2021-2030, comporte six objectifs principaux. Il intègre la réduction « rapide » des émissions de GES, l'adaptation au changement climatique, « la réalisation de progrès vers une économie du bien-être qui rende à la planète davantage qu'elle ne lui prend » (économie circulaire), la recherche d'une pollution zéro, la protection de la biodiversité ainsi que la réduction des pressions sur l'environnement et le climat liées à la production et aux modes de consommation.
Progressivement, les politiques climatique et industrielle européennes ont convergé comme en témoigne la communication du 10 mars 2020 « Une nouvelle stratégie industrielle pour l'Europe ».
Les grandes étapes de la politique climatique européenne ont été les suivantes :
1. Le Green Deal : vers la neutralité carbone
Officiellement présenté par l'exécutif européen en décembre 2019, le Pacte vert a été défini par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen comme la nouvelle stratégie de croissance de l'UE, présentée dans une communication du 11 décembre 2019 et destinée à réduire les émissions de GES, « tout en créant des emplois et en améliorant notre qualité de vie ». La politique climatique a été clairement mise au centre de la stratégie économique européenne.
L'objectif principal du Pacte vert est que l'Europe parvienne à la neutralité climatique à l'horizon 2050. Cela signifierait que la totalité des émissions de GES, qu'il s'agit notamment de réduire considérablement, seraient captées ou absorbées par les puits de carbone que sont forêts, les sols ou encore les océans.
La loi européenne sur le climat du 30 juin 2021 (juridiquement, un règlement européen) a fixé l'objectif de la neutralité climatique dans la législation européenne, de même que la cible intermédiaire d'une réduction des émissions de GES de l'UE d'au moins 55 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. L'UE s'engage également à renforcer ses puits de carbone.
Une communication de la Commission européenne du 6 février 2024102(*) recommande une réduction de 90 % des émissions nettes de GES d'ici à 2040.
2. « Fit for 55 » : une hausse des ambitions climatiques
Le « paquet Ajustement à l'objectif 55 » est un ensemble de propositions visant à réviser et à actualiser la législation de l'UE ainsi qu'à mettre en place de nouvelles initiatives pour veiller à ce que les politiques de l'UE soient conformes aux objectifs climatiques visant à réduire les émissions nettes de GES d'au moins 55 % d'ici à 2030, en prévoyant de limiter de 39 % la consommation d'énergie primaire et de relever à 40 % la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie. Il comporte, dans ce but, 10 règlements, 7 directives, 2 décisions et 1 stratégie.
Il réforme notamment le système d'échanges de quotas d'émissions (SEQE), fondé sur un système de plafonnement et d'échange de quotas d'émissions pour les industries à forte intensité énergétique et le secteur de la production d'électricité. Il s'agit du principal outil dont dispose l'UE pour réduire ses émissions. Depuis son introduction en 2005, les émissions de l'UE ont diminué de 41 %, mais son prix, trop faible jusqu'en 2018, n'a pas été le facteur prépondérant de cette diminution.
Ses effets limités et sa réforme, avec le Mécanisme d'ajustement du carbone aux frontières (MACF) ont été analysés par le rapport d'information n° 576 (2021-2022) de M. Guillaume Chevrollier et Mme Denise Saint-Pé, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, du 15 mars 2022. Le Sénat a adopté une résolution le 5 avril 2022, qui appelle à accélérer et intensifier la décarbonation des économies française et européenne pour sortir de la dépendance aux combustibles fossiles, notamment d'origine russe, sans pour autant que la transition vers une économie décarbonée ne soit « synonyme de décroissance ».
Ce « paquet » s'accompagne de la création d'un Fonds social européen qui dispose d'un volet s'adressant aux PME : le « Fonds social européen + », qui devrait être mis en place à l'horizon 2026.
Ce dispositif vise à fixer rapidement, durablement, et selon une trajectoire prévisible, un prix du carbone suffisamment élevé pour modifier les comportements d'investissement (en vue d'accélérer l'innovation et les changements technologiques propices à un mode de production moins carboné) et de consommation. Pour la Banque de France103(*) : « les enjeux majeurs portent donc sur la capacité de l'UE à donner un signal-prix au carbone à la fois contraignant et prévisible, à accompagner les agents économiques dans leur changement de comportement et à inciter les grandes économies mondiales à intégrer l'environnement dans leurs choix de politique économique ».
3. Le Net Zero Industry Act de mars 2023 : une réponse aux États-Unis
En août 2022, le Congrès États-Unis a adopté un plan d'investissement public pour le climat de 400 à 800 milliards de dollars dans le cadre de la loi sur la réduction de l'inflation (IRA). Les États-Unis ont ainsi accéléré la course mondiale aux technologies propres.
L'IRA propose des instruments simples à comprendre, qui récompensent les entreprises américaines en fonction du volume d'énergie renouvelable et d'hydrogène réalisé.
En février 2023, la Commission a présenté en réponse le nouveau « Plan industriel du pacte vert pour l'ère du zéro émission nette », qui entend stimuler l'industrie à zéro émission nette dans l'Union au moyen de mesures visant à améliorer la compétitivité de cette industrie, dans le prolongement direct duquel s'inscrit la proposition de règlement pour une industrie « zéro net ».
Cette proposition de règlement a cinq objectifs :
- simplifier le cadre réglementaire pour la production de technologies clés ;
- fixer des objectifs pour la capacité industrielle de l'Union en 2030 ;
- accélérer les procédures d'autorisation104(*) ;
- promouvoir l'élaboration de normes européennes pour les technologies clés ;
- encourager les pouvoirs publics à acheter davantage de technologies propres au moyen de marchés publics.
Il reconnaît par ailleurs le nucléaire en tant que technologie stratégique pour l'Union européenne. En mars 2022, la taxonomie européenne, qui contribue à orienter les investissements vers des projets respectueux de l'environnement, avait auparavant reconnu certaines105(*) activités économiques de l'énergie nucléaire en tant qu'activités de transition nécessaires pour sortir des énergies fossiles et favoriser la décarbonation des économies.
Si, désormais, l'Union européenne bénéficie de l'ensemble de réglementations climatiques et de tarification du carbone le plus développé au monde, il lui manque cependant un plan d'investissement comparable à ce que proposent actuellement la Chine et les États-Unis. Les investissements climatiques devraient augmenter de 360 milliards d'euros les investissements actuels, selon la Banque européenne d'investissement. L'augmentation des investissements publics dans les technologies propres est indispensable afin d'attirer les investissements privés, d'autant plus que ces technologies sont à forte intensité de capital. Or, alors que l'IRA propose des programmes de soutien pour les dix prochaines années, les flux de financement actuels de l'UE, tels que NextGenerationEU, n'offrent en revanche un soutien aux investissements que jusqu'en 2026.
Sans un fonds public européen d'investissement climatique de long terme, le risque est que les États-Unis « aspirent » les entreprises européennes innovantes : « Supposons qu'un producteur d'hydrogène renouvelable choisisse l'Europe aujourd'hui et ait besoin de cinq ans pour que l'usine devienne opérationnelle. D'ici 2028, les fonds NextGenerationEU ne seront plus disponibles, il n'y aura aucune visibilité sur le budget de l'UE et seulement une mosaïque de subventions complexes dans certains États membres. En revanche, si le producteur fabrique aux États-Unis, l'IRA garantit à elle seule 34 $ par mégawattheure d'aide à l'électricité renouvelable (ce qui réduit le coût de l'électricité qui est le principal intrant de la production d'hydrogène renouvelable), et 3 $ par kilogramme d'énergie renouvelable, hydrogène produit sur une période de 10 ans. Les avantages de l'IRA existent même si le projet est retardé de quelques années. C'est suffisant pour justifier une analyse de rentabilisation, avant même de prendre en compte d'autres programmes de soutien fédéraux américains, comme le projet de loi sur les infrastructures de 2021 et le soutien au niveau des États », selon un expert106(*). L'objectif est que les innovations de rupture se diffusent rapidement dans les entreprises européennes, sous peine qu'elles se voient distanciées par leurs concurrents.
S'agissant du règlement relatif à l'établissement d'un cadre de mesures en vue de renforcer l'écosystème européen de la fabrication de produits de technologie « zéro net », la résolution du Sénat du 25 août 2023 souligne cependant qu'aucun financement européen nouveau n'est prévu alors que les coûts de la mise en oeuvre du règlement à 92 milliards d'euros additionnels sur la période 2023-2030. Elle évoque comme piste de financement « la révision du cadre financier pluriannuel qui pourrait être l'occasion de mettre en place des ressources propres résultant notamment de la taxation des émissions de carbone ».
Elle regrette par ailleurs l'absence du déploiement industriel de technologies prometteuses tels que la production d'hydrogène bas-carbone et renouvelable, d'hydroélectricité, de carburants alternatifs durables, ou encore les technologies de décarbonation de l'industrie, de chaleur renouvelable ou d'utilisation du carbone. Elle plaide également pour favoriser la prise en compte des technologies « zéro net » dans les marchés publics.
B. UNE POLITIQUE NATIONALE CIBLÉE SUR LES GRANDES ENTREPRISES ET L'INNOVATION DE RUPTURE
1. Avec un mix électrique avantageux, la France a souscrit à une politique ambitieuse de transition climatique
La France a signé des engagements ambitieux de lutte contre le changement climatique qui impliquent un renforcement des politiques de transition vers la neutralité carbone, quand bien même elle dispose d'un avantage comparatif avec un mix électrique avantageux.
(1) La France dispose d'un mix électrique avantageux
Dans son Bilan électrique 2023, RTE souligne que les émissions de GES du système électrique français ont atteint leur niveau le plus faible depuis le début des années 1950 107(*) et sont également parmi les plus faibles d'Europe.
Le mix électrique français est très largement décarboné, à hauteur de 92 % selon RTE. Les émissions de GES du système électrique français pèsent moins de 5 % dans le bilan carbone national (contre 21 % en moyenne dans le bilan carbone des pays de l'Union européenne) alors que le système électrique représente plus d'un quart de la consommation finale d'énergie.
Cette décarbonation singularise la France en Europe. Notre pays émet ainsi près de 3 fois moins de CO2 pour produire 1 kWh qu'au Royaume-Uni, 4 fois moins qu'en Italie et 5 fois moins qu'en Allemagne qui présente un des mix électriques les plus carbonés d'Europe.
Comme l'a rappelé le 2 juillet dernier la commission d'enquête du Sénat sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050, pour les entreprises, l'énergie constitue un facteur important pour leur compétitivité : « les dépenses directes en énergie peuvent dépasser parfois plus de 15 % du chiffre d'affaires des secteurs intensifs en énergie. En ajoutant les expositions indirectes, la dépense totale peut dépasser 30 % du chiffre d'affaires », et l'électricité renforce l'indépendance énergétique de la France, comme l'avait souligné, en mars 2023, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France.
L'énergie nucléaire est la seule qui, aujourd'hui, permet de décarboner rapidement et massivement.
Par ailleurs, la décarbonation des entreprises françaises doit également être soutenable : une décarbonation nationale trop rapide, tout en ne modifiant que marginalement la situation climatique internationale, risque d'altérer la compétitivité de nos entreprises. Il doit être également pris en considération que la décarbonation seule n'épuise pas la nécessaire adaptation aux conséquences du dérèglement climatique : une entreprise peut très bien être totalement décarbonée, mais totalement inadaptée au dérèglement climatique, risquant ainsi de disparaître tout en étant neutre en carbone !
(2) La France est signataire de l'Accord de Paris
La France est signataire de l'Accord de Paris, adopté par 195 nations le 12 décembre 2015, qui vise à maintenir l'augmentation de la température mondiale nettement sous 2°C et à mobiliser des efforts encore plus poussés pour limiter cette augmentation à 1,5°C par rapport à l'ère préindustrielle (1850-1900). Au sein de l'Union européenne, il se décline en un objectif de réduction des émissions nettes de GES de 55 % en 2030 par rapport à 1990 et un objectif de neutralité carbone en 2050, selon la loi européenne sur le climat. À la suite du rehaussement de l'objectif européen, l'objectif français de réduction brute des émissions de GES a été relevé à -50 % en 2030 par rapport à 1990.
Grâce au nucléaire combiné au renouvelable, la France est le pays le moins émetteur en équivalent CO2 par habitant des sept puissances les plus développées et dispose déjà d'une électricité bas carbone à plus de 90 %.
Toutefois, si les émissions de GES ont diminué de 2,1 % par an en moyenne entre 2019 et 2022, ce rythme de réduction devra doubler entre 2022 et 2030. Il est, à horizon 2050, très dépendant de l'état des puits de carbone.
Les puits de carbone
Les puits naturels sont les écosystèmes qui, comme les forêts, les marais côtiers, le bocage, le phytoplancton, captent naturellement le CO2 par photosynthèse et le stockent dans le bois, les sols, les sédiments... Du CO2 se dissout aussi dans les océans. Les écosystèmes sont vulnérables au changement climatique. Ne pas les préserver amplifierait le problème, car le carbone qu'ils stockent serait libéré dans l'atmosphère. Il faut donc aussi agir pour leur adaptation. Sauf à pousser très loin le levier de la sobriété, les puits naturels ne suffiront pas.
4 à 5 milliards de tonnes de carbone seraient stockées dans les sols et forêts de France métropolitaine (et pourraient être restituées dans l'atmosphère en cas de destruction) et 20 % des émissions françaises sont captées chaque année par ces puits de carbone naturels.
Les puits technologiques comme le captage-stockage du CO2 (CSC, CCS en anglais) peut donc être un complément utile. Cela consiste à fixer le CO2 puis à l'injecter dans des réservoirs géologiques étanches, à plus de 1 000 m de profondeur. Dans l'industrie, c'est une technique de réduction d'émissions fossiles. Si on l'applique à une centrale biomasse ou à une usine de bioéthanol, on parle de bioénergie avec CSC (BECSC, ou BECCS). Le Direct Air Carbone Capture and Storage (DACCS), lui, vise à capter le CO2 dans l'air ambiant. Il n'est pas mature, et très énergivore.
Si le CSC existe depuis plus de trente ans, il n'a été déployé que sur quelques sites, dont des sites d'extraction de gaz ou de pétrole : il permet de récupérer plus d'énergies fossiles, donc de repousser la transition énergétique. Si, en théorie, les capacités de stockage seraient suffisantes en France, la question de l'acceptabilité par les riverains et l'absence de risque de fuite ou de séisme lié à l'injection de CO2 dans le sous-sol se posent. Faute d'arriver à les convaincre, le CO2 capté devra être exporté offshore notamment en mer du Nord, ce qui alourdit le coût de ces systèmes.
Source : ADEME
Par ailleurs, les réductions d'émissions entre 1990 et 2022 se sont principalement concentrées dans l'industrie et la production d'énergie, alors que l'atteinte de la neutralité carbone en 2050 implique une forte baisse d'émissions dans tous les secteurs de l'économie.
(3) La planification écologique a été engagée dès 2011
La Stratégie nationale d'adaptation au changement climatique exprime le point de vue de l'État sur la manière d'aborder la question de l'adaptation au changement climatique. Cette stratégie a été élaborée dans le cadre d'une large concertation, menée par l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC), impliquant les différents secteurs d'activités et la société civile sous la responsabilité du délégué interministériel au développement durable. Deux plans se sont succédés, le troisième étant toujours en attente :
1er Plan national d'adaptation au changement climatique (2011-2015).
Avec pour objectif de présenter des mesures concrètes et opérationnelles pour préparer la France à faire face et à tirer parti de nouvelles conditions climatiques, la France s'est dotée en 2011 de son premier Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) pour une période de 5 ans. Premier plan de cette ampleur publié dans l'Union européenne, les mesures préconisées concernaient tous les secteurs d'activité autour de 4 objectifs :
• protéger les personnes et les biens ;
• éviter les inégalités devant les risques ;
• limiter les coûts et tirer parti des avantages ;
• préserver le patrimoine naturel.
Le premier PNACC 2011-2015 était intersectoriel et interministériel. Il portait sur 20 domaines : actions transversales, santé, eau, biodiversité, risques naturels, agriculture, forêt, pêche et aquaculture, tourisme, énergie et industrie, infrastructures et services de transport, urbanisme et cadre bâti, information, éducation et formation, recherche, financement et assurance, littoral, montagne, action européenne et internationale et gouvernance. La variété des thèmes traités dans le PNACC illustrait parfaitement la logique poursuivie : incorporer l'adaptation au sein de l'ensemble des politiques publiques, avec 84 actions déclinées en 242 mesures dans 20 domaines
La conférence environnementale 2014 avait conclu à la nécessité de renforcer la stratégie d'adaptation nationale après avoir procédé à une évaluation externe du PNACC.
2e Plan national d'adaptation au changement climatique (2018-2023)
Après la réussite de la COP21, la France a actualisé sa politique d'adaptation en cohérence avec l'Accord de Paris. Avec le deuxième Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC-2), la France visait une adaptation effective dès le milieu du XXIe siècle à un climat régional en métropole et dans les outre-mer cohérent avec une hausse de température de +1,5 à 2 °C au niveau mondial par rapport au XIXe siècle, autour de 58 actions sur 5 ans avec de nouvelles priorités.
Des évolutions importantes étaient proposées à travers ce deuxième Plan. Elles concernaient notamment un meilleur traitement du lien entre les différentes échelles territoriales, le renforcement de l'articulation avec l'international et le transfrontalier et la promotion des solutions fondées sur la nature.
Il ne comprenait toutefois aucun élément de chiffrage financier, ni même d'indication méthodologique sur lesquelles s'appuyer pour construire une estimation financière des besoins liés au déploiement des politiques d'adaptation.
Une évaluation à mi-parcours a été effectuée en 2021.
Le PNACC-3, qui a vocation à s'intégrer à la nouvelle Stratégie française sur l'énergie et le climat (SFEC), longtemps attendu, a été présenté le 24 octobre 2024, postérieurement à l'adoption du présent rapport par la délégation aux Entreprises.
Cette planification devait également comprendre :
• la première Loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) ;
• la troisième Stratégie nationale bas-carbone (SNBC3) ;
• la troisième Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE3 2024-2033).
Source : Les enjeux économiques de la transition vers la neutralité carbone,
Direction générale du Trésor, novembre 2023
(4) Une planification qui tente de concilier croissance et climat
Comme l'a rappelé Jean Pisani Ferry dans son rapport de 2023108(*) : « la prise de conscience des enjeux économiques immédiats de la transition climatique est récente ».
Trois événements ont précipité un changement de perspective :
- l'accord de Paris de 2015 qui a fixé un cadre et une ambition ;
- l'accord européen de 2019 pour viser une économie neutre en carbone en 2050, et pour réduire dès 2030 les émissions de GES de 55 %, par rapport à l'année de référence 1990. « Cette accélération soudaine a fait entrer la question climatique dans l'horizon des macroéconomistes » ;
- la promulgation, à l'été 2022, de l'Inflation Reduction Act américain. L'adoption par les États-Unis d'une stratégie climatique différente de celle de l'Union européenne a brutalement mis sur le devant de la scène les enjeux de compétitivité et d'attractivité.
La question politique majeure, à l'horizon 2050, est de savoir s'il est possible de concilier neutralité climatique et amélioration du bien-être.
Pour ce rapport, « il ne suffit pas, pour y répondre, de démontrer que le coût économique de l'inaction climatique excède largement celui de l'action. Il faut aussi convaincre les sociétés de ce qu'elles n'ont pas à choisir entre l'avenir de la planète et leur propre bien-être ni même, à long terme, entre préservation du climat et niveau de vie ». S'enfermer dans le débat binaire et réducteur entre croissance et décroissance est en effet une impasse.
L'exemple même de la France montre qu'il est possible de découpler croissance et émissions de GES :
Rester dans la fausse alternative croissance - décroissance est également socialement désastreux, « car cela revient à demander à celles et ceux qui ont du mal à boucler leurs fins de mois de se serrer davantage la ceinture au nom de finalités supérieures », économiquement irréalistes « si, en effet, l'objectif est bien de ramener les émissions nettes à zéro, y parvenir par la seule décroissance supposerait d'annuler la majeure partie des gains de revenu réel des derniers siècles » et politiquement insupportable. Les choix politiques de la transition climatique doivent au contraire déterminer les conditions de la conciliation entre l'impératif de la préservation du climat et la recherche d'une nouvelle croissance qui « prenne en compte la finitude de la planète et donc les externalités environnementales des choix individuels et collectifs ».
Pour la direction générale du Trésor, « la transition bas-carbone est économiquement possible, et est compatible avec une croissance plus soutenable ». Elle implique le découplage entre l'évolution des émissions de GES et celle de l'activité économique.
Pour Antoine Pellion, secrétaire général à la planification économique, entendu lors de la table-ronde du 16 mai 2023 : « la réindustrialisation peut aider à réduire l'empreinte carbone. Nous visons une réduction de 200 millions de tonnes de CO2 par an d'ici 2030 par rapport à 2019. Environ 20 millions de tonnes de CO2 supplémentaires ont été émises en France. Si nous n'avions pas réindustrialisé ou si la population n'avait pas augmenté, il aurait donc suffi de réduire de 180 millions de tonnes, mais en raison de la réindustrialisation, nous visons précisément une réduction de 200 millions ».
Plusieurs scénarii ont modélisé la planification macro-économique de la transition climatique :
(5) Une planification préparée et concertée avec plusieurs instances
Aux côtés du Commissaire général au développement durable (CGDD), acteur interministériel depuis 2008 et direction transversale du ministère en charge de l'environnement, a été créé le 7 juillet 2022 un Secrétariat général à la planification écologique, placé auprès du Premier ministre afin d'affirmer son caractère interministériel109(*).
Le conseil de planification écologique, présidé par le Président de la République, a été le cadre des arbitrages rendus par le chef de l'État le 25 septembre 2023 alors qu'il existe un conseil national de transition écologique110(*) censé « rendre des avis structurants pour la politique de la transition écologique ».
Ces arbitrages avaient été précédés de la présentation, par la Première ministre, de la planification écologique aux membres du Conseil national de la Refondation (CNR) le 19 septembre 2023 dont la formation « Climat et biodiversité » décline la méthode du CNR en l'appliquant aux problématiques de transition écologique. Il doit « échanger sur l'ensemble des sujets relevant de la compétence des ministères de la transition écologique et de la cohésion des territoires et de la transition énergétique, à savoir l'écologie et la biodiversité, le logement et le transport » dans un « dialogue sincère » et le « souci de travailler collectivement et en responsabilité à l'atteinte de nos objectifs » car il « constitue un espace de dialogue devant permettre à ces acteurs de partager leurs visions des enjeux, des objectifs, des contraintes et surtout des leviers d'action qui sont à notre disposition pour réussir collectivement l'accélération dont nous avons besoin ». Il doit « déboucher sur un agenda d'actions partagé qui apportera des solutions concrètes pour relever ce défi ». Il a donc « une dimension opérationnelle et d'action : pour paraphraser le titre du dernier rapport du Haut Conseil pour le Climat, il nous faut désormais « Dépasser les constats, mettre en oeuvre les solutions ».
Il existe enfin depuis 2019111(*) un Haut conseil pour le climat, organisme indépendant chargé d'évaluer l'action publique en matière de climat, et sa cohérence avec les engagements européens et internationaux de la France, en particulier l'Accord de Paris, l'atteinte de la neutralité carbone en 2050, et le respect des budgets carbone de la France112(*).
(6) Une planification qui ignore le Parlement
Depuis la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015, des plafonds nationaux d'émissions de GES dénommés « budgets carbone » sont fixés par décret, pour chaque période consécutive de cinq ans (article L. 222-1 A du code de l'environnement).
Pour la période 2015-2028, trois « budgets carbone » ont ainsi été adoptés en 2015 : des plafonds de 442 millions de tonnes CO2e par an sur la période 2015-2018, 399 pour 2019-2023 et 358 pour 2024-2028. En 2020, les « budgets carbone » des périodes 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033 ont été fixés respectivement à 422, 359 et 300 millions de tonnes de CO2e par an.
La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) répartit ces « budgets carbone » par grand secteur d'activité ainsi que par catégorie de GES. Elle définit par ailleurs les orientations et les dispositions d'ordre sectoriel ou transversal qui sont établies pour les respecter.
Elle constitue ainsi la feuille de route de la France pour conduire la politique d'atténuation des émissions des GES. Elle doit permettre d'atteindre les objectifs devant être fixés par le législateur, dans la loi déterminant les objectifs et fixant les priorités d'action de la politique énergétique nationale prévue à l'article L. 100-1 A du code de l'énergie. Cette loi devra notamment fixer les objectifs de réduction des émissions de GES pour trois périodes successives de cinq ans. Elle s'imposera donc au pouvoir réglementaire dans la fixation des « budgets carbone » prévus à l'article L. 222-1 A du code de l'environnement.
Cette stratégie élaborée par l'ensemble des services des ministères concernés sous le pilotage du ministère de la Transition écologique et solidaire, est le fruit d'une large concertation avec les représentants de la société civile et notamment :
- avec les parties prenantes (entreprises, ONG, syndicats, représentants de consommateurs, parlementaires, collectivités territoriales), via des échanges itératifs avec un Comité d'Information et d'Orientation (CIO) et sept groupes de travail thématiques.
- avec le public, via la conduite en novembre et décembre 2017 d'une concertation préalable à la révision de la stratégie nationale bas-carbone et d'un débat public préalable à la Programmation Pluriannuelle de l'Énergie de métropole continentale conduit de mars à juin 2018, au sein duquel des sujets liés au climat ont également été débattus.
Cette stratégie prend en compte l'avis d'un Comité d'experts pour la transition énergétique sur la mise en oeuvre de la SNBC et celui du Haut conseil pour le climat.
D'autres instances ont été consultées113(*), en fin de processus de révision, en décembre 2018, mais pas le Parlement.
La décarbonation dans France Relance et France 2030
L'objectif de décarbonation a pris une place de plus en plus élevée dans l'attribution des fonds publics. À peine présente dans le premier Programme d'investissements d'avenir en 2010, cette place est devenue significative dans le plan France 2030.
b) Des montants substantiels
Déployé depuis septembre 2020 pour aider l'économie française à rebondir après l'épidémie de la COVID, le plan France Relance, doté de 100 milliards d'euros s'articulait autour de 3 priorités dont l'écologie114(*), 30 milliards d'euros étant prévus pour « accompagner la transition vers une économie plus verte et durable ».
Lui a succédé le plan « France 2030 », doté de 54 milliards d'euros déployés sur 5 ans, visant à développer la compétitivité industrielle et les technologies d'avenir, dont la moitié des financements sont destinés à des acteurs émergents, et la moitié aux actions de décarbonation.
France 2030 soutient à la fois le développement de solution de décarbonation et leur déploiement dans le tissu industriel.
Au 30 avril 2023, sur les 54 milliards prévus, 13,8 milliards d'euros ont été engagés et, au 31 décembre 2022, 2,7 milliards décaissés au profit de 2 200 projets lauréats émanant en majorité de PME (1 136 lauréats).
Les 10 objectifs de France 2030 (extrait de la présentation) Mieux produire 1. favoriser l'émergence d'une offre française de petits réacteurs modulaires (SMR) d'ici 2035, et soutenir l'innovation de rupture dans la filière ; 2. devenir le leader de l'hydrogène vert et des énergies renouvelables en 2030 ; 3. décarboner notre industrie afin de respecter l'engagement de baisser, entre 2015 et 2030, 35 % de nos émissions de GES dans ce secteur ; 4. produire en France, à l'horizon 2030, près de 2 millions de véhicules électriques et hybrides ; 5. produire en France, d'ici 2030, le premier avion bas-carbone. Mieux vivre 6. investir dans une alimentation saine, durable et traçable, afin d'accélérer la révolution agricole et alimentaire sur laquelle la France est un pays leader ; 7. produire en France au minimum 20 biomédicaments, en particulier contre les cancers, les maladies chroniques, dont celles liées à l'âge et créer les dispositifs médicaux de demain ; 8. placer la France en tête de la production des contenus culturels et créatifs, et des technologies immersives. Mieux comprendre le monde 9. prendre toute notre part dans l'aventure spatiale ; 10. investir dans le champ des grands fonds marins. Les six leviers pour réussir France 2030 1. sécuriser l'accès aux matières premières ; 2. sécuriser l'accès aux composants stratégiques, notamment électronique, robotique et machines intelligentes ; 3. soutenir l'émergence de talents en construisant les formations de demain 4. maîtriser les technologies numériques souveraines et sûres ; 5. s'appuyer sur l'excellence de nos écosystèmes d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation ; 6. accélérer l'émergence de l'industrialisation de start-ups décisives pour le déploiement de l'innovation. |
Les trois premiers objectifs (petits réacteurs nucléaires, hydrogène vert et décarbonation de l'industrie) ont été dotés de 8 milliards d'euros.
Les six priorités des actions dont l'objectif principal est la décarbonation
La décarbonation profonde de l'industrie visée par France 2030 va au-delà de l'efficacité énergétique. Il s'agit de transformer en profondeur les procédés de production, en se fondant sur quatre piliers technologiques : l'électrification des procédés115(*), la biomasse116(*), l'hydrogène117(*) et la capture de carbone118(*). Pour décarboner les sites industriels et soutenir le développement et le déploiement des technologies, l'État investit 5,5 Md€. Il s'agit de financer le déploiement de solutions éprouvées comme l'efficacité énergétique et la chaleur bas carbone, et de mettre en place des technologies de rupture. Cet axe stratégique de décarbonation de l'industrie est complémentaire de la stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné (2,8 Md€ de France 2030 et 9 Md€ de soutien public au total).
L'électrification des mobilités représente une seconde priorité. Elle s'inscrit en particulier dans la stratégie nationale sur les batteries qui a pris la suite en 2021 du plan batteries. Cette stratégie devrait permettre l'implantation en France de 4 grandes usines de batteries (ACC, Envision, Verkor et Prologium), dont la capacité de production est alignée avec l'objectif de 2 millions de véhicules électriques produits en France. Le plan consacre 3,5 Md€ à l'objectif « véhicules électriques et mobilités » en mobilisant de nombreux leviers, qui visent le développement de nouveaux services de mobilité sobres et performants principalement pour le secteur routier, mais aussi ferroviaire et maritime. Cet axe stratégique inclut également l'objectif d'avion bas carboné, doté de 1,2 Md€. Cet axe se fonde sur deux grands types de mesures : de nouvelles technologies permettant de gagner jusqu'à 30 % d'efficacité énergétique et la transition vers de nouveaux combustibles bas carbone.
La décarbonation de l'agriculture et l'émergence d'une alimentation sobre en carbone mobilisent de l'ordre de 2,7 Md€. Il s'agit d'accompagner les consommateurs vers des comportements alimentaires favorables à leur santé et à la réduction des émissions. À cet effet, les investissements ont pour objectif d'assurer la transition du secteur agroalimentaire vers des modèles de production plus intégrés et résilients. Ils visent aussi à accélérer la transition vers des systèmes agro-écologiques en adoptant des pratiques qui réduisent la consommation d'eau et d'intrants, les émissions de GES et favorisent le stockage de carbone.
La sécurisation des matières et intrants stratégiques et le développement de filières de recyclage bénéficie d'un fléchage indicatif de 2,8 Md€. Des actions diverses sont portées, comme la sécurisation de l'accès aux métaux critiques (lithium, cobalt, nickel) nécessaires à la transition bas carbone, le développement de la filière plastique recyclé et le renforcement des filières bois. Des actions en matière de la ville durable et des bâtiments innovants devraient aussi avoir un impact favorable sur la décarbonation.
La création de nouvelles capacités de production d'électricité renouvelable constitue un axe important pour soutenir l'électrification et répondre aux besoins en électricité décarbonée. France 2030 y contribue avec des moyens envisagés à hauteur de 1,1 Md€ pour favoriser l'émergence d'une offre française de petits réacteurs modulaires et de 0,7 Md€ pour le développement de nouvelles technologies de l'énergie renouvelable. Dans ce dernier domaine, trois secteurs prioritaires sont ciblés : le photovoltaïque, l'éolien flottant et les réseaux énergétiques.
Enfin, France 2030 soutient la R&D dans les « technologies vertes », pour permettre aux entreprises d'améliorer leur compétitivité grâce à des solutions produites en France. Selon l'Agence internationale de l'énergie, la moitié des technologies vertes qui permettront d'assurer la neutralité carbone d'ici 2050 ne sont pas encore connues. L'enjeu est donc de permettre à la France de faire la course en tête dans ces « technologies vertes ». France 2030 mise particulièrement sur les acteurs du numérique et les « greentech »119(*) pour aider les entreprises à accélérer leur transition écologique. Des projets sont par exemple soutenus dans le domaine des véhicules autonomes pour aider à réduire les congestions, ou dans les réseaux intelligents pour mieux gérer l'intermittence dans la production d'électricité.
c) Le ciblage des 50 entreprises les plus émettrices de CO2
Si l'émission de GES est très concentrée dans quelques entreprises et pays, en revanche, le dérèglement climatique impacte toutes les entreprises dans le monde, quelle que soit leur taille et leur localisation.
En 2017, le Carbon Disclosure Project120(*) avait estimé que 71 % des émissions globales de GES depuis 1988 étaient dues seulement à 100 entreprises, la moitié de ces émissions est à imputer à 25 d'entre elles. Les deux plus gros émetteurs sont deux entreprises publiques, China Coal Mining et Saudi Arabian Oil Company, responsables respectivement de 14,3 % et 4,5 % des émissions globales de GES depuis 1988. Total, seule entreprise française de la liste, a contribué à 1% des émissions.
(1) Un effort public conséquent
Le 8 novembre 2022, le Président de la République a fixé un objectif de division par deux des émissions industrielles françaises au cours de la prochaine décennie des 50 sites industriels les plus émetteurs.
Ils génèrent en effet 55 % des émissions de CO2 de toutes les émissions industrielles, et 12 % des émissions nationales totales de GES, sachant que 20 % de ces émissions proviennent de l'industrie.
La décarbonation de l'industrie s'inscrit dans les objectifs globaux de baisse de 55 % des GES d'ici 2030, et de neutralité carbone à l'horizon 2050.
Afin de financer cet objectif, 5 milliards d'euros d'aides directes au déploiement de solutions de décarbonation des sites industriels ont été décidées et 610 millions d'euros sont consacrés à l'innovation et au développement des technologies pour une économie bas carbone, autour de quatre technologies de rupture :
- L'hydrogène bas carbone121(*) ;
- La biomasse122(*) ;
- L'électrification des procédés123(*) ;
- La capture, stockage et utilisation de carbone124(*).
32 contrats pour 50 sites, totalisant un engagement de baisse d'émissions de 45 % d'ici 2030, ont été signés par le ministre délégué chargé de l'Industrie et les présidents des entreprises concernées, le 22 novembre 2022.
Le 17 mars 2022, le Gouvernement a annoncé 47 nouveaux lauréats pour les appels à projets visant à décarboner l'industrie :
- 23 pour le dispositif « Efficacité énergétique et décarbonation des procédés »,
- 24 pour le dispositif « Chaleur biomasse », mis en oeuvre avec l'appui de l'ADEME.
Au total 185 projets ont été soutenus par France Relance pour un montant de 2,6 milliards d'euros d'investissements dans la décarbonation de l'industrie française (dont un soutien public supérieur à 1 milliard d'euros), visant une réduction globale des émissions de l'industrie française d'environ 3,6 millions de tonnes de CO2eq par an.
Le 29 avril 2022, un appel à projets « Industrie Zéro Fossile » (IZF) a été lancé pour « déployer rapidement des projets permettant de réduire les émissions de GES en réduisant l'utilisation des énergies fossiles ». Opéré par l'ADEME, cet appel à projets comporte trois volets :
ü Volet 1 : soutien à la production de chaleur à partir de biomasse,
ü Volet 2 : soutien à des grands projets d'efficacité énergétique et d'évolution des procédés à grande échelle,
ü Volet 3 : soutien des petits projets de décarbonation portés par les PME et les ETI.
Au total, 39 projets ont été validés pour le premier volet et 16 projets pour le deuxième volet, pour un total de 225 millions d'euros. La sélection des projets pour le troisième volet est en cours de finalisation, avec une enveloppe budgétaire de 25 millions d'euros.
Afin de poursuivre les efforts de décarbonation dans l'industrie, un nouvel appel à projets (AAP), opéré par l'ADEME, doté de 125 millions d'euros, doit introduire « de nouvelles modalités de sélection avec des critères hors-prix pour favoriser des technologies d'intérêt stratégique compatible avec une vision d'industrie zéro émission à long terme ». Centré sur des projets de grande taille pouvant nécessiter jusqu'à 30 millions d'euros de subventions et représentant un investissement minimal de 3 millions d'euros, le dispositif vise à mettre en valeur des projets permettant de réduire les émissions d'au moins 1 000 tonnes de CO2 par an.
Un autre AAP de 125 millions d'euros a été également lancé en avril 2023 pour les projets d'utilisation de la biomasse dans l'industrie.
Des feuilles de routes125(*) sont établies conjointement par les représentants des filières économiques (50 entreprises et plus de 60 fédérations professionnelles) au sein du conseil national de l'industrie. Le Gouvernement est censé rendre compte de l'avancée de ces travaux au Parlement, après avis du Haut conseil pour le climat, au moins tous les 3 ans.
Cependant, sur les 19 comités stratégiques de filières, seulement 6 feuilles de route ont été publiées, en juin 2024, sur le site du ministère de la Transition écologique. Elles concernent les secteurs de l'aménagement, du bâtiment, de l'automobile, des véhicules lourds, du maritime, de l'aérien et du numérique.
Or, ces feuilles de route sont essentielles pour décliner la stratégie nationale bas carbone et répartir les objectifs de baisse des émissions entre les secteurs, faire évoluer la règlementation, les financements et la fiscalité, arbitrer de façon intersectorielle pour répartir les ressources rares, acter l'évolution des usages et définir la place de la sobriété.
Elles offrent concrètement un cadre permettant aux acteurs économiques d'appréhender comment la transition bas-carbone va affecter leur activité, d'identifier des leviers d'actions pour réaliser cette transition et de s'engager à mener des actions concrètes en faveur de celle-ci. Elles peuvent leur donner également une certaine visibilité sur la programmation de leurs investissements.
Le retard de publication de la SNBC 3 a obligé les filières économiques à raisonner sur la trajectoire SNBC 2, ajustée pour tenir compte du réhaussement des objectifs européens.
Par ailleurs, les Plans de Transitions Sectoriels (PTS), pilotés par l'ADEME dans le cadre du projet Finance ClimAct, permettent d'élaborer des trajectoires de décarbonation, pour les 9 filières industrielles les plus consommatrices d'énergie (sucre, ciment, acier, aluminium, chimie, verre, papier-carton).
Ils quantifient les impacts sur les coûts de production ; évaluent les besoins d'investissements climat ; analysent les mutations en emplois ; proposent des actions publiques et privées permettant la décarbonation du secteur.
(2) L'exemple de l'aciérie ArcelorMittal de Fos-sur-Mer
Vos rapporteurs se sont rendus sur le site de l'entreprise le 31 mai 2023.
La production française d'acier s'élève à 15 millions de tonnes par an et est responsable de 5 % des émissions françaises de GES et du quart des émissions de l'industrie, essentiellement du fait de la production d'acier primaire par six hauts fourneaux, présents en France sur trois sites. Ces derniers représentent en effet 96 % des émissions du secteur pour deux tiers de la production française d'acier. Le reste de la production est issu de fours à arc électriques, répartis sur 16 sites, qui intègrent des ferrailles pour produire de l'acier recyclé.
Du fait de sa résistance mécanique et de son faible coût, l'acier est omniprésent dans le BTP (43 % de la consommation), les biens d'équipements et de consommation (24 %), les matériels de transport (15 %) et les infrastructures énergétiques (2 %).
La production d'acier primaire est émettrice car elle nécessite une réduction du minerai de fer qui se fait à partir de charbon et à très haute température dans les hauts fourneaux. Deux technologies alternatives se développent pour produire de l'acier sans charbon : la réduction directe et l'électrolyse directe du fer.
Dans le plan de transition sectoriel de l'industrie de l'acier en France d'avril 2024, l'ADEME présente trois scénarios de décarbonation du secteur de l'acier.
Le scénario Pari hydrogéné décrit une décarbonation de la sidérurgie centrée sur la réduction directe par hydrogène, qui remplace les hauts fourneaux. Il s'inscrit dans un contexte où la France est compétitive à l'international, favorisant l'accès à l'électricité bas-carbone et le maintien d'une production stable.
Le scénario Compétitivité dégradée explore les risques liés à la compétitivité du prix de l'électricité et aux limites du Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières (MACF). Il met en avant les défis de maintenir un prix de l'électricité faible et stable à long terme. Dans ce contexte, la sidérurgie française rencontre des difficultés à basculer vers la voie électro-intensive de la réduction directe par hydrogène et développe la réduction directe par gaz naturel couplée à du captage et stockage du CO2 pour remplacer ses hauts fourneaux.
Le scénario Sobriété et diversification explore une troisième voie pour réduire les émissions de la sidérurgie française qui vise à mitiger les risques en diversifiant les moyens de production disponibles, dans un contexte où la demande en acier diminue. La réduction directe par hydrogène est déployée dans une moindre mesure que dans Pari hydrogéné. Par ailleurs, ce scénario conserve une place pour un haut fourneau, partiellement décarboné, et considère un développement modéré de l'électrolyse directe du fer.
L'ensemble de ces scénarios « dépasse l'objectif issu de la SNBC 2 et assigné à l'industrie de réduction des émissions annuelles directes de 81 % entre 2015 et 2050 : elles sont réduites de 95 % dans les scénarios Pari hydrogéné et Compétitivité dégradée et de 91 % dans Sobriété et diversification. Ces réductions permettent également d'éviter un doublement voire un triplement du coût de production entre 2022 et 2050 qui interviendrait si les installations existantes étaient maintenues, du fait de la hausse du prix du CO2 ».
Pari hydrogéné met en lumière les défis de la transition vers la réduction directe par hydrogène, qui fait quintupler la consommation électrique, doubler les coûts de production de l'acier et représente les investissements les plus conséquents.
Dans Sobriété et diversification, les effets combinés de la sobriété, d'une forte incorporation de ferrailles et d'un développement plus modéré de la réduction directe permettent d'atténuer l'ampleur de ces défis.
Enfin, du fait de la délocalisation de la production d'acier, Compétitivité dégradée minimise ces défis au prix, toutefois, d'une perte de souveraineté.
Les défis de la décarbonation de la sidérurgie
En février 2022 ArcelorMittal a annoncé investir 1,7 milliard d'euros sur les sites de Fos-sur-Mer et Dunkerque afin d'atteindre d'ici 2030 une réduction totale de près de 40 % des émissions de CO2 d'ArcelorMittal en France, soit 7,8 millions de tonnes annuelles.
À Fos-sur-Mer, ArcelorMittal installe un four électrique (EAF). Cette nouvelle installation vient compléter le four poche soutenu par France Relance. L'investissement représente 73 millions d'euros dont 15 millions provient de l'ADEME. Il vise à substituer le minerai de fer primaire par de l'acier recyclé et donc de réduire, dès 2025, les émissions de CO2 de 10 %. Le directeur d'ArcelorMittal Méditerranée, Bruno Ribo, a indiqué que : « dans un second temps, nous nous doterons d'un four à arc électrique pour atteindre les 35 % de diminution à l'horizon 2030, un investissement estimé à plusieurs centaines de millions d'euros. Celui-ci remplacera l'un de nos deux hauts-fourneaux, mais le procédé traditionnel sera conservé pour continuer à produire certains types d'aciers ». Ensemble, ces investissements vont faire de Fos-sur-Mer un site de référence pour la production d'acier circulaire, produit à partir d'acier recyclé, à faible empreinte CO2.
À Dunkerque, ArcelorMittal construit une nouvelle unité dite « de réduction directe » (DRI), d'une capacité de 2,5 millions de tonnes, pour transformer le minerai de fer avec de l'hydrogène, sans recourir au charbon. Cette unité DRI sera couplée à une technologie innovante de four électrique, et complétée par un four électrique (EAF) additionnel.
d) Des évaluations en cours
Pour Nicolas Bouzou, essayiste français spécialisé en économie, directeur du cabinet de conseil Asterès, auditionné par la délégation aux Entreprises le 25 janvier 2024, « France 2030 est positif sur le papier - même s'il devrait rapidement être transformé en « France 2050 » - mais souffre des défauts de notre pays : les programmes sont trop dispersés. Des sommes allant de 20 000 à 30 000 euros sont allouées dans des projets artisanaux. Certes, on peut soutenir l'artisanat, mais cela n'est pas l'objet de France 2030 et les sommes sont bien trop réduites. Ce programme doit accorder des montants plus élevés - à hauteur de plusieurs millions d'euros - à des projets très innovants et déjà relativement matures. L'amorçage n'est plus un problème en France. Nous sommes déjà une start-up nation et nous ne devons pas le rester ».
(1) L'évaluation par l'État
S'agissant de France Relance, la première évaluation in intinere réalisée en juin 2023 par le comité de surveillance des investissements d'avenir dresse un bilan nuancé de son impact sur la décarbonation de l'économie. En effet seulement : « 46 % des moyens alloués par France 2030 ont un impact potentiel favorable sur la décarbonation de l'économie : 21 % un impact favorable, direct et pérenne et 25 % un impact favorable, indirect ou controversé ».
Selon l'étude, les actions de France 2030 sont alignées sur les objectifs de la planification écologique126(*) et bénéficient principalement à l'énergie, l'industrie manufacturière et les transports. Ces trois secteurs d'activités regroupent 75 % des projets et 95 % des montants engagés dans le cadre du périmètre de l'étude : 41 % des montants concernent l'énergie, 37 % l'industrie manufacturière et 16 % les transports. France 2030 devrait en particulier avoir un impact direct sur la décarbonation de l'industrie estimé à 6 millions de tonnes CO2e en 2030, notamment pour les sites les plus émetteurs. Par ailleurs, la décarbonation est profonde en ce qu'elle concerne les chaînes de production puisque 85 % du portefeuille de projets (en nombre de projets et montant d'aide) porte sur des projets visant des solutions de décarbonation ayant un impact majoritairement sur les étapes du cycle de vie de fabrication ou d'installation de produits.
La substitution du mix énergétique actuel par des carburants non fossiles constitue, parmi les différents leviers de décarbonation, le premier poste en termes de montants engagés. France 2030 cible des solutions de décarbonation coûteuses et avec un fort potentiel d'abattement127(*). La majorité des financements de France 2030 (près de 60 %) est orientée vers une solution non rentable au plan socio-économique à moyen terme, tel que l'hydrogène « vert », ce qui montre la pertinence de l'engagement de l'État.
Cette première évaluation avait trois objectifs :
1. vérifier si l'engagement de France 2030 de 50 % des crédits alloués à la décarbonation est effectivement tenu ;
2. pouvoir mesurer la contribution de France 2030 en matière de réduction des émissions de GES aux objectifs de la planification nationale ;
3. permettre, lors de la sélection des projets, d'orienter les choix en fonction de la réduction des émissions de GES et des coûts d'abattement.
Or, elle s'est toutefois heurtée à d'importants problèmes méthodologiques qui en limitent les conclusions : « Les données disponibles à ce jour ne permettent pas de répondre pleinement à ces trois finalités. D'importantes avancées dans le recueil et le partage d'informations sont constatées, mais des pratiques hétérogènes subsistent (...). Les analyses de mesure de GES menées par les porteurs de projet sont de qualité très variable et l'information disponible pour les évaluations n'est pas toujours suffisante pour déterminer si un projet donné peut être valorisé comme ayant un potentiel de décarbonation suffisamment favorable ».
Le niveau d'exigence des données en termes d'impact sur la décarbonation, classé sur une échelle de 0 à 8, ce dernier niveau étant le niveau le plus élevé, a montré que seulement la moitié (53 %) des cahiers des charges atteignent pour l'instant un niveau supérieur ou égal à 4, tandis que 11 % atteignent un niveau supérieur ou égal à 7.
Afin de « poursuivre le renforcement de l'évaluation des investissements et intégrer davantage les données d'impacts ainsi que les résultats des évaluations dans le processus de décision », le comité a donc émis la recommandation suivante :
- renforcer en particulier la qualité des évaluations environnementales des projets et développer des outils à disposition des porteurs de projets pour faciliter l'évaluation de leurs impacts ;
- accélérer la montée en qualité des données d'impacts recueillies par les opérateurs, notamment en organisant des contrôles ciblés des déclarations ;
- mettre en place un outil numérique permettant la centralisation des données d'impacts et le recueil d'informations provenant d'autres sources, ouvertes et non ouvertes ;
- développer les évaluations de type contrefactuel, notamment pour les dispositifs dits structurels et les actions transverses à plusieurs appels à projets ;
- élargir les collaborations avec les acteurs français et européens de l'évaluation des programmes d'innovation à mission pour améliorer, en continu, les méthodes d'évaluation de France 2030 et les hisser aux meilleurs standards internationaux ;
- mieux intégrer les informations relatives aux impacts attendus des projets au processus d'instruction et de décision de financement des projets mis en oeuvre par les opérateurs ;
- valoriser les résultats des évaluations par une communication régulière sur les impacts des dispositifs et les actions envisagées pour en tirer les enseignements ;
- redéployer 10 % des moyens financiers sur la base des résultats des évaluations disponibles au cours des premières années de déploiement du plan afin de s'assurer une meilleure efficacité des investissements.
Selon une seconde évaluation de janvier 2024 du comité France Relance, le « recul est aujourd'hui insuffisant pour mener une évaluation complète : certains dispositifs ne sont pas encore pleinement déployés (hydrogène décarboné) ou bien ils sont déployés, mais les investissements ne sont pas achevés (décarbonation de l'industrie, rénovation des bâtiments publics) ; ou bien les données ne sont disponibles que pour l'année 2021 (baisse des impôts de production) ou elles sont encore partielles (MaPrimeRénov', APLD et FNE-Formation), ou elles concernent des économies d'énergies attendues et non pas observées (MaPrimeRénov', rénovation des bâtiments publics, décarbonation de l'industrie), voire elles n'ont pas été transmises à temps au secrétariat du comité (protéines végétales, fonds propres). Certaines mesures ont un impact de moyen terme (comme la baisse des impôts de production ou le plan « 1 jeune 1 solution ») et ne sauraient être évaluées sur la base de leur première année de mise en oeuvre ». Le comité note par ailleurs « qu'il n'a pas toujours pu obtenir l'accès aux données qui permettraient d'analyser les effets d'aubaine, par exemple en comparant les trajectoires d'entreprises lauréates et non lauréates pour certains dispositifs d'aides. Il est essentiel de généraliser la collecte et le partage de ces données à l'avenir et de continuer l'évaluation des dispositifs pour à terme renforcer les dispositifs les plus efficients et abandonner les moins efficients ».
Il évalue les coûts budgétaires des actions pour éviter l'émission d'une tonne de CO2 ainsi :
· 700 euros pour la rénovation des bâtiments publics ;
· 600 euros pour le bonus à l'achat d'une voiture électrique ;
· 70 euros pour MaPrimeRenov' ;
· 19 euros pour les projets de production de chaleur à partir de la biomasse.
Le rapport souligne que « ces chiffres sont difficiles à calculer et approximatifs, qu'il ne s'agit que de coûts budgétaires et non de coûts socio-économiques ».
Le tableau suivant précise ce premier bilan sommaire :
Source : évaluation du plan France Relance, synthèse du rapport final, janvier 2024
Évaluer un plan de 100 milliards d'euros, comportant plus d'une centaine de mesures qui peuvent interagir, est un exercice particulièrement complexe. Ainsi, le montant de ce plan nécessitera un rapport de la Cour des comptes et un suivi approfondi par les commissions compétentes du Parlement.
(2) L'évaluation par l'Institut des politiques publiques
L'Institut des politiques publiques128(*) a procédé en janvier 2024 à une « Évaluation des aides à la décarbonation du plan France Relance » afin d'identifier « les effets de l'octroi des aides sur le comportement d'investissement des entreprises, et sur leur trajectoire économique de façon générale ».
Cependant, comme le recul disponible dans les données fiscales est seulement d'au maximum un an et demi après l'octroi des premières aides à la fin de l'année 2020, « les données disponibles ne permettent pas d'étudier les effets des aides à l'investissement sur le comportement de consommations énergétiques des entreprises » et la mesure des effets sur l'investissement « appellent de plus amples analyses lors que de nouvelles données seront disponibles qui permettent ou bien d'approfondir le recul temporel de l'analyse, ou bien de qualifier la nature des investissements consentis et leurs conséquences en matière de consommations énergétiques ».
(3) L'évaluation par le Réseau Action Climat
Le Réseau Action Climat a procédé, en juin 2023, à une évaluation globale de cette politique de décarbonation de l'industrie129(*), qui souligne « le manque d'efforts réalisés pour la décarbonation des 50 sites industriels les plus émetteurs de GES en France, malgré les milliards d'euros d'aides publiques accordées ces deux dernières décennies » et des « avancées concrètes » qui « se font attendre ».
Le montant des montants des investissements pour décarboner l'industrie est considérable : « Selon l'institut I4CE130(*), les investissements nécessaires pour décarboner certains secteurs industriels tels que l'acier, le ciment, et une partie du secteur de la chimie d'ici 2050 pourraient atteindre jusqu'à 14 milliards d'euros, en fonction du scénario envisagé. L'Institut Rousseau évalue les besoins en investissements à 7,8 milliards d'euro d'ici 2030 pour le déploiement de technologies bas-carbone matures auxquels s'ajoutent 22,5 milliards d'euros pour déployer à moyen terme des technologies de ruptures coûteuses ».
(4) L'évaluation par la commission des finances du Sénat
Le 29 mai 2024, la commission des finances a publié un rapport d'information (n°640), sur les aides à la décarbonation de l'industrie du plan France 2030, par MM. Laurent Somon et Thomas Dossus.
Avec l'attribution de seulement 6 % des aides de l'objectif de la décarbonation de l'industrie, les pouvoirs publics ne sont pas au rendez-vous de l'accélération de son rythme provoquée par l'Union européenne en décembre 2022. Ainsi, « les aides attribuées au-delà de l'année 2027 ont une probabilité réduite de produire des effets utiles pour atteindre les objectifs de réductions des émissions de GES à horizon 2030 ».
Seulement 30 % des aides à la décarbonation de l'industrie ont été attribuées aux bénéficiaires finaux en février 2024 et 1 % décaissées à leur profit au 31 décembre 2023, ce qui s'explique notamment par la complexité et la lenteur de l'élaboration de prototypes.
Par ailleurs, est souligné la réduction des investissements publics par rapport aux montant initiaux annoncés. En effet, le plan France Relance a été réduit, lors d'une réunion interministérielle du 23 octobre 2023, de 57 à 54 milliards et les aides à la décarbonation de l'industrie de 5,5 à 4,5 milliards soit une baisse de 18 %.
Surtout, le financement public ne couvre que 18 % du besoin de financement public à l'horizon 2030 qui est estimé à 22 milliards. Aucune visibilité n'est apportée sur le déploiement de ces aides qui devraient doubler pour atteindre l'objectif de réduction des GES à l'horizon 2030 : si les industriels se sont engagés à réduire de 22 millions de tonnes le carbone émis à cet horizon, le financement public actuel ne permet de financer que 10 millions de tonnes de réduction.
2. L'impact limité du captage et stockage du carbone
La France dispose d'un potentiel de stockage de carbone important avec un sous-sol varié, propice au stockage géologique de CO2 par injection dans des champs d'hydrocarbures déplétés131(*) ou des aquifères salins132(*) à une profondeur minimale de 800 mètres. Le potentiel des concessions existantes françaises permettrait de couvrir 50 ans des besoins de stockage de carbone de l'industrie française.
Un appel à manifestation d'intérêt (AMI) pour identifier les industriels qui souhaitent s'engager dans le développement de la chaîne de capture, valorisation et séquestration du carbone a été ouvert jusqu'au 26 juillet 2024 afin de « permettre d'identifier les acteurs qui seront porteurs de solutions pour accélérer le développement des capacités de stockage géologique de CO2 en France ».
Les technologies de captage, stockage et valorisation du CO2 (CCUS-Carbon Capture, Use and Storage) consistent à capter le CO2 dès sa source de production, à le stocker dans le sous-sol et à le valoriser.
Le volume stocké à ce jour (40 millions de tonnes de CO2 par an dans une trentaine d'installations) reste, pour l'instant, anecdotique au niveau mondial, par rapport aux 40 milliards de tonnes de CO2 émises par les activités humaines chaque année.
L'Agence internationale de l'énergie estime, dans le scénario Net Zero Emission by 2050 (NZE) rendu public en 2021, que pour atteindre la neutralité carbone en 2050, 7,6 gigatonnes (Gt) de CO2 devront être captés par an à partir de 2050, soit 20 % des émissions actuelles. Un objectif intermédiaire fixe à 1,6 Gt la quantité de dioxyde de carbone qu'il sera nécessaire de capter dès 2030. Cette quantité passe à 4 Gt de CO2 en 2035, soit un facteur 100 à atteindre en moins de 15 ans.
Pour atteindre l'objectif de seuil de 2 °C, d'après le scénario « développement durable » de l'AIE, plus de 100 milliards de tonnes de CO2 devraient être stockés et plusieurs milliers d'installations de CCUS déployées d'ici 2050.
D'après le rapport spécial sur le captage, l'utilisation et le stockage du CO2 publié par l'AIE en 2020, la capacité mondiale de stockage de CO2 serait comprise entre 8 000 et 55 000 gigatonnes. Ainsi même le chiffre le plus bas (8 000 Gt) dépasse de très loin les 100 Gt de CO2 qui devraient être stockées d'ici 2055 dans le scénario « développement durable ». Toujours selon l'AIE, le potentiel terrestre est plus important que le potentiel marin. En effet, la capacité de stockage terrestre est estimée entre 6 000 Gt et 42 000 Gt tandis la capacité offshore serait comprise entre 2 000 Gt et 13 000 Gt, en ne considérant que les sites situés à moins de 300 kilomètres de la côte, à des profondeurs d'eau inférieures à 300 mètres et en dehors de l'Arctique et de l'Antarctique.
Source : IFPEN133(*)
Dans un avis technique rendu en 2020, l'ADEME considère cette technique comme l'une des solutions qui permet de réduire les émissions des sites industriels de grande taille sans changer le moyen de production, grâce à plusieurs technologies pour récupérer le CO2 dans les fumées, le transporter et le stocker dans le sous-sol.
Le potentiel de cette technologie est toutefois limité en France. Le CSC ne serait applicable que sur trois sites Dunkerque, Le Havre et Lacq, et 90 % seraient stockées en mer hors du territoire français.
Pour l'ADEME, « ce gisement sera cependant réduit lorsque d'autres actions de réduction d'émissions de CO2 (efficacité énergétique, électrification des procédés ou développement des énergies renouvelables) seront mises en place sur ces sites industriels. Aussi, ce gisement paraît compatible avec les orientations de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) qui limite le CSC à 5 Mt CO2/an d'émissions évitées dans l'industrie en 2050 dans son scénario de référence. A contrario, la plupart des sites du secteur de la chimie de base (situés en région AURA) ainsi que ceux du secteur cimentier (dispersés sur tout le territoire) ne pourront pas s'appuyer sur cette technologie pour décarboner leurs activités ». La mise en oeuvre du CSC pour atteindre la neutralité carbone est, pour l'Agence, « à envisager en tant que dernière étape dans une stratégie de décarbonation commençant par les actions plus matures et performantes (l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables), et il reste un pari risqué ».
Plusieurs défis majeurs doivent être levés pour permettre le déploiement industriel du CSC :
- la réduction des coûts de cette technologie « aujourd'hui loin d'être compétitive » (100 à 150 €/tonne de CO2 évité), notamment, contre 20-25€/tonne de CO2 évité pour les technologies les moins chères dans le secteur industriel). « Même en optimisant les technologies de captage (très consommatrices d'énergie), le CSC restera une solution coûteuse car elle n'est adaptée qu'aux sites très fortement émetteurs, en nombre limité, et nécessite des adaptations au cas par cas. Elle ne verra donc pas ses coûts réduits drastiquement par un effet d'échelle ».
- l'acceptation sociétale, au regard des risques technologiques et sanitaires potentiels : « la réussite de projets nécessitera une implication de la société civile et des autorités locales, qui est loin d'être acquise ».
- la temporalité de cette innovation : « des efforts financiers importants doivent être consentis dès maintenant en matière de R&D pour le développement de projets CSC, qui nécessite un temps de développement et d'intégration d'une dizaine d'années, et donc pas de résultats concrets à moyen terme ».
Pour le Réseau Action Climat, « le CSC n'implique pas de réduction des émissions à la source et donc de réelle remise en cause du système productif actuel ». Cette technologie, qui n'est pas encore totalement mature, nécessitera des investissements considérables, estimés entre 11 et 14 milliards d'euros, tout en présentant un risque potentiel de fuites. De plus, « le CSC est une technologie coûteuse et énergivore, dont la pertinence dépend d'un mix électrique national décarboné ». Au total, le Réseau considère que « le CSC ne constitue pas une solution généralisable à l'ensemble du parc industriel français. Ainsi, le CSC doit être considéré par les industriels comme un ultime recours visant à traiter les émissions résiduelles incompressibles et ne doit pas retarder la transformation profonde de l'industrie ». Selon lui, il faut mettre l'accent sur l'enjeu de sobriété de la consommation et développer l'économie circulaire car « privilégier la réutilisation de matière première recyclée sur le territoire, à l'empreinte carbone faible, permet d'une part de réduire la dépendance aux importations et d'autre part de réduire la consommation de matière première vierge ».
Pour la commission d'enquête du Sénat sur TotalEnergies134(*) : « le captage et le stockage du CO2 ne doivent intervenir que pour les émissions résiduelles pour lesquelles il n'y a pas de technologie ou d'alternative ou à titre transitoire » et pour l'IFPEN : « ces solutions prometteuses doivent encore faire la preuve qu'elles peuvent être industrialisées à un coût acceptable ». En effet ; « la plupart des industries lourdes (sidérurgie, cimenterie, raffinage, chimie et pétrochimie) ne disposent pas à ce jour de technologies de substitution leur permettant de réduire massivement leurs émissions de CO2 ».
D'autres pistes sont explorées, comme la valorisation chimique ou biologique du CO2, mais elles restent à un stade expérimental et elles ne représentent que 8 % du potentiel de réduction attribué au CCUS sur la période 2020-2070.
C. DES ENTREPRISES ENGAGÉES DANS LA TRANSITION CLIMATIQUE SOUS LA PRESSION DE LEURS PARTIES PRENANTES
Les précédents rapports de la délégation aux Entreprises135(*) ont mis en lumière l'impact sur les entreprises des investisseurs et de la finance durable, comme celui des salariés comme des consommateurs, plus attentifs qu'auparavant aux engagements des entreprises, lesquelles sont de plus en plus sensibles aux enjeux de la transition climatique.
1. Un engagement des entreprises
Adopter une démarche de lutte contre le dérèglement climatique est essentielle pour les entreprises. En plus de minimiser les impacts négatifs, cet engagement offre certains bénéfices. Intégrer des pratiques de développement durable permet ainsi aux entreprises de contribuer à la lutte globale contre le dérèglement climatique, tout en les rendant plus résilientes, flexibles et compétitives, en renforçant leur capacité d'adaptation face aux imprévus.
Si de nombreux dirigeants d'entreprise se disent conscients de l'urgence climatique, ils sont encore trop peu nombreux à intégrer cet aspect dans leur stratégie et à mettre en place des mesures d'adaptation. Cela est lié aux incertitudes ou méconnaissances quant aux solutions possibles pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique, tout en maintenant la croissance de l'entreprise. Or, adopter une démarche d'adaptation est capitale pour les entreprises, afin de renforcer la robustesse de leur chaîne de valeur et d'assurer leur pérennité sur le long terme.
Parmi de nombreux exemples que les déplacements de terrain de la délégation aux Entreprises ont pu mettre en exergue, le cas de l'entreprise SILVADEC à Arzal, qui a accueilli vos rapporteurs le 5 avril 2024, souligne que certaines entreprises ont été, dès leur création, inspirées par des valeurs de durabilité.
Ainsi, le bois composite, innovation technologique tombée dans le domaine public a permis la création, en 2001, de cette entreprise, qui en a amélioré le procédé. Elle valorise le recyclage, en utilisant les copeaux et sciures issus de scieries locales ainsi que les déchets plastiques, évitant la déforestation et limitant les importations de plastique. Elle recycle ses rebuts de production. Selon ses dirigeants, « créée dans un monde aux ressources alors infinies, elle créée désormais de la valeur dans un monde aux ressources finies ».
2. Un engagement des salariés
Les salariés sont en première ligne de la transition climatique. Ils sont ceux qui la mettent en oeuvre. Ils sont également les premiers à subir les conséquences non anticipées du dérèglement climatique.
a) La question climatique est devenue un enjeu social
La transition climatique impacte en premier lieu la santé des travailleurs, notamment avec l'augmentation des températures, l'exposition aux rayons ultraviolets, le contact avec des agents pathogènes, la pollution de l'air à l'intérieur et à l'extérieur et les conditions météorologiques extrêmes. Cet impact a été évalué par l'Agence française de l'alimentation, de l'environnement et de la sécurité au travail (ANSES) dès 2013. Selon un rapport de 2018136(*), « sur les quinze risques professionnels qui pourraient être affectés par les changements climatiques et environnementaux, treize seront influencés par l'augmentation de la température, et plus spécifiquement par l'augmentation de la fréquence, de la durée et/ou de l'intensité des vagues de chaleur, ainsi que par celle des températures extrêmes chaudes ».
L'une des préoccupations majeures de l'Organisation internationale du travail est devenue d'« assurer la sécurité et la santé au travail à l'heure du changement climatique ». En effet, comme l'indique un rapport de 2024, chaque année : « la chaleur excessive137(*) est responsable à elle seule de 22,85 millions d'accidents du travail, 18 970 décès et 2,09 millions d'années de vie corrigées de l'incapacité (AVCI). En outre, des milliers de personnes meurent à cause d'intoxications par des pesticides (300 000), de la pollution de l'air sur le lieu de travail (860 000), du rayonnement UV solaire (18 960 décès dus aux seuls cancers de la peau non-mélanome) et de maladies parasitaires et à transmission vectorielle ».
Les entreprises doivent désormais anticiper et prévoir un fonctionnement en mode dégradé compte tenu de phénomènes susceptibles d'empêcher leurs salariés de travailler, comme l'illustre cet accord d'entreprise :
L'accord d'entreprise d'ERAM Logistique de 2022
Il définit la canicule comme une période de chaleur intense pour laquelle les températures atteignent ou dépassent les seuils départementaux pendant trois jours et trois nuits consécutifs et susceptible de constituer un risque sanitaire notamment pour les populations fragiles ou surexposées. Elle est associée au niveau de vigilance météorologique orange, et rouge lorsqu'elle est extrême. Les seuils sont fixés pour le département du Maine-et-Loire en 2022 à 34° la journée et 20° la nuit.
Il met en place des mesures de prévention : messages affichés dans les espaces de communication de l'entreprise rappelant l'importance de l'hydratation, les principaux signes de la déshydratation, les signes annonciateurs du coup de chaleur et les moyens de s'en prévenir. L'entreprise s'assure que de l'eau fraiche est mise à disposition de chaque collaborateur (fontaine à eau/bouteille d'eau). Des ventilateurs sont mis à disposition pour les postes qui le permettent. La pause de l'après-midi est allongée de 5 minutes. Les horaires sont avancés d'une heure : 7h-12h ; 13h-15h33.
Vos rapporteurs ont organisé une table-ronde le 3 juin avec les organisations représentatives de salariés ainsi qu'avec l'Organisation internationale du travail, auteur en mai 2023 d'un rapport sur les entreprises écologiques et la transformation des processus et des lieux de travail.
La Conférence internationale du travail138(*) a adopté le 16 juin 2023 une nouvelle139(*) résolution concernant une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour tous, qui appelle notamment à « promouvoir activement, à tous les niveaux, un dialogue social inclusif et effectif, notamment la négociation collective et la coopération tripartite, afin de créer un consensus social autour de politiques et de mesures ambitieuses pour une transition juste ». Selon l'OIT, seulement 23 % des conventions collectives analysées en 2022 intégraient les questions climatiques.
En France, la loi sur les nouvelles régulations économiques de 2001140(*), et plus particulièrement son article 116, avait imposé à 700 grandes entreprises françaises cotées de faire état des conséquences sociales et environnementales de leurs activités et de les inscrire dans leur rapport annuel de gestion141(*).
Depuis la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, les entreprises doivent modifier leur approche du dialogue social en y intégrant la dimension environnementale.
En effet, dans les entreprises soumises à l'obligation de conclure un accord relatif à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, le dispositif doit notamment « répondre aux enjeux de la transition écologique ». Le comité social et économique (CSE) voit sa mission générale s'élargir. Il doit assurer une expression collective des salariés « notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions », la consultation sur la marche générale de l'entreprise inclut les conséquences environnementales des mesures. De même, chacune des trois consultations annuelles récurrentes (orientations stratégiques de l'entreprise ; situation économique et financière de l'entreprise ; politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi) donne lieu à une information de l'instance sur « les conséquences environnementales de l'activité de l'entreprise ». Enfin, la Base de Données Économiques et Sociales (BDES) est devenue une « Base de données économiques sociales et environnementales » (BDESE), intégrant ainsi un thème relatif aux conséquences environnementales des activités de l'entreprise.
En pratique, de nombreuses entreprises ont eu du mal à appréhender la notion de « conséquences environnementales » en l'absence de précision sur la définition de cette notion, l'étendue de cette obligation, et le champ des informations devant être communiquées au CSE.
C'est notamment la raison pour laquelle les partenaires sociaux, ont conclu un l'Accord National Interprofessionnel (ANI) relatif à la transition écologique et le dialogue social du 11 avril 2023142(*). Il marque la volonté d'offrir des outils aux entreprises pour mieux appréhender cette notion, en préconisant de mobiliser l'audit énergétique, le bilan des émissions de gaz à effets de serre, la déclaration de performance extrafinancière, le plan de vigilance ou encore le plan de continuité d'activité.
Cet accord comporte 5 chapitres :
1. Identifier des leviers de changement dans le cadre d'un dialogue social éclairé sur la transition écologique ;
2. Permettre aux dialogues social et professionnel de traiter les enjeux environnementaux au niveau de l'entreprise ;
3. Intégrer les enjeux environnementaux dans les négociations collectives ;
4. Traiter les enjeux environnementaux dans les espaces de dialogue social territoriaux et sectoriels ;
5. Traiter les enjeux relatifs aux emplois et compétences dans la mise en oeuvre de la transition écologique : quelles opportunités ?
Si l'internalisation de la question climatique dans le dialogue social résulte d'une longue évolution143(*), il est désormais incontestable que « l'implication des salariés et de leurs représentants dans les actions menées en faveur de la transition écologique est déterminante pour atteindre les objectifs fixés par l'entreprise » en matière de transition climatique, comme le reconnaît l'ANI. Cette évolution entamée à partir des « écogestes »144(*) dans les entreprises recouvre désormais une appréhension plus globale du sujet.
Des accords d'entreprise sur la transition climatique se déploient progressivement.
L'accord relatif à l'environnement et à la transition écologique d'Engie Green (mars 2024)
Cet accord prévoit la création d'un « Eco-workshop » qui doit établir un état des lieux ; de dresser un bilan carbone ; d'identifier les leviers d'actions prioritaires dans l'entreprise pour mettre en oeuvre la transition écologique de manière globale et progressive tout en assurant une viabilité économique durable.
Il crée par ailleurs un forfait mobilités durables. Chaque salarié réalisant, sur l'année civile, au moins 70 % de la distance entre sa résidence habituelle et son lieu de travail en utilisant les modes de transport durables se verra attribuer un montant forfaitaire de 350 euros par an.
Il entend enfin flexibiliser les horaires de travail afin de privilégier le train ; d'instaurer deux jours de télétravail par semaine ; de favoriser la visio-conférence.
b) Le dialogue social sur la question climatique doit pouvoir progresser
Pour la CFDT145(*), la transition climatique ne peut se réaliser « sans justice sociale. C'est la condition pour qu'elle soit acceptée par tous et réellement mise en oeuvre ». Elle ne peut se décréter d'en haut mais doit associer tous les salariés : « à tous les niveaux, les travailleurs et leurs représentants doivent être associés à la co-construction de la mise en oeuvre concrète des transformations écologiques. Cette démarche doit intégrer l'ensemble de la chaîne de valeur, tant au niveau de la filière que de la chaîne de sous-traitance, pour ne pas reporter les risques sur d'autres maillons et faire émerger de nouvelles vulnérabilités ». Elle propose d'intégrer les questions de qualité du travail et de l'environnement dans l'évaluation de la performance de l'activité de l'entreprise.
Plusieurs motifs d'insatisfaction ont été exprimées lors de la table ronde du 4 juin 2024 réunissant les représentants des organisations de salariés.
La formation des représentants des salariés aux enjeux de la transition climatique est insuffisante alors que, selon l'OIT, 70 % des entreprises s'attendent à un impact considérable de celle-ci. Selon le CESE146(*), seuls 34 % des salariés indiquent avoir suivi une formation sur ce sujet dans le cadre professionnel. Par ailleurs, les inquiétudes sur le maintien de la représentation de proximité sont récurrentes.
S'agissant des lieux du dialogue social climatique, le CSE traite déjà trop de sujets. Par ailleurs, son implication semble ambiguë.
Dans sa nouvelle rédaction l'article L. 2312-8 du code du travail rattache la question des « conséquences environnementales » à la mission du CSE. Il précise, dans son troisième paragraphe, que « le comité est informé et consulté sur les conséquences environnementales » de décisions prises dans les domaines suivants : 1° le volume et la structure des effectifs ; 2° la modification de l'organisation économique ou juridique ; 3° les conditions d'emploi et de travail dont la durée du travail et la formation professionnelle ; 4° l'introduction de nouvelles technologies et tout aménagement important modifiant la santé, la sécurité ou les conditions de travail ; 5° les mesures d'insertion et de maintien au travail des personnes accidentées, invalides ou atteintes de maladies chroniques.
L'article L. 2312-17 du code du travail prévoit désormais une simple information du comité sur les conséquences environnementales au cours des consultations récurrentes sur les orientations stratégiques de l'entreprise ; sa situation économique et financière ; sa politique sociale et les conditions de travail et d'emploi.
L'articulation de ces deux articles apparaît complexe. Dans le premier cas, le CSE est non seulement informé mais il est appelé à rendre un avis sur les conséquences environnementales de décisions de l'employeur dans des domaines précisément énumérés (article L. 2312-8 III). Dans le second, il est simplement informé des conséquences environnementales des décisions dans le cadre des consultations récurrentes à caractère plus stratégique (article L. 2312-17).
S'il est indéniable que la loi « Climat et résilience » marque une étape en faisant entrer les questions environnementales dans la matière même du dialogue social d'entreprise, l'intégration des enjeux de la transition écologique et de la lutte contre le dérèglement climatique dans la discussion sur les orientations stratégiques reste cependant très partielle.
Source : « Travail et santé-environnement : quels défis à relever face aux dérèglements climatiques ? », avis du CESE du 25 avril 2023.
Créer une sous-commission dédiée aux questions climatiques, comme l'a proposé la CGC147(*), n'a pas rencontré l'adhésion des autres représentants syndicaux, en raison du risque de cantonnement de ce sujet qui doit au contraire être abordé de façon transversale par l'instance du pilotage stratégique de l'entreprise. Or, si le conseil d'administration est le plus approprié, puisqu'il traite de la stratégie globale de l'entreprise, les salariés n'y sont pas nécessairement représentés.
S'agissant de la portée du dialogue social climatique, les organisations de salariés souhaitent faire de la transition climatique un sujet de négociation obligatoire dans les négociations relatives à l'emploi. Le CESE le préconise également dans son avis précité, afin de mettre en oeuvre l'ANI de 2023 et d'aborder de façon régulière les points suivants :
1. l'impact de l'environnement sur les conditions de travail ;
2. l'impact de l'environnement sur les emplois, les compétences et la formation professionnelle dans l'entreprise ;
3. l'anticipation des mutations nécessaires de l'emploi et du travail pour contribuer à la réussite de la transition écologique
S'agissant des outils du dialogue social climatique, le BDSE n'est pas le plus approprié car il constitue un outil d'information plus que de décision. Sous réserve de prévoir obligatoirement des thèmes relatifs, notamment, aux conséquences environnementales de l'activité de l'entreprise, les partenaires sociaux sont libres de définir le contenu des informations à inscrire dans la BDESE. Ces informations peuvent donc être très différentes d'une entreprise à une autre.
Aujourd'hui, cette base de données paraît insuffisamment alimentée, en particulier dans les PME qui ont peu d'obligations de reporting environnemental. De surcroît, force est de constater que la BDESE fait rarement l'objet d'une présentation ou d'un échange dans les réunions de CSE. Certes, cette base de données devrait dès 2025 être alimentée de plus en plus par les données CSRD dans les entreprises de plus de 500 salariés qui y sont soumises et la pression des grandes entreprises sur leurs fournisseurs devrait conduire à une amélioration de la quantité et qualité de ces données déjà mises à disposition sur des plateformes telles qu'Ecovadis.
3. Un effort d'adaptation pour les grandes entreprises
a) Les grandes entreprises sont les mieux préparées à la transition climatique
La moitié de l'effort de réduction des émissions de GES d'ici 2030 sera portée par les entreprises.
Comme l'a indiqué Mme Cécile Goubet, directrice générale de l'Institut de la finance durable lors de son audition du 18 mars 2024, la finance durable148(*) et les contraintes normatives, comme la directive CSRD149(*), ont conduit les grandes entreprises à engager de profondes mutations internes et à se doter d'outils leur permettant de se préparer à la transition climatique :
(1) Les grandes entreprises ont intégré la RSE dans leur pilotage stratégique.
Ambitionnant de faire de la place de Paris « une référence pour la transition climatique », le rapport Perrier de mars 2022, précisait « La gouvernance des stratégies de décarbonation par les entreprises est une condition clé de l'efficacité de leur mise en oeuvre. Dès lors, il est nécessaire que les conseils d'administration ainsi que les comités exécutifs soient impliqués dans la validation des stratégies carbone, les arbitrages qui en découlent et le suivi de leur mise en oeuvre ».
En 2022, 94 % des sociétés du CAC 40 avaient mis en place un Comité RSE. La part des conseils des entreprises du SBF 120 ayant un comité en charge de la RSE (Comité RSE dédié et combiné) représente 86,53 % en 2024, soit 90 sociétés sur 1045. En 2021, 54 % des entreprises du SBF 80 avaient un comité RSE, contre 43 % en 2020. En 2022, 34 % des Conseils ont inscrit l'analyse de l'impact du changement climatique parmi leurs thèmes de travail, tandis que ce même pourcentage était proche de zéro il y a deux ans, selon une étude du cabinet de Conseil EY Consulting. Par ailleurs, la directive CSRD renforce le rôle du comité d'audit tout en ouvrant la possibilité qu'un autre comité du conseil ou les membres des organes d'administration et de surveillance aient la responsabilité de s'assurer que les documents publiés par l'entreprise respectent les normes d'information en matière de durabilité.
C'est la raison pour laquelle l'Institut français des administrateurs a recommandé, en 2019 puis en 2021, de « mettre à l'agenda du conseil [d'administration], sous la responsabilité d'un membre du comex, les enjeux climat tous les ans a minima aux titres de la stratégie et de la gestion des risques ».
Toutefois, « plusieurs sociétés ne donnaient peu ou pas d'information dans leur documentation sur la présentation par la direction au comité d'audit, lors l'examen des comptes, de l'exposition aux risques de nature sociale et environnementale » a noté le Haut Comité de Gouvernement d'Entreprise, qui assure le suivi de la mise en oeuvre du code Afep-MEDEF dans son rapport 2022.
(2) Le thème du climat constitue l'un des grands thèmes abordés au cours des assemblées générales des sociétés cotées depuis plusieurs années à l'occasion du dialogue entre les émetteurs, leurs actionnaires et plus généralement les parties prenantes.
« Depuis trois ans, de plus en plus d'investisseurs expriment leur volonté de pouvoir se prononcer et donc de voter en assemblée générale sur la politique environnementale des sociétés dans lesquelles ils investissent. Un certain nombre d'émetteurs en France et à l'étranger ont ainsi sollicité le vote consultatif de leurs actionnaires » a ainsi constaté le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris dans son rapport sur les résolutions climatiques « say on climate » du 15 décembre 2022.
Le Say on Climate est né en 2019 de l'activisme actionnarial par le dépôt de propositions d'actionnaires sur le climat. Il encourage les entreprises à présenter leurs propres résolutions sur le climat, faute de quoi une résolution des actionnaires serait déposée. Ces « résolutions climatiques » sont non contraignantes.
(3) Le risque climatique constitue également un élément de l'information extrafinancière.
La présentation de « plans de transition climatique »150(*) est encouragée par le code Afep-MEDEF, Middlenext151(*), les Recommandations sur le gouvernement d'entreprise de l'AFG, ou encore par l'Institut français des administrateurs.
Les normes européennes d'information en matière de durabilité (ESRS), mettant en oeuvre la directive CSRD, obligent également les entreprises à analyser les risques climats (risques financiers pour l'entreprise du fait du changement climatique) et notamment les risques physiques et les risques de transition. L'entreprise doit publier « les informations sur les principales caractéristiques de son système de gestion des risques et de contrôle interne lié à la procédure d'information en matière de durabilité » ainsi que sur « les stratégies élaborées pour les atténuer ».
Les plans de transition climatique constituent des éléments du reporting extrafinancier prévu par la directive CSRD comme par l'IFRS152(*).
Dans la norme européenne ESRS E1153(*), le plan de transition pour l'atténuation du changement climatique est défini comme suit : « Un aspect de la stratégie globale de l'entreprise définissant les cibles, les actions et les ressources de l'entreprise en vue de sa transition vers une économie à plus faible intensité de carbone, y compris des actions telles que la réduction des émissions de GES eu égard à l'objectif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C et d'atteindre la neutralité climatique ». Si l'entreprise n'a pas mis en place de plan de transition, elle doit indiquer si et, le cas échéant, quand elle adoptera un plan de transition.
L'IFRS S2154(*) définit le plan de transition comme « un aspect de la stratégie globale d'une entité qui énonce les objectifs, actions ou ressources de l'entité pour sa transition vers une économie à faible émissions de carbone, incluant des mesures telles que la réduction de ses émissions de GES ». Il fait référence aux informations sur « comment l'entreprise a réagi et prévoit de réagir aux risques et opportunités liés au climat dans sa stratégie et ses prises de décision, notamment la manière dont elle prévoit d'atteindre les objectifs liés au climat qu'elle a fixés et ceux qu'elle est tenue de respecter en vertu de la loi ou de la réglementation ». Les informations concernant les objectifs liés au climat se réfèrent à « (i) la procédure en place pour l'examen des objectifs ; (ii) le montant de l'objectif d'émissions de l'entité à atteindre grâce à des réductions d'émissions au sein de la chaine de valeur de l'entité ; (iii) l'utilisation prévue des compensations carbone dans l'atteinte des objectifs d'émissions ».
(4) Les administrateurs des grandes entreprises sont formés aux enjeux climatiques.
La formation des administrateurs en matière de RSE et spécialement sur les sujets climatiques est prévue par la version révisée du code AFEP-MEDEF publiée en décembre 2022 comme dans les « Recommandations sur le gouvernement des entreprises » de 2023 publié par l'Association française de la gestion financière (AFG).
Dans la pratique, l'Autorité des marchés financiers a constaté, dans son rapport 2022, qu'en moyenne, 58 % des comités RSE sont composés d'une majorité d'administrateurs disposant d'une expertise en RSE.
(5) Les codes professionnels Afep-MEDEF et Middlenext, recommandent une prise en compte des efforts de transition climatique de l'entreprise dans la rémunération de leurs dirigeants.
Le rapport précité du cabinet EY sur la gouvernance des entreprises précise qu'au cours de l'exercice 2021, 43 % des 100 entreprises sélectionnées du SBF 120 ont mis en place un système de rémunération variable incitatif basé sur des objectifs RSE pour plusieurs cadres dirigeants (au-delà du COMEX).
Le rapport précité du Haut comité de gouvernement d'entreprise note quant à lui une nette amélioration de l'intégration, par les entreprises, des critères environnementaux dans la partie variable de la rémunération de leurs dirigeants mandataires sociaux. Cela concerne désormais 99 % des sociétés du SBF 120 et 100 % des sociétés du CAC40.
La charge des indicateurs extrafinanciers retenue varie généralement entre 10 % et 50 % de la part variable annuelle attribuée aux dirigeants des entreprises du CAC 40.
Certains proposent d'aller plus loin.
Le Haut Comité du gouvernement d'entreprise considère qu'une simple référence à l'application des politiques RSE, le renvoi à un programme interne RSE ou à des enjeux généraux non définis ne sont pas suffisants. Il attend notamment que les critères RSE soient définis de manière précise, soient plus lisibles et pertinents et intègrent les enjeux sociaux et environnementaux propres à l'entreprise.
Le Collège des directeurs du développement durable (C3D), présidé par Fabrice Bonnifet promeut, quant à lui, l'instauration d'un « golden climat », mesuré tous les ans (temporalité néanmoins adaptée en fonction du profil de l'entreprise). Celui-ci pèserait pour 50 % de la rémunération variable de court et long terme et serait conditionné à une baisse des émissions de GES en absolu, y compris si la société est en croissance, sur ses scopes 1, 2 et 3155(*). Cette variable ne serait versée ou attribuée que si la trajectoire de décarbonation de l'entreprise était validée par la science. Ce dispositif se substituerait aux rémunérations variables actuelles et devrait permettre de limiter le risque de compensation de critères financiers plus difficiles à atteindre par des critères extrafinanciers qualitatifs, plus discrétionnaires.
L'Institut pour la finance durable propose, pour sa part, d'intégrer dans la part variable de la rémunération des dirigeants, de court et moyen terme, au moins un critère en lien avec les objectifs climatiques de l'entreprise, en veillant à la précision des critères choisis et en privilégiant des critères quantitatifs en cohérence avec le plan de transition défini par l'entreprise156(*).
Tous ces éléments convergent pour contribuer à la réussite de la transition climatique de la place de Paris puisqu'elle s'est hissée de la 25e à la 4e place financière mondiale grâce notamment à son exemplarité ESG, comme l'a souligné Mme Cécile Goubet lors de son audition.
b) Des normes de plus en plus contraignantes et des échanges de bonnes pratiques
Si de nombreuses entreprises se sont engagées dans la RSE, c'est-à-dire l'intégration volontaire de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes, seules quelques grandes entreprises inscrivent, avec difficulté, cette démarche dans la trajectoire de décarbonation des Accords de Paris pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Les normes s'articulent autour de la directive CSRD ou des normes de l'IFRS, auxquelles la délégation du Sénat a consacré récemment un rapport d'information.
En parallèle, plusieurs les grandes entreprises prennent des engagements volontaires pour tendre vers la neutralité climatique :
v La Science Based Target Initiative (SBTI) accompagne les entreprises dans la définition d'objectifs à court (5 à 10 ans maximum), moyen (2040 par exemple) et long terme (2050 au plus tard) de réduction des émissions à un niveau compatible avec le scénario de réchauffement à 1,5°C, en ligne avec le niveau de décarbonation nécessaire pour atteindre l'objectif net zéro au niveau mondial.
v Le Pacte Mondial Réseau France compte 122 entreprises dont 72 % sont de grandes entreprises, dont 61 ont vu leur objectif validé : si deux tiers fixent un objectif à court terme de respecter l'objectif de réchauffement de +1,5°C, un tiers s'engage à respecter +2°C et moins de 7 % ont un objectif de trajectoire à long terme de +1,5°C. Pour ce faire, les entreprises ont collectivement réduit leurs émissions de scope 1 et 2 de 12 % en 2020. Ces données sont toutefois déclaratives.
ü L' Assessing low Carbon Transition (ACT) a été lancée en 2018 par l'ADEME en coopération avec le Carbon Disclosure Project, afin d'offrir aux entreprises, quels que soient leur taille ou leurs marchés, une méthodologie pour développer et évaluer leurs stratégies et les moyens mis en oeuvre pour les réaliser au regard de l'objectif de l'Accord de Paris et de la SNBC. Elle utilise la méthodologie du SBTI. Elle s'articule autour de deux axes : un volet méthodologique (ACT Pas à Pas), qui vise l'établissement d'une stratégie de transition bas-carbone et d'un plan d'action y afférent et un volet d'évaluation (ACT assessment). D'après l'ADEME, plus de 500 entreprises dans le monde se sont engagées dans l'ACT, dont 119 entreprises françaises (pour l'essentiel, s'agissant d' « ACT Pas à Pas », des PME et des ETI).
ü La Net Zero Initiative (NZI), portée depuis 2018 par Carbone 4, vise à assurer la cohérence et l'articulation entre les méthodes existantes (SBTi et ACT). Elle place la réduction des émissions de l'entreprise comme l'absolue priorité de l'action en faveur du net zéro, (le pilier A), distincte de l'évitement (pilier B) et de la séquestration (pilier C). Les entreprises engagées sont tenues de suivre une trajectoire de décarbonation compatible avec la science du climat. La Net Zero Initiative vise ainsi à mesurer l'ensemble des émissions à travers une comptabilité carbone à triple entrée : émissions induites (pilier A), émissions évitées (pilier B) et émissions négatives (pilier C).
ü En juillet 2023, une « Alliance Pacte PME » a été signée entre sept groupes du CAC 40157(*) et des PME.
Par cette charte, les grandes entreprises signataires s'engagent à accompagner plusieurs milliers de PME dans leur stratégie de décarbonation. Trois parcours ont été définis en fonction de la situation des entreprises. Le premier a vocation à accompagner celles qui n'ont pas commencé leur décarbonation vers l'établissement d'un bilan carbone. Un autre parcours est dédié à celles qui ont déjà établi leur bilan carbone et qui doivent à présent de définir un plan d'actions. Enfin, le troisième s'adresse aux « 10 % » des entreprises les plus avancées dans ce processus, et qui ont besoin de mettre en place des solutions opérationnelles.
c) La compensation carbone est-elle une bonne pratique ?
Les démarches volontaires vertueuses au regard de cet objectif sont celles qui excluent la réduction des émissions après l'acquisition de crédits carbone destinés à compenser leurs émissions, à l'instar du système de compensation Reducing Emissions from Deforestation and forest Degradation (REDD +), mis en place par les Nations-Unies.
Une enquête a en effet révélé en janvier 2023 que, sur une centaine de millions de crédits carbone équivalent à la compensation des émissions annuelles d'une vingtaine de centrales à charbon, « seulement 5,5 % de ces crédits étaient réels, compensant les émissions de GES qu'ils sont supposés neutraliser. Le reste, c'est-à-dire près de 95 %, sont des « crédits fantômes » qui s'échangent sur un marché sans correspondre à aucun bénéfice climatique »158(*).
Ainsi, en janvier 2023, une enquête menée de front pendant neuf mois a démontré que 90 % des crédits carbone REDD+159(*) du plus gros label de compensation du monde n'avaient en réalité aucun impact positif sur le climat. L'équipe des journalistes de The Guardian, Die Zeit et SourceMaterial s'est basée sur trois récentes publications scientifiques d'analyse des crédits du label Verra160(*), ainsi que sur une douzaine d'entretiens avec des climatologues, des acteurs du marché volontaire du carbone, et des porteurs de projets de compensation.
La compensation carbone, une mystification ?
Le résultat de l'enquête est sans appel : ce mécanisme de financement, dont le but est d'apporter des fonds privés pour protéger la forêt primaire dans des zones sensibles, semble n'avoir provoqué un réel évitement de la déforestation que dans un nombre très restreint de cas. 94 % des crédits n'auraient eu aucun effet sur la lutte contre le changement climatique.
Pourquoi un tel écart entre la prévision du standard Verra et la réalité ? Il faut d'abord comprendre que les crédits carbone REDD+ sont émis proportionnellement à la quantité de déforestation évitée, c'est-à-dire à l'écart entre la situation où la forêt est protégée, et une situation alternative, appelée “scénario de référence”, qui aurait eu lieu en l'absence de protection. Les crédits sont alors générés sur la base de la quantité de carbone qui n'a pas été émise dans l'atmosphère grâce au financement du programme de conservation.
Le mécanisme REDD+ récompense les projets évitant la déforestation en leur permettant de générer autant de crédits carbone que d'émissions évitées. À noter que ces projets ne permettent pas forcément une réduction d'émissions, mais simplement une stabilisation, voire une « moindre augmentation ».
Or, il apparaît que ces scénarios de référence ont exagéré la menace de déforestation sur les zones considérées, ce qui a eu pour effet de surestimer l'effet bénéfique des projets. L'une des trois études estime cette surestimation à +400 %, voire à +950 % si l'on exclut du calcul trois projets malgaches particulièrement performants.
Verra certifie les trois quarts de tous les crédits carbone de la planète, et a émis plus d'un milliard de crédits depuis sa création. Son programme de protection de la forêt, celui visé par l'enquête du Guardian, représente 40 % de ses crédits. Il est à noter que les crédits carbone sont l'élément essentiel des allégations de “neutralité carbone” utilisés par un grand nombre d'entreprises, soit pour leurs produits et services, soit pour leurs propres activités. Parfois, ces crédits carbone sont même directement comptés comme une réduction directe de leur empreinte carbone, chose pourtant interdite par les standards de comptabilité climat internationaux.
Outre le fait que la notion de “neutralité” à de si petites échelles pose des problèmes conceptuels forts, l'étude du Guardian rappelle que c'est le système même de calcul et génération des crédits carbone qui s'avère miné par des problèmes de méthodologie. L'enquête s'est basée sur trois papiers de recherche. Deux d'entre eux ont été produits par une même équipe internationale, le troisième par une équipe de l'Université de Cambridge. Les travaux portent sur l'analyse de 87 projets de préservation certifiés par le standard Verra. Parmi les 29 projets dont la donnée s'est avérée exploitable, seuls 8 ont eu un impact réel sur le climat. Parmi eux, un seul a eu un effet égal ou supérieur à ce qui avait été calculé par Verra.
« Est-il vrai que 90 % des crédits carbone ne valent rien ? »
César Dugast, Carbone 4, 26 janvier 2023
d) Les grandes entreprises peinent à respecter leurs trajectoires de décarbonation
Malgré ces synergies et ces partages de bonnes pratiques, malgré des normes volontaires et obligatoires qui se durcissent, même les grandes entreprises éprouvent des difficultés considérables à atteindre les objectifs de décarbonation qu'elles se sont fixés.
Les difficultés pour les grandes entreprises d'atteindre la neutralité climatique d'ici 2050 ont été soulignées par une enquête d'Accenture de novembre 2022 : sur les 2 000 plus grandes entreprises dans le monde, si 34 % d'entre-elles ont pris des engagements de réduction de GES (+7 points par rapport à l'année précédente), seulement 7 % des entreprises engagées seraient aujourd'hui en mesure de les atteindre. Les entreprises européennes et françaises seraient néanmoins mieux positionnées, puisqu'elles seraient respectivement 51 % (+14 points) et 59 % (+12 points) à s'être engagées, alors que 9 % des entreprises européennes seraient en mesure de les atteindre. Si les efforts étaient multipliés par deux jusqu'en 2030 puis par trois jusqu'en 2050, la part d'entreprises susceptibles d'atteindre la neutralité carbone ne s'élèverait qu'à 41 %.
Pour atteindre une proportion plus significative de 78 %, il faudrait que les efforts soient quintuplés entre 2030 et 2050.
De même, le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG) a dans son rapport annuel sur la mesure des émissions carbone par les entreprises (19 septembre 2024), constaté161(*) un ralentissement des progrès des entreprises en matière de décarbonation.
Parmi les quelque 2 000 entreprises mondiales interrogées en 2024, seules 9 % ont réalisé des rapports complets sur les émissions des scopes 1, 2 et 3. En outre, seules 16 % d'entre elles ont fixé des objectifs pour les trois scopes, et seulement 11 % ont réalisé des réductions d'émissions conformes à leurs ambitions.
Ces chiffres sont inférieurs à ceux déclarés par les entreprises en 2023. L'an passé, 10 % des entreprises mesuraient avec précision leurs émissions carbone et 14 % avaient réduit leurs émissions conformément à leurs ambitions, ce qui montre leur difficulté croissante à tenir la trajectoire en matière climatique.
C'est au Brésil, en Inde et en Chine que les chiffres concernant la déclaration complète des émissions, la fixation d'objectifs et les réductions d'émissions sont les meilleurs, en raison d'un fort volontarisme des pouvoirs publics.
Pourtant, la décarbonation paye : 25 % des entreprises interrogées ont déclaré des bénéfices annuels liés à la décarbonation équivalant à plus de 7 % de leurs ventes, soit un bénéfice net moyen de 200 millions de dollars par an. Ces bénéfices résultent notamment de la réduction des coûts d'exploitation (réduction des déchets, rationalisation des matériaux ou des empreintes, utilisation d'énergies renouvelables).
La décarbonation comme vecteur de création de valeur pour l'entreprise Cette création de valeur se mesure à trois niveaux : - Dans la mesure des émissions : Ø Les entreprises qui mesurent les trois scopes de manière exhaustive sont 1,6 fois plus susceptibles d'obtenir des avantages significatifs en matière de décarbonation. Ø Celles qui calculent les émissions au niveau des produits ont quatre fois plus de chances d'obtenir des avantages significatifs en matière de décarbonation. - Dans le reporting des émissions : Ø Les entreprises qui établissent des rapports complets sur chaque scope sont 1,5 fois plus susceptibles d'obtenir des avantages significatifs en matière de décarbonation. Ø Celles qui utilisent l'intelligence artificielle (IA) pour réduire leurs émissions ont 4,5 fois plus de chances d'obtenir des avantages significatifs en matière de décarbonation. Les outils d'IA automatisent notamment certaines tâches, ce qui permet aux équipes de se concentrer sur des objectifs stratégiques telles que la réduction des émissions et la création de valeur. - Dans la fixation d'objectifs : Ø Les entreprises qui fixent des objectifs pour chaque scope sont 1,9 fois plus susceptibles de connaître des avantages importants en matière de décarbonation. Ø Celles qui adoptent un plan de transition climatique ont 2,9 fois plus de chances de bénéficier d'avantages significatifs en matière de décarbonation et 3,3 fois plus susceptibles de réduire leurs émissions conformément à une trajectoire de 1,5°C. Source : rapport BCG précité |
En France, une enquête menée en novembre 2023 par La Fabrique de l'Industrie et KPMG auprès d'une trentaine de grandes entreprises françaises, principalement industrielles et dotées d'une stratégie de décarbonation, a indiqué que près de 40 % d'entre elles affichaient des objectifs de réduction de leurs émissions compatibles avec la Stratégie nationale bas carbone. Peu enclines à modifier leur modèle d'affaires, la grande majorité des entreprises interrogées investissent dans la sobriété et l'efficacité énergétiques, misant sur des leviers éprouvés, peu coûteux et rapides à mettre en place : éclairage et chauffage (100 % des répondants), investissement dans des équipements moins énergivores (86 %), etc.
Or, l'accélération de la décarbonation de l'industrie162(*) ne saurait faire l'économie de chantiers plus ambitieux, comme la réduction des émissions de procédés (liées au processus de production), très concentrées dans un petit nombre de secteurs (métallurgie, ciment, industries chimiques). Présentant un fort potentiel de réduction des GES (-44 % entre 1990 et 2021 pour l'industrie manufacturière), les deux grands leviers de réduction des émissions de procédés ne suscitent pas l'engagement de toutes les grandes entreprises selon l'enquête. La substitution des matières premières carbonées est citée par 57 % des répondants et le recours aux technologies de stockage et de valorisation du carbone par 30 %.
L'enquête identifie trois principaux freins à la transition énergétique :
• La lourdeur des investissements jusqu'en 2050. La Fabrique de l'Industrie avance des estimations sectorielles d'un coût de 1,8 Md€ sur l'année 2023, 3,7 Md€ en 2030, 7,9 Md€ en 2050. Les grandes entreprises déplorent en outre une faible visibilité sur la rentabilité de leurs investissements, a fortiori dans le contexte actuel d'inflation énergétique, et composent avec une réglementation en matière d'aides d'État plus stricte que pour les PME.
• Dans le contexte de la crise énergétique en Europe depuis 2022, les entreprises s'inquiètent aussi du prix et de la disponibilité des énergies, notamment décarbonées (électricité à partir d'énergies renouvelables, hydrogène vert, etc.), qui accompagneraient la sortie des combustibles fossiles.
• La réduction de l'empreinte carbone globale des entreprises, c'est-à-dire des émissions indirectes dites de scope 3, est un chantier encore peu engagé. En l'absence de réglementation forte, les entreprises sondées restent prudentes et privilégient la collaboration avec leurs fournisseurs (72 %) et le développement de la seconde vie de leurs produits (59 %), mesures dont les retombées environnementales restent, selon elles, incertaines dans le contexte d'asymétrie des politiques climatiques à l'échelle mondiale.
4. Un effort inatteignable pour les PME et TPE ?
Alors que les grandes entreprises peinent à atteindre leur objectif de décarbonation, la transition climatique des PME et TPE et encore plus difficile, malgré -ou en raison ? - une offre d'accompagnement sans doute trop abondante.
Leur efficacité dépendra aussi des moyens mis dans l'accompagnement des TPE-PME. Ces dernières souffrent d'un déficit d'ingénierie et ne sont pas armées pour se saisir spontanément d'opportunités dont elles ignorent souvent l'existence. Il est essentiel que la mise en place de ces dispositifs ne s'accompagne pas de lourdeurs administratives au risque de freiner toute velléité d'aller plus loin dans l'adaptation au dérèglement climatique.
La politique de transition climatique de cette catégorie d'entreprises souffre de plusieurs défauts majeurs :
ü Des PME invisibles dans la politique de décarbonation
Comme l'a souligné Bpifrance : « souvent invisibles dans les politiques publiques, les PME ETI semblent ne pas compter pour la réussite de la transition écologique. Par pragmatisme, la politique énergie climat européenne et le plan France 2030 ciblent les sites industriels les plus émetteurs, soit une poignée de grandes entreprises et d'ETI : 1 300 environ pour le marché carbone européen, 150 pour l'initiative « Industrie Zéro Carbone ». Les obligations réglementaires pour le climat, qu'il s'agisse du bilan d'émissions de GES ou du reporting carbone de la déclaration de performance extrafinancière ne s'appliquent pas directement aux PME. Les estimations nationales d'émissions carbone sont réalisées par secteur d'activité, et le détail par taille d'entreprises n'existe pas ».
ü Des obligations parfois inadaptées pour les PME
La question de l'adaptation des normes simplifiées pour les PME dans le cadre de la CSRD se pose toujours163(*). Le rapport sur la compétitivité européenne du 9 septembre 2024 de Mario Draghi, souligne qu'elle représente, parmi d'autres normes européennes, une contrainte trop forte sur la compétitivité des entreprises européennes.
Le bilan des émissions de gaz à effet de serre (BEGES) cristallise ces inquiétudes. L'article L. 229-25 du code de l'environnement rend obligatoire pour les entreprises employant plus de 500 salariés en France métropolitaine la réalisation d'un tel bilan.
La CPME souligne que : « l'élaboration d'un bilan des émissions de GES est une démarche relativement complexe qui, si elle était généralisée, représenterait une contrainte lourde pour les petites entreprises. L'appréhension des émissions du scope 3 constitue un exercice difficile pour la plupart des entreprises ». En effet, il s'agit de répertorier les émissions émises par les fournisseurs et les émissions liées à l'utilisation et à la fin de vie des produits. L'évaluation de ces émissions ne dépend pas de l'entreprise déclarante ; pas plus que leur maîtrise.
Si « la plupart des PME ont bien conscience qu'un audit de leur consommation énergétique et une évaluation de leurs émissions carbonées peuvent être utiles pour, le cas échéant, adopter des comportements plus sobres » les entreprises qui le souhaitent peuvent déjà publier, sur la plateforme de l'ADEME, un bilan des émissions de GES, à titre volontaire.
Le créateur de la Fresque pour le climat164(*) estime pour sa part, que, « pour que le modèle d'affaires des entreprises permette de décarboner leur activité, les dirigeants doivent mieux faire la différence entre risque de transition, risques physiques et plan de décarbonation ». Or, de nombreux dirigeants confondent encore trois notions proches mais différentes : « Les risques physiques sont les conséquences du changement climatique sur mon activité. Les plans de décarbonation sont des engagements pris sur les émissions dont je suis responsable. Les risques de transition, eux, portent sur des changements de règle du jeu qui peuvent affecter mon modèle d'affaires »165(*).
Plus généralement, le calcul des émissions de GES paraît hors de portée de nombreuses TPE malgré les efforts pédagogiques de l'État, de ses opérateurs et des nombreux acteurs engagés dans la décarbonation des entreprises.
Il apparaitrait opportun de proposer, spécifiquement pour les TPE, un outil extrêmement simplifié de sorte que son usage permette le développement de bonnes pratiques qui, avec le temps, pourront se renforcer.
ü Des TPE sans outil adapté et sans cap fixé par l'État
Les TPE ne se sont pas encore engagées dans la transition climatique à la hauteur des défis posés par l'accélération du dérèglement climatique.
Selon une enquête menée par OpinionWay pour CCI France publiée en janvier 2023, trois dirigeants interrogés sur quatre considèrent que la transition écologique aura des impacts importants sur l'économie française d'ici 2025, mais moins d'un sur deux pense que cela aura des répercussions majeures sur leur entreprise. Ce résultat est à nuancer cependant en fonction de la taille de l'entreprise : près de 3/4 des dirigeants des structures comptant 10 salariés ou plus estiment que la transition écologique aura un impact important sur leur entreprise, contre 42 % dans celles de moins de 10 salariés.
Si la prise de conscience de l'impact du changement climatique est très largement partagée, sa traduction en termes d'actions à mener l'est beaucoup moins, et dépend de la taille de l'entreprise.
À court terme, trois entreprises sur quatre déclaraient ne pas prévoir de réduire leur consommation d'énergie. Pour les 25 % ayant engagé des plans de décarbonation, les mesures mises en oeuvre consistent essentiellement -pour trois PME sur cinq- en des plans de réduction de la consommation énergétique : vigilance renforcée sur le gaspillage d'énergie dans les bureaux, remplacement d'équipements (automobile, chauffage, informatique, machines-outils...). La remise en question du modèle économique de l'entreprise ou la réduction de son activité font partie des mesures et solutions les moins citées (respectivement 21 % et 7 %).
Les différents entretiens conduits au cours de la mission ont mené à la conclusion que les PME et TPE avaient impérativement besoin, pour s'engager durablement dans une démarche de décarbonation, de trois éléments :
1. Une simplicité des dispositifs d'aide publique :
Ce qui vrai pour l'ensemble des entreprises l'est davantage pour les PME-TPE : « la majorité silencieuse des dirigeants de PME ETI reste à quai. Perplexes face à la complexité du sujet, timorés devant l'importance des investissements à réaliser, ils semblent être à la croisée des chemins » constatait ainsi Bpifrance en avril 2023166(*).
Pour la CPME, la réduction des émissions de GES par les PME et TPE doit se traduire par « une offre suffisante et adaptée d'aides techniques (conseils, accompagnements personnalisés) pour permettre aux TPE et PME de réaliser des audits préalables à la mise en place de dispositifs parfois complexes ».
2. Un accompagnement personnalisé :
Pour la CPME, « diffuser des guides et des informations via des plateformes numériques ne suffira pas pour que les PME s'engagent dans des démarches de transition si ces outils ne sont pas complétés par des accompagnements personnalisés assurés par des conseillers/experts ».
Ainsi, les subventions ADEME sont « globalement très peu connues et difficilement accessibles aux PME, sans intermédiation. Il est, en effet, très compliqué de suivre les appels à projets et de contacter les bons interlocuteurs ».
3. Une aide financière d'amorçage :
Plus que des aides financières directes ponctuelles, les entreprises ont en effet besoin d'incitations pour orienter leur modèle d'affaires vers plus de sobriété.
Pour la CPME, « la transition bas-carbone est un processus de moyen et long terme ; il convient donc de maintenir les dispositifs incitatifs (crédits ou réductions d'impôt, notamment) sur une période suffisamment longue pour que les entreprises puissent les solliciter au moment le plus opportun, en fonction de leur stratégie de développement, de l'avancée des nouvelles technologies et/ou de leur prise de conscience des enjeux et des moyens d'y faire face ».
Or, l'offre d'aides à la transition climatique des entreprises est particulièrement complexe et disparate.
IV. LES LACUNES DU PILOTAGE PAR L'ÉTAT DE LA TRANSITION CLIMATIQUE DES ENTREPRISES
A. UNE STRATÉGIE PUBLIQUE EN ATTENTE
1. Une stratégie uniquement macro-économique
a) L'analyse prospective du Conseil général de l'économie de 2021
La décarbonation est un nouveau défi pour l'industrie manufacturière française, mais peut aussi être considérée à la fois comme une opportunité pour la moderniser.
Pour respecter les orientations sectorielles 2030 de la SNBC, les leviers proposés par les filières industrielles les plus émettrices de GES (chimie, ciment, métallurgie, agroalimentaire) font appel à des technologies matures aux coûts maîtrisés. Cependant, la disponibilité des ressources en amont peut limiter le déploiement de certaines de ces voies. Pour atteindre les orientations sectorielles 2050 de la SNBC, plus ambitieuses, ces filières envisagent la mise en oeuvre de technologies moins matures qui font aujourd'hui l'objet de recherche, de pilotes et de démonstrateurs. C'est le cas de l'hydrogène, et du captage-stockage-utilisation du CO2. Pour développer ces technologies, des mécanismes financiers de soutien public doivent être envisagés.
L'hydrogène bas carbone devrait se développer à l'horizon 2050 dans l'industrie chimique, et dans l'industrie sidérurgique. Si l'industrie chimique française n'utilisait que de l'hydrogène bas carbone et si les 10 Mt/an d'acier brut français produits par la filière fonte étaient produits avec de l'hydrogène bas carbone, il faudrait augmenter la production actuelle d'électricité française d'environ 15 %.
Les technologies de captage et de stockage de CO2 doivent être améliorées pour en réduire le coût (entre 50 et 200 €/tonne de CO2). Les capacités de stockage en Europe sont encore très insuffisantes, représentant quelques millions de tonnes de CO2 par an. Pour favoriser cette voie, où la France dispose de solides atouts, des sites de stockage doivent être recherchés pour limiter le coût de transport du CO2 ; comme pour l'hydrogène, des mécanismes financiers de soutien public doivent être envisagés, notamment pour des projets de R&D et à des démonstrateurs.
Par ailleurs, le soutien aux projets de production d'énergie à partir du bois pour l'industrie nécessite également une action des pouvoirs publics sur l'offre de bois énergie en France.
Le potentiel de décarbonation de l'industrie par électrification est de l'ordre de 41 TWh d'énergie finale, et ne consommerait qu'environ 5 % de la consommation électrique française, en raison du bon rendement permis par l'électricité. Le rythme actuel d'électrification des process industriels pourrait être accéléré grâce à des aides financières et à une garantie d'accès à des prix garantis d'une électricité décarbonée sur de très longues durées.
Le rapport du CGE propose de prioriser les financements publics suivant des critères d'efficience, de mettre en place des dispositifs d'aides pour accélérer les projets industriels, d'accroître la robustesse des analyses des cycles de vie, notamment en vue de la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, de mettre à jour une feuille de route de logistique et de stockage de l'hydrogène et de réaliser une feuille de route analogue pour le CO2, de développer le recours à des produits décarbonés (acier, ciment...) dans la commande publique, et enfin, d'assurer un suivi des actions ADEME et Bpifrance en matière de décarbonation des entreprises.
Les 8 recommandations du rapport du Conseil général de l'économie
Recommandation 1 : Les financements publics dédiés à la décarbonation doivent être priorisés sur les technologies dont le ratio « coût/émissions de CO2 évitées » est le plus faible et sur celles dont le potentiel de réduction d'émissions de GES est le plus élevé.
Recommandation 2 : Cibler les programmes de soutien à l'innovation et la R&D selon la maturité des technologies de décarbonation des entreprises, notamment dans le cadre des futurs appels à projets de « France Relance ». La communication sur les résultats technico-économiques des projets doit être améliorée.
Recommandation 3 : Mettre à jour une feuille de route de déploiement des infrastructures de logistique et de stockage de l'hydrogène, afin de donner une lisibilité aux industriels et aux pouvoirs publics pour les futurs accès aux ressources d'hydrogène. Créer les conditions pour élaborer une feuille de route similaire pour les infrastructures de logistique et de stockage de CO2, notamment en identifiant des stockages souterrains possibles sur le territoire national, y compris maritime.
Recommandation 4 : Expérimenter un fonds de co-investissement de décarbonation industrielle, doté dans un premier temps de 200 M€ de financements publics en capital et dette, afin de faciliter la réalisation de tours de table pour certains projets industriels sobres énergétiquement mais risqués, ce qui est souvent le point de blocage pour les financeurs privés. Ainsi un plus grand nombre de projets industriels sobres énergétiquement pourront se réaliser plus rapidement en France.
Recommandation 5 : Mettre en place des dispositifs d'aides incitatives en faveur des projets industriels favorables à la décarbonation des entreprises, en complément aux mesures de soutien qui sont mises en oeuvre dans le cadre du Plan de relance : (1) un crédit d'impôt pour inciter les PME à passer de la R&D à une production plus décarbonée, ou à une fabrication de produits moins carbonés (2) la préfiguration d'une agence d'innovation de rupture civile pour les transitions numérique et environnementale.
Recommandation 6 : Dans le cadre des négociations avec nos partenaires européens, afin de mettre en place un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) de l'UE, profiter de la présidence française pour accroître la robustesse des évaluations par l'analyse du cycle de vie (ACV), par exemple par labellisation.
Recommandation 7 : La preuve par l'exemple est un élément important pour vaincre les réticences des acteurs. Il est donc proposé d'assurer à cette fin un suivi des actions de Bpifrance et de l'ADEME pour décarboner les PME.
Recommandation 8 : Favoriser l'usage de matériaux décarbonés dans la commande publique (bois, nouvelles technologies d'aciers et bétons...), notamment en mettant en place de nouveaux cahiers des charges d'appels d'offres et en fixant des critères de choix adaptés.
b) Un impact du dérèglement climatique difficile à évaluer au niveau de l'entreprise
France Stratégie a publié en mai 2023 un rapport sur les incidences économiques de l'action pour le climat, composé d'un rapport thématique et d'une synthèse générale.
L'analyse est essentiellement macro-économique, « qu'il est difficile de décliner au niveau de l'entreprise », comme l'ont indiqué M. Xavier Timbeau, directeur principal à l'Observatoire français de conjoncture économique (OFCE) et Mme Anne Épaulard, directrice département Économie et environnement, entendus par vos rapporteurs le 13 mars 2024. En effet, les entreprises sont hétérogènes au regard de l'intensité énergétique167(*), ont un accès inégal aux technologies disponibles de décarbonation, et une capacité différenciée pour répercuter les coûts de la décarbonation sur leurs clients. L'effet d'entraînement dans les chaînes de valeur est difficile à documenter.
Les conclusions générales de France Stratégie sont ainsi résumées :
L'urgence d'une action climatique
1. La neutralité climatique est atteignable. Y parvenir suppose une grande transformation, d'ampleur comparable aux révolutions industrielles du passé. Mais au regard de celles-ci cette transformation sera globale, plus rapide, et elle sera pilotée d'abord par les politiques publiques et non par les innovations technologiques et les marchés.
2. Cette transformation repose sur trois mécanismes économiques :
a. la réorientation du progrès technique vers des technologies vertes,
b. la sobriété (définie comme la réduction des consommations d'énergie qui ne découle pas de gains d'efficacité énergétique), et
c. la substitution de capital aux énergies fossiles.
3. Nous ne sommes pas durablement condamnés à choisir entre croissance et climat. À long terme, la réorientation du progrès technique peut conduire à une croissance verte plus forte que ne l'était ou que ne l'aurait été la « croissance brune »168(*). La chute du coût des énergies renouvelables est l'indice qu'une nouvelle croissance est possible.
La décennie de toutes les difficultés
4. Pour atteindre nos objectifs pour 2030 et viser ainsi la neutralité en 2050, il va nous falloir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans. L'accélération est brutale, tous les secteurs vont devoir y prendre leur part. Pour se contraindre à tenir leurs engagements, l'Union européenne et la France devraient s'imposer le respect de budgets carbone, pas seulement de cibles en 2030 et 2050.
5. À l'horizon 2030, la transformation reposera principalement sur la substitution de capital aux énergies fossiles : la sobriété contribuera à la réduction des émissions, mais pour 15 % environ, en tout cas pour moins de 20 %. Sobriété n'est pas nécessairement synonyme de décroissance et peut de plus être source de bien-être.
6. Dans les dix ans à venir, la décarbonation va appeler un supplément d'investissements d'ampleur (plus de deux points de PIB en 2030, par rapport à un scénario sans action climatique). Malgré des progrès récents, nous ne sommes pas encore sur la trajectoire de la neutralité climatique.
7. D'ici 2030, le financement de ces investissements, qui n'accroissent pas le potentiel de croissance, va probablement induire un coût économique et social. Parce que l'investissement sera orienté vers l'économie de combustibles fossiles, plutôt que vers l'efficacité ou l'extension des capacités de production, la transition se paiera temporairement d'un ralentissement de la productivité de l'ordre d'un quart de point par an et elle impliquera des réallocations sur le marché du travail.
8. Plus largement, la transition induira un coût en bien-être que les indicateurs usuels (PIB) mesurent mal. Les réglementations ne sont pas plus indolores que la tarification du carbone.
9. La compréhension des effets de la transition nécessite d'articuler différents niveaux d'analyse : technique, microéconomique au niveau des sous-secteurs concernés, local parfois, macroéconomique pour comprendre les enchaînements d'ensemble, international compte tenu des enjeux de compétitivité et de coordination. Il faut continuer à investir dans l'amélioration des outils utilisés pour apprécier les incidences économiques de l'action climatique dans toutes ces dimensions.
Un impératif d'équité
10. La transition est spontanément inégalitaire. Même pour les classes moyennes, rénovation du logement et changement du vecteur de chauffage d'une part, acquisition d'un véhicule électrique en lieu et place d'un véhicule thermique d'autre part appellent un investissement de l'ordre d'une année de revenu. Même si l'investissement est rentable, il n'est pas nécessairement finançable sans soutien public. Le coût économique de la transition ne sera politiquement et socialement accepté que s'il est équitablement réparti.
11. Pour soutenir les ménages et les entreprises, les finances publiques vont être appelées à contribuer substantiellement à l'effort. Compte tenu des dépenses nouvelles comme de la baisse temporaire des recettes liées au ralentissement de la croissance, le risque sur la dette publique est de l'ordre de 10 points de PIB en 2030, 15 points en 2035, 25 points en 2040, en supposant que la baisse des recettes assises sur l'énergie est compensée.
Une incidence sur les finances publiques
12. Il ne sert à rien de retarder les efforts au nom de la maîtrise de la dette publique. Sauf à parier sur la technologie, ce ne pourrait qu'accroître le coût pour les finances publiques et l'effort nécessaire les années suivantes pour atteindre nos objectifs climatiques. L'endettement public n'est pas le premier instrument de financement de la transition. Contraindre à l'excès la possibilité d'y avoir recours risque cependant de compliquer encore la tâche des décideurs publics.
13. Pour financer la transition, au-delà du redéploiement nécessaire des dépenses, notamment des dépenses budgétaires ou fiscales brunes, et en complément de l'endettement, un accroissement des prélèvements obligatoires sera probablement nécessaire. Celui-ci pourrait notamment prendre la forme d'un prélèvement exceptionnel, explicitement temporaire et calibré ex ante en fonction du coût anticipé de la transition pour les finances publiques, assis par exemple sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés.
14. Pour les dix ans qui viennent, la transition crée un risque de configuration inflationniste. Dans un contexte de brouillage sur la mesure de l'inflation, les banques centrales vont devoir préciser leur doctrine et expliciter leur réponse aux pressions sur les prix qu'induira la transition. Elles doivent au minimum conduire la politique monétaire avec doigté, et sans doute même opérer un relèvement temporaire de leur cible d'inflation.
L'Europe se dote d'instruments pour traiter son problème de compétitivité, mais ceux-ci risquent d'être insuffisants
15. L'Inflation Reduction Act américain témoigne de ce que la convergence des ambitions climatiques n'implique pas la convergence des stratégies. L'hétérogénéité des politiques climatiques est appelée à perdurer.
16. L'Union européenne fait face à un sérieux problème de compétitivité. Elle souffre d'un prix élevé de l'énergie, le Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) est un dispositif imparfait, qui limite les fuites de carbone mais ne traite pas au fond la question de la compétitivité, et le pari industriel européen est mis en cause par l'IRA. L'Union européenne ne peut pas être à la fois championne du climat, championne du multilatéralisme et championne de la vertu budgétaire.
17. L'articulation entre politique européenne et politiques nationales doit être repensée. Aujourd'hui l'Union fixe les objectifs mais elle laisse les coûts politiques et les coûts financiers correspondants à la charge des États et prend appui sur une coordination indicative, dont l'effectivité est incertaine. L'Europe ne peut pas se permettre d'afficher une grande stratégie climatique tout en restant dans le flou quant à sa mise en oeuvre effective. Il importe qu'elle définisse et mette en place une nouvelle gouvernance climatique à la mesure de son ambition.
18. La bonne méthode pour piloter la transition doit reposer sur un équilibre entre subventions, réglementation et tarification du carbone. Mieux que les États-Unis ou que la Chine, l'Europe et la France combinent aujourd'hui les trois instruments. En dépit des difficultés politiques et sociales, il ne faut pas renoncer au signal-prix, qui permet d'orienter les décisions de façon décentralisée.
Les conclusions de ce rapport de mai 2023 doivent être remises en perspective, compte tenu de la situation financière dégradée de l'État en septembre 2024 et de la nécessité de maîtrise de la dépense publique mise en exergue par la Cour des comptes dans son rapport du 15 juillet 2024 : « La dette publique, emportée par la réitération des déficits et par son poids, affiche un coût de plus en plus élevé qui contraint toutes les autres dépenses, obère la capacité d'investissement du pays et l'expose dangereusement en cas de nouveau choc macroéconomique ».
Alors que les besoins d'investissements dépassent les 100 milliards d'euros, la baisse des recettes de fiscalité énergétique (évaluées à 14 milliards d'euros à l'horizon 2030) sont plus élevées que la montée en puissance du marché européen du carbone (8 milliards). Par ailleurs, la réduction de moitié des quotas d'émissions allouées gratuitement va peser sur les entreprises des secteurs de l'acier, du ciment, de l'aluminium, des fertilisants et de l'hydrogène. Enfin, l'impact du deuxième marché du carbone créé à compter de 2027 par l'Union européenne sur les petites entreprises industrielles devra être évalué, même si une première analyse de novembre 2023 du Conseil d'analyse économique sur « l'estimation de l'effet du marché du carbone européen sur l'industrie manufacturière française » a souligné que, « bien que la réglementation ait augmenté le coût de l'énergie, le SEQE n'a pas désavantagé les entreprises réglementées : leurs ventes annuelles ont augmenté de 5 à 10 % » tandis que, parallèlement, les émissions de CO2 ont diminué de 6 à 21 % en moyenne selon les années dans les usines réglementées, et que « le SEQE ne semble pas avoir augmenté les coûts marginaux de production des fabricants français soumis à cette réglementation. Au contraire, les revenus des fabricants français réglementés sont supérieurs de 5 à 10 % à ce qu'ils auraient été en l'absence de SEQE, tandis que les émissions des usines réglementées sont inférieures de 6 à 21 % selon les années ».
2. Une politique de transition climatique qui n'est pas déclinée au niveau des entreprises
« Le pilotage de l'évaluation des risques climatiques, portée par la définition d'un cadre méthodologique, gagnerait à être renforcé et constituerait un outil utile, notamment pour l'élaboration de politiques d'adaptation dimensionnées à la hauteur des enjeux », selon France Stratégie169(*).
« La stratégie bas-carbone française résulte d'un travail extrêmement détaillé, mais elle est établie de manière relativement autonome et sans relation claire avec la politique et les perspectives macroéconomiques d'ensemble. Par ailleurs, en termes de méthode, la SNBC mêle des objectifs intermédiaires et des instruments. Elle tend à privilégier l'action sur la demande plutôt que l'action sur l'offre. Enfin, la question du financement des investissements est évoquée mais elle n'est pas véritablement traitée. Or, les investissements nécessaires ne seront pas réalisés sans un financement à la hauteur des enjeux », selon REXECODE170(*).
Non seulement l'exercice est hors de portée de la compréhension de l'immense majorité des PME et TPE, mais il n'apporte pas aux entreprises une vision structurante, faute de déclinaison de la stratégie publique au niveau des entreprises et d'un financement adéquat.
a) La trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation au changement climatique
La définition d'une trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation au changement climatique (TRACC), publiée en 2023 sous la responsabilité du ministère de la Transition écologique, doit permettre de :
• mettre à jour les référentiels de risque, normes et réglementations techniques qui doivent prendre en compte les effets du changement climatique dans tous les domaines (bâtiment, transport, énergie, réseaux, risques naturels...) ;
• accompagner l'adaptation des collectivités territoriales : la TRACC sera progressivement intégrée dans l'ensemble des documents de planification territoriaux ;
• accompagner l'adaptation de l'activité économique : pour chaque secteur, des études de vulnérabilité basées sur la TRACC permettront d'élaborer des plans d'adaptation au changement climatique.
Selon le Haut conseil pour le climat, elle met en lumière l'obsolescence de plusieurs référentiels sectoriels « dans les secteurs du bâtiment, des infrastructures, des services sanitaires, des services de sécurité civile, de l'assurance et révèle des besoins d'adaptation avérés dès à présent ».
Le Secrétariat général à la planification écologique a publié en mai 2024 une trajectoire annualisée du plan de décarbonation avec l'identification de 55 « leviers » pour baisser les émissions de CO² entre 2019 et 2030 de 200 millions de tonnes. La moitié de ces leviers reposent sur les entreprises, un quart sur les changements de mode de vie des ménages et le dernier quart sur les pouvoirs publics.
Le schéma ci-après résume la répartition sectorielle de cet effort :
b) L'impasse du financement de la transition climatique
Alors que la première Stratégie nationale bas-carbone de la France de 2015 évoquait à peine le financement de la transition climatique, pas davantage que la loi Climat résilience pourtant issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat créée pourtant pour explorer les alternatives à la taxe carbone, la question du financement a été clairement posée, sans être jusqu'à présent résolue.
(1) L'absence d'un plan de financement global de la transition climatique
Au niveau mondial, des plans de financement mondiaux émergent. Au niveau européen en revanche, « il manque toujours un plan d'investissement à long terme dans le domaine du climat qui fournisse un soutien financier prévisible au cours des 5 à 10 prochaines années. Le plan de relance NextGenerationEU, qui disparaît progressivement d'ici 2026, laisse un vide dans le financement européen de la lutte contre le changement climatique et l'approche « Fonds-par-Fonds »171(*) n'a pas la cohérence globale nécessaire pour mener une action climatique qui apporterait une véritable réponse à l'IRA des États-Unis »172(*).
Au niveau national, les termes de l'équation financière ont été posés en 2023 dans les trois rapports Pisani Ferry - Mahfouz de France Stratégie, de la direction générale du trésor et dans l'édition 2023 du Panorama des financements climat réalisé par l'institut I4CE.
L'ordre de grandeur des investissements climat que les acteurs publics et privés vont devoir faire, en plus, d'ici 2030 est de 100 milliards voire 110 milliards d'investissements supplémentaires en faveur du climat, Ils s'inscrivent dans une fourchette européenne et mondiale centrée autour de +2 à +3 points de PIB.
Cependant, avertit la direction générale du Trésor, dans une note d'avril 2024, ces estimations sont réalisées sur un périmètre partiel, pouvant amener à minorer les investissements nécessaires car « i) seuls les besoins nationaux sont pris en compte, excluant le soutien aux projets internationaux de décarbonation ; ii) les dépenses liées aux dommages causés par le changement climatique, à l'adaptation à celui-ci ou au titre des autres objectifs environnementaux ne sont pas incluses ; iii) les investissements en R&D, en biens de consommation courante, en capital humain (formation initiale et reconversion) et les dépenses d'accompagnement des frictions économiques liées à la transition sont également exclus ». Certaines hypothèses mobilisées peuvent aussi amener à majorer les besoins retenus : « i) les hypothèses comportementales, en particulier concernant la sobriété des usages ou les autres changements de pratique (ex : report modal) sont parfois conservatrices et davantage de sobriété diminuerait les besoins totaux ; ii) il en va de même concernant les baisses de coûts qui pourraient résulter de l'accélération des innovations incrémentales, d'innovations de rupture, ou du déploiement à grande échelle des technologies bas-carbone ».
Enfin, la répartition future de l'effort public-privé n'est pas détaillée, car elle dépend du secteur, des leviers et du mix d'instruments de politiques publiques considérés (signal-prix, réglementations, subventions, etc.). De plus, les baisses de recettes pour l'État liées à la décarbonation pourraient être significatives. « Il convient donc de se garder d'assimiler ces montants au surcoût total net de la transition écologique pour les ménages, les entreprises, les collectivités ou l'État » conclut l'étude.
Pour financer ces investissements dans la transition climatique, le rapport Pisani Ferry - Mahfouz estime entre 25 et 34 milliards d'euros la hausse nécessaire des dépenses publiques. Il ne s'est toutefois pas prononcé sur la répartition des dépenses publiques entre l'État et les collectivités ni sur l'origine de ce financement public. La proposition du rapport d'un prélèvement exceptionnel sur le capital, non consensuelle, n'a pas été retenue.
Annoncé en janvier 2024 dans son plan stratégique 2024-2028, Bpifrance ambitionne d'injecter au titre de son plan Climat près de 35 milliards d'euros pour la transition écologique et énergétique d'ici à 2028.
Une telle prévisibilité est encore attendue de l'État. En 2023, le gouvernement a bénéficié de la fin du bouclier tarifaire pour boucler l'équation du financement de la transition, mais sans dégager un financement pérenne. Une stratégie pluriannuelle de financement de la transition, volet financier de la planification écologique, devrait être publiée et débattue au Parlement, mais elle est encore en attente.
Estimant à juste titre « urgent de développer ces plans » car « nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre une autre décennie pour voir les premiers éléments apparaître », l'institut I4CE a proposé en février 2024 une méthodologie d'un plan de financement de la stratégie climatique avec quatre étapes : traduire les objectifs climatiques en une feuille de route pour les investissements ; évaluer les besoins d'investissement ; choisir les politiques publiques et le financement associé ; piloter l'adaptation de l'économie au moyen de l'évaluation climat des budgets. Il se présente ainsi :
(2) Un financement peu compatible avec la situation des finances publiques
Le Haut conseil pour le climat rappelle, dans son rapport du 20 juin 2024, que le projet de SNBC 3 se traduit par des besoins de financement climat à l'horizon 2030 estimés à hauteur de 100 à 110 milliards d'euros par an « correspondant, pour environ deux tiers, à des investissements bas-carbone et, pour environ un tiers, à des diminutions d'investissements carbonés (ou entretenant des dépendances au carbone) ». Les économies d'énergie et la sobriété ressortent minorant significativement les besoins de financement (de l'ordre de 20 milliards). Des dispositifs de financement innovants sont annoncés dans le projet de SNBC 3, mais ne sont pas encore connus.
Le rapport de juillet 2024 de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques engage pour sa part le Gouvernement à présenter à l'automne 2024 un « plan budgétaire et structurel national à moyen terme » qui « couvrira a minima la période 2025-2028. L'impact sur la croissance et sur les finances publiques de l'accélération de la transition énergétique nécessaire à l'atteinte de l'objectif de réduction des émissions de 55 % en 2030, ainsi que du réchauffement climatique et des nécessaires adaptations qu'il exige, devra donc nécessairement être pris en compte dans ce cadre ».
À l'évidence, un lien entre la SNBC et la programmation des finances publiques devra être établi afin que les acteurs économiques et les entreprises connaissent les besoins annuels en investissements privés pour atteindre les objectifs de la transition climatique.
(3) Une évolution erratique des crédits budgétaires
À cette impasse s'ajoute l'évolution erratique des crédits budgétaires dédiés à la transition écologique.
Suite au décret n°2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits d'un montant de 10 milliards, près de 3,1 milliards ont affecté ceux du ministère de la Transition écologique qui venaient de bénéficier dans la loi de finances pour 2024 d'une augmentation de 10 milliards. Cette annulation a concerné 700 millions en crédits de paiement sur l'énergie, dont 100 millions sur la recherche (réduit à 60 millions par redéploiement interne) et 200 millions sur la filière hydrogène.
Sans méconnaître la nécessité d'un effort budgétaire pour réduire le déficit public, ces signaux adressent des injonctions contradictoires aux entreprises qui ont besoin d'un cap clair et de stabilité du cadre financier des investissements publics pour leurs propres investissements.
Même la direction générale du Trésor, dans son rapport intermédiaire précité de décembre 2023, reconnaît que « la stabilité macroéconomique et financière sera une condition nécessaire à une transition réussie ».
De même, le Haut conseil pour le climat estime dans son rapport du 20 juin 2024 que : « la stabilité des dispositions économiques et financières est essentielle pour l'opérationnalisation des politiques climatiques. Les annonces de financement suivi d'annulations de crédits (3 Mrd € d'annulation de crédits quelques mois après leur attribution à la transition écologique en loi de finances pour 2024) nuisent à la continuité de l'action publique comme privée en induisant des à-coup dans les projets ou des interruptions dans les programmes d'action et d'investissements. Ce genre de signal est aussi démobilisateur pour les professionnels engagés dans des transformations et la confiance des consommateurs (ex. dispositif d'accompagnement des rénovations profondes, fiscalité des carburants fossiles, bonus-malus automobile) ».
Tant que l'urgence climatique, considérée comme grande cause nationale par l'État, demeurera une variable d'ajustement budgétaire, la crédibilité du financement de la transition climatique se posera.
c) Le report sine die de la loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC)
La loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat avait prévu, dans son article 2 créant l'article L100-1 A du code de l'énergie, la présentation « avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans » d'une loi fixant « les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique » et déterminant les objectifs de réduction des GES sur trois périodes successives de cinq ans, de réduction de la consommation énergétique finale, de développement des énergies renouvelables, de diversification du mix électrique, de rénovation énergétique des bâtiments et d'autonomie énergétique des départements d'outre-mer pour deux périodes successives de cinq ans.
Cette loi quinquennale forme, avec la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), la Stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC).
Elle découle d'une obligation européenne, prévue dans un règlement 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, du 11 décembre 2018. Ce dernier prévoit que les États-membres établissent pour le 31 décembre 2019 des plans nationaux intégrés en matière d'énergie et de climat (PNIEC), couvrant des périodes de 10 ans. La prochaine échéance est le 1er janvier 2029.
La version française, le plan national intégré en matière d'énergie et de climat (PNIEC), date de mars 2020 et la programmation pluriannuelle de l'énergie 2019-2028 date du décret n°2020-456 du 21 avril 2020. Son actualisation de juin 2024 a été transmise à l'Union européenne le 10 juillet 2024.
Dans la perspective de la loi de programmation énergie-climat, une concertation nationale sur le mix énergétique s'est d'abord déroulée dans cette optique entre octobre 2022 et février 2023. La Première ministre de l'époque, Élisabeth Borne, annonçait, le 26 avril 2023, reporter la présentation d'un premier projet de loi « à l'automne 2023 » après les conclusions des sept groupes de travail, constitués au printemps par le ministère de la Transition énergétique. Le 22 novembre 2023, le volet énergétique de la SFEC, la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) a été mis en consultation.
Puis, le 15 mars 2024, le Premier ministre a annoncé le lancement d'un débat public sur le projet de stratégie française énergie climat, sous l'égide de la Commission nationale du débat public.
La loi quinquennale a depuis disparu de l'agenda politique.
Or, la plupart des objectifs nationaux de la transition écologique n'ont pas été révisés depuis 2019, voire 2015, au point d'être désormais déconnectés des engagements européens de la France173(*). Ainsi, la SNBC ne donne plus aucune trajectoire après 2033.
De surcroît la France n'avait pas respecté ses premiers objectifs de diminution des émissions de CO2 (ceux de la SNBC 1)174(*), mais a globalement respecté les nouvelles cibles qu'elle s'est fixée (celle de la SNBC 2), alors que l'Union européenne a décidé, avec le paquet « Fit for 55 » du 14 juillet 2021, d'accélérer son objectif de réduction des émissions nettes (c'est-à-dire après déduction des captations de CO2) en 2030 par rapport à 1990 de 40 % à 55 %.
Cette carence a été dénoncée par le Haut-conseil pour le climat dans une lettre ouverte au Premier ministre du 2 avril 2024 :
« À ce jour, le Haut conseil pour le climat constate qu'après plusieurs consultations et débats, ni la loi de programmation énergie et climat, ni la Stratégie française énergie et climat, ni la 3e Stratégie nationale bas carbone, ni le 3e Plan national d'adaptation au changement climatique, ni la 3e Programmation pluriannuelle de l'énergie n'ont été formellement adoptés, en dépit des obligations législatives. Ces documents sont essentiels afin de guider l'action climatique à long terme. Ces documents doivent en outre fixer le niveau des budgets carbone de la France pour les périodes 2029-2033 et 2034-2038 en cohérence avec l'atteinte de la neutralité carbone en 2050, établir les priorités d'action pour la production et la gestion de l'énergie au-delà de 2028, et fixer les nouveaux plafonds indicatifs d'émissions pour les transports internationaux et l'empreinte carbone de la France. Le Haut conseil pour le climat ne peut que s'inquiéter du risque de recul de l'ambition de la politique climatique induit par les dérives de calendrier de ses instruments les plus structurants ».
Dans son rapport annuel 2024 du 20 juin, le Haut conseil pour le climat juge que : « le renouvellement de la SNBC est désormais urgent pour maintenir la structuration de la politique nationale de réduction des émissions de GES dans la durée. Le retard de publication de la 3e SNBC nuit à la visibilité de la trajectoire de décarbonation d'ensemble, ainsi que pour chaque secteur pris individuellement ». En l'absence de cadre national renouvelé, les actions nouvelles sont en général peu coordonnées et leur ambition se réduit à des mesures ciblées sur des enjeux spécifiques. Les stratégies sectorielles « sont elles aussi dans une situation de déficit de structuration et plusieurs pourraient utilement être construites (ex. renouvellement forestier, stockage de carbone dans les sols) ou actualisées (Programmation pluriannuelle de l'énergie, Stratégie Nationale pour l'Alimentation, la Nutrition et le Climat, stratégie pour le développement de la mobilité propre) pour impulser ou renforcer une dynamique de décarbonation ».
Des initiatives parlementaires sont venues pallier la carence gouvernementale :
ü À l'Assemblée nationale, une proposition de loi visant à instaurer de nouveaux objectifs de programmation énergétique pour répondre concrètement à l'urgence climatique a été adoptée en commission le 4 avril dernier ;
ü Le Sénat devait adopter, le 12 juin dernier, une proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, de M. Daniel Gremillet, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues. Elle a finalement été discutée et adoptée les 15 et 16 octobre 2024.
Lors du débat du 30 avril consacré à « planification écologique et COP régionales : quelle efficacité ? », M. Jean-Baptiste Blanc a dénoncé une nouvelle fois l'absence de vision d'ensemble présentée à la représentation nationale, demandant : « quand le Parlement sera-t-il enfin saisi, comme dans une démocratie normale, d'un texte complet, cohérent et précis traitant des différents sujets de la planification écologique - atténuation, adaptation, énergie, modes de production, déchets, agriculture, biodiversité - et détaillant nos objectifs et les contraintes et incitations nouvelles que le Gouvernement juge nécessaire d'instaurer pour les mettre en oeuvre ? » et « quand le Parlement sera-t-il saisi d'une programmation financière claire et réaliste sur la planification écologique nécessaire à notre pays ? L'effort à accomplir est estimé à 100 milliards d'euros supplémentaires d'investissement chaque année pour les dix ans à venir. Combien mettra l'État, c'est-à-dire le contribuable ? Combien mettront nos entreprises, c'est-à-dire les consommateurs ? Combien mettront nos banques, c'est-à-dire nos épargnants ? Combien mettront nos collectivités locales, c'est-à-dire nous tous ? Ce débat sera douloureux, mais il est incontournable, et c'est au Parlement de statuer ».
Compte-tenu des enjeux, ces documents ne peuvent être publiés par décret et la SNBC 3 comme la PPE 3 doivent être soumis au Parlement.
Le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur TotalEnergies de juin 2024 demande, pour sa part, que : « cette loi acte la sortie des énergies fossiles, (...) qu'elle promeuve l'essor des énergies renouvelables et une politique de sobriété, d'efficacité et de rénovation énergétiques ambitieuse » dans sa recommandation n°4 :
D'ici la fin de l'année 2024, présenter la loi de programmation énergétique et actualiser la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) qui en découlent : - en fixant des objectifs de réduction de 55 % des émissions de GES, de 30 % de la consommation d'énergie totale et de 45 % de la consommation d'énergie fossile dès 2030 ; - en mettant un terme à la production d'électricité à partir de charbon, sauf en cas de menace grave pour la sécurité d'approvisionnement électrique, dès 2027 ; - en portant de 10 à 20 % la consommation de biogaz en 2030 pour compenser la fin des importations russes ; - en fixant un objectif production d'au moins 580 TWh d'électricité décarbonée, notamment d'origine nucléaire, en 2035 pour accompagner l'électrification des usages ; - en prévoyant des trajectoires d'incorporation pour les biocarburants et les e-carburants, notamment pour les secteurs (maritime et aérien) les plus difficiles à électrifier ; - en promouvant la récupération de la chaleur fatale ainsi que le captage et le stockage du CO2, notamment sur les sites industriels ; - en promouvant les actions de sobriété et d'efficacité énergétiques ; - en facilitant l'instruction des projets d'énergies renouvelables ; - en consolidant les compétences de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) au-delà des marchés de l'électricité et du gaz. |
Ce vide juridique et politique a des conséquences économiques pour les entreprises en raison de l'absence de visibilité de la politique publique de transition climatique.
« Faute de documents de pilotage actualisés, confirmés et validés démocratiquement, les investisseurs potentiels n'ont pas de lisibilité à moyen et long termes sur les axes qui seront privilégiés par l'État, ni les porteurs de projets sur les dispositifs de soutien qu'il mettra en oeuvre, ni les industriels et autres professionnels sur les perspectives de développement des filières intervenant dans les secteurs des énergies renouvelables, de la rénovation énergétique et de la maîtrise des consommations énergétiques, ni, enfin, les gestionnaires des réseaux publics d'électricité et de gaz sur leurs besoins de renforcement et d'adaptation. L'absence de loi quinquennale bride donc des investisseurs qui devraient pourtant se mobiliser massivement pour relever les défis de demain » a ainsi souligné la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Pour Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau Action Climat (RAC) : « fixer les objectifs climatiques, c'est le sujet qui pourrait faire le plus débat au Parlement, quelque chose de suffisamment large pour rendre difficile la formation d'une majorité. Mais sans les mesures sectorielles nécessaires pour appliquer la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et faire baisser les émissions, ce type de loi ne nous fera pas changer de braquet dans la planification écologique. Le Secrétariat général à la planification écologique avait pourtant souligné lui-même que parmi les mesures recommandées pour y parvenir, plus de la moitié devaient être nouvelles ».
La France a besoin d'une stratégie climatique globale qui fixe un cap clair aux entreprises.
En effet, au-delà de la programmation de la production énergétique, les objectifs de consommation énergétique ou d'efficacité énergétique sont tout autant importants parce qu'ils influent sur le changement des usages, comme massifier la rénovation énergétique ou le passage du véhicule thermique à l'électrique. « Plus qu'un texte de loi, l'enjeu est d'arrêter une vision : il nous faut un récit commun sur lequel nous appuyer pour la décennie à venir » pour Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER).
Par ailleurs, une meilleure articulation entre stratégie climatique et programmation des finances publiques permettrait d'effectuer les grands arbitrages sur le choix des instruments de répartition ainsi que sur le montant de l'effort des acteurs privés et publics.
d) Le troisième plan national d'adaptation au changement climatique
Présenté le 24 octobre, il prend acte du fait que « les politiques mondiales effectivement mises en oeuvre aujourd'hui mènent plutôt à un réchauffement mondial moyen de 3,2°C en 2100 ». Constatant par ailleurs que la France hexagonale se réchauffe plus vite que d'autres territoires, elle présente un scénario tendanciel de réchauffement de 2 °C en 2030, 2,7 °C en 2050 et 4°C en 2100 par rapport à l'ère pré-industrielle. Il comporte 51 mesures dont 7 concernent principalement les entreprises.
Bien que le Sénat l'ait réclamé dès 2019175(*), ce plan ne chiffre pas les besoins financiers associés aux politiques d'adaptation au changement climatique. Cependant, une enveloppe financière est mentionnée pour la mise en place des prêts verts garantis par l'État pour l'adaptation au changement climatique et la transition des entreprises.
Un montant de 2 milliards d'euros avait été annoncé le 8 février 2024 par les ministres de l'Économie et de la Transition écologique. L'État devait garantir des prêts atteignant 2 millions d'euros par entreprise, et même 2,5 millions pour le secteur de l'industrie. Bpifrance aurait été chargé de l'octroi des prêts supérieurs à 200 000 euros dès le mois de mars 2024. Leur distribution devait s'effectuer avec les réseaux bancaires, en lien avec Bpifrance. Ils devaient servir à financer des projets de nature très diverse : isolation des bâtiments pour limiter l'accumulation de chaleur en journée, installation de récupérateur d'eau ou de filtrage des eaux usées, système de prévention des feux aux alentours des entrepôts...
L'axe trois (sur cinq) du PNACC 3 vise à assurer la résilience de l'économie française.
L'initiative « 50 sites précurseurs de l'adaptation » qui aurait permis « d'identifier et d'accompagner des acteurs publics et privés (entreprise, hôpital, école, usine, exploitation agricole...) s'engageant dans une démarche d'adaptation au changement climatique avant de généraliser les meilleures pratiques à tout le secteur », qui figurait dans l'avant-projet, n'est plus retenue.
A en revanche été ajoutée une référence au ciblage prioritaire des dispositifs ADEME, France 2030 et Bpifrance au bénéfice de ceux qui appliquent le principe du « Do No Significant Harm » ou « absence de préjudice important porté à l'environnement », défini dans une communication de la Commission européenne du 18 février 2021.
Mesures du PNACC 3 concernant les entreprises
(hors mesures sectorielles)
N°11 : Adapter les conditions de travail au changement climatique en renforçant les obligations de prévention des employeurs176(*).
N°19 : Intégrer les enjeux de l'adaptation au changement climatique dans la prévention des risques technologiques.
N°24 : Intégrer les enjeux de l'adaptation au changement climatique dans toutes les normes techniques.
Dans le passé, ces référentiels et réglementations techniques étaient établis sur la base du climat local déduit des données climatiques observées ou analysées sur une période idéalement des 30 années passées. Les référentiels et réglementations seront mis à jour en tenant compte du climat futur, en priorité pour les activités s'appuyant sur des infrastructures ou des matériels de longue durée de vie.
N°33 : Rendre obligatoire les études de vulnérabilité pour les grandes entreprises gérant des infrastructures d'énergie et de transport dès 2025 et les Opérateurs d'Importance Vitale dès 2026.
N°34 : Intégrer les enjeux de l'adaptation dans les dispositifs d'aide aux entreprises.
Dès 2024, une évaluation des aides publiques sera conduite dans ce sens sachant que les modalités d'intégration des enjeux climatiques pourront varier selon les dispositifs. Entre autres, les dispositifs ADEME, France 2030 et Bpifrance qui doivent appliquer le principe du « Do No Significant Harm » ou « absence de préjudice important porté à l'environnement » seront ciblés en priorité (...) La prise en charge des effets du changement climatique sur les entreprises en activité partielle sera à court terme conditionnée à la prise d'engagements complémentaires, qui pourraient notamment porter sur l'évolution du modèle économique de l'entreprise, la formation des salariés, l'adaptation des conditions de travail ainsi que l'aménagement des locaux et de l'outil de travail de l'entreprise. Les entreprises affectées durablement et de manière structurelle par les conséquences du réchauffement climatique sont par ailleurs incitées à s'engager dans la prévention et la couverture de ces nouveaux risques.
N°40 : Mieux évaluer les actions d'adaptation mises en oeuvre par les entreprises
La prise en compte de la vulnérabilité au changement climatique est encore largement insuffisante et l'intégration de la trajectoire de réchauffement de référence (TRACC) dans l'évaluation environnementale permettra de répondre à ce manque et de standardiser cette analyse, assurer un cadre de prise en compte par les entreprises, et un développement compatible avec le climat futur. Un guide méthodologique à l'attention des porteurs de projet et des bureaux d'études sera diffusé en 2024 pour contribuer au volet « adaptation au changement climatique » de l'évaluation environnementale et sera complété par un guide similaire pour les plans/programmes. Le code de l'environnement sera modifié par décret, en 2024 pour introduire la TRACC comme hypothèse de travail dans l'évaluation environnementale des plans/programmes.
Ces travaux seront informés, à partir du premier janvier 2026, par un bilan annuel des politiques d'adaptation mises en place par les entreprises, soumises à des règles de rapportage extrafinancier. Cette mesure s'attachera à suivre les entreprises dans la mise en oeuvre de leurs obligations de reporting (CSRD, Taxonomie) sur les risques climatiques et les actions d'adaptation qu'elles déploient. Elle encouragera également Ia mobilisation des entreprises qui ne seront pas concernées par ces obligations avant plusieurs années, en particulier dans les secteurs et territoires les plus vulnérables au changement climatique. Cela sera renforcé par l'intégration de l'adaptation dans les obligations de la Base de données économiques sociales et environnementales (BDESE), par exemple.
N°41 : Développer les outils et informations nécessaires aux entreprises pour s'adapter au changement climatique
Dès 2025, un guide/outil générique de référence sera déployé pour faciliter l'engagement des acteurs économiques aux actions d'adaptation. Ce travail sera également mené au niveau des filières, qui seront sensibilisées à l'intérêt de la production de guides sectoriels d'évaluation des vulnérabilités au regard des risques physiques auxquels sont exposés les sites (ex : sécheresse, inondations, glissements de sols, etc.) et de solutions d'adaptation. À l'image des outils sectoriels définis pour le bilan d'émissions de gaz à effet de serre, les filières et autres acteurs clef pourront développer des outils au plus près de leurs risques avec le soutien méthodologique de l'État et de ses opérateurs. Ces guides pourront contenir en particulier (i) l'analyse des risques et opportunités, (ii) la définition de plans d'adaptation qui contribuent à l'évolution des plans de continuité d'activité, (iii) l'aide au reporting CSRD sur la base du « Portail RSE » de la Direction Générale des Entreprises et de la méthode ACT Adaptation de l'ADEME, et (iv) des solutions fondées sur la nature.
Afin de faciliter l'accès des entreprises à toute l'offre des outils génériques et sectoriels recommandés par l'État un catalogue sera déployé à travers la plateforme numérique « Mission Transition écologique » et le « Centre de ressources pour l'adaptation au changement climatique ».
e) La limite des outils de pilotage de la politique climatique
(1) Les limites du « budget vert »
Le « budget vert » est le produit d'une initiative conjointe de l'OCDE et du gouvernement français dessiné lors du « One Planet Summit » de Paris à la fin 2017. La France est le premier État au monde à s'être doté, dès 2020, d'un outil d'analyse de l'impact environnemental de son budget. L'exercice en est à sa cinquième édition dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024.
L'article 179 de la loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 prévoit que le Gouvernement remet désormais au Parlement, en annexe au projet de loi de finances (PLF), un rapport sur « l'impact environnemental du budget »177(*). Il offre ainsi une vision exhaustive et consolidée de l'information disponible en matière de moyens consacrés aux politiques environnementales178(*).
Il comporte :
1. Une mesure de l'impact environnemental des crédits budgétaires et des dépenses fiscales, classifiée afin de rendre compte de l'aspect multidimensionnel de l'environnement en recensant l'impact des dépenses sur six axes environnementaux, inspirés de la taxonomie verte des activités au niveau européen : « Atténuation climat », « Adaptation climat », « Eau », « Déchets », « Pollutions », « Biodiversité »179(*).
Pour le projet de loi de finances 2025, non adopté, parmi l'ensemble des dépenses budgétaires et fiscales du budget de l'État (575,7 milliards), 42,51 milliards d'euros sont considérés comme ayant un impact favorable à l'environnement (en hausse de 35 % par rapport à 2022), 4,71 milliards un impact mixte et 8,09 milliards un impact défavorable (en baisse de 39 % par rapport à 2022). Les dépenses sans impact significatif sur l'environnement représentent 432,7 milliards d'euros.
Les dépenses vertes et mixtes sont donc largement supérieures aux recettes environnementales affectées au budget de l'État, qui devaient s'élever à 30,4 milliards en 2025.
2. Une vision consolidée de l'ensemble des financements, publics et privés, mobilisés en faveur de la transition écologique, qui permet d'englober celles des collectivités, des gestionnaires d'infrastructures, des bailleurs sociaux, des entreprises et des ménages. Elles sont élaborées en partenariat avec l'I4CE.
3. Un panorama des ressources publiques à caractère environnemental.
Sur ce dernier point, vos rapporteurs soulignent l'enjeu de la perte des taxes sur la consommation d'énergies fossiles180(*), lesquelles sont théoriquement amenées à disparaître avec la transition énergétique. Cette attrition des ressources publiques devrait s'élever à 13 points de PIB à l'horizon 2050. Elle est évaluée par la Cour des comptes en juillet 2024 à 14 milliards à l'horizon 2030 puis 33 milliards à l'horizon 2050. En contrepartie, le marché du carbone pourrait représenter un gain de recettes supplémentaires de 8 milliards d'euros en 2030.
Prélevés sur les carburants, le gaz ou le charbon, plusieurs impôts dont la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), auxquels s'ajoutent les recettes de la vente des quotas carbone, alimentent les caisses de l'État, mais également les collectivités locales et diverses agences.
« La transformation du pays en une économie pauvre en carbone, supposant une baisse drastique de la consommation des énergies fossiles, pose la question de la disparition à moyen terme de ces impôts, dont le produit finance aujourd'hui des politiques publiques pour l'essentiel sans lien avec la transition écologique »181(*).
Une note de l'Inspection générale des finances rédigée par Selma Mahfouz en 2022 estime que l'impact sur les deniers publics de la perte de ces recettes est en réalité supérieur à celui du besoin en investissements futurs. Se basant sur les travaux de l'Office for Budget Responsibility britannique, l'économiste chiffre l'effet de cette attrition sur le ratio de dette à 13 points de PIB en 2050, dans l'hypothèse d'une économie neutre en carbone à cet horizon grâce à une transition « ordonnée ». Le choc lié aux dépenses d'investissement serait moindre, à 4 points de PIB. La direction de la législation fiscale à Bercy fait, elle aussi, l'hypothèse d'une diminution des recettes d'environ 30 % à l'horizon 2033.
Le rapport publié en mai 2023 Pisani Ferry - Mahfouz reprend les chiffrages de l'inspection des finances, mais suppose que la perte de ces recettes sera « compensée afin de maintenir le taux de prélèvements obligatoires constant », grâce à la mise en place d'une « fiscalité adaptée à une économie décarbonée », sans préciser. Les auteurs anticipent en sens inverse la montée en puissance des recettes tirées des enchères de quota carbone, estimées « entre 10 et 15 milliards à horizon de la fin de la décennie ».
Enfin, la Cour des comptes reconnaît, dans son rapport public de juillet 2024, que : « ce budget vert ne permet donc pas de s'assurer que les moyens budgétaires consacrés à la transition énergétique sont cohérents avec la SNBC et en ligne avec les besoins estimés pour atteindre les objectifs fixés par les lois nationale et européenne, notamment dès 2030 ». Toutefois, l'article 9 de la loi n°2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques 2023-2027 cherche à pallier cette faiblesse en prévoyant que les lois de programmation sur l'énergie et le climat précisent la programmation des moyens financiers nécessaires à l'atteinte des objectifs climatiques. Par ailleurs, le Gouvernement devra transmettre chaque année au Parlement avant le 1er octobre une stratégie pluriannuelle qui définit les financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale.
Si notre modèle économique est dépendant des énergies fossiles, le système de financement de l'État l'est également. La transformation de l'économie doit aller de pair avec une profonde transformation de nos finances publiques.
(2) L'absence d'évaluation climatique des lois
L'objectif principal de l'évaluation des lois en regard du climat est d'engager un cercle vertueux d'amélioration, et permettre une cohérence entre celles-ci et l'objectif de neutralité carbone que la France s'est fixé.
Une telle évaluation devrait également englober le plan France Relance, doté de 30 milliards d'euros sans comporter une évaluation précise des impacts climatiques et de la cohérence de ses dispositions avec l'objectif de neutralité carbone.
Le Haut conseil pour le climat en a fait la proposition au Gouvernement dès son premier rapport, en décembre 2019, mais aucun compte n'a été tenu : « L'évaluation en regard du climat d'une loi doit alors permettre de déterminer quelle est sa contribution, positive ou négative, au respect des trajectoires envisagées par cette stratégie et à l'atteinte de la neutralité carbone. Ces évaluations doivent être réalisées tout au long de la durée de vie d'une loi, depuis sa préparation jusqu'après son entrée en vigueur. Des exemples internationaux nous enseignent qu'il est possible de dresser les contours d'une organisation institutionnelle facilitant le cercle vertueux de l'évaluation : une sélection raisonnable des lois à évaluer en regard du climat, des études d'impact de qualité, et un dispositif d'évaluation après l'entrée en vigueur prévu dès la conception de la loi ».
Début 2020, plus de 40 députés du collectif « Accélérons la transition écologique et sociale » ont adressé dans une démarche transpartisane un courrier au Premier ministre demandant à ce que l'évaluation climatique des lois soit mise en place rapidement.
La Convention Citoyenne pour le Climat a également accueilli dans ses objectifs une proposition similaire lorsqu'elle invite à « renforcer et centraliser l'évaluation et le suivi des politiques publiques en matière environnementale »182(*).
Dans ce but, plusieurs initiatives parlementaires ont été déposées à l'Assemblée nationale en juin 2021183(*) mais n'ont pas été examinées.
(3) L'évaluation de la politique publique de décarbonation des entreprises
Afin de piloter au mieux les investissements publics, il convient de privilégier les coûts d'abattement, même s'ils ne doivent pas être les seuls critères de décision.
La définition du coût d'abattement est la suivante :
Les coûts d'abattement sont des indicateurs utiles à l'évaluation des politiques climatiques : ils permettent notamment de comparer l'efficience de différentes actions de décarbonation. Le coût d'abattement rapporte les surcoûts (nets des bénéfices autres que la réduction des émissions de GES) d'un levier de décarbonation à la réduction des émissions de GES sur sa durée de vie, par rapport à un système de référence à usage ou production équivalente. Son utilisation permet ainsi de hiérarchiser les leviers réduisant le plus d'émissions de GES à coût donné, en €/t CO2eq184(*).
Source : rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État - octobre 2023
Ce concept indique le montant des surcoûts et bénéfices en euros d'une action de décarbonation associés à l'évitement d'une tonne de GES. Développé à partir des travaux de la commission Criqi de France Stratégie, sa méthodologie, publiée en juin 2021, est en cours de construction et doit être améliorée. Une subvention en faveur de la décarbonation doit en effet être analysée au regard de son effet déclencheur des gestes qui, sans elle, n'auraient pas eu lieu sans elle, et prendre garde aux effets d'aubaine, gestes qui, sans la subvention, aurait été réalisé de toute façon. Elle doit également prendre en considération les risques de verrouillage technologique, un investissement dans une solution réduisant les émissions de GES pouvant être défavorable à un investissement ultérieur dans une solution encore moins émettrice. Enfin, les effets de bouclage, autrement dit la disponibilité des ressources nécessaires et de l'offre technique disponible (comme la main d'oeuvre) doivent être intégrés.
La Cour des comptes, dans son rapport de juillet 2024, propose de faire de cette notion un instrument central de la politique publique de décarbonation en proposant de : « privilégier des actions présentant les coûts d'abattement - c'est-à-dire le coût par tonne de CO2 évitée - les plus faibles via une montée puissance de la tarification du carbone et/ou des subventions ciblées et des réglementations proportionnées, subordonnées à des évaluations rigoureuses ».
La direction générale du trésor propose un référentiel des coûts d'abattement, le référentiel ABCDE, appliqué ici à un exemple concret :
La quatrième édition du budget vert, annexé au projet de loi de finances pour 2024, a utilisé cette méthode pour l'étude de trois dispositifs de politiques publiques de décarbonation : (i) MaPrimeRénov', (ii) le bonus écologique pour les véhicules électriques et (iii) les subventions en faveur de la décarbonation de l'industrie du plan France Relance. Cette analyse a été élargie dans la cinquième édition au projet de loi de finances pour 2025 à trois secteurs (logements, transports, industrie) et à la rénovation des logements, l'électrification des transports routiers et la décarbonation de l'industrie.
Rapporté aux feuilles de route de l'exercice pour les 50 sites les plus émetteurs de GES et les plus de 200 projets de décarbonation à horizon 2030 permettant d'atteindre une réduction de 24 millions de tonnes de CO2eq/an en activant différents leviers technologiques185(*), le résultat « à l'exception du levier électrification » est « relativement concentré autour d'une valeur moyenne de 100 €/t CO2e ».
S'agissant des projets de décarbonation de l'industrie financés dans le cadre des appels à projets IndusEE et DecarbInd du plan de relance français (France relance), ils ont présenté un coût d'abattement à horizon 20 ans de 19 €/t CO2e évitée, pris en charge par l'État à hauteur d'environ 75 % de leurs coûts complets, selon une évaluation de la direction générale des entreprises de mars 2023.
Les coûts d'abattement doivent néanmoins être utilisés avec précaution car ils ne sont pas nécessairement cohérents avec la neutralité carbone à 2050 : « améliorer l'efficacité des véhicules thermiques est ainsi une solution efficiente économiquement, mais qui ne permettra pas d'atteindre la neutralité carbone. De même, une rénovation a minima d'un logement très énergivore est efficiente du point de vue de son coût d'abattement, mais elle ne l'est plus si on intègre le fait que ce logement devra dans ce cas être rénové à nouveau d'ici 2050 » 186(*).
3. Des faiblesses préoccupantes de la trajectoire de décarbonation
a) La France dépasse largement ses budgets « carbone »
(1) Une baisse record de 5,8 % en 2023
Les émissions de GES de la France ont baissé de 5,8 % sur l'ensemble de l'année 2023, après une baisse en 2022 de 2,7 % selon le CITEPA187(*), soit-22,8 millions de tonnes (Mt) de CO2e entre 2022 et 2023, hors Utilisation des Terres, Changements d'Affectation des Terres et de la Forêts (UTCATF)188(*). Ce dernier secteur est essentiel car il est actuellement le seul qui permet de réaliser des émissions négatives grâce aux puits de carbone naturels : la biomasse (forêts, haies, agroforesterie...) et les sols (sols agricoles...).
Elles sont passées de 396 Mt CO2e en 2022 à 373 Mt CO2e en 2023, soit en dessous du niveau minimum record de 2020 (389 Mt CO2e). Ramenées au nombre d'habitants, elles passent de 5,5 tonnes CO2e/habitant à 5,2 tonnes.
Tous les grands secteurs participent à la baisse de 22,8 Mt CO2e :
- 7,7 Mt pour l'industrie de l'énergie ;
- 6,1 Mt pour l'industrie manufacturière ;
- 4,4 Mt pour les transports ;
- 3,4 Mt pour les bâtiments ;
- 1,2 Mt pour l'agriculture.
Si l'on distingue gaz par gaz, les émissions de CO2 hors UTCATF ont baissé, entre 2022 et 2023, de 6,9% ; celles de méthane (CH4) de 1,3% et celles de protoxyde d'azote (N2O) de 1,9%.
Après un plateau relatif dans les années 1990 jusqu'en 2005, une diminution irrégulière de 2006 à 2014, puis une période de lente ré-augmentation des émissions entre 2014 et 2017, les émissions de GES connaissent une dynamique de réduction plus marquée depuis 2017, sans compter l'effet temporaire du Covid (baisse de 9,2% en 2020 et rebond de 5,7% en 2021).
(2) Toutefois, un bouclage difficile des budgets carbone en raison des conflits sur l'utilisation de la biomasse
L'une des raisons du retard dans la publication de la stratégie climatique de la France est l'absence de cohérence entre les projections d'émissions de GES en France et les budgets carbone que le pays devrait respecter pour tenir ses objectifs de réduction d'émissions. Cela signifie qu'en l'état actuel des projections, la France dépasse largement ses budgets carbone.
Les services de la direction générale de l'énergie et du climat ont déjà réalisé deux simulations, baptisées Run 1 et Run 2 et s'apprêtent à relancer une troisième simulation.
Confirmant les entretiens réalisés par les rapporteurs auprès de nombreux interlocuteurs qui intègrent la biomasse dans leur mix énergétique, plusieurs secteurs sont en concurrence pour l'accès au gisement et pour le mobiliser sous forme de bois-énergie, de biogaz, ou de biocarburants. Or, la faiblesse du gisement de biomasse obligerait donc mécaniquement à accentuer les efforts de réduction d'émissions par secteur, notamment sur l'agriculture et des transports qui étaient jusqu'ici davantage préservés que le bâtiment et l'industrie.
Par ailleurs, les capacités d'absorption du carbone par les forêts, qui représentent le principal puits de carbone naturel, diminue en raison du réchauffement climatique, comme l'a souligné le Haut-conseil pour le climat dans sa lettre ouverte au Premier ministre en date du 2 avril 2024 : « L'accélération de la baisse des émissions de la France est d'autant plus nécessaire que l'état de santé actuel de nos forêts, suite aux impacts du changement climatique, limite fortement leur contribution au stockage du carbone dans la biomasse. Certains puits forestiers de métropole sont même devenus émetteurs au cours de la dernière décennie, alors que les sols agricoles émettent plus de carbone qu'ils n'en stockent ».
En décembre 2023, la Commission européenne a publié une évaluation des plans nationaux énergie-climat des 27, montrant que la France n'est pas en capacité de prendre sa part dans l'objectif européen de réduction d'émissions de GES pour 2030 ni dans celui des puits de carbone. Elle n'atteindrait en effet à ce stade qu'un objectif de - 46,4 % d'émissions par rapport à 2005, contre un objectif de - 47,5 % attendu, sur le périmètre des secteurs soumis au partage de l'effort (bâtiments, transports, agriculture, déchets). Elle ne parvient pas non plus à son objectif de - 34 Mt de CO2 grâce à des puits de carbone et n'atteint qu'à peine plus de la moitié avec - 18 Mt CO2.
b) Une trop forte empreinte carbone
La France importe massivement du carbone puisque son empreinte dans les émissions mondiales de CO2 s'élève à 1,3 % contre 1 % pour son inventaire189(*), c'est-à-dire ses émissions nationales. Ce dernier chiffre est celui qui fonde l'engagement de réduction de la France dans les engagements internationaux.
L'empreinte carbone de la France est estimée à 623 millions de tonnes CO2éq en 2022, soit 9,2 tonnes CO2e par français, selon les estimations d'octobre 2023 du Service des données et études statistiques du ministère de la Transition énergétique. Elle est 1,6 fois plus élevée que les émissions territoriales françaises hors UTCATF de la même année, soit 394 Mt CO2éq, mais inférieure à l'empreinte carbone moyenne des pays développés.
L'empreinte carbone est composée pour 78 % de CO2, 16 % de CH4 et 5 % de N2O. Par rapport à 1995, l'empreinte carbone de la France a diminué de 7 %. Les émissions intérieures se sont réduites de 33 % tandis que les émissions associées aux importations se sont accrues de 32 %.
Les émissions associées aux importations représentent un peu plus de la moitié (56 %) de l'empreinte. Elles proviennent :
- des biens et services importés et destinés à la demande finale intérieure (164 Mt CO2 eq) ;
- des matières premières ou des produits semi-finis importés et consommés par l'appareil productif intérieur (184 Mt CO2 eq).
Le reste de l'empreinte carbone (44 % en 2022) est composé d'émissions intérieures :
- 106 Mt CO2 eq émises directement par les ménages ;
- 169 Mt CO2 eq associées à la production intérieure de biens et services destinées à la demande finale française hors exportations.
Selon l'analyse de l'INSEE effectuée en juillet 2022 : « la France se distingue par une production non exportée particulièrement peu émettrice en GES du fait de la place du nucléaire dans la production d'électricité. La moitié des GES émis par la production française est exportée : cette proportion est la plus élevée parmi toutes les économies étudiées. En miroir, la part des GES importés dans l'empreinte carbone (hors émissions directes des ménages) est plus élevée qu'ailleurs, autour des deux tiers ».
En 2018, la proportion de l'empreinte carbone importée190(*) était de 46 % en Allemagne et de 52 % en France. Cet écart de 7 points reflète, d'une part, les soldes commerciaux, la France important plus qu'elle n'exporte, à l'inverse de l'Allemagne. D'autre part, la production étant sensiblement moins carbonée en France qu'en Allemagne, la part des émissions importées dans l'empreinte y est mécaniquement plus élevée. Toutefois, en niveau, les importations de GES sont plus faibles en France qu'en Allemagne (4,8 contre 6,6 téq CO2 par habitant).
c) Le retard de la France pour les énergies renouvelables
Calculée selon les règles de la directive européenne (UE) 2018/2001, dite « RED II », la part des énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique, géothermie ou biomasse) dans la consommation finale brute d'énergie atteint en France 20,7 % en 2022 mais de 22,2 % en 2023, soit une progression de 12,9 points depuis 2005. Selon RTE, l'électricité renouvelable a couvert 30,9 % de l'électricité consommée sur l'année 2023.
La France a proclamé des objectifs ambitieux puisqu'elle a inscrit en 2015 dans la Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte un objectif de 40 % pour 2030. Elle s'est engagée avec ses partenaires européens d'atteindre même 42,5 % selon la directive RED III adoptée le 9 octobre 2023. Une nette accélération du déploiement des énergies renouvelables électriques sera indispensable pour l'atteindre. Sur la base de la consommation nationale de 503 TWh en 2030 retenue par RTE et des objectifs de la PPE et de la SNBC, il faudra augmenter la production de 75 TWh par rapport à 2020, là où la croissance de 2010 à 2020 a été seulement de 48 TWh.
Or, s'agissant de la seule filière éolienne, la France n'a déjà pas atteint les objectifs fixés dans la précédente directive de 2009, avec 19 % de renouvelables dans la consommation finale en 2020 au lieu des 23 % prévus, comme l'a pointé la Cour des comptes dans son rapport du 9 mars 2023 sur « Les soutiens à l'éolien terrestre et maritime »191(*).
Le retard de la France s'apprécie par rapport à ses voisins européens. La France se classe au 16e rang sur les 27 pays européens, proche de l'Allemagne (19 %), de l'Italie (20 %) ou encore de l'Espagne (21 %) mais loin des pays du nord, Suède, Finlande, Danemark et Lettonie qui utilisent respectivement 61 %, 45 % et 42 % de consommation d'énergie renouvelable dans leur mix énergétique.
Le solaire et l'éolien occupent encore une part marginale. Seulement 2 % de l'énergie en France est issue de l'éolien et 1 % vient du solaire. Concernant l'exploitation du vent, le Danemark est le premier pays éolien d'Europe avec 10 % de l'énergie consommée. D'autres pays réputés venteux, comme l'Irlande, le Portugal ou l'Espagne affichent des taux compris entre 6 et 8%. Pour le solaire, les pays du sud de l'Europe comme Chypre, Malte ou la Grèce occupent en toute logique les premières places du classement avec une part comprise entre 4 et 6 %.
La France intègre 4 % d'énergie hydraulique dans sa consommation, contre 17 % en Suède et 13 % en Autriche.
La biomasse et la géothermie restent à développer en France : moins de 10 % du mix énergétique proviennent de l'exploitation du bois, de résidus agricoles, de déchets renouvelables ou encore de procédés de méthanisation, alors que cette filière est particulièrement prisée de pays nordiques et de l'Est comme la Lettonie, la Finlande ou encore l'Estonie qui tirent de cette source renouvelable plus de 30 % de leur énergie consommée. La filière géothermie reste elle aussi à développer dans l'hexagone, comme dans la très grande majorité des pays européens. Elle représente 2 % de notre énergie consommée (contre 5 % en Suède) et dans ce domaine, la France se classe en 7e position européenne.
Plusieurs raisons expliquent ce retard. La principale concerne des choix historiques qui ont généré un poids important de la production nucléaire en France et en conséquence, un décalage dans le lancement des autres filières.
La loi n°2023-175 du 10 mars 2023 sur l'accélération des énergies renouvelables, que le Sénat a fortement précisée192(*), vise à essayer de combler ce retard.
Pour Jules Nyssen, président du syndicat des énergies renouvelables193(*), entendu le 22 mai 2024, « seules les énergies renouvelables électriques seront en mesure d'apporter des électrons décarbonés additionnels pour répondre à nos besoins ». La France a la chance de disposer de territoires dans lesquels les ressources renouvelables - soleil, vent, eau, biomasse, chaleur du sous-sol, etc. - sont considérables. Les entreprises peuvent les valoriser pour participer à leur échelle à la transition énergétique, comme en témoigne le développement des installations en autoconsommation.
Enfin, parce qu'elles sont territoriales, les énergies renouvelables impliquent directement nos concitoyens en rendant visible la production d'énergie, elles contribuent à une prise de conscience citoyenne et favorisent la sobriété et les logiques circulaires. Elles placent ainsi les élus locaux au coeur de la politique énergétique.
Seul pays européen à ne pas avoir atteint les objectifs de la directive de 2018, la France devrait payer 960 M€ pour la seule année 2020, acheter des « droits statistiques » pour des sommes importantes et encourt en outre des sanctions financières. En effet, le versement du fonds Feder, soit 9,1 milliards d'euros sur la période 2021-2027, est conditionné au respect de l'objectif d'électricité renouvelable.
Constatant que notre pays n'avait toujours pas atteint les objectifs, fixés en 2009, de compter 23 % d'énergies renouvelables dans sa consommation finale d'énergie en 2020, la commissaire européenne à l'énergie, Mme Kadri Simson, vient d'appeler, le 11 septembre 2024, la France à respecter ses engagements. En décembre 2023, la France avait soumis à la Commission européenne un projet de « Plan national intégré énergie-climat » (Pniec) fixant un objectif de 33 % de renouvelables d'ici 2030, au lieu des 44 % exigés par une directive de 2018.
La volonté d'accélération de l'Union européenne va poser à nouveau la question de l'acceptabilité sociale, notamment dans les zones d'accélération. En effet, en accordant aux communes la possibilité de s'opposer à l'intégration de leur territoire dans le périmètre des zones d'accélération, la question de la conformité du droit français à la directive 2023/2413 se pose dès l'instant où l'exercice de ce « veto » pourrait rendre plus délicate la définition des zones d'accélération et, partant, l'atteinte des objectifs de production d'énergies renouvelables.
B. UNE AIDE PUBLIQUE COMPLEXE ET DISPARATE
1. Une articulation entre l'ADEME et Bpifrance
a) L'ADEME : l'expertise environnementale
L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) est l'un des opérateurs du plan d'investissement France 2030. Elle a la charge d'expertiser et de financer les innovations et les industrialisations, de veiller à leur mobilisation en faveur de la transition écologique et soutient des politiques d'innovation pour parvenir aux ruptures industrielles nécessaires, car certaines solutions ne sont pas encore disponibles ou sont trop coûteuses.
La doctrine d'intervention de l'ADEME a été présentée lors de la table ronde organisée par la délégation aux Entreprises le 16 mai 2024 par Mme Amélie Coantic, Commissaire général au développement durable par intérim :
« Trois aspects sont particulièrement importants pour la prise en compte des enjeux climatiques par les entreprises. Premièrement, il ne s'agit pas seulement de climat, mais aussi de biodiversité et de ressources. Les entreprises doivent intégrer ces enjeux dès le départ, avec une approche systémique. Deuxièmement, la politique climatique doit inclure à la fois l'atténuation des changements climatiques et l'adaptation à ces changements. Troisièmement, la double matérialité doit être prise en compte avec l'impact des activités économiques sur l'environnement et l'impact des évolutions environnementales sur les modèles économiques. Certaines activités économiques seront fortement affectées par les transformations climatiques à venir ».
À cet effet, des feuilles de route sectorielles de décarbonation sont élaborées. Elles alimentent les stratégies d'accélération du plan d'investissement France 2030, dont 50 % des crédits doivent accompagner la transition environnementale.
L'ADEME renseigne des plateformes numériques comme Mission Transition Écologique censée simplifier le parcours des entreprises souhaitant s'engager dans cette transition. Au-delà de ces modes d'actions, le site Agir pour la transition de l'ADEME présente une offre de services en proposant des guides, des programmes, des formations et des outils d'accompagnement aux entreprises.
L'ADEME est le premier opérateur de la transition climatique des entreprises en termes de financements publics à travers 114 dispositifs d'aides nationaux déployés en 2022 pour un montant total de 1 233 millions d'euros194(*). Ces dispositifs sont fortement concentrés en montants : 15 aides sur 114 (soit 13 %) représentent 1 094 millions (soit 89 % du montant total), les trois premiers dispositifs étant l'appel à projets « BCIAT » (230 M€), l'appel à projets « DECARB'IND » (214 M€) et le dispositif « extension et création de réseaux de chaleur ou de froid » (208 M€).
Ces aides ont été versées en 2022 à près de 40 % en montants aux petites et moyennes entreprises (PME), 20 % aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) et 40 % aux grandes entreprises, soit une part proche de la valeur ajoutée de chaque type d'entreprise au plan national.
b) Bpifrance : l'expertise des entreprises
Bpifrance a comme interlocuteurs plus de 200 000 entreprises et se définit comme « la plus importante société de conseil aux PME »195(*), outre son activité de distribution de crédit orienté vers l'activité industrielle.
Entre 2020 et 2023, elle a engagé 20 milliards d'euros dans un « plan climat » constitué de trois volets :
· Accélérer la transition des entreprises avec un continuum unique mêlant financement, garantie et accompagnement (5 milliards d'euros) ;
· Financer et accompagner massivement l'innovation, notamment dans les Greentechs pour faire émerger et croître des « licornes vertes » (6,5 milliards d'euros) ;
· Accompagner le développement des énergies décarbonées (6,5 milliards d'euros).
Bpifrance propose aux entreprises un accompagnement pour les aider à dresser le bilan de leur impact environnemental196(*), à construire leurs feuilles de route, en fonction de leur état d'avancement dans leur transition énergétique et écologique, par la formation des dirigeants d'entreprises, des missions de conseil, des accélérateurs. Ces offres sont majoritairement subventionnées, et co-construites avec l'expertise de l'ADEME.
Cette aide s'accompagne de prêts sans garantie197(*), c'est-à-dire sans sûreté sur le dirigeant ou l'entreprise, pour faciliter le financement des projets de transition énergétique et écologique, par la prise en charge des investissements immatériels et matériels à faible valeur de gage, ainsi que de solutions de financement spécifiques pour renouveler ses actifs matériels (renouvellement du parc automobile et des équipements) et immobilier (rénovation et construction de bâtiments neufs selon les meilleures normes environnementales), et afin de répondre aux exigences règlementaires
Le plan stratégique 2024-2028 prévoit de déployer 35 milliards sur la décarbonation de l'industrie. Bpifrance est le leader français du secteur bancaire dans le financement des infrastructures de la transition énergétique.
Les aides de Bpifrance sont principalement constituées de prêts aux entreprises. L'offre d'aides à la transition climatique est constituée de 23 dispositifs pour un total de 2,54 Md€ en 2022, l'essentiel de ce montant (2,20 Md€, soit 86 %) étant constitué par deux dispositifs de prêts (le prêt vert et le prêt énergie environnement) ciblés vers des opérations de transition écologique.
Bpifrance prévoit d'accompagner sur quatre ans 20 000 entreprises dans la décarbonation, par un porte-à-porte de masse ainsi présenté par M. Nicolas Dufourcq lors de son audition par la délégation aux Entreprises, le 30 mai 2024 : « Cela se fait physiquement et non via des e-mails, des PowerPoints ou des webinaires. Il faut absolument être présent physiquement dans les PME pour leur présenter l'ensemble du catalogue de nos prestations de conseil. Chaque année Bpifrance réalise à peu près 8 000 missions de conseil et fait rentrer dans ses écoles entre 900 et 1 000 entreprises (...), les Accélérateurs, qui fonctionnent très bien, avec un taux de satisfaction 98,5 %. Ces dépenses de quelques petites dizaines de millions d'euros ont un effet multiplicateur absolument considérable ».
Ses 55 agences locales permettent d'apporter une certaine lisibilité dans l'offre complexe des aides publiques : « Le rôle d'un chargé d'affaires, c'est de simplifier le catalogue et de construire un ensemble de solutions adaptées aux besoins du client ».
Bilan par Bpifrance des aides de à la transition climatique des entreprises
Nom du dispositif d'aide |
Objet |
Financement annoncé |
Financement réalisé (en nombre d'entreprises concernées et en crédits engagés) |
Garanties vertes |
Cette garantie, spécifiquement sur les projets de transition énergétique, portera exceptionnellement sur 80 % du prêt durant 10 ans (contre 50 % et 7 ans pour les garanties classiques). |
1 Md€ de prêts garantis |
Lancement de la nouvelle garantie verte telle que décrite ci-contre le 20 mars 2024. À date, 95 garanties vertes ont été accordées pour 25M€ de risque et 45,3M€ d'autorisations. Le démarrage est en ligne avec la courbe d'adoption prévue du dispositif (200M€ attendus la première année, croissance exponentielle les années suivantes). Le versement de la dotation est toujours en attente. |
Garantie verte de fonds propres |
Garantie des pertes jusqu'à 70 % durant 10 ans et jusqu'à 3 M€ par investissement et 6M€ par entreprise |
150 M€ de fonds propres |
Faute d'une demande de marché suffisante, il n'y a pas de produit vert dédié pour les garanties de fonds propres. En revanche pour toute garantie de fonds propres classique attribuée à un projet contribuant à la transition écologique, un tag vert est apposé. Le montant total de ce type de garantie de fonds propres pour des projets verts s'élève à 34M€ à date, depuis 2023. Dotation pluriannuelle acquise en 2021 pour l'ensemble du dispositif et devant être renouvelée en 2025 |
Prêts verts |
Prêt vert à 10 ans et jusqu'à 5 M€, conditionné à un cofinancement de 50 % et sans garantie exigée de la part de l'entrepreneur |
750 M€ de prêts verts financés |
2,6Md€ de prêts verts (dotation ADEME et État) au 31/04/2024 pour plus de 2 100 bénéficiaires (en cumul depuis 2020) dont 824M€ pour la période 01/012023 - 30/04/2024. Pas de problème de dotation mais le retrait de la bonification de taux apporté par l'État en 2023 a créé une baisse de l'attractivité du produit, au regard des taux pratiqués par la concurrence privée |
Prêts industrie verte |
Prêt à 12 ans jusqu'à 10 M€ pour les plus grosses industries |
200 M€ de prêts financés |
Déjà deux dossiers accordés pour 10M€ (lancement de l'offre courant 2024) |
Dont : Subvention verte pour les petites structures |
Subvention de 30k€ à 80k€ en partenariat avec l'ADEME pour compléter les opérations déséquilibrées financièrement mais indispensables à la transition écologique. |
50 M€ |
14,3 M€ de Subventions France Nation Verte réalisés au 30/04/2024 pour 250 bénéficiaires PME et ETI (en cumul depuis 2023) 25M€ de dotation reçus, 20M€ en ballotage |
Subventions pour les entreprises de taille intermédiaire |
Aides d'un montant pouvant aller à quelques centaines de milliers d'euros pour permettre aux PME et ETI de poursuivre leur décarbonation. |
40 M€ |
Dotation non transférée à Bpifrance (la subvention France Nation Verte couvre bien les ETI, mais les montants sont limités à 80k€, toute subvention verte supérieure à ce montant est actuellement couverte par l'ADEME) |
Favoriser l'approvisionnement des industriels en électricité verte (Garantie Electricité Renouvelable) |
Garantie publique permettant de favoriser les contrats d'approvisionnement de long terme entre des producteurs d'électricité renouvelables et des industriels (Corporate Power Purchase Agreement). |
311 MW |
Dispositif lancé en octobre 2023 2 opérations accompagnées à date pour 46,8 MW de puissance installée cumulée - volumétrie en ligne avec la complexité et le risque liés à ce type de projet, ainsi qu'un contexte marché actuellement défavorable (prix de l'électricité en baisse et appels d'offres CRE plus attractifs). L'objectif de 311MW est à horizon 2029 |
Fonds France Investissement, Énergie, Environnement 2 (FIEE 2) |
Finance notamment le développement des PME et ETI des secteurs des énergies renouvelables, de l'efficacité énergétique, de l'économie circulaire Premier fonds de Bpifrance « Article 9 » au sens de la règlementation SFRD |
240 M€ pour les filières de la transition énergétique et écologique |
13 sociétés accompagnées pour un total investi de 73 M€ dont 50M€ déjà décaissés et 23M€ de hors bilan, en ligne avec le déploiement prévu |
Fonds de fonds Climat Global 1 (FFCG 1) |
Permettra à Bpifrance de démultiplier son action en favorisant l'émergence d'acteurs français capables de financer l'ensemble de la chaine de valeur de la transition énergétique et écologique (de la start-up à l'ETI souhaitant se décarboner). |
Doté de 250 M€ dédiés à la transition énergétique et écologique, à la ClimateTech et aux stratégies net-zéro. Objectif de 10 à 15 investissements dans des fonds, sur la période d'investissement. |
Objectif de réaliser un premier bilan d'ici la fin de l'année 2024 |
Diagnostics dédiés à la transition environnementale des entreprises (« Diag'Action Climat ») |
Accompagner les entreprises à évaluer leurs impacts sur l'environnement (GES, ressources, biodiversité,...) et à identifier des actions d'amélioration via 4 offres existantes : Diag Eco-Flux, Diag Décarbon'Action, Diag Eco-conception, Diag Perf'Immo ; et 2 à venir en 2024 - 2025: Diag Adaptation et Diag Biodiversité |
Dotation ADEME renouvelée régulièrement - 10 M€ actuellement manquants pour assurer le déploiement en 2024 (hors diag biodiversité qui devrait bénéficier d'une dotation OFB) |
Depuis 2020 et au premier trimestre 2024, 4956 entreprises accompagnées |
Accélérateur décarbonation |
Programme d'accompagnement collectif et individuel fondé sur la méthode ACT pas à pas de l'ADEME visant à définir et à mettre en place des stratégies de décarbonation compatibles avec l'Accord de Paris au sein des entreprises accompagnées |
Dotations ADEME puis MINEFI |
58 entreprises accompagnées au premier trimestre 2024 depuis 2021 |
VTE Vert |
Dispositif d'aide à l'embauche permettant de recrutant un jeune talent sur des missions qui accélèrent la transition écologique et énergétique de l'entreprise |
Dotation ADEME |
738 entreprises bénéficiaires au premier trimestre 2024 depuis 2021 |
Mission de conseil Stratégie Environnement |
La mission de conseil Stratégie Environnement permet aux entreprises de repenser leur stratégie dans un monde bas-carbone en embarquant leurs salariés |
Dotation UE |
40 entreprises accompagnées au premier trimestre 2024 depuis 2023 |
c) CCI France : un accompagnateur de proximité
Le réseau des CCI, fort de son ancrage territorial et de l'expertise de ses conseillers, a sensibilisé et accompagné 55 000 PME dans leur transition bas carbone en mobilisant 200 conseillers spécialisés en développement durable. Ce thème d'intervention est prioritaire dans les Conventions d'objectifs et de moyens de l'ensemble du réseau consulaire. Ce dernier contribue à la prise de conscience des TPE-PME, tous secteurs confondus, de ces enjeux et participe à faire du développement durable en général, et de la transition énergétique en particulier, un véritable atout de compétitivité.
La revue des aides à la transition écologique a toutefois souligné un « éclatement de l'offre », son manque de mutualisation et son caractère hétérogène, avec des « dispositifs qui déclinent régionalement ce programme, selon des modalités différentes entre Régions et Départements en fonction des cofinancements mobilisés : payants dans certains cas avec des restes à charge variant selon les Régions et Départements, gratuits dans d'autres ».
La faible lisibilité de l'offre des CCI à travers des sites internet hétérogènes illustre la disparité de l'offre financée par l'État selon les territoires.
2. Une offre illisible de 340 dispositifs d'aides publiques
a) Une surabondance qui décourage les entreprises
Une revue des aides à la transition écologique a été réalisée par l'Inspection générale des finances en avril 2023.
Elle a identifié près de 340 dispositifs d'aide à la transition climatique des entreprises proposés par les opérateurs publics, financés à hauteur de 1,7 Md€ par l'État en 2022.
Ils comprennent, d'une part, 138 dispositifs nationaux de l'ADEME et de Bpifrance, qui correspondent principalement à des subventions (1 187 millions) et des prêts (2 160 millions bonifiés à hauteur de 72 millions par des fonds publics) et, d'autre part, 200 dispositifs d'accompagnement opérés par les CCI et CMA mobilisant des financements d'un ordre de grandeur bien moindre, d'environ plusieurs dizaines de millions d'euros pour l'État en 2022.
S'y ajoutent 5 dépenses fiscales pour un montant de 30 millions, deux dispositifs gérés directement par l'Agence de service et de paiement pour un montant de 280 millions (pour la décarbonation des flottes de véhicules d'entreprise et la décarbonation des outils de production industrielle) ainsi que les certificats d'économie d'énergie198(*), versés par les énergéticiens aux entreprises, pour un montant de 1,3 milliard d'euros parmi lesquels 890 M€ pour le secteur industriel
Ses conclusions sont sévères : « les aides à la transition écologique, foisonnantes et complexes, sont insuffisamment lisibles et visibles pour les entreprises, notamment les TPE et PME. Elles ont été constituées par sédimentation sans réelle cohérence d'ensemble ».
Le premier obstacle est celui de la multiplicité de l'offre et des interlocuteurs : Bpifrance, l'ADEME, les CCI et CMA aux niveaux national, régional et local sans compter les aides relevant des collectivités territoriales. Ces dernières s'élèvent globalement à 1,6 milliards d'euros mais la Cour des comptes199(*) n'a pu identifier celles qui financent la transition écologique des entreprises.
La visibilité pour les entreprises des aides proposées est parcellaire, y compris au sein d'un même opérateur, dont certaines très visibles sont connues - car mises en avant - et d'autres moins. La multiplication de dispositifs aux dénominations peu transparentes y contribue (Diag Éco-flux, Flash'Diag, Diag Decarbon'action, Diag Éco-conception, etc.). La coexistence de dispositifs généralistes et spécialisés (par exemple, le Prêt vert et le Prêt action climat opérés par Bpifrance), dont les critères d'éligibilité des projets peuvent se recouper, ne facilite pas non plus la lisibilité de l'offre, faute de « parcours usager » qui conduiraient les entreprises d'un dispositif d'aide à un autre (logique « pull »), suivant le continuum de la décarbonation (par exemple, diagnostic, étude, subvention, investissement, évaluation).
Un diagnostic comparable avait été réalisé en 2020 par le cabinet Kantar pour le compte du Commissariat général au développement durable (CGDD) : « le sentiment que l'État propose un mille-feuille d'aides sans véritable vision de long terme, sans cohérence et sans véritable sens auquel les entreprises seraient susceptibles d'adhérer ».
En 2022, le Shift Project dénonçait que « chaque ministère, chaque agence, à chacun son dispositif ou son appel à projets en faveur de la transition, chacun sa procédure, chacun sa gouvernance impliquant les mêmes acteurs locaux, sans souci de cohérence entre tous ces dispositifs ! Le résultat est sans appel : illisibilité, complexité du montage des dossiers, manque d'engagement financier dans la durée fragilisant les projets, des financements rares pour le fonctionnement et l'animation, des délais d'instruction et d'engagement des financements incompatibles avec le temps des projets, une logique de guichet thématique défavorable aux besoins des projets transversaux... Cette situation favorise la prise en main des sujets par les seuls techniciens et la mise en retrait des élus au détriment de la dimension politique et du projet de territoire ».
Ainsi, pour la filière du bâtiment, la FFB estime, dans sa réponse au questionnaire de la délégation aux Entreprises, que, de manière générale, « les dispositifs d'aides quels qu'ils soient sont trop complexes pour les entreprises du bâtiment qui sont majoritairement des TPE/PME. De plus, cela demande du temps pour pouvoir identifier les aides disponibles, celles auxquelles l'entreprise est éligible et enfin lancer la démarche administrative.
« Les aides à la transition écologique ne sont pas forcément toujours simples à identifier et à déployer au sein de son entreprise. Il existe une myriade d'aides disponibles pour un grand nombre d'actions mais le problème réside dans la connaissance de ces dispositifs.
La plateforme mission transition écologique est censée corriger cela, ce site, mis en place par le ministère, a pour objectif d'identifier (rapidement) les aides disponibles en fonction du profil de l'entreprise et de ses besoins. Elle s'avère pratique pour identifier les dispositifs en place en fonction des thématiques et des besoins des entreprises. Cependant, les premières entreprises ayant testé ce dispositif déplorent de ne pas avoir été recontactées pour aller plus loin et lancer la démarche, ce qui doit être l'objectif de cette plateforme ».
Aucune simplification n'a été opérée depuis les rapports de l'administration qui ont pointé cette complexité. Un guide à destination des PME et TPE a toutefois été réalisé en avril 2024 par le ministère de l'Économie.
Face à cette complexité administrative, qui crée un marché de la complexité, certaines entreprises se résolvent à en supporter directement le coût.
Quand une entreprise est conduite à rémunérer une société de services
pour monter des dossiers administratifs
Vos rapporteurs ont ainsi rencontré, le 5 avril 2024, les dirigeants de la Belle-Iloise, entreprise de conserves de poissons très engagée dans la démarche RSE200(*). Cette ETI s'avoue dans l'incapacité de « connaître les aides disponibles et, une fois qu'elles sont identifiées, de monter un dossier de demande » et a recours, depuis 5 ans, à une société de services qui les « aide à identifier les aides publiques dont on pourrait bénéficier, monte le dossier administratif et se rémunère en commission de ce qui est récupéré de l'aide publique ». La complexité administrative est aussi un marché et l'efficience de l'aide publique est diminuée lorsque même des ETI ont recours à ce genre d'intermédiation.
b) Une complexité masquée par des portails numériques
La plateforme Mission Transition Écologique des Entreprises est une start-up d'État qui a pour objectif de faciliter le parcours des entreprises pour accéder à toutes les aides à la transition climatique disponibles, y compris les aides locales. Toutefois, l'ADEME dispose également de sa propre plateforme numérique, Agir pour la transition.
Une nouvelle fois201(*), et faute de simplifier parmi les 340 dispositifs d'aide en direction des entreprises, l'État masque la complexité de son offre par le recours à un « guichet unique », quand bien même le rapport précité de l'Inspection des finances considère qu'il s'agit d'une option de second rang. Les entreprises concernées, si elles ne sont pas capables d'identifier le bon guichet, risquent de générer un phénomène de non-recours au moment même où il faut accélérer la transition climatique des entreprises.
Ainsi, CCI France considère que les subventions de l'ADEME en faveur de la décarbonation sont globalement très peu connues et difficilement accessibles aux PME, sans intermédiation : « il est, en effet, très compliqué de suivre les appels à projets et de contacter les bons interlocuteurs ».
Le dispositif « Tremplin » est, pour sa part, particulièrement apprécié des PME, car simple à mettre en place et accessible de façon dématérialisée. Sont aussi appréciés les programmes déployés en Région par les partenaires de l'ADEME (CCI, BPI).
Mais les entreprises ont autant besoin de subventions que d'une politique publique stable et de long terme : « plus que des aides financières directes ponctuelles, les entreprises ont en effet besoin d'incitations pour orienter leur modèle d'affaires vers plus de sobriété. La transition bas-carbone est un processus de moyen et long terme ; il convient donc de maintenir les dispositifs incitatifs (crédits ou réductions d'impôt, notamment) sur une période suffisamment longue pour que les entreprises puissent les solliciter au moment le plus opportun, en fonction de leur stratégie de développement, de l'avancée des nouvelles technologies et/ou de leur prise de conscience des enjeux et des moyens d'y faire face ».
c) Un impératif de simplification
Les PME sont prêtes à s'engager résolument dans la transition climatique mais beaucoup des mesures d'accompagnement ne sont pas connues d'elles.
Comme l'a souligné Bpifrance202(*), le principal obstacle à la décarbonation des PME ETI, avant le manque de moyens financiers ou le manque de temps, est la lourdeur des procédures publiques : « 76 % des PME et ETI affirment être contraintes par la lenteur et la complexité des procédures. Ces chefs d'entreprise rencontrent notamment des difficultés à trouver les bons interlocuteurs publics pour bâtir leurs projets et à obtenir des subventions ou des permis de construction dans un délai convenable. Les deux tiers des dirigeants regrettent aussi la multiplication des normes, parfois contradictoires (normes de sécurité vs normes climatiques) qui freinent les velléités de transition ».
Bpifrance défend à la fois le guichet unique et le contact client : selon son directeur général, auditionné le 30 mai 2024 : « La réponse à la complexité consiste à simplifier constamment le catalogue, mais c'est aussi et surtout, depuis la création de Bpifrance il y a 11 ans, le guichet unique. Le guichet unique simplifie tout. Parmi les 340 dispositifs, beaucoup n'ont pas de clients. Cela donne une impression de complexité effrayante mais ce sont des produits qui sont tombés en déshérence. Ce qui est important, c'est de prioriser, notamment prioriser la mise en mouvement de l'entrepreneur, parce que l'entrepreneur a constamment autre chose à faire. Il doit s'occuper de la cybersécurité et du digital, pour lesquels nous lui soumettons des propositions, de l'export, nous l'inscrivons dans les plans export, désormais l'intelligence artificielle qui va devenir fondamentale, le plan produit, les recrutements, etc. Bpifrance le met en mouvement sur la transition climatique, avec un bilan puis avec la mobilisation d'un certain nombre de crédits pour financer les investissements nécessaires (...). La simplification se fait donc par le guichet unique et le contact client, beaucoup plus que par un travail surplombant sur le catalogue de produits. Le plus important est de disposer d'une organisation ultra lisible de contact avec les clients ».
Il convient toutefois, outre de renforcer l'information en ciblant plus spécifiquement les entreprises en fonction de leur secteur d'activité, de simplifier l'offre car « un nombre non négligeable de mesures, qui répondent à un objectif tout à fait louable, sont tellement complexes à mettre en oeuvre qu'elles sont délaissées avant même d'avoir pu produire leurs effets bénéfiques sur l'environnement. Il est donc nécessaire de simplifier les dispositifs et, lorsque leur mise en oeuvre implique une certaine technicité, proposer une liste de prestataires ou fournisseurs capables d'accompagner les entreprises dans le déploiement de ces mesures (installation d'ombrières, de systèmes d'énergie renouvelable, etc.) », selon CCI France.
Pour ce faire, mettre à leur disposition des outils et méthodologies extrêmement simplifiés est un axe à privilégier. À cette fin, CCI France propose de :
? Mettre à disposition des petites entreprises une très courte liste d'actions faciles à mettre en oeuvre pour réduire leur empreinte carbone (réduction de certaines dépenses liées aux énergies fossiles telles les dépenses de transport, chauffage, achats, etc.) ;
? Proposer une méthodologie extrêmement simple et pédagogique pour permettre aux petites entreprises volontaires d'établir un bilan des émissions de GES simplifié (BEGES), et s'assurer, en cas de publication, que le BEGES simplifié ne se traduise pas par un accroissement disproportionné du nombre de documents à produire ;
? Informer et communiquer plus largement sur les ressources existantes (ADEME, Bpifance, CCI, régions, etc...) ;
ü Mettre à disposition des PME incluses dans une chaîne de valeur, des référentiels simplifiés afin qu'elles puissent répondre, à moindre coût, aux demandes d'informations que sont susceptibles de leur adresser leurs clients ou donneurs d'ordre, concernant leurs engagements en faveur du climat ;
? Aider les PME à structurer leurs engagements en faveur du climat de sorte qu'elles puissent répondre aux demandes de plus en plus fréquentes de leurs parties prenantes telles que les banques ou les investisseurs, en proposant un audit gratuit pour évaluer et formaliser ces engagements.
L'entreprise La Belle-iloise, visitée par vos rapporteurs le 4 avril 2024 a ainsi signalé la lourdeur de la mise en oeuvre du reporting pour 2026 qui l'oblige à recruter un salarié à plein temps pour respecter ces prescriptions : « Il faudrait de la proportionnalité en fonction de la taille : entre ETI de 50 millions et de 1,4 milliard de chiffre d'affaires, on est traités de la même façon. Il faut assouplir le calendrier en fonction des catégories d'entreprise et réduire le nombre d'indicateurs » a ainsi plaidé sa dirigeante.
Vos rapporteurs appellent à suivre les préconisations de l'Inspection des finances pour recentrer l'offre d'aides à la transition climatique des entreprises sur un catalogue de dispositifs moins nombreux, de taille critique, visibles au plan national et stables dans le temps.
Les propositions de CCI France de janvier 2021203(*)
Renforcer l'information, la sensibilisation et l'accompagnement dans la transition bas-carbone
Proposer un outil et une méthodologie simplifiés pour permettre aux TPE-PME qui le souhaitent de réaliser un bilan de leurs émissions de GES
Déployer des aides techniques (conseils, accompagnements) et des incitations financières (crédits d'impôts) pour permettre aux TPE et PME de réaliser des audits
Adapter le calendrier pour laisser aux TPE-PME la possibilité d'intégrer de nouveaux dispositifs à un rythme compatible avec les moyens dont elles disposent
Encourager toutes les entreprises à la sobriété numérique
Privilégier des dispositifs incitatifs
Privilégier le caractère volontaire de l'affichage de l'empreinte carbone des produits et des services
Veiller à ce que les dispositifs proposés ne s'accompagnent pas de lourdeurs administratives dissuasives
Inscrire dans le long terme les politiques en faveur de l'investissement dans des solutions décarbonées
Renforcer les incitations en faveur de la mobilité durable, et notamment en faveur du vélo
Faire de la commande publique un levier efficace de la lutte contre le réchauffement climatique
Introduire la notion d'« offre économiquement et écologiquement la plus avantageuse » afin de mieux appréhender les considérations environnementales
Instaurer un droit de préférence pour les offres des entreprises présentant des atouts en matière de transition écologique, à égalité de prix ou à équivalence d'offre
Adopter une approche différenciée en fonction de la taille de l'entreprise et de son impact sur le climat
3. Des aides en baisse, insuffisantes pour entraîner les PME et TPE
a) Des aides rabotées : une navigation à vue du financement de la transition
Aider les entreprises dans leur transition climatique suppose de les accompagner dans la durée en leur offrant une prévisibilité des financements publics.
Toutefois, ceux-ci sont soumis aux aléas budgétaires. Ainsi, deux dispositifs d'accompagnement des entreprises, particulièrement utiles et appréciés des PME, ont été victimes de la régulation budgétaire du 21 février 2024 :
§ Une « subvention verte », d'un montant modeste de 20 millions d'euros, qui permettait de « forcer les entrepreneurs à démarrer » leur transition climatique avant de leur proposer un diagnostic puis un premier prêt vert ;
§ Un « prêt vert » de l'ADEME, sans garantie, accordé pour 7 ans, mis en place rapidement (sous 15 jours).
b) 200 millions pour financer une politique ambitieuse d'accompagnement à la transition climatique des PME et TPE
Pour atteindre les 4 millions d'entreprises, un accompagnement d'environ 200 millions annuel serait nécessaire pour accélérer leur transition climatique :
v Accorder des prêts bonifiés pour investir dans des équipements décarbonés,
v Accompagner les entreprises par un conseil personnalisé,
v Promouvoir au sein des communautés de dirigeants d'entreprises les solutions imaginées par les entreprises pour les ériger en bonnes pratiques.
En effet, pour sensibiliser toutes les entreprises aux enjeux climatiques il faut privilégier les démarches volontaires, individuelles ou collectives. Il est, en revanche, plus compliqué d'obtenir l'adhésion du plus grand nombre en imposant des obligations nouvelles à marche forcée. Encourager les entreprises à mieux prendre en compte les enjeux climatiques implique de fixer des échéances raisonnables pour sensibiliser et convaincre.
C. LE DÉFI DE L'ASSURABILITÉ DES ENTREPRISES FACE AU RISQUE CLIMATIQUE
Le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles a fait l'objet d'un récent rapport d'information n° 603 (2023-2024), de Mme Christine Lavarde du 15 mai 2024 et d'une proposition de loi visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, n° 624 du 21 mai 2024.
Sa modernisation a fait l'objet d'une loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021 relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles, mais la commission des finances du Sénat avait alors estimé « qu'elle ne répondait pas aux défis à venir pour la pérennité du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles ».
1. Un doublement du coût des aléas climatiques d'ici 2050
Remis au gouvernement en décembre 2023 et rendu public en avril 2024, le rapport de la mission sur l'assurabilité des risques climatiques204(*), a souligné la nécessité de parvenir à prendre en compte des phénomènes susceptibles de démultiplier les conséquences financières des catastrophes naturelles tels que les « points de bascule climatiques ou sociétaux » ainsi que les « événements uniques extrêmement coûteux ».
Jusqu'à présent, le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles (CatNat) a permis de rendre accessible la couverture assurantielle sur l'ensemble du territoire national : « la mutualisation entre tous les assurés des périls climatiques couverts par le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles constitue un modèle très protecteur (et donc précieux) pour garantir une couverture assurantielle large, y compris dans les zones les plus exposées aux périls climatiques ». Ce modèle « a démontré une certaine efficacité pour contenir les risques de non-assurance ou d'intervention de l'État. Ce modèle présente l'avantage de mutualiser, au moins en partie, le niveau des primes pour rendre l'assurance accessible dans les zones les plus exposées aux aléas ».
Les sinistres liés au climat (inondations, sécheresse, tempêtes et grêle) ont coûté 6,5 milliards d'euros en 2023 aux assureurs, faisant de cet exercice le troisième le plus coûteux pour le secteur après 1999 (16,6 milliards d'euros avec les tempêtes Lothar et Martin) et 2022 (10,6 milliards d'euros, principalement pour cause de sécheresse et de grêle), selon le bilan annuel de la fédération France Assureurs.
Selon les travaux de la Caisse centrale de réassurance (CCR), gestionnaire du régime CatNat, les dommages causés par les sinistres que couvre celui-ci (inondation, sécheresse, submersion marine, cycloniques, tremblement de terre) pourraient augmenter de 40 %, soit de 811 millions d'euros par an, à l'horizon 2050, et même de 60 % en prenant en compte l'augmentation de la valeur globale des biens assurés.
Dans le monde, les pertes du secteur mondial de l'assurance liées aux sinistres météorologiques sont passées d'une moyenne annuelle (corrigée de l'inflation) de 10 milliards de dollars dans les années 1980 à 50 milliards de dollars au cours de la présente décennie, selon le réassureur Munich Ré.
Le risque d'un doublement du coût des aléas climatiques avait été souligné dès 2022205(*).
2. Une nécessaire adaptation de l'assurance au changement climatique
Les conséquences du dérèglement climatique risquent d'accentuer la fréquence et l'intensité de phénomènes particulièrement complexes à modéliser tels que les combinaisons ou « cascades » de risques qui amplifient sensiblement les dommages constatés et le coût des sinistres à indemniser. Elles percutent un modèle particulièrement efficace pour les entreprises. La France est ainsi le seul pays de l'Union européenne à avoir intégré le risque sécheresse au sein de son système d'indemnisation des catastrophes naturelles.
Pour le rapport de la commission des finances du Sénat : « le principe de solidarité inhérent au régime CatNat permet de réduire la variabilité des primes d'assurance sur le territoire. Selon certaines compagnies d'assurance, sans un modèle de mutualisation tel que le régime CatNat, les primes d'assurance pourraient varier sur une échelle de 1 à 30 selon les localisations. Certains territoires et certains biens ne seraient plus assurables à des tarifs abordables ».
Le régime actuel fonctionne convenablement et le réhaussement à 20 % du taux de la surprime206(*) a été jugé nécessaire mais non suffisant pour garantir l'équilibre du régime CatNat dans la durée.
Or, l'ajustement financier ponctuel du régime d'assurance risque de ne pas suffire, selon un expert207(*) : « les assureurs semblent s'être longtemps illusionnés sur leur capacité d'adaptation au risque du changement climatique. Ils pensaient n'avoir qu'à réviser leurs tarifs - à la hausse - chaque année. Mais la violence des chocs, l'incertitude sur leur variabilité, le caractère systémique d'événements extrêmes de plus en plus complexes et aux effets mal anticipés ont fait vaciller les certitudes et les croyances du marché ».
Le risque du dérèglement climatique n'a rien à voir avec le risque climatique, un risque bien connu par le passé. Le risque du dérèglement climatique, c'est en effet le dérèglement du risque climatique. « Il s'avère, en effet, difficile à modéliser, à quantifier, à anticiper ; et, donc, à assurer. Cessons de croire que la modélisation statistique du dérèglement climatique va permettre de quantifier et donc de maîtriser l'assurance de ce risque ; cessons de croire que les marchés financiers, par leurs innovations (comme les « obligations catastrophe »), vont pouvoir épauler des réassureurs privés en manque de fonds propres ; cessons de nous réfugier derrière l'idée que les capitaux et les hommes vont continuer de s'accumuler dans les endroits les plus exposés aux transformations du climat ».
Face à l'accélération du dérèglement climatique, le concept traditionnel de réparation ad integrum (remise dans la situation antérieure) risque de devenir théorique. Si l'environnement a radicalement changé, le rétablissement d'une situation antérieure devient impossible, comme par exemple, si une entreprise est menacée par la montée du niveau des océans.
De même, l'assureur calcule traditionnellement le montant des primes et indemnités en fonction de la fréquence de survenance des sinistres. Ce principe s'applique à un seul risque à la fois. L'intensité, la fréquence et l'interaction des catastrophes peuvent conduire à des effets d'amplification des indemnisations dues. Enfin, l'analyse rétrospective de la survenance des risques ne pouvant suffire, les assureurs ont de plus en plus souvent recours à des modélisations pour envisager les risques prospectifs. Mais l'expérience a montré que la modélisation connaît elle-même des limites lorsque les risques atteignent une ampleur inédite et cumulative.
Ces évolutions tendent ainsi à réduire le champ de l'intervention de l'assurance : « les risques à fréquence trop élevée deviennent inassurables ; l'augmentation de la part laissée à la charge de l'assuré (la franchise) peut devenir insupportable »208(*).
Aux États-Unis, des assureurs renoncent à proposer une couverture contre les catastrophes climatiques209(*).
Des experts avancent ainsi l'idée d'assurance « paramétrique » dans laquelle l'assureur et l'assuré définissent des critères prédéterminés sur la base desquels s'opérera le versement d'un montant d'indemnisation convenu dans le contrat. Par rapport à l'assurance indemnitaire, ces garanties limitent le calcul du risque à la fréquence de survenance de l'événement déclencheur et font disparaître pour l'assureur les incertitudes sur le montant du sinistre.
La mesure n° 2 du PNACC 3 présenté en octobre 2024 indique que le Gouvernement « visera à inciter les assureurs à maintenir une offre assurantielle à tarification abordable sur l'ensemble du territoire ».
V. CHANGER LE LOGICIEL DE L'ACTION PUBLIQUE POUR RÉUSSIR LA TRANSITION CLIMATIQUE DES ENTREPRISES
A. INVENTER UN NOUVEAU MODÈLE DE L'ACTION PUBLIQUE RÉPONDANT À L'URGENCE CLIMATIQUE
1. Afficher les priorités de la politique publique d'aide à la transition climatique des entreprises
a) La décarbonation comme réduction nette des émissions de CO2
Plusieurs objectifs de la transition climatique des entreprises peuvent être envisagés : absorption du CO2, élimination du CO2, préservation de la biodiversité...
La SNBC s'appuie sur six leviers pour décarboner l'économie française : la décarbonation des vecteurs énergétiques, l'efficacité et la sobriété énergétiques, l'efficacité carbone des procédés industriels et agricoles, les changements de mode de consommation et la séquestration de carbone via les puits de carbone naturels et les procédés industriels. Pour la direction générale du Trésor210(*), « l'attente de la neutralité carbone en 2050 nécessite une mobilisation de l'ensemble des leviers de décarbonation », sans toutefois les hiérarchiser ou les prioriser.
La priorité doit être donnée aux politiques publiques et aux investissements privés qui favorisent l'élimination du carbone.
À cet effet, il faut mobiliser tous les types d'actions d'atténuation agrégées pour réduire les émissions de GES d'une entreprise, tels que l'efficacité énergétique, l'électrification, le changement de combustible, l'utilisation d'énergies renouvelables, la modification des produits et la décarbonation de la chaîne d'approvisionnement, adaptés aux actions spécifiques de l'entreprise.
Par ailleurs, la priorité doit être donnée aux efforts de réduction d'émissions brutes de GES.
Le concept de neutralité carbone n'est pas approprié au niveau de l'entreprise. Il prête à confusion et risque d'être utilisé pour ne pas s'engager dans la réduction nette des GES.
Il est bâti sur la confusion entre les deux dimensions de la « neutralité carbone » :
· une dimension « arithmétique », pour laquelle il s'agit de l'atteinte d'un état où les émissions de GES de l'entreprise sont présumées « compensées » (notamment via l'achat de crédits carbone perçus à tort comme un moyen d'annuler des émissions de GES réellement émises) ;
· une dimension « dynamique », par un alignement avec une trajectoire de limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C, donc le suivi d'une trajectoire d'émissions précise qui mène in fine à l'état de « neutralité » dans le respect du budget carbone restant.
Par ailleurs, la contribution réelle des crédits carbone à la lutte contre le changement climatique a été fortement remise en cause, tant en raison des incertitudes et des échecs entourant le déploiement de la capture de CO2 technologique et naturelle que de ceux concernant le calcul de potentielles émissions évitées.
Pour l'Autorité des marchés financiers en effet : « une entreprise ne devrait pouvoir valoriser, en toute rigueur, qu'une contribution à l'atteinte de la neutralité carbone globale et en aucune manière l'atteinte de la neutralité carbone pour ses activités propres. Dans ce cadre, toute entité qui adopte ce type d'engagement de « contribution » se doit non seulement d'atteindre un état de neutralité carbone, mais aussi de le faire en suivant une trajectoire d'émissions de GES et, plus largement, une stratégie d'affaires (ex : CapEx, volumes de production) compatible avec son scénario de référence de réduction de 1,5 ° ».
Cette trajectoire implique donc en priorité la réduction des émissions de GES de l'entreprise211(*).
C'est la raison pour laquelle la décision prise le 9 avril 2024 du SBTi212(*) d'autoriser l'utilisation de certificats d'attributs environnementaux pour atteindre les objectifs de réduction sur le scope 3, qui inclut les crédits carbone, a été jugée « inefficace et dangereuse »213(*). Il n'est pas possible de mettre sur le même plan des réalités physiques distinctes, en comparant des émissions effectivement induites à des émissions potentiellement évitées ou captées dans une temporalité et une géographie différentes. En vue de contribuer au juste niveau à la neutralité carbone planétaire, une entreprise doit agir de trois manières simultanées mais séparées : en réduisant au minimum ses émissions, en aidant les autres à réduire les leurs et en contribuant à la création nette de puits de carbone.
La « compensation carbone » - via l'achat de crédits carbone générés sur la base de capture de CO2 au moyen de procédés naturels ou technologiques - doit intervenir uniquement lorsque toutes les options de réduction sont mises en oeuvre, la « compensation » ne pouvant intervenir que pour un volume d'émission résiduel et limité214(*).
Toute utilisation avant ce stade ne peut être considérée comme permettant l'atteinte d'un état de « neutralité carbone ».
La délégation recommande d'afficher comme priorité de l'action publique en faveur de la transition climatique des entreprises la réduction nette des émissions de CO2.
b) La sobriété et l'efficacité énergétiques
Le découplage nécessaire entre les émissions de GES et la croissance économique a produit le concept de « croissance verte », défini par l'OCDE comme une « croissance économique qui permet une préservation significative de l'environnement ». Celui-ci se distingue du concept de « décroissance », selon lequel la transition climatique ne serait possible qu'avec une réduction de la production.
La sobriété doit être limitée à l'utilisation de l'énergie fossile ou carbonée. Dépassant l'efficacité énergétique, elle requiert une modification des processus de production afin de consommer moins.
La « croissance verte » fait l'objet de deux interprétations quant à la forme qu'elle pourrait prendre et à ses implications macroéconomiques.
L'une soutient que la transition écologique serait bénéfique à l'économie dès le court terme : les investissements pour assurer la transition soutiendraient la demande, et à travers elle l'activité et l'emploi. Cette interprétation recourt aux arguments keynésiens usuels, sous l'hypothèse supplémentaire qu'un investissement « vert » aura davantage de bénéfices économiques à court terme qu'un investissement « brun ». L'investissement vert (par exemple, dans la rénovation thermique des bâtiments) serait plus intensif en emplois et aurait un impact économique plus concentré localement. La littérature empirique sur les mesures de stimulus vertes est toutefois limitée. Cette interprétation englobe également les argumentaires techno-optimistes selon lesquels la transition devrait s'accompagner d'innovations de rupture décarbonées, qui pourraient être source de nouveaux gains de productivité significatifs. Les critiques de cette approche soulignent à la fois la forte incertitude quant à l'émergence de ces technologies et à leur capacité à avoir un effet d'entraînement sur le reste de l'économie.
L'autre interprétation, vers laquelle un consensus tend à se former, suggère que la transition écologique induirait des bénéfices à long terme - au regard des effets négatifs de l'inaction climatique - mais serait coûteuse à court terme. Ainsi, selon Pisani-Ferry (2021), la sortie des énergies fossiles nécessaire à la réduction massive et rapide des émissions de GES pourrait être apparentée à un choc d'offre négatif, et le surcroît d'investissement nécessaire pour réaliser la transition se ferait au détriment de la consommation ou d'autres investissements à court terme. Les coûts cumulés pour l'activité économique resteraient cependant en-deçà des coûts qu'engendrerait le changement climatique en cas d'inaction, qui pourraient représenter au-delà de -15 % du PIB mondial en 2050 pour une hausse de la température de 2 à 3°.
Source : « Croissance et décarbonation de l'économie »
Pierre-Louis Girard, Claire Le Gall, William Meignan, Philippe Wen,
Trésor Eco n° 315, octobre 2022, Direction générale du Trésor.
La sobriété contribue, comme l'efficacité, à une réduction de la consommation d'énergie. Elle vise la tempérance dans nos usages énergétiques et suppose un changement de comportement, de pratique ou de mode de vie qui génère une baisse de consommation d'énergie. Elle peut être divisée en trois leviers complémentaires et nécessaires :
· l'anti-gaspillage : identifier les économies d'énergie venant d'usages ne rendant en réalité aucun service ;
· la sobriété individuelle : réduire la consommation à l'échelle individuelle ;
· la sobriété collective : organiser notre société pour inciter à des changements d'usage.
Source : Carbone 4
La réduction de la demande en énergie, elle-même liée à la demande de biens et de services, est un facteur clé pour atteindre la neutralité carbone. Cette réduction peut aller de 23 % à 55 % par rapport à 2015, selon les scénarios de l'étude prospective Transition(s) 2050 de l'ADEME.
« Futurs énergétiques 2050 » rassemble les scénarios de mix de production à l'étude permettant d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050, réalisé en février 2022 par RTE, gestionnaire du réseau de transport d'électricité français. Dans ce document, « agir sur la consommation grâce à l'efficacité énergétique, voire la sobriété est indispensable pour atteindre les objectifs climatiques », et « agir sur la production d'énergie décarbonée » passent tout autant par l'accélération du déploiement des énergies renouvelables que la construction de nouveaux réacteurs nucléaires pour garantir une « réindustrialisation électrique » bas carbone d'ici 2050.
Les scénarios de systèmes électriques bas-carbone en 2050 selon RTE
Atteindre la neutralité carbone implique une transformation de l'économie et des modes de vie, et une restructuration du système permettant à l'électricité de remplacer les énergies fossiles comme principale énergie du pays.
Sur la consommation
1) Agir sur la consommation grâce à l'efficacité énergétique, voire la sobriété est indispensable pour atteindre les objectifs climatiques ;
2) La consommation d'énergie va baisser mais celle d'électricité va augmenter pour se substituer aux énergies fossiles ;
3) Accélérer la réindustrialisation du pays, en électrifiant les procédés, augmente la consommation d'électricité mais réduit l'empreinte carbone de la France ;
Sur la transformation du mix électrique
4) Atteindre la neutralité carbone est impossible sans un développement significatif des énergies renouvelables ;
5) Se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des énergies renouvelables plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques ;
Sur l'économie
6) Construire de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinent du point de vue économique, a fortiori quand cela permet de conserver un parc d'une quarantaine de GW en 2050 (nucléaire existant et nouveau nucléaire) ;
7) Les énergies renouvelables électriques sont devenues des solutions compétitives. Cela est d'autant plus marqué dans le cas de grands parcs solaires et éoliens à terre et en mer ;
8) Les moyens de pilotage dont le système a besoin pour garantir la sécurité d'approvisionnement sont très différents selon les scénarios. Il y a un intérêt économique à accroître le pilotage de la consommation, à développer des interconnexions et du stockage hydraulique, ainsi qu'à installer des batteries pour accompagner le solaire. Au-delà, le besoin de construire de nouvelles centrales thermiques assises sur des stocks de gaz décarbonés (dont l'hydrogène) est important si la relance du nucléaire est minimale et il devient massif - donc coûteux - si l'on tend vers 100 % renouvelables ;
9) Dans tous les scénarios, les réseaux électriques doivent être rapidement redimensionnés pour rendre possible la transition énergétique ;
Sur la technologie
10) Créer un « système hydrogène bas-carbone » performant est un atout pour décarboner certains secteurs difficiles à électrifier, et une nécessité dans les scénarios à très fort développement en renouvelables pour stocker l'énergie ;
11) Les scénarios à très hautes parts d'énergies renouvelables, ou celui nécessitant la prolongation des réacteurs nucléaires existants au-delà de 60 ans, impliquent des paris technologiques lourds pour être au rendez-vous de la neutralité carbone en 2050 ;
12) La transformation du système électrique doit intégrer dès à présent les conséquences probables du changement climatique, notamment sur les ressources en eau, les vagues de chaleur ou les régimes de vent ;
Sur l'espace et l'environnement
13) Le développement des énergies renouvelables soulève un enjeu d'occupation de l'espace et de limitation des usages. Il peut s'intensifier sans exercer de pression excessive sur l'artificialisation des sols, mais doit se poursuivre dans chaque territoire en s'attachant à la préservation du cadre de vie ;
14) Même en intégrant le bilan carbone complet des infrastructures sur l'ensemble de leur cycle de vie, l'électricité en France restera très largement décarbonée et contribuera fortement à l'atteinte de la neutralité carbone en se substituant aux énergies fossiles ;
15) L'économie de la transition énergétique peut générer des tensions sur l'approvisionnement en ressources minérales, particulièrement pour certains métaux, qu'il sera nécessaire d'anticiper ;
Généraux
16) Pour 2050, le système électrique de la neutralité carbone peut être atteint à un coût maîtrisable pour la France ;
17) Pour 2030 : développer les énergies renouvelables matures le plus rapidement possible et prolonger les réacteurs nucléaires existants dans une logique de maximisation de la production bas-carbone augmente les chances d'atteindre la cible du nouveau paquet européen « -55% net » ;
18) Quel que soit le scénario choisi, il y a urgence à se mobiliser.
Enfin, pour le rapport du 2 juillet 2024 de la commission d'enquête du Sénat sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050, « la sobriété doit devenir un élément structurant à prendre en compte dans l'action collective et pas seulement l'objet d'un plan d'urgence qui surgit en cas de tension sur le système électrique »215(*) et a préconisé, outre le renforcement du plan de sobriété énergétique du Gouvernement présenté en octobre 2022, de « mieux intégrer la sobriété comme objectif des politiques publiques en amont ».
Pour rendre opérationnel ce scénario, un double effort est nécessaire :
- la prolongation du parc nucléaire en exploitation jusqu'à 60 ans avec une optimisation significative de leur performance ;
- le développement, d'ici à 2035, des moyens de production d'énergies renouvelables en s'appuyant sur une répartition équilibrée entre les différentes technologies, et une implantation plus optimale sur l'ensemble du territoire.
La délégation aux Entreprises recommande d'accentuer :
- l'efficacité et la sobriété énergétiques pour réduire la consommation,
- le déploiement des énergies bas carbone en s'appuyant sur la relance du nucléaire et le déploiement des énergies renouvelables.
c) La question de la « dette verte »
À titre personnel, votre rapporteur Simon Uzenat plaide pour tirer les conséquences de cette priorité donnée à la décarbonation des entreprises en proposant de déduire les investissements publics liés à la décarbonation du calcul du déficit public pris en compte pour vérifier qu'un pays respecte le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Il convient de souligner que le Président de la République Emmanuel Macron et Mario Draghi ont appelé, le 23 décembre 2021, l'Union européenne à réformer ses règles budgétaires : « les règles budgétaires devraient favoriser la dette créée pour financer ces investissements, qui contribuent indéniablement au bien-être des générations futures et à la croissance à long terme, étant donné que ces dépenses publiques participent de fait à la viabilité de la dette à long terme ». Cette nouvelle stratégie de croissance, qui doit permettre des investissements massifs pour financer la double transition numérique et climatique, suppose des investissements communs et des règles budgétaires « plus adaptées ».
Cet appel à la réforme des règles budgétaires européennes216(*) a été décliné, pour les collectivités locales, par le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires de l'époque, lors des premières rencontres de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale, organisées le 2 février 2023, afin d'accélérer l'investissement des collectivités territoriales dans la transition climatique. Selon la formule du ministre : « le climat est un usurier : tout ce que nous ne faisons pas aujourd'hui nous coûtera plus cher demain ». Cette situation conduit à « réhabiliter une dette qui permet d'éviter des dépenses futures et conduit à des gains climatiques immédiats, c'est l'idée de la « dette verte ».
Il serait logique que les aides publiques aux entreprises pour les accompagner dans la transition climatique bénéficient d'une évolution comparable des règles budgétaires européennes. Le mur du montant colossal de l'investissement à consacrer à la décarbonation ne peut se doubler d'un autre obstacle, celui de la définition de la dette qu'il convient au contraire de réhabiliter, à certaines conditions217(*), pour réussir la transition climatique. La dette climatique peut être vertueuse.
La principale objection à cette proposition218(*) est qu'elle conduirait à s'écarter de l'objectif premier des règles budgétaires, à savoir la soutenabilité de la dette. Toutefois, les émissions de GES accumulées constituent également un passif. L'absence de lutte contre le changement climatique entraînera des coûts importants et une baisse du PIB, menaçant du même coup la soutenabilité de la dette.
Cependant, selon l'économiste en chef de la direction générale du Trésor, Mme Angès Bénassy-Quéré219(*), « il n'en reste pas moins que les dettes nationales devront être servies avec les ressources du budget national et un refinancement continu de la dette, quel que soit le type de dépenses financées par celle-ci. De plus, l'exclusion d'une catégorie de dépenses atténuerait la pression pour rendre ces dépenses efficaces (en termes de coûts d'abattement notamment) et introduirait des distorsions inefficaces entre les différents types de dépense (par exemple, le financement public de la rénovation thermique des bâtiments serait considéré comme un investissement vert, mais pas la formation professionnelle dans ce domaine). Enfin, une règle d'or (verte) s'écarterait de la nécessité de simplifier les règles et exigerait une définition commune et précise de ce qui constitue un investissement « vert ».
Un fonds d'investissement climatique a été proposé à titre alternatif, puisque les investissements verts sont principalement destinés à réaliser un engagement commun de réduction des émissions de GES. Une telle approche permettrait de hiérarchiser les projets d'investissement en Europe en fonction de leurs coûts d'abattement220(*). Ce fonds pourrait être transitoire et prendre fin, en 2050. Il nécessiterait une nouvelle augmentation des ressources propres, ce qui soulèverait à son tour la question des transferts entre les États membres. En l'absence de tels transferts, un fonds d'investissement climatique serait de facto assez proche d'une règle d'or, chaque État membre finançant son propre investissement. Pour la même économiste, « il permettrait de financer une ambition économique et politique essentielle avec un outil budgétaire commun, préservant la simplicité des règles budgétaires et incitant tous les États membres à investir davantage dans la transition verte. Une autre possibilité serait que les pays dont les coûts d'abattement sont moindres réalisent des réductions plus ambitieuses de leurs émissions et reçoivent davantage de fonds à cette fin. Enfin, l'accès au fonds pourrait être conditionné au respect des règles budgétaires, transformant les sanctions existantes en incitations ».
2. Gérer les temporalités de la transition climatique
a) Présenter un horizon pour sécuriser les investissements des entreprises
La programmation de la transition climatique des entreprises doit présenter un horizon stable pour sécuriser les investissements des entreprises.
La définition du rythme de la transition économique est particulièrement complexe. En effet, le changement climatique est une « tragédie des horizons », car ses effets dépassent l'horizon économique, politique et financier de la majorité des agents économiques, comme l'a souligné dès septembre 2015, dans un discours chez l'assureur Lloyd's, le Gouverneur de la Banque d'Angleterre.
Le problème que les sociétés contemporaines doivent affronter pour construire leur avenir n'est pas seulement celui de la profondeur de temps qui permet de mobiliser les ressources nécessaires à l'investissement de long terme mais surtout celui de l'incertitude radicale à long terme « qui est un défi à l'évaluation des risques, sans laquelle des engagements d'investissement ne peuvent être pris », selon Michel Aglietta, Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii)221(*). Or, ce dernier a constaté que le marché financier, « même s'il était efficient, pourrait au mieux synthétiser l'information passée mais est en revanche incapable de fournir une boussole pour s'orienter vers un futur qui n'est pas connu ». Les investissements de long terme de la transition climatique des entreprises relèvent donc davantage des investisseurs et prêteurs publics pour financer les projets de grande taille et de longue maturité, qui engendrent des externalités positives.
Un « moment Minsky » fait re'fe'rence a` l'ide'e de feu l'e'conomiste ame'ricain Hyman Minsky selon laquelle un effondrement des anticipations des marche's financiers peut entraîner une revalorisation rapide des actifs, laquelle peut a` son tour provoquer une instabilite' financie`re. Ce « moment » agit comme une re've'lation, mais avec des conse'quences ne'gatives potentielles. Jusqu'a` l'accord de Paris sur le climat de la fin 2015, aucun cadre ne permettait de comprendre les risques financiers lie's au changement climatique. Depuis, nous avons identifié et conceptualise' trois canaux principaux par lesquels le changement climatique peut perturber la stabilite' financie`re. Le premier, ce sont les risques physiques : la fre'quence croissante d'e've'nements climatiques ou me'te'orologiques extre^mes de'truit ou de'te'riore de plus en plus d'actifs immobiliers entre autres, et perturbe le commerce. Le deuxie`me canal, ce sont les risques lie's a` la responsabilite' financie`re : les victimes de phe'nome`nes climatiques extrêmes re'clament des dommages financiers a` ceux qu'ils jugent responsables de la situation. Enfin, le troisie`me canal est le risque lie' a` la transition e'nerge'tique elle-me^me : l'adaptation soudaine ou mal conduite a` une e'conomie bas carbone.
Cette dernie`re forme de risque est la plus difficile a` appre'hender en raison de deux paradoxes. Le premier peut se re'sumer ainsi : « L'avenir sera le passe'. » Ge'rer le changement climatique rele`ve de ce qu'on peut appeler une « trage'die des horizons ». Je m'explique : les conse'quences catastrophiques a` venir seront ressenties au-dela` des cycles d'affaires ou des mandats politiques, c'est-a`-dire plus loin que les e'che'ances de la plupart des individus. Ces impacts auront un coût pour les générations futures que la ge'ne'ration actuelle n'est pas incite'e a` e'viter. Et lorsque le changement climatique deviendra un danger e'vident et perceptible, il pourrait être trop tard pour stabiliser la hausse moyenne de la tempe'rature a` 2 °C.
Second paradoxe : « La re'ussite est un e'chec. » Je veux dire par la` que des changements trop rapides vers une e'conomie de'carbone'e peuvent bouleverser la stabilite' financie`re. Une re'e'valuation comple`te des perspectives, a` mesure que les risques climatiques sont pris en compte, pourrait de'stabiliser les marche's, de'clencher une spirale de pertes qui de'boucherait sur un resserrement du cre'dit : cet enchaînement pourrait s'appeler un « moment Minsky » climatique.
Mark Carney, Gouverneur de la Banque d'Angleterre,
entretien paru pendant l'hiver 2019 dans Politique internationale, Dossiers
spéciaux : n° 162 : Investissement responsable :
l'essor :
« Finance et risque climatique : la
"tragédie des horizons" ».
Ainsi, selon l'I4CE, « décider en fonction de la durée de vie de chaque investissement permet de considérer le bon niveau de réchauffement au bon moment et de conserver ainsi des marges de manoeuvre. Pour certaines décisions facilement réversibles ou certains cycles d'investissement courts, il est possible de ré-évaluer périodiquement le niveau d'effort en fonction des niveaux de réchauffement réel. Une nouvelle occasion d'intervenir se présentera et il sera possible de ré-évaluer si nécessaire le besoin de robustesse à ce moment-là. Tenir compte de niveaux de réchauffement élevés qui ne seraient de toutes façons pas atteints avant plusieurs décennies présenterait peu d'intérêt. Pour d'autres décisions, impliquant de fortes irréversibilités, il est largement plus robuste de tenir compte maintenant d'un réchauffement de +4°C en 2100. Il est par exemple fort peu probable qu'une deuxième campagne massive de rénovation des logements déjà construits soit menée d'ici la fin du siècle. Cela est d'autant plus important lorsque le risque de surinvestissement est bien inférieur aux conséquences d'un sous-investissement ».
Source : I4CE
Accompagner les entreprises dans le long terme est particulièrement nécessaire dans le secteur industriel. La décarbonation de l'industrie, troisième secteur contributeur émissions de GES en France, avec 73 millions de tonnes de CO² e en 2022, est décisive pour atteindre la neutralité carbone.
Cette décarbonation nécessite des investissements massifs car « produire vert dans l'industrie coûte significativement plus cher que produire carboné (jusqu'à +20 % pour l'acier, +20-43 % pour les plastiques, +70-115 % pour le ciment222(*)). Par ailleurs, l'industrie étant un secteur très capitalistique, les investissements à engager sont lourds et s'amortissent à long terme. L'État a donc un rôle important à jouer pour limiter ce surcoût “vert” et donner une visibilité à long terme aux industriels quant à la rentabilité de tels investissements. Cela nécessite notamment de renforcer les aides publiques à l'investissement ». L'Institut Rousseau a estimé en 2022 que l'État français devrait, d'ici à 2050, renforcer de 14 milliards d'euros les subventions à l'investissement vert industriel (qui pourraient entre autres venir abonder le fonds économie circulaire et le fonds décarbonation de l'ADEME) et de 6 milliards d'euros ses aides au développement de capacités de production de technologies stratégiques.
Au préalable, il faut évaluer au mieux la demande énergétique à l'horizon 2050.
Or, comme l'ont soulevé des experts223(*) : « si plusieurs scénarios prospectifs coexistent aujourd'hui ( RTE - futurs énergétiques 2050 ; GRTGaz - Perspectives gaz ; Planification du SGPE (d'ici à 2030) ; Ademe - Transitions 2050), ils présentent des divergences méthodologiques, des bases de données et des hypothèses différentes, parfois contradictoires - hypothèses de croissance économique, hypothèses de prix des énergies fossiles (pétrole, gaz), de prix carbone, de développement des énergies renouvelables (coûts de production, politiques de soutien) -, et de politiques publiques (fiscalité carbone, normes d'efficacité énergétique, mécanismes incitatifs). Ces divergences peuvent engendrer des projections différentes en matière de consommation énergétique (évolution de la demande d'électricité, de gaz, baisse de la demande), de mix énergétique (part des différentes sources d'énergie) et donc de baisse d'émissions de GES ». Ils préconisent ainsi une plus grande harmonisation méthodologique, « fondée sur des référentiels communs discutés, débattus et opposables au travers de données partagées, permettrait d'aboutir à une vision plus convergente des futurs énergétiques possibles ».
Cette harmonisation doit s'accompagner d'un débat public et parlementaire sur la décarbonation afin d'améliorer la transparence et la lisibilité des scénarios pour le grand public, de contribuer ainsi à une meilleure compréhension et appropriation des enjeux énergétiques en termes de création d'emploi, d'impact sur les factures ou de conséquences sur les modes de vie et de faciliter l'adhésion des citoyens aux politiques de transition énergétique en illustrant concrètement les retombées économiques et sociales de la transition. Ces experts estiment nécessaire une « mise au débat des différents leviers d'action disponibles, du potentiel degré d'engagement de la part des différents acteurs concernés, en interrogeant la répartition des efforts devant être opérés par chacun (particuliers, État, collectivités, entreprises) et le calendrier de ces changements ».
La délégation recommande d'harmoniser la méthodologie de l'évaluation de la demande énergétique à l'horizon 2050.
b) Être plus agile : développer les expérimentations
La politique de transition climatique des entreprises doit devenir plus agile.
En effet, les gains de la décarbonation engrangés jusqu'à présent relèvent principalement, dans le domaine industriel, de l'efficience énergétique - rapport entre la quantité d'énergie produite et l'énergie consommée.
Or, les mesures les plus immédiates et consensuelles (« low- hanging fruit »)224(*) ayant été prises, il faudra de plus en plus s'orienter vers des technologies de rupture dont la soutenabilité économique n'est à ce jour pas complètement démontrée et acquise : utilisation généralisée de l'hydrogène, captage et stockage de dioxyde de carbone, procédé de réduction directe en métallurgie par exemple.
L'action publique devra donc s'orienter vers l'assouplissement du cadre normatif (afin de permettre des innovations) et vers un soutien public, en mobilisant davantage France Relance.
Dans sa résolution du 25 août 2023, le Sénat a plaidé pour que soit précisé, à l'échelle européenne, le dispositif de « bac à sable règlementaire », que la France a prévu dans la loi « Énergie-Climat » de 2019 et consolidé dans la loi « Climat-Résilience » de 2021, qui offre des souplesses administratives aux porteurs de projets énergétiques innovants. Il estime que, dans la stratégie « zéro net », ses effets ainsi que son articulation avec les outils similaires prévus dans d'autres législations européennes devraient être mieux définis, notamment dans le secteur énergétique. Il recommande que des lignes directrices sectorielles soient proposées pour en faciliter la mise en oeuvre par les États membres.
Les États membres sont invités à mettre en place des « bacs à sable » réglementaires pour ces technologies, soit de leur propre initiative, soit à la demande d'un porteur de projet, selon des modalités définies par des actes d'exécution (art. 26), sans que la participation à ces initiatives ait un effet sur les pouvoirs de surveillance et de correction des autorités chargées de la surveillance de ces « bacs à sable ». Ces « bacs à sable » devront être conçus et utilisés de manière à favoriser la coopération transfrontalière.
Si des dérogations et des exemptions sont envisagées, en particulier pour les projets présentant des risques exceptionnels pour la santé et la sécurité des travailleurs (substances particulièrement toxiques), les autorités compétentes devront veiller à ce que le plan du « bac à sable » garantisse le respect des objectifs clés et des législations européennes et nationales essentielles.
Dès lors qu'ils respectent ce plan et les règles de participation à celui-ci, les participants ne peuvent pas être sanctionnés pour infraction à la législation européenne ou nationale concernant la technologie « zéro net » surveillée dans le « bac à sable ».
Un rapport sera adressé chaque année à la Commission sur les résultats de la mise en oeuvre des « bacs à sable » règlementaires (bonnes pratiques, recommandations).
Pour accompagner les PME, les États membres devront leur donner un accès prioritaire aux « bacs à sable » réglementaires, organiser des activités de sensibilisation sur leur participation à ces outils, mettre en place un canal de communication spécifique et les informer du soutien disponible pour leurs activités dans celui-ci (art. 27).
Extrait de l'exposé des motifs de la proposition de résolution européenne n° 886 du 13 juillet 2023 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'établissement d'un cadre de mesures en vue de renforcer l'écosystème européen de la fabrication de produits de technologie « zéro net », COM(2023) 161 final
Pour les projets innovants avec une dimension économique dont le développement est, ou paraît, bloqué par des dispositions législatives ou réglementaires, le recours à France Expérimentation permet aux acteurs économiques de tester leur innovation sur le terrain et d'en mesurer les effets de façon objective. Dispositif unique en Europe, il vise à « intensifier le rythme de la transition climatique des entreprises ».
Ce dispositif interministériel gratuit, porté par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et la direction générale des entreprises (DGE), offre aux porteurs de projets, soumis et éligibles, une instruction et un accompagnement sur mesure de la DITP et de la DGE ainsi qu'une expertise juridique et technique des différents ministères concernés.
La décision est toutefois purement politique. En effet, chaque dossier est soumis, sur la base des analyses et avis rendus, à l'arbitrage du cabinet du Premier ministre.
Le principe de l'expérimentation, qui suppose des dérogations, pis-aller d'une simplification systémique des normes applicables aux entreprises pour laquelle la délégation aux Entreprises a fait des propositions suivies par le Sénat le 26 mars 2024, devrait être la règle en matière de transition climatique des entreprises, afin d'accélérer l'innovation.
La délégation recommande d'amplifier les expérimentations pour favoriser les innovations permettant d'accélérer la transition climatique des entreprises.
c) Intensifier le rythme
« Il va nous falloir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans », selon France Stratégie.
Depuis le Pacte de Glasgow de la COP 26, en 2021, la communauté internationale privilégie explicitement l'objectif de limiter la hausse de température à 1,5 °C, compte tenu des risques significativement accrus par tout dépassement de cette limite. La définition et les objectifs de la « neutralité carbone » disposent donc au niveau global de bases scientifiques solides. Le GIEC note ainsi que les scénarios ayant 50 % de chances de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C nécessitent l'atteinte de la neutralité carbone d'ici à 2050 et la diminution des émissions de GES (de l'ordre de moitié) entre 2019 et 2030.
Le GIEC indique : « Les trajectoires qui limitent le réchauffement planétaire à 1,5 °C sans dépassement ou avec un dépassement minime exigeraient des transitions rapides et radicales dans les domaines de l'énergie, de l'aménagement des terres, de l'urbanisme, des infrastructures (y compris transports et bâtiments) et des systèmes industriels (degré de confiance élevé). Ces transitions systémiques sont sans précédent pour ce qui est de leur ampleur, mais pas nécessairement de leur rythme, et supposent des réductions considérables des émissions dans tous les secteurs, un large éventail d'options en matière d'atténuation et une hausse nette des investissements dans ces options (degré de confiance moyen) ».
Cela signifie que limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C n'implique pas uniquement l'atteinte à un moment donné de la neutralité carbone (état où les émissions de GES sont équivalentes aux retraits), mais requiert également que la vitesse de réduction des émissions soit assez rapide pour ne pas dépasser le budget carbone cohérent avec l'objectif de hausse de la température de 1,5 °C.
3. Faire converger politique industrielle et politique climatique
La politique climatique doit d'autant plus converger vers la politique économique que l'État et l'Union européenne soutiennent une politique de réindustrialisation décarbonée.
Dans l'Union européenne, le « plan industriel pour le Pacte vert », présenté en février 2023, repose sur quatre piliers visant à accroître les capacités européennes en technologies et produits liés à la transition climatique. Les domaines devant recevoir des investissements importants associés à la décarbonation de l'économie sont identifiés, avec l'objectif d'atteindre une capacité européenne de production des technologies « zéro émission nette » correspondant à 40 % des besoins de l'Union européenne d'ici à 2030. Il prévoit également225(*) un accès plus rapide au financement afin de résister aux subventions massives accordées aux entreprises dans des pays concurrents, notamment dans les domaines des énergies renouvelables et dans le secteur des équipements stratégiques nécessaires à la neutralité carbone.
La législation européenne de mars 2023 pour « une industrie à zéro émission nette » a marqué un nouveau tournant dans la politique industrielle européenne. Consciente des risques accrus de décrochage industriel face à la concurrence internationale stimulée par l'IRA américain, l'Union européenne a adopté une approche plus volontariste afin de renforcer la position de l'Europe dans la compétition mondiale tout en répondant aux impératifs climatiques
En France, le plan France Relance lancé le 3 septembre 2020 affirmait « relancer l'économie par l'écologie », sur 100 milliards d'euros qu'il prévoyait, 30 milliards étant destinés au financement de la transition climatique et « chaque axe du plan de relance » devant « apporter une contribution à la transition écologique ».
Toutes les dimensions de la transition écologique sont prises en compte : la biodiversité, la réduction des émissions de GES, la pollution locale, l'adaptation des territoires au changement climatique, le développement des circuits courts, l'économie circulaire et l'artificialisation des sols.
Une partie des mesures du plan de relance permettront une réduction directe des émissions de GES par rapport à une relance qui n'intégrerait pas de considérations environnementales. Il s'agit des mesures de rénovation énergétique des bâtiments, de décarbonation des sites industriels, de verdissement du parc automobile privé et public, de développement de transports en commun... Les économies générées par ces mesures sont estimées à 57 millions de tonnes de CO2.
Les mesures permettant la relocalisation d'activité de production critique en France réduiront notre empreinte carbone : en produisant en France, à proximité du consommateur, avec une électricité faiblement carbonée plutôt que d'importer des produits fabriqués loin, dans des conditions environnementales moins favorables, nous améliorons notre bilan carbone.
D'autres mesures permettent de développer de nouvelles technologies qui ont un potentiel de réduction massive des émissions à long terme. C'est le cas par exemple de l'hydrogène, qui pourra avoir des applications dans les transports, dans l'industrie et dans la production d'énergie décarbonée. Il s'agit de préparer l'avenir et de permettre à la France de se doter des capacités industrielles et technologiques pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Le plan de relance consacre 470 millions d'euros dans le nucléaire pour investir dans les compétences et la formation, soutenir les sous-traitants de la filière et préparer l'avenir en finançant la recherche pour la conception de petits réacteurs modulaires (SMR).
Beaucoup de mesures du plan de relance participent aux autres aspects de la transition écologique : mesures de formation des professionnels qui exerceront dans ces métiers, mesures portant sur la préservation de la biodiversité, l'adaptation au changement climatique, la gestion des ressources (la gestion de la ressource en eau, les mesures relatives à la pêche et à l'aquaculture) ou la lutte contre la pollution (par exemple grâce au renouvellement des agroéquipements).
Source : dossier de presse du 3 septembre 2020
Comme indiqué ci-dessus, le bilan est nuancé quant à la contribution « exclusive » de ce plan à la transition climatique.
D'une manière générale, la réussite d'une politique de réindustrialisation « verte » repose sur la maîtrise de la chaîne de valeurs, des intrants miniers aux infrastructures de charges ou au réseau électrique. En effet, selon l'OFCE226(*), « les aides aux industries vertes soutiennent leur production et l'extension des capacités, ce qui augmente la concurrence sur l'accès aux ressources comme les intrants miniers mais aussi la concurrence pour attirer les compétences. Des goulets d'étranglement peuvent très vite apparaître, surtout si ces politiques sont teintées de protectionnisme (qui créent des barrières entre les marchés). Une tension sur les prix des ressources rares ne manquera pas de se produire ».
Par ailleurs, « on peut s'interroger sur l'atteinte de l'objectif ultime de réduction des émissions de CO2 - totales et non par unité d'énergie générée. Le doublement des capacités de l'industrie verte en Europe et aux États-Unis va-t-il réduire les émissions de CO2 ? Y aura-t-il une substitution aux capacités des énergies fossiles ? ».
Il semble préférable non de soutenir des industries en particulier mais de décarboner les processus de production dans tous les domaines d'activité afin « d'assigner à la politique industrielle la mission de prendre en compte les externalités de la pollution des processus de production ». Toutefois, « instaurer un prix du carbone est une politique de l'environnement et dépasse le cadre de la politique industrielle verte qui vise à influencer les spécialisations productives ».
La politique française récente de décarbonation de l'industrie (plan de décarbonation de l'industrie dans le cadre de France 2030 de 5,6 milliards d'euros, puis en mai 2023, loi industrie verte ciblant le changement de processus de production) prend donc une bonne direction. Mais elle doit accélérer le rythme.
« La politique industrielle verte horizontale a moins d'exigences sur la maîtrise de la chaîne de valeur ou sur les débouchés. Elle comporte moins de risques de désajustements de l'offre à la demande en raison des risques d'excès de capacités. Elle a donc une efficacité' plus pérenne et moins chaotique. Si elle réussit à produire des changements de comportements, elle a des effets plus structurels que la version verticale. Dans le contexte d'une régulation des émissions de plus en plus stricte, d'un prix des énergies fossiles durablement plus élevé, d'une finance verte qui se développe et d'une exigence croissante de responsabilité sociale des entreprises, l'adoption de processus de production moins polluants prend un caractère irréversible : il existera très peu de raisons de retourner à des processus plus polluants même une fois les dispositifs de soutien supprimés. Un autre avantage de cette politique est que les subventions ne créent pas de distorsions de concurrence non souhaitées. Elles ne procurent pas un avantage compétitif discriminant, elles ne font que soutenir l'effort des investissements aux coûts irrécouvrables nécessaires à la décarbonation des processus de production » indique l'OFCE.
Toutefois, l'inconvénient de cette politique, outre son coût net élevé à court terme, est qu'elle est une politique de guichets. Les investissements de décarbonation sont soutenus par les aides à condition qu'ils aient lieu. Elle doit donc être accompagnée de dispositifs d'incitation plus contraignants.
La délégation recommande de mettre en cohérence les aides de France 2030 à la future Stratégie nationale bas carbone ainsi que le futur Plan National d'Adaptation au Changement Climatique (PNACC 3).
4. Simplifier la politique publique afin de permettre une appropriation rapide par les entreprises
La décarbonation apparaît trop souvent aux TPE et PME comme un sujet abstrait, éloigné des questions de compétitivité à court terme et difficile à traduire en actions opérationnelles.
Même présenté sur une plateforme numérique, le maquis des aides publiques doit être simplifié et regroupé autour d'un parcours usager de l'entreprise débutant par le calcul de son bilan carbone. Trop de PME et de TPE ne savent en effet toujours pas calculer leurs émissions de GES.
Or, le bilan carbone d'une entreprise « n'est pas synonyme de fuite des responsabilités, d'écran de fumée ou d'achat de conscience » car la réduction de l'empreinte environnementale d'une entreprise « constitue un véritable trait d'union entre activité économique, transition juste et neutralité carbone planétaire. La contribution révèle la volonté d'entraide et la capacité de transformation du modèle d'affaires d'une entreprise »227(*).
Comme le souligne Cédric Ringenbach, fondateur de la Fresque sur le climat : « On voit encore des entreprises refuser de mettre dans leur bilan carbone des postes d'émission importants parce qu'elles n'ont pas de levier ou parce qu'elles ont peur d'être pointées du doigt. Elles voient le bilan carbone comme une mauvaise note au lieu de l'envisager comme un diagnostic. D'où l'importance de distinguer les émissions dont nous sommes responsables et celles dont nous sommes dépendants. Cela va permettre de déplacer la problématique du climat du domaine de la communication (« je prends des engagements ») vers celui de la stratégie (« j'analyse les risques qui pèsent sur mon activité ») »228(*).
Le parcours d'aides publique doit être recentré sur une quinzaine de dispositifs contre plus de 340 actuellement, autour du calcul des émissions de GES et d'un bilan carbone pour les TPE et PME, d'un plan de transition pour les grandes PME et les ETI. L'accompagnement à la transition climatique des entreprises doit partir de leurs demandes et être construit de manière transversale, en s'adressent aux différentes catégories d'entreprises quel que soit leur domaine d'activité.
La délégation recommande de simplifier les aides à la transition climatique des entreprises, en substituant une politique de l'offre à une politique de la demande, fondée sur le parcours usager de l'entreprise, s'adressant, de manière transversale, aux entreprises de tous secteurs et de toutes tailles.
5. Inscrire les aides publiques dans une stratégie bas-carbone
La conditionnalité les aides publiques aux entreprises, au respect de la Stratégie nationale bas carbone, avait été proposée dès 2020 par le Haut-conseil pour le climat.
Cependant, prendre appui, pour l'atténuation, sur le bilan obligatoire229(*) en matière de GES et sur les trajectoires des budgets carbone sectoriels indicatifs suppose qu'ils existent, ce qui n'est pas le cas.
Dans le rapport d'information consacré sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises du 31 mars 2021, l'Assemblée nationale avait considéré à juste titre que la taille des entreprises était un facteur distinctif majeur pour appliquer une politique d'écoconditionnalité, les auditions ayant montré une quasi-unanimité des personnes auditionnées pour exclure les TPE et les PME (les plus petites d'entre elles) d'une obligation de conditionnalité en cas d'aide publique. Le rapport avait proposé un seuil de 250 salariés pour que tout octroi d'une aide publique à une entreprise soit subordonné au respect de la trajectoire de décarbonation.
Dans un rapport sur le capitalisme responsable publié en septembre 2020, l'Institut Montaigne, recommandait également de « conditionner toute aide nationale ou européenne à des exigences ESG assises sur une taxonomie à la fois verte et sociale ».
L'écoconditionnalité a été instaurée par la loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020 qui a subordonné l'aide de l'État à la publication, par les entreprises soutenues financièrement, d'un bilan carbone et d'une stratégie de réduction des émissions de GES. Cette écoconditionnalité est cependant limitée aux entreprises qui réalisent plus de 500 millions d'euros de chiffre d'affaires dans lesquelles l'État prend une participation de l'État, ce qui en limite la portée.
D'autres amendements plus ambitieux ont été rejetés230(*).
On peut s'étonner, dans ce contexte, que le décret n° 2020-1291 du 23 octobre 2020 fixant les conditions d'octroi d'une aide destinée à financer « des investissements de transformation vers l'industrie du futur des PME et ETI industrielles » n'exige pas des entreprises qu'elles mettent en place des stratégies durables ou bas-carbone.
Pour CCI France, « qu'une aide octroyée pour mettre en place des dispositifs visant à limiter les émissions de GES soit subordonnée à des engagements précis - si ce n'est de résultat, au moins de moyen - en accord avec les objectifs visés (bilan carbone, diminution des émissions, etc.) relève d'une certaine logique. En revanche, l'idée de subordonner à des engagements en faveur du climat une aide publique dans un contexte sans lien direct avec la transition bas-carbone ne doit pas prospérer ; cela reviendrait à dé-corréler l'aide de l'objet pour lequel elle a été accordée ».
Comme indiqué, le PNACC 3, publié en octobre 2024, évoque la nécessité d'intégrer les enjeux de l'adaptation dans les dispositifs d'aide aux entreprises.
Il propose de conduire dès 2025, une évaluation des aides publiques. Les dispositifs ADEME, France 2030 et Bpifrance, qui doivent appliquer le principe du « Do No Significant Harm »231(*) ou « absence de préjudice important porté à l'environnement » seront ciblés en priorité.
Le PNACC 3 prévoit que la prise en charge des effets du changement climatique sur les entreprises en activité partielle sera à court terme conditionnée à la prise d'engagements complémentaires, qui pourraient notamment porter sur l'évolution du modèle économique de l'entreprise, la formation des salariés, l'adaptation des conditions de travail ainsi que l'aménagement des locaux et de l'outil de travail de l'entreprise.
Il conditionne enfin tout soutien public dans les stations de montagne ou de littoral à la réalisation d'un plan d'adaptation au changement climatique.
La délégation recommande de subordonner les aides publiques d'État à l'adaptation climatique et à la décarbonation au respect, par l'entreprise qui en bénéficie, de la Stratégie nationale bas carbone et des stratégies sectorielles et du Plan National d'Adaptation au Changement Climatique (PNACC 3), lorsqu'ils seront publiés.
6. Prioriser les investissements publics vers les technologies de décarbonation les plus efficaces
Accélérer la décarbonation de l'économie suppose d'amplifier le financement public et d'améliorer son ciblage dans un contexte de maîtrise des finances publiques.
Pour atteindre les objectifs que l'Europe s'est fixée, il serait ainsi nécessaire de doubler les financements pour la transition climatique, soit un investissement additionnel correspondant à environ 400 milliards d'euros par an.
En France, plusieurs rapports plaident également pour un effort public accru :
Le rapport Pisani Ferry - Mahfouz, publié par France Stratégie en 2023, déjà cité, estime que la neutralité climatique serait atteignable en France à condition d'investissements supplémentaires d'environ 70 milliards d'euros par an. ;
Le rapport de l'Institut Rousseau « Road to net zero », publié fin janvier 2024, rejoint cette estimation « à la condition expresse que tous les investissements tendanciels carbonés soient activement redirigés vers la transition d'ici 2050. Cela implique un désinvestissement massif des secteurs devenus partiellement ou totalement obsolètes ». Il propose 73 politiques publiques nécessaires à une activation efficace de chacun des 37 leviers de décarbonation, pour un coût public total de ces mesures pour la France est estimé à 90 milliards d'euros par an, dont 50 milliards d'euros en plus des dépenses tendancielles (estimées à 40 milliards d'euros par an). Cet effort conduirait à plus que doubler l'investissement public annuel moyen ;
Le rapport European Climate Investment Deficit, publié en février 2024 par l'institut français I4CE estime également que l'économie européenne doit doubler son niveau d'investissement climat pour atteindre les objectifs qu'elle s'est fixée pour 2030. L'étude a comparé les niveaux d'investissement de 2022 avec les niveaux d'investissement nécessaires chaque année pour atteindre les objectifs de l'UE pour 2030 dans chacun des 22 secteurs couverts par ce rapport, composant les systèmes énergétiques, des bâtiments et des transports. Il en résulte un besoin d'investissement annuel moyen global d'au moins 813 milliards d'euros, soit 5,1 % du PIB de l'Union européenne. Les investissements dans l'économie réelle ayant atteint 407 milliards d'euros en 2022, le déficit d'investissement européen dans le domaine du climat s'élève ainsi à 406 milliards d'euros par an, soit 2,6 % du PIB. En comparaison, les subventions explicites et implicites aux combustibles fossiles dans l'Union européenne ont augmenté et ont atteint 290 milliards d'euros en 2022.
Ces efforts sont importants, mais les coûts d'adaptation pour la France au dérèglement climatique ont été évalués par l'ADEME à 260 milliards par an, soit quatre fois plus que le surplus d'investissement public estimé.
L'aide publique aux entreprises doit être fléchée vers :
ü la recherche et développement, en consolidant le crédit impôt-recherche ;
ü le déploiement des innovations technologiques, un soutien public à l'investissement pouvant rendre les projets plus attractifs en termes de retour sur investissement, les technologies pouvant être trop coûteuses pour que les entreprises industrielles les adoptent spontanément.
Toutefois, dans le contexte difficile des finances publiques, il convient d'être rigoureux et exigeant : les financements publics dédiés à la décarbonation doivent être priorisés vers les technologies dont le ration « coûts/émissions de CO2 évitées » est le plus faible et sur celles dont le potentiel de réduction d'émissions de GES est le plus élevé, comme l'avait proposé le Conseil général de l'économie en 2021.
La délégation recommande que les financements publics dédiés à la décarbonation soient priorisés vers les technologies dont le ratio « émissions de CO2 évitées/ coûts » est le plus fort et sur celles dont le potentiel de réduction d'émissions de GES est le plus élevé.
7. Associer le Parlement à la politique de transition climatique de l'économie
Le Parlement doit être associé à la définition de la stratégie d'adaptation de l'économie à la transition climatique et pouvoir évaluer chaque année l'impact des politiques publiques qui y sont consacrées.
Le Parlement demeure l'instance la plus efficace pour traiter des enjeux environnementaux. Il est en effet :
- interface entre la science et la société : le Parlement est un passeur, qui rend accessible au plus grand nombre les enjeux scientifiques les plus complexes232(*),
- outil de réduction des inégalités : la décarbonation de l'économie comme la sobriété, bouleversent les valeurs liant le statut social à la consommation et reposent la question des inégalités de revenus et de patrimoines,
- instance de réallocation des ressources : pour prendre acte de la finitude de la biosphère et compenser les pertes d'emplois par des gains d'emplois, et lieu d'élaboration d'un nouveau compromis social.
La loi demeure le vecteur privilégié des décisions structurantes et les grandes orientations des politiques publiques se discutent au Parlement.
Les parlements, créés au 18e siècle, ont su se réinventer face à la révolution industrielle du 19e siècle notamment par le règlement de la question sociale et l'instauration d'un État-providence.
La délibération parlementaire n'est pas incompatible avec le contexte de finitude temporelle et matérielle. Les principes fondamentaux de la liberté bénéficient même d'un nouvel horizon : ma liberté s'arrête où commence celle des autres dans une nouvelle dimension d'espace et de temps.
Le climat a besoin de démocratie pour choisir les meilleures solutions, pour l'efficacité, particulièrement concernant l'adaptation ; pour faire face aux limites des technologies incapables de répondre dans les temps aux objectifs que l'on s'est fixés collectivement, et pour traiter de situations futures proprement inconnues, sans référence historique comparable.
La stratégie climatique, ses objectifs et son financement, ne peuvent continuer à être élaborés dans le huis-clos des administrations et rester confinés dans les seuls arbitrages des cabinets ministériels. Il est urgent que le Parlement se saisisse de ces enjeux majeurs, en débatte et décide, car il s`agit d'engager l'avenir de la Nation.
La délégation recommande d'organiser un débat public annuel au Parlement consacré à la transition climatique de l'économie. Prenant appui sur les données et les politiques conduites par l'État et les collectivités compétentes en matière de développement économique, ce débat permettrait notamment l'évaluation, avec l'aide de la Cour des comptes, des politiques accompagnant la transition climatique des entreprises.
B. DÉPASSER LES CLOISONNEMENTS SECTORIELS POUR AMPLIFIER LA TRANSITION ENVIRONNEMENTALE DES ENTREPRISES
1. Donner aux entreprises de la visibilité de l'action publique
La réussite d'une politique d'accompagnement des entreprises dans leur transition climatique doit reposer sur sa stabilité et sa prédictibilité.
Or, faute de stratégie claire de l'État, de politique publique horizontale concernant les entreprises de toutes catégories (de toutes tailles et de tous secteurs), la visibilité des investissements à réaliser pour effectuer leur transition climatique demeure incertaine.
Une large palette d'instruments peut être mobilisée, selon la direction générale du Trésor, pour amener les acteurs économiques à décarboner leurs activités : « tarification du carbone et élimination des subventions aux énergies fossiles, réglementation (sectorielle ou financière), soutien financier à la décarbonation (via des subventions et investissements publics), et meilleur accès à l'information. Tous ces instruments envoient un signal aux acteurs économiques pour orienter les financements et les dépenses privés vers les activités durables, et les détourner des activités néfastes pour l'environnement »233(*).
Des investissements massifs, publics et privés pour la décarbonation seront nécessaires dans tous les secteurs de l'économie, qu'il s'agisse de décarboner la production d'énergie et les procédés industriels, de construire des infrastructures de transport et renouveler les véhicules, de réaliser des travaux de rénovation énergétique des bâtiments, ou encore de développer de nouvelles technologies bas-carbone.
L'effet macroéconomique de la transition climatique dépendra non seulement de la combinaison de politiques publiques climatiques retenue mais également de la façon dont elles sont mises en oeuvre, « en particulier du degré de prévisibilité offert aux agents économiques pour qu'ils puissent correctement anticiper les mesures et adapter leur comportement en conséquence ».
Cependant, la politique climatique de la France et de l'Union européenne s'inscrivant dans le cadre d'une économie mondialisée, la coopération économique internationale est nécessaire afin de coordonner l'effort commun. Il s'agit hélas d'un objectif de long terme.
2. Créer une agence de la transition climatique des entreprises
Le plan France Relance est actuellement un « inventaire à la Prévert » au sein duquel les aides à la transition climatique des entreprises sont dispersées.
Le site du ministère de l'Économie propose ainsi une centaine de dispositifs d'aides différentes, qui ne s'adressent pas toutes aux entreprises mais également aux associations, dont certaines ne concernent qu'indirectement la décarbonation et visent d'autres objectifs, comme le soutien à la politique de l'emploi (activité partielle de longue durée, embauche des jeunes, service civique, embauche des travailleurs handicapés) ou le soutien à la politique culturelle (modernisation de la presse, plan de soutien à la filière musicale, soutien au patrimoine et à l'édition vidéo, soutien à la découvrabilité des contenus).
Par ailleurs, il paraît excessivement centralisé, les aides étant accordées sur décision du Premier ministre.
La décarbonation des entreprises passera par l'innovation et son déploiement industriel. Deux dispositifs financiers pourraient être engagés afin d'accélérer et d'accompagner les PME et TPE à s'engager dans la décarbonation de leur processus de production :
- Préconisée par le Conseil général de l'économie en 2021, la création d'une agence d'innovation de rupture civile pour les transitions numérique et environnementale pourrait être envisagée ;
- « France Transition » gérerait de façon plus visible et plus adaptée les fonds d'aides aux entreprises dispersés de France Relance et ceux de Bpifrance ou de l'ADEME, afin de financer les innovations dans le cadre de la décarbonation.
Au-delà d'une meilleure lisibilité du soutien à l'innovation de rupture, France Transition serait chargé par contacts avec les industriels et laboratoires publics, d'accélérer de façon proactive l'émergence de projets stratégiques, là où le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), l'ADEME et Bpifrance se posent trop souvent en guichet d'accueil.
La délégation recommande de créer « France Transition » afin de financer les expérimentations des processus de décarbonation, les fonds d'aides aux entreprises dispersés de France 2030 et ceux de Bpifrance ou de l'ADEME, et soutenir de manière plus efficace les innovations au service de l'adaptation et de la décarbonation.
3. Inciter à la diffusion des plans de transition énergétique
Le plan de transition climatique d'une entreprise revêt une importance majeure pour les investisseurs et les parties prenantes. Il permet aux entreprises d'ancrer dans leur stratégie des objectifs à long terme et d'en assurer le pilotage avec des horizons de court et de moyen termes, en cohérence avec l'horizon de planification financière et stratégique. Outre les enjeux de transparence, sa mise en oeuvre suppose une réflexion profonde des entreprises sur l'évolution de leur modèle d'affaires et sa compatibilité avec un objectif de limitation du réchauffement à 1,5°C en 2 100. Plus que l'engagement à long terme sur le « zéro net » en termes de GES, c'est en effet la compréhension d'ensemble des efforts et de la capacité réelle de transformation de l'entreprise qui est clé dans le reporting extrafinancier sur le plan de transition.
Ces documents sont mentionnés dans le code de l'environnement234(*) et prévus dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive européenne sur le reporting de durabilité (CSRD), dans le cadre de la norme ESRS E1.
La commission « climat et finance durable » de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a publié, en février 2024, un guide pédagogique sur les plans de transition climatique des entreprises dont les premiers exercices doivent être livrés en janvier 2025. Il souligne que « les informations exigées par les ESRS sur les moyens financiers apparaissent comme la plus haute marche à franchir par les entreprises. Encore peu d'émetteurs rendent compte des investissements affectés à leur plan de transition, a fortiori de manière détaillée », ce qui constitue un avertissement sur la faisabilité de l'exercice.
Le rapport sur le plan de transition pour l'atténuation du changement climatique de l'entreprise doit permettre la compréhension d'ensemble des efforts de transformation de l'entreprise parmi lesquels l'implication de la gouvernance, l'évolution de la stratégie de l'entreprise, l'identification de leviers de décarbonation, la mobilisation des financements dédiés à ces plans d'action, le suivi sur l'exécution du plan. L'AMF indique que si « la restitution des leviers de décarbonation est au centre du plan de transition », que « les moyens financiers et humains alloués au plan de transition, dont dépend la crédibilité du plan de décarbonation de l'entreprise » et que « les investisseurs attendent des directions des entreprises un fort niveau d'implication et des mécanismes d'incitation efficaces ».
Un rapport de l'ESMA235(*) d'octobre 2023236(*) présente 22 exemples sur la manière dont un échantillon de sociétés européennes a communiqué dans ses comptes sur les effets du changement climatique et de leurs engagements.
Par ailleurs, la commission d'enquête du Sénat sur TotalEnergies de juin 2024 a plaidé pour renforcer les bilans carbone et les plans de transition, en fixant une période de 3 ans pour les entreprises et de 2 ans pour l'État et ses établissements publics, en prévoyant la prise en compte des émissions directes comme indirectes et en évaluant l'opportunité de supprimer la dérogation prévue en cas de déclaration de performance extrafinancière pour les très grandes entreprises.
La délégation recommande que les plans de transition ciblent une trajectoire de réduction nette des émissions de GES des entreprises, laquelle ne doit inclure ni les crédits carbone237(*) ni les émissions séquestrées238(*), ni les émissions évitées239(*).
4. Encourager les débats sur la stratégie climatique des grandes entreprises
Le droit des sociétés laisse les entreprises libres de consulter leurs actionnaires sur leur stratégie climatique.
La pratique du « Say on climate » met en oeuvre le droit ouvert aux actionnaires à l'occasion de toute assemblée générale leur permettant de voter sur les résolutions sur les sujets climatiques240(*). Ce vote est consultatif, comme le Say on Pay241(*).
Le code Afep-MEDEF ne formule aucune recommandation quant à la pratique du Say on climate et les avis divergent sur l'intérêt d'une procédure : « du côté des investisseurs et des agences de conseil en vote, si certains souhaiteraient le généraliser aux entreprises tous secteurs confondus sur la base d'un vote annuel, d'autres considèrent qu'il doit être réservé à des sociétés fortement émettrices en carbone. Pour d'autres encore, un vote des actionnaires revient à déresponsabiliser les conseils, ils préfèrent en conséquence se prononcer sur la stratégie climatique à l'occasion des renouvellements d'administrateurs. Enfin, certains évoquent un risque d'élargissement à des demandes de votes consultatifs sur de nombreux autres sujets RSE, diversité, biodiversité, économie circulaire, etc. » selon le rapport de l'Institut de la finance durable sur la gouvernance de la transition climat dans les entreprises de janvier 2024.
Le Forum pour l'investissement responsable (FIR) s'est plusieurs fois prononcé en sa faveur en septembre 2021 et la commission « climat et finance durable » de l'Autorité des marchés financiers s'est aussi prononcée, dans une publication de mars 2023, pour de telles résolutions des actionnaires242(*) comme à l'initiative de l'entreprise, obligatoirement pour toutes les entreprises soumises à la directive CSRD, a minima tous les trois ans243(*).
La résolution porterait sur la stratégie climatique et le plan de décarbonation de l'entreprise, et comporterait les éléments suivants :
En cas de rejet de la résolution ou de contestation (le seuil de 20 % étant souvent retenu comme significatif), le conseil serait tenu de réagir en consultant les actionnaires sur les raisons de contestation du vote et en publiant, sans tarder, les conclusions de sa consultation. L'entreprise durait proposer une nouvelle stratégie au vote des actionnaires au plus tard à la prochaine assemblée générale. Si nécessaire, les actionnaires pourraient soumettre une résolution alternative lors de la prochaine assemblée générale.
La commission suggère à l'AFG, à l'AFEP et au MEDEF d'inscrire ces points dans les codes de bonne gouvernance français dès la prochaine mise à jour. Cette recommandation resterait ainsi au niveau du droit souple.
De son côté, la commission d'enquête du Sénat de juin 2024 sur TotalEnergies estime que : « la consultation des actionnaires par le biais d'une résolution du conseil d'administration sur la stratégie climatique de la société est facteur de dialogue actionnarial et doit à ce titre être généralisée » tout en sécurisant son cadre juridique244(*) :
Recommandation n° 23 : Développer le « Say on Climate » : - en encourageant les entreprises cotées à développer le « Say on Climate », par le biais d'un vote consultatif périodique des actionnaires en assemblée générale ordinaire concernant la stratégie climatique ; - en encadrant juridiquement le contenu des résolutions consultatives « Say On Climate » afin d'harmoniser les pratiques des émetteurs. |
Compte-tenu de l'effet d'entraînement des grandes entreprises dans leurs chaînes de valeurs, de tels débat en assemblée générale des actionnaires, permettraient une diffusion de la culture des plans de transition climatique dans les entreprises, susceptibles de favoriser une large appropriation des enjeux de la transition climatique, principalement pour les entreprises entrant dans le champ de la directive CSRD.
La délégation recommande de soumettre, à échéance régulière, les principaux éléments de la stratégie climatique de l'entreprise aux assemblées générales d'actionnaires des entreprises soumises à la directive CSRD.
5. Généraliser le crédit d'impôt aux investissements dans la décarbonation
a) Un crédit d'impôt actuellement limité à quatre filières
Un crédit d'impôt (le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte ou « C3IV ») a été créé dans le cadre de la loi industrie verte et la loi de finances pour 2024245(*). Il est entré en vigueur le 14 mars 2024246(*). Toutefois, il est limité à quatre filières de la transition énergétique : les batteries, l'éolien, les panneaux solaires et les pompes à chaleur.
Ce crédit d'impôt soutient l'ensemble de la chaîne de production de ces secteurs, allant de la production d'équipements et de composants essentiels, à la production ou la valorisation de matières premières critiques.
Sont éligibles à ce dispositif :
1. la production d'équipements dédiés aux filières précitées ;
2. la production de composants essentiels conçus et utilisés principalement pour la production des équipements définis au point 1 : l'entreprise porteuse du projet devra justifier qu'au moins 50 % de son chiffre d'affaires sera réalisé avec des entreprises exerçant des activités en aval de la chaîne de production des quatre filières précitées ;
3. la production ou la valorisation des matières premières critiques nécessaires à la production des équipements et des composants définis aux points précédents : l'entreprise porteuse du projet devra justifier qu'au moins 50 % de son chiffre d'affaires sera réalisé avec des entreprises exerçant des activités de production de composants essentiels ou en aval de la chaîne de production des quatre filières précitées.
Le C3IV est calculé sur la base du coût des investissements corporels (bâtiments, installations, équipements, machines et terrains d'assise nécessaires au fonctionnement de ces équipements) et incorporels (droits de brevet, licences, savoir-faire ou autres droits de propriété intellectuelle, autorisations d'occupation temporaire du domaine public constitutives d'un droit réel), sous réserve du respect de certaines conditions.
Le taux du C3IV est égal à 20 %. Il est majoré lorsque le projet d'investissement se trouve en zone à finalité régionale. Les petites et moyennes entreprises bénéficient également d'un taux majoré. L'aide est plafonnée en totalisant l'ensemble des aides d'État obtenues pour le même motif d'investissement.
Son application est soumise à la délivrance d'un agrément préalable par la DGFiP, après avis conforme de l'ADEME sur l'éligibilité du projet.
Le C3IV est un dispositif en faveur des projets industriels. Il est donc destiné aux entreprises qui produiront les biens concernés, et non un dispositif de soutien à l'acquisition de tels biens. Ainsi, l'acquisition et/ou l'installation de panneaux photovoltaïques sur le toit d'un bâtiment n'est pas un projet éligible au C3IV.
b) Généraliser un crédit d'impôt à toutes les filières de la transition climatique
Généraliser un crédit d'impôt pourrait inciter les ETI et les PME à passer de la phase de recherche-développement à celle de production décarbonée ou d'industrialisation de nouveaux produits à plus faible teneur en carbone.
Selon des travaux menés par la DGE en 2018 cités par le Conseil général de l'économie, un crédit d'impôt de 10 % sur les dépenses d'investissements relatifs à l'introduction de nouveaux produits coûterait 210 M€. Un pourcentage de 30 % serait un objectif souhaitable pour que ce crédit d'impôt soit réellement incitatif, notamment pour un prototype.
Un tel dispositif serait compatible avec le régime des aides d'État du fait de son ciblage sur les PME (le droit européen247(*) prévoyant un régime d'exemption pour les aides aux PME), sous réserve notamment du taux d'intensité des aides.
La délégation recommande d'élargir un crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de la décarbonation des processus de production.
6. Intégrer la dimension climatique dans le dialogue social de branche
Pour réussir la transition climatique et donner un nouveau sens au travail, auquel les nouvelles générations sont particulièrement sensibles, 84 % des actifs souhaitant que leur travail réponde au défi climatique, il faut donner toute sa portée à l'accord national interprofessionnel du 11 avril 2023 relatif à la transition écologique et au dialogue social.
À cet effet, il faut intégrer explicitement la stratégie de transition climatique au dialogue social de branche, comme le propose le CESE dans un avis du 15 mai 2024 : « Mobiliser les acteurs de l'emploi et du travail pour réussir la planification écologique », car « même si, dans certaines entreprises, les orientations stratégiques comprennent la stratégie de transition écologique conformément à l'Accord national interprofessionnel de 2023, nombre d'entreprises s'estiment encore peu concernées par le sujet ».
En effet, ce dialogue social territorial est nécessaire pour anticiper, accompagner et réguler les transformations de l'emploi dues à la transition climatique.
La délégation recommande d'intégrer la stratégie de transition climatique au dialogue social de branche.
C. DONNER UN PRIX AUX ÉMISSIONS DE CARBONE
1. Standardiser la méthodologie de la mesure de décarbonation
« Beaucoup d'entreprises investissent massivement dans le développement de nouveaux produits et solutions, mais l'absence d'une méthodologie cohérente et reconnue pour évaluer l'impact de leurs produits et services sur la décarbonation risque d'entraver la création et l'adoption de solutions indispensables pour limiter les émissions », constataient plusieurs grands industriels248(*) en janvier 2021. Pour « mesurer la contribution des entreprises à la décarbonation des clients, il est nécessaire d'adopter des normes industrielles cohérentes », selon ces derniers.
La nécessité de standardiser une méthode de mesure pour la décarbonation par secteur selon une approche en cycle de vie (ACV)249(*) a été prônée par le Cercle de Giverny lors de sa réunion annuelle du 13 septembre 2024.
Pour ce cercle de réflexion sur la RSE en effet, « la cacophonie dans les différentes méthodologies de calcul de l'empreinte carbone des entreprises et des secteurs rend difficile la comparaison et la lecture des trajectoires de décarbonation ». Il estime nécessaire d'harmoniser ces méthodes « en tenant compte de l'ensemble du cycle de vie des biens et services comme de l'ensemble de la chaîne de valeur des entreprises ».
Le périmètre d'analyse du bilan carbone est moins large que celui de l'ACV puisqu'il intègre une approche sur un seul critère et se limite exclusivement à comptabiliser les émissions de GES (CO2, le méthane, etc.). Grâce à cette méthode, une entreprise peut donc prendre conscience de l'impact de son activité sur le dérèglement climatique.
Si la réalisation d'un bilan carbone intègre les émissions de carbone des scopes 1, 2 et 3, l'ACV quant à elle, permet d'appréhender l'impact non plus seulement climatique, mais environnemental d'un ou de plusieurs produits ou services. Elle intègre une approche multi-critères et fournit une vision holistique des impacts environnementaux. Elle rassemble tous les flux entrants et sortants liés à chaque phase du cycle de vie d'un produit ou d'un service. Les entrées peuvent inclure des matières premières ou de l'énergie (comme le pétrole, l'électricité, l'eau), tandis que les sorties englobent des déchets, des émissions ou des liquides rejetés. Parmi la large gamme d'impacts environnementaux évalués par l'ACV, on retrouve la consommation d'énergie, la toxicité pour l'être humain et la biodiversité, la pollution de l'eau et de l'air, l'épuisement des ressources naturelles, etc.
L'ADEME, en liaison avec les organisations d'employeurs, devrait être chargée de cette harmonisation.
La délégation recommande de confier à l'ADEME, en liaison avec les organisations d'employeurs, la standardisation de la méthode de mesure pour la décarbonation par secteur, selon une approche en cycle de vie
2. Expérimenter à une large échelle la facturation carbone
Fin 2023, un appel a été signé par des universitaires, des statisticiens et de grands scientifiques comme Jean Jouzel et Sandra Lavorel, médailles d'or 2002 et 2023 du CNRS et une tribune a été publiée dans Le Monde du 26 janvier 2024 pour faciliter la diffusion dans les PME et TPE d'une « comptabilité carbone ».
La comptabilité carbone est une boussole qui indique, en instantané, les poids en carbone des produits et déchets et, en dynamique, la contribution de l'entreprise à la décarbonation nationale.
Elle permet d'associer les consommateurs aux démarches de transition climatique des entreprises.
Cette tribune venait en écho à celle du 28 avril 2023250(*) qui avait mis en garde les entreprises contre l'absence, dans leurs comptes, d'une évaluation financière réaliste des engagements de neutralité carbone :
Selon les normes comptables, les valeurs des actifs du bilan des entreprises (matériel, usines, sites d'extraction...) doivent être au moins égales au montant cumulé des bénéfices futurs issus de leur exploitation. Dans le cas contraire, il est nécessaire de déprécier ces valeurs comptables par constatation d'une « provision » qui diminue immédiatement le résultat.
Pour que les comptes soient sincères, il faut tenir compte des obligations d'atténuation et de réparation des dommages sur la santé et l'environnement. Afin de minimiser l'impact financier de ces provisions, les grands groupes en sous-estiment souvent le montant. Et s'ils évaluent parfois ce coût dans leurs projets d'investissement, son caractère imprévisible d'ici à 2050 reste l'excuse pour ne pas l'appliquer dans leur comptabilité.
Or, cela est incohérent avec les engagements que prennent ces mêmes grandes entreprises au nom de l'accord de Paris, ou de l'objectif zéro émission nette (ZEN) de GES. Ces engagements impliquent en effet la nécessité de rendre accessible cet objectif à l'ensemble de leurs parties prenantes, fournisseurs et clients inclus. Car ces grands groupes, souvent en situation d'oligopole, jouent un rôle pivot pour les décisionnaires tout au long des chaînes de valeur. Ils ont une responsabilité directe dans la réussite de la transition.
Un nombre croissant d'entreprises annoncent prendre en considération un « coût futur du carbone » pour évaluer leur cash-flow [situation de trésorerie] prévisionnel. Cependant, dans son rapport 2021 sur les informations fournies et les engagements pris par les entreprises dans ce domaine, l'Autorité des marchés financiers souligne l'insuffisance des tests de dépréciation. Elle recommande aux entreprises « de s'interroger sur l'existence d'indices de perte de valeur liés aux changements climatiques nécessitant la réalisation de tests de dépréciation sur certains actifs ».
(...) Pour évaluer, dans les comptes, les coûts et les risques liés aux impacts environnementaux futurs, l'affectation d'un coût social du carbone apparaît le moyen le plus approprié. (...) Ne pas comptabiliser les coûts sociétaux de l'activité dont l'entreprise est responsable revient à gonfler un bénéfice comptable qui n'a pas de légitimité. Ainsi, des dividendes peuvent être distribués avant que l'entreprise ne se soit acquittée des dommages qu'elle crée.
La dimension économique - celle du risque d'actifs « échoués », c'est-à-dire dévalorisés par le durcissement progressif des politiques climatiques - complète la dimension juridique des coûts sociaux occasionnés par l'entreprise et justifie d'autant plus d'intégrer cette approche dans les procédures de valorisation comptable. Le risque de surévaluation du résultat distribuable du fait d'une valeur du carbone non cohérente avec les engagements climat peut remettre en question sa légitimité aux yeux des juges et des régulateurs financiers.
Le Cercle de Giverny, dans ses propositions de septembre 2024, plaide également en faveur d'un « induscore carbone » ou « CarboScore » pour « apporter de la transparence à l'utilisateur et ainsi éclairer ses choix de consommation en s'appuyant sur une méthode claire et une traduction simple, permettant également de valoriser auprès des acteurs économiques leurs stratégies énergétiques durables décarbonées se répercutant sur leurs produits » et « indiquant les efforts d'investissement des producteurs ».
Jérôme Cazes, du collectif « Carbones sur factures » a présenté, le 5 mars 2024, ce dispositif à vos rapporteurs.
La méthode utilisée est la Mesure Comptable Environnementale (MCE)251(*) qui permet aux comptables de mesurer l'évolution des émissions de carbone des entreprises
Chaque produit consommé ou fabriqué devrait avoir, à côté de son prix, le poids en GES (ou en « carbone ») que sa production et sa consommation ont émis ou émettent ; chaque entreprise, chaque investissement, devrait pouvoir indiquer ainsi, à côté de sa performance financière, sa contribution à la décarbonation.
Si chaque entreprise peut lire, sur ses factures d'achat, la quantité d'émissions de carbone de ses fournisseurs, y ajoute celles de sa fabrication, et répercute, à son tour, ces informations à ses clients tout au long de la chaîne de production, les poids en carbone de tous les produits seront connus, moyennant un calcul très simple pour chaque comptable. Les calculs sont fiables parce qu'ils bénéficient de toutes les règles déjà appliquées par les comptables pour l'établissement des comptes et la facturation monétaire.
Aujourd'hui, les PME et TPE n'ont pas d'instrument permettant de mesurer leurs performances environnementales de base, faute de solution adaptée à leurs moyens limités en temps, en ressources financières et en expertise. Mais elles ont un comptable qui tient leurs comptes : TPE et PME peuvent donc toutes appliquer la MCE, grâce aux outils gratuits et libres d'usage proposés par le collectif Carbones sur factures.
Selon ses promoteurs, un tutoriel permet au comptable252(*) de s'approprier la MCE en moins d'une heure. Un calculateur lui permet, une fois par an, de produire les performances environnementales de base de l'entreprise, à partir de quelques données dont elle dispose pour clôturer ses comptes : son chiffre d'affaires, les additions de ses factures d'achat - on distingue l'énergie et le hors énergie.
La MCE permet également de facturer des produits dont le contenu en carbone n'est a priori pas connu. Le calculateur résout le problème en croisant avec les factures les données publiques des émissions nationales de carbone par activité et par pays produites par les comptables nationaux qui n'avaient jamais été encore utilisées pour cela. Celles-ci sont utilisées par le GIEC pour déterminer les « trajectoires de décarbonation nationale ». Cette source homogène rassure l'entreprise - ces paramètres estimés sont les mêmes pour ses concurrents - et rassure la collectivité - tous les carbones sont répercutés.
La PME peut plus que compenser le surcoût du travail imposé au comptable par trois avantages :
- S'agissant des ventes, les poids en carbone de ses produits valorisent son offre face à des clients de plus en plus sensibles à la qualité environnementale ;
- S'agissant du financement, son empreinte et sa contribution à la décarbonation nationale parlent à des financiers de plus en plus demandeurs de trajectoires de décarbonation.
- La PME se dote d'un outil d'amélioration en continu de sa compétitivité environnementale, en parallèle de sa compétitivité prix.
La MCE permet aux entreprises et aux investisseurs de tracer leur contribution à la décarbonation. Elle devra être complétée par une comptabilité publique environnementale pour tracer les contributions des services publics et par une comptabilité nationale environnementale pour les intégrera toutes. Elle aura aussi vocation à permettre la prise en considération de la biodiversité, dont la contribution à la décarbonation est vitale pour l'humanité et qu'il est urgent d'associer à la recherche de l'équilibre carbone.
La MCE permet à chaque entreprise, à chaque consommateur, à chaque investisseur, de mesurer et d'afficher côte à côte les performances monétaire et environnementale de chacune de ses décisions.
Le potentiel de la contribution de cette méthode à la décarbonation est immense : la MCE permet une concurrence par les poids en carbone, qui les pousse vers le bas, tout comme la concurrence par les prix agit sur eux à la baisse, tout au long des chaînes de production. La décarbonation s'effectue en continu en laissant chacun prendre ses responsabilités pour faire évoluer ses habitudes de production, de consommation ou d'épargne, en ligne avec ses valeurs.
Comparée à la quantité d'informations extra-financières demandées par le reporting extrafinancier, elle présente l'avantage d'une grande simplicité. C'est un outil à la portée de PME et TPE qui doit être massivement et rapidement diffusé. La MCE doit également pouvoir être adoptée dans la commande publique de l'État et des collectivités territoriales.
La délégation recommande d'expérimenter à une large échelle la facturation carbone.
3. Déployer le « Dividende Climat »
L'entreprise à mission Team for the Planet253(*) créée en avril 2019, est une holding investissant dans le domaine de la lutte contre le changement climatique en France et à l'étranger.
Convertie en société en commandite par actions, elle revendique être sans but lucratif pour ses actionnaires, qui ne pourront se partager les éventuels bénéfices générés « avant le retour des températures à celle de l'ère préindustrielle ». Ses investissements portent sur des entreprises ou projets d'entreprises susceptibles d'être rentables sans prise de brevet. Les appels de fonds auprès de citoyens et d'entreprises ont rencontré un vif succès, avec 120 000 contributeurs, représentant le plus gros financement participatif en Europe. Les fonds levés ont atteint plus de 15 millions d'euros début 2023, avec un objectif affiché d'atteindre un milliard d'euros en 2030.
L'objectif des fondateurs, M. Arthur Auboeuf et M. Mehdi Coly, entendus par vos rapporteurs le 14 mai, est « d'empêcher les actionnaires de financer le court terme en les rémunérant en nombre de tonnes de CO2 évité » et d'orienter l'épargne vers le long terme et des projets innovants de technologies de rupture254(*).
Actuellement, les participations financières des banques et des fonds d'investissement figurent dans le scope 3 de leurs bilans carbone traditionnels. Ainsi, les émissions de GES des participations financières influencent très directement tout investisseur qui décide de travailler non seulement sur ses scopes 1 et 2, mais aussi sur son scope 3, ce qui est de plus en plus le cas pour toutes les grandes entreprises mondiales.
Au sein de ce scope 3, un investissement peut être comptabilisé via plusieurs méthodes de calcul : les émissions CO2 au prorata de détention255(*) ou l'intensité carbone256(*). Cette dernière formule a l'avantage de permettre de comparer l'impact carbone de différentes participations, car elle prend en compte la taille de l'entreprise. Cependant, elle ne rend pas compte de l'impact absolu en termes de carbone. Il y a aussi un biais important en fonction du niveau de marge des participations.
Ainsi, le poids des investissements dans le bilan carbone des banques et investisseurs financiers est souvent infiniment plus élevé que le bilan carbone de l'entreprise proprement dite.
La comptabilité actuelle ne permet pas actuellement de valoriser des investissements en faveur de la décarbonation. Lorsqu'une banque, entreprise ou fonds d'investissement achète des parts d'une société, le bilan carbone de cette société va lui être imputable en tant qu'investisseur, au prorata des parts qu'elle détient. Actuellement, il n'existe pas de méthode permettant de valoriser un investissement dans une activité permettant de capter ou de réduire des émissions de GES.
Si un investisseur a permis la création et la diffusion d'une innovation qui contribue à la réduction des émissions de CO2, il ne peut pas valoriser l'effet positif de cet investissement. Pire, le CO2, émis par l'entreprise dans laquelle il a investi, lui sera imputable au prorata de sa participation. L'investisseur sera donc perçu comme ayant contribué à émettre davantage de CO2, au lieu d'être valorisé comme ayant permis l'introduction d'une innovation bénéfique pour le bilan carbone de l'ensemble d'une chaîne de valeur. Ainsi, non seulement, l'investisseur n'en tirera aucun avantage, mais il sera même pénalisé sur son bilan carbone. Le mécanisme actuel est donc désincitatif et décourage le financement des innovations dans la décarbonation.
Ni le financement de la plantation d'arbres ni l'achat de crédits carbone ne suffisent : pire, ces investissements ne soutiennent pas la recherche-développement et ne contribuent pas à transformer en profondeur l'économie.
Les « dividendes climat » correspondent au nombre de tonnes de GES évitées en tonnes éq. CO2 par action257(*) détenue dans une entreprise qui participe à la décarbonation de l'économie :
- soit au titre des émissions de GES séquestrées : ce sont les émissions de CO2 ou équivalent qui ont été captées par un dispositif dédié, de la même façon que le fait la forêt ;
- soit au titre des émissions de GES réduites : ce sont les émissions qu'une innovation a permis de réduire en ayant un impact carbone moindre que les solutions de référence du marché.
La méthodologie de mesure du CO2 séquestré ou réduit est celle de l'ADEME258(*).
Dividende climat et crédits carbone : les différences 1. Première différence essentielle : leur nature juridique Le crédit carbone est un bien meuble, c'est-à-dire une chose que l'on peut acheter et vendre, comme une voiture par exemple. Il s'acquiert dans une relation de type fournisseur/client. Il est stocké sur un « compte carbone ». Le Dividende Climat n'est pas un bien meuble, c'est un droit d'actionnaire. Il est issu de la détention de parts dans une entreprise ayant permis la réduction des GES. Il s'acquiert dans une relation de type « investissement financier ». Personne ne pourra directement « acheter » des Dividendes Climat à qui que ce soit. 2. Seconde différence : leur type de valeur Les crédits carbone ont une valeur financière. Comme pour la plupart des biens meubles, il existe un marché avec une offre et une demande qui fixent un prix. Ainsi, un crédit carbone coûte aujourd'hui en moyenne 4 euros sur le marché libre et 55 euros sur le marché obligataire. Ce prix fluctue en fonction de l'offre et de la demande, c'est-à-dire en fonction du « cours du carbone ». Des acteurs émergents s'occupent de proposer à l'achat et à la vente des crédits carbone, mais la vente peut également se faire de gré à gré. Les Dividendes Climat n'ont pas de valeur financière. Il s'agit d'une information extrafinancière. Les Dividendes Climat n'ont pas de prix, pas de cours et pas de marché puisqu'ils ne correspondent pas à une relation vendeur/acheteur. C'est donc une valeur extrafinancière qui correspond au nombre de tonnes de CO2 évitées grâce à un investissement vertueux. 3. Troisième différence : leurs modalités d'acquisition et de cession Les crédits carbone peuvent être vendus et achetés à tout moment puisqu'il s'agit de biens meubles avec un marché. L'achat et la vente ainsi que la durée de détention ne sont pas régulés. Les Dividendes Climat ne peuvent pas être achetés directement. Pour en obtenir, il faut posséder des actions qui ouvrent le droit chaque année à ce type de dividendes. En aucun cas, les Dividendes Climat ne peuvent être cédés ou vendus à une autre entité. Ainsi, une fois distribués à un actionnaire, les Dividendes Climat ne peuvent être valorisés que par cet actionnaire. Il ne peut donc pas les transmettre a posteriori. En revanche, les actions qui ouvrent droit aux Dividendes Climat une fois par an peuvent, elles, être cédées. Si les dividendes annuels ont déjà été distribués lors de l'acquisition des actions, le nouvel acquéreur devra attendre l'année suivante pour toucher les premiers Dividendes Climat liés à ces actions. 4. Quatrième différence : la possible récurrence Les crédits carbone étant un bien meuble fongible, ils s'achètent une fois et une seule, comme pour une voiture : il n'y a pas de notion de récurrence. L'impact a donc lieu à un instant précis, celui de l'achat du crédit carbone. Les Dividendes Climat sont récurrents : ils sont distribués chaque année tant que l'actionnaire continue de posséder des actions qui ouvrent ces droits. Source : Décarboner l'économie grâce aux dividendes climat », Team for the Planet, juin 2023 |
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La délégation recommande de déployer le dividende climat et d'étudier la mise en place d'une disposition fiscale le favorisant.
D. TERRITORIALISER LA TRANSITION CLIMATIQUE DES ENTREPRISES
1. Territorialiser la politique climatique
Les outils de coordination de la transition énergétique dans les territoires sont actuellement :
- les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), qui fixent les objectifs de développement des énergies renouvelables, la stratégie d'atténuation et d'adaptation au changement climatique pour chacune des régions, dans un cadre global d'aménagement du territoire ;
- les schémas régionaux climat-air-énergie (SRCAE), en Île-de-France, en Corse et dans plusieurs territoires d'outre-mer, qui définissent les orientations et les objectifs régionaux en matière de réduction des émissions de GES, de lutte contre la pollution atmosphérique, de développement des filières d'énergies renouvelables et d'adaptation aux changements climatiques ;
- les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), obligatoires pour tous les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants, qui est l'outil opérationnel de coordination de la transition énergétique sur le territoire259(*) ;
- les Contrats pour la Réussite de la Transition Écologique (CRTE), qui visent à établir un cadre, d'engagement pluriannuel coordonné entre toutes les politiques de l'État et les collectivités. Au nombre de 847, ces contrats couvrent tout le territoire français, mais ne concernent pas directement les entreprises.
L'articulation des politiques climatiques nationales et territoriales fait toutefois défaut. Comme l'a souligné le Haut conseil pour le climat dans son rapport de 2022 : « il n'y a pas de mise en cohérence stratégique et temporelle entre l'action de l'État et celle des échelons territoriaux, ni de coordination de la planification entre les régions ». Le récent rapport de la délégation aux Collectivités territoriales du Sénat260(*) partage ce constat : « à côté de la planification nationale, existent des planifications régionales (SRADDET) non coordonnées entre elles et peu reliées au niveau national. S'ajoutent des planifications infrarégionales (PCAET) sans articulation entre elles et hétérogènes avec les niveaux supérieurs. Les cadres méthodologiques différents et les exercices de prospective s'étalent sur des calendriers de quasiment 10 ans »261(*).
L'ADEME a mis en évidence la déconnexion entre la trajectoire SNBC2 et le niveau que se sont fixées les régions dans leur SRADDET. En 2050, l'écart pourrait être environ du simple au double.
Pour leur part, les PCAET ne sont pas obligatoires pour tous les territoires et ne sont pas réalisés pour une partie des territoires où ils sont obligatoires262(*).
La stratégie nationale de la transition climatique des entreprises mériterait d'être précisée territorialement.
Le Code de l'environnement indique263(*) que dans le cadre des PCAET les stratégies territoriales doivent évaluer les coûts socio-économiques des actions mises en place, ainsi que ceux d'une éventuelle inaction. La territorialisation des coûts de l'inaction est indispensable pour piloter la transition climatique des entreprises, en mobilisant notamment des groupes régionaux d'expertise sur le climat (Grec).
Cependant, selon France Stratégie264(*), « les PCAET présentent des analyses de vulnérabilité relativement hétérogènes, appuyés sur de nombreux éléments qualitatifs, mais avancent peu de coûts de l'inaction, qui permettraient pourtant de prioriser les chantiers et de donner une idée de l'urgence ».
Ce processus ascendant conditionne le pilotage national de la transition climatique : « l'agrégation d'analyses de vulnérabilité quantifiées à l'échelle locale permettrait d'informer une vision nationale des impacts, rendue nécessaire par les exigences de reporting au niveau européen et dans le cadre de l'Accord de Paris ». Pour ce faire, des indicateurs doivent standardiser la remontée d'informations et leur agrégation.
Les associations représentant les Départements et régions de France, Départements de France et Régions de France, portent un regard contrasté du dialogue avec l'État sur la planification territoriale de la transition climatique265(*) :
- départements de France considère que « si les CRTE peuvent être un bon outil pour décliner les objectifs nationaux de transition environnementale, il conviendrait cependant d'éviter le piège consistant à fixer des objectifs trop difficiles à atteindre localement au regard des moyens mobilisables » et estime « nécessaire de mettre en place des dispositifs lisibles, incitatifs et cohérents avec les moyens financiers et techniques mobilisables » ;
- régions de France estime « urgent » de disposer du cadre national de la troisième SNBC « afin de se projeter dans les actualisations qui en découleront dans leurs documents de planification » et regrette, par ailleurs, que l'État ne prenne pas « systématiquement en compte les initiatives régionales ou l'expérience régionale dans la construction de feuilles de route ».
Pourtant, des politiques de transition climatique sont déployées par des Départements, à l'exemple de la Vendée : ces initiatives locales, qui se déploient, ne servent pas suffisamment à alimenter les documents stratégiques de l'État.
L'engagement du département pour la transition bas-carbone s'exprime par un éventail d'actions de gestion et de préservation des Espaces Naturels Sensibles (ENS), de rénovation thermique et de construction de bâtiments exemplaires notamment. Le département de la Vendée a créé depuis 45 ans près de 20 000 ha de zones de préemption, parmi lesquelles plus de 2 760 ha ont été acquis et protégés au titre des ENS. À ce jour, il existe 98 ENS, dont 87 sont propriétés du Département. En cohérence avec les orientations de la SNBC, le département de la Vendée tend vers l'exemplarité du patrimoine départemental et de l'administration en termes de sobriété et de transition énergétique et écologique. Le Département engage : o des actions concrètes sur les bâtiments départementaux (performance thermique, production renouvelable, usage d'éco-matériaux) notamment dans le cadre du Plan Collège (2019 -2026) ; o diverses actions de sensibilisation auprès des citoyens et des agents départementaux (distribution de pack énergie pour lutter contre la précarité énergétique et formation des travailleurs sociaux aux écogestes, à la maîtrise de l'énergie et à la compréhension des factures d'énergie). Les actions départementales de soutien envers le secteur agricole ciblent par exemple l'agriculture biologique, la restauration d'infrastructures agroécologiques et les expérimentations agricoles innovantes (adaptation de l'alimentation des ruminants pour la réduction des émissions de méthane). Entre 2008 et 2018, les émissions du secteur agricole ont diminué de 8% en Vendée. Pour piloter le développement des énergies renouvelables sur le territoire le département a créé, en 2012, Vendée Énergie, société d'économie mixte de production et de distribution d'énergies renouvelables à travers le Syndicat départemental d'Énergie et d'Équipement de la Vendée (SYDEV) et avec le soutien du Département (actionnaire à hauteur de 10%). Cette SEM permet au Département d'agir depuis une décennie pour développer, construire et exploiter des unités de production éolienne, photovoltaïque, ou des unités de méthanisation dans l'objectif de produire une énergie verte et locale pour le compte des collectivités et des acteurs économiques de son territoire. Au total, 20 % de la production d'énergie renouvelable éolienne et photovoltaïque du Département est produite par l'activité de Vendée Énergie qui est entré au capital du parc éolien offshore EMYN. La Vendée accueille le premier site de production industrielle d'hydrogène vert. Cette première inédite est le fruit du travail commun de Lhyfe, du Département de la Vendée, du Syndicat d'énergie et d'équipement de la Vendée (SYDEV) et de la Sem départementale Vendée Énergie, dont les éoliennes sont raccordées en direct à l'électrolyseur de Lhyfe pour la production d'hydrogène vert. Pour accompagner le développement et la construction du site de production de Lhyfe, le SYDEV et la Sem départementale Vendée Énergie ont osé investir 2 millions d'euros lors de sa première levée de fonds. En parallèle, afin de déployer les usages de cette énergie d'avenir, le département de la Vendée soutient les collectivités locales dans l'acquisition de véhicules à hydrogène à hauteur de 80 000 € et participe au financement de stations multi-énergies, distribuant de l'hydrogène vert, de l'électricité renouvelable et du bioGNV produit localement, à hauteur de 375 k€ par station. Outre le succès de cette production industrielle d'hydrogène vert au monde, la Vendée, pionnière et ambassadrice des énergies renouvelables, se démarque, car elle a concrétisé le premier écosystème départemental de production, de distribution et de consommation d'hydrogène vert renouvelable. |
Lorsque la planification écologique nationale sera réalisée, il faudra donc relier les trajectoires de planification : que les trajectoires locales soient sur un schéma en phase avec l'objectif national et que les trajectoires nationales intègrent bien les réalités locales. Cela implique un dialogue régulier pour permettre cet ajustement du système entre logique descendante et remontées ascendantes.
Pour préparer cette territorialisation, des COP régionales266(*), visent à définir au sein d'une région les leviers d'actions permettant d'atteindre les objectifs nationaux de réduction de GES et de protection de la biodiversité.
Le Shift Project a présenté, pour sa part, en octobre 2022, un plan de résilience des territoires qui s'appuie notamment sur la territorialisation des actions climatiques et leur différenciation.
L'I4CE insiste également sur la mise en oeuvre locale de l'adaptation climatique : « les territoires qui ont su dédier des moyens au développement, à l'appropriation des connaissances, à l'animation de réflexions prospectives et à la mise en débat des options d'adaptation sont aussi ceux qui semblent les plus avancés dans l'intégration de cet enjeu. On retrouve parmi ces démarches des initiatives régionales comme celle de la Nouvelle Aquitaine avec le portage de la démarche AcclimaTerra qui a produit deux rapports de synthèse sur les changements climatiques dans la Région et l'adoption de la feuille de route régionale Néoterra en cours de déclinaison opérationnelle »267(*). Ces dynamiques locales sont ainsi résumées :
Enfin, le rapport 2023 du Haut-conseil pour le climat recommande : « d'intégrer les caractéristiques territoriales des conséquences du changement climatique aux analyses coût-bénéfice, et rehausser les niveaux de protection. Le calibrage des infrastructures, les documents de prévention et d'aménagement doivent en tenir compte et les événements de référence revus ».
Dans son rapport 2024, il pointe le fait que : « les prescriptions relatives au contenu des PCAET en matière d'adaptation sont relativement faibles et souvent pénalisées par l'enchevêtrement de documents de planification de la démarche air-énergie-climat prévus par le code de l'urbanisme ou le code de l'environnement dans lesquels la politique d'adaptation doit s'insérer et par l'insuffisance d'articulation des stratégies d'adaptation entre les niveaux locaux et national et le manque de financement explicite ».
Les entreprises ne devront pas être les parties prenantes oubliées de cette planification écologique territoriale. Pourtant, la circulaire n° 6420-SG du 29 septembre 2023 sur la territorialisation de la planification écologique « encourage la pertinence à intégrer dans la COP les acteurs du monde économique ». Cette formulation interroge, tant les acteurs économiques, et principalement les entreprises, devraient être au coeur de cette concertation.
2. Faire de la commande publique le moteur de la transition climatique des entreprises
La commande publique est un levier du développement durable.
- Depuis 2006, l'acheteur public doit prendre en compte les objectifs de développement durable dans ses besoins, dès lors qu'un lien avec l'objet du marché est établi. Ce lien peut porter sur l'ensemble des phases pertinentes du cycle de vie268(*) ;
- depuis 2014/2015, la publication d'un schéma de promotion des achats publics socialement responsables est obligatoire pour certains acheteurs (notamment les collectivités territoriales) dont le montant des achats dépasse annuellement 50 millions d'€ HT ;
- depuis 2016, le « sourcing » permet à l'acheteur public, afin de préparer la passation d'une commande, d'effectuer des consultations ou réaliser des études de marché, solliciter des avis ou informer les opérateurs économiques de son projet et de ses exigences. Les résultats des études et échanges préalables peuvent être utilisés par l'acheteur, à condition que cela n'ait pas pour effet de fausser la concurrence en accordant ensuite un avantage aux entreprises ainsi « sourcées ».
Les collectivités sont tenues de procéder à une définition claire de leurs besoins en y intégrant des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale (art. L. 2111-1 du code de la commande publique269(*)), elles peuvent déjà attribuer leurs marchés sur la base de critères sociaux et environnementaux dès lors que de tels critères sont objectifs et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution (art. L.2152-7)270(*).
Cette démarche a d'ailleurs été renforcée par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dont l'article 35 impose que, d'ici le 21 août 2026, tous les marchés publics comportent des clauses environnementales et soient attribués sur la base d'un critère tenant compte des caractéristiques environnementales des offres.
Au-delà des obligations croissantes portant sur les achats responsables (ou durables), une diversité d'outils relatifs aux aspects économiques, sociaux et environnementaux sont à la disposition des acheteurs pour favoriser les pratiques et prestations les plus vertueuses, tout en préservant l'accessibilité des marchés publics aux TPE/PME et pour favoriser l' économie circulaire.
L'ADEME propose ainsi une gamme de produits et services susceptibles d'être écolabellisés, soulignant qu'en adoptant une politique d'achats responsables pour les achats courants et de matières premières, « les entreprises peuvent optimiser leur rentabilité, diminuer les coûts d'achats en intégrant toutes les étapes du marché et de la vie du produit ou de la prestation (investissement, maintenance, fonctionnement...) » et « en valorisant son engagement en matière de responsabilité environnementale et sociétale, sa perception du risque chez vos fournisseurs, sécurisant ainsi les approvisionnements ».
Un plan national d'achats durables a été instauré dans la commande publique en mars 2022. L'achat public durable intègre des dispositions en faveur de la protection ou de la mise en valeur de l'environnement, du progrès social et favorisant le développement économique ; il prend en compte l'intérêt de l'ensemble des parties prenantes concernées par l'acte d'achat ; permettant de réaliser des économies « intelligentes » au plus près du besoin et incitant à la sobriété en termes d'énergie et de ressources ; qui intègre toutes les étapes du marché et de la vie du produit ou de la prestation. Ce plan prévoit qu'en 2025, 100 % des marchés notifiés au cours de l'année comprennent au moins un dispositif environnemental271(*). Ce taux était en 2022 de 29,20 % du nombre de marchés publics et de 37,2 % en valeur.
Des outils de certification ont été créés, comme le Label Relations Fournisseur & Achats Responsables, qui met en oeuvre les recommandations de l'ISO 20400, norme internationale sur les achats responsables.
Par ailleurs, les acheteurs publics réalisant des achats doivent adopter et publier un schéma de promotion des achats publics socialement responsables (SPASER). Fixé initialement272(*) à des achats de plus de 100 millions d'euros hors taxes, le seuil a été abaissé273(*) à 50 millions d'€ HT annuels, plaçant ainsi le double de collectivités territoriales soumises à cette obligation, qui a été étendue274(*) à l'État et peut désormais être mutualisée entre plusieurs acheteurs publics. Si 320 entités publiques sont concernées, seules 32 % en étaient pourvues au 1er décembre 2022.
Ce schéma est pourtant un outil permettant de déterminer les objectifs de passation de marchés publics en matière sociale et environnementale. Selon l'article L. 2111-3 du code de la commande publique, le schéma « détermine les objectifs de politique d'achat de biens et de services comportant des éléments à caractère social visant à concourir à l'intégration sociale et professionnelle de travailleurs handicapés ou défavorisés et des éléments à caractère écologique visant notamment à réduire les émissions de GES et la consommation d'énergie, d'eau et de matériaux ainsi que les modalités de mise en oeuvre et de suivi annuel de ces objectifs ainsi que les modalités de mise en oeuvre et de suivi annuel de ces objectifs » et « contribue également à la promotion de la durabilité des produits, de la sobriété numérique et d'une économie circulaire ».
Cet outil permet un suivi de la commande publique responsable. La loi prévoit, en effet, que les acheteurs publient leur SPASER sur leur site internet, lorsqu'il existe. Ils publient également tous les deux ans, le résultat des indicateurs contenus dans le schéma, exprimé de façon précise et chiffrée.
La Région Bretagne s'est dotée d'un SPASER dès 2018 pour piloter les 800 marchés publics annuels qu'elle passe, avec ses mandataires, pour tous leurs contrats (marchés publics, concessions, achat via des centrales d'achat), représentant un montant total entre 300 et 600 millions d'euros par an. Elle s'est dotée également au printemps 2022 d'un « observatoire des données de l'achat public de la Région Bretagne », outil numérique de transparence dans une logique d'open data et de pilotage par la donnée qui contribue pleinement à cet objectif. C'est une première en France.
La publication et la valorisation dynamique des données étendues de la commande publique contribuent au rapprochement de l'offre et de la demande en matière d'achat public. L'observatoire constitue également un outil de pilotage de la politique d'achat en quasi-temps réel puisque sa spécificité réside dans son caractère dynamique et dans la démarche d'amélioration continue.
Le schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (SPASER) 2023-2025 de la Région Bretagne Le schéma des achats économiquement responsables répond à quatre objectifs transversaux : 1. Agir pour réduire les impacts écologiques et maximiser les sujets sociaux 2. Encourager la montée en puissance de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) 3. Garantir l'égalité des droits 4. Favoriser la modernisation et la professionnalisation de la fonction achat pour des achats durablement performants Pour répondre aux problématiques de l'écosystème breton de la commande publique, la politique d'achat est organisée autour de 3 chantiers qui visent à : 1. Garantir durablement la performance et l'innovation 2. Accélérer les transitions écologiques et sociales 3. Mobiliser les acteurs bretons A ces 4 chantiers sont associés 12 objectifs. Afin de garantir de garantir des résultats à court terme et dans la durée, 40 indicateurs chiffrés sont inscrits dans le SPASER : 21 indicateurs cibles et 19 indicateurs de transparence. Ils feront l'objet d'une évaluation et d'une communication régulières en application des principes de transparence, d'intégrité et de redevabilité de la vie publique et économique. L'observatoire des données de l'achat public, grâce à un mécanisme de collecte automatisée de données, permet d'évaluer l'atteinte des objectifs que la Région Bretagne s'est fixés pour ses achats et ceux de ses mandataires. Il contribue au recensement économique de la commande publique au niveau national. L'observatoire couvre l'ensemble des achats de la Région et ce dès le premier euro qu'il s'agisse de construction, de formation professionnelle, de prestations de services ou encore d'approvisionnement des selfs des 115 lycées publics dont la Région est responsable. Source : site https://www.bretagne.bzh/app/uploads/synthese-spaser.pdf |
Cette « bonne pratique » devrait être généralisée.
La délégation recommande de créer des observatoires régionaux de la décarbonation, permettant de piloter, en quasi-temps réel, les performances des acteurs publics et privés et d'évaluer leur évolution par rapport aux trajectoires définies à l'échelle nationale et régionale.
Par ailleurs, pour une personne publique, s'engager dans une politique d'achats durables est non seulement possible, mais bien une nécessité juridique, rappelée et confirmée dans le code de la commande publique. En effet, la loi n° 2023-973 relative à l'industrie verte poursuit le verdissement de la commande publique dans le prolongement de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Elle précise les termes d'offre économique la plus avantageuse en soulignant que cette offre pourra « tenir compte du meilleur rapport qualité-prix, qui est évalué sur la base de critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux ». Elle prévoit deux nouveaux dispositifs d'exclusion des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession pour les entreprises ne satisfaisant pas à leur obligation d'établir un bilan de leurs émissions de GES et à celle de publication d'informations en matière de durabilité, issue de la transposition à venir de la directive CSRD.
Cependant, le code de la commande publique ne fait toujours pas primer « l'offre la plus vertueuse » sur « l'offre économiquement la plus avantageuse »275(*). La jurisprudence actuelle restreint la prise en compte de clauses sociales et environnementales à leur « lien avec l'objet du marché » et récuse l'intégration de critères reposant sur la politique globale des entreprises dans les appels d'offre.
Pour le Cercle de Giverny276(*), « une relecture des critères retenus à l'aune de l'impératif national et européen de transition écologique permettrait, par exemple, d'évaluer les offres via leur coût global ainsi que de mieux valoriser les entreprises démontrant un label RSE ou écolabel dans l'attribution des marchés et accompagner les PME qui s'engagent dans des démarches de progrès à l'obtention de ces labels »277(*).
De même, CCI France a préconisé en 2021278(*) d'introduire un principe général selon lequel la commande publique tient compte notamment de la performance environnementale des biens, des produits et des services, en particulier de leur caractère biosourcé et des exigences de lutte contre les émissions de GES ; de créer la notion d'« offre économiquement et écologiquement la plus avantageuse » afin de mieux appréhender les considérations environnementales et d'instaurer un droit de préférence pour les offres des entreprises présentant des atouts en matière de transition climatique, à égalité de prix ou à équivalence d'offre.
Départements de France demande279(*) « une révision du droit de la concurrence afin de permettre d'introduire dans les marchés publics un critère de proximité, pour recourir prioritairement à des producteurs locaux, aux filières courtes et à défaut, à des productions qui participent au maintien de nos filières agricoles ».
Il propose de revoir le code de la commande publique pour permettre aux collectivités locales, syndicats, EPCI et établissements publics d'État d'utiliser un critère de « bilan carbone » dans le cadre de la procédure d'attribution des marchés publics. Ce critère unique « bilan carbone », qui englobe à la fois certains éléments tels que les conditions de production ou encore le coût environnemental de l'acheminement des biens, constituerait un outil pour valoriser les entreprises du territoire, dont l'empreinte carbone est la moins élevée.
Deux critères peuvent donc être pris en compte pour améliorer l'impact de la commande publique sur la transition climatique des entreprises en encourageant leur relocalisation : la prime au meilleur bilan carbone ou celle à la proximité géographique (les deux se recoupant, mais le premier étant plus facilement défendable dans le cadre du droit communautaire).
Pour sa part, le METI propose280(*) un standard d'excellence environnementale européenne : « une entreprise qui produit en local, dont la chaîne de valeur est locale et qui respecte le scope 3 devrait être prioritaire auprès des acheteurs publics », ce qui suppose une évolution profonde du droit européen des marchés publics.
La délégation aux Entreprises s'était également prononcée en 2022281(*) afin de mieux intégrer les enjeux RSE dans la commande publique282(*). Ses recommandations restent d'actualité.
La délégation recommande, de prioriser dans l'achat public les entreprises dont la chaîne de valeur est locale au regard du scope 3, lequel couvre les émissions associées aux activités en amont et en aval de la chaîne de valeur et permet de mesurer l'empreinte carbone d'une entreprise.
ANNEXE : LE BILAN DU DIALOGUE ÉTAT - COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EN MATIÈRE DE PLANIFICATION DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
Questionnaire de la délégation aux Entreprises |
Départements de France |
Régions de France |
Au sein des instances de dialogue entre les collectivités territoriales et l'État, principalement le Conseil national de la transition écologique, le volet territorial est-il abordé de façon satisfaisante ? |
L'élargissement de telles instances à une galaxie toujours plus importante d'acteurs, parfois peu représentatifs, nuit généralement à la cohérence des avis rendus par ces dernières. |
Les régions sont attachées au rôle du CNTE en tant qu'instance “grenellienne” de dialogue élargi où le collège des collectivités peut faire valoir les enjeux auxquels elles sont confrontées en tant qu'autorités en compétences propres ou partagées sur les champs de politiques publiques de la transition. L'ancrage territorial des politiques et des projets est de plus en plus porté par l'ensemble des parties prenantes du CNTE. Cependant, la commission spécialisée du CNTE sur la planification écologique mise en place cette année ne semble avoir pris en compte qu'à la marge le volet territorial de cette planification. Pour autant, le CNTE n'est pas le lieu du dialogue privilégié entre les collectivités territoriales et l'État. Régions de France avait proposé dans son Livre blanc de 2022 la mise en place de comités État/régions couvrant l'ensemble des champs de politique publique de leurs compétences, dont un comité État/régions pour transition écologique. |
Quel bilan tirez-vous des COP (conferences of the parties) régionales ? |
Était-il nécessaire de créer une énième instance de concertation « territoriale ? Entre celles qui sont évoquées ci-après et les concertations menées pour élaborer une remarquable diversité de schémas tels que le SRADDET, n'aurait-il pas fallu plutôt procéder à une simplification des outils de gouvernance existants ? Mais aujourd'hui, concrètement, la planification écologique articulée autour des COP est à l'arrêt. |
Les régions oeuvraient déjà avant la mise en place des COP, lesquelles sont venues percuter leurs propres exercices programmatiques avec une crainte de ralentissement des actions déjà initiées et un manque de lisibilité pour les acteurs sur “le qui fait quoi”. Si les régions n'ont pas attendu l'État en matière de planification écologique, elles considèrent néanmoins que le processus des COP régionales peut produire un effet d'entrainement supplémentaire. Dans la phase actuelle de livraison des feuilles de route des COP, les régions identifient une réelle plus-value de la démarche : indicateurs de suivi-évaluation, co-construction de plans de transformation, engagements des collectivités locales dans les plans d'action. Cependant, les régions font aussi le constat d'un écart entre l'ambition initiale du Gouvernement et l'état d'avancement actuel pour dégager des mesures nouvelles ayant un maximum d'impact. Elles attendent de l'État qu'il clarifie ses objectifs, les modalités de poursuite d'une démarche plus lisible et les moyens, y compris financiers, qu'il déploiera au service d'une concrétisation dans les territoires. Les collectivités régionales craignent que la transition écologique soit la première politique publique sacrifiée à l'heure d'importantes coupes budgétaires sont annoncées. La situation est pourtant urgente et le coût de l'inaction élevé. |
En l'absence de mise à jour de la Stratégie nationale bas carbone, comment territorialiser la décarbonation de l'économie ? |
Les régions disposent déjà d'un cadre qui s'applique avec les SRADDETT/SARE/PADDUC, mais il est urgent pour elles de disposer du cadre national de la SNBC 3 afin de se projeter dans les actualisations qui en découleront dans leurs documents de planification. |
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Quelle place occupe la transition climatique des entreprises dans la trajectoire des schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET) ? |
La transition climatique des entreprises relève plutôt des SRDEII, dans lesquels les régions ont chacune consigné leurs objectifs, leurs axes d'actions et leur volonté d'inscrire la décarbonation et la transition écologique en fil rouge de l'action économique. À cet égard, il convient de noter l'existence de 50 dispositifs d'accompagnement des entreprises, à tout stade de leur développement, mis en place par les Régions ayant pour principal objectif la décarbonation ou l'accompagnement à la transition écologique de l'activité de l'entreprise, en particulier industrielle ou conditionnant l'accès au dispositif d'accompagnement à I'impact environnemental du projet porté par l'entreprise. |
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Partagez-vous le jugement du Haut-conseil pour le climat de 2022 selon lequel « il n'y a pas de mise en cohérence stratégique et temporelle entre l'action de l'État et celle des échelons territoriaux, ni de coordination de la planification entre les régions » ? Comment s'articule la SNBC et les SRADDET ? |
Les Régions ne constituent peut-être pas le meilleur échelon pour décliner les objectifs stratégiques nationaux de la transition écologique. Cette interrogation fondamentale doit être la première traitée. Les départements n'ont pas attendu une quelconque mesure de planification ou le surgissement d'une crise pour mettre en oeuvre des plans de transition. |
Afin de garantir une meilleure cohérence et convergence entre les planifications locales, régionales et nationales, les régions appellent à un alignement des calendriers respectifs d'actualisation et à un assouplissement des modalités de modification/révision. En l'absence de cadre méthodologique de convergence des planifications, les régions ont pris l'initiative d'un cadre harmonisé d'indicateurs de suivi Energie-Climat des SRADDET au regard de la SNBC publié en 2021 via Régions de France. Elles soutiennent aussi le chantier de convergence méthodologique des observatoires régionaux. L'articulation entre les objectifs régionaux et les objectifs nationaux passe par un exercice itératif. Il est urgent de connaitre la PPE 3 pour démarrer les concertations en région. Une méthode de régionalisation des objectifs ENR par filière est actuellement en cours de concertation avec l'État. Comme pour la PPE, une régionalisation de la SNBC constituerait une prochaine étape, facilitée par les démarches de COP régionales. |
Quels instruments d'accompagnement ou dispositifs d'aide publique en faveur de la transition climatique des entreprises ont-ils été déployés par les communes / intercommunalités / départements / régions ? |
Un Livre Vert 2023 présente des exemples de décarbonation des mobilités pour les entreprises, de soutien à la rénovation des bâtiments, de transition écologique des pratiques professionnelles (à l'instar de l'agriculture). |
En matière de transition écologique, la mobilisation des investissements publics régionaux permet de démultiplier les investissements privés et de massifier des solutions plus vertueuses. Les régions françaises se sont depuis plusieurs années engagées, de façon volontaire, dans des dispositifs et outils financiers innovants qui tendent de plus en plus vers l'écoresponsabilité environnementale avec : - Des prises de participation au capital de sociétés d'économie mixte et/ou de sociétés de tiers financement intervenant dans les domaines de la production d'énergies renouvelables et de la rénovation énergétique des bâtiments favorisant l'autonomie énergétique des territoires. - Des fonds d'investissements régionaux : - Des émissions obligataires « vertes et sociales » au profit des investisseurs socialement responsables. D'autres dispositifs sont en émergence : mise en place de plateformes de compensation carbone locales où l'échelle régionale est jugée pertinente, agence de financement de la transition écologique, programmes de green bonds. Ces démarches sont en lien avec le budget vert régional dont 4 régions volontaires se sont dotées dès 2021, qui vise, dans une logique d'amélioration continue, à accroître l'impact environnemental des dépenses régionales par une maîtrise d'ouvrage régionale plus exigeante et par des critères d'octroi des aides. |
Ces aides financières comportent-elles une clause d'écoconditionnalité ou, a minima, de respect de la SNBC ? |
- |
Globalement les régions sont engagées dans une approche incitative et non pénalisante des porteurs de projets. Les critères d'écoconditionalité sont le plus souvent implicites, car ils sont ciblés par les aides régionales (exemple de la rénovation énergétique si plus de 40% d'économie ou BBC). Certaines régions ont décidé très récemment d'en faire un axe spécifique de l'accompagnement des entreprises, comme c'est par exemple le cas du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine qui a voté (le premier) le principe de l'écoconditionnalité des aides financières de la Région le 27 mars 2023 autour de 3 axes : - respect des ressources naturelles : économie des ressources, gestion des déchets, gestion de l'eau, performance énergétique des bâtiments et des process, réduction de l'usage de pesticides, préservation de la biodiversité ; - transitions pour tous : formation des salariés et des jeunes aux métiers d'avenir, bien-être, qualité et santé au travail, égalité femme-homme, lutte contre les discriminations, emploi des séniors et transmission des savoirs et savoir-faire, embauches d'apprentis et d'alternants, gouvernance et politique salariale ; - écoresponsabilité et décarbonation : émissions de GES, politique RSE, création et maintien de l'emploi, ancrage territorial. |
Quel bilan dressez-vous des Contrats de Relance et de Transition Écologique (CRTE) lancés en 2020 ? La circulaire du 30 avril 2024 souligne le « caractère intégrateur et transversal des CRTE, qui concernent toutes les politiques publiques, avec la transition écologique et la cohésion des territoires comme fil conducteur » : cette relance des CRTE permettra-t-elle d'améliorer la prise en compte de la transition climatique des entreprises au niveau des territoires ? |
Les départements ont parfois été signataires des CRTE en s'engageant à accompagner financièrement, voire techniquement les projets via leur agence technique. Cependant les départements signataires ou pas accompagnent le plus souvent les projets locaux dans le cadre de leurs aides habituelles (contrats pluriannuels ou aides ponctuelles). Par ailleurs, sauf exception, les agences techniques départementales n'interviennent qu'au moment de la mise en oeuvre opérationnelle des projets, ce qui n'était pas encore le cas récemment. Si les CRTE peuvent être un bon outil pour décliner les objectifs nationaux de transition environnementale, il conviendrait cependant d'éviter le piège consistant à fixer des objectifs trop difficiles à atteindre localement au regard des moyens mobilisables. Il est donc nécessaire de mettre en place des dispositifs lisibles, incitatifs et cohérents avec les moyens financiers et techniques mobilisables. Les objectifs de planification et de territorialisation écologique doivent dans un souci de réalisme être confrontés à la capacité de réalisation effective des acteurs chargés de leur réalisation. |
Les régions se sont tenues à l'écart de la démarche des CRTE considérant que celle-ci recoupait et doublonnait leurs politiques territoriales contractualisées avec les territoires de projets. Elles l'ont jugée ni pertinente ni souhaitable et estimé qu'elle générerait de la confusion et du mécontentement au niveau des élus et des acteurs locaux. Les régions ont réaffirmé cette position fin 2023-début 2024 lorsque le Gouvernement a fait part de sa volonté de relancer les CRTE. |
La commande publique locale est-elle suffisamment utilisée pour aider la transition climatique des entreprises ? Comment améliorer son impact sur cette transition ? |
La commande publique est surtout limitée par le droit européen. Dans le cadre des élections européennes DF a demandé une révision du droit de la concurrence afin de permettre d'introduire dans les marchés publics un critère de proximité, pour recourir prioritairement à des producteurs locaux, aux filières courtes et à défaut, à des productions qui participent au maintien de nos filières agricoles. L'absence d'un tel critère conduisant à éloigner les producteurs des acheteurs, voire à importer des denrées alimentaires que la France produit pourtant et dans des conditions plus saines. DF propose de revoir le code de la commande publique tel que modifié par la loi Climat-Résilience pour permettre aux collectivités locales, syndicats, EPCI et établissements publics d'État d'utiliser un critère de « bilan carbone » dans le cadre de la procédure d'attribution des marchés publics. Ce critère unique « bilan carbone », qui englobe à la fois certains éléments tels que les conditions de production ou encore le coût environnemental de l'acheminement des biens, constituerait un outil pour valoriser les entreprises du territoire, dont l'empreinte carbone est la moins élevée. Deux critères peuvent donc être pris en compte pour améliorer l'impact de la commande publique sur la transition climatique des entreprises en encourageant leur relocalisation : la prime au meilleur bilan carbone ou celle à la proximité géographique (les deux se recoupant, mais le premier étant plus facilement défendable dans le cadre du droit communautaire). |
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Que proposez-vous pour que les territoires renforcent leur capacité d'accompagner la transition climatique des entreprises ? |
Concernant les départements, il paraît crucial de lever définitivement les freins de la loi NOTRe en matière de soutien à l'activité économique, en cohérence avec les récentes évolutions législatives. Les départements peuvent participer par des subventions au financement des aides que la Région octroie en matière d'agriculture et de la pêche et, dans les mêmes conditions, cofinancer les crédits du FEAMP (Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche). En 2023, DF a obtenu l'association obligatoire des départements à l'élaboration du SRADDET en matière de « développement industriel » dans le cadre de la loi dédiée à la réindustrialisation verte. Il convient donc de permettre aux départements de réinvestir le champ de l'économie. Une réflexion à plusieurs niveaux avait été portée en interne : économie de proximité, économie « verte », économie dans son ensemble. On ne peut en tout état de cause réclamer aux élus de porter l'action écologique sans leur donner les leviers financiers et compétences pour agir. |
Lors de la refonte de leur SRDEII en 2021, les régions ont affiché une forte ambition d'accompagnement des entreprises à la transition écologique et à la décarbonation. Elles ont par ailleurs investi massivement au profit de filières économiques participant à la stratégie de décarbonation nationale, comme l'hydrogène. Bien que les régions s'inscrivent en continuité des stratégies nationales et européennes et tentent d'accélérer à leur niveau la transition écologique, force est de constater que l'État ne prend pas systématiquement en compte les initiatives régionales ou l'expérience régionale dans la construction de feuilles de route : la stratégie hydrogène, par exemple, ne comporte aucun volet territorialisé ni aucune contribution régionale. De surcroît, les régions ne sont pas sollicitées pour les réflexions sur les appels à projet France 2030 en lien avec la décarbonation et la transition écologique des activités de production. Au niveau régional, un vrai partenariat État-région gagnant sur la question de la décarbonation et de la transition écologique des entreprises, mettant à contribution la force d'expérimentation des collectivités régionales, constituerait un vrai atout pour l'élaboration de politiques publiques plus lisibles et mieux coordonnées. |
EXAMEN EN DÉLÉGATION
Lors de sa réunion du 16 octobre 2024, la délégation sénatoriale aux Entreprises adopte le rapport à l'unanimité et en autorise la publication.
M. Olivier Rietmann, président. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le rapport de Lauriane Josende, Brigitte Devésa et Simon Uzenat, à qui nous avons confié une mission d'information sur les entreprises et le climat. Cette réunion, initialement programmée au mois de juillet dernier, a été reportée à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale qui a bouleversé notre agenda sénatorial. Je remercie nos trois collègues pour leur formidable travail de fond, et je les laisse présenter leur rapport.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Alors que le réchauffement climatique s'accélère et que ses impacts s'aggravent, nous avons dépassé les plafonds fixés par les Accords de Paris. Ces éléments convergent en faveur d'une accélération de la transition climatique des entreprises, pour la plupart très conscientes de ces enjeux, puisque 85 % des chefs d'entreprises affirment être sensibilisés.
La stratégie nationale bas carbone (SNBC) se fait attendre, et le bouclage financier de la transition climatique tarde alors même que l'emballement du réchauffement climatique devrait conduire à une accélération. De leur côté, les entreprises se mobilisent et agissent.
Les événements climatiques extrêmes ont coûté 120 milliards d'euros à l'économie française entre 1980 et 2022. L'impact climatique sur l'activité économique est croissant et pourrait coûter à l'ensemble des entreprises de la planète 1 000 milliards de dollars à l'horizon 2050. En France, si rien n'est fait d'ici 2100, le dérèglement climatique pourrait entraîner une perte de richesse de l'ordre de 10 % du PIB, soit 260 milliards d'euros, l'équivalent de 3 500 euros par an et par Français. Ce coût de l'inaction climatique, évalué par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), est à rapprocher du besoin net de financement de la transition climatique, qui pourrait atteindre 66 milliards d'euros d'ici 2030. Les objectifs économiques sont donc bien compatibles avec les objectifs climatiques.
Les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont très concentrées dans quelques entreprises et pays : depuis 1988, 71 % des émissions globales de GES sont issus de seulement 100 entreprises et la moitié de ces émissions est imputable à 25 d'entre elles. En revanche, le réchauffement climatique impacte toutes les entreprises, quelles que soient leur taille et leur localisation.
Plus généralement, les événements climatiques extrêmes perturbent les activités économiques en causant des arrêts de production, la fermeture de points de vente, une diminution des rendements agricoles, des impacts sur le tourisme et des ruptures d'approvisionnement. 64 % des entreprises européennes ont été affectées en 2023 par des pertes de productivité et économiques, des sinistres climatiques et par l'inflation des prix des matières premières, contre 57 % l'année précédente. Même l'eau, indispensable à l'activité économique, devient une ressource rare qui doit être gérée au mieux.
La prise de conscience des chefs d'entreprise témoigne de cet impact grandissant. Les entreprises n'ont pas attendu la loi PACTE de 2019 pour appréhender les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité, incitées par les consommateurs, qui sont 94 % à prendre en considération la durabilité de leurs achats. Cependant, les dirigeants d'entreprise sont démunis et insuffisamment outillés. Seuls 13 % d'entre eux disposent d'une stratégie de décarbonation. Si les petites et moyennes entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPE) représentent environ 30 % de l'empreinte carbone, elles ont toutefois du mal à s'engager dans une démarche opérationnelle de transition climatique qui se réduit trop souvent à une diminution de leur consommation énergétique.
La mobilisation des réseaux d'entrepreneurs est un préalable indispensable à la transition climatique. Plus elle tarde, plus les effets négatifs du dérèglement climatique seront importants et plus les efforts pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES seront coûteux et difficiles. Cette mobilisation doit englober toute la chaîne de valeur. En effet, si la désindustrialisation a entraîné une baisse des émissions de carbone sur notre territoire, les émissions importées représentent la moitié de notre empreinte carbone.
La transition climatique est susceptible de créer des opportunités pour les entreprises et peut permettre à la France de faire valoir une nouvelle « compétitivité carbone ». Comme l'indique le président de France Industrie : « décarboner ne doit pas se traduire par un déplacement de la production en dehors de la France ou d'Europe », dans des pays qui luttent moins contre le réchauffement climatique ; ce qui revient, in fine, à augmenter les émissions de CO2.
La décarbonation est aussi un levier de croissance et un enjeu majeur de compétitivité. Elle représente un marché mondial de 1 800 milliards de dollars au centre duquel se trouvent les métaux critiques. La consommation des 27 matériaux nécessaires pour atteindre la neutralité climatique devrait être multipliée par sept d'ici 2050. Ce seul marché, aujourd'hui évalué à 325 milliards de dollars, devrait doubler d'ici à 2040. En France, grâce à un accompagnement actif de l'État, l'écosystème greentech est particulièrement dynamique et innovant, comptant plus de 2 500 entreprises. Mais toutes les PME ne sont pas des start-up de la greentech !
Enfin, la transition climatique conduit inévitablement à la transformation de l'emploi : 8 millions d'emplois seraient directement concernés par la transition climatique, qui pourrait être créatrice nette d'environ 150 000 nouveaux emplois d'ici 2030, ce qui suppose un effort massif de formation. Des pénuries pourraient freiner la transition climatique des entreprises, car les métiers nécessaires sont aussi ceux dont les difficultés de recrutement sont déjà très fortes. Ainsi, seuls 40 000 ingénieurs sont formés par an alors qu'il en faudrait 60 000 pour accompagner les entreprises. Une insuffisante adaptation à la transition, ou une mauvaise spécialisation, pourrait affaiblir davantage une industrie française déjà mise à l'épreuve par la désindustrialisation.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - La politique publique de transition climatique s'inscrit dans un ambitieux objectif européen. La neutralité carbone en 2050 a été mise au coeur de la stratégie économique européenne depuis 2019, puis accentuée avec le paquet « Fit for fifty-five » et le Net-Zero Industry Act en mars 2023. L'objectif est de réduire de 90 % les émissions nettes de GES d'ici 2040 ; et avant 2030, les entreprises sont tenues de supporter la moitié de cet effort.
Avec un mix électrique avantageux, la France a souscrit à une politique ambitieuse de transition climatique. Le mix électrique français est très largement décarboné, à hauteur de 92 %. Les émissions de GES du système électrique français, qui représente plus d'un quart de la consommation finale d'énergie en France, pèsent moins de 5 % dans le bilan carbone national, contre 21 % en moyenne dans les pays de l'Union européenne. Cette situation conforte notre indépendance énergétique et représente un facteur important pour la compétitivité de nos entreprises. Si nos avis, entre rapporteurs, divergent sur la nécessité de relancer le nucléaire, nous partageons en revanche le constat selon lequel l'énergie nucléaire est la seule énergie qui permet, aujourd'hui, de décarboner rapidement et massivement.
La politique nationale cible les 50 entreprises les plus émettrices de CO2 et favorise l'innovation. Depuis 2011, la France, à la faveur de deux stratégies quinquennales d'adaptation au changement climatique, montre que la transition est économiquement possible et compatible avec une croissance plus soutenable. La réindustrialisation peut même aider à réduire l'empreinte carbone. Les plans France Relance puis France 2030 ont consacré des sommes importantes au soutien du développement de solution de décarbonation et à leur déploiement dans le tissu industriel. Cependant, dans son évaluation de ces plans, la Commission des finances du Sénat a déploré qu'avec l'attribution de seulement 6 % des aides de l'objectif de la décarbonation de l'industrie, les pouvoirs publics ne soient pas au rendez-vous de l'accélération provoquée par l'Union européenne.
Les grandes entreprises sont les mieux préparées à la transition climatique. Leurs administrateurs sont formés à ses enjeux, et les codes professionnels AFEP-MEDEF et Middlenext appellent même à une prise en compte du climat dans la rémunération des dirigeants d'entreprises. Ces éléments contribuent d'ailleurs à la réussite de Paris, désormais à la quatrième place financière mondiale grâce à son exemplarité en termes de critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG). Pourtant, même les grandes entreprises éprouvent des difficultés considérables à atteindre leurs objectifs de décarbonation.
Si 34 % des 2 000 plus grandes entreprises dans le monde ont pris des engagements de réduction de GES, seulement 7 à 11 % seraient en mesure de les atteindre. Au niveau mondial, le nombre d'entreprises capables de quantifier leurs émissions de GES stagne à 10 % depuis 2022. Par ailleurs, seulement 14 % des entreprises ont atteint une réduction d'émissions compatible avec leur ambition.
Les investisseurs et les contraintes normatives telles que la directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises, dite directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), conduisent les grandes entreprises à intégrer la responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans leur stratégie et à se préparer à la transition climatique. Elles entraînent les établissements de taille intermédiaire (ETI) et PME présentes dans leurs chaînes de valeur à s'engager dans la même démarche, bien que ces dernières ne soient pas aussi bien armées.
En effet, alors que les grandes entreprises peinent à atteindre leur objectif de décarbonation, la transition des PME et TPE est encore plus difficile, tant elles souffrent d'un déficit d'ingénierie et ne sont pas outillées pour se saisir spontanément d'opportunités dont elles ignorent souvent l'existence. Il est par conséquent essentiel que la mise en place de ces dispositifs ne s'accompagne pas de lourdeurs administratives, au risque de freiner toute velléité d'aller plus loin dans l'adaptation au changement climatique.
Seuls 42 % des dirigeants de TPE pensent que le dérèglement climatique aura des conséquences importantes sur leur entreprise, contre 75 % des dirigeants d'entreprises de plus de dix salariés. Le calcul des émissions de GES paraît hors de portée de nombreuses TPE et PME. Ainsi, elles éprouvent des difficultés à calculer leur empreinte écologique en englobant toute la chaîne de valeur, ce que l'on nomme « scope 3 » dans le cadre de la directive CSRD.
En résumé, je reprendrai ce constat dressé par Bpifrance en avril 2023 : « la majorité silencieuse des dirigeants de PME et ETI reste à quai. Perplexes face à la complexité du sujet, timorés devant l'importance des investissements à réaliser, ils semblent être à la croisée des chemins ».
M. Simon Uzenat, rapporteur. - Quelles sont les lacunes du pilotage par l'État de la transition climatique des entreprises ? Bpifrance, encore, dresse un constat lucide sur ce point : « les PME et ETI, souvent invisibles dans les politiques publiques, semblent ne pas compter pour la réussite de la transition écologique ». De notre point de vue, une erreur de granularité a été commise : la transition climatique, si elle veut atteindre les objectifs qu'elle s'est fixés, ne doit pas concerner les 50 entreprises les plus émettrices de CO2, elle doit concerner les 4,2 millions de PME et TPE françaises. Or, la politique de transition climatique, en attente de son cadrage national, ignore les PME et TPE. Elle connaît une évolution erratique de ces crédits alors que les investissements de la transition climatique requièrent un cap clair et un cadre macroéconomique et financier stable.
La stratégie macroéconomique de l'État est en attente, même si la déclaration de politique générale du Premier ministre du 1er octobre a indiqué que les travaux de planification allaient « reprendre immédiatement ». Il est temps, après plusieurs mois d'atermoiements ! La plupart des objectifs nationaux de la transition écologique n'ont pas été révisés depuis 2019, voire 2015, au point d'être désormais déconnectés des engagements européens de la France. Ainsi, la Stratégie nationale bas carbone ne donne plus aucune trajectoire après 2033.
Ces dérives de calendrier, dont le Haut conseil pour le climat s'est ému publiquement, concernent les instruments les plus structurants de la politique climatique, et ont conduit le Sénat à discuter d'une proposition de loi portant sur la programmation nationale et la simplification normative dans le secteur économique de l'énergie. Cette programmation est essentielle afin de guider l'action climatique à long terme. Elle doit, en outre, fixer le niveau des budgets carbone de la France pour les périodes 2029-2033 et 2034-2038 en cohérence avec l'objectif de neutralité carbone en 2050, établir les priorités d'action pour la production et la gestion de l'énergie au-delà de 2028, et fixer les nouveaux plafonds indicatifs d'émissions pour les transports internationaux et l'empreinte carbone de la France.
Cette stratégie macroéconomique sera-t-elle à la portée des PME et TPE ? Il est largement permis d'en douter. Plusieurs freins majeurs s'opposent à l'engagement résolu des PME et TPE : la lourdeur des investissements - et j'insiste sur ce point, car il recueille l'unanimité des présidents des organisations interprofessionnelles entendus hier soir par notre délégation - mais aussi le prix et la disponibilité des énergies, notamment décarbonées, la difficulté de prendre en compte les émissions indirectes (dites de « scope 3 »). Enfin, le financement de la transition climatique reste indéterminé, et cette impasse a été amplement soulignée par les représentants des organisations d'employeurs que nous avons rencontrés.
Cette question du financement de la transition climatique a été clairement posée dans trois rapports remis au Gouvernement en 2023, sans être jusqu'à présent résolue. L'ordre de grandeur des investissements supplémentaires que les acteurs publics et privés devront réaliser d'ici 2030 est de 100, voire 110 milliards d'euros. Mais la clé de répartition reste indéterminée, laissant les entreprises dans l'incertitude.
Pour financer les investissements requis par la transition climatique, une hausse des dépenses publiques comprise entre 25 et 34 milliards d'euros serait nécessaire. Or, la Cour des comptes a révélé l'ampleur de la dégradation de la situation financière de l'État, et le projet de loi de finances a rappelé l'exigence d'une maîtrise de la dépense publique, laquelle peut toutefois avoir un effet potentiellement récessif. Dans ces circonstances, quelles seront les marges de manoeuvre pour financer la transition climatique des PME et TPE ?
Par ailleurs, les évolutions de crédits publics sont erratiques. Alors que 10 milliards d'euros de crédits supplémentaires devaient abonder le ministère de la Transition écologique, la régulation budgétaire du 21 février 2024 l'a amputé de près de 3,1 milliards d'euros, privant de visibilité une politique qui devrait s'inscrire dans le long terme.
Au total, seul Bpifrance paraît en mesure de financer d'ici 2028 la transition écologique et énergétique à hauteur de 35 milliards d'euros, pour accélérer la transition des entreprises avec un continuum mêlant financement, garantie et accompagnement. Cependant, accompagner 20 000 entreprises en cinq ans demeure insuffisant, compte tenu des plus de 4 millions d'entreprises à mettre en mouvement. Il revient à l'État d'amplifier, d'industrialiser en quelque sorte, la décarbonation.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - En conclusion, notre rapport montre que les PME et TPE, pour s'engager durablement dans une démarche de décarbonation, ont un besoin impératif de trois éléments : des dispositifs d'aide publique simples, un accompagnement personnalisé, et une aide financière d'amorçage pour enclencher un cycle vertueux.
Pour changer le logiciel de l'action publique pour accélérer la transition climatique des entreprises, nous vous présentons 21 recommandations autour de trois axes.
Le premier axe se rapporte à la création d'un environnement plus favorable à la transition climatique des entreprises. En effet, il convient de mieux cibler la notion d'adaptation des entreprises à la transition climatique. Ni la compensation carbone, ni les technologies de captage, stockage et valorisation du CO2 ne sont à la hauteur de la quantité d'émissions de GES. Dès lors, il faut cibler la décarbonation nette, c'est-à-dire la réduction des émissions nettes de CO2, notamment dans les plans de transition climatique des entreprises. Ces derniers permettent aux entreprises d'ancrer dans leur stratégie des objectifs à long terme et d'en assurer le pilotage avec des horizons de court et de moyen termes, en cohérence avec l'horizon de planification financière et stratégique.
Nous recommandons que la politique publique de transition climatique en direction des entreprises, et particulièrement des TPE et PME, affiche la réduction nette des émissions de CO2 comme priorité de l'action publique. En outre, nous recommandons qu'elle se réfère dans le plan de transition climatique des entreprises à des objectifs de réduction nette des GES, lesquels ne doivent inclure ni les crédits carbone, ni les émissions séquestrées, ni les émissions évitées.
Par ailleurs, les actions dont les coûts d'abattement sont les plus importants sont à prioriser, afin d'ordonner différents projets pour déterminer lesquels permettent d'arriver à un même objectif à moindre coût, et lesquels sont socialement souhaitables. Il semble donc nécessaire, en particulier dans la situation actuelle des finances publiques, de privilégier les technologies de décarbonation dont le ratio « émissions de CO2 évitées/coût » est le plus fort, et celles dont le potentiel de réduction de GES est le plus élevé.
Il est ensuite nécessaire d'améliorer la mesure de la décarbonation des entreprises. En effet, si plusieurs scénarios prospectifs coexistent aujourd'hui, leurs méthodologies divergent et une harmonisation s'impose. De même, puisque seule une cartographie précise permettra de guider l'action publique, une harmonisation des méthodes d'évaluation de la demande énergétique à l'horizon 2050 est requise. Ces harmonisations doivent s'accompagner d'un débat public et parlementaire sur la décarbonation, dans un souci de transparence et de meilleure lisibilité des scénarios.
Pour agir en faveur d'une transition climatique efficace des entreprises, nous proposons de conduire une expérimentation à une large échelle. La facturation carbone indique, en instantané, les poids en carbone des produits et déchets et, en dynamique, la contribution de l'entreprise à la décarbonation. Cette mesure comptable environnementale permettrait de calculer les performances environnementales de base de l'entreprise, comme de facturer des produits dont le contenu en carbone n'est a priori pas connu. En outre, elle associe les consommateurs aux démarches de transition climatique des entreprises.
Par ailleurs, comme l'a souligné le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050, il apparaît indispensable d'intégrer la sobriété comme objectif des politiques publiques en amont. La sobriété vise la tempérance dans nos usages énergétiques et suppose un changement de comportement, de pratique ou de mode de vie.
Pour décarboner, nous formulons deux préconisations, dont la première fait l'objet de divergences : d'une part, relancer et prolonger le parc nucléaire en exploitation jusqu'à 60 ans avec une optimisation significative de sa performance ; d'autre part, développer, d'ici 2035, des moyens de production d'énergies renouvelables (EnR) en s'appuyant sur une répartition équilibrée entre les différentes technologies, et une implantation plus optimale sur l'ensemble du territoire.
Le retard de la France dans le domaine des énergies renouvelables est préoccupant. La part de ces énergies dans la consommation d'électricité a atteint 22,2 % en 2023, mais doit croître à 42,5 % en 2030, ce qui représente un effort considérable. La France a pourtant la chance de disposer de fortes ressources renouvelables qu'il appartient aux entreprises de valoriser, par exemple en développant l'autoconsommation. Sur ce point, il convient cependant de prendre en considération l'acceptabilité sociale des installations d'EnR.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - Le deuxième axe de propositions s'inscrit dans le sillage des préconisations récurrentes de la délégation sénatoriale aux Entreprises. Il consiste à simplifier le processus d'adaptation et d'atténuation du changement climatique. En d'autres termes, il s'agit de s'attaquer aux effets du changement climatique comme à ses causes.
La politique de transition climatique des entreprises doit devenir plus agile. En effet, les gains de la décarbonation engrangés jusqu'à présent relèvent principalement, dans le domaine industriel, de l'efficience énergétique. Or, il faudra de plus en plus s'orienter vers des technologies de rupture dont la soutenabilité économique n'est à ce jour ni démontrée ni acquise, à l'image du recours massif à l'hydrogène, du captage et du stockage de dioxyde de carbone, ou des procédés de réduction directe en métallurgie. L'action publique devra s'orienter vers l'assouplissement du cadre normatif, afin de rendre efficientes des innovations, et vers un soutien public en mobilisant davantage France Expérimentation.
Il faudra aussi simplifier. Il existe près de 340 dispositifs d'aide à la transition climatique des entreprises proposés par les opérateurs publics. En avril 2023, l'Inspection générale des finances les décrivait ainsi : « foisonnants et complexes », « insuffisamment lisibles et visibles pour les entreprises, notamment les TPE et PME », « constituées par sédimentation sans réelle cohérence d'ensemble ». Les opérateurs publics proposent aux entreprises un mille-feuille indigeste d'aides sans véritable vision de long terme, sans cohérence et démuni de sens. Nous avons ainsi appris que des entreprises en viennent à rémunérer des sociétés de services spécialisées dans l'identification des aides publiques et le montage des dossiers, que les dirigeants des PME n'ont ni le temps d'effectuer ni la technicité pour le faire !
Le parcours des aides publiques doit être recentré sur une quinzaine de dispositifs, autour de l'aide au calcul des émissions de GES et à l'élaboration d'un bilan carbone pour les TPE et PME, et d'un plan de transition pour les grandes PME et les ETI. L'accompagnement doit émaner d'une demande des entreprises. Il doit être construit de manière transversale et adapté aux différentes catégories d'entreprises, quel que soit leur domaine d'activité. Il faut substituer une politique de l'offre à une politique de la demande, fondée sur le parcours usager de l'entreprise.
De la même manière, il importe de simplifier la méthodologie de la mesure de l'empreinte carbone. La confusion sur ce point pénalise la comparaison et la lecture des trajectoires de décarbonation. Il est par conséquent impératif de standardiser une méthode de mesure pour la décarbonation par secteur selon une approche en cycle de vie (ACV). Cette harmonisation devrait être confiée à l'ADEME, en liaison avec les organisations d'employeurs.
Par ailleurs, le plan France 2030 ressemble à un inventaire à la Prévert. Il propose en effet une centaine de dispositifs d'aide, qui ne ciblent pas tous la décarbonation des entreprises. Certaines aides s'adressent également aux associations, d'autres visent aussi le soutien à la politique de l'emploi ou à la politique culturelle. Par ailleurs, ce plan paraît excessivement centralisé, les aides étant accordées sur décision du Premier ministre.
Dès lors, la création de France Transition permettrait de regrouper les aides aux entreprises actuellement dispersées entre France Relance, Bpifrance ou l'ADEME, afin de regrouper tous les financements de la décarbonation. Au-delà d'une meilleure lisibilité, France Transition serait chargée d'accélérer de façon proactive l'émergence de projets stratégiques, là où le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), l'ADEME et Bpifrance sont trop souvent considérés comme des guichets d'accueil.
M. Simon Uzenat, rapporteur. - Le troisième axe rassemble des préconisations de mesures susceptibles d'accompagner les entreprises dans leur processus de décarbonation.
L'aide de l'État pour les grandes entreprises est déjà subordonnée à la publication d'un bilan carbone et d'une stratégie de réduction des émissions de GES. A contrario, les aides destinées à financer des investissements de transformation vers l'industrie du futur des PME et ETI industrielles ne le sont pas. Il est essentiel d'aligner les aides publiques d'État à la décarbonation au respect, par l'entreprise qui en bénéficie, de la SNBC, des stratégies sectorielles et du Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), lorsqu'ils seront publiés.
Nous affirmons avec force que les territoires seront le cadre de l'accélération nécessaire de la transition climatique. Tout ne descendra pas de Paris et beaucoup d'actions seront conduites dans nos territoires, comme elles le sont déjà.
Les entreprises ne doivent pas être les parties prenantes oubliées de la planification écologique territoriale, évoqué lors du débat en séance du 30 avril consacré à ce thème. Aussi, leur intégration dans les Conférences des parties (COP) devrait aller de soi, alors qu'une circulaire de la Première ministre de l'époque disait l'inverse. Une transition climatique réussie est une coalition entre acteurs publics et privés qui se fonde sur une planification territoriale ascendante, au plus près des entreprises. Lorsque la planification écologique nationale sera réalisée, il faudra en effet relier les trajectoires de planification. Les trajectoires locales devront être en phase avec l'objectif national et, réciproquement, les trajectoires nationales devront intégrer les réalités locales. Cela impliquera un dialogue régulier pour permettre l'ajustement du système, entre logiques descendantes et ascendantes.
Par ailleurs, la commande publique est un levier d'accélération écologique et climatique. Elle tient actuellement compte de la performance environnementale des biens, des produits et des services, en particulier de leur caractère biosourcé, et des exigences de lutte contre les émissions de GES. « L'offre économiquement et écologiquement la plus avantageuse » est une notion permettant d'instaurer un droit de préférence pour les offres des entreprises présentant des atouts en matière de transition climatique, à égalité de prix ou à équivalence d'offre. Ce critère avantage clairement le recours aux PME locales. Aller plus loin suppose un profond changement des règles européennes régissant les marchés publics, et les parlementaires nationaux auront à se faire entendre sur ce point.
Les régions doivent être en mesure de mieux piloter l'impact environnemental de la commande publique, et à cette fin disposer de chiffres précis. C'est la raison pour laquelle nous préconisons la création d'observatoires de la décarbonation. Il ne s'agirait pas d'instances, mais d'outils numériques chargés de collecter des données relatives à l'argent public investi et aux résultats en matière de diminution des GES afin d'évaluer, en toute transparence, la trajectoire empruntée. Dans une logique d'open data et de pilotage par la donnée, ces outils permettraient de rapprocher l'offre de la demande, et seraient déployés à l'échelle régionale, en lien avec les collectivités.
Outre l'achat public, les grandes entreprises ont également un rôle moteur d'entraînement dans leur chaîne de valeur composée d'ETI, de PME et de TPE. Les stratégies climatiques et les plans de décarbonation devraient être évoqués régulièrement lors des assemblées générales d'actionnaires pour les sensibiliser. Cette préconisation est portée par l'Autorité des marchés financiers comme par la commission d'enquête du Sénat de juin 2024 sur TotalEnergies, et fournit un complément logique aux recommandations des codes professionnels AFEP-MEDEF et Middlenext. Nous vous proposons toutefois de la limiter aux entreprises soumises à la directive CSRD. Cela inciterait davantage d'entreprises à se doter de plans de transition qui permettent de comprendre les efforts de l'entreprise parmi lesquels l'implication de la gouvernance, l'évolution de la stratégie, l'identification de leviers de décarbonation, la mobilisation des financements dédiés à ces plans d'action, et le suivi de l'exécution du plan.
La transition climatique fait désormais partie du dialogue social au sein de l'entreprise. Les salariés constituent, avec les territoires et les grandes entreprises, le troisième facteur d'accélération de la transition climatique. Dans les branches professionnelles, et afin de donner toute sa portée à l'accord national interprofessionnel du 11 avril 2023 relatif à la transition écologique et au dialogue social, il convient d'intégrer les sujets de transition climatique au dialogue social de branche. Celui-ci est nécessaire pour anticiper, accompagner et réguler les transformations de l'emploi dues à la transition climatique.
Quel sera notre rôle à nous, parlementaires, dans cette politique publique pour régler la question de « la dette écologique que nous laisserons en héritage à nos enfants », comme l'a pointé le Premier ministre dans son discours de politique générale ? Depuis la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015, des plafonds nationaux d'émissions de GES dénommés « budgets carbone » sont fixés par décret, pour cinq ans. La SNBC résulte de longues concertations, mais, de notre point de vue, contourne le Parlement, qui attend toujours les principaux éléments d'une stratégie de transition climatique et de son financement. Il y a urgence.
Le Parlement doit être associé à la définition de la stratégie d'adaptation de l'économie à la transition climatique : il s'agit là d'un message fort que nous souhaitons transmettre à travers ce rapport. Il doit pouvoir évaluer chaque année l'impact des politiques publiques qui y sont consacrées. La loi demeure le vecteur privilégié des décisions structurantes et les grandes orientations des politiques publiques se discutent au Parlement. Dès lors, la stratégie climatique, ses objectifs et son financement, ne sauraient continuer à être élaborée dans le huis clos des administrations et rester confinée dans les seuls arbitrages des cabinets ministériels. Il est urgent que le Parlement se saisisse de ces enjeux majeurs, en débatte et décide, car il s'agit d'engager l'avenir de la Nation.
C'est la raison pour laquelle nous préconisons de consacrer à la transition climatique de l'économie un débat public annuel au Parlement. Prenant appui sur les données et les politiques conduites par les collectivités locales, il doit permettre l'évaluation, avec l'aide de la Cour des comptes, des politiques accompagnant les entreprises. L'ensemble des données collectées, notamment dans le cadre des observatoires régionaux, faciliteraient le pilotage des politiques publiques climatiques locales et d'éventuelles réorientations des moyens alloués.
Enfin, nous préconisons une mesure fiscale et une évolution de moyen terme du cadre comptable. Le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte (« C3IV ») est actuellement limité à quatre filières de la transition énergétique : les batteries, l'éolien, les panneaux solaires et les pompes à chaleur. Élargir ce crédit d'impôt pourrait inciter les ETI et les PME à passer de la phase de recherche-développement à celle de la production décarbonée ou d'industrialisation de nouveaux produits à plus faible teneur en carbone, et soutenir ainsi d'autres filières.
La comptabilité actuelle ne permet pas actuellement de valoriser des investissements en faveur de la décarbonation. Lorsqu'une banque, une entreprise ou un fonds d'investissement achète des parts d'une société, le bilan carbone de cette société lui est imputable en tant qu'investisseur, au prorata des parts. Actuellement, il n'existe pas de méthode permettant de valoriser un investissement dans une activité permettant de capter ou de réduire des émissions de GES. Pour combler ce vide, plusieurs acteurs proposent des « dividendes climat », c'est-à-dire un indicateur extrafinancier valorisant l'impact climatique positif des entreprises et les technologies les moins carbonées. Ils rémunèrent les actionnaires par tonne de CO2 évitée, et permettent d'orienter l'épargne vers le long terme et des projets innovants de technologies de rupture. Leur déploiement devrait faire l'objet d'une expérimentation conduite par France Expérimentation, et, à l'issue d'une évaluation, pourrait être accompagné d'une incitation fiscale. Les dividendes climats sont une initiative récente, mais portent des perspectives intéressantes à l'horizon 2030.
Avec ce rapport, la délégation sénatoriale aux Entreprises approfondit ses travaux dans le domaine de la RSE, que nous enrichissons par nos visites de terrain et nos auditions. Cette spécificité de notre méthode est notre bien commun, sachons en tirer le meilleur parti.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous remercie pour ce remarquable travail et votre sens des responsabilités qui vous a permis de réaliser ce travail commun alors que vous êtes issus de groupes politiques n'ayant pas toujours les mêmes vues concernant la politique de transition climatique. Parmi vos recommandations figurent certaines incitations fiscales dont je doute qu'elles seraient bien perçues dans le contexte du redressement des comptes publics. Cependant, je précise qu'il ne s'agit pas de les mettre en place à court terme, bien qu'en matière de climat, le temps presse.
M. Gilbert Favreau. - Permettez-moi d'endosser le rôle du sceptique à propos de ce rapport, par ailleurs fort bien préparé. Il me semble en effet très difficile de parvenir, en France, à une véritable décarbonation dans l'horizon de temps qui nous est proposé, voire imposé, c'est-à-dire une décennie. Il n'est qu'à constater que les énergies de substitution sont à la baisse. Ainsi, les ventes des véhicules électriques ont tendance à chuter, et je peine à concevoir comment les entreprises de transports routiers ou maritimes pourraient ne plus émettre de GES dans dix ans.
La situation financière de la France ne laisse guère de marges de manoeuvre en termes de politique de décarbonation, quand d'autres pays ne jouent pas le jeu, à commencer par la Chine, l'Inde et les États-Unis, qui produisent à eux trois les deux tiers des émissions de GES, mais également nos pragmatiques voisins allemands. Même en portant l'horizon à 2050, je ne suis pas certain que les économies mondiales supportent les efforts nécessaires à la décarbonation. Je suis donc sceptique, mais j'attends de nos orateurs qu'ils me démontrent que j'ai tort.
M. Guillaume Gontard. - Laisser s'aggraver le changement climatique aura un impact sur l'ensemble de la vie humaine, y compris sur les entreprises. Dès lors, il apparaît plus qu'indispensable de se donner des objectifs en termes de décarbonation, et de grandes orientations pour y parvenir. À cet égard, le rapport présente l'intérêt de mettre l'accent sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas, et de réfléchir à la manière d'accélérer les efforts, notamment les efforts financiers, qui ne seront pas perdus, bien au contraire.
Le prisme de la décarbonation ne doit pas masquer d'autres enjeux corrélés, tels que la gestion de la ressource en eau, qui est au coeur de l'activité industrielle, ou la question de la pollution. Aussi, travailler à la décarbonation revêt un enjeu plus global. Par ailleurs, il me semble pertinent que le rapport aborde le thème de la sobriété. En effet, quels que soient nos choix en matière d'énergie, cette question s'imposera.
Concernant la production électrique, je m'inquiète de la primauté du nucléaire qui, indépendamment de ce que l'on pense de cette énergie, occulte le développement des énergies renouvelables (EnR). De plus, l'objectif de construction d'EPR (European Pressurized Reactor) et de SMR (Small Modular Reactor) avant 2030 me semble illusoire, ce qui plaide en faveur d'un recours aux EnR qui, elles, sont déjà opérationnelles. Or, votre rapport montre que nous n'empruntons pas ce chemin. Au contraire, nous perdons ce qui reste des filières photovoltaïque et éolienne en France et en Europe, au moment même où le coût des EnR a chuté de 85 % au cours de la dernière décennie. Ainsi, le coût du mégawatt produit par les EnR est compris entre 50 et 70 euros, quand il s'établit à 160 ou 170 euros pour le nucléaire. Nous avons donc entériné la perspective d'une électricité chère, ce qui ne manquera pas d'impacter l'industrie.
Certaines orientations de votre rapport me semblent satisfaisantes, et répondent en partie à l'inquiétude que j'ai éprouvée à l'égard de l'audition des représentants des organisations d'employeurs du 15 octobre, durant laquelle les orientations, les objectifs, voire nos engagements européens en termes de développement des énergies renouvelables ont été remis en cause ; ce qui va à l'encontre de la transition, et par conséquent de la compétitivité de nos entreprises.
Mme Pauline Martin. - J'aimerais vous interroger sur quelques-unes des préconisations de votre rapport. Dans l'axe 1 je perçois une antinomie entre la recommandation 13, qui consiste à subordonner les aides publiques à l'adaptation climatique et à la décarbonation, et la recommandation 14, qui entend prioriser dans l'achat public les entreprises dont la chaîne de valeur est locale.
Hier, le 15 octobre, des représentants des entreprises nous ont confirmé que la prise de conscience est désormais acquise, mais qu'il est nécessaire d'être moins pressant en matière de transition vis-à-vis d'entreprises qui ne pourront pas suivre le rythme.
M. Olivier Rietmann, président. - Le redressement budgétaire de notre pays impose de demander un effort à tous, y compris aux entreprises. Il convient de se prémunir contre un effet ciseau en exigeant des entreprises, parallèlement à leur effort, qu'elles dépensent davantage sans être accompagnées.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - La rédaction de ce rapport nous a amenés à partager de nombreux constats, mais aussi à formuler certaines divergences quant à nos recommandations. Les entreprises sont prêtes à faire un effort en matière de transition, mais elles réclament pour cela du bon sens et de la lisibilité. Leur premier réflexe consiste à raisonner en termes de coûts et de charge immédiate, mais elles ont aussi appris à raisonner en termes de transition, car elles sont convaincues de la nécessité de réduire notre empreinte carbone.
Nous avons choisi de nous montrer prudents dans nos recommandations, notamment eu égard à la situation des finances publiques. Notre but consiste à identifier des outils susceptibles d'aider les entreprises, alors que l'empilement des normes, des commissions, des instances, a engendré une forme de colère et d'exaspération des entreprises, qu'elles ont manifestées devant la délégation. Dès lors, nous préconisons avant tout de produire un effort d'harmonisation et de lisibilité des différents dispositifs d'aide à la décarbonation, et de mettre à leur disposition des instruments simples d'utilisation, à moyens constants. J'étais, par exemple, dubitative quant à la facturation carbone. Mais j'ai compris qu'elle était finalement très simple à mettre en place. Alors, expérimentons-la. J'ai suivi le même cheminement pour les observatoires, qui se rapportent à des outils numériques, et non à des instances. Le mot d'ordre est le dialogue avec les entreprises qui, si nous parvenons à donner du sens à nos actions, nous aideront plus que nous ne les aiderons à franchir le cap de la transition.
Le contexte international que vous avez évoqué, monsieur Favreau, est un argument « massue », d'ailleurs relayé par les entreprises. Toutefois, raisonner ainsi suppose de renoncer à beaucoup de choses, quand bien même les orientations de nos partenaires internationaux n'évolueraient pas, nous devons garder le cap de la transition climatique et de la réduction des émissions de GES.
M. Olivier Rietmann, président. - Permettez-moi d'apporter une nuance relative au contexte international. Les grandes puissances ont pris un virage, parce que la réduction des émissions représente pour eux un moyen de s'enrichir et d'investir des marchés internationaux, notamment le marché européen. J'en veux pour preuve le marché du photovoltaïque, où la Chine produit massivement des panneaux moins chers, plus efficaces et plus robustes.
J'étais de ceux qui pensaient qu'il est vain de faire des efforts, quand la part de la France s'élève à 0,9 % de la production mondiale de carbone. Désormais, j'ai conscience que capter des marchés internationaux implique de remplir certains critères environnementaux. En revanche, je suis inquiet quant à notre compétitivité, eu égard aux moyens colossaux que certaines puissances sont en mesure de mobiliser.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - J'aimerais insister sur la simplification. Nous avons aujourd'hui plus de 340 dispositifs d'aide, qui parfois s'opposent entre eux. À quand une harmonisation des dispositifs, des normes, des lois qui nous permettrait d'emprunter sereinement la voie de la transition écologique ? Celle-ci est déjà en marche, et je me félicite de voir ce qu'il se passe en France, qui ne compte pas parmi les plus gros pollueurs, et qui fait partie des meilleurs élèves, bien qu'il reste de nombreux progrès à accomplir. Aussi nous devons répondre aux attentes des entreprises, qui demandent des solutions pour participer à la transition sans mettre en danger leur compétitivité.
Je souhaite également répondre à monsieur Favreau à propos des transports, en soulignant qu'en la matière des alternatives décarbonées existent et sont susceptibles de favoriser la transition, par exemple le transport maritime à voile.
M. Olivier Rietmann, président. - Je rappelle en effet que le transport est une des principales sources d'émissions de GES. Je disais précédemment que la France produit 0,9 % des émissions mondiales de carbone, mais si l'on y ajoute le carbone importé, alors cette part double.
M. Simon Uzenat, rapporteur. - Je voudrais rappeler, en réponse à l'intervention de monsieur Favreau, en quoi consiste l'objectif de décarbonation à l'horizon 2050. Il n'est pas question de ne plus émettre de carbone, mais d'atteindre une neutralité, c'est-à-dire un équilibre entre le carbone capté et séquestré, et les émissions produites malgré les évolutions technologiques et les efforts de sobriété.
Madame Devésa évoquait le transport maritime à voile. Airbus, qui recourt au transport maritime dans sa chaîne de production, travaille sur ce sujet, qui implique de l'innovation et des emplois. Parler de compétitivité carbone, comme nous le faisons dans le rapport, c'est entériner l'idée que la compétitivité par les prix n'a plus de sens désormais, ni économiquement ni sur le plan environnemental. La compétitivité carbone, au contraire, devient la nouvelle forme de la compétition à l'échelle européenne et mondiale. C'est pourquoi il importe de donner les moyens à nos TPE, PME et ETI de devenir compétitives dans ce domaine. Des entreprises chinoises ou indiennes, aujourd'hui plus vertueuses que les nôtres en matière environnementale, seront demain les mieux armées pour conquérir des marchés chez nous.
Nos propositions, notamment la facturation carbone et les dividendes climat, prennent en compte l'inextricabilité de la logique financière et de la logique de la transition. Il n'est plus possible de penser à l'une sans penser à l'autre, et c'est la réalité dans laquelle évoluent nos entreprises, au-delà de la directive CSRD. Nous avons rencontré des chefs d'entreprises membres de la Convention des entreprises pour le climat, qui nous ont confié ne plus seulement raisonner en termes de hausse du chiffre d'affaires, mais conjuguer aux objectifs financiers des objectifs environnementaux.
Tout en ayant conscience des contraintes budgétaires, je reste convaincu que les investissements réalisés au titre de la décarbonation doivent sortir du cadre européen tel qu'il est fixé en matière de déficit et de dette, parce que le coût de l'inaction climatique est trop élevé. Si demain nous n'agissons pas, nos entreprises mourront. Dès lors, il convient de continuer à mobiliser les moyens de l'État, tout en se montrant très exigeant sur le contrôle de l'efficacité de la dépense publique.
Je rejoins les propos de monsieur Gontard sur l'impératif de ne pas faire de la décarbonation le seul prisme de la transition. Celle-ci concerne de nombreux aspects, tels que l'eau ou l'énergie. Sur ce dernier point, je rappelle que nous ne sommes pas indépendants pour l'énergie nucléaire, et que la filière doit se moderniser pour gagner en plus efficacité. Il a fallu plus de dix ans au parc éolien marin de Saint-Brieuc pour produire ses premiers électrons, quand d'autres pays ont su mettre en place une production bien plus rapidement.
Enfin, pour répondre à madame Martin, je ne vois pas de contradiction entre les recommandations 13 et 14 du rapport, parce que l'enjeu consiste à évaluer de quelle manière la commande publique peut contribuer à la relocalisation des emplois. L'objectif est d'enclencher un cercle vertueux à la faveur de critères plus exigeants dans la commande publique, de former l'ambition la plus haute au niveau national comme au niveau local, et que les entreprises soient encouragées à s'investir. Je concède que la formulation des recommandations pourrait être revue, mais toutes sont alignées vers le même objectif.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci à tous, il me reste à mettre aux voix l'adoption de ce rapport.
La délégation sénatoriale aux Entreprises adopte le rapport à l'unanimité et en autorise la publication.
COMPTE RENDU DES RÉUNIONS DE LA DÉLÉGATION
I. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 15 MAI 2024
Réunion plénière avec la délégation sénatoriale aux outre-mer - échange sur le déplacement aux Antilles de la mission « Entreprises et climat » de la délégation aux entreprises et sur les défis des entreprises en outre-mer
M. Olivier Rietmann, président. - Je me réjouis de cette réunion organisée conjointement par nos deux délégations. Nous avons beaucoup de sujets communs tant les défis sont nombreux pour les entreprises dans les outre-mer. Nous avions d'ailleurs apprécié la dernière réunion commune de nos deux délégations, en mai 2023, sur le thème de l'emploi des jeunes et de l'entrepreneuriat dans les territoires ultramarins.
Nous sommes aujourd'hui réunis pour échanger sur la vie économique, et plus précisément les défis des entreprises, dans les outre-mer, en débutant par le compte rendu de nos trois collègues Lauriane Josende, Brigitte Devésa et Simon Uzenat, que j'ai accompagnés lors de leur déplacement en Martinique et Guadeloupe du 22 au 26 avril derniers.
Les visites de terrain dans ces territoires ont semblé particulièrement pertinentes pour leurs travaux dans le cadre de la mission d'information « Entreprises et climat ». Les enjeux sont multiples et les entreprises doivent s'adapter avec résilience et détermination à l'évolution des contraintes climatiques.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation aux outre-mer. - Avant tout, je souhaiterais que nous ayons une pensée particulière pour nos amis de Nouvelle-Calédonie qui vivent des moments extrêmement difficiles. Nous sommes dans une situation très grave et nous déplorons malheureusement quatre morts.
Notre collègue Naturel, qui devait participer à cette réunion, vous prie d'excuser son absence. Il se consacre sur place à la recherche de solutions allant vers l'apaisement et la sécurité de nos compatriotes.
Je tiens à remercier la délégation aux Entreprises, et tout particulièrement son président Olivier Rietmann, pour cette réunion conjointe qui nous permet de partager nos réflexions sur une thématique pleinement d'actualité, le réchauffement climatique analysé sous l'angle des entreprises, en l'occurrence des entreprises ultramarines. En effet, les territoires ultramarins sont en première ligne face au dérèglement climatique.
Je tiens à saluer votre démarche puisque vous avez tenu à examiner la situation particulière des outre-mer, et à vous rendre personnellement aux Antilles. La mission de la délégation aux outre-mer que j'ai conduite aux Antilles avec les deux rapporteurs de notre étude sur l'adaptation des modes d'action de l'État, Philippe Bas et Victorin Lurel, en avril dernier, a précédé d'une semaine celle que vous avez vous-même menée en Martinique et en Guadeloupe.
Nous sommes donc impatients de recueillir votre diagnostic sur ce que vous avez vu et appris sur le terrain. Je note que nous sommes particulièrement nombreux pour vous entendre et partager nos points de vue.
Je me félicite de nos liens étroits et réguliers. Nous avons déjà pu travailler ensemble de manière fructueuse par le passé, sur les thèmes du recrutement pour les entreprises ultramarines et de l'attractivité des emplois dans nos territoires. Je rappelle que trois de nos collègues sont membres de nos deux délégations et sont en quelque sorte nos « référents » directs : Dominique Théophile, Catherine Conconne et Stéphane Fouassin.
Les économies ultramarines sont confrontées à des fragilités structurelles (insularité, éloignement, étroitesse des marchés, etc.), accentuées par certaines difficultés, comme une forte dépendance extérieure, des délais de paiement traditionnellement importants ou encore un tissu entrepreneurial composé essentiellement de petites, voire de très petites entreprises.
À la suite de la crise liée à la pandémie de Covid-19, sous l'impulsion du président Michel Magras, notre délégation s'était penchée sur « l'urgence économique outre-mer », en proposant que la sortie de crise soit l'opportunité de promouvoir un nouveau modèle de développement, plus résilient, davantage tourné vers l'économie verte et bleue, pour lequel les outre-mer pourraient faire figure de territoires pionniers.
Trois ans plus tard, cette rencontre est l'occasion de faire un point d'étape : le choix de cette thématique est opportun, car chacun observe que la situation conjoncturelle se dégrade. Depuis quelques mois, les défaillances d'entreprises sont en augmentation et les tensions sont particulièrement fortes dans les secteurs comme la construction et le commerce.
Je suis convaincue que cette réunion commune nous permettra un échange et un enrichissement mutuel, mais aussi de tracer des perspectives pour nos chefs d'entreprise, qu'ils soient hexagonaux ou ultramarins.
M. Olivier Rietmann, président. - La parole est aux rapporteurs de la mission « Entreprises et climat ».
Mme Lauriane Josende, rapporteure de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Ce déplacement en Martinique et Guadeloupe du 22 au 26 avril nous a permis de rencontrer deux dizaines de dirigeants de PME, et de dialoguer, dans les deux départements, avec les diverses organisations d'employeurs, ainsi qu'en Guadeloupe, avec les représentants des filières du BTP et du secteur touristique.
Ce séjour s'est déroulé pendant un épisode de « brume de sable », pollution de l'air lié aux sables du Sahara, lesquels n'impactent pas uniquement l'Europe. C'est un exemple concret, visible, du caractère mondial de notre sujet ! Ce déplacement nous permettra d'illustrer, avec des cas pratiques, les interactions entre entreprises et climat, et d'évaluer les politiques publiques d'accompagnement des entreprises dans leur transition environnementale.
La Martinique et la Guadeloupe sont exposées en première ligne aux impacts du changement climatique. Il s'agit principalement de la montée des eaux, qui provoque un fort recul du trait de côte, jusqu'à un mètre par an dans certains endroits, et de l'intensité croissante des pluies ou des cyclones. Ainsi, l'entreprise Klingele à Baillif, en Guadeloupe, première industrie du département et seule cartonnerie des Antilles, a subi la tempête tropicale Fiona en septembre 2022, avec une inondation qui a ravagé l'usine de 3 500 mètres carrés. Elle a pu maintenir 80 % de son chiffre d'affaires grâce à neuf mois d'importation de cartons, 40 % plus chers, afin de garder ses clients. Les pertes se sont élevées à 11 millions d'euros et l'entreprise attend un remboursement des assurances à hauteur de 5 ou 6 millions d'euros. Si elle n'était pas adossée à un groupe allemand, elle n'aurait pas survécu. Elle projette de déménager, car les assurances demandent de rehausser de 80 centimètres le sol du site actuel, ce qui est impossible, et de financer une digue de protection du littoral sur 1,5 kilomètre, ce qui est également hors de portée. On mesure les enjeux pour cette entreprise qui souhaite s'inscrire dans une démarche durable : le carton est fabriqué à partir de 70 % de matière recyclable, et est ensuite recyclé à 100 %, sans aucun produit chimique. Elle n'utilise pas de résine pour renforcer le carton, mais de la colle à l'amidon de maïs ou de blé. Elle utilise par ailleurs de l'encre à l'eau.
D'autres zones à fort potentiel économique sont menacées : la zone industrielle du Jarry à Pointe à Pitre ou encore la plage de Sainte Anne.
Nous évoquerons la question de l'assurabilité des entreprises lors d'une audition ultérieure de France Assurance. En effet, le coût des aléas climatiques pris en charge par les assurances pourrait doubler d'ici 2050, passant de 73 à 143 milliards d'euros. Le régime public des catastrophes naturelles, créé en 1982, est en déficit, alors que les dommages couverts vont augmenter de 40 à 60 % d'ici 2050. Si ces dommages ont une fréquence trop élevée, les biens seront inassurables, avec une franchise insupportable. Le rapport Langreney, remis le 2 avril dernier, préconise ainsi l'indexation automatique de la surprime « cat-nat » (catastrophes naturelles) pour suivre l'« inflation climatique ».
Cela rend d'autant plus critique la situation de ces départements. L'élévation du niveau des mers provoquée par le réchauffement climatique conduit à des intrusions salines rendant certaines nappes phréatiques impropres à la consommation. Nous avons été stupéfaits de l'ampleur de la crise de l'eau - et sans accès à l'eau, beaucoup d'entreprises ne peuvent simplement pas fonctionner. 98 % de la population locale boit de l'eau en bouteille, alors que le revenu moyen est de 500 euros par habitant. Ces deux départements bénéficient pourtant d'une pluviosité abondante. Les « tours d'eau », distribution intermittente ou alternée d'eau potable par zone géographique, les factures démesurées liées à des fuites ou à des « compteurs bloqués », l'absence de dialogue de la part des gestionnaires, provoquent un sentiment justifié de colère de la population comme des entreprises.
La question de l'accès à l'eau et à l'assainissement a été largement mise en avant lors des Assises des outre-mer, qui en ont fait une priorité des pouvoirs publics. Selon le président du MEDEF de Guadeloupe, « les coupures d'eau intempestives sont récurrentes » alors que le « plan eau Guadeloupe 2022 » avait pour objectif, dans « une première phase d'urgence », la suppression des « tours d'eau » dans un délai de 24 mois. L'État finance d'importants investissements, actuellement de l'ordre de 70 millions d'euros par an, mais cette somme est dispersée dans les différentes collectivités ultramarines et n'est pas à la hauteur des enjeux.
En Guadeloupe, le départ de Veolia, qui n'a pas suffisamment entretenu le réseau pendant vingt ans, sans que l'État ne s'en émeuve, a été catastrophique. Désemparées, les collectivités locales ont repris la gestion en régie, désormais unifiée. Elles doivent par ailleurs affronter la crise sanitaire de la chlordécone. Fuites des réseaux, stockage de l'eau de pluie en citernes abandonnées, impayés accumulés, branchements illégaux, absence de factures pour les entreprises qui les réclament : l'état des lieux est inquiétant.
Ni la création d'un syndicat mixte unifié dans les deux départements ni la subvention annuelle de l'État (20 millions d'euros en Guadeloupe) ne semblent suffisantes pour assumer les 800 millions d'euros de travaux à réaliser, d'autant que des embauches massives et excessives handicapent structurellement la gestion de ces syndicats.
La situation est pire encore pour l'assainissement. Sur 25 stations d'épuration financées par les aides européennes du fonds européen de développement régional (FEDER), seules 3 fonctionnent. Des stations neuves n'ont jamais fonctionné. Les eaux usées ne sont pas traitées et du corail meurt. La situation sanitaire se dégrade. Si l'écosystème et la biodiversité locale sont atteints, c'est l'attrait touristique qui sera menacé. Pour le MEDEF, « la situation est gravissime. Il faut en faire un chantier prioritaire et investir un milliard d'euros ». C'est le prix à payer pour atteindre le retour à une situation normale de l'eau en Guadeloupe, pour tous, sous 5 ans, avec un schéma quinquennal d'investissement, comme le promet le Livre bleu outre-mer de 2018. Mais, faute de financements appropriés, force est de reconnaître qu'en cinq ans, on ne constate aucun retour à la normale. Si ce financement était mobilisé, encore faudrait-il qu'il profite aux entreprises locales. Or, certains laissent entendre que les entreprises guadeloupéennes ou martiniquaises ne sont pas capables de répondre aux appels d'offres et qu'il faut faire appel à des multinationales du secteur du BTP.
J'ai longuement évoqué ce sujet de l'eau, sujet traité par ailleurs par le Conseil économique social et environnemental (CESE), car il résonne avec la situation de mon département, les Pyrénées Orientales. Comme la délégation aux entreprises l'a constaté lors d'un déplacement le 1er février dernier, la sécheresse y sévit. Depuis deux ans, la pluviométrie y est comparable à celle enregistrée dans certains pays du Sahel. Il pleut davantage à Marrakech qu'à Perpignan, même si nous avons la chance d'avoir enfin eu un peu de pluie ces derniers jours. Un arrêté de crise et des restrictions d'usage de l'eau sont en vigueur depuis plus d'un an. Des filières économiques, notamment agri-viticoles sont menacées. Pourtant, des entreprises, comme nous l'avons vu lors de ce déplacement, font d'importants efforts pour recycler l'eau et diminuer drastiquement leur consommation. L'eau reste néanmoins indispensable à l'activité économique.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Je remercie le Président qui nous a accordé sa confiance en nous nommant rapporteurs de cette mission d'information « Entreprises et climat ». La transition écologique et l'environnement étaient des sujets que je méconnaissais : nous apprenons énormément depuis le début de nos auditions.
Le réchauffement climatique provoque également le développement des algues sargasses, ce sont des algues brunes dites holopélagiques, qui s'échouent épisodiquement de façon plus ou moins massive sur les côtes antillaises et guyanaises depuis 2011. Elles présentent, au-delà d'un certain seuil, un risque sanitaire.
Nous avons visité l'entreprise martiniquaise Master Salad, dont le fondateur est un ancien militaire. Il lui a fallu deux ans pour trouver le foncier nécessaire à son activité, en l'occurrence un ancien entrepôt de bananes. Cela illustre les conclusions du récent rapport de nos collègues de la délégation aux outre-mer, Vivette Lopez et Thani Mohamed Soilihi, consacré au foncier agricole en outre-mer. Comme le chef d'entreprise percevait à l'époque le revenu de solidarité active (RSA), les banques locales lui ont refusé un prêt bancaire de 3,5 millions d'euros, qu'il a finalement obtenu d'une banque à Marseille. Il s'approvisionne localement en salades, mais il n'échappe pas aux actes de jalousie ou de malveillance. Mais les quantités produites localement ne suffisent pas : il importe donc depuis l'Espagne, s'étant diversifié dans les crudités, les sauces et le fromage, et travaille dans l'Hexagone avec la Laiterie Gilbert. L'entreprise emploie 15 salariés qui emballent 1 tonne de salade par jour.
Il nous a signalé deux difficultés majeures. La première est de trouver une main d'oeuvre qui a le goût de l'effort. Dans un département où sévit le chômage, comment comprendre qu'il ne puisse trouver les salariés pour vendre du fromage à la coupe pour un salaire mensuel de 2 500 euros bruts ? Il n'a ainsi pas pu ouvrir un restaurant, avec 21 emplois à la clé, faute de trouver un gérant qu'il aurait pourtant payé 75 000 euros par an. Je rappelle que le coût de la vie dans ces départements est de 40 % supérieur à celui de l'Hexagone. La deuxième difficulté tient aux retards de paiement des collectivités publiques, qui peuvent atteindre huit mois, voire plus, et ont été évoqués par de multiples interlocuteurs. L'entreprise attend toujours le règlement d'une facture en date de septembre 2023. Sa décision, radicale, est de ne plus répondre aux appels d'offres des cantines communales, sauf à ceux de la seule cantine qui règle à temps.
La « déprise démographique » de ces départements a également été évoquée par le dirigeant du groupe Citadelle, opérateur de mobilités dans les Antilles, avec lequel nous avons eu un entretien. Il a fait part de ses vives inquiétudes sur le dépeuplement et le vieillissement accélérés. La Martinique et la Guadeloupe connaissent en effet le rythme de dépeuplement le plus rapide de France, selon l'Insee, supérieur à celui de la Meuse ou de la Haute-Marne, avec un solde migratoire et naturel négatif depuis 2020, et le vieillissement le plus rapide de France.
Les économies ultramarines ont une empreinte carbone élevée. Le mix électrique est très dépendant d'énergies fossiles, en raison de l'absence de production nucléaire et du retard de développement des énergies renouvelables. La dépendance aux importations pour un très grand nombre de fournitures ajoute à cette empreinte. Enfin, les sociétés ultramarines sont très dépendantes de transports émetteurs de CO2 : la voiture, excessivement présente faute de transports en commun, le bateau pour les approvisionnements, l'avion tant pour l'activité touristique que pour les déplacements de la population.
Nous avons ensuite visité la seule raffinerie française des Antilles à la pointe du Jarry, la Société anonyme de raffinerie des Antilles (SARA). Première entreprise antillaise à mission depuis 2023, elle est un acteur majeur de l'économie des Antilles. Afin d'optimiser le raffinage en fonction de la structure du marché et de la consommation locale, l'entreprise s'approvisionne aux États Unis, désormais premier producteur mondial de pétrole, et en mer du Nord. Son objectif de décarbonation est de passer de 123 000 tonnes de GES aujourd'hui à 86 000 tonnes en 2030, grâce à des procédés d'amélioration de l'efficacité énergétique. Plus grosse consommatrice d'eau de l'île, elle s'approvisionne désormais en mer, permettant ainsi d'alléger significativement ses prélèvements sur le réseau.
La décarbonation totale paraît hors d'atteinte. D'une part, la production d'hydrogène vert semble hors de portée, même avec des subventions importantes. D'autre part, la biomasse est convoitée pour d'autres usages, les procédés sont encore expérimentaux et la visibilité temporelle des investissements est trop incertaine.
La transition énergétique dans cette zone doit donc passer par le développement du mix énergétique. En Martinique, les énergies renouvelables ne représentaient que 6 % du mix énergétique en 2017, mais 27 % en 2022, notamment grâce au recours croissant à l'énergie solaire. Le photovoltaïque présente donc un large potentiel de développement, le taux d'ensoleillement moyen y étant de 2 400 heures par an, contre 1 850 heures à Paris.
Nous avons visité Systeko, en Martinique, qui intervient sur toute la chaîne de valeur- de la construction à la maintenance - des installations photovoltaïques, importées de Chine. De 15 millions d'euros en 2017, son chiffre d'affaires a cru à 22 millions d'euros en 2023. Cette hausse de 40 % s'explique par le développement de l'injection dans le réseau électrique de la production photovoltaïque Ce chiffre d'affaires est réalisé, soit par location de la toiture, soit par vente directe, laquelle représente 90 % de son activité contre 10 % seulement pour la location.
L'entreprise se heurte aux difficultés techniques du raccordement au réseau EDF. Alors qu'il suffit de trois semaines pour installer des panneaux, le raccordement peut prendre trois ans. Comme le modèle dominant est la location, c'est l'entreprise qui règle les loyers aux propriétaires à la place d'EDF. Les territoires antillo-guyanais constituent des zones non interconnectées (ZNI) au réseau électrique hexagonal, ils doivent donc produire et distribuer localement l'électricité nécessaire à leur consommation.
Nous avons ici l'illustration concrète des causes du retard de la France dans l'atteinte de ses objectifs d'énergies renouvelables (EnR) électriques. Avec 28 % de part des EnR dans sa consommation d'électricité en 2022, la France dépasse enfin le seuil des 27 %, qui était son objectif à fin 2020, mais ne suit toujours pas sur la trajectoire qui lui permettra d'atteindre les 40 % visés fin 2030.
Ce taux est désormais inaccessible. En Martinique, le schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE) ambitionnait une production d'énergie renouvelable représentant 58 % de l'énergie produite à l'horizon 2023. Le retard est de plus de trente points. Or, seul « un développement massif des énergies vertes, localement, au niveau des territoires, reste la clé de la décarbonation et permet de sécuriser en partie notre approvisionnement énergétique » comme le clame la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Autrement dit, le développement du photovoltaïque doit s'effectuer au même rythme que le développement du réseau électrique.
Les causes du retard sont connues. D'abord, les procédures et demandes d'autorisations pour les projets d'EnR étaient très longues même si elles ont été récemment accélérées. Ensuite, les politiques nationales à l'égard des énergies renouvelables manquent d'engagement. Enfin et surtout, les nouveaux projets - éoliens en particulier - provoquent localement des levées de boucliers. Nous avons appris le blocage d'éoliennes en mer en raison de conflits relatifs aux zones de pêche, en lien avec l'impact sur la biodiversité ou aux nuisances dues à leur acheminement en partie terrestre (comme à Grand'Rivière en Martinique). Pour les éoliennes terrestres, on rencontre les mêmes difficultés d'acceptabilité sociale que dans l'Hexagone. Malgré des retards importants, 10 000 foyers martiniquais sont alimentés depuis février 2020 en électricité grâce au vent.
La décarbonation conduit à l'électrification de nos filières économiques. Mais un important travail de synchronisation reste à réaliser, ce qui suppose une programmation mieux articulée pour développer la consommation électrique. Ainsi, si l'on impose aux loueurs de voitures de proposer 25 % de véhicules électriques, il faut proposer dans le même temps un nombre de bornes suffisant ainsi que la puissance électrique adaptée, ce qui n'est pas le cas actuellement.
M. Simon Uzenat, rapporteur de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Je remercie le président Olivier Rietmann de nous avoir accompagné dans cette visite de terrain. C'était mon premier déplacement en Martinique et en Guadeloupe, et il a été riche d'enseignements. Nous sommes tous d'accord : ces territoires ont vocation à être les premiers en matière d'adaptation au changement climatique et d'innovation dans le secteur économique pour y faire face.
La première illustration est l'entreprise Top Caraïbes, qui importe de l'acier européen produit par Arcelor Mittal pour réaliser les toits en tôle qui couvrent 95 % des habitations aux Antilles. Le marché est cependant étroit et le retour sur investissement est long, d'autant que la durée de vie de ces toitures a été divisée par deux avec l'abandon de produits interdits comme le plomb. Par ailleurs, le coût de la matière première a augmenté de 85 %, alors que le prix facturé au client n'a augmenté que de 60 %, parce que le secteur est très concurrentiel. On recense six entreprises en Guadeloupe contre quatre à La Réunion, alors que le nombre d'habitants y est bien supérieur.
Je rappelle également l'importance des événements climatiques comme les cyclones, qui sont très fréquents. Nous en avons eu l'illustration avec Irma à Saint Martin en 2017 qui a nécessité un renouvellement massif des toitures.
Dans la continuité des propos de ma collègue Brigitte Devésa, je pointe le retard d'un certain nombre d'opérateurs, notamment EDF, qui a conduit l'entreprise à attendre son raccordement en Guadeloupe, le poste d'alimentation étant considéré incompatible, alors qu'il avait pourtant été validé par EDF en Martinique. L'entreprise a dû utiliser un groupe électrogène pendant plusieurs mois !
Cette même entreprise a connu une coupure d'eau brutale en pleine journée, parce qu'elle avait mal rempli un formulaire administratif, sans que le gestionnaire d'eau ne la contacte pour régulariser la situation. Elle a dû batailler pour rétablir l'alimentation. L'entreprise cherche à augmenter son autonomie, avec la récupération de l'eau de pluie notamment, mais si celle-ci lui permet de faire face à des aléas momentanés, elle ne lui permet pas de compenser des ruptures d'alimentation durables.
Cette entreprise est innovante et propose notamment des toitures intégrant une isolation thermique. Toutefois, celles-ci ne bénéficient pas d'aides plus importantes que les toitures sans isolation. Les toitures foncées, qui concentrent les rayons du soleil, élèvent la chaleur dans les habitations et donc augmentent le recours à la climatisation très énergivore, sont aidées de la même façon que les toitures plus claires qui présentent pourtant des avantages pour lutter contre le réchauffement climatique : ce sont là pour nous des aberrations.
En termes de recyclage, l'entreprise est contrainte de réexpédier dans l'Hexagone les chutes d'acier issues de sa production, l'entreprise locale, la Société nouvelle de récupération de Guadeloupe, ne valorisant pas l'acier recyclé. Il nous semble que des solutions pourraient être mises en oeuvre assez simplement.
Le deuxième exemple emblématique est celui d'Emerwall, jeune start up créée en 2021. Elle propose des isolants acoustiques et thermiques écoresponsables à base de bagasse, notamment son produit phare dénommé « Emerflex ». Elle valorise ainsi une petite partie du sous-produit de la distillerie martiniquaise. Ces isolants répondent aux obligations de la réglementation environnementale « RE 2020 », même si cette réglementation n'est pas pour l'instant déclinée de manière spécifique pour les territoires ultramarins. La bagasse est également recherchée pour son potentiel énergétique, en tant que biomasse. Cette solution d'isolation permet de limiter le recours aux systèmes de climatisation, et substitue un produit local aux laines de verre ou aux laines de roche importées, certes à des prix inférieurs, mais avec un impact carbone beaucoup plus important.
L'entreprise Gazdom a été créée en 2015 en Martinique. Elle est spécialisée dans la fabrication, le conditionnement et la distribution de gaz industriels et de fluides frigorigènes. Son activité est bien sûr très dynamique sur des territoires qui connaissent des températures élevées. Elle propose une gamme complète de produits pour l'automobile, l'agroalimentaire ou la plongée. L'utilisation de ces produits, notamment par les automobiles, appelle à une vigilance particulière pour éviter les fuites de gaz réfrigérants, très émetteurs de GES. Ils sont 10 000 fois plus nocifs que le CO2 ! On constate également des trafics illégaux de gaz réfrigérants qui ne sont pas aux normes et ne sont pas adaptés aux systèmes de réfrigération, ce qui augmente le risque de fuites préjudiciables pour le climat.
Nous avons enfin rencontré deux filières essentielles pour le développement économique des territoires antillais : celles du BTP et du tourisme.
Nos interlocuteurs du secteur du BTP ont déploré la baisse des investissements publics. Ils s'inquiètent de la diminution de la population et des nouvelles obligations liées à la « RE 2020 ».
Un enjeu central est celui des problèmes de recrutement et de formation, qui nous ont souvent été signalés, notamment à cause d'un manque de soutien public local. Par exemple, les centres de formation ne disposent pas de plateaux techniques, ce qui conduit les jeunes à partir se former dans l'Hexagone. Les entreprises ont pris leurs responsabilités et ont créé un centre de formation d'apprentis (CFA). Mais dans certains cas, cela ne suffit pas : par exemple, Top Caraïbes nous signale qu'elle ne peut pas former localement des conducteurs d'engins à pilotage latéral, ce qui requiert un certificat d'aptitude à la conduite en sécurité (CACES) particulier.
Cependant, il y a des besoins d'infrastructures, notamment en matière de traitement des déchets. Nous déplorons que les délégations de service public pour les usines en projet aient été annulées.
La défiscalisation de la construction n'est pratiquement plus utilisée, parce que les services du ministère de l'Économie et des finances tardent trop à instruire les dossiers. Les délais administratifs sont régulièrement pointés du doigt. Les représentants de l'État dans les territoires sont de bonne volonté, mais ils n'ont pas les moyens d'agir à la hauteur des attentes des entreprises.
Par ailleurs, l'augmentation des délais de paiement est très préoccupante. C'est d'autant plus incompréhensible que les collectivités locales tardent plusieurs mois à régler leurs factures, mais exigent des entreprises candidates aux marchés publics qu'elles soient à jour de leurs paiements ! On attend des entreprises qu'elles deviennent les banquiers des collectivités locales. C'est un problème qui semble pourtant assez facile à régler et qui permettrait aux entreprises de tenir le coup. Certaines craignent de devoir licencier une partie de leur personnel si elles ne sont pas payées rapidement.
Nous avons rencontré la Fédération du tourisme et des restaurateurs et l'Union des métiers de l'industrie hôtelière de Guadeloupe. Il me semble que nous avons contribué à créer des liens entre ces deux acteurs qui se parlaient peu. 75 % du tourisme de Guadeloupe est concentré dans la « Riviera du Levant » (la communauté d'agglomération regroupant les villes de la Désirade, du Gosier, de Sainte Anne et de Saint François), confrontée au recul du trait de côte. Ces acteurs s'inquiètent des impacts du surtourisme sur leur territoire.
Ils demandent une simplification du millefeuille administratif. L'empilement des échelons et des responsabilités ainsi que les moyens insuffisants des intercommunalités constituent des freins à leur activité.
Depuis 2000, la Guadeloupe a enregistré la fermeture de nombreux hôtels entraînant une diminution d'environ 40 % du nombre de chambres, soit un peu plus de 2 000 chambres au total. L'industrie touristique représente actuellement 30 % du PIB antillais et souhaiterait atteindre 60 %. Cependant, elle veut accueillir moins et accueillir mieux. Le tourisme de masse et le « tourisme sandwich », notamment sous la forme des escales des bateaux de croisière, amènent des flots de visiteurs qui consomment peu, mais abîment les écosystèmes locaux.
Nous avons évoqué le « slow tourism ». L'un de nos interlocuteurs nous a indiqué souhaiter que le séjour des touristes soit zéro carbone dès lors qu'ils posent le pied sur l'île. Cela pourrait passer par le développement du vélo, mais on ne compte que 700 mètres de pistes cyclables en Guadeloupe.
La taxe touristique n'est aujourd'hui pas mutualisée : son affectation devrait être revue.
Nous n'avons pas pu visiter l'entreprise Myditek en raison d'un barrage routier des producteurs de canne à sucre. Elle propose aux exploitants agricoles des solutions numériques pour le pilotage de la production.
Ce barrage routier témoigne de la très forte conflictualité sociale qui existe dans les territoires antillais, nourrie par des inégalités ressenties comme insupportables, avec d'un côté les fonctionnaires et les cadres du secteur privé, plutôt bien rémunérés, ou ceux qui bénéficient de rentes de situation, et de l'autre de nombreuses personnes en situation de précarité qui subissent les affres de la vie chère.
La balance commerciale est très déficitaire. Le taux de couverture - c'est-à-dire le ratio entre la valeur des importations et celle des exportations - est seulement de 8,7 % en Martinique et de 11 % en Guadeloupe. Nous avons identifié des marges de progression, notamment sur l'alimentation et les monocultures. Sur les 232,9 millions d'euros de produits exportés par la Martinique, 70 millions d'euros proviennent des ventes de banane.
M. Olivier Rietmann, président. - Je remercie les trois rapporteurs pour leur implication dans les travaux de la mission d'information et cet excellent compte-rendu de notre déplacement.
Les retards de paiement des collectivités territoriales sont tels que les entreprises qui travaillent pour elles ne paient plus leurs charges, afin de conserver leur trésorerie et de continuer à investir. Lorsqu'elles reçoivent les rappels de charges et les pénalités correspondantes, elles répondent en envoyant les factures impayées des collectivités et en invitant leurs créanciers à se tourner vers ces collectivités.
Nous avons également rencontré le patron du RAID à Fort de France et qui nous a fait part d'un certain nombre de dysfonctionnements.
Le RAID n'intervient pas seulement, comme dans l'Hexagone, sur des situations terroristes ou très dangereuses. Il intervient sur toutes les interpellations. Celles-ci sont beaucoup plus dangereuses que dans l'Hexagone, parce que de nombreuses armes circulent sur le territoire. Ces interventions se déroulent aussi bien sur terre qu'en mer, en lien étroit avec les douanes.
Le bâtiment dans lequel il est installé ne correspond pas aux besoins. Plus de 600 000 euros ont été investis dans sa rénovation sans que les équipes soient interrogées sur leurs attentes. Ainsi, si le bâtiment compte plusieurs portes métalliques blindées, ce n'est pas le cas dans l'armurerie qui contient pourtant un arsenal très important !
Les visites de terrain sont « l'ADN » de la délégation aux Entreprises. En conclusion de ce déplacement, après ces riches discussions avec les acteurs locaux et les dirigeants d'entreprises, nous avons la conviction que la transition énergétique ne concerne pas uniquement les producteurs d'énergie et les gros consommateurs. Elle doit se traduire par la mobilisation des PME, TPE, entreprises individuelles des territoires, tant en matière de consommation que de production. Le rôle des organisations d'employeurs pour la sensibilisation, la formation, l'accompagnement, est ici essentiel. Les collectivités locales doivent avoir un effet d'entraînement dans la transition énergétique, en développant l'équipement de leurs bâtiments en matériel de production photovoltaïque, en constituant des flottes de véhicules électriques et en proposant une offre de mobilités collectives plus conséquente. Elles doivent pouvoir aider davantage les entreprises locales grâce à la commande publique, en renforçant les clauses de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
L'impact climatique est plus fort dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone, ce qui exacerbe les enjeux que nous connaissons dans nos départements : disponibilité du foncier économique, formation de la main d'oeuvre, adaptation des normes aux spécificités de chaque territoire, etc. Les handicaps structurels doivent être compensés par une fiscalité adaptée.
Je donne un exemple de la nécessité d'adaptation des normes, : dans l'Hexagone, les interpellations à domicile ne peuvent pas avoir lieu avant 6 heures du matin. Cet horaire permet aux équipes d'intervention de pouvoir bénéficier de l'obscurité de la nuit. Or en Martinique, il fait déjà grand jour à 6 heures du matin et l'effet de surprise n'existe plus. Il faudrait autoriser les interpellations à domicile dès 5 heures du matin sur ce territoire.
La Martinique et la Guadeloupe disposent de tous les atouts pour devenir des territoires décarbonés, avec un développement durable et responsable. Il appartient à l'État de mobiliser les moyens suffisants, et aux collectivités locales de faire preuve de responsabilité et d'exemplarité afin de montrer la voie de la transition environnementale.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation aux outre-mer. - Les outre-mer sont au coeur des enjeux de différenciation territoriale et d'adaptation normative. Je vous remercie de les avoir appréhendés in situ. De nombreuses règles ne sont en effet pas adaptées aux territoires ultramarins, nous l'avons vu dans le secteur du logement. Il y a des aberrations. L'une de mes premières interventions au cours des débats sur le projet de loi de finances (PLF) concernait la révision des contrats des producteurs d'énergies renouvelables.
Le taux d'ensoleillement de nos territoires est important et l'énergie photovoltaïque devrait y être valorisée. À Saint Barthélemy, malgré la violence des vents de l'ouragan Irma, nous n'avons perdu que 40 % des panneaux photovoltaïques installés, ce qui montre qu'ils peuvent résister à des vents importants s'ils sont correctement fixés.
En matière de formation, les régiments du service militaire adapté (RSMA) réalisent un travail extraordinaire tant en Martinique qu'en Guadeloupe. Ils proposent 70 formations gratifiantes et 82 % des diplômés sont embauchés rapidement par des entreprises. Malheureusement le SMA n'est accessible qu'à partir de 18 ans, alors que l'école n'est obligatoire que jusqu'à 16 ans. Il y a donc une « zone floue » pour les jeunes de 16 à 18 ans qui aboutit à des situations de rupture, certains étant livrés à eux-mêmes dans la rue. Il est ensuite difficile de les réintégrer à 18 ans dans une structure de formation. Dès le collège, il faudrait identifier les jeunes intéressés par des métiers manuels.
Nos territoires sont des riches en innovations, qui peuvent servir de modèle pour résoudre les problèmes que rencontre l'Hexagone, par exemple sur la problématique de l'eau. Certains territoires ont par exemple mis en place des dispositifs de récupération de l'eau de pluie.
M. Olivier Rietmann, président. - Tout n'est pas perdu, nous arrivons à faire avancer certains dossiers. Avec le président Micheline Jacques, nous avions échangé sur l'application de certaines normes en matière de bois de construction. Pour bénéficier de certaines subventions, les entreprises doivent utiliser du bois de construction avec la norme CE. Or, pour que le bois acheté en Guyane bénéficie de cette norme, il fallait qu'il transite par l'Hexagone avant de repartir en Guadeloupe ou en Martinique. Nous avions fait part de ce problème aux autorités compétentes : les constructeurs que nous avons rencontrés au cours de notre déplacement nous ont dit qu'il était résolu et que le bois guyanais bénéficiait désormais de la norme CE sans devoir passer par l'Hexagone.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure de la mission d'information « Entreprises et climat ». - En Guadeloupe et en Martinique, nous avons rencontré des entreprises très attachées à la transition écologique et au développement durable. Elles font face à des difficultés, mais avec un travail commun, nous pourrions améliorer leurs conditions d'activité. Elles sont très réactives. Ainsi, l'entreprise Klingele, qui avait été inondée, a réussi à reprendre rapidement son activité.
En tant que parlementaires, nous devons interpeller le Gouvernement sur les problèmes spécifiques rencontrés par les territoires ultramarins. Il est regrettable que sur des territoires qui bénéficient d'un ensoleillement aussi important, le développement de l'énergie de source photovoltaïque soit parfois entravé.
En raison d'un manque de solutions de formation, certains jeunes sont désoeuvrés. Cette situation est un creuset pour le développement de la violence.
Ces problèmes ne sont pas insurmontables. C'est à travers des comptes-rendus comme celui que nous venons de vous présenter que nous pouvons alerter les autorités compétentes de l'État. Vous avez tout notre soutien !
M. Michel Masset. - Je vous remercie pour cette « photographie » de la réalité ultramarine. Je ne l'imaginais pas aussi difficile.
Quelles doivent être les priorités des parlementaires pour anticiper l'avenir, pour accompagner ces territoires ? Quelles sont les perspectives d'espoir ?
M. Jean-Gérard Paumier. - Je suis sidéré par ce que j'ai entendu sur le manque d'eau et sur les obstacles au développement de l'énergie de source photovoltaïque, dans des îles pourtant ensoleillées.
Les collectivités territoriales de l'Hexagone sont contraintes de payer leurs factures sous vingt jours, sous peine d'astreintes et de pénalités. Les collectivités ultramarines sont-elles soumises à des règles particulières, y-a-t-il moins de contrôles ? Comment est-il acceptable de laisser persister de tels retards de paiement qui pénalisent l'économie locale ?
M. Akli Mellouli. - Vous avez évoqué un besoin d'investissement de l'ordre d'un milliard d'euros pour le secteur de l'eau. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, j'ai porté un amendement modeste de 100 millions d'euros qui a été rejeté. Nous serions bien inspirés de déposer un amendement transpartisan, mobilisant 200 millions d'euros par an pendant cinq ans pour financer la réparation du réseau et régler enfin le problème de l'approvisionnement en eau, qui constitue une catastrophe écologique.
M. Olivier Rietmann, président. - Il semble que Veolia soit parti en laissant derrière-lui un réseau dégradé. Celui-ci a été construit il y a des années et fuit à plus de 50 %. Aucun chantier d'entretien n'a été réalisé.
Parallèlement, sur vingt-cinq stations d'assainissement financées en grande partie par des fonds européens, seules trois ont été mises en service, malgré les sommes très importantes investies.
Je pense qu'il faudra rectifier la situation en fixant un certain nombre de conditions à l'utilisation des sommes investies. Il faudra veiller à ce que les marchés soient attribués à des entreprises locales, mais aussi à ce que l'argent soit bien utilisé pour réaliser des travaux sur le réseau d'eau ou sur le réseau d'assainissement, et non pour payer des salaires supérieurs de 40 % à ceux versés dans l'Hexagone.
La vie dans les territoires ultramarins étant plus chère que dans l'Hexagone, et les fonctionnaires bénéficiant d'une majoration de leur traitement de 40 %, beaucoup d'habitants veulent devenir fonctionnaires plutôt que de travailler pour le privé.
Le rôle d'un syndicat ou d'une collectivité n'est pas uniquement d'embaucher et d'utiliser tous les fonds dont ils disposent pour payer des salaires. Ils doivent les utiliser pour investir et maintenir les infrastructures.
Nous devrons inévitablement mobiliser de nouveaux investissements, mais il faudra être attentifs à l'affectation de ces sommes.
M. Akli Mellouli. - S'il y a de la corruption, il appartient à l'État de prendre ses responsabilités. On ne peut pas prendre en otage toute une population parce que certains feraient une mauvaise utilisation des fonds. L'égalité territoriale doit s'appliquer.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous rejoins, c'est à l'État de prendre ses responsabilités, de poser des conditions et de contrôler.
Comme vient de le dire Jean Gérard Paumier, il n'est pas normal que les collectivités de la Somme ou de Haute Saône soient contraintes de payer leurs factures sous 20 jours, alors que certaines collectivités des outre-mer attendent huit, dix, douze mois ou même dix-huit mois pour les régler. Un chef d'entreprise nous a dit qu'une collectivité lui devait 600 000 euros pour des travaux. Il s'apprête à renoncer à être payé après avoir attendu dix-huit mois, et ne travaillera plus jamais pour elle.
M. Jean-Gérard Paumier. - Il y a pourtant des préfets et des directions générales des Finances publiques (DGFiP) dans tous les territoires.
M. Olivier Rietmann, président. - On nous a dit que les services de l'État faisaient tout ce qu'ils pouvaient.
M. Guillaume Gontard. - Je ne reviens pas sur l'enjeu de l'eau qui est primordial. La situation est dramatique : il faudra agir et trouver des financements. Sur les actions passées, il existe des rapports éclairants de la Cour des comptes. Il faut passer à la vitesse supérieure pour l'avenir.
Certains éléments présentés par les rapporteurs de la délégation aux Entreprises recoupent le rapport que j'avais présenté au nom de la délégation aux outre-mer, avec le président Micheline Jacques et notre collègue Victorin Lurel, concernant la politique du logement dans les outre-mer. Ces territoires subissent de plein fouet le dérèglement climatique et ses conséquences sont beaucoup plus importantes que dans l'Hexagone. Toutes les problématiques auxquelles sont confrontées la Guadeloupe ou la Martinique se retrouvent sur chacun de nos territoires, qu'il s'agisse de la relocalisation, de la réindustrialisation ou de l'utilisation des ressources.
Nous avons tout intérêt à nous y intéresser, parce que nous aurons aussi à y réfléchir dans nos territoires. Nous devons faire de ces territoires ultramarins des territoires pilotes et réfléchir au droit à l'expérimentation, pour leur permettre de « sortir des lignes », peut-être dans le cadre d'une contractualisation avec l'État.
Vous avez parlé du sujet des normes. Certaines réglementations aboutissent à des situations aberrantes, par exemple dans le cas de la certification du bois que vous avez cité. Il va falloir y remédier.
J'ai visité, à La Réunion, le Centre d'innovation et de recherche du bâti tropical (CIRBAT) qui travaille sur des normes spécifiques pour les territoires tropicaux. C'est la bonne manière d'avancer, en mobilisation des moyens pour la recherche.
Le droit à l'expérimentation peut aussi permettre d'avancer en matière de formation.
Enfin, en matière de délais de paiement, je suis intervenu dans mon département, en Isère, pour des problématiques similaires. Les délais de paiement ont un impact sur l'économie. Les entreprises ne sont pas payées suffisamment rapidement en raison de dysfonctionnements de la DGFiP, notamment de la réorganisation des centres de trésorerie sur les départements. Je note d'ailleurs de grandes inquiétudes sur l'avancée de cette réorganisation, puisque nous allons compter deux centres de trésorerie par département. Nous parlons en ce moment de simplification : celle-ci passe aussi par un meilleur service public.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation aux outre-mer. - La problématique de l'eau rejoint celle de l'adaptation normative. Les canalisations posées dans les territoires ultramarins ont été conçues pour l'Hexagone. Les concepteurs des réseaux n'ont pas tenu compte des spécificités des milieux alcalins. Ces canalisations auraient dû durer 70 ans, mais se sont abîmées beaucoup plus vite que prévu en raison de la composition physico chimique des sols, ce que les élus n'ont pas pu anticiper. Ils sont donc confrontés à la casse de ces réseaux.
En matière de masse salariale, il ne faut pas oublier que le contexte est particulier. Après le déclin de la culture de la canne à sucre, les communes ont dû composer avec un fort taux de chômage et une grande pauvreté. Pour sortir de cette situation, elles ont embauché des agents qui ont ainsi pu faire vivre leur famille. Ces embauches produisent des effets de long-terme, parfois sur 30 ans. C'est la volonté des communes de conduire une politique sociale qui a gonflé leur masse salariale, qui pèse aujourd'hui lourdement sur leur budget de fonctionnement et obère leurs capacités d'investissement.
Il y a peu, les fonds européens n'étaient pas orientés vers l'eau et l'assainissement. Cela a changé. Cependant, les collectivités doivent financer sur leurs fonds propres une partie des projets, mais au regard des sommes en jeu, elles ne disposent pas de ressources suffisantes. Il faudrait trouver des solutions avec le Gouvernement ou Bpifrance, pour permettre à ces collectivités de lancer des chantiers de déploiement des réseaux d'eau ou de mener des travaux d'enfouissement des lignes aériennes. En effet, les ouragans endommagent voire détruisent fréquemment les réseaux. À Saint Barthélemy, qui est un petit territoire, nous avons entrepris l'enfouissement de tous les réseaux depuis 1995.
Je fais confiance aux territoires ultramarins et lorsque je me déplace, je découvre de nombreuses initiatives extraordinaires que nous devons soutenir.
Enfin, en écho à Guillaume Gontard, avec lequel j'ai eu plaisir à travailler dans le cadre du rapport sur la politique du logement outre-mer, j'aimerais dire que des solutions existent. Les Assises de la construction durable en outre-mer ont été lancées. Il appartient au législateur de veiller à ne plus enfermer nos territoires dans un carcan normatif, mais plutôt de leur laisser la possibilité de montrer ce qu'ils savent faire.
Mme Audrey Bélim. -Je suis ravie des nombreuses missions et déplacements conduits dans les outre-mer au sein de notre assemblée, ce que je constate depuis le début de mon mandat. J'ai moi-même fait partie d'une délégation de sénateurs en déplacement à La Réunion et à Mayotte pendant huit jours.
Ce qui ressort de nos territoires ultramarins, c'est que lorsque l'on n'a pas de soutien de l'État, on se débrouille. Au-delà des questions liées au dérèglement climatique et à la transition écologique, les territoires ont besoin de soutien. Il en va de la protection physique des populations.
Ce qui est important, c'est soutien et le projet de l'État pour les outre-mer. En Guyane, l'État a installé les activités du groupe Ariane. Ariane c'est l'aérospatial, le savoir-faire français, la recherche, etc. Pourtant, les Guyanais sont coupés d'Ariane.
La Réunion dispose d'une forte expertise volcanologique puisque l'un des volcans les plus actifs du monde est situé sur l'île. L'observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise a été installé à La Réunion. De même, une station de référence mondiale sur le changement climatique y est située, l'Observatoire de physique de l'atmosphère de La Réunion. Or, nos populations en sont coupées.
Les missions conduites par le Sénat en outre-mer sont pour nous un relais important, puisque les sénateurs des outre-mer ne sont pas très nombreux.
Nous avons besoin de savoir quel est le projet de l'État pour ses outre-mer. Nous savons ce que nous voulons à La Réunion, nos problématiques sont structurelles. Nous savons que notre tissu économique est petit et fragile. Les élus des Antilles et de Guyane connaissant aussi leurs problèmes. Nous savons où nous voulons aller, nous savons que nous sommes ingénieux, mais nous ne savons pas jusqu'où l'État est prêt à nous accompagner en termes de financements, de compétences, d'ingénierie, etc.
Si nous avions donné aux Français de Guyane la possibilité de faire de ce territoire l'un des plus grands centres de savoir-faire sur l'aérospatial, la Guyane aurait peut-être eu un autre destin.
Aujourd'hui, trois millions de Français vivent dans des régions éloignées. L'un des territoires le plus en danger est Mayotte : nous devons en parler.
J'aime découvrir l'Hexagone, j'ai adoré participer à une réunion « hors les murs » à Marseille, car parce que j'ai besoin de mieux connaître les territoires hexagonaux qui sont aussi les miens, car je suis française. À La Réunion, nous avons besoin que ce désir d'outre-mer se diffuse grâce à vous tous, qu'il soit partagé. Continuez à vous déplacer dans les outre-mer, à prendre nos bonnes idées et à défendre nos besoins.
M. Frédéric Buval. - Votre perception de la situation aux Antilles est très sombre. Je ne m'y suis pas retrouvé. Vous vous êtes peut-être adressés aux mauvaises entreprises.
La Martinique couvre 1 100 km2. Sa population diminue chaque année, nous avons perdu plus de 30 000 habitants en moins de six ans, avec le plus fort vieillissement de France. Alors que l'on comptait dans chaque commune une sucrerie et une distillerie, quand la betterave cultivée dans l'Hexagone est venue concurrencer le sucre antillais, le sort de milliers d'ouvriers agricoles a été compromis. Beaucoup se sont installés à Fort-de-France, et les communes ont joué un rôle de « soupape sociale ». La culture de la canne a été remplacée au moins pour moitié par la culture de la banane. Il ne reste qu'une seule sucrerie, qui est chaque année déficitaire. Sans le soutien des collectivités locales, elle aurait disparu. Nous importons aujourd'hui du sucre, ce qui est difficile à accepter pour la population.
L'industrie est dans les mains de grands groupes qui installent des satellites en Martinique. En matière d'appels d'offres du secteur du BTP, seuls les grands groupes soumissionnent. Aucun petit entrepreneur local ne peut répondre à ces appels d'offres. Dès qu'un grand groupe a remporté un marché, il le sous traite. Les petites entreprises locales n'ont pas les reins suffisamment solides, mais elles acceptent ces marchés de sous-traitance pour survivre.
Vous savez que les communes de la Martinique et de la Guadeloupe sont endettées. Si je ne suis sénateur que depuis septembre 2023, je suis élu local depuis 1983. Je connais donc parfaitement la situation des collectivités en Martinique. Chaque année, celles-ci s'endettent pour investir ou pour entretenir leurs équipements. Ces travaux sont réalisés par de petites entreprises qui n'ont pas les reins assez solides. Dans ma commune, nous investissons depuis 6 ans dans une école aux caractéristiques parasismiques pour un montant cinq millions d'euros. Dans ce cas, il n'y a aucun problème de paiement : les entreprises sont payées parce que l'Agence française de développement (AFD) a préfinancé les travaux. Mais les petites entreprises martiniquaises ne suivent pas et cela risque de mettre certaines collectivités en difficulté.
Je reconnais que certains délais de paiement ne sont pas raisonnables. C'est vrai pour les collectivités territoriales, mais aussi pour l'hôpital qui doit des millions d'euros à des entreprises locales.
Comment l'État vient-il au secours des 34 communes de Martinique ? Seules 4 ou 5 communes bénéficient d'un soutien financier, alors qu'elles en ont toutes besoin. Quand nous en bénéficions, nous devons montrer à l'État que nous faisons des efforts pour réduire la masse salariale. L'endettement de Fort de France est ainsi passé de 6 à 1 million d'euros, car elle a pu bénéficier du dispositif COROM (contrats de redressement outre-mer).
Vous avez présenté les communes comme de mauvais payeurs, mais c'est vrai partout, y compris dans l'Hexagone. Il n'y a pas à en rougir, car nous avons hérité d'un système qui conduit à endetter les communes. C'est ce système qui a été dénoncé par Serge Letchimy, le président du Conseil exécutif, dans l'Appel de Fort de France de 2022. Il a demandé à l'État d'arrêter d'appliquer dans les Antilles les mêmes textes votées à Paris. Cela ne fonctionne plus. Nous voulons que certaines compétences soient dévolues aux collectivités.
Nous restons européens, français, martiniquais, mais nous voulons intégrer la Caraïbe. L'État français nous a permis d'être représentés dans tous les organismes caribéens. Nous avons besoin de développer nos relations commerciales avec les États de la Caraïbe, ce qui est aujourd'hui du ressort unique de l'État français. Nous demandons à la diplomatie française de nous permettre d'avoir des relations normales avec les États caribéens.
Vous avez dressé un tableau assez sombre de la situation, je veux apporter un peu de blanc pour l'éclaircir ! Je ne veux pas que vous laissiez entendre que nous n'aimons pas travailler. Il y a peu de temps que l'État a compris que le problème est la formation des jeunes et qu'il faut l'améliorer.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Je partage votre analyse sur les énergies renouvelables. En tant que sénatrice de La Réunion, je tenais à vous signaler que pour produire une électricité plus verte, nous avons fait le choix d'utiliser des copeaux de bois qui viennent du Canada. Je ne sais pas si l'on peut considérer cela comme plus « vert », mais voilà où les choix réalisés dans l'Hexagone nous ont conduits.
Notre collègue Audrey Bélim a parlé de vulcanologie, le Piton de la Fournaise étant l'un des volcans les plus actifs dans le monde. Nous pourrions étudier les opportunités offertes par la géothermie, mais nous devons auparavant lever des freins réglementaires. On ne peut pas s'appuyer uniquement sur les compétences hexagonales : l'expertise française en géothermie doit se construire depuis les territoires ultramarins et notamment La Réunion.
Vous avez souligné le manque de main d'oeuvre dans des territoires pourtant fortement impactés par le chômage. Il faut relier cette situation au coût de la vie. La vie est très chère, la mobilité compliquée et il est difficile de s'en sortir pour les personnes ayant de très petits salaires. Les bases salariales de l'Hexagone ne suffisent pas chez nous.
Pour inciter les citoyens à aller travailler, il faut qu'ils soient gagnants. Or, il est excessivement cher de se déplacer. Le prix du carburant est très élevé et les réseaux de transport en commun sont insuffisants, en lien là encore avec la réglementation. Nous avons besoin d'aides pour développer des réseaux de transport durable.
Pour lever ces freins et enclencher de grands travaux sur nos territoires, il faut revenir à la base : inciter les gens à se lancer par des salaires attractifs.
M. Simon Uzenat, rapporteur de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Nous avons dessiné un certain nombre de pistes d'actions qui peuvent être utiles aux territoires ultramarins, mais aussi à l'Hexagone et à l'Europe.
J'insiste sur le rôle de la puissance publique et son devoir d'exemplarité à tous points de vue, en matière de délais de paiement, mais aussi dans le choix des aides accordées.
Revenons à l'exemple des toitures. Dans ces territoires confrontés à la hausse des températures, à l'utilisation massive des systèmes de climatisation, l'enjeu est de limiter au maximum la consommation d'énergie en favorisant les toitures qui limitent la pénétration de la chaleur. La puissance publique ne devrait plus investir un euro dans des toitures qui contribuent à réchauffer les habitations. Des entreprises proposent des toitures permettant de diminuer la température de quelques degrés, ce qui se traduirait par un moindre recours à la climatisation et donc à la moindre sollicitation du réseau électrique.
Enfin, il est possible de développer la production d'énergie de source photovoltaïque, mais le réseau n'est aujourd'hui pas dimensionné pour accueillir de nouvelles capacités, y compris des panneaux implantés sur des habitations et utilisés partiellement en autoconsommation. L'énergie produite ne pourrait pas être injectée dans le réseau. Or, aucun investissement n'est prévu pour accroître la capacité du réseau, alors même que Systeko dispose de solutions éprouvées.
En mettant tous les opérateurs autour de la table, en abordant chaque étape dans le bon ordre, des solutions devraient être trouvées rapidement.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Je connais bien la Martinique, y ayant vécu pendant quelques années. Je suis très attachée à ces territoires français.
Des améliorations doivent intervenir, mais notre constat n'est pas aussi sombre que vous l'évoquez.
Il nous a semblé important de vous présenter les entreprises que nous avons visitées et leurs témoignages. Nous aurions pu en voir bien d'autres, mais le temps nous était compté.
Il y a des actions à mener en matière d'énergie de source photovoltaïque, concernant l'eau, etc. Ces difficultés peuvent avoir des impacts sur le secteur du tourisme.
Nous avons voulu mettre l'accent sur des difficultés particulières, mais je reste très positive au regard du potentiel de ces territoires, avec l'ensoleillement, la volonté des entreprises, l'implication de la jeunesse, etc. Il y a urgence à travailler en commun et à demander au Gouvernement de témoigner de son désir d'outre-mer. Nous ne pouvons pas voter des dispositions qui ne sont pas adaptées à ces territoires. Beaucoup reste à faire, par exemple concernant l'enjeu du recul du trait de côte.
Notre rôle en tant que rapporteurs de cette mission d'information est de faire remonter ce qui ne va pas, de vous accompagner et de mettre le Gouvernement face à ses responsabilités.
Mme Lauriane Josende, rapporteure de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Il s'agissait de mon premier déplacement dans les outre-mer et j'ai été « saisie » par ces territoires.
Je suis sénatrice d'un département hexagonal, mais très méridional, les Pyrénées Orientales. Il est touché par de fortes difficultés sociales et politiques, mais aussi climatiques.
Nous aussi demandons à être un territoire d'expérimentation. Que l'État souhaite-t-il faire de nos territoires ? Nous avons des solutions, acteurs publics comme privés ont été innovants face à la sécheresse que nous subissons.
Il existe encore en France cette forme de schizophrénie qui consiste à dire : « on sait, on veut faire, et on peut faire tout seul », mais en même temps, dès que l'on a une idée, on se tourne vers l'État pour qu'il fasse. Il n'en va pas autrement parmi les entreprises : même les acteurs qui contestent souvent l'efficience de l'action publique en appellent à la responsabilité publique et à l'État.
Nous avons besoin d'un État qui s'implique, qui vient au contact de ces territoires et qui s'appuie sur les acteurs locaux, privés et publics, qui connaissant le territoire mieux que personne.
On ne peut plus traiter les problèmes économiques ou climatiques uniformément depuis Paris. Il faut savoir s'adapter aux territoires, qui sont force de proposition. L'État doit aussi se remettre en question s'il veut mieux accompagner ces populations et éviter certaines contestations. Au Sénat, nous avons une parole à porter à cet égard.
Nous avons effectivement été surpris de l'absence d'avancées sur certains dossiers, comme les cahiers des charges des aides ou les normes de construction. J'espère que nous serons de bons porte-paroles de ces difficultés qui vous touchent.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous remercie et donne rendez-vous aux membres de la délégation aux Entreprises demain matin 16 mai à 8h30 pour une audition plénière dans le cadre de la mission « Entreprises et climat », sur le thème « Transition écologique : quelle stratégie pour l'entreprise ? ».
II. COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU 16 MAI
« Quelle stratégie pour la transition écologique des entreprises ? »
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous propose de commencer notre première table ronde sur la stratégie de transition écologique dans nos entreprises. Nous avons aujourd'hui quatre experts parmi nous ; je les remercie d'avoir accepté notre invitation.
Nous entendrons d'abord Monsieur Antoine Pellion, secrétaire général de la planification écologique, conseiller au cabinet du Premier ministre, chef de pôle écologie, transports, énergie, logement et agriculture. Monsieur Pellion, pourriez-vous nous rappeler l'articulation entre les acteurs institutionnels que sont le secrétariat que vous représentez, le Commissariat général au développement durable (CGDD), le Conseil de planification écologique et le Conseil national de la transition écologique ?
Madame Amélie Coantic, vous êtes Commissaire générale au développement durable par intérim, Thomas Lesueur ayant été appelé à d'autres fonctions il y a une dizaine de jours. Depuis sa mise en place en 2008, le CGDD, acteur interministériel et direction transversale du ministère en charge de l'environnement, éclaire et alimente l'action du ministère par la production de données et d'analyses. Vous pourrez nous présenter les politiques publiques qui accompagnent la transition écologique des entreprises et préciser le rôle précis du CGDD à cet égard.
Monsieur David Marchal, vous représentez ce matin Sylvain Waserman, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), qui accompagne le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, à une visite d'entreprise. Vous êtes directeur exécutif de l'expertise et des programmes de l'ADEME, désigné par l'État comme l'un des opérateurs du plan d'investissement France 2030. L'Agence a la charge d'expertiser et de financer les innovations et les industrialisations. Vous pourrez nous expliquer comment vous conduisez cette mission, en particulier comment s'opère la sensibilisation des entreprises et la sélection des projets.
Enfin, Madame Corinne Le Quéré, vous êtes présidente du Haut conseil pour le climat (HCC). Pourriez-vous nous dire quelques mots de la stratégie publique de décarbonation et comment cette dernière va pouvoir être déclinée par les petites ou moyennes entreprises (PME), déjà très sollicitées pour mettre en oeuvre les normes environnementales ?
Je vous laisse la parole pour un propos introductif d'une dizaine de minutes chacun dans l'ordre de vos présentations. Ensuite, mes collègues rapporteurs poseront leurs questions. Je rappelle que ce débat est capté et retransmis en direct sur le site Internet du Sénat.
M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique, conseiller au cabinet du Premier ministre, chef de pôle écologie, transports, énergie, logement et agriculture. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), placé auprès du Premier ministre, exerce une fonction de synthèse sur l'ensemble des sujets de la planification écologique. Nous coordonnons les efforts interministériels en collaboration étroite avec nos collègues, notamment Amélie Coantic du CGDD, et préparons les ordres du jour du Conseil de planification écologique. Au sein de la commission spéciale sur la planification écologique du Conseil national de la transition écologique, nous rendons compte des phases d'élaboration et de mise en oeuvre du plan, en publiant des indicateurs précis sur l'évolution des secteurs tels que le transport, le logement, la décarbonation de l'industrie et l'agriculture. Nous travaillons également avec l'ADEME et le Haut conseil pour le climat, qui évalue les politiques publiques climatiques et nous conseille sur des sujets comme le stockage de carbone.
Dans le cadre de la planification écologique, nos objectifs incluent la réduction des émissions de GES de 55 % d'ici 2030 et la neutralité carbone en 2050. Nous nous concentrons également sur l'adaptation au changement climatique, avec l'élaboration du Plan national d'adaptation climatique (PNAC), qui sera présenté prochainement. Parmi les conséquences du changement climatique figure la forêt française avec une croissance divisée par deux en dix ans, les arbres poussant moins vite et leur mortalité étant plus importante. De même, la disponibilité en eau pourrait diminuer de 50 milliards de mètres cubes du fait de l'évaporation, alors que nous en prélevons actuellement 33 milliards pour divers usages. Les enjeux de biodiversité, de santé environnementale et de gestion des ressources finies sont également cruciaux. Nous devons en effet concilier notre vie, notre société et notre économie avec ces ressources limitées, telles que l'eau, la biomasse et le foncier.
Dans le cadre de cette planification, nous ne séparons pas les objectifs écologiques des objectifs économiques. Nous prenons en compte l'empreinte carbone et la réindustrialisation du pays, en intégrant dans nos calculs une hausse des émissions industrielles. Nous développons des filières industrielles cohérentes avec nos objectifs, comme celles des voitures électriques et des batteries. Le conditionnement du bonus automobile à l'empreinte carbone a, à cet égard, inversé les parts de marché entre les voitures d'origine européenne et celles d'origine non européenne. Nous travaillons de même sur les pompes à chaleur et les électrolyseurs.
La planification est également menée au niveau territorial, en collaboration avec les collectivités locales dans le cadre des COP (Conferences of the Parties) territoriales, sans imposer des directives depuis Paris. Les territoires peuvent ajuster leurs objectifs en fonction de leurs réalités locales, tout en maintenant une cohérence nationale. Pour atteindre nos objectifs de réduction des émissions de CO2 de 200 millions de tonnes par an d'ici 2030 par rapport au niveau de 2019, chacun doit contribuer, entreprises, pouvoirs publics et ménages. Les entreprises représentent environ la moitié de cette réduction, les pouvoirs publics un quart, et les ménages un autre quart.
Le SGPE a, dans ce cadre, mis en place, en partenariat avec les autres acteurs publics, un dispositif de suivi opérationnel et de publication des progrès réalisés. Il s'assure, par ailleurs, de la consolidation des planifications territoriales. En 2023, les émissions ont baissé de 4,8 %, ce qui constitue un bon résultat, mais il reste encore beaucoup à faire d'ici 2030. Nous continuerons ainsi à travailler avec l'ensemble des acteurs.
Mme Amélie Coantic, Commissaire général au développement durable par intérim. -Je vais commencer par vous présenter brièvement le Commissariat général au développement durable, une administration centrale du ministère chargé de l'Écologie. Nous accueillons un service de l'économie verte et solidaire, qui porte les politiques économiques et accompagne les entreprises. Nous sommes l'interlocuteur des directions générales de Bercy, responsables de la construction des politiques publiques pour les entreprises, et nous veillons à leur mobilisation en faveur de la transition écologique. Nous mettons en place des outils pour positionner correctement les trajectoires et outiller les entreprises pour réussir ce défi. Antoine Pellion l'a mentionné, les entreprises seront concernées par une part importante des objectifs à atteindre. Il est donc crucial qu'elles disposent des leviers nécessaires, en termes de compétences, de diagnostics et d'accompagnement financier. Nous devons également développer des politiques d'innovation pour parvenir aux ruptures industrielles nécessaires, car certaines solutions ne sont pas encore disponibles ou sont trop coûteuses.
Le deuxième volet de notre action est la mobilisation de l'ensemble des parties prenantes. Antoine Pellion l'a souligné, la réussite des politiques environnementales dépend de notre capacité à mobiliser à toutes les échelles et avec tous les partenaires. L'État, en tant qu'acteur du territoire employant des millions de salariés, doit lui-même se montrer exemplaire et effectuer sa transition, notamment en transformant la mobilité ou en rénovant les bâtiments. Cela nous permet de comprendre les difficultés que peuvent rencontrer les entreprises. La mobilisation des collectivités territoriales est également cruciale. Les COP territoriales de planification écologique sont, à cet égard, le lieu de débat pour identifier les priorités et veiller à l'articulation entre l'État, les collectivités et les acteurs économiques. Enfin, la mobilisation des citoyens est essentielle, car leur implication et leurs attentes influencent la réussite des transformations, en particulier à travers leur consommation.
Trois aspects sont particulièrement importants pour la prise en compte des enjeux climatiques par les entreprises. Premièrement, il ne s'agit pas seulement de climat, mais aussi de biodiversité et de ressources. Les entreprises doivent intégrer ces enjeux dès le départ, avec une approche systémique. Deuxièmement, la politique climatique doit inclure à la fois l'atténuation des changements climatiques et l'adaptation à ces changements. Troisièmement, la double matérialité doit être prise en compte avec l'impact des activités économiques sur l'environnement et l'impact des évolutions environnementales sur les modèles économiques. Certaines activités économiques seront fortement affectées par les transformations climatiques à venir. La diversité des acteurs économiques est un autre élément important. Les enjeux diffèrent entre les grands groupes internationaux, qui utilisent des outils européens comme la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), et les TPE-PME, qui sont nombreuses et réparties sur le territoire. Pour faciliter le passage à l'acte et accompagner les entreprises, nous mettons en place des mesures concrètes, notamment en application des lois récentes comme la loi climat et résilience. Nous proposons des feuilles de route sectorielles de décarbonation, qui permettent aux entreprises de se poser les bonnes questions pour réussir ce défi. Ces feuilles de route alimentent les stratégies d'accélération du plan d'investissement France 2030, dont 50 % des crédits doivent accompagner la transition environnementale. Nous travaillons avec les opérateurs de France 2030 pour lancer des appels à projets en cohérence avec ces feuilles de route. En termes d'accompagnement, nous nous efforçons de rendre les offres des opérateurs plus visibles et accessibles, en collaboration avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), Bpifrance, les CCI (Chambre de commerce et d'industrie) et les CMA (Chambre des Métiers et de l'Artisanat). Des plateformes numériques comme Mission Transition Écologique simplifient le parcours des entreprises souhaitant s'engager dans cette transition.
Au niveau européen, nous sommes mobilisés pour la validation et le déploiement de la directive relative au reporting de durabilité des entreprises, qui concerne non seulement les grandes entreprises, mais aussi toute leur chaîne de valeur et leurs sous-traitants. L'effet d'entraînement sera donc significatif.
Il s'agit d'un aperçu de nos actions et des outils que nous mettons en place pour faciliter la transition écologique des entreprises.
M. David Marchal, directeur exécutif et de l'expertise à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). - En tant que représentant de l'ADEME, l'Agence de la transition écologique, je tiens à rappeler nos deux missions principales que sont l'expertise et le financement. Avec plus de 1 000 salariés répartis sur le territoire, nous structurons notre action autour de trois grands axes : éclairer la décision publique ou privée, accompagner l'accélération de la transition et innover pour accompagner les solutions de demain. Pour les entreprises, nous déclinons ces missions en proposant des scénarios de décarbonation et de transition écologique ; nous alimentons également les discussions sur la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) et les réflexions des collectivités territoriales.
L'industrie française émet environ 80 millions de tonnes de CO2, soit 20 % des émissions totales, avec deux tiers de ces émissions concentrées sur neuf secteurs électro intensifs et une quinzaine de grandes zones industrialo portuaires. Si ce constat permet de cibler nos politiques publiques sur ces secteurs et zones spécifiques, il est crucial de ne pas négliger le secteur diffus, qui représente un tiers des émissions industrielles, mais 90 % des emplois. Nous devons donc accompagner cette transition sur ces deux fronts. Pour éclairer les trajectoires de transition, nous contribuons à des réflexions prospectives pour le compte de l'État, en proposant des scénarios de transition à l'horizon 2050. Dans le cadre du projet européen Finance ClimAct, nous élaborons des plans de transition sectoriels co construits avec les acteurs des secteurs électro intensifs comme le ciment, l'acier et le papier carton, visant des baisses de 80 % de leurs émissions de CO2 d'ici 2050.
Notre deuxième mission, historique, est d'accompagner financièrement la transition. Dans ce cadre, nous aidons aujourd'hui deux fois plus les entreprises que les collectivités. Nous opérons pour le compte de l'État divers dispositifs, notamment France 2030. Depuis 2020 et le plan de relance, nous avons distribué plus de 2,3 milliards d'euros d'aides aux entreprises industrielles, permettant d'éviter environ 10 millions de tonnes de CO2 et soutenant environ 450 lauréats. Ces aides sont efficaces, avec un coût d'abattement d'environ 11 euros par tonne de CO2 évitée. Les projets de décarbonation soutenus permettent souvent aux entreprises de produire plus tout en réduisant leurs émissions, contribuant ainsi à la réindustrialisation nationale. Pour le secteur diffus, nous avons soutenu 3 300 entreprises en 2023 avec diverses aides à l'investissement et à l'accompagnement, totalisant plus de 10 000 soutiens. Des programmes comme Eco Flux, un diagnostic de chasse aux gaspillages, sont, à cet égard, déclencheurs pour de nombreuses petites entreprises. Nous collaborons avec Bpifrance et les chambres consulaires pour massifier nos aides aux petites entreprises et mettons en place la plateforme Mission Transition Écologique pour faciliter l'accès aux aides d'État.
Au-delà des éléments que je vous ai présentés, nous nous demandons à quel moment les modèles d'affaires des entreprises vont véritablement basculer. Il y a dix ans, la transition écologique était souvent perçue comme un frein. Aujourd'hui, elle est vue comme une opportunité économique et une nécessité pour rester compétitif, face aux attentes croissantes des consommateurs et aux contraintes du monde de la finance. L'affichage environnemental et la directive européenne CSRD sur le reporting de durabilité pour les entreprises de plus de 250 salariés sont des leviers importants pour sensibiliser et faire évoluer les entreprises. S'il y a déjà des obligations de bilan GES, respectées par 43 % des entreprises et 38 % des collectivités, le plan de transition associé à la CSRD implique véritablement la mise en oeuvre d'actions pour abaisser les impacts et minimiser les risques. Au sein de l'ADEME, nous développons également l'outil ACT (Accelerate Carbon Transition), un label extra financier qui crédibilise et rend robustes les plans de transition des entreprises. Plus de 500 entreprises en France utilisent déjà cette démarche, qui est plus répandue que la démarche internationale SBTi (Science Based Targets Initiative). En conclusion, nous sommes convaincus que la transition écologique est une opportunité économique et une nécessité pour les entreprises ; c'est un message essentiel que nous portons à l'ADEME.
M. Olivier Rietmann, président. - Je tiens à souligner qu'à l'automne dernier, Anne-Sophie Romagny, ici présente, était avec Marion Canalès les rapporteurs d'une mission de la délégation aux Entreprises sur la directive CSRD. Je vous invite à consulter leur rapport, qui est particulièrement complet et intéressant.
Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut conseil pour le climat. - Je prends la parole au nom du Haut conseil pour le climat, un organisme indépendant inscrit dans la loi énergie climat de 2019. Notre mission principale est d'évaluer l'action publique en matière de climat. Chaque année, nous rendons un rapport sur la trajectoire de baisse des émissions au regard des objectifs de la France, notamment l'accord de Paris et les engagements européens. Nous évaluons également la mise en oeuvre et l'efficacité des politiques publiques pour réduire les émissions, développer les puits de carbone, réduire l'empreinte carbone et favoriser l'adaptation au changement climatique. Le Gouvernement doit répondre à notre rapport dans les six mois, ce qui crée une dynamique de rapports réponses visant à accélérer et à améliorer l'action climatique.
Les constats principaux de notre dernier rapport sont les suivants : une baisse rapide des émissions de GES est plus que jamais essentielle pour contenir l'intensification des impacts graves. En France, la baisse des émissions se poursuit, mais elle doit encore s'accélérer et être maintenue jusqu'à l'atteinte de la neutralité carbone. Il est ainsi crucial d'engager tous les acteurs, privés et publics. La France est, en effet, particulièrement vulnérable aux impacts du changement climatique en raison de sa géographie, exposée à plusieurs aléas climatiques tels que vagues de chaleur, sécheresses, feux de forêt, pluies intenses et inondations et réchauffement des climats de montagne. Actuellement, l'adaptation se fait de manière réactive et ponctuelle. Nous atteignons les limites de cette approche, et l'adaptation doit devenir anticipatrice et préventive. Toutes les entreprises doivent être impliquées dans la transition, en adaptant leurs opérations, en produisant de manière décarbonée, en incluant le transport et les chaînes d'approvisionnement, et en facilitant la décarbonation de leur secteur. Les entreprises de l'agroalimentaire, de la distribution et de la restauration doivent s'impliquer dans la décarbonation de la production alimentaire pour valoriser les produits moins intensifs en émissions. Les entreprises doivent aussi s'adapter au climat futur en utilisant la trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation au changement climatique (TRACC), qui sera bientôt publiée dans le plan national d'adaptation au changement climatique 3. Elles doivent considérer l'accroissement des impacts climatiques, qui s'ajoutent à la variabilité naturelle.
Le suivi et les règles appliquées aux entreprises doivent être mis en oeuvre dans un esprit de transition juste, où chacun contribue selon ses moyens à l'ambition collective, qui est élevée face à l'urgence climatique. Nous avons, à cet égard, développé un cadre d'évaluation de l'action publique du Gouvernement, central pour l'implication des entreprises dans une transition juste. Le rôle du Gouvernement est de protéger les ménages et les entreprises des conditions climatiques et économiques changeantes, en créant les conditions favorables à une économie prospère, bas carbone et bien adaptée au changement climatique.
Le premier volet de notre évaluation concerne la stratégie du Gouvernement en matière de climat qui doit reposer sur un cadre d'action avec une trajectoire de décarbonation stable et visible pour tous les acteurs. Sa stratégie doit être claire et lisible sur le long terme pour permettre aux entreprises d'investir dans un contexte prévisible. Bien que la stratégie se construise de manière satisfaisante en France avec de nombreux plans d'action et documents stratégiques, et que la responsabilité des actions climatiques ait été positionnée au niveau du Premier ministre, les délais de publication des documents cadre, comme la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie nationale bas carbone, créent des incertitudes. Ces documents doivent être publiés rapidement et des trajectoires de financement sur plusieurs années doivent être établies pour appuyer les engagements pris.
Le deuxième volet de notre évaluation porte sur les politiques publiques déployées. Le Gouvernement doit créer les conditions favorables à une économie prospère, incluant la politique budgétaire, la fiscalité, la politique commerciale, la politique technologique, l'emploi et la recherche. Ces actions doivent s'intensifier pour offrir une vue d'ensemble à tous les secteurs. Si de nouvelles politiques en matière de souveraineté et de déploiements technologiques, comme le captage et le stockage du carbone, ont été évoquées, une vision d'ensemble pour l'économie est nécessaire, et ce sera un point d'attention important de notre rapport annuel à paraître en juin.
Nous avons également examiné les freins et leviers sectoriels. Actuellement, nous sommes dans une approche ponctuelle par projet, mais cette démarche évolue grâce au travail du Secrétariat général de la planification écologique. Nous pensons en termes de nouvelles infrastructures (réseau électrique, production d'hydrogène décarboné, capture et stockage du carbone...) et de nouvelles organisations, de l'emploi et pour la valorisation des nouveaux produits bas carbone. Par exemple, en agriculture, l'introduction de nouvelles espèces de céréales plus résilientes au changement climatique doit être absorbée par les marchés actuels. Les entreprises qui ne soutiennent pas la production, comme la restauration, doivent jouer par ailleurs un rôle de facilitateur dans cette transition.
Enfin, il est essentiel de suivre et d'ajuster les politiques publiques en place. Par exemple, la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable du 1er novembre 2018, dite EGALIM, qui vise à partager la valeur entre producteurs et distributeurs, et les dispositions de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités qui oblige les entreprises disposant d'une flotte de plus de 100 véhicules à un quota minimal de véhicules à faibles émissions lors du renouvellement de leur flotte, doivent être appliquées, cette deuxième loi devant faciliter l'accès des ménages aux véhicules électriques bon marché. Il faut construire la stratégie et la politique économique, tout en suivant et en opérant les ajustements nécessaires au fil du temps. J'invite en tout cas votre délégation à adopter la vision la plus large possible afin de contribuer à un rôle accru des entreprises.
Mme Anne-Sophie Romagny. -J'ai deux questions à poser. La première est plus une remarque concernant la directive CSRD, sujet sur lequel nous avons travaillé avec Marion Canalès. Une expérimentation a été lancée par le ministère de l'Économie et des Finances, appelée pré test PME, en lien avec l'entrée en vigueur de cette directive. Quinze PME ont, dans ce cadre, été interrogées, et les premiers résultats montrent que les entreprises rencontrent des difficultés pour calculer leurs émissions de GES, notamment le scope 3, qui calcule l'empreinte carbone d'une entreprise en couvrant les émissions associées aux activités en amont et en aval de la chaîne de valeur. Lors de nos auditions, nous avions déjà identifié cette difficulté. Ce test révèle que ce n'est pas seulement le scope 3 qui pose problème, mais que le calcul global des émissions de GES qui est complexe pour les entreprises. Comment pouvons-nous les aider à répondre efficacement et pragmatiquement à cette exigence ?
Ma deuxième question concerne un site agro-industriel dans la Marne, dont l'un des acteurs fait partie des 50 entreprises les plus émettrices de GES et qui s'engage activement dans sa décarbonation. Nous avons évoqué de nouvelles méthodes pour décarboner, et actuellement, les petits réacteurs modulaires (SMR) reviennent de manière récurrente dans les discussions. Pensez-vous qu'ils constituent une solution cohérente pour la décarbonation ?
M. Antoine Pellion. - Je vais répondre sur les Small Modular Reactors (SMR), les petits réacteurs nucléaires. Il est important de préciser que lorsqu'on parle de « baisses des GES des entreprises », cela inclut non seulement l'industrie, mais aussi des secteurs comme la logistique et les bâtiments tertiaires. L'ensemble du champ doit être pris en considération, notamment parce que le transport de marchandises et le chauffage sont des éléments significatifs en termes d'émissions de GES. Dans le cadre de la décarbonation des 50 sites industriels que vous avez évoqués, nous avons contractualisé avec chacun d'entre eux, avec des trajectoires d'investissement pour la décarbonation. Cela repose sur quatre axes principaux : l'économie d'énergie grâce à l'amélioration des procédés, l'hydrogène, l'électrification (ce qui inclut les SMR) et les bioénergies comme la biomasse, avec une vigilance particulière sur la disponibilité de la ressource en biomasse.
Concernant les SMR, dans le cadre de notre politique énergétique et du Conseil de politique nucléaire, nous avons décidé de nous mettre en capacité de les développer. Actuellement, notre objectif est d'avoir un démonstrateur à l'horizon 2030. Ensuite, en fonction des résultats et de la compétitivité des coûts de production d'électricité, nous pourrons envisager un certain nombre de déploiements. Cependant, ces déploiements interviendront plutôt lors d'une nouvelle vague de rénovation du site industriel dont vous parlez. À court terme, ce n'est pas une solution immédiatement accessible. Il existe néanmoins des alternatives décarbonées possibles que nous étudions pour l'avenir. Pour l'instant, nous développons une technologie française de SMR, notamment avec EDF (Électricité de France). Par ailleurs, dans le cadre de France 2030, des appels à projets ont été lancés pour d'autres technologies de petits réacteurs. Nous sommes donc encore en phase de développement, avec un premier type de réacteur SMR prévu pour 2030. Ensuite, d'autres technologies pourraient émerger en fonction des résultats des start up, qui travaillent sur des dispositifs très différents. Cela implique également des innovations en matière de conception des combustibles, sur lesquelles nous collaborons avec les acteurs de l'amont du cycle nucléaire.
Je laisserai peut-être mes collègues compléter sur les aspects relatifs à la CSRD et au scope 3. Nous avons une approche centrée sur les actions clés permettant de décarboner, plutôt que l'obtention d'un bilan complet de toutes les émissions. Toutefois, une vision plus large est nécessaire au titre de la réglementation, et je vous laisse compléter sur ce point.
Mme Amélie Coantic. - Je vais aborder quelques points, mais c'est principalement la direction générale de l'Énergie et du climat qui gère les méthodologies de comptabilité des BEGES. Pour répondre à votre préoccupation, Madame la Sénatrice, nous savons que ce volet de diagnostic est essentiel. Le scope 3 mobilise fortement les entreprises, car il les pousse à réfléchir au-delà des deux premiers scopes, sur lesquels elles avaient déjà accumulé beaucoup de connaissances. Nous changeons de dimension avec des questions qui dépassent le simple fonctionnement. Des travaux d'expérimentation sont, dans ce cadre, en cours. Je vais laisser l'ADEME, qui intervient également dans l'outillage des méthodes et le cadrage, apporter des éléments sur les modalités de comptabilisation.
M. David Marchal. - En réponse à la question que vous posiez sur le pré test concernant les PME et leur retour, nous ressentons que les PME perçoivent la CSRD comme comportant énormément de données à remplir, et la partie environnementale n'en représente qu'une partie. Il y a un fort intérêt pour la méthodologie ACT que j'ai mentionnée précédemment. ACT existe en deux versions : ACT Évaluation, qui permet de noter le niveau d'ambition d'une entreprise par rapport à une trajectoire bas carbone, et ACT Pas à Pas, un dispositif d'accompagnement pour la réalisation de ce plan d'action. ACT Pas à Pas est particulièrement adapté aux PME moins matures sur le sujet carbone, pour les aider à établir leur bilan et déterminer un plan d'action. Nous avons un programme volontaire français avec un appel à projets et des financements pour accompagner les PME. Plus de 500 PME sont engagées dans ce programme. Nous les aidons à mettre en place cette méthodologie ACT. Notre promesse est de faire évoluer nos outils ACT pour qu'à la fin d'un ACT Pas à Pas, en un clic, le reporting CSRD soit disponible. Nous travaillons sur cette méthode pour faciliter le chemin vers le reporting CSRD, notamment pour les PME.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je souhaite que les entreprises parviennent à répondre à leurs obligations et il faut, pour cela, les aider dans cette démarche, car elles sont soumises à un certain nombre de normes et d'obligations. Bien qu'elles soient volontaires, elles se sentent parfois contraintes de les respecter, non pas par manque de volonté d'accélérer leur transition, mais parce que cela représente une charge supplémentaire pour elles. Il est ainsi essentiel de les accompagner dans cette transition.
Mme Corinne Le Quéré. - La faiblesse du reporting européen et international est bien connue, notamment en raison des risques importants de greenwashing. Cela pénalise les entreprises qui souhaitent agir de manière responsable. La méthode ACT a été mentionnée ; elle est unique en son genre et jouit d'une reconnaissance internationale considérable. Je tiens, par ailleurs, à souligner les efforts significatifs réalisés au niveau des Nations-Unies. Un nouveau groupe d'experts de haut niveau sur les engagements de zéro émission nette des entités non étatiques, incluant les entreprises, a élaboré un guide directeur. Ce guide, bien que parallèle à la méthode ACT, présente une forte intersection et fournit des lignes directrices précieuses.
Pour le Haut conseil pour le climat, le scope 3 et les chaînes d'approvisionnement constituent des sujets essentiels. En effet, l'empreinte carbone de la France résulte aux trois quarts des décisions prises par les ménages et les entreprises, et même à 85 % si l'on inclut le niveau européen. En reportant leurs émissions du scope 3 sur les chaînes d'approvisionnement, les entreprises peuvent non seulement réduire leurs propres émissions grâce à un suivi détaillé, mais aussi diminuer l'empreinte carbone globale, y compris celle des autres pays. C'est cette réduction de l'empreinte globale qui fera réellement la différence pour le climat.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci, Madame la Présidente. Nous allons maintenant passer aux questions et interrogations de nos rapporteurs. J'aimerais en préalable faire une remarque, et poser une question. Vous avez mentionné le bilan carbone. Nous savons que la France, bien que commençant à amorcer un virage, reste un grand paquebot, notamment sur le plan économique. En parlant de bilan carbone, j'ai compris, Monsieur le Secrétaire général, qu'il est peut-être préférable de produire chez nous avec une production de carbone légèrement inférieure plutôt que de consommer des produits fabriqués ailleurs avec des techniques beaucoup moins décarbonées que les nôtres. On entend souvent qu'il faut rester en dessous de 1 % de production de carbone. Dans ce bilan carbone, inclut-on également le carbone produit par les moyens de transport à l'échelle planétaire qui nous approvisionnent en produits et denrées ? Prend on en compte le carbone produit par les industries qui fabriquent les produits importés ? Dans ce cas, ne serions-nous pas bien au-delà de ce seuil de 1 % ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Nous menons cette mission d'information depuis plusieurs mois. Nous avons déjà rencontré de nombreux acteurs et entreprises, puisque c'est l'objet de notre rapport, et avons constaté un manque de lisibilité, même pour nous, parlementaires. Il existe autant de structures de coordination sur le climat qu'il y a de besoins. Ne serait-il pas pertinent d'unifier ces structures pour gagner en lisibilité et en efficacité ?
En ce qui concerne la programmation et le plan d'action, pourriez-vous expliquer pourquoi la stratégie de décarbonation et les instruments de planification ne sont pas encore publics ? Nous nous interrogeons également sur le rôle que vous envisagez pour le Parlement dans cette stratégie et la poursuite de ces objectifs. Nous attendons beaucoup de la loi de programmation sur l'énergie et le climat, qui tarde à venir. Bien que nous reconnaissions le travail accompli et les résultats obtenus en matière de réduction des émissions de GES, il serait utile de poser les choses clairement aujourd'hui, notamment avec le Parlement, afin que nous ayons des objectifs mieux identifiés, à partager avec les entreprises et les collectivités, non seulement au niveau local, mais au niveau national pour que cela puisse davantage infuser et être diffusé sur tous nos territoires.
M. Antoine Pellion. - Je vais répondre à votre question sur l'empreinte carbone. Les ordres de grandeur sont corrects : les émissions directes de la France représentent moins de 1 % des émissions mondiales. Nous devons toutefois également prendre en compte les émissions importées, c'est-à-dire celles générées par les produits que nous importons. Actuellement, les émissions importées sont équivalentes aux émissions directes du pays, ce qui double l'empreinte carbone de la France. Dans les émissions directes, nous incluons également le transport international, selon une règle conventionnelle qui attribue la moitié du trajet au pays de départ et l'autre moitié au pays d'arrivée.
Nous travaillons sur l'idée que la réindustrialisation peut aider à réduire l'empreinte carbone. Par exemple, nous visons une réduction de 200 millions de tonnes de CO2 par an d'ici 2030 par rapport à 2019. Environ 20 millions de tonnes de CO2 supplémentaires ont été émises en France. Si nous n'avions pas réindustrialisé ou si la population n'avait pas augmenté, il aurait donc suffi de réduire de 180 millions de tonnes, mais en raison de la réindustrialisation, nous visons précisément une réduction de 200 millions.
Notre objectif est de répondre précisément au souci que vous avez exprimé, à savoir que la planification écologique et la création du Secrétariat général placé auprès du Premier ministre visent à unifier l'ensemble des planifications afin de garantir leur cohérence. Le travail mené avec les ministères et les opérateurs consiste à avoir une vision complète de tous les sujets et à élaborer un « master plan ». La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) est, en ce sens, un zoom sur l'énergie, la SNBC sur le climat, et la SNB sur la biodiversité. Nous avons publié l'intégralité du « master plan » lors du Conseil de planification écologique de septembre 2023. Toutes les trajectoires sont connues et les indicateurs sont publiés annuellement, ce qui est essentiel pour la lisibilité des entreprises. Le projet de PPE, mis sur la table en décembre, est coordonné avec ce que nous avons publié l'été dernier. Le projet de SNBC 2030, que nous avons finalisé avant hier et qui sera bientôt mis en consultation est également aligné avec les précédentes publications. Il en va de même pour la biodiversité. Nous cherchons également à unifier les planifications nationales et locales, notamment avec les COP au niveau territorial.
Concernant les prochaines étapes en matière de textes réglementaires et de lois, la PPE est actuellement en consultation et devrait être adoptée d'ici la fin de l'année. Elle sera ajustée pour rester compatible avec les évolutions législatives. La stratégie nationale bas carbone à l'horizon 2030 sera présentée dans les prochains jours, et la version 2030 2050 à la rentrée. Le plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) sera publié en mai. D'autres documents, comme le plan Ecophyto, sont déjà publiés et alignés avec la vision d'ensemble. Si des évolutions sont nécessaires, nous ajusterons ce « master plan » pour maintenir une cohérence.
L'articulation des différentes entités au sein de l'État et des opérateurs vise également à aligner l'ensemble des acteurs sur cette vision. Nous y sommes parvenus ces derniers mois. Cependant, nous ne sommes pas favorables à une fusion de tous les acteurs. Certains de vos collègues m'ont auditionné sur les évolutions avec France Stratégie, le SGPE, le Commissariat au plan ou encore le HCC. Le HCC, par les textes, est indépendant, ce qui est bénéfique pour s'assurer d'une évaluation légitime d'un point de vue scientifique. Notre travail de planification opérationnelle se complète avec la prospective de long terme de France Stratégie ou du Commissariat au plan. Nous utilisons leurs productions pour consolider une planification opérationnelle. Il est important d'avoir des entités libres dans leur réflexion à long terme, dont nous pouvons nous nourrir. France Stratégie réalise de nombreuses évaluations, et il est essentiel que nous soyons évalués par des entités distinctes pour mieux identifier les points à améliorer.
Mme Amélie Coantic. - En parallèle de tout ce travail de mise en cohérence et de lisibilité sur les trajectoires et la planification, est mené un travail d'opérationnalisation et de mise en mouvement. Nous avons, en effet, besoin d'outils opérationnels très concrets pour accompagner les entreprises.
Ce que vous avez ressenti dans vos auditions, c'est le passage à l'acte, la transition, le changement. Il nécessite pour les entreprises d'avoir un peu de visibilité parce qu'elles prennent des risques, impliquant la pérennité même de leur activité. Ce passage à l'acte ne pourra se faire que si les diagnostics ont été bien faits, si la réflexion et la gouvernance ont été réfléchies. Les acteurs ne sont toutefois pas en train d'attendre une macro visibilité parce qu'en réalité, les documents qu'évoquait Antoine Pellion sont des mises à jour. Il existe déjà des trajectoires et celles-ci sont simplement réajustées pour prendre en compte les évolutions.
Si les réflexions à l'échelle stratégique de planification sont extrêmement importantes, leur appropriation territoriale est cruciale, car c'est à l'échelle des territoires que vont se conduire les actions et les transformations. Tout l'outillage, que ce soit des moyens économiques ou des leviers d'accompagnement, permet d'accompagner les acteurs pour réussir cette transition. Enfin, la cohérence avec les attentes dans le territoire et celles du consommateur est également importante. Toutes ces échelles sont toutefois travaillées en même temps.
M. David Marchal. - Pour revenir sur la plateforme Mission Transition, cette start up d'État a pour objectif de faciliter le parcours des entreprises pour accéder à toutes les aides disponibles, y compris les aides locales. Si de nombreux acteurs proposent des aides publiques, cela pourrait inciter à envisager une fusion, même si cela impliquerait également une fusion avec les régions, qui fournissent aussi des aides, cependant l'optique retenue est plutôt celle de mettre en place une plateforme simple d'accès. Une entreprise n'a qu'à fournir son numéro SIRET et indiquer si elle a une idée précise de son projet ou non. En fonction de son secteur d'activité et de sa localisation, en trois ou quatre questions, elle obtient une liste précise des aides disponibles, avec les contacts de tous les opérateurs concernés. Ce service est co construit avec des entreprises et testé pour répondre à leurs attentes.
Mme Corinne Le Quéré. - Je souhaitais revenir sur la réindustrialisation et sur sa pertinence d'un point de vue des émissions. Il y a des conditions pour que la réindustrialisation soit réussie dans un contexte d'atteinte de la neutralité carbone. Premièrement, il faut que les émissions de GES de l'industrie soient moins fortes que celles des importations, en prenant en compte les émissions du transport. Il convient de noter, sur ce point, que le transport routier est beaucoup plus émetteur que le transport longue distance en bateau. Il faut donc que cela soit accompagné de la décarbonation du transport routier, en particulier des poids lourds. L'industrie française doit, par ailleurs, être adaptée aux impacts du changement climatique, et il y en a beaucoup en France. Mais le point le plus important, c'est vraiment la stabilité et la prédictibilité. Le Haut conseil pour le climat a récemment écrit une lettre au Premier ministre pour souligner que le délai de publication des documents cadres mettait à mal la lisibilité des trajectoires. S'il est fondamental de mettre en place des trajectoires de financement pluriannuelles, plusieurs trajectoires annexes doivent également être définies : le renouvellement du parc de véhicules électriques, le nombre de rénovations énergétiques du bâtiment, le nombre d'installations de pompes à chaleur ou encore le prix du carbone au sein du système européen d'échange de quotas. Toutes ces trajectoires ont été établies au sein d'un cadre européen où la France opère et qui impose des règles. Dans ce cadre, une stabilité est nécessaire et il faut définir la mise en oeuvre et le financement correspondants sur plusieurs années, tout en faisant attention aux actes qui fragilisent ces trajectoires et donc les investissements. Ce n'est qu'ensuite que les différentes actions pourront être renforcées.
M. Antoine Pellion. - Si les informations sont désormais disponibles de manière précise pour tous les secteurs, la maturité réglementaire ou législative doit encore être améliorée. Cela touche à la pérennité et à la stabilité des trajectoires dans le temps. Nous travaillons activement sur ce point pour y remédier.
M. Olivier Rietmann, président. - Je me permets une réflexion, influencée par mon penchant libéral. Je tiens à rappeler que le premier objectif d'une entreprise est de créer de la valeur, de générer de la richesse et de payer des salaires, contribuant ainsi à la richesse sociale. Bien sûr, cela ne doit pas se faire de manière désordonnée, mais son objectif principal n'est pas de remplir des dossiers ni de rédiger des comptes rendus, même si cela reste nécessaire. N'oublions pas ces priorités.
M. Pierre Cuypers. - Ma question rejoint votre réflexion précédente. Je souhaite revenir sur l'aspect économique. J'ai lu attentivement les documents du Haut conseil pour le climat, qui évoquent la fragilité économique. Cette fragilité se manifeste aujourd'hui par une forme d'interdiction de produire ce dont nous avons besoin, nous obligeant à importer. Par exemple, un poulet sur deux que nous consommons est importé. Nous avons une autre fragilité lorsque nous nous interdisons certaines productions alors qu'elles sont autorisées ailleurs, et que nous cessons d'exporter et de produire, ce qui a de graves conséquences économiques. Prenez-vous en compte ces aspects dans vos analyses ? Notre souveraineté alimentaire et énergétique est terriblement fragilisée. Le monde animal est comme il est depuis des millénaires. Nous ne changerons pas le métabolisme des animaux. Nous risquons cependant d'accroître encore notre vulnérabilité. Actuellement, nous importons du sucre, mais les volumes concernés en provenance d'Europe centrale, notamment d'Ukraine, sont passés de 20 000 tonnes à 700 000 tonnes et nous risquons bientôt de fermer nos usines. Nous sommes tous pour la cause climatique, mais si la France ne représente que 1ou 2 % des émissions, il faut que tout le monde travaille dans le même sens et il faut tout comptabiliser, y compris les coûts liés à l'importation de sucre d'Ukraine. Concernant le conflit en Europe de l'Est, nous importions 17 % de notre gaz de cette région. Aujourd'hui, nous développons la méthanisation avec la biomasse, ressource dont vous avez mentionné la disponibilité. Heureusement, nous produisons du méthane en France. Cependant, il ne doit pas y avoir d'interdictions qui ralentissent nos projets. En France, il faut trois ans pour monter un projet, contre six mois en Allemagne. Lorsque des décrets sont pris puis annulés pour des raisons écologiques ou environnementales, nous nous empêchons de produire localement et d'assurer notre sécurité alimentaire et énergétique.
M. Antoine Pellion. - Nous intégrons le sujet de la souveraineté dans notre réflexion sur la planification écologique. Le point central, c'est notre dépendance énergétique. Aujourd'hui, nous ne sommes pas souverains énergétiquement. Nous importons massivement notre énergie depuis des décennies et 60 % de notre consommation énergétique provient des énergies fossiles, ce qui nous rend vulnérables économiquement et en termes de sécurité d'approvisionnement. La guerre en Ukraine l'a illustré. En ce sens, décarboner notre économie est avant tout un acte de souveraineté nationale pour réduire notre dépendance aux importations d'énergies fossiles. Les crises économiques les plus graves que nous avons connues ont, d'ailleurs, toujours été liées à cette dépendance. La crise des années 70 et celle actuelle due à la guerre en Ukraine et à la hausse des prix du gaz en sont des exemples. Réduire cette dépendance est ainsi vital pour notre économie à long terme, car les crises économiques liées à la flambée des prix des énergies fossiles risquent d'être de plus en plus fréquentes et de plus en plus graves à l'avenir. Indépendamment des préoccupations écologiques, décarboner l'économie, changer les mobilités et les usines est une question de survie économique pour le pays à moyen et long terme. En ce sens, quel que soit le niveau de départ, réduire les émissions signifie réduire la consommation d'énergies fossiles, ce qui est bénéfique pour la résilience de notre économie.
Concernant la souveraineté alimentaire et agricole, sur laquelle nous avons établi un rapport, je voudrais souligner que la France n'a pas perdu en termes de capacité de fermes productives ces dernières années. Nous restons largement le premier pays producteur agricole européen. Cependant, certaines filières se portent mieux que d'autres. Par exemple, la diminution de la production de betteraves sucrières a été compensée par une augmentation de la production céréalière et des exportations associées. Il y a donc eu des gagnants et des perdants. Certaines filières alimentaires symboliques ont souffert, mais globalement, la situation s'est améliorée, notamment en termes d'exportations.
Concernant l'élevage, la planification écologique a entraîné une baisse rapide du cheptel bovin. Il est maintenant crucial de le stabiliser, car il y a des besoins de prairie. Il faut aussi que cela soit cohérent avec l'évolution de notre consommation alimentaire. Réduire le cheptel pour ensuite importer massivement serait, en effet, un contresens absolu. Nous cherchons ainsi à stabiliser le cheptel bovin d'ici 2030, en évitant d'être naïfs face à la mondialisation et en construisant une cohérence globale.
Enfin, le terme même de « planification » au sein d'une économie de marché peut interroger, mais il ne s'agit pas de dire à chaque entreprise ce qu'elle doit faire. Le travail que nous menons avec les filières du transport maritime et aérien constitue un exemple concret de l'utilité d'une telle planification. Chacune de ces filières a un plan de décarbonation reposant sur des biocarburants, des e fuels, etc. Cependant, la somme des ressources nécessaires dépasse les ressources disponibles. Il est donc indispensable d'échanger sur ce sujet pour éviter une explosion des prix due à une pénurie de ressources.
M. Pierre Cuypers. - On ne peut pas remplacer à 100 % une énergie fossile. C'est un bouquet d'énergies qui doit être mis en place.
M. Antoine Pellion. - Nous souhaitons supprimer totalement les énergies fossiles, avec de l'électricité et de la chaleur renouvelable, et des bioénergies.
Mme Corinne Le Quéré. - En réponse à la question soulevée, je tenais à souligner que les implications pour les importations étaient bien prises en compte au niveau du Haut conseil pour le climat.
M. Simon Uzenat, rapporteur. - Ce matin, en vous écoutant, j'ai perçu des progrès, des améliorations et de la bonne volonté. Cependant, à titre personnel, je pense que nous sommes encore au milieu du gué en termes de modèle et d'ambition. Nous restons dans une logique de bilans des émissions de GES, encore un peu extérieure aux logiques économiques, alors que tout l'enjeu est de lier définitivement et intimement cette double matérialité, à la fois en termes d'impact et de business model.
Ce qui m'a frappé dans vos propos, c'est que vous mentionnez qu'il n'y a pas que le climat, mais aussi la biodiversité, les ressources, etc. En me mettant à la place d'un chef d'entreprise non spécialiste, cela peut sembler complexe et je crois que dans notre rapport d'information, nous devons veiller à être clairs sans trop complexifier inutilement, au sens où l'enjeu de résilience climatique doit être clairement mis en avant.
Concernant les BEGES, vous mentionnez que 43 % des entreprises les ont réalisés. Beaucoup nous disent que ce n'est pas simple, et il faudra sans doute faire pivoter le modèle pour que demain, les BEGES soient directement intégrés à la logique économique.
Sur l'exemplarité de la puissance publique, il est crucial que l'État et les collectivités soient au rendez-vous. Actuellement, le cadre réglementaire, la commande publique et les aides financières semblent calés sur le monde d'avant, ce qui bloque des avancées possibles.
J'ai une question précise pour l'ADEME sur la simplification des aides. Aujourd'hui, il y a plus de 300 aides identifiées, et cette difficulté est soulignée dans un rapport de l'Inspection générale des finances. Ce sujet est également régulièrement remonté par les organisations patronales et professionnelles. Peut-on simplifier ces aides, notamment en articulation avec Bpifrance ?
Le Gouvernement cherche actuellement à justifier les annulations de crédits opérées. Prenons l'exemple du fonds vert pour les collectivités, il faut une montée en puissance financière. Comment demander aux entreprises de s'engager davantage alors que l'État freine ? Le rapport Pisani Ferry est clair sur ce point. Il faut être au rendez-vous.
Enfin, le pilotage par la donnée est un sujet qui me tient à coeur. La transparence en quasi temps réel me paraît essentielle pour mobiliser les acteurs, publics comme privés, et mesurer les effets de nos actions. Je m'adresse là au CGDD : quelle méthodologie développez-vous pour évaluer ces politiques publiques ? Est-ce que vous avez pu avancer sur le sujet des achats durables dans le cadre du PNAD (Plan National pour des Achats Durables) ?
Mme Le Quéré, dans votre rapport, vous recommandiez de concevoir les éléments opérationnels manquants des feuilles de route afin de clarifier les responsabilités, les objectifs assortis d'indicateurs de suivi et l'évaluation périodique. Pouvez-vous préciser cet aspect du pilotage par la donnée, qui est pour nous un élément clé pour relever le défi climatique ?
M. Michel Canevet, vice-président de la délégation, remplace à la présidence M. Olivier Rietmann.
M. David Marchal. - La simplification des aides et leur lisibilité sont des sujets sur lesquels nous travaillons depuis plusieurs années. Nos aides sont désormais disponibles en ligne sur un site appelé Agir pour la transition. Nous consolidons et améliorons ce site quotidiennement pour offrir des parcours adaptés aux collectivités et aux entreprises en fonction de la spécificité de chacune. C'est un premier levier important. Il ne faut pas non plus oublier que les aides d'État sont interdites, sauf si elles respectent le cadre européen. Nous sommes ainsi contraints par ce cadre, qui varie selon les domaines (économie circulaire, énergies renouvelables, mobilité, efficacité énergétique...).
Notre partenariat avec Bpifrance est une collaboration essentielle que nous développons depuis quelques années. À l'ADEME, nous sommes une agence d'expertise. Nous inventons des dispositifs que nous testons sur un certain nombre d'entreprises. Par exemple, le diagnostic Eco flux a été engagé il y a 5 ans sous d'autres noms et nous avons constaté qu'un diagnostic coûtant entre 1 000 et 2 000 euros pouvait générer très rapidement des économies de 10 000 euros, simplement par la prise de conscience des pertes. Cependant, avec nos ressources limitées, nous n'avions pas la capacité de déployer ce dispositif massivement auprès des TPE et PME. C'est là qu'est intervenu notre partenariat avec Bpifrance, qui a amélioré l'outil et la marque « Diag Éco Flux » et le distribue désormais avec des subventions de l'ADEME pour couvrir le surcoût pour les entreprises. Aujourd'hui, de nombreux diagnostics sont déployés par Bpifrance avec l'ADEME, tels que « Diag Écoconception », « Diag Perf'Immo » sur le décret tertiaire, et « Diag Décarbon'Action ». Il y a une véritable synergie entre les actions de l'ADEME et celles de Bpifrance. Nous sensibilisons les entreprises à leurs impacts, tandis que Bpifrance, en distribuant ces diagnostics, peut ensuite proposer des prêts et d'autres actions aux entreprises.
M. Antoine Pellion. - Je souhaiterais aborder la question des financements. Notre référence principale est le rapport Pisani Ferry Mahfouz, car nous avons travaillé ensemble sur ce sujet. Selon ce rapport, il faut atteindre plus de 60 milliards d'euros d'investissements par an d'ici 2030. Ces investissements devraient être répartis à parts égales entre le secteur public et le secteur privé. Nous cherchons donc à obtenir quelque 30 milliards d'euros de fonds publics (État et collectivités). Nous réévaluons toutefois chaque étape, notre objectif étant de maximiser les investissements privés afin d'alléger le niveau global de dépenses publiques. La majorité de ces fonds sont destinés aux bâtiments publics, aux transports en commun et aux réseaux d'eau, qui relèvent principalement des compétences des collectivités. Dès 2024, nous avons prévu plus de 10 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2024. Je reconnais que la réduction de 10 à 8 milliards d'euros, en raison du décret d'annulation, pourrait entraîner une diminution des réalisations. Cependant, même avec cette réduction, nous restons sur une trajectoire significative par rapport aux objectifs Jean Pisani Ferry et Selma Mahfouz. Par approximation, si nous considérons que les 30 milliards recommandés sont répartis à parts égales entre l'État et les collectivités, nous avons déjà atteint 8 milliards sur les 15 nécessaires d'ici 2030.
Concernant la baisse de 2 milliards d'euros, un milliard est lié à « MaPrimeRénov' », en raison du ralentissement du secteur de la construction, ce qui a entraîné une diminution des dossiers déposés. Malgré cela, les prises en charge de « MaPrimeRénov' » ont été améliorées dans certains cas. Il reste un milliard, notamment pour le fonds vert, qui est un sujet important. Nous considérons au sein du SGP que l'accompagnement via cet outil devra être poursuivi à l'avenir.
Mme Corinne Le Quéré. - En complément de ce qu'a dit Antoine Pellion, je tiens à souligner l'importance de clarifier la trajectoire de financement au niveau européen sur le plan opérationnel.
Dans notre rapport, nous avons noté que, dans le cadre de la loi climat et résilience de 2021, la stratégie gouvernementale s'orientait principalement vers des feuilles de route sectorielles. Par la suite, nous avons concentré nos efforts sur les 50 sites industriels les plus émetteurs, ce qui a permis des avancées significatives sur ces sites spécifiques. Cependant, nous n'avons pas aligné ces efforts avec les feuilles de route sectorielles, ce qui a créé une certaine incohérence. Il existe, en outre, des acteurs plus diffus, notamment ceux impliqués dans la transition énergétique, pour lesquels nous disposons de moins d'éléments précis pour identifier leurs besoins en matière de décarbonation et les obstacles qu'ils rencontrent.
Mme Amélie Coantic. - La question de la donnée est, bien sûr, fondamentale avec deux enjeux. Le premier, c'est l'accès à la donnée, car en réalité, des données environnementales, il y en a beaucoup. Le deuxième enjeu, c'est sa qualité. Comment m'assurer que la donnée environnementale à ma disposition est juste ?
Nous avons conduit un travail extrêmement important en lien avec les équipes d'Antoine Pellion pour doter la planification écologique d'indicateurs nationaux régionalisables et ainsi obtenir des données territoriales sur l'état de l'environnement de qualité. S'agissant de l'utilisation de la donnée pour les structures ou les entreprises, notamment dans le cadre de la commande publique, nous cherchons à harmoniser et consolider les démarches, dans une logique étatique visant à donner accès, le plus gratuitement possible, à la donnée pour permettre aux différents acteurs de se mobiliser. Météo France vient, par exemple, de publier un outil qui permettra aux territoires de se projeter dans le temps en termes de climat.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. -Beaucoup de choses ont été dites, notamment par mon collègue. Vous avez mentionné, Madame Le Quéré, qu'en France, nous ne voyions pas arriver la nécessaire accélération de la baisse des émissions de GES Vous avez ajouté que la réponse française au réchauffement climatique n'était pas si mauvaise. Pour autant, nous avons l'impression que la pression est constamment mise sur les entreprises. La question qui se pose est financière : est-ce que les aides publiques sont suffisantes pour accompagner la transition écologique ? Ce sujet est important, car cela peut aussi influencer les entreprises et leurs investissements à l'étranger. Vous avez évoqué un parcours sur les aides financières. Est-il suffisamment clair ?
M. Guillaume Gontard. - Il me paraît essentiel tout d'abord de rappeler que la décarbonation et la lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas seulement une « bonne cause », mais une nécessité absolue, y compris pour la compétitivité des entreprises. Si nous n'avançons pas, c'est en grande partie dû à un manque d'anticipation et nous devons accomplir aujourd'hui en six ans ce que nous n'avons pas su faire en trente ans.
Je m'interroge également sur notre incapacité à mettre en place des filières qui semblent pourtant évidentes. Prenons l'exemple du secteur du bâtiment, nous avons des orientations politiques claires avec la réglementation environnementale RE 2020 et les matériaux biosourcés, qui vont devenir une obligation ; pourtant, nous sommes très en retard dans la mise en place de ces filières, malgré leur lien local et leur potentiel en termes d'emplois et de synergies avec l'agriculture. Pourquoi est-il, à votre sens, si compliqué d'avancer dans ce domaine ?
Un autre exemple, plus complexe, est celui du photovoltaïque. Nous avons perdu notre dernière entreprise dans ce secteur. Bien qu'il y ait des projets comme la Gigafactory Carbon, il manque une vision globale. Pour établir une filière photovoltaïque, il faut, en effet, une approche intégrale. Or, nous avons fermé une entreprise de fabrication de silicium décarbonée pour transférer cette production en Espagne, où elle est désormais carbonée. Nous risquons de faire la même erreur avec le corindon blanc, essentiel pour les batteries et l'industrie automobile. Quelle est votre visibilité sur ces entreprises que nous perdons, souvent déjà engagées dans la décarbonation, comme celles autour des vallées savoyardes et iséroises dans le secteur de l'hydroélectricité ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nos politiques publiques fonctionnent globalement et parviennent à réduire les émissions. Cependant, il est important de noter que la France n'agit pas seule et n'est pas l'unique pays où les émissions diminuent. Au moins 18 pays, dont les États Unis et le Royaume Uni, ont réussi à réduire leurs émissions. Le Royaume Uni, par exemple, a diminué ses émissions de plus de 50 % jusqu'à présent. La France évolue ainsi dans un cadre international très compétitif dans lequel ses concurrents se décarbonent. Aux États Unis, par exemple, l'Inflation Reduction Act (IRA) est fortement axé sur l'économie bas carbone de demain. La décarbonation actuelle fonctionne, mais cela ne signifie pas qu'il faut ralentir. Protéger les entreprises d'aujourd'hui dans un monde qui se réchauffe, c'est les mettre en position de compétitivité pour l'économie de demain.
M. David Marchal. - Il est vrai qu'il existe plusieurs dispositifs pour développer les filières vertes que nous n'avons pas mentionnés. En tant qu'opérateur de France 2030 sur les sujets de l'innovation, nous soutenons toujours les projets liés au photovoltaïque et aux pompes à chaleur, en aidant les industriels à innover dans ces domaines. En réponse à l'IRA américain, l'État a mis en place le crédit d'impôt au titre des investissements dans l'industrie verte (C3IV) par la loi de finances pour 2024. À l'ADEME, nous délivrons des agréments techniques et traitons les demandes d'agrément de la direction générale des finances publiques (DGFiP) sur ce sujet. Bien que ces données soient soumises au secret fiscal, nous observons une forte dynamique autour de ce dispositif C3IV, qui facilite l'obtention de crédits d'impôt pour les industries qui se développent dans les secteurs des pompes à chaleur ou du photovoltaïque.
Je souhaiterais également aborder la question de la souveraineté et de l'affichage environnemental. Il s'agit d'un point peu évoqué, mais il existe des signaux économiques que nous pouvons transmettre via les dispositifs d'affichage environnemental pour les aligner avec les questions de souveraineté. Antoine a mentionné le bonus écologique, où nous mettons en place un label bas carbone pour les véhicules électriques afin de favoriser ceux ayant un contenu carbone le plus faible, ce qui encourage la production en France. L'État réfléchit à appliquer cette logique à d'autres technologies pour orienter les consommateurs vers des produits à faible impact environnemental et fabriquer en France. Je pense que cela peut aller jusqu'à l'économie de la fonctionnalité. Nos entreprises doivent être ouvertes à l'évolution de leur modèle d'affaires. Actuellement, nous sommes encore largement dans un modèle de croissance en volume, où plus je produis, plus cela me rapporte. Cependant, dans une logique de résilience face aux risques et aux tensions d'approvisionnement, que ce soit en énergie ou en matériaux, il est essentiel de se projeter dans un monde où il est possible de créer de la valeur ajoutée en produisant moins. L'économie de la fonctionnalité est une nouvelle tendance qui intéresse fortement les PME et les grands groupes : comment vendre un service plutôt qu'un bien, et faire en sorte que ce service génère des revenus sur le long terme ? C'est une question cruciale dans l'évolution des modèles d'affaires des entreprises qui ont, effectivement, vocation à créer de la valeur.
Mme Amélie Coantic. - Pour répondre à Madame Devésa sur la question de la structuration des aides, je tiens à souligner qu'il s'agit d'une priorité qui nous mobilise. Nous avons plusieurs millions d'entreprises de proximité et il est crucial de leur permettre d'accéder aux solutions disponibles. En réponse à Monsieur Uzenat, leur priorité reste la question carbone, avec deux enjeux principaux : le bâti et le transport.
Nous avons mis en place une plateforme qui regroupe toutes les aides publiques, qu'elles proviennent de Bpifrance, de l'ADEME ou d'autres organismes. L'utilisateur n'a pas besoin de savoir d'où provient l'aide, l'important est de répondre à son besoin et de l'accompagner efficacement. Cela permet également de mettre de la cohérence, d'éviter les doublons et de gagner en efficacité, comme l'a souligné l'IGF (Inspection générale des finances).
Je souhaitais également intervenir sur la question des filières. Nous avons initié un chantier important concernant l'emploi, la formation et les compétences, qui constitue un des chantiers transversaux de la planification écologique. Dans les secteurs évoqués, l'un des freins à la structuration des filières est le manque de compétences. Nous devons, en effet, nous assurer que nos territoires disposent des compétences nécessaires et des formations adéquates. Un autre point important est la place de la commande publique, qui représente 10 % du PIB (Produit intérieur brut). La commande publique peut croiser des enjeux de souveraineté et aider les entreprises dans leurs efforts de transition et d'exemplarité en tirant les marchés.
M. Antoine Pellion. - L'accompagnement des entreprises est, dans les faits, majeur et massif. France 2030, sur la partie innovation, met énormément de moyens sur la table. En plus de ces moyens d'innovation, il y a d'importants moyens d'accompagnement au déploiement. Quand on investit sur les 50 sites industriels d'ores et déjà 4 milliards et bientôt 5 autres de plus pour pouvoir décarboner, c'est très significatif. Il convient également d'ajouter le soutien à l'hydrogène ou encore le soutien à la décarbonation des poids lourds. Les moyens sont ainsi très conséquents et la limite est désormais, en termes de rythme de déploiement, plutôt la capacité technique à faire.
Je partage le fait qu'il faut des filières fortes. Néanmoins, pour qu'une filière puisse décoller, il faut s'y intéresser dans tous ses aspects. S'agissant du biosourcé, l'une des limites réside dans la capacité de déploiement chez les artisans et dans le développement d'une demande suffisante. Concernant le sujet de l'éolien en mer, nous avons une filière industrielle, mais les acteurs ne se portent pas bien au niveau européen.
Je termine d'un mot sur les sujets de l'emploi et des compétences. Ces éléments ont bien été intégrés dans la planification. 8 millions d'emplois sont globalement concernés par les filières évoquées. À cet égard, ce n'est pas tant la structuration de l'emploi qui évolue que des vagues massives de départs à la retraite qui nous touchent, avec, en corollaire des besoins très forts de formations
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Dernière question très courte, Madame Le Quéré. La décarbonation est mise en avant dans le cadre de la transition écologique. Nous savons tous que les entreprises abordent cela en termes d'opportunités. Elles sont très inventives, mais, selon vous, existe-t-il d'autres objectifs de même importance que la décarbonation qui pourraient être affichés comme des objectifs à poursuivre pour les entreprises, tant sur le plan scientifique qu'économique ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nous pouvons évoquer tous les nouveaux marchés qui s'ouvrent. Il s'agit, dans ce cadre, de produire les infrastructures de demain. Nous avons déjà abordé les sujets des batteries et des véhicules électriques. Il existe également des opportunités dans le secteur forestier, avec la nécessité d'augmenter les puits de carbone, ce qui peut se traduire par une utilisation accrue du bois de la forêt et, dans une moindre mesure, du bois énergie. Il est essentiel de déterminer nos besoins futurs pour décarboner l'ensemble de l'économie. Toutes ces infrastructures de base doivent être développées. Il y a aussi des opportunités au niveau du financement, avec le soutien des banques et de l'ensemble de l'économie. Enfin, il est impératif de s'adapter au changement climatique, ce qui implique de revoir la structure des bâtiments, la protection côtière ou encore la gestion de l'eau.
M. Michel Canévet. - Je remercie nos intervenants pour leur éclairage qui sera très utile à nos rapporteurs et je vous souhaite une bonne journée.
III. COMPTE RENDU DE L'AUDITION DU 30 MAI 2024
Audition de M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance dans le cadre des deux missions d'information « Quel financement pour l'entreprise de demain ? » et « Entreprises et climat »
M. Olivier Rietmann, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, pour échanger sur les thèmes de travail de la délégation aux Entreprises, en particulier nos deux missions d'information en cours. La première, intitulée « Quel financement pour l'entreprise de demain ? » est conduite par Pauline Martin, Pierre-Antoine Lévi et Fabien Gay. La seconde, sur le thème « Entreprise et climat », est conduite par Lauriane Josende, Brigitte Devésa et Simon Uzenat.
Bpifrance a connu des résultats qualifiés d'historiques en 2023, ayant injecté 63 milliards d'euros de financements dans l'économie française. Vous avez financé l'innovation à hauteur de près de 10 milliards d'euros, contre 700 millions dix ans plus tôt, et avez annoncé un investissement de 5 milliards d'euros en faveur de l'intelligence artificielle dans les quatre prochaines années. Au total, vous estimez à 100 000 le nombre d'entreprises aidées directement ou indirectement par l'établissement. Enfin, Bpifrance est aujourd'hui considéré comme le premier investisseur européen en fonds propres.
Pourriez-vous tout d'abord situer l'action de Bpifrance parmi le paysage européen des banques publiques d'investissement ? Nous entendons souvent qu'il s'agit d'un modèle qui est regardé de près par nos voisins européens, car particulièrement complet et intégré. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce qui fait la spécificité du champ de votre action en matière de soutien aux entreprises ? Quelle évolution de votre doctrine - le cas échéant - envisagez-vous au cours des prochaines années ?
Par ailleurs, nous savons que nous nous orientons vers des arbitrages budgétaires serrés au cours des prochaines années, au regard du niveau de la dette publique et de sa trajectoire. Le gouvernement cherche près de 50 milliards d'économies - c'est l'estimation par la Cour des comptes de l'effort nécessaire d'ici à 2027.
Dans ce contexte, vous attendez-vous à ce que les dotations à Bpifrance, qui sous-tendent certaines activités comme la garantie de prêts bancaires, fassent l'objet d'un rabot dès le prochain projet de loi de finances ? Quels sont les dispositifs de soutien aux très petites et moyennes entreprises (TPE-PME) qui vous paraissent particulièrement exposés ou qu'il faudrait sauvegarder en priorité ? Je rappelle que la délégation aux Entreprises s'est toujours efforcée d'accorder une attention particulière aux TPE-PME et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI).
La question du calibrage des aides est primordiale, alors que la transition climatique est une priorité de l'action publique. Comment accompagner les entreprises dans la durée si l'aide publique est fréquemment « régulée », c'est-à-dire diminuée ou supprimée ?
Au-delà du nombre et des montants des aides se pose la question de leur lisibilité. En effet, la revue des seules aides à la transition écologique des entreprises élaborée par l'Inspection des finances (IGF) en 2023 a recensé 340 dispositifs dont la complexité est unanimement dénoncée par les entreprises. Comment simplifier pour plus d'efficacité ?
La simplification est certes plus que jamais dans l'actualité compte tenu de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique, prévu dans les prochains jours au Sénat, mais elle a toujours été le fil conducteur de la délégation.
M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance - Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer ce matin sur ces sujets qui sont au coeur de notre vie quotidienne.
Notre conseil d'administration a validé en juillet et en septembre 2023 notre plan stratégique à moyen-terme, que nous nous apprêtons à réactualiser. Il prévoit deux grandes priorités pour l'action de Bpifrance sur la période 2024-2029 : la décarbonation du tissu productif français, via le « Plan Climat », et la réindustrialisation de la France. Des investissements supplémentaires sont programmés à hauteur de 35 milliards d'euros pour la thématique de la réindustrialisation et de 35 milliards d'euros pour la thématique de la décarbonation. Pour cette dernière, Bpifrance agira en grande partie via le financement bancaire des parcs éoliens et photovoltaïques. Nous sommes en effet le leader français du secteur bancaire dans le financement des infrastructures de la transition énergétique : cela représente entre 1,6 et 2 milliards d'euros de crédit bancaire par an.
Nous finançons aussi massivement l'innovation par des subventions, des quasi-subventions ou des avances remboursables. En particulier, en lien avec France 2030, nous finançons les gigafactories de batteries et d'hydrogène, qui représentent à chaque fois des centaines de millions d'euros - voire plus en ce qui concerne le cas particulier de ProLogium. Bpifrance finance également l'écosystème de start-ups industrielles vertes, ou « greentech », issu des universités françaises. En janvier 2019, nous avions lancé le « plan Deeptech » pour encourager les chercheurs à créer des start-ups, avec l'objectif d'accompagner 500 start-up par an. Nous en sommes aujourd'hui à 360 start-up accompagnées, en ayant débuté avec un nombre inférieur à 100 : ce plan fonctionne. La bonne nouvelle pour la transition climatique est que les chercheurs sont particulièrement intéressés par le sujet du climat. Nous avons une proportion très importante de greentech dans le plan Deeptech.
Bpifrance propose également des garanties et a lancé au printemps 2024 la garantie verte. Elle consiste à faire payer une commission de garantie plus faible dès lors que le prêt garanti finance une infrastructure ou un investissement centré sur la transition climatique. Cette garantie représente des volumes élevés de crédits.
Enfin, l'accompagnement est devenu une activité très importante de Bpifrance. Il s'agit en quelque sorte d'une activité de conseil par l'établissement. Nous comptons environ 1 500 consultants et bureaux d'études privés, qui agissent auprès des PME françaises. C'est un dispositif très efficace. L'État nous a demandé de faire un « porte-à-porte de masse » auprès de ces PME, pour leur faire prendre conscience du risque climatique et amorcer leur transition, en débutant en général par un bilan carbone et un diagnostic de décarbonation. Cette action est déjà déployée, et nous avons pour objectif de couvrir en quelques années environ 20 000 PME françaises. En 2024, nous allons déjà mener près de 4 000 bilans carbone et diagnostics climat, ce qui fait de Bpifrance le premier acteur français en la matière. C'est une action de grande ampleur, en plein déploiement, qui s'appuie sur les éléments qui font la force opérationnelle de Bpifrance en exécution des politiques publiques : nos 55 agences locales, la formation méthodique de tous nos chargés d'affaires, l'inscription dans leurs objectifs commerciaux de cibles liées à ce « porte-à-porte de masse », etc. Cela fonctionne très bien.
Nous sommes bien évidemment confrontés à des contraintes budgétaires, notamment sur le programme 134 « Développement des entreprises et régulations » du budget de l'État, et sur un certain nombre de programmes d'equity (capital-investissement) qui concernent le programme « Quartiers 2030 ». Ce ne sont pas là des réductions considérables, elles sont de l'ordre de quelques dizaines de millions d'euros, mais ces sommes ont des effets multiplicateurs très importants.
Bpifrance est cependant totalement solidaire de l'objectif de réduction du déficit budgétaire et de la dette publique. Mes collaborateurs le savent, c'est une obsession personnelle. J'ai une culture budgétaire, ne serait-ce que parce que j'ai commencé ma carrière en tant que chargé du financement de la Sécurité sociale au ministère des affaires sociales. Il faut que nous trouvions des solutions. Le temps de la « grosse subvention » est probablement terminé, il faut passer au temps de la garantie.
En priorité, nous devons soutenir tout ce qui est à fort effet de levier, c'est-à-dire la garantie et le co-financement. Il faut également soutenir le conseil, c'est-à-dire tout ce qui déclenche des comportements vertueux et qui reste, comparativement, peu coûteux : ce sont des budgets totaux de l'ordre de quelques dizaines de millions d'euros, mais avec lesquels nous mettons en mouvement les entreprises.
Je considère que les crédits affectés à la direction de l'accompagnement de Bpifrance, pour financer le « porte-à-porte de masse » du Plan Climat, permettent aussi, avec la même méthode, le même type de consultant, la même « approche client », d'accélérer le passage à l'industrie du futur ou le déploiement de diagnostics digitaux. Elle pourra donner une impulsion sur l'intelligence artificielle qui va devenir fondamentale dans les PME françaises. Cela se fait physiquement et non via des e-mails, des PowerPoints ou des webinaires : il faut absolument être présent physiquement dans les PME pour leur présenter l'ensemble des actions possibles. Chaque année, Bpifrance réalise à peu près 8 000 missions de conseil, et fait rentrer dans ses écoles, appelées « Accélérateurs », entre 900 et 1 000 entreprises.
Ces Accélérateurs fonctionnent très bien, avec un taux de satisfaction de 98,5 %. Ces dépenses de quelques dizaines de millions d'euros ont, là encore, un effet multiplicateur absolument considérable.
Quels financements ont été stoppés ? Certains dispositifs vont s'arrêter. Le « porte-à-porte de masse » a démarré l'année dernière avec une « boîte à outils » de financements, qui comportait notamment une petite subvention verte, de quelques dizaines de milliers d'euros, comparable à la bourse « French Tech » que nous accordons aux start-ups. Cette subvention verte va s'achever en juillet prochain, car nous n'avons plus de financements. C'est dommage, car c'était là un bon moyen d'inciter les entrepreneurs à se lancer, avant de leur proposer un diagnostic puis un premier Prêt vert. Nous disposions également du Prêt vert ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), qui était un prêt sans garantie, à long terme, bonifié, très attractif, mais il va aussi s'arrêter en juillet faute de dotations.
Il faut absolument préserver les crédits qui permettent de déployer les bilans carbone dans les PME. Le mouvement est enclenché grâce à la force de vente de Bpifrance qui est aujourd'hui, dans le monde diffus des PME, la seule force de vente de l'État. Il est donc important de capitaliser dessus. Il serait dommage de lui demander de ralentir significativement, voire de s'arrêter.
La lisibilité des aides est bien sûr un problème. Le rapport de l'IGF a pointé l'existence de 340 dispositifs complexes. Ma position est la suivante : toutes les entreprises ont des catalogues de produits très complexes - Bpifrance aussi. Le rôle de nos chargés d'affaires, comme ailleurs, c'est de simplifier le catalogue et de construire un ensemble de solutions adaptées aux besoins du client. Il faut réaffirmer que Bpifrance est la branche de l'État et qui cherche à pousser et déployer ces dispositifs vers les PME.
Ainsi, l'ADEME est très adaptée aux grandes entreprises, mais elle ne dispose pas du réseau nécessaire pour organiser un face-à-face avec l'ensemble des PME françaises. Bpifrance compte 200 000 clients actifs, nous sommes équipés pour cela : l'ADEME ne l'est pas.
La réponse à la complexité consiste à simplifier constamment le catalogue des aides, mais passe aussi et surtout, depuis la création de Bpifrance, par l'approche de « guichet unique ». Le guichet unique simplifie tout. Parmi les 340 dispositifs évoqués précédemment, beaucoup n'ont pas de clients : ils contribuent à l'impression de grande complexité, mais certains produits sont tombés en déshérence. Ce qui est important, c'est de prioriser. Il faut notamment viser la mise en mouvement de l'entrepreneur, parce que l'entrepreneur a constamment autre chose à faire : il doit s'occuper de la cybersécurité et du digital - pour lesquels nous lui soumettons d'ailleurs des offres -, de l'export - nous l'inscrivons dans les plans export -, désormais l'intelligence artificielle qui va devenir fondamentale, le plan produit, les recrutements, etc...
Bpifrance met l'entrepreneur en mouvement sur la transition climatique, avec un bilan, puis avec la mobilisation d'un certain nombre de crédits pour financer les investissements nécessaires. Ces crédits sont des prêts sans garantie à long terme. En 2023 la production de Prêts verts a été un peu inférieure à celle de 2022, à 800 millions d'euros contre un milliard d'euros envisagés : la raison est qu'ils restent chers en conséquence des taux toujours élevés en 2023 et 2024. Il convient donc de les modifier, de les bonifier en injectant quelques dizaines de millions d'euros dans des fonds de garantie.
Voici donc les priorités : la simplification se fait par le guichet unique et par le contact client, beaucoup plus que par un travail surplombant sur le catalogue de produits. Le plus important est de disposer d'une organisation extrêmement lisible en matière de contact avec les clients.
Certains produits fonctionnent mieux que d'autres. Les produits fondamentaux sont d'abord les produits de conseil, des interventions physiques avec un contact humain. Ensuite, les produits de financement, le cas échéant bonifiés. J'ai l'intime conviction que nous allons vers une période de sur-dette, de contraintes budgétaires et donc de raréfaction des financements publics qui va durer des années, comme je l'ai écrit dans une tribune publiée par le Figaro. Par conséquent, les produits garantis, les fonds de garantie et les produits à effet de levier doivent être priorisés : c'est le métier de Bpifrance.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci beaucoup pour ces propos précis et pragmatiques. J'observe que vous avez énormément insisté, cela se comprend à l'époque que nous vivons, sur les diagnostics de décarbonation, sur la transition climatique, sur l'accompagnement par les Prêts verts, etc. J'espère que Bpifrance n'oublie pas de prendre en compte, dans ses objectifs, deux autres thématiques extrêmement importantes : le développement industriel dans son ensemble - pas uniquement la transition écologique - et la performance sociale des entreprises. Même si, au cours des dernières décennies de nombreuses avancées ont eu lieu en la matière, il reste encore des espaces de progrès qui ne sont pas liés à la transition climatique.
Vous avez également insisté sur l'accompagnement de la création d'entreprises, vis-à-vis des start-ups notamment. Avec mes collègues de la délégation Michel Canévet et Rémi Cardon, nous avons présenté en octobre 2022 un rapport intitulé « Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires », dans lequel nous soulignions l'importance d'accompagner la transmission d'entreprise. Énormément d'entreprises devront être transmises dans les dix ans qui viennent : elles constituent un fondement très important de notre économie.
En matière de transmission d'entreprise donc, Bpifrance s'intéresse-t-il à ces accompagnements, à la fois humains (diagnostic, conseils), mais aussi financiers, soit par des garanties pour les repreneurs, soit par un apport de financement ?
M. Nicolas Dufourcq. - Comment traitons-nous la question de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ? Nous sommes une banque, dont le rôle est de consentir des crédits. Nous ne poussons pas la due diligence jusqu'à vérifier comment fonctionne notre client en termes de RSE. Nous ne sommes pas équipés pour cela ; aucune banque ne le fait réellement. En effet, le crédit est le prêt-à-porter de la finance : cela correspond à un nombre très important d'opérations.
En revanche, quand nous intervenons en fonds propres nous participons aux conseils d'administration. Je rappelle que nous sommes le deuxième acteur mondial en nombre d'investissements en fonds propres en 2023, parfois même le premier certains trimestres, et probablement le premier si nous ajoutons à ces investissements de private equity dans les entreprises matures les investissements en capital-risque dans les entreprises innovantes. Notre présence aux conseils d'administration des entreprises, qu'il s'agisse des PME ou des grandes entreprises comme Stellantis, nous conduit à examiner avec beaucoup d'attention les aspects liés à la RSE. Nous faisons partie des comités RSE, qui sont préparés par nos propres équipes RSE, et sommes exigeants dans ce cadre, en posant parfois les questions qui dérangent.
La transmission des entreprises est fondamentale. Le programme 134 du budget de l'État finance nos fonds de garantie « Transmission » : c'est un financement critique. Le grand public ne le sait pas forcément, mais quand une boucherie change de propriétaire, la transmission est souvent financée par Bpifrance.
Il est très difficile de convaincre les entrepreneurs d'anticiper, de préparer leur transmission assez tôt pour qu'elle se passe bien. Nous martelons que les chefs d'entreprises doivent commencer à préparer leur transmission à 55 ans, car le processus s'étend sur dix ans, mais nous ne sommes pas toujours entendus. Ils s'y prennent souvent trop tard. C'est un fait anthropologique : une personne qui a décidé très jeune d'être entrepreneur, qui a l'habitude de gérer son entreprise à sa façon, en solitaire, de manière individualiste, ne conçoit pas aisément qu'à 55 ans, ce parcours soit déjà presque fini et qu'ils doivent commencer à passer la main. Mentalement, ce peut être difficile.
Cependant, nous proposons à ces entrepreneurs des dispositifs de soutien. Nous avons créé des « accélérateurs » à l'intention des chefs d'entreprise qui souhaitent transmettre leur entreprise ; nous formons leurs enfants et les intégrons dans nos écoles. Cela reste compliqué et il y a de la destruction de valeur. Mais ce n'est pas spécifique à la France : l'Allemagne, l'Italie et de nombreux pays sont confrontés à la même problématique, elle est inhérente à l'entrepreneuriat.
M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur de la mission d'information « Quel financement pour l'entreprise de demain ? ». - Mes questions portent sur l'innovation. Les aides à l'innovation de Bpifrance ont été, selon la Cour des comptes, multipliées par quatre entre 2016 et 2021. Il y a indéniablement eu une vraie évolution en France, sous l'impulsion des Programmes d'investissements d'avenir (PIA), de France Relance et aujourd'hui de France 2030. Or, certains de nos interlocuteurs estiment que ces aides sont à la fois trop concentrées, notamment thématiquement sur la deeptech, et trop diluées, les montants octroyés étant trop faibles pour apporter un réel effet de levier et faire émerger des entreprises à fort potentiel. Que répondez-vous à ces critiques ? Faut-il repenser le ciblage de ces aides ?
Plus généralement, quel bilan tirez-vous de la politique de soutien aux entreprises innovantes mises en oeuvre par Bpifrance au cours des dix dernières années ? Notre tissu économique n'est-il pas toujours extrêmement dépendant des capitaux nord-américains pour faire croître ses start-ups, et dépendant des aides publiques comme celles de Bpifrance ?
Enfin, sur les dépenses publiques en faveur de l'innovation, le pari est-il gagnant en termes de retour sur investissement ?
M. Fabien Gay, rapporteur de la mission d'information « Quel financement pour l'entreprise de demain ? ». - Ma question porte sur les activités d'investissement de Bpifrance, qui mobilisent beaucoup de moyens. Bpifrance est-il un actionnaire comme un autre, ou comme je le pense, est-il le bras armé de l'État ? Vous avez indiqué qu'en tant qu'établissement de crédit, Bpifrance ne pouvait pas évaluer la globalité de la politique RSE de chaque entreprise ; mais qu'en revanche, lorsque Bpifrance est représenté au conseil d'administration en tant qu'actionnaire, vous y êtes très attentifs.
Vous avez donné comme exemple Stellantis, dont Bpifrance est actionnaire à hauteur de 6 % du capital. Or, Stellantis déploie actuellement une politique de suppression de la sous-traitance en France. Dans mon département, la dernière usine d'emboutissage automobile va fermer, car Stellantis a décidé très rapidement de délocaliser la production en Turquie. J'étais la semaine dernière près de Châteauroux, où j'ai rencontré les salariés d'Impériales Wheels : ils travaillent beaucoup pour Stellantis et un peu pour Renault, en produisant les dernières jantes en aluminium fabriquées en France. Stellantis vient de décider de mettre un terme à ses contrats, avec effet au 20 juin prochain.
Je ne nie pas que nous recréons de l'emploi industriel dans le pays, mais il me semble que notre politique industrielle est problématique : la France semble se concentrer sur les gigafactories de batteries électriques en espérant que nous serons peut-être un jour les leaders européens en la matière. Cependant, pourrons-nous conserver notre souveraineté si nous construisons uniquement des batteries et plus aucune autre pièce automobile ?
Bpifrance est-il donc un actionnaire comme un autre, qui cherche avant tout la rentabilité de l'investissement avant de le revendre, ou tient-il compte d'éléments liés à l'intérêt national et donc à notre souveraineté ? Enfin quelle est la différence entre Bpifrance et l'Agence des participations de l'État (APE), et selon quels critères est-il décidé de qui de deux établissements investira au nom de l'État ?
Mme Pauline Martin, rapporteure de la mission d'information « Quel financement pour l'entreprise de demain ? ». - Laissez-moi tout d'abord vous dire qu'après avoir mené de nombreuses auditions dans le cadre de notre mission d'information, nous constatons que l'action de Bpifrance est plébiscitée.
Mais nos interlocuteurs ont relevé quelques failles, notamment le coût de vos prestations qui semble en décalage avec les tarifs commerciaux ; ainsi que vos délais de réponse qui laissent penser que, contrairement à la décentralisation de votre organisation que vous aimez à rappeler, beaucoup de décisions sont en réalité prises en centrale à Paris.
M. Nicolas Dufourcq. - En matière de financement de l'innovation, les aides sont-elles trop fragmentées pour atteindre un effet critique ? Le rôle de Bpifrance est celui de catalyseur et de constructeur d'écosystèmes, parce que ce sont ces écosystèmes qui produisent les entreprises durables : dans le milieu des sous-traitants automobiles à une certaine époque, aujourd'hui dans la tech. Pour que le pays dispose de belles entreprises résilientes et durables, qui produisent de la valeur et la font ruisseler, qui dégagent suffisamment de résultats pour financer la recherche, qui deviennent des ETI industrielles ou des ETI de la tech ; il faut qu'à la base, il existe constamment un « humus », un biotope d'entreprises. Certaines d'entre elles vont rester petites ; une forme de sélection darwinienne va s'opérer.
Cela suppose de résister à la tentation colbertiste, qui consiste à considérer que la décision, la raison, vient d'« en haut » ; et qu'« en bas », il faut s'ajuster. Bpifrance défend une logique fondamentalement inverse ; de « bottom-up ». En règle générale, l'écosystème sait où aller, c'est de la base que viennent des idées, des développements que nous n'aurions jamais imaginés depuis Paris. Nous assumons d'envoyer une pluie de petites subventions et de petites aides à de nombreuses entreprises, un peu comme un horticulteur cultive un jardin ou comme l'Éducation nationale agit auprès de chaque élève. Après qu'une petite PME ou start-up ait reçu sa première subvention, sa deuxième, puis sa troisième ; on évalue si elle est performante ou non et en décidant en conséquence de continuer à la soutenir ou d'arrêter. Il existe une sorte de « cursus honorum » de Bpifrance.
Il y a quelques jours, j'ai ainsi inauguré à Strasbourg une usine de l'entreprise Umiami qui produit des aliments à base de protéines dont le goût ressemble à celui du poulet. Le chef de cette entreprise a 29 ans. À ses débuts, à 25 ans, Bpifrance l'a accompagné par une première subvention de 30 000 euros, puis une deuxième. Il a participé au concours d'innovation « i-Nov » qui lui a permis de toucher 200 000 euros, puis au concours « i-Lab ». À chaque étape, il présentait de très bons résultats. À 29 ans, il ouvre aujourd'hui une usine après avoir levé 100 millions d'euros. Il a ainsi suivi tout le cursus honorum de Bpifrance. Beaucoup d'entrepreneurs, à l'inverse, s'arrêtent plus tôt dans ce parcours parce qu'ils n'obtiennent pas de résultats.
Cette méthode, qui consiste à irriguer constamment un écosystème, est mise en oeuvre de façon encore plus marquée en Finlande, en Suède, en Israël, c'est-à-dire dans les pays les plus innovants.
Nous finançons 25 000 start-up. C'est un écosystème très plastique, qui bouge en permanence. Certaines initiatives aboutissent, selon la qualité de l'entrepreneur : c'est une structure en pyramide. Pour être sûr de voir apparaître dans la presse économique française en 2029 de nouveaux noms qui feront la fierté collective, il faut irriguer aujourd'hui l'écosystème. Ceux qui font les unes des Échos aujourd'hui sont des « bébés Bpifrance » des années 2016 ou 2017, que nous avons suivis et fait croître.
Il faut avoir à l'esprit cette logique de continuum et de cursus, qui est fondamentale. Bpifrance doit se mettre à la place de l'entrepreneur et s'interroger tous les trimestres sur ses besoins pour croître, pour éviter toutes les « vallées de la mort » qui peuvent le faire tomber. C'est de cette manière que nous avons construit notre boîte à outils, qui fonctionne bien.
On ne peut pas dire que nos aides sont trop diluées. Certains diront toujours que l'aide est trop faible, mais nous composons avec nos contraintes et la France est un pays très généreux par rapport à ses voisins européens en matière d'aides à l'innovation. La boîte à outils mise en place par Bpifrance n'existe ni en Espagne, ni en Italie, ni même en Allemagne. Elle existe en revanche en Scandinavie, dans une certaine mesure aux Pays-Bas, et évidemment en Grande-Bretagne qui est un très grand pays de la deeptech.
La dépendance aux capitaux étrangers est un sujet fondamental, qui fait actuellement l'objet d'importants débats liés à l'union des marchés de capitaux.
Les grandes enveloppes de capital-risque sont aujourd'hui implantées aux États-Unis. En Europe, il n'y a pas assez de grands acteurs qui déploient des capitaux privés orientés vers le risque, qui s'inscrivent dans cette culture de la réinvention du monde et du « risque rugissant » : cela, c'est la culture américaine. Cette culture est profonde : même les fonds de pension américains financent ces fonds privés, qui prennent beaucoup de risques. Les rares fonds de pension européens ne le font pas, ils sont plus conservateurs. En Europe, ce sont les États qui prennent des risques. Il faut absolument que nous parvenions à changer cette situation.
Comment pouvons-nous nous en sortir ? On peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. Si je le vois à moitié plein, je constate que les start-ups de la tech française, qui font la une des journaux, comme Mistral par exemple, parviennent à attirer des capitaux américains. Ils entrent à des valorisations très élevées, que nous n'aurions jamais pu imaginer, alors que ces entreprises dégagent peu de revenus. En conséquence, les acteurs américains prennent un faible pourcentage du capital, ce qui répond en partie aux inquiétudes en matière de souveraineté. Quand des fonds américains ont investi dans Doctolib par exemple, c'était sur la base d'une valorisation très élevée de 5,5 milliards d'euros.
Si je vois maintenant le verre à moitié vide, j'observe que dans un certain nombre de secteurs, comme ceux des dispositifs médicaux ou de la biotech, on compte tellement peu de consolidateurs européens que les start-ups sont vendues à des acteurs américains. On les soutient, on les fait croître, mais à un certain moment, elles quittent l'Europe - elles resteront peut-être en France pour la recherche, mais le consolidateur stratégique est américain.
Nous travaillons sur tous ces sujets. Nous avons besoin que les grands entrepreneurs, les capitaines d'industrie, les acteurs de la finance européenne créent de grands fonds de capital-risque, comme il en existe aux Etats-Unis. Bpifrance ne peut pas financer toutes les start-ups. Il faut que ces fonds émergent partout en Europe, notamment en Allemagne, pays dont le rôle économique est central.
Vous m'interrogez sur le return on investment (ROI, retour sur investissement) qui évalue la réussite d'une opération en termes de revenu financier. Nos résultats varient en fonction des années. 2021 et 2022 ont été de très belles années. La bulle sur la tech nous a permis de céder un certain nombre de participations dans de très bonnes conditions. En moyenne, nous avons pu récupérer deux fois le montant de notre investissement. Depuis, la bulle a explosé. Il me semble que ce n'est pas très grave, c'est la vie des grands écosystèmes d'innovation, en France comme aux États-Unis. Aujourd'hui, notre retour sur investissement est en moyenne de 1,2 fois le montant de nos investissements en fonds propres en capital-risque.
Sur nos investissements en fonds propres auprès des PME territoriales, familiales, nous avons dégagé en 2023 une performance incroyable, avec un retour sur investissement de plus de 3,5 fois le montant de nos investissements. Il est pourtant risqué d'investir, par exemple, 2 millions d'euros dans une entreprise implantée à Rodez qui n'a jamais ouvert son capital. Nos équipes sur le terrain sont très aguerries !
Quels indicateurs de performance suivons-nous et présentons-nous à notre conseil d'administration ? Nous nous attachons à la création de valeur de nos investissements, c'est-à-dire à l'évolution de la valeur de notre portefeuille. Depuis la création de Bpifrance en 2013, la valeur de son portefeuille a augmenté en moyenne de 7 % par an. Nous nous efforçons de maintenir cette performance, car il s'agit de l'argent des Français, tout en accomplissant nos missions d'intérêt général.
Bpifrance n'est pas un actionnaire comme les autres. Quand il le faut, nous sommes d'ailleurs un actionnaire activiste. Cependant, nous ne sommes pas un actionnaire majoritaire. Posséder 7 % du capital, ce n'est pas la même chose que d'en détenir 60 %. Nous agissons donc par la voie de l'influence, car nous n'avons pas de droit de veto sur des éléments fondamentaux du fonctionnement des entreprises. Ainsi, je n'ai pas de droit de veto au conseil d'administration de Stellantis concernant le choix des sous-traitants. En revanche, en tant que membre du conseil d'administration, je m'exprime de manière instruite pour rappeler l'importance de la filière.
Mais si nous voulons fabriquer des véhicules électriques à des prix acceptables pour le bas de la classe moyenne française, nous ne pouvons pas miser sur une filière à 100 % française. Il ne sera pas possible de mettre en place le « leasing social » pour tous les Français. Il a tellement bien fonctionné qu'il a fallu l'arrêter au bout de trois mois, car il coûte trop cher. La plupart des pays européens ne peuvent d'ailleurs plus payer de bonus automobile. Il faut bien baisser les coûts si nous voulons offrir des véhicules électriques de qualité à la classe moyenne française, qui couvre des situations financières très différentes.
Nous savions que le recours à Impériales Wheels n'allait pas fonctionner, c'est la raison pour laquelle nous avons refusé d'investir, selon un principe de réalité. La question de la sous-traitance automobile dans un monde qui bascule vers la motorisation électrique, où la batterie représente désormais l'essentiel des nouveaux coûts du véhicule, est très compliquée pour Stellantis, comme pour Renault ou BMW. Elle traverse l'ensemble de l'industrie automobile européenne.
Mais nous ne sommes pas actionnaires comme les autres. Dans les entreprises cotées, nos administrateurs sont des salariés de Bpifrance. Quand ils arrivent au conseil d'administration, ils sont très préparés : pour chaque entreprise, une petite équipe relit les documents du conseil, prépare les questions à poser, etc. Ce n'est pas toujours le cas des autres administrateurs. Nous sommes très actifs, et, je pense, très respectés, car nous sommes très préparés, notamment sur les sujets ayant trait au climat. Nous avons imposé des comités climat dans toutes les entreprises cotées dont nous sommes actionnaires. Les comités climat des grandes entreprises cotées sont de plus en plus compliqués. Les documents sont très épais ; ils regorgent d'acronymes et de chiffres. Sans préparation, c'est extrêmement cryptique, vous pouvez ne rien voir : je pense que nous rendons ainsi un vrai service à la gouvernance d'entreprise.
Quelles sont les différences entre Bpifrance et l'APE ? Nous avons racheté à l'APE ses participations dans l'entreprise Peugeot : elle ne pouvait pas conserver un deuxième constructeur automobile - avec Renault - dans son portefeuille, pour des raisons ayant trait à la prévention des conflits d'intérêts. À l'exception de l'entreprise Renault, ancienne régie nationale, toutes les participations de l'APE relèvent du secteur de la défense ou des infrastructures : EDF, SNCF, Dassault, Airbus, Thales, Safran, etc. Par ailleurs, l'APE ne vend pas ses participations, car elle est un investisseur de long-terme - sauf dans le cas d'une privatisation. À l'inverse, le portefeuille de Bpifrance se renouvelle.
Concernant les délais et les prix pratiqués par Bpifrance, il faut distinguer deux catégories de produits. Pour ceux que nous maîtrisons complètement, les délais de réponse sont très courts. Un prêt sans garantie nécessite un contrat de trois pages et nous l'accordons en deux semaines. En revanche, les décisions ayant trait aux produits financés par le plan d'investissement France 2030 ont été recentralisées puisque de fortes sommes sont en jeu. Les ministères concernés ont voulu avoir la main, les aides sont accordées par des comités constitués d'experts indépendants, et leur octroi est soumis à la signature du Premier ministre. C'est très bien, mais les délais de réponse aux entreprises ont explosé. Nous avons travaillé avec l'État, et, même si ce n'est pas entièrement satisfaisant, nous avons réussi à les réduire de trois mois et à prévenir tout dérapage.
Enfin, vous m'interrogez sur le prix de nos prestations. Nos prêts sans garantie sont chers. Nous ajoutons en effet le coût de la garantie au taux auquel nous empruntons sur les marchés mondiaux. Les entrepreneurs qui ont des très beaux bilans trouvent que nos prêts sont chers, car en raison de la très forte concurrence bancaire qui a cours en France actuellement, ils peuvent trouver des taux assez avantageux. Le coût varie selon les années, et avec la hausse des taux, nos tarifs en 2023 étaient relativement chefs. En dépit de cela, même si certains clients ont pu trouver moins cher ailleurs, nous avons accordé l'année dernière plus de 10 milliards d'euros de crédit.
M. Olivier Rietmann, président. - Vous avez évoqué l'inauguration d'une entreprise qui produit des protéines végétales. J'ai présenté en avril 2023, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, un rapport sur les aliments cellulaires. Nous avons en France de très belles entreprises actives sur ce segment, comme Vitalmeat. Il faudrait que la France se positionne en la matière, notamment dans ses échanges avec la Commission européenne au sujet des autorisations de mise sur le marché. Si celle-ci décide d'accorder de telles autorisations, dans les années qui viennent, il faudra que nous soyons au rendez-vous.
Or, vous financez les protéines végétales alternatives et la fermentation de précision, mais je comprends qu'il y aurait eu un veto du ministère de l'Agriculture sur le financement de start-ups travaillant sur les protéines alternatives par développement cellulaire. La situation a-t-elle changé ?
Mme Brigitte Devésa, rapporteure de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Nous avions déjà pu échanger à Nantes lors du déplacement de la délégation dans le cadre du « Jour E » organisé par Bpifrance.
Dans le cadre de nos auditions et déplacements, nous rencontrons énormément d'acteurs du développement durable, qui accompagnent les entreprises dans ce changement. Nous constatons évidemment que le chemin de la décarbonation, de la transition écologique n'est pas simple.
Éric Duverger, fondateur de la Convention des entreprises pour le climat, nous a dit qu'il est « nécessaire de chambouler le système économique si nous voulons survivre et savoir faire évoluer les modèles d'affaires des entreprises ». Il a parlé d'entreprises « régénératrices », puisque nous reposons, d'après lui, sur un système extractif. Cela désigne des entreprises qui se donnent pour ambition de régénérer les systèmes, les services écosystémiques, donc de redonner la place aux vivants et à l'humain. Comment percevez-vous cette affirmation ?
M. Simon Uzenat, rapporteur de la mission d'information « Entreprises et climat ». - Je vous remercie également pour notre rencontre à Nantes à l'occasion du « Jour E », une très belle opération pour valoriser les entrepreneurs membres de la communauté du Coq vert.
Je salue nos collègues Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès qui ont présenté au nom de la délégation, en février dernier, un rapport passionnant sur la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive).
Outre ces enjeux du reporting extrafinancier, les auditions que nous menons depuis maintenant plusieurs mois nous conduisent à nous intéresser au sujet du prix carbone attribué aux produits et aux services. Il vise à faire en sorte que la dimension climatique, dans son interprétation la plus large, et la dimension économique soient intimement et quotidiennement mêlées. C'est pour nous l'un des leviers de transformation à privilégier. Le déploiement de ce prix du carbone est-il réalisable dans les PME et les TPE, en prenant appui notamment sur les experts-comptables ? On nous dit que la comptabilité financière repose sur plusieurs décennies de travaux, mais nous disposons aujourd'hui d'outils et de connaissances qui nous permettraient d'aller beaucoup plus vite sur ce sujet.
Toujours concernant les outils très concrets qui nous permettraient d'avancer rapidement vers la transition climatique, nous nous intéressons aussi au « dividende climat ». Quelle est la position de Bpifrance sur le sujet, pour que les performances soient examinées non pas à l'aune des déterminants classiques de la rentabilité financière, mais au prisme du climat et de l'économie ?
Vous avez évoqué le « porte-à-porte de masse » déployé par Bpifrance. Nous avons eu l'occasion d'en discuter à Nantes avec la communauté de pionniers du Coq vert. On compte 4 millions de TPE-PME en France. Comment envisagez-vous de massifier encore davantage ce porte-à-porte pour toucher le plus grand nombre d'entreprises ? De quels moyens financiers et humains avez-vous besoin pour atteindre ces objectifs ?
Enfin, le rapport annuel de la Cour des comptes consacré à l'adaptation climatique indique que l'intégration du risque climatique n'est pas encore aboutie. Bpifrance a déployé des efforts en ce sens, avec la participation des équipes de gestion du risque climatique au comité d'investissement. C'est sans doute insuffisant. On entend bien la priorité donnée à l'atténuation du changement climatique, mais il ne faut pas oublier le deuxième axe qu'est l'adaptation au changement climatique. Comment travaillez-vous sur cette question ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure de la mission d'information « Entreprises et climat ». - L'un des enjeux principaux mis en évidence dans le cadre de notre mission d'information « Entreprises et climat » est celui sur le financement des TPE-PME. La décarbonation occupe les esprits, c'est l'objectif principal, mais ce n'est pas le seul. Des initiatives émergent dans les territoires, beaucoup d'entreprises doivent être accompagnées, conseillées, financées ; leurs dirigeants sont à la peine et en phase de découragement.
Quel peut être le rôle de Bpifrance auprès de ces petites entreprises ? Le gouvernement et Bpifrance ont-ils la volonté d'aller sur les territoires et d'accompagner ces entreprises ? Quelles sont vos préconisations en la matière ?
M. Nicolas Dufourcq. - La Convention des entreprises pour le climat fait un très bon travail. L'entreprise régénérative est un « chapeau » conceptuel qui va couvrir de plus en plus d'actions pratiques, mais elles vont prendre beaucoup de temps et s'accomplir progressivement. Parmi celles-ci figurent la capture du carbone, les pompes à chaleur, la récupération de la chaleur fatale ou encore le recyclage de l'eau. Ces actions, intensives en technologie, nécessitent de nouveaux équipements onéreux qui doivent être financés. Bpifrance se prépare à être un financeur majeur de ces équipements.
De nombreux débats technologiques ont cours et tout n'est pas stabilisé. Dans l'écosystème mondial des start-ups qui contribuent à la récupération de la chaleur fatale pour l'électrification de l'industrie, par exemple, nous constatons qu'il y existe aujourd'hui de nombreuses technologies et que celle qui s'imposera n'a pas encore été identifiée. Certains « early adopters », ou précurseurs, ont pris le parti d'investir et sont très fiers de communiquer à ce sujet au sein de la communauté du Cop vert. D'autres préfèrent attendre.
Nous réfléchissons aussi à la manière d'approcher les PME. Elles ont compris qu'elles devaient réaliser un bilan carbone, faire le diagnostic « Décarbon'Action » que nous avons monté avec l'ADEME, mais le plus difficile est de gérer les étapes suivantes.
La priorité est l'électrification de l'industrie française. Un tiers des PME industrielles françaises ne sont pas du tout électrifiées et fonctionnent encore grâce au fuel ou au gaz. Or, le prix de l'électricité est de 70 euros/MWh et celui du gaz de 25 euros/MWh. Il y a donc un vent contraire, qui ramène à la question du prix du carbone. Les entreprises doivent financer l'investissement dans l'électrification de leurs processus de production, alors que l'électricité est plus chère que les énergies fossiles. La France pourrait bien sûr créer une taxe pour aligner automatiquement le prix du gaz sur le prix de l'électricité, mais si cette mesure pourrait rapporter beaucoup d'argent et constituer une magnifique « taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TIPP) industrielle », elle aurait des conséquences importantes sur l'ensemble de la chaîne de la valeur. Nous savons ce qu'il nous en a collectivement coûté de proposer une taxe carbone aux Français. Le moment est délicat. La faiblesse du prix du gaz est essentiellement liée à la surproduction américaine, qui durera probablement encore plusieurs années, mais ne sera pas éternelle.
Bpifrance a fixé l'électrification de l'industrie comme priorité à ses équipes. Nous ne partons pas battus. Certaines PME ne peuvent pas se permettre ces investissements, mais beaucoup sont déterminées à engager la transition bien qu'elle soit coûteuse, notamment dans le secteur automobile. Dans le financement de l'innovation, notre priorité est aussi de financer les technologies permettant d'aller vers une logique régénérative et d'électrifier l'industrie, notamment à base de récupération de chaleur fatale.
J'en viens au sujet du prix du carbone et celui de la « comptabilité carbone ». Selon moi, si je me place du point de vue des patrons de PME, très pragmatiques, ce n'est pas la priorité. Il faut d'abord les aider à mettre en marche leur transition, avant de leur imposer une comptabilité carbone qui ne fera que constater qu'ils sont très « carbonés ». Je ne vois pas très bien ce que cela peut rapporter en termes de mobilisation collective, mais je sais en revanche que cela va enrichir les experts-comptables. Pour le prix du carbone, sauf si une politique européenne parvient à l'augmenter partout en Europe, en évitant toute distorsion de concurrence et en obtenant le soutien des consommateurs finaux, cela me paraît très difficile à atteindre.
Je ne suis pas familier du dividende climat.
Avant la pandémie de Covid-19, Bpifrance s'adressait principalement aux TPE par le biais de la garantie. Or, jusqu'à 200 000 euros, nous déléguons l'octroi de cette garantie aux banques, donc nous n'avons pas de contact direct avec le client. Au-delà de ce seuil, pour des crédits plus conséquents orientés plutôt vers les petites PME, le contact client est bien là, car nous procédons au cas par cas.
Dans le cadre du déploiement du prêt garanti par l'État (PGE), nous avons mis en place une plateforme à l'intention de 750 000 TPE. Elles ont découvert à cette occasion l'existence de Bpifrance. Depuis, nous avons créé des plateformes digitales permettant de consentir des prêts aux TPE.
Ensuite, il faut trouver des prêts qui conviennent aux TPE. Nous avons créé un « Prêt Action Climat » peu cher, sans garantie, d'un montant de 30 000 ou 40 000 euros. Un prêt intitulé « Prêt Climat » ne leur « parle pas ». En revanche, un « Prêt TPE Électrification de camionnette » retiendra leur attention. Plus nous nous adressons à la base de notre tissu économique, plus nous devons être « pratico-pratiques ». C'est dans cette direction que nous travaillons.
Sur nos plateformes, les prêts sont octroyés par algorithme. Plus nous consentons de prêts, plus les algorithmes s'améliorent grâce à l'intelligence artificielle. La directive révisée sur les services de paiement (DSP2) nous permet d'avoir accès aux comptes des TPE : nous voyons tous les flux. Les algorithmes et l'intelligence artificielle nous permettent donc d'évaluer facilement évaluer la qualité de la contrepartie et d'accorder de nombreux prêts. Nous sommes devenus la plus importante fintech française pour les TPE, bien que cela nécessite un investissement dans la durée.
Bpifrance est plutôt en avance en termes de gestion du risque climatique sur son portefeuille. C'est ce que la Banque centrale européenne (BCE) nous a confirmé après un contrôle d'une durée de six mois dont le résultat a été très positif. Cependant, comme vous, j'estime que l'économie française dans son ensemble sous-estime le problème de l'adaptation au changement climatique. En particulier, les entreprises industrielles, petites comme grandes, sous-estiment complètement le risque de sécheresse. Je pense que c'est par la question de l'eau que les acteurs vont commencer à prendre la mesure de notre problème d'adaptation. Dans les secteurs de l'immobilier commercial, que nous finançons beaucoup, et du tourisme, les entreprises seront confrontées au recul du trait de côte et à la réduction de l'enneigement. Dans les stations de montagne, les équipes « risques » de Bpifrance ont présenté hier en comité des risques une étude de quantification du risque lié à la disparition de la neige en dessous de 1 800 mètres. Malgré tous les crédits consentis aux stations de montagne depuis de nombreuses années, le risque pour Bpifrance est relativement faible : il serait de l'ordre de 50 millions d'euros, ce qui est absorbable grâce aux stratégies de mitigation. La direction des risques passe en revue les conséquences de la transition climatique sur la structure du portefeuille de Bpifrance. Nous nous sommes aussi également interrogés sur l'existence d'un « risque Chine », en cas de blocage de l'économie chinoise. Nous n'en sommes qu'au début du déploiement de cette approche, mais nous n'accusons pas de retard en termes de mesure des risques systémiques.
Le risque de découragement des entreprises est fortement lié à la question des normes. Une entreprise qui a déjà réalisé un premier diagnostic, puis un second, qui est prête à mettre en oeuvre des changements, peut être découragée par l'application de la directive CSRD ou du principe DNSH (Do No Significant Harm). Les chefs d'entreprise se demandent si ceux qui sont à l'origine de ces normes comprennent ce qu'elles signifient dans leur vie quotidienne. Il faut que nous soyons très attentifs à l'impact de ces normes. J'ai cru comprendre que votre délégation propose la mise en place d'un « test PME » : c'est formidable, car c'est indispensable.
Vous m'interrogiez sur le financement des entreprises actives sur le segment des protéines issues de multiplications cellulaires. L'ancien ministre de l'agriculture, Julien Denormandie, avait posé un véto catégorique. Cela reste la doxa.
M. Olivier Rietmann, président. - C'est dommage. Je ne souhaite pas faire la promotion de ces produits, mais il y a une perspective industrielle à côté de laquelle nous ne pouvons pas passer si la Commission européenne donne son accord à la commercialisation. Il serait préférable d'avoir dans nos rayons des produits français plutôt que des produits américains, hollandais ou israéliens.
M. Nicolas Dufourcq. - J'en suis d'accord.
M. Daniel Laurent. - Dans mon territoire, qui est rural, les entreprises s'implantent moins facilement que dans les territoires urbains. On y trouve une petite clinique vétérinaire qui est en pleine croissance. Il me semble que nous devons maintenir une forme de « maillage sanitaire » de nos territoires. J'entends que Bpifrance finance les principaux pôles de santé, les centres de recherche, mais qu'en est-il des vétérinaires qui jouent un rôle essentiel dans les territoires ruraux ? Peuvent-ils bénéficier de certaines aides de Bpifrance ?
M. Nicolas Dufourcq. - Ils peuvent bénéficier de toutes nos aides : nous finançons déjà des cliniques vétérinaires. Ils sont éligibles à des soutiens en crédit ou d'ailleurs en fonds propres, dès lors que l'entrepreneur est là. Nous finançons aussi des pharmacies, des cliniques ou des crèches, y compris en capital.
M. Jérôme Darras. - Bpifrance a été conçue dès l'origine pour travailler en étroite collaboration avec les régions. Nous étions d'ailleurs rencontrés à Lille, avec l'ancien président du conseil régional et sénateur Daniel Percheron. Les régions ont des compétences en matière d'innovation et de garanties. Qu'en est-il aujourd'hui de cette coopération entre Bpifrance et les régions, et quelles sont les conditions pour cette coopération ? Quels exemples pouvez-vous nous donner ?
M. Martin Lévrier. - Il y a en France un nombre inimaginable de subventions. Vous avez évoqué un guichet unique : un guichet unique gérant l'ensemble des subventions dont peut bénéficier une entreprise est-il envisageable ? Les petites entreprises se perdent dans le maquis des subventions, et souvent, y renoncent. Ce guichet pourrait présenter les aides éligibles, mais surtout traiter les demandes en soutien des entreprises qui n'ont pas la capacité de gérer ces processus.
Les associations peuvent-elles bénéficier des aides et des services de Bpifrance ?
M. Olivier Rietmann, président. - La loi nous impose une utilisation plus vertueuse du foncier : des mesures importantes, voire draconiennes, ont été prises. Ont-elles un impact sur le développement économique et industriel ? Un rapport de notre délégation, présenté en janvier dernier par nos collègues Christian Klinger et Michel Masset, et intitulé « Difficultés d'accès au foncier économique : l'entreprise à terre ? », indiquait que 67 % des collectivités territoriales avaient vu des projets de développement économique échouer par manque de foncier. Constatez-vous aussi que les entreprises rencontrent des problèmes de développement ou d'installation au regard des nouvelles règles d'utilisation du foncier ?
M. Nicolas Dufourcq. - Nos relations avec les régions sont très bonnes, nous travaillons très bien ensemble. Elles sont un financeur important de Bpifrance. Presque toutes les régions abondent les fonds de garantie dédiés au crédit bancaire aux TPE ainsi que les fonds de garantie « Innovation ». Elles financent également nos accélérateurs et nos actions de conseil. Une exception est la région Aquitaine, avec laquelle notre relation est plus distante, celle-ci ayant fait depuis plus de dix ans le choix de s'intégrer verticalement.
J'en viens au guichet unique. Un exemple est notre travail avec la Ville de Paris : nous distribuons les aides à l'innovation de la Ville de Paris dans le cadre du programme « Innov'up ». Nous serions tout à fait prêts à devenir le distributeur de dispositifs subventionnels, et nous sommes équipés pour cela. Effectivement, certains entrepreneurs estiment qu'ils ne sont pas devenus entrepreneurs pour aller faire le « porte-à-porte » des différents guichets subventionnels. D'autres nous disent d'arrêter de multiplier les subventions - la région, les réseaux consulaires, etc. - et demandent surtout un peu plus de liberté. C'est une demande légitime.
Les subventions les plus conséquentes, pour les grandes entreprises, passent par Bpifrance, par exemple en matière de semi-conducteurs ou pour les gigafactories. Nous instruisons les dossiers et décaissons les montants accordés. Les plus grandes subventions liées au climat sont instruites par l'ADEME et décaissées par elle.
Le tissu associatif, le secteur non lucratif, est subventionné par la Banque des territoires. Bpifrance subventionne uniquement les associations d'aides à la création d'entreprises, au nombre d'environ 300, pour près de 50 millions d'euros par an.
En matière de foncier et de zéro artificialisation nette (ZAN), nous avons réalisé un travail de micro-géographie, territoire par territoire, qui s'intitule « Étude Industrie et territoires ». Elle montre que la culture industrielle est restée intacte dans deux grandes zones géographiques. L'une s'étend du Havre à Bordeaux (Mayenne, Vendée, etc.), elle repose sur un tissu dense de PME et d'ETI, avec une forte entraide, des sous-traitants qui travaillent ensemble. Les enfants ont envie d'être entrepreneurs dans le secteur industriel, comme en Allemagne. L'autre est la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Or l'étude montre que les friches se situent plutôt dans le Nord-Est, tandis que les entrepreneurs de l'industrie sont plutôt à l'Ouest ou en Auvergne-Rhône-Alpes où l'on ne trouve plus de friches. Enfin, les nouveaux talents qui veulent participer à l'industrialisation de la France sont implantés dans les métropoles. Cela crée une situation difficile. L'entreprise Vercors a débuté son activité à Grenoble, mais a construit son usine dans les Hauts-de-France.
Je pourrais vous dire avec humour que le slogan de Bpifrance est « Mieux vaut délocaliser en Bourgogne qu'en Pologne » - bien que le trajet soit parfois plus long ! C'est tout l'enjeu : à La Roche-sur-Yon ou à Vitré, on ne trouve plus de friches, alors qu'on compte de nombreux entrepreneurs. Il faut les encourager à s'orienter vers d'autres régions françaises.
M. Olivier Rietmann, président. - Ce problème concerne aussi les collectivités. Certaines ne peuvent pas accueillir de nouvelles entreprises en raison du manque de friches et sont condamnées à les voir partir à 10 ou 15 kilomètres, alors qu'elles ont parfois beaucoup oeuvré pour les attirer.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Dans le contexte de l'accélération de la décarbonation, les petits réacteurs modulaires à fission (SMR, small modular reactors), sont souvent évoqués. Bpifrance les finance-t-il ?
M. Gilbert Favreau. - Je souhaite évoquer à nouveau la mise en oeuvre du ZAN et les enjeux fonciers qui ont récemment émergé. Les régions auront la main pour déterminer les grands projets régionaux qui seront exclus du décompte national de l'artificialisation. Bpifrance est-il consulté sur l'identification de ces grands projets régionaux ?
M. Nicolas Dufourcq, - Nous finançons tous les projets de SMR, comme NAAREA ou Jimmy, grâce aux enveloppes prévues par le plan France 2030 dans le cadre d'un appel à projets dédié. Des subventions très importantes ont été accordées. Nous croyons en ces projets. Certains ont aussi été lauréats de l'appel à projets « Première usine » et vont commencer à construire.
Quant à savoir si nous sommes consultés par les régions sur la détermination des grands projets au titre du ZAN, la réponse est plutôt non. Nous ne sommes que rarement consultés, même si nous essayons d'inscrire notre action dans le cadre général des schémas de développement régionaux.
M. Olivier Rietmann, président. - Quelle est la situation des entreprises françaises de prêt-à-porter comme San Marina ou Celio ? Ce matin encore, une nouvelle entreprise a été placée en procédure de sauvegarde.
M. Nicolas Dufourcq. - Le secteur de la distribution est considéré comme très risqué depuis longtemps. Bpifrance s'en est en partie désengagé en application de sa politique de prévention des risques, car nous avions enregistré de très grosses pertes. Ce sont des métiers à très faible marge, des métiers de « centimier ». Or, l'économie des centres-villes a beaucoup changé et le commerce digital a explosé. La première chute a été celle du groupe André pendant la crise sanitaire. Ce sont des métiers très difficiles, confrontés, à la concurrence des grandes plateformes chinoises, à celle de l'allemande Zalando, ou à Amazon. Nous avions investi dans Sarenza que nous avons revendu avec une perte importante à Casino.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous remercie pour la franchise et la précision de vos réponses. Vos analyses seront très précieuses pour la suite des travaux de notre délégation.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES DANS LE CADRE DES AUDITIONS
MERCREDI 14 FÉVRIER 2024
Audition
Chambre de commerce et d'industrie (CCI France)
- Mme Corinne VIEILLEMARD, membre élu (CCI Essonne) ;
- Mme Nathalie HUET, chargée d'études sur les questions de RSE ;
- M. Marc CANAPLE, responsable du Pôle représentation nationale des entreprises DGA Services, Information et Représentation des Entreprises.
MARDI 27 FÉVRIER 2024
Audition
- M. Lionel FONTAGNÉ, professeur à l'école d'économie de Paris Panthéon-Sorbonne.
Conseil général de l'économie
- M. Emmanuel CLAUSE, ingénieur général des Mines.
MARDI 5 MARS 2024
Audition
Association Carbones sur factures
- M. Jérôme CAZES, co-fondateur de Carbones sur factures ;
- M. Alain MINCZELES, ancien responsable de la gestion financière de la Caisse des Dépôts.
MERCREDI 6 MARS 2024
Audition
France Stratégie
- M. Natacha VALLA, économiste.
Conseil d'analyse économique (CAE)
- M. François FONTAINE, professeur à l'université Panthéon-Sorbonne et Paris School of Economics.
MARDI 12 MARS 2024
Audition
Institut de la finance durable (IFD)
- M. Cécile GOUBET, directrice générale ;
- M. Nicolas LANCESSEUR, directeur climat et environnement.
MERCREDI 13 MARS 2024
Audition
Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
- M. Xavier TIMBEAU, directeur principal ;
- M. Anne ÉPAULARD, Directrice département Économie et environnement.
MERCREDI 27 MARS 2024
Audition
Inspection générale des finances (IGF)
- M. Frédéric LAVENIR, inspecteur général des finances ;
- M. Louis DE CREVOISIER, inspecteur des finances.
MARDI 9 AVRIL 2024
Audition
Réseau Action Climat
- M. Aurélie BRUNSTEIN, responsable industrie lourde ;
- M. Antoine DURAND, responsable transition écologique et emplois.
Union nationale des industries de carrières et des matériaux de construction (UNICEM)
- Alain PLANTIER, président ;
- M. Jean-Marie MODICA, président du Syndicat national du béton prêt à l'emploi (SNBPE) ;
- M. Louis NATTER, président des entreprises engagées ;
Fédération française du bâtiment (FFB)
- M. Valery LAURENT, chef du service normalisation à la direction des affaires techniques ;
- M. Thibault PEDRONO, ingénieur Énergie au service Transition écologique ;
- Mme Léa LIGNÈRES, chargée d'études relations parlementaires et institutionnelles.
MARDI 14 MAI 2024
Audition
Tenaka Greentech innovation
- M. Jean-Luc ROUX, président directeur général ;
- Mme Mélanie ROCQUES, directrice associée.
Team for the Planet
- M. Arthur AUBOEUF, Fondateur ;
- M. Mehdi COLY, Co-fondateur.
MERCREDI 15 MAI 2024
Audition
Observatoire de compétences industries (OPCO2i)
- Mme Stéphanie LAGALLE-BARANÈS, directrice générale ;
- Mme Stéphanie VERHAEGHE, directrice Études et prospective ;
- M. Fabien BOISBRAS, responsable Observatoire.
JEUDI 16 MAI 2024
Table ronde
- M. Antoine PEILLON, secrétaire général à la planification écologique, conseiller au cabinet de la Première ministre, en tant que chef de pôle Écologie, Transports, Énergie, Logement et Agriculture ;
- Mme Amélie COANTIC, Commissaire général au développement durable par intérim ;
- Mme Corinne LE QUERE, présidente ;
- M. David MARCHAL, directeur exécutif adjoint expertise et programme.
MARDI 21 MAI 2024
Audition
Carbone 4
- M. Romain GRANDJEAN, manager sénior, responsable de pratique.
Goodwill management
- Mme Astrid FORGET, manager sénior ;
- Mme Loraine MOIROUD, directrice bureau de Paris.
MERCREDI 22 MAI 2024
Audition
Syndicat des énergies renouvelables (SER)
- M. Jules NYSSEN, président ;
- M. Alexandre DE MONTESQUIOU, consultant, directeur associé Ai2P, en charge des relations parlementaires.
MARDI 28 MAI 2024
Table ronde
Mouvement Impact France
- Mme Caroline NEYRON, directrice générale ;
Association « Comité 21 »
- M. Philippe DESSERTINE, président ;
Convention des entreprises pour le climat
- M. Éric DUVERGER, fondateur ;
Collège des directeurs du développement durable (C3D)
- M. Fabrice BONNIFET, président.
JEUDI 30 MAI 2024
Audition plénière
Banque publique d'investissement - Bpifrance
- M. Nicolas DUFOURCQ, directeur général.
MARDI 4 JUIN 2024
Table ronde
Organisation internationale du Travail
- Mme Sarah GONDY, technical officer du département Entreprises ;
Confédération française démocratique du travail (CFDT)
- M. Fabien GUIMBRETIÈRE, secrétaire national responsable de la politique de développement durable ;
- Mme Anne-Juliette LECOURT, secrétaire confédérale ;
Confédération générale du travail (CGT)
- Mme Virginie NEUMAYER, membre de la direction ;
Force ouvrière (FO)
- Mme Béatrice CLICQ, secrétaire confédérale, secteur de l'égalité et du développement durable ;
Confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC)
- Mme Madeleine GILBERT, secrétaire nationale ;
- Mme Vinciane VIALARD, chargée d'études « Économie et développement durable » ;
Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)
- M. Jean-Marc BOULANGER, expert négociations et relations sociales.
MERCREDI 5 JUIN 2024
Audition
Syntec Ingénieurie
- M. Michel KAHAN, président ;
- M. Christophe LONGEPIERRE, délégué général ;
- Mme Anne ZIMMERMANN, responsable des affaires publiques.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES DANS LE CADRE DES DÉPLACEMENTS DE LA DÉLÉGATION
JEUDI 4 AVRIL 2024
Bpifrance
- Mme Isabelle ALBERTALLI, directrice « climat » ;
- M. Nicolas DUFOURCQ, directeur général ;
- M. Éric VERSEY, directeur exécutif en charge du financement et du réseau ;
- M. Jean-Paul CHAPRON, président du conseil de surveillance d'ASI, membre de la Convention des Entreprises pour le Climat.
VENDREDI 5 AVRIL 2024
Visite de l'entreprise la BELLE ILOISE
- Mme Caroline HILLET LEBRANCHU, dirigeante.
Visite de l'entreprise LES BOTTES D'ANÉMONE
- Mme Thiphaine TURLUCHE, fondatrice et dirigeante.
Visite de l'entreprise SILVADEC
- Mme Bénédicte JÉZÉQUEL, fondatrice et dirigeante ;
- M. Philippe CREZ, fondateur et dirigeant ;
- M. Bruno TEYSSEYRE, directeur technique.
Table-ronde avec des chefs d'entreprises et des représentants des organisations d'employeurs et des chambres consulaires
- M. Irwine MAGADUR, chargé de projet LA COLLOC ;
- M. Enzo BOURHIS, responsable développement Goodwill management ;
- M. Saïd BAKHTOUS, président Josso SAS ;
- M. Peter NASS, vice-président en charge du développement. durable et de la transition énergétique de la Chambre du Commerce et de l'industrie du Morbihan (CCI 56) ;
- M. Laurent KERLIR, président de la Chambre d'agriculture du Morbihan (CA 56) ;
- Mme Alice DE COINTET, directrice opérationnelle de Windcoop ;
- M. Ludovic ESPITALIER-NOËL, secrétaire général de la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB 56) et l'Union des entreprises et de proximité (U2P) ;
- M. Étienne CHAMPAGNE, président de la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB 56) ;
- Mme Olivia FOLLEZOU, responsable Hygiène Sécurité Environnement chez Atlantic Nature ;
- M. Fabien JOANNIC, directeur achats chez Atlantic Nature ;
- M. Julien LE BERRE, fondateur et président de LaBonApp ;
- Mme Tiphaine LE MAGUET, secrétaire générale de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises (CPME 56) ;
- M. Aymeric GIDEL, directeur qualité et responsabilité sociétale des entreprises (RSE) de ALTHO BRETS ;
- M. Loïc HENAFF, Conseiller régional de Bretagne ;
- M. Christophe VALLÉE, directeur de la technopole Vipe membre du réseau des 7 Technopoles Bretagne (7TB).
LUNDI 22 AVRIL 2024
Table ronde des acteurs du département de Martinique
- M. Philippe JOCK, président CCI Martinique ;
- Mme Céline ROSE, présidente CPME Martinique ;
- Mme Catherine RODAP, présidente du MEDEF ;
- M. Charles LARCHER, président de l'AMPI ;
- M. Xavier FICHAU, directeur EDF ;
- Mme Annie-Dominique JEAN-PHILIPPE, vice-présidente Contact-Entreprises.
Visite de l'entreprise MASTER SALAD et EMERWALL
- M. Philippe SOUNDOROM, associé gérant Master Salad ;
- M. Vincent LACROIX, co-fondateur de EMERWALL ;
- Mme Taïna AMPIGNY, Chargée de mission développement économique à la préfecture de la Martinique ;
- M. Loïc TOURNIER, Chargé de mission développement économique à la préfecture de la Martinique ;
- M. Cédric DAIRE, gérant de GAZPROM ;
- M. Cyril COMTE, gérant Groupe Citadelle ;
- M. Jean-Noël DEGRACE, directeur de projet Groupe Citadelle ;
- M. Pascal FARDIN, directeur général Contact-Entreprises.
MARDI 23 AVRIL 2024
Visite de la société anonyme de raffinerie des Antilles (SARA)
- M. Olivier COTTA, directeur général de la SARA ;
- M. Yannick DECOMPOIS, directeur de la DEETS ;
- M. Laurent MORILLON, DRARI (rectorat) ;
- M. Pascal FARDIN, directeur général Contact-Entreprises.
Visite de SYSTEKO
- Mme Élisa CARREAU-GASCHEREAU, directrice générale adjointe ;
- M. Jean-Philippe GAILLARD, directeur général ;
- M. Léandre BEAUROY, Commissaire à la Vie des Entreprises et au Développement Productif.
MERCREDI 24 AVRIL 2024
Table ronde des acteurs du département de Guadeloupe
- M. Bruno BLANDIN, président du MEDEF ;
- M. Ryan BEAUBOIS, secrétaire général du MEDEF ;
- M. Jean-Yves RAMASSAMY, 1er vice-président de la Chambre de Métiers et de l'Artisanat (CMA) ;
- Mme Marie-Laure CIPRIN, présidente de CLUSTER Maritime ;
- M. Didier PAYEN, vice-président du MPI (Association des moyennes et petites industries) et directeur KARULINE ;
- M. Tony MORVAN, Trésorier de la Chambre du Commerce et de l'industrie (CCI).
JEUDI 25 AVRIL 2024
Visite de l'entreprise SARL Top Caraïbes
- M. Jean-Philippe GABOURG, directeur.
Visite de l'entreprise MYDITECH
- M. Sébastien LUISSAINT, PDG ;
- M. Medy VINGADAPATY, responsable commercial.
Table ronde des acteurs du territoire
- M. Alan NAGAM, président FTPE (Fédération des Très Petites Entreprises) ;
- M. Freddy SINNAN, président CAPEB (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment) ;
- M. Jérôme DEBY, président CNATP (Chambre Nationale des Artisans des Travaux Publics et du Paysage) ;
- M. José GADDARKHAN, président FRBTP (Fédération Réunionnaise du Bâtiment et des Travaux Publics).
VENDREDI 26 AVRIL 2024
Visite de l'entreprise KLINGELE Cartonnerie des Antilles
- M. Christophe PALCY, directeur général.
Table ronde des acteurs du territoire
- M. Jean-Yves RAMASSAMY, 1er vice-président de la Chambre de Métiers et de l'Artisanat (CMA) ;
- M. Thierry TURLET, président du collectif des restaurateurs de Guadeloupe ;
- Mme Olivia RAMOUTAR, présidente de la fédération du tourisme de proximité de Guadeloupe ;
- M. Yves BROSSARD, président du Groupement hôtelier et touristique Guadeloupéen.
VENDREDI 31 MAI 2024
CMA CGM
- M. Bertrand BEY, vice-président Relations institutionnelles France.
Visite du Grand Port Maritime de Marseille
- M. Rémi COSTANTINO, directeur général adjoint ;
- Mme Coralie BEYLOT-LAYENS, cheffe de cabinet.
Visite de l'entreprise ARCELORMITTAL
- M. Bruno RIBO, président d'ArcelorMittal Méditerranée ;
- Mme Binta BOY, directrice des Relations institutionnelles Région Sud PACA et Occitanie ;
- M. Christian VORMEN, directeur du projet Décarbonation phase 1 ;
- Mme Émilie CHAILLEUX, directrice de la Communication ;
- M. Damien CHAMBOLLE, directeur du projet Décarbonation phase 2.
Jeudi 3 octobre 2024
Visite de la plateforme agro-industrielle de Pomacle-Bazancourt (Marne)
- M. Xavier ASTOLFI, directeur général adjoint de Cristal Union ;
- M. Jean-Marc ROZE, Président du Département de la Marne ;
- M. Florent ALLAIS, directeur de l'URD ABI d'AgroParisTech ;
- M. Alexis RANNOU, Directeur stratégie opérationnelle de l'entreprise GIVAUDAN ;
- Mme Anne DESVESRONNIERES, Maire ;
- Mme Honorine KATIR, Directrice des opérations du CEBB.
TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI
N° de la recommandation |
Recommandations |
Destinataires responsables |
Calendrier prévisionnel |
Support/action |
1 |
Afficher comme priorité de l'action publique en faveur de la transition climatique des entreprises l'adaptation et la décarbonation, la réduction nette des émissions de CO2 |
État |
2025 |
Loi de programmation énergie climat |
2 |
Cibler le plan de transition climatique des entreprises sur les objectifs de réduction nette des GES, lesquels ne doivent inclure ni les crédits carbones ni les émissions séquestrées, ni les émissions évitées |
Entreprises |
À compter de 2025 |
Droit souple283(*) |
3 |
Prioriser les financements publics dédiés à la décarbonation vers les technologies dont le ratio « émissions de CO2 évitées/coûts » est le plus fort et sur celles dont le potentiel de réduction d'émissions de GES est le plus élevé |
État |
À compter de 2025 |
Circulaire du Premier ministre |
4 |
Harmoniser la méthodologie de l'évaluation de la demande énergétique à l'horizon 2050 |
ADEME RTE284(*) |
À compter de 2025 |
Publication de l'ADEME |
5 |
Expérimenter à une large échelle la facturation carbone |
France Expérimentation |
1er janvier 2026 |
Circulaire du Premier ministre |
6 |
Accentuer l'efficacité et la sobriété énergétiques pour réduire la consommation |
État |
2025 |
Loi de programmation énergie climat |
7 |
Accélérer le déploiement des énergies bas carbone en s'appuyant sur la relance du nucléaire et le développement des énergies renouvelables |
État |
2025 |
Loi de programmation énergie climat |
8 |
Amplifier les expérimentations pour favoriser les innovations permettant d'accélérer la transition climatique des entreprises |
France Expérimentation |
2025 |
Circulaire du Premier ministre |
9 |
Simplifier les aides à la transition climatique des entreprises, en substituant une politique de l'offre à une politique de la demande, fondée sur le parcours usager de l'entreprise, s'adressant, de manière transversale, aux entreprises de tous secteurs et de toutes tailles |
État Collectivités territoriales CCI |
2025 |
Circulaire du Premier ministre Délibération des Départements et Régions Délibération des CCI |
10 |
Mettre en cohérence les aides à la décarbonation de France 2030 avec la future Stratégie nationale bas carbone ainsi que le futur Plan National d'Adaptation au Changement Climatique (PNACC 3) |
État |
2025 |
Décret |
11 |
Confier à l'ADEME, en liaison avec les organisations d'employeurs, la standardisation de la méthode de mesure pour la décarbonation par secteur, selon une approche en cycle de vie |
ADEME (consultation des organisations d'employeurs) |
2025 |
Publication de l'ADEME |
12 |
Créer « France Transition » afin de financer les expérimentations des processus de décarbonation, les fonds d'aides aux entreprises dispersés de France 2030 et ceux de Bpifrance ou de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), et soutenir de manière plus efficace les innovations au service de l'adaptation et de la décarbonation |
État |
2025 |
Décret |
13 |
Subordonner les aides publiques d'État, à l'adaptation climatique et à la décarbonation au respect, par l'entreprise qui en bénéficie, de la Stratégie nationale bas carbone et des stratégies sectorielles et du Plan National d'Adaptation au Changement Climatique (PNACC 3) lorsqu'ils seront publiés |
État |
2025 |
Décret |
14 |
Prioriser dans l'achat public les entreprises dont la chaîne de valeur est locale au regard du scope 3, lequel couvre les émissions associées aux activités en amont et en aval de la chaîne de valeur et permet de mesurer l'empreinte carbone d'une entreprise |
Union européenne État Collectivités territoriales |
2026 |
Révision des directives marchés publics285(*) Modification du code de la commande publique |
15 |
Associer les entreprises à la déclinaison territoriale de la planification de la transition climatique, pour un plan d'actions territoriales cohérent et partagé |
Collectivités territoriales |
Révision des instruments de planification climatique territoriale |
Délibération des Départements et Régions |
16 |
Soumettre, à échéance régulière, les principaux éléments de la stratégie climatique de l'entreprise aux assemblées générales d'actionnaires des entreprises soumises à la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) |
Entreprises |
2025 |
Droit souple |
17 |
Intégrer la transition climatique au dialogue social de branche |
Partenaires sociaux |
2025 |
Accords de branches |
18 |
Créer des observatoires numériques régionaux de la décarbonation, permettant de piloter, en quasi-temps réel, les performances des acteurs publics et privés et d'évaluer leur évolution par rapport aux trajectoires définies à l'échelle nationale et régionale |
Régions |
2025 |
Délibération des conseils régionaux |
19 |
Organiser un débat public annuel au Parlement consacré à la transition climatique de l'économie Prenant appui sur les données et les politiques conduites par l'État et les collectivités compétentes en matière de développement économique. Ce débat permettrait notamment l'évaluation, avec l'aide de la Cour des comptes, des politiques accompagnant les entreprises dans leur transition climatique |
État |
2025 |
Remontée des Régions et des Départements Conférence des présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat |
20 |
Élargir le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de la décarbonation des processus de production |
État |
2025 |
Loi de finances |
21 |
Déployer le dividende climat et étudier la mise en place d'une disposition fiscale le favorisant |
France Expérimentation Puis État |
2025 Loi de finances 2026 |
Expérimentation puis Loi de finances |
* 1 « Indicators of Global Climate Change 2023: annual update of key indicators of the state of the climate system and human influence », Earth System Science Data, 5 juin 2024.
* 2 Réchauffement du Pacifique équatorial qui augmente les températures mondiales. Les très fortes anomalies de chaleur observées à l'été et à l'automne 2023, avant le pic d'El Niño, suscitent de vifs débats au sein de la communauté scientifique.
* 3 « Décarboner les PME & ETI Françaises : des petits pas aux virages stratégiques », avril 2023
* 4 Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ou GIEC est un organisme intergouvernemental chargé d'évaluer l'ampleur, les causes et les conséquences du changement climatique en cours. Créé en 1988 sous l'égide de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), le GIEC est ouvert à tous les pays membres de l'Organisation des Nations unies. Il regroupe 195 États. Les évaluations du GIEC sont fondées sur les publications scientifiques et techniques, dont les auteurs du GIEC opèrent une synthèse critique. Elles sont publiées sous la forme de rapports synthétiques ou portant sur un aspect particulier du changement climatique, au sein de cycles d'évaluation d'une durée approximative de sept ans. Rédigés par des centaines de scientifiques des États membres, les travaux du GIEC aboutissent également à des résumés à l'intention des décideurs, relus phrase par phrase et formellement validés à l'unanimité par les délégués des États, avec l'assentiment des auteurs scientifiques.
* 5 Le décret n° 2024-630 du 28 juin 2024 relatif au régime particulier d'indemnisation des salariés par les entreprises du bâtiment et des travaux publics en cas d'arrêt de travail occasionné par les intempéries ajoute la canicule à la liste des conditions atmosphériques (neige, verglas, etc.) ouvrant droit au régime spécifique de « chômage intempéries » géré par le réseau congés intempéries BTP. Proche du chômage partiel, ce dispositif a été créé par le secteur du bâtiment et des travaux publics à la fin des années 1940 afin de minimiser les frais en cas d'arrêt des chantiers lorsque les conditions météorologiques « rendent dangereux ou impossible l'accomplissement du travail eu égard à la santé ou à la sécurité des salariés ». Il consiste en une indemnisation à hauteur d'environ 75 % du salaire brut du salarié qui se trouve privé de travail, tandis que l'employeur est, lui, indemnisé via une caisse abondée par des cotisations émanant des entreprises du BTP.
* 6 Pour « Operational Climate Adaptation and Resilience Assessment ».
* 7 Fondé en 2007 par deux experts des enjeux énergie-climat, Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean, rejoints en 2017 par Laurent Morel, Carbone 4 est un cabinet de conseil sur les enjeux de l'énergie et du climat.
* 8 « Economic losses from weather- and climate-related extremes in Europe », 6 octobre 2023.
* 9 Prix de 2022.
* 10 Les services écosystémiques désignent des avantages socio-économiques retirés par l'homme des écosystèmes tels que la pollinisation, la régulation des ravageurs ou encore la captation du carbone par les forêts et terres. Le programme EFESE (Évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques), piloté par le Commissariat général au développement durable, propose différents rapports thématiques pour présenter les services rendus par les écosystèmes français.
* 11 Audition du 16 mai de la délégation aux Entreprises du Sénat.
* 12 Ce n'est pas la première fois que le département est touché par la sécheresse : les années 1973 et 1983 avaient déjà été particulièrement sèches (respectivement - 31 % et - 28 % de précipitations par rapport aux normales d'aujourd'hui) et ont toutes deux été suivies de trois années déficitaires. Les années 2006 à 2009 furent elles aussi nettement plus sèches que la moyenne. Mais aucune n'atteint réellement l'ampleur de la sécheresse observée actuellement.
* 13 « Acheminer l'eau du Rhône jusqu'aux Pyrénées-Orientales, un projet relancé par la sécheresse persistante », Philippe Gagnebet et Martine Valo, Le Monde, 8 avril 2024.
* 14 BRL, ancienne Compagnie nationale d'aménagement de la région du Bas-Rhône et du Languedoc. Cette société d'économie mixte gère le réseau hydraulique appartenant à la région.
* 15 Le « Plan Eau » du 30 mars 2023 vise une gestion plus résiliente et concertée de la ressource et prévoit notamment la valorisation des eaux dites « non-conventionnelles » avec pour objectif de développer 1 000 projets de réutilisation sur l'ensemble du territoire d'ici 2027 et de multiplier par dix le volume d'eaux usées traitées réutilisées pour d'autres usages d'ici 2030.
* 16 Les « tours d'eau », distribution intermittente ou alternée d'eau potable par zone géographique, les factures démesurées liées à des fuites ou à des « compteurs bloqués », l'absence de dialogue de la part des gestionnaires, provoquent un sentiment justifié de colère de la population comme des entreprises.
* 17 Dont la filiale était La Générale des Eaux Guadeloupe.
* 18 « Stern Review on the Economics of Climate Change ».
* 19 « Nicholas Stern: I got it wrong on climate change - it's far, far worse », The Guardian, 26 janvier 2013.
* 20 « Les risques climatiques et leurs coûts pour la France. Évaluation macroéconomique : modélisation des fonctions de dommages sectorielles et évaluation d'impact », décembre 2023.
* 21 Certains effets indirects du changement climatique n'ont pas pu être intégrés à l'analyse, comme les déplacements de population, les politiques d'adaptation et de reconstruction ont été exclus. De même, les impacts domestiques ne projettent pas la hausse de gravité des catastrophes naturelles et il n'a pas été possible d'évaluer le coût économique de la perte de biodiversité. Les coûts d'adaptation au changement climatique n'entrent pas non plus dans le périmètre de l'étude. Les impacts du changement climatique sur l'activité économique reposent donc pour l'instant essentiellement sur les dommages passant par le commerce extérieur.
* 22 L'atténuation du changement climatique signifie une diminution de son degré de réchauffement. Celle-ci passe par la réduction des émissions de GES qui en sont la cause. Il s'agit donc d'une notion quantitative par la diminution des émissions de GES, le réchauffement climatique dépendant de la quantité totale de GES émis. D'après l'OCDE, les activités permettant l'atténuation du changement climatique sont celles qui réduisent ou limitent les émissions de GES ou protègent et améliorent les puits et réservoirs des GES (ex : forêts, sols et herbiers marins).
* 23 « Adapter la France aux dérèglements climatiques à l'horizon 2050 : urgence déclarée », rapport d'information n° 511 de Ronan Dantec et Jean-Yves Roux, du 16 mai 2019.
* 24 « Scientifiques, acteurs politiques et associatifs ont en effet longtemps mis l'accent exclusivement sur les enjeux de l'atténuation. C'était rationnel dès lors qu'on pensait qu'une mobilisation forte sur l'atténuation pouvait nous dispenser d'un effort sur l'adaptation. Cela traduisait également la crainte qu'une politique favorable à l'adaptation se fasse au détriment des nécessaires efforts d'atténuation. D'une certaine manière donc, on peut dire que le thème de l'adaptation est longtemps resté une sorte de tabou ».
* 25 « Le plan bénéficiera d'un budget de 3,5 milliards d'euros sur cinq ans, contre 17 M€ pour le précédent - sans que soit précisé cependant comment ces chiffres ont été construits, ni ce qu'ils visent à financer précisément. Rappelons que le PNACC 2 à proprement parler ne comprend aucun élément de chiffrage financier, ni même d'indication méthodologique sur lesquelles on pourrait s'appuyer pour construire une estimation financière des besoins liés au déploiement des politiques d'adaptation. Plus largement, au cours des auditions réalisées, aucun des acteurs entendus n'a été en mesure de présenter une vision globale de ce à quoi devait ressembler le financement des politiques d'adaptation ».
* 26 63 milliards pour la direction générale du Trésor.
* 27 Le coût net est diminué des moindres investissements dans les alternatives carbonées et des mesures de sobriété notamment foncière, selon la Cour des comptes.
* 28 L'effet rebond, également connu sous le nom de paradoxe de Jevons, est un phénomène qui se produit lorsque les améliorations technologiques augmentent l'efficacité avec laquelle une ressource est employée, mais ont pour conséquence un accroissement de sa consommation plutôt qu'une diminution.
* 29 Bien utiles pour rendre vivables certains bâtiments en été, les climatiseurs sont extrêmement coûteuses en énergie, et augmentent nos émissions de GES, contribue à réchauffer l'air extérieur et accélère l'effet d'îlot de chaleur en ville. De plus, le coût d'une climatisation n'est pas accessible à tous. Le taux d'équipement varie en fonction de la situation socio-professionnelle, ce qui montre une vulnérabilité plus élevée associée à une moindre capacité des ménages les plus pauvres à se prémunir des effets de la chaleur.
* 30 « Renforcer l'atténuation, engager l'adaptation »
* 31 Les GES sont des constituants gazeux de l'atmosphère, tant naturels qu'anthropiques, qui absorbent et émettent un rayonnement à des longueurs d'onde données du spectre du rayonnement terrestre émis par la surface de la Terre, l'atmosphère et les nuages. C'est cette propriété qui est à l'origine de l'effet de serre. La vapeur d'eau (H 2O), le dioxyde de carbone (CO 2), l'oxyde nitreux (N 2O), le méthane (CH 4) et l'ozone (O3) sont les principaux GES présents dans l'atmosphère terrestre. Il existe également des GES résultant uniquement des activités humaines, tels que les hydrocarbures halogénés et autres substances contenant du chlore et du brome, dont traite le Protocole de Montréal. Outre le CO2, le N 2O et le CH 4, le Protocole de Kyoto traite, quant à lui, d'autres GES tels que l'hexafluorure de soufre (SF6), les hydrofluorocarbones (HFC) et les hydrocarbures perfluorés (PFC).
* 32 Trois des dix principes concernent les entreprises :
« Principe 7 : Les entreprises sont invitées à appliquer l'approche de précaution face aux problèmes touchant l'environnement.
« Principe 8 : Les entreprises sont invitées à prendre des initiatives tendant à promouvoir une plus grande responsabilité en matière d'environnement.
« Principe 9 : Les entreprises sont invitées à favoriser la mise au point et la diffusion de technologies respectueuses de l'environnement ».
* 33 Les équivalents CO2 (CO2e) sont une unité de mesure visant à uniformiser l'effet climatique des différents gaz à effet de serre. Afin de comparer l'impact des différents gaz à effet de serre, le GIEC a défini le « potentiel de réchauffement global » (Global Warming Potential). Cet indice exprime la contribution au réchauffement climatique d'une certaine quantité de gaz à effet de serre sur une période définie (en général 100 ans) par rapport à celle du CO2. Ainsi, l'effet climatique du méthane est par exemple 28 fois supérieur à celui du CO2, mais le gaz reste moins longtemps dans l'atmosphère. L'effet climatique de l'oxyde nitreux est quant à lui près de 300 fois supérieur à celui du CO2. Les émissions de gaz à effet de serre peuvent ainsi être converties et synthétisées en équivalents CO2. Les équivalents CO2 sont désignés par l'abréviation «CO2e ».
* 34 La réduction de l'activité et des déplacements avec la crise sanitaire a largement contribué à la baisse de l'empreinte en 2020 (- 9 % par rapport à 2019). En 2019, l'empreinte carbone est estimée à 605 Mt CO2 eq (9 tonnes par personne), soit un niveau inférieur de 7 % à celui de 1995.
* 35 L'empreinte carbone est différente de l'approche utilisée pour élaborer les inventaires nationaux d'émission de GES (GES) réalisés par le Citepa pour le Ministère de la Transition Ecologique. Alors que l'approche inventaire se focalise sur les émissions dites territoriales (approche production : émissions ayant lieu sur le territorial national), l'empreinte carbone, elle, intègre toutes les émissions (rejetées en France et à l'étranger) induites par la consommation en France, de produits fabriqués en France et à l'étranger.
* 36 Au niveau européen, l'empreinte carbone de la France restreinte au CO2 est de 7,6 t CO2 par personne, pour une moyenne européenne de 8,3 t CO2 et une valeur mondiale de 4,8 t CO2. L'empreinte CO2 rapportée à la population est supérieure à la valeur moyenne mondiale, alors que les émissions territoriales de CO2 de la France sont proches de la moyenne mondiale (4,8 t CO2 en 2019).
* 37 Le Citepa est une association sans but lucratif, indépendante, réunissant des experts rigoureux, impartiaux, impliqués dans la protection de l'environnement et prônant le dialogue et le partage de connaissances.
* 38 Selon l'INSEE, le secteur UTCATF (Utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie) permet de rapporter les flux de CO2 entre différents réservoirs terrestres (biomasse, sols, etc.) et l'atmosphère qui ont lieu sur les surfaces gérées d'un territoire. Il peut ainsi constituer une source nette ou un puits net de CO2. Ce secteur, défini dans le cadre des inventaires nationaux d'émissions de gaz à effet de serre, reflète notamment les émissions et absorptions liées à l'utilisation des terres (croissance, mortalité de la biomasse et prélèvement de bois en forêt ; impacts des changements de pratiques agricoles sur les sols cultivés, etc.) et aux changements d'utilisation des terres (déforestation, afforestation, artificialisation des sols, etc.). Les méthodes de calcul de ces émissions et absorptions sont définies par le GIEC.
* 39 Article 169 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 modifiant l'art. 1833 du code civil.
* 40 Chaque année depuis 2016, la BEI mène une vaste enquête auprès de 12 000 grandes entreprises et PME de l'UE pour connaître leurs besoins de financement et les difficultés qu'elles rencontrent. Le panel comprend également 800 entreprises installées aux États-Unis.
* 41 La renégociation des contrats avec les fournisseurs d'énergie a aussi été évoquée par 67 % d'entre elles, tandis que 62 % déclarent avoir transféré la hausse des coûts vers leurs consommateurs.
* 42 Enquête en ligne réalisée en décembre 2022 auprès de 1 400 gérants et managers d'entreprise, issus de divers secteurs d'activité situés en Australie, France (360 répondants), Italie, aux Pays-Bas, et au Royaume-Uni.
* 43 C'est une carte qui permet de synthétiser les risques de l'entreprise. Le placement se fait selon deux axes : un axe horizontal qui correspond à l'impact en cas de survenance du risque, impact allant de nul à très élevé et un axe vertical correspondant à la fréquence de survenance du risque allant de rare à très fréquent. Les risques qui se trouvent à une fréquence élevée avec un impact important sont considérés comme non tolérables. Ceux qui se trouvent dans le coin gauche ont un impact et une fréquence de survenance faible. Ils sont donc plus tolérables.
* 44 Les sociétés anonymes françaises employant dans leur groupe au moins 5 000 salariés et ayant leur siège social en France, ou ayant au moins 10 000 salariés et ayant leur siège social à l'étranger.
* 45 La loi du 17 mars 2017 a créé un article L. 225-102-4 du Code de commerce relatif au devoir de vigilance des sociétés qui oblige les entreprises dépassant ces seuils à « identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu'elle contrôle ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation »
* 46 Saisi par la Fédération des syndicats solidaires, unitaires et démocratiques des activités postales et de télécommunications (SUD PTT) à l'encontre de la société La Poste, le Tribunal judiciaire de Paris a prononcé, par une décision du 5 décembre 2023, une injonction à l'encontre de la Poste, de compléter son plan de vigilance par (1) une cartographie des risques destinée à leur identification, analyse et hiérarchisation, (2) des procédures d'évaluation des sous-traitants, (3) un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements après avoir consulté les organisations syndicales, et, enfin, (4) de publier un réel suivi des mesures de vigilance, qui ne se contente pas de propos généraux[20]. En revanche, le Tribunal judiciaire a rejeté les demandes de publication d'une liste exhaustive de tous les fournisseurs et sous-traitants ainsi que la mise en place de mesures visant à prévenir le travail illégal ou les risques psychologiques et de sécurité qui étaient réclamés par le syndicat SUD PTT.
* 47 « Les entreprises face aux risques physiques liés à la dérive climatique : Idées reçues, positionnement stratégique et bonnes pratiques », novembre 2023.
* 48 « Même au sein des entreprises employant des risk managers (une typologie d'entreprise plutôt prédisposée à l'exercice d'analyse de risque donc), un tiers déclare qu'il n'existe aucune gouvernance des risques climatiques dans leur organisation, et que la responsabilité du pilotage reste encore floue ».
* 49 Cette estimation est un ordre de grandeur, recomposé par le Lab de Bpifrance à partir de l'empreinte carbone de la France et d'éléments de comptabilité nationale, et ne s'apparente en aucun cas à un bilan des émissions de gaz à effets de serre des PME et ETI en France. En comparaison, la British Business Bank (l'équivalent britannique de Bpifrance) estime que les PME britanniques comptent pour 29 à 36 des émissions nationales, pour un poids globalement comparable des PME dans son économie.
* 50 Représentant à elles deux, les deux tiers de la production annuelle du secteur (soit 166 milliards d'euros hors taxes du CA) et emploient les deux tiers des 1 273 000* salariés travaillant dans le bâtiment.
* 51 Qui a réuni une cinquantaine d'États, trente ministres, des industriels, des institutions financières, 1 800 participants au total. Parmi les États présents se trouvent la Chine et les États-Unis, les plus grands émetteurs, le Japon, l'Allemagne, mais aussi le Brésil, l'Egypte, la Turquie, la Côte d'Ivoire, le Cameroun et l'Afrique du Sud, directement concernés par l'emballement urbain.
* 52 En raison notamment d'un constituant, nommé clinker, que l'on obtient grâce à la combustion d'énergies fossiles et qui contient une grande quantité de calcaire, qui libère du CO2 lorsqu'il est chauffé.
* 53 « Climat : réunis à Paris, une cinquantaine d'États prêts à revoir la manière de construire », Émeline Cazi, Le Monde, 7 mars 2024.
* 54 Ancienne règlementation thermique.
* 55 Les NF DTU (NF pour norme française et DTU pour document technique unifié) sont des normes volontaires qui précisent les conditions techniques de bonne exécution des ouvrages.
* 56 RAGE (Règles de l'Art Grenelle de l'Environnement), PACTE (Programme d'Action pour la qualité de la Construction et la Transition Énergétique), OMBREE (programme inter Outre-Mer pour des Bâtiments Résilients et Économes en Énergie), et plus récemment et PROFEEL (programme de la Filière pour l'innovation en faveur des Économies d'Énergies dans le bâtiment et le Logement).
* 57 Constituant du ciment obtenu par calcination d'un mélange d'acide silicique d'alumine, d'oxyde de fer et de chaux. Moulu puis additivé avec des laitiers de hauts-fourneaux par exemple, le clinker sert à fabriquer le ciment, entrant lui-même dans la liste des constituants du béton.
* 58 Le laitier correspond aux scories qui sont formées en cours de fusion ou d'élaboration du métal par voie liquide. Cette matière est un important coproduit des hauts fourneaux, appréciée comme remblai ou comme matière première dans la fabrication du ciment.
* 59 Il est fabriqué à partir d'un mélange de coproduits issus de l'industrie qui sont ainsi recyclés. Aujourd'hui, il s'agit d'un ciment à base de laitier alcali-activé, issu de haut fourneau de l'industrie métallurgique et sidérurgique. À termes, d'autres ciments pourraient être développés notamment à base de gypse/désulfogypse issus de déblais de chantier, d'argile flashée qui est un co-produit issu des boues d'argile ou en réutilisant des cendres de chaufferie bois. Ces techniques variées permettraient de donner une seconde vie à ces déchets.
* 60 Ensemble des réactions physico-chimiques à hautes températures conduisant à la formation du clinker. Il s'agit des réactions de déshydratation et deshydrolylation (150-800°C) puis de décarbonatation (950-1100°C) des minéraux constitutifs du cru de cimenterie.
* 61 Notamment à l'occasion d'un déplacement de la délégation aux Entreprises en Alsace, les 23 et 24 mai 2024.
* 62 La décarbonation de la filière aéronautique a fait l'objet d'un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (n° 2703 Assemblée nationale et n° 650 Sénat) du 30 mai 2024 de M. Jean-François Portarrieu, député, et M. Pierre Médevielle, sénateur.
* 63 Le groupe CMA CGM est issu de la fusion en 1996 de la Compagnie maritime d'affrètement (CMA) et de la Compagnie générale maritime (CGM), elle-même héritière de la Compagnie générale transatlantique et des Messageries maritimes.
* 64 Tous les conteneurs réfrigérés sont équipés d'un logiciel de gestion de la consommation d'énergie, afin de suivre la température des marchandises au plus près et d'éviter le gaspillage et les navires les plus récents comptent à leur bord des milliers de capteurs.
* 65 Selon RTE, cette nouvelle ligne doit notamment permettre d'accompagner le vaste mouvement de décarbonation de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer ; l'installation de projets liés à la transition énergétique ; différents projets du territoire tels que le développement des datacenters, le raccordement des navires à quai ; l'électrification des usages pour les particuliers : développement des pompes à chaleur, des véhicules électriques, etc.
* 66 Alors que la RSE cherche principalement à réduire des impacts négatifs de l'activité d'une entreprise sur l'environnement et la société, en montrant les interdépendances entre ces sphères, la démarche régénérative place l'entreprise au sein de l'environnement duquel elle dépend, en le priorisant. Elle vise l'impact positif « net » sur l'environnement et la société en allant au-delà de la neutralité carbone. La démarche régénérative cherche à réparer les services écosystémiques qui soutiennent les conditions de vie sur Terre (cycle de l'eau, biodiversité, régulation du climat) et à renouveler les ressources naturelles. « La régénération stimule la refonte et l'innovation du modèle économique ainsi que la manière d'apporter et partager la valeur, car produire en régénérant pose un nouveau défi : comment produire et régénérer, en même temps, les ressources naturelles mobilisées ? », selon Bpifrance.
* 67 Lorsque l'on quantifie les émissions d'une entreprise, on les répartit en trois catégories : les émissions directes (Scope 1), les émissions indirectes liées à l'énergie (Scope 2) et tout le reste (Scope 3).
* 68 Société qui accompagne les entreprises dans leur transformation numérique, les organisations publiques et privées, les ETI et les grands groupes. Créée en 1993 elle est implantée dans 7 villes en France (Paris, Lyon, Rennes, Brest, Nantes, Niort et Bordeaux) et compte plus de 500 collaborateurs.
* 69 « Mustela : la marque qui renonce à du chiffre d'affaires pour être plus durable », Carenews, 18 mars 2024.
* 70 « Competing in the new zero-carbon industrial era Assessing the performance of five major economies on key decarbonisation technologies », Strategic Perspectives, 2023
* 71 Ces montants recouvrent les infrastructures, les réseaux, et les technologies industrielles autour desquelles s'axe la décarbonation. Les investissements qui participent à la réduction des émissions de GES concernent différents activités et usages : production d'électricité, énergies renouvelables, stockage de l'énergie, chaleur électrique, capture et séquestration du carbone, hydrogène, matériaux durables, nucléaire. D'autres investissements résultent de la nécessité pour les consommateurs de changer leurs équipements au profit d'énergie décarbonée, par exemple les véhicules électriques ou les installations de chauffage. »
* 72 « Faire de la décarbonation un levier de croissance. La France face aux stratégies mondiales de décarbonation », avril 2024.
* 73 « De tels fonds auraient pour vocation de drainer l'épargne moyenne vers des participations au capital d'entreprises non cotées, afin d'en stimuler le développement. Tout épargnant plaçant dans ces fonds serait assuré de retrouver son capital initial. En contrepartie, une part du rendement pourrait être affectée à rémunérer la garantie. Le rendement de ces fonds pour l'épargnant serait en moyenne dans la durée, supérieur aux rendements actuels par exemple des contrats d'assurance-vie en euros ou du livret A dont le capital est garanti. (....) De façon plus précise, les fonds à capital garanti seraient des fonds d'investissement classiques. La différence fondamentale avec les fonds classiques est que l'épargnant qui aurait souscrit à ces fonds serait assuré de retrouver son capital initial. Mais cela ne suffit pas. Peu d'épargnants souhaiteraient immobiliser leur capital pendant une longue durée. Le succès des fonds en euros dans les contrats d'assurance-vie tient aussi à la possibilité du rachat à tout moment. Les fonds à capital garanti devraient donc être rachetables sans perte en capital, mais en abandonnant en contrepartie l'espoir d'une plus-value potentielle. Seule une caisse de mutualisation des risques, adossée à une garantie publique, peut assurer cette liquidité. La clé est la double garantie de capital et de liquidité ».
* 74 Cet enjeu a été souligné dès 2016 dans le rapport n° 617 du 19 mai 2016 de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques « Les enjeux stratégiques des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques ».
* 75 « La compétition féroce entre grandes puissances pour le cuivre, le lithium, le nickel et autres minerais critiques », Julien Bouissou et Simon Leplâtre, Le Monde, 30 mai 2024.
* 76 « Métaux critiques pour la transition : enjeux macro-financiers », Remi Alleman, 5 juin 2023.
* 77 « Christel Bories, PDG d'Eramet : Ne rêvons pas, l'Europe n'a pas de vastes ressources minières »
Jean-Michel Bezat et Bastien Bonnefous, Le Monde, 31 mai 2024.
* 78 « Les enjeux économiques de la transition vers la neutralité carbone », décembre 2023.
* 79 « Un autre monde : Contre le fanatisme du marché (Making Globalization Work) », septembre 2006.
* 80 France Industrie est l'organisation professionnelle représentative de l'Industrie en France. Créée en 2018 à l'issue de la fusion du Cercle de l'Industrie et du Groupe des Fédérations Industrielles (GFI), elle rassemble 31 Fédérations sectorielles de l'industrie et les Présidents de 51 grandes entreprises privées et publiques, intervenant dans tous les secteurs industriels.
* 81 La Revue du Trombinoscope, octobre 2024.
* 82 Entreprises disruptives ou de rupture (disruptive startups ou deep tech startups en anglais), développant des techniques considérées comme fortement novatrices.
* 83 Soutenue par des actionnaires industriels, EIT InnoEnergy, Groupe IDEC, Schneider Electric, Capgemini, Renault Group, EQT Ventures, Arkema, Tokai COBEX, Demeter FMET, Plastic Omnium et Sibanye-Stillwater, Verkor a pour mandat d'accélérer l'industrialisation à grande échelle de batteries en Europe et de déployer des processus de production intelligents et durables dans sa première Gigafactory française.
* 84 Alimentation et agriculture durables ; bâtiment et ville durable ; décarbonation de l'industrie ; eau, biodiversité et biomimétisme ; économie circulaire ; énergies renouvelables et décarbonnées ; Innovation maritimes et écosystèmes marins, mobilité durable ; prévention des risques ; santé-environnement ; bâtiments et villes durables ; finance durable et RSE ; numérique éco-responsable
* 85 « Stratégie emplois et compétences pour la planification écologique, Version préliminaire pour publication externe », Février 2024.
* 86 Équivalent temps plein.
* 87 L'OFCE développe depuis 2008, en collaboration avec l'ADEME et TNO le modèle macroéconomique ThreeME, destiné à l'évaluation pour la France des conséquences des politiques énergétiques et environnementales. Three-ME s'articule autour de 37 secteurs économiques (dont 13 secteurs énergétiques et 5 secteurs de transport) et fournit donc des informations quantitatives détaillées relatives aux questions énergétiques. Le niveau fin de détail relatif à la structure de la fiscalité ou à la multitude sectorielle ou de consommateurs permet de mettre en évidence l'hétérogénéité potentiellement forte des politiques énergétiques et environnementales.
* 88 Il intègre déjà les mesures existantes d'aides à la rénovation énergétique, de bonus-malus automobile, de prime à la reconversion des véhicules, etc.
* 89 Selon lequel la transition climatique détruit massivement des emplois.
* 90 Un emploi vert est un emploi associé à une activité ayant une faible intensité carbone.
* 91 « Transition énergétique : faut-il craindre pour l'emploi ? »
* 92 Selon Michaël Orand, chef de la Mission d'analyse économique à la Dares et coordinateur du rapport thématique « Marché du travail » de la mission Pisani-Mahfouz.
* 93 C'est-à-dire le soir, la nuit, le samedi ou le dimanche, en moyenne au moins une fois sur une période de quatre semaines.
* 94 « Face au changement climatique, accélérer une adaptation systémique et juste », avis du 14 novembre 2023.
* 95 Qui réunit les 29 branches industrielles représentant 80 000 entreprises et 2,8 millions de salariés.
* 96 Bureau d'informations et de prévisions économiques, cabinet de conseil en stratégie.
* 97 Audition du 6 mars 2024.
* 98 Syndicat professionnel unique pour l'ensemble de la filière nucléaire française. Créé en 2018 avec l'ambition de réunir toute la filière nucléaire française en un seul syndicat professionnel, le GIFEN (Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire) rassemble les entreprises exploitantes d'installations nucléaires, les grandes entreprises, les ETI, PME, TPE, organisations professionnelles et associations qui couvrent tous les types d'activités industrielles (études, fabrication, construction, maintenance, etc.) ainsi que tous les domaines de la production d'électricité d'origine nucléaire (cycle du combustible, recherche, production d'électricité, fabrication d'équipements, démantèlement, etc.).
* 99 La Fédération Syntec représente plus de 3000 groupes et sociétés françaises spécialisés dans les professions du Numérique, de l'Ingénierie, du Conseil, de l'Evénement et de la Formation Professionnelle.
* 100 Créés en 2009 par le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, les EDEC ont une double vocation : stimuler l'employabilité des salariés en leur permettant de développer des compétences, et en facilitant leur mobilité professionnelle et répondre aux besoins des entreprises en matière de recrutement et de gestion des compétences.
* 101 Kaya Y. et Yokobori K. (1997), « Environment, energy, and economy: strategies for sustainability », Tokyo, United Nations University Press.
* 102 Communication du 6 février 2024 de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen, et au Comité des régions intitulée : « Garantir notre avenir - Objectif climatique pour l'Europe pour 2040 et voie vers la neutralité climatique à l'horizon 2050 pour une société durable, juste et prospère » - COM (2024) 63 final.
* 103 « Les instruments européens visant à réduire les émissions de GES », Bulletin de la Banque de France 242/1 - septembre-octobre 2022.
* 104 Notamment avec des « bacs à sable » réglementaires que les États membres sont invités à mettre en place pour ces technologies, soit de leur propre initiative, soit à la demande d'un porteur de projet, selon des modalités définies par des actes d'exécution. Dès lors qu'ils respectent ce plan et les règles de participation à celui-ci, les participants ne peuvent pas être sanctionnés pour infraction à la législation européenne ou nationale concernant la technologie « zéro net » surveillée dans le « bac à sable ». Pour accompagner les PME, les États membres devront leur donner un accès prioritaire aux « bacs à sable » réglementaires, organiser des activités de sensibilisation sur leur participation à ces outils, mettre en place un canal de communication spécifique et les informer du soutien disponible pour leurs activités dans celui-ci.
* 105 Ainsi, sont notamment inclus les projets d'extension de la durée de vie des centrales nucléaires existantes autorisés avant 2040, les projets de nouvelles centrales nucléaires de troisième génération ou plus pour la production d'électricité, dont le permis de construire a été délivré avant 2045, et les activités de recherche et d'innovation dans les technologies futures en termes de normes de sécurité et de réduction des déchets nucléaires. L'ensemble du cycle du combustible n'est cependant pas inclus dans la taxonomie européenne.
* 106 « Europe needs an investment plan to win the global cleantech race », Thomas Pellerin-Carlin EURACTIV, 14 mars 2023.
* 107 16,1 Mt CO2eq.
* 108 « Les incidences économiques de l'action pour le climat », France Stratégie.
* 109 Il exerce, sous l'autorité du Premier ministre, les attributions suivantes :
· il coordonne l'élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d'énergie, de biodiversité et d'économie circulaire, en s'assurant du respect des engagements européens et internationaux de la France. Il veille en particulier à la soutenabilité de ces stratégies et à leur différenciation, afin de s'adapter aux particularités de chaque territoire et d'intégrer les enjeux économiques et sociaux ;
· il veille à la mise en oeuvre de ces stratégies par l'ensemble des ministères concernés et à leur déclinaison en plans d'actions ;
· il veille à l'évaluation régulière des politiques menées au titre de ces stratégies et des plans d'action et à la publication d'indicateurs pour en rendre compte ;
· il veille à la cohérence de l'ensemble des politiques publiques avec les stratégies mentionnées précédemment ;
· il prépare et coordonne les saisines et les réponses du Gouvernement aux avis du Haut Conseil pour le climat.
* 110 « Il est consulté sur les projets de loi concernant, à titre principal, l'environnement ou l'énergie et sur les stratégies nationales relatives au développement durable, à la biodiversité et au développement de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises et la stratégie bas-carbone.
Le conseil national de la transition écologique rend des avis structurants pour la politique de la transition écologique.
Outre la saisine par le Premier ministre et le ministre chargé de l'écologie, le conseil national de la transition écologique peut se saisir de toute question d'intérêt national concernant la transition écologique et le développement durable ou ayant un impact sur ceux-ci. Il doit également contribuer à la préparation des négociations internationales sur l'environnement et le développement durable.
Chaque année, le conseil est informé de l'évolution des indicateurs nationaux de performance et de développement durable pour mesurer l'avancement de la transition écologique.
Le conseil national de la transition écologique a enfin pour mission de préparer et suivre les conférences environnementales et la mise en oeuvre des feuilles de route pour la transition écologique.
Le conseil, présidé par le ministre en charge de l'écologie, est composé de 6 collèges et réunit 50 membres. Sont également invités à participer aux réunions du conseil plusieurs organismes, établissements publics et ministères concernés par les enjeux de transition écologique et de développement durable ».
* 111 Créé par décret du 14 mai 2019, il a été installé le 27 novembre 2018 par le Président de la République.
* 112 Il rend chaque année un rapport sur le respect de la trajectoire de baisse des émissions de GES, la bonne mise en oeuvre des politiques et mesures pour réduire les émissions de GES et développer les puits de carbone et un avis tous les 5 ans sur les projets de stratégie bas carbone et de budgets carbone et la trajectoire de baisse des émissions de GES sur laquelle s'engage la France. Il évalue « la cohérence de la stratégie bas carbone vis-à-vis de l'action publique nationale et des engagements européens et internationaux de la France, en particulier de l'Accord de Paris et de l'atteinte de la neutralité carbone en 2050.
* 113 L'Autorité environnementale, qui a rendu son avis le 6 mars 2019 ; le Haut Conseil pour le climat, dont le rapport annuel « Agir en cohérence avec les ambitions » remis au Premier Ministre le 25 juin 2019 et tenant lieu d'avis sur les projets de SNBC et de budgets carbone ; le Conseil national d'évaluation des normes (avis favorable du 11 juillet 2019) ; l'Assemblée de Corse, dont l'avis du 26 juillet 2019 ; les collectivités d'Outre-mer ; la Commission européenne sur le projet de Plan National Intégré Énergie-Climat (avis en date du 18 juin 2019) ; certaines instances se sont auto-saisies du projet de stratégie nationale bas-carbone. En particulier, les avis suivants ont été rendus dont le Conseil économique, social et environnemental (9 avril 2019) et le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (21 mai 2019).
* 114 Les deux autres étant la compétitivité (34 Md€), pour donner aux entreprises les conditions les plus favorables pour développer leurs activités et ainsi préserver l'emploi des salariés, et la cohésion sociale et territoriale (36 Md€), pour garantir la solidarité entre les générations, entre les territoires, et entre tous les Français.
* 115 Elle concerne l'ensemble des secteurs industriels et vise le remplacement des moteurs et des chaudières à base d'énergies fossiles pour les remplacer par des composants électriques
* 116 Elle est mobilisée pour produire de la chaleur haute-température, principalement dans la chimie, l'agroalimentaire et les matériaux de construction, ou encore pour remplacer les composés de base pétrochimique par de la chimie biosourcée
* 117 Le gaz constitue un substitut aux énergies fossiles pour les procédés chimiques ou sidérurgiques, mais aussi pour le transport lourd à ou grande distance.
* 118 La capture et le stockage dans des formations géologiques profondes des émissions de CO2 est notamment utilisé lorsqu'il n'existe pas à ce jour d'alternative technologique.
* 119 Start-up ou PME offreuse de toute solution innovante permettant le lutter - directement ou indirectement - contre le réchauffement climatique notamment en diminuant les émissions de GES.
* 120 Le calcul a été réalisé par le Carbon Disclosure Project (CDP) en partenariat avec le Climate Accountability Institute (CAI), dans le rapport Carbon Majors Report du 10 juillet 2017.
* 121 L'hydrogène est dit « décarboné » ou « vert » quand ni sa production ni son utilisation n'émettent de CO2. Une des solutions identifiées pour décarboner massivement des industries fortement émettrices, en agissant sur la diminution des émissions de CO2, l'hydrogène décarboné est gaz produit principalement à partir d'eau et d'électricité, qui constitue un substitut aux énergies fossiles pour les procédés chimiques ou sidérurgiques.
* 122 La biomasse définit l'ensemble des matières organiques pouvant devenir des sources d'énergie. Cette biomasse provient de la forêt, de l'agriculture (cultures dédiées, résidus de culture, cultures intermédiaires et effluents d'élevage), de déchets (déchets verts, biodéchets des ménages, déchets de la restauration, de la distribution, des industries agroalimentaires et de la pêche, déchets de la filière bois, boues de stations d'épuration, etc.). La biomasse est mobilisée pour produire de la chaleur haute-température, principalement dans la chimie, l'agroalimentaire et les matériaux de construction, ou encore pour remplacer les composés de base pétrochimiques par de la chimie biosourcée.
* 123 L'électrification des procédés, qui concerne l'ensemble des secteurs industriels, vise le remplacement des moteurs et des chaudières à base d'énergie fossiles par des composants électriques. L'électrification recouvre des projets très divers : électrification de la chaleur avec l'installation de fours électriques, électrification des turbines et chaudières des vapocraqueurs, importantes consommatrices d'électricité. Elle fait appel à de l'électricité décarbonée, c'est-à-dire de l'électricité issue des énergies renouvelables (éolien, solaire et hydraulique) ou du nucléaire.
* 124 La capture et le stockage de carbone permettent de retenir du CO2 émis par les procédés industriels et de le stocker dans des formations géologiques profondes. Ce procédé empêche que le carbone ne soit libéré dans l'atmosphère et ne contribue au réchauffement climatique. Il est utilisé pour les émissions de CO2 pour lesquelles il n'existe pas à ce jour d'alternative technologique. Il s'agit d'un levier de transition mobilisé pour l'ensemble des secteurs particulièrement dans la pétrochimie et le ciment, mais également dans la métallurgie.
* 125 Prévues par l'article 301 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « climat et résilience ».
* 126 À savoir, la réduction des émissions de GES annuelles de 408 MtCO2e/an en 2022 à 270 MtCO2e/an en 2030, avec des niveaux d'efforts différents pour chaque secteur. Les bâtiments (- 53 %), l'énergie (- 43 %), l'industrie (- 38 %) et les transports (- 29 %) sont particulièrement concernés.
* 127 L'indicateur d'efficience usuel concernant les politiques de décarbonation est le coût d'abattement. Exprimé en euros par tonne de CO2 équivalent, il cherche à définir, pour un projet donné, la valeur socio-économique totale, c'est-à-dire les coûts monétaires mais aussi la valeur des externalités associées au projet, mobilisée pour éviter l'émission d'un montant donné de GES.
L'utilisation du coût d'abattement cherche typiquement à ordonner différents projets entre eux pour estimer lesquels permettent d'arriver à un même objectif à moindre coût, ou encore de définir, sur la base de ce coût, quels sont les projets qui sont socialement souhaitables, par référence avec une valeur sociale du carbone aussi appelée valeur d'action pour le climat.
* 128 L'Institut des politiques publiques (IPP) a été créé par l'École d'économie de Pairs (Paris School of Economics) et est développé dans le cadre d'un partenariat scientifique entre PSE-École d'Économie de Paris et le Groupe des écoles nationales d'économie et de statistique (GENES). L'IPP vise à promouvoir l'analyse et l'évaluation quantitatives des politiques publiques en s'appuyant sur les méthodes les plus récentes de la recherche en économie.
* 129 50 sites industriels français les plus émetteurs de CO2 : l'heure des comptes
* 130 Institut de recherche à but non lucratif qui contribue par ses analyses au débat sur les politiques publiques d'atténuation et d'adaptation au changement climatique.
* 131 Le stockage en gisement déplété est assuré au sein d'une cavité de roche poreuse. Perméable et imprégnée d'eau non consommable, cette dernière est remplie de gaz naturel compressé grâce à l'utilisation de puits d'exploitation, des tubes métalliques d'une dizaine de centimètres de diamètre, reliant la surface à la cavité. Au fur et à mesure de l'injection, le gaz naturel, qui ne peut s'échapper, reprend la place de l'ancien gisement, sans aucune modification de l'architecture naturelle du sous-sol.
* 132 Les bassins sédimentaires sont des zones où des particules d'origine minérale ou organique se sont déposées puis solidifiées. De tous les types de réservoirs envisageables, les aquifères salins sont ceux, situés à de grandes profondeurs, qui représenteraient le plus gros potentiel en matière de capacité de stockage (400 à 10 000 Gt CO2). Bien qu'étant largement répartis à la surface du globe, leur structure et leur capacité à piéger durablement le CO2 reste très difficiles à évaluer. Un effort important de recherche doit donc être engagé pour apprécier leur potentiel de stockage géologique et leur capacité à confiner le CO2 sur le long terme.
* 133 IFP Énergies nouvelles (IFPEN) est un acteur de la recherche et de la formation dans les domaines de l'énergie, du transport et de l'environnement, financé par l'État et des industriels, qui apporte un appui aux politiques publiques de recherche et d'innovation à l'échelle européenne, nationale et territoriale.
* 134 Rapport de la commission d'enquête sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France, n°692 du 14 juin 2024.
* 135 « Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise », rapports d'information n° 89 de Martine Berthet, Florence Blatrix-Contat et Jacques Le Nay, du 27 octobre 2022.
* 136 « Évaluation des risques pour la santé des travailleurs posés par le changement climatique », avis du 24 janvier 2018.
* 137 L'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) précise que la chaleur peut constituer un risque pour les travailleurs exerçant une activité physique notamment au-dessus de 28 °C.
* 138 Les grandes orientations de l'OIT sont établies par la Conférence internationale du Travail, qui se réunit une fois par an en juin à Genève. Cette conférence annuelle rassemble les délégués des gouvernements, des travailleurs et des employeurs des Etats membres de l'OIT. La Conférence, que l'on désigne souvent comme un parlement international du travail, élabore et adopte les normes internationales du travail ; elle constitue un forum de discussion sur les questions sociales et de travail.
* 139 Après les « Principes directeurs pour une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour tous », établis par l'OIT en 2015.
* 140 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques.
* 141 Un décret du 20 février 2002 précisait le contenu des informations sociales et environnementales à fournir. Parmi celles-ci doivent notamment se trouver, selon l'article R. 225-105 du Code de commerce, « la manière dont la société prend en compte l'impact territorial de ses activités en matière d'emploi et de développement régional [...] les relations entretenues par la société avec [...] les associations de défense de l'environnement, [...] les populations riveraines ».
* 142 Étendu par l'arrêté du 22 janvier 2024, il est désormais obligatoire pour tous les employeurs et salariés dans son champ d'application.
* 143 Voir à cet égard « Les syndicats face aux défis environnementaux », IRES, décembre 2023.
* 144 Un écogeste est un geste simple et banal de la vie de tous les jours comme aller au travail, faire la cuisine, se laver, jardiner, faire ses courses, un geste que chacun de nous peut faire afin de diminuer la pollution et améliorer son environnement, selon le ministère de l'Économie.
* 145 « Manifeste pour une la transition écologique juste », décembre 2023.
* 146 « Travail et santé-environnement : quels défis à relever face aux dérèglements climatiques ? », avis du CESE du 25 avril 2023.
* 147 Confédération générale des cadres
* 148 Voir à ce sujet, le rapport d'information n° 572 (2019-2020) de Mme Élisabeth Lamure et M. Jacques Le Nay, sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), fait au nom de la délégation aux entreprises, du 25 juin 2020.
* 149 Voir à ce sujet le rapport d'information n°327 (2023-2024), de Mmes Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès sur la directive CSRD, fait au nom de la délégation aux entreprises, du 7 février 2024.
* 150 « Cette stratégie est assortie d'objectifs précis définis pour différents horizons de temps. Le conseil examine annuellement les résultats obtenus et l'opportunité, le cas échéant, d'adapter le plan d'action
ou de modifier les objectifs au vu notamment de l'évolution de la stratégie de l'entreprise, des technologies, des attentes des actionnaires et de la capacité économique à les mettre en oeuvre », rapport « Gouvernance de la transition climat dans les entreprises : 10 recommandations de la place de Paris », Institut de la finance durable, janvier 2024.
* 151 Middlenext est l'association professionnelle française indépendante représentative des valeurs moyennes cotées. Créée en 1987, Middlenext fédère et représente des sociétés cotées sur Euronext et Euronext Growth, tous secteurs d'activités confondus.
* 152 Les International Financial Reporting Standards (IFRS) sont un référentiel comptable, un ensemble de normes (règles) définissant les méthodes de comptabilisation, produit par le Bureau international des normes comptables (International Accounting Standards Board, IASB). Les IFRS complètent les International Accounting Standards (IAS, « standards comptables internationaux »).
* 153 Prise en application de la directive CSRD qui impose à certaines entreprises la publication d'un reporting de durabilité abordant des thématiques environnementales, sociales et de gouvernance, ESRS E1 est la première norme du volet environnemental des normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards). Elle a pour objet le changement climatique.
* 154 Les normes IFRS S1 et S2 sont des normes élaborées par l'International Sustainability Standards Board. Elles réglementent au niveau mondial l'intégration de la durabilité dans le reporting des entreprises. Elles exigent des sociétés une appréciation de leurs risques et opportunités liés au développement durable en se basant sur un principe de matérialité financière. Elles sont entrées en vigueur le 1er janvier 2024.
* 155 Le scope 1 représente les émissions directes de GES produits par l'entreprise, le scope 2 correspond aux émissions indirectes liées à l'énergie, mais qui ne se produisent pas directement sur le site de l'entreprise et enfin le scope 3 est lié aux émissions indirectes qui ne sont pas sous le contrôle de l'entreprise.
* 156 « La gouvernance et à l'engagement social, appréciés globalement pour la rémunération variable (annuelle et de long terme), devraient représenter une part significative des déterminants extrafinanciers de la rémunération variable. Cette pondération peut légitimement varier selon les secteurs et les entreprises. L'IFD souhaite que le Scope 3 soit intégré dans les critères de rémunération dès que cela est possible, après avoir précisément identifié les catégories sur lesquelles l'entreprise a des moyens d'action ».
* 157 Aéroports de Paris, Bouygues construction, EDF, Engie, Sanofi, Schneider Electric et Thales.
* 158 « Les bénéfices climatiques de la “compensation carbone” sont au mieux exagérés, au pire imaginaires », Stéphane Foucart, Le Monde, 30 janvier 2023.
* 159 Les projets REDD+ s'appuient sur la finance carbone pour financer des initiatives locales qui réduisent les émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts tout en favorisant une gestion durable des massifs forestiers.
* 160 Fondée en 2007, Verra est l'un des leaders mondiaux dans la gestion et la création de labels de compensation carbone et regroupe de nombreux programmes de certification pour favoriser le développement durable et l'action climatique.
* 161 L'étude a été menée auprès de 1 864 cadres supervisant les initiatives de mesure, de reporting et de réduction des émissions de leur entreprise. Les personnes interrogées représentent 16 grands secteurs d'activité dans 26 pays et sont collectivement responsables d'environ 45 % des émissions mondiales de GES.
« Cette édition met en évidence les avantages substantiels que certaines entre
* 162 Pour respecter la stratégie nationale bas carbone, d'ici 2030, les émissions industrielles devraient être réduites de 45% par rapport à leurs niveaux de 2015 d'ici 2030, ce qui implique de tripler le rythme annuel de décarbonation des entreprises industrielles par rapport à la moyenne des trente dernières années.
* 163 Voir à ce sujet le rapport d'information n°327 (2023-2024), de Mmes Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès sur la directive CSRD, fait au nom de la délégation aux Entreprises, du 7 février 2024.
* 164 La Fresque du climat est une association loi de 1901 française, fondée en décembre 2018, portée par l'ambition de sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux climatiques à travers un atelier pédagogique et collaboratif, adapté à tous les publics. L'outil repose sur un jeu de 42 cartes, traduites dans plus de 45 langues, dont le contenu est issu des rapports scientifiques du GIEC.
* 165 « Transition écologique : faut-il sortir de la RSE ? », Les Echos, 14 juin 2024, Cédric Ringenbach.
* 166 « Décarboner les PME & ETI Françaises des petits pas aux virages stratégiques ».
* 167 Selon l'INSEE, l'indicateur « Intensités énergétiques finales » mesure le rapport entre la consommation d'énergie finale de la France et son produit intérieur brut (PIB). L'intensité énergétique finale d'un secteur est définie comme le ratio de la consommation énergétique finale du secteur à sa valeur ajoutée, sauf pour le résidentiel où le dénominateur est la surface totale des logements habités, et dans les transports, où l'indicateur mesure la consommation unitaire des véhicules. Cet indicateur permet de mesurer le degré d'« efficacité énergétique » de chaque secteur de l'économie française.
* 168 Modèle économique actuel, basé sur les énergies et ressources fossiles et ne prenant pas encore suffisamment les externalités négatives (impacts sur l'environnement au sens large) des activités économiques.
* 169 « Coût de l'inaction face au changement climatique en France : que sait-on ? », Document de travail, Adrien Delahais et Alice Robine, mars 2023.
* 170 « Faire de la décarbonation un levier de croissance La France face aux stratégies mondiales de décarbonation », avril 2024.
* 171 Investissement géré par des experts, qui délègue toutes les fonctions d'investissement et non financières à une société externe. Ainsi, l'investisseur accède à un portefeuille diversifié sans se soucier de la gestion opérationnelle. Cette approche permet à tous types d'investisseurs d'accéder aux fonds les plus recherchés qui sont difficilement accessibles autrement.
* 172 « Money, money, money : Stratégies de financement de la transition climatique », Sébastien Postic, I4CE, février 2024.
* 173 La Cour des comptes relève ainsi dans son rapport de juillet 2024 que : « Le cadre actuel, qui date toujours de 2019-2020, ne tient donc pas compte des textes adoptés au niveau européen dans le cadre du paquet « ajustement à l'objectif -55 % » qui vise à réduire les émissions - au niveau de l'Union européenne - de 55 % en 2030 par rapport à 1990. Or, pour respecter cet engagement, la France devra doubler son rythme de réduction des émissions sur la période 2023-2027 (-4 à -5 % par an), par rapport à celui observé pour la période 2017-2022 ».
* 174 Les budgets carbone ont été révisés à la hausse entre la SNBC 1 et la SNBC 2, contrairement aux recommandations du Haut Conseil pour le climat dans son premier rapport annuel. Ce qui signifie que le gouvernement a décidé de reporter les efforts au-delà de 2024. Les budgets alloués dans la SNBC 1 n'ont pas été respectés sur la période 2015-2018. Ils ont été dépassés de 62 millions de tonnes de CO2, selon le Haut Conseil pour le climat, soit une baisse annuelle des émissions de seulement 1,1 % par an, contre 1,9 % initialement prévu. En revanche, la France a globalement respecté la SNBC 2.
* 175 « Adapter la France aux dérèglements climatiques à l'horizon 2050 : urgence déclarée », rapport d'information n°511 du 16 mai 2019.
* 176 Le document prévoit que le régime du BTP-intempéries sera adapté afin de prendre en charge de manière pérenne les conséquences économiques des arrêts de travail liés aux canicules au sein des entreprises du bâtiment et des travaux publics. Cette mesure a été appliqué par le décret n°2024-630 du 28 juin 2024 relatif au régime particulier d'indemnisation des salariés par les entreprises du bâtiment et des travaux publics en cas d'arrêt de travail occasionné par les intempéries.
* 177 Ce rapport est élaboré par le commissariat général au développement durable (CGDD) du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et par la direction du Budget (DB), la direction de la Législation fiscale (DLF) et la direction générale du Trésor (DGT), rattachées au ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (MEFSIN).
* 178 Depuis le PLF 2021, ce document se substitue au rapport intitulé « Financement de la transition écologique : les instruments économiques, fiscaux et budgétaires au service de l'environnement et du climat », issu de la fusion de trois documents budgétaires en application de l'article 206 de la loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.
* 179 Une note de -1 à 3 est attribuée sur chacun des six axes environnementaux en fonction de l'impact de chaque dépense. Pour une raison de lisibilité, dans le rapport, seule une pastille de couleur désigne la nature défavorable (couleur brune, pour -1), neutre (grise, 0) ou favorable (couleur verte pour les cotations 1, 2 ou 3) de la dépense.
Une qualification globale est ensuite attribuée aux dépenses, par action ou sous-action, en prenant en compte la totalité des notes sur les six axes. Une dépense peut donc être considérée comme :
- globalement favorable : si tous les axes sont cotés favorablement, ou favorablement et neutres ;
- globalement défavorable : si tous les axes sont cotés défavorablement, ou défavorablement et neutres ;
- globalement mixte : si elle comprend des axes cotés à la fois favorablement et défavorablement, et le cas échéant, neutres ;
- globalement neutre : si tous les axes sont cotés neutres.
Les dépenses cotées « neutres » sont considérées sans impact sur l'environnement, comme par exemple les transferts sociaux.
Les dépenses « non cotées » correspondent à des dépenses pour lesquelles, soit :
- l'état actuel des connaissances scientifiques ne permet pas d'évaluer de manière consensuelle l'impact environnemental. C'est le cas par exemple pour les dépenses numériques et le soutien aux sites électro-intensifs.
- l'évaluation est empêchée à cause du manque de données disponibles, en raison du principe de libre emploi des crédits attribués : c'est le cas pour la plupart des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales, ou de l'impossible identification et restitution en raison de la répartition de ces dépenses dans de multiples lignes de crédit dont elles ne constituent qu'une fraction : c'est le cas pour les dépenses de fonctionnement et la plupart des dépenses immobilières.
L'évaluation des dépenses prend en compte le cycle de vie sans se limiter au périmètre du territoire national.
La cotation environnementale défavorable d'une dépense ne suffit pas à conclure à la nécessité de la supprimer, si elle répond à des besoins avérés d'une intervention publique au bénéfice d'une autre politique publique jugée prioritaire.
* 180 Les différentes taxes assises sur ces ressources rapportent environ 40 milliards d'euros par an, dont les trois quarts sont fléchés vers le budget de l'État. Un rendement proche de celui des grands impôts que sont l'impôt sur le revenu (89 milliards d'euros de rendement en 2022), celui sur les sociétés (62 milliards d'euros), ou même la TVA (100 milliards).
* 181 « Climat : les « recettes brunes » de l'État, angle mort du débat sur le financement de la transition », Els Conesa, Le Monde 11 juin 2023.
* 182 Proposition C.6.2.
* 183 Propositions de loi constitutionnelle n°4269 du 18 juin 2021, organique n°4270 du 18 juin 2021 et ordinaire n°4288 du 29 juin.
* 184 La tonne équivalent CO2 (eq CO2) est un indice introduit dans l'IPCC First Assessment Report du GIEC. L'émission en équivalent CO2 est la quantité émise de dioxyde de carbone (CO2) qui provoquerait le même forçage radiatif intégré, pour un horizon temporel donné, qu'une quantité émise d'un seul ou de plusieurs GES. Cet indice permet de comparer les impacts que les GES ont sur l'environnement en simplifiant cette comparaison mais permet également de les cumuler grâce à un unique indice.
* 185 Efficacité énergétique, électrification, biomasse, capture et stockage du carbone - CCS, production d'hydrogène bas-carbone - H2, etc...
* 186 « Budget et climat : Pistes de réforme pour le projet loi de finances 2025 », I4CE, 8 octobre 2024.
* 187 Association sans but lucratif, indépendante, réunissant des experts rigoureux, impartiaux, impliqués dans la protection de l'environnement et prônant le dialogue et le partage de connaissances. Sa vocation scientifique est de « produire et de transmettre des connaissances fiables sur les polluants atmosphériques et les GES, d'accompagner les décideurs publics et privés et de renforcer les capacités des pays dans la lutte contre le changement climatique et la pollution atmosphérique ».
* 188 L'évolution 2022-2023 du secteur des déchets (4% des émissions totales) et celle de l'UTCATF ne sont pas encore pré-estimées spécifiquement faute d'indicateurs fiable
* 189 La répartition géographique des émissions mondiales peut s'établir selon deux approches : la première répertorie les émissions qui ont physiquement lieu sur les territoires nationaux. Cette méthode, dite des inventaires nationaux, est retenue dans les engagements internationaux des pays. La seconde approche, dite de l'empreinte carbone, mesure les émissions associées à la consommation de produits par les résidents d'un pays, indépendamment du lieu de fabrication de ces produits.
* 190 La proportion de l'empreinte carbone importée par les pays européens est très variable. Deux facteurs peuvent expliquer ces écarts : d'une part, le degré d'ouverture au commerce international (plus un pays est ouvert, plus il importe de biens et services et plus il importe de GES nécessaires à leur production), d'autre part, le contenu en GES des biens et services que le pays importe, relativement à celui des biens qu'il produit. Un excédent commercial peut donc s'accompagner d'un « déficit en GES », au sens où les GES contenus dans les importations (et émis à l'étranger) sont supérieurs aux GES contenus dans les exportations (et émis dans le pays).
* 191 À la fin de 2022, les capacités éoliennes développées en France représentaient au total 20,9 GW, soit environ 80 % de l'objectif visé pour 2023 dans la PPE2, et avaient assuré 8,3 % de la production électrique nationale.
* 192 Parmi les apports du Sénat, on relève :
- le principe d'une localisation prioritaire des parcs éoliens en mer au sein de la zone économique exclusive (ZEE), soit à plus de 22 kilomètres du rivage, introduit au Sénat afin de garantir une meilleure acceptabilité sociale des projets ;
- la solarisation obligatoire des constructions de bureaux sera rendue obligatoire pour les nouveaux bâtiments de plus 500 mètres carrés à compter de 2025 ; l'augmentation du taux de couverture des bâtiments non résidentiels nouveaux et l'extension de ces obligations aux bâtiments publics nouveaux ;
- le renforcement de la prise en compte de critères environnementaux pour l'achat des énergies renouvelables, dans le cadre des achats publics et pour les appels d'offres de la Commission de régulation de l'énergie, afin de stimuler la production française.
* 193 Créé en 1993, le Syndicat des énergies renouvelables (SER) représente l'ensemble des filières des énergies renouvelables en France. Depuis sa création, il oeuvre pour le développement des énergies renouvelables dans notre pays, au bénéfice de la collectivité. Le SER regroupe, directement ou indirectement, plusieurs milliers d'entreprises, producteurs de ressources (forestiers, agriculteurs), concepteurs, industriels et installateurs, développeurs et exploitants de centrales de production et associations professionnelles spécialisées. Pour chaque filière renouvelable, il fédère donc l'ensemble des acteurs présents sur la chaîne de valeur.
* 194 Hors prises de participations d'Ademe Investissement et hors cofinancements d'aides opérées par d'autres opérateurs.
* 195 Entretien avec M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, Nantes, 4 avril 2024.
* 196 Un autodiagnostic en ligne, le « climatomètre » est proposé aux PME et ETI pour mesurer, en 32 questions et 15 minutes, leur impact environnemental.
* 197 Comme le prêt économie d'énergies, d'un montant de 10 000 à 500 000 euros, qui cofinance les équipements éligibles aux certificats d'économies d'énergie des secteurs bâtiment tertiaire & industrie ainsi que les prestations, matériels et travaux liés dans une limite de 40%. Il est proposé à un taux préférentiel grâce aux ressources du Programme CEE PRO-INNO-50. Le prêt action climat, d'un montant de 10 000 à 75 000 euros, finance les projets de transition portés par des TPE et PME de moins de 50 salariés. La souscription du Prêt est effectuée 100 % en ligne, via la plateforme Bpifrance.
* 198 Institué par la loi n° 2005-781 de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique
énergétique (POPE), le dispositif des CEE a pour effet d'obliger les énergéticiens, dénommés « obligés », à réaliser ou à faire réaliser des actions d'économie d'énergie.
* 199 « Les compétences de développement économique des collectivités territoriales : une rationalisation inachevée, un pilotage à renforcer », Cour des comptes, 2023, rapport public annuel.
* 200 L'entreprise familiale est une ETI de 65 millions de chiffre d'affaires qui emploie entre 400 et 600 salariés selon les saisons. Elle dispose de son propre réseau de distribution (94 magasins depuis 1967) deuxième métier aux côtés de celui de fabricant de produit de haute qualité (sélection de poissons et leur cuisinage) et réalisé désormais 20 % des ventes par internet. Elle s'est constituée en société à mission depuis 2023 pour viser « une alimentation saine et équilibrée, limitée l'impact environnemental et soutenir l'activité de proximité ». Elle recycle et valorise 94 % de ses déchets industriels. Le responsable RSE fait partie du CODIR. L'entreprise bénéficie du label sectoriel « enseigne responsable » (norme ISO 26000) attribué par Collectif Génération responsable, depuis 2022 qui permet d'avoir un référentiel d'actions. Elle a participé à « The Arch » 2023, séminaire sur le climat et la décarbonation. Pour réduire l'impact sur le climat, elle préserve sa ressource en poisson, utilise durablement les ressources, agit contre la pollution. 40 % de sa ressource est locale. Elle ne pêche pas de thons germons de moins de 8 kg car ils sont considérés comme juvéniles et a subi en raison de cette pratique une rupture de stock pendant deux ans.
* 201 On rappellera que le portail sur les aides aux entreprises, tous objectifs confondus, comporte 2 061 dispositifs, dont la délégation aux Entreprises a demandé, sans succès, la simplification dans un précédent rapport.
* 202 « Décarboner les PME & ETI françaises des petits pas aux virages stratégiques », avril 2023. Une
enquête en ligne a été menée auprès de dirigeants de PME et ETI entre le 9 mars et le 27 mars 2023. Elle a permis de collecter 405 réponses de PME de plus de dix salariés et d'ETI.
* 203 « Les entreprises face au défi climatique Quelles incitations ? Quels accompagnements ? ».
* 204 « Adapter le système assurantiel français face à l'évolution des risques climatiques », Thierry Langreney, Gonéri Le Cozannet, Myriam Mérad, décembre 2023.
* 205 « Le coût des aléas climatiques pris en charge par l'assurance pourrait doubler à l'horizon 2050 » Jean-Louis Bancel et Roland Nussbaum, Le Monde, 23 septembre 2022.
* 206 Sans attendre la publication du rapport, le gouvernement avait annoncé, le 28 décembre 2023, un relèvement, effectif au 1er janvier 2025, de la « surprime » sur les contrats d'assurance qui finance le régime. Cette surprime prélevée sur tous les contrats d'assurance multirisque habitation passera donc, en 2025, de 12 % à 20 % afin d'assurer au régime environ 1,3 milliard d'euros de ressources supplémentaires chaque année et porter sa capacité à quelque 3,2 milliards d'euros.
* 207 « Les assureurs semblent s'être longtemps illusionnés sur leur capacité d'adaptation au risque du changement climatique », Michel Lepetit, Le Monde, 9 juillet 2023.
* 208 « Le coût des aléas climatiques pris en charge par l'assurance pourrait doubler à l'horizon 2050 », art. préc.
* 209 « Ni les assureurs ni les gouvernements ne sont préparés à l'augmentation exponentielle des pertes liées au risque climatique », Arthur Charpentier, Le Monde, 9 juillet 2023.
* 210 Rapport intermédiaire précité « Les enjeux économiques de la transition vers la neutralité carbone ».
* 211 Ceci est cohérent avec les ESRS (European Sustainability Reporting Standards) qui mentionnent la nécessité de réduire les émissions d'au moins 90 % pour atteindre la neutralité carbone ou le « zéro net ». L'argument de « neutralité carbone » avancé par les entreprises reste très largement bâti sur la confusion entre les deux utilisations des termes « neutralité carbone » susmentionnés. Par ailleurs, la contribution réelle des crédits carbone à la lutte contre le changement climatique a été fortement remise en cause, tant en raison des incertitudes et des échecs entourant le déploiement de la capture de CO2 technologique et naturelle que de ceux concernant le calcul de potentielles émissions évitées.
* 212 « Science Based Targets » (« Objectifs fondés sur la science »), appelé aussi initiative SBT ou SBTi, est un partenariat créé en 2015 entre le Carbon Disclosure Project (CDP), le Pacte mondial des Nations unies, le World Resources Institute (WRI) et le Fonds mondial pour la nature (WWF) afin de fournir une évaluation indépendante des bonnes pratiques des entreprises.
* 213 « Compensation carbone : une proposition inefficace et dangereuse » Les Échos, 13 juin 2024.
* 214 Selon le GIEC, on parle d'élimination (« removals » ou « carbon dioxyde removal - CDR ») lorsque le CO2 est déjà présent dans l'atmosphère et de captage et stockage (« carbone capture ») lorsqu'un procédé permet d'extraire le CO2 directement au niveau des sources d'émissions industrielles et énergétique. L'élimination du CO2 peut s'appuyer sur des procédés de séquestration carbone (« carbon sequestration », c'est-à-dire de stockage des émissions dans des puits de carbone).
* 215 En effet, pour la commission d'enquête sénatoriale : « le scenario le plus raisonnable et plausible est celui d'un niveau de consommation électrique entre 580 et 615 TWh à l'horizon 2035 et environ 700 TWh à l'horizon 2050. Ce choix suppose néanmoins la nécessité d'un basculement massif des usages vers l'électricité ». Ce scenario suppose aussi le « renforcement des gains d'efficacité énergétique, dont le potentiel est de 100 TWH à l'horizon 2035, mais aussi des efforts de sobriété qui doit faire l'objet d'un plan national ambitieux. Il nécessite par ailleurs d'encourager vivement le rythme de déploiement des équipements bas-carbone, notamment dans l'industrie, les transports et le bâtiment ».
* 216 Dans les années 2003 à 2005, les études académiques ont été nombreuses et les discussions entre les États de l'Union européenne intenses, à l'occasion de la préparation de la réforme du « pacte de stabilité et de croissance », sur les critères pouvant remplacer ou compléter le déficit public et la dette publique au sens du traité de Maastricht. Ce débat a été relancé avec la crise de 2020 et des propositions visant à soustraire les investissements et les actifs non financiers, éventuellement certains d'entre eux comme ceux qui contribuent à la préservation de l'environnement, du déficit et de la dette.
* 217 Les investissements dans la transition énergétique consistent le plus souvent à remplacer des équipements par d'autres moins consommateurs de carbone, mais sans accroître le capital disponible et donc sans majorer le potentiel de production.
* 218 Outre un risque d'écoblanchiment.
* 219 « Règles budgétaires européennes : comment atterrir ? », 28 février 2022.
* 220 En utilisant une méthode commune et en s'appuyant sur l'expérience de NextGenEU.
* 221 « Comment surmonter « la tragédie de l'horizon » ? », Le Monde 4 mai 2016.
* 222 Selon l'étude de l'Union européenne Material Economics. (2019). Industrial Transformation 2050 - Pathways to Net-Zero Emissions from EU Heavy Industry.
* 223 « La transition énergétique à l'heure du parlementarisme : pour un débat à la hauteur de l'urgence », Benoît Calatayud, Alain Delmestre, Phuc-Vinh Nguyen, Fondation Jean Jaurès, 23 septembre 2024.
* 224 La « stratégie des fruits mûrs » est une métaphore couramment utilisée pour décrire la résolution simple et rapide d'un problème. Dans le cas d'un processus de vente, cela signifie que la cible est facile à atteindre en référence à la vente immédiate de produits ou de services. Un fruit mûr représente donc les opportunités de marché les plus évidentes, facilement et rapidement « prenables » et ne nécessitant pas beaucoup d'efforts.
* 225 Les deux autres piliers de ce plan sont le renforcement des compétences des travailleurs dans le but d'une « qualité » de l'emploi et de sa « bonne rémunération » et la sécurisation des approvisionnements en matières premières stratégiques, tout particulièrement en terres rares.
* 226 « Le verdissement de la politique industrielle », 8 juin 2023, Sarah Guillou.
* 227 « Les entreprises doivent aller au-delà du bilan carbone », Les Échos, 16 mai 2024, Julien Denormandie et Renaud Bettin dirigeants de Sweep.
* 228 « Transition écologique : faut-il sortir de la RSE ? », Les Échos, 14 juin 2024, Cédric Ringenbach.
* 229 Article L229-25 du code de l'Environnement.
* 230 Un premier amendement déposé le 16 octobre 2020 à l'assemblée nationale, visait à subordonner le bénéfice des subventions publiques directes et indirectes versées aux entreprises soumises à l'obligation de déclaration de performance extrafinancière, à la souscription et à la réalisation d'engagements en matière de réduction de leurs émissions de GES. Cet amendement ciblait les grandes entreprises et prévoyait une sanction en cas de non-respect des engagements pris.
Un second amendement, adopté le 27 octobre 2020, vise les plus petites entreprises. Il prévoyait qu'en contre partie du soutien de l'État dans le cadre du plan de relance, les entreprises de plus de 50 salariés publieraient un bilan d'émissions de GES simplifié avec l'aide d'un « outil informatique standardisé et gratuit » mis en place par l'État. Il précisait que la méthode simplifiée devrait être explicitée par décret et que le bilan ne prendrait en compte que les émissions du scope 1, c'est-à-dire les émissions directes produites par les sources d'énergie fixes et mobiles nécessaires aux activités de l'entreprise. Par ailleurs, il devra pouvoir être réalisé sans qu'il soit besoin de faire appel à des sous-traitants ou experts externes à l'entreprise. L'objectif de ce dispositif est de « fournir des estimations précises pour mieux orienter les mesures de soutien aux entreprises ». Du temps aurait été laissé aux entreprises bénéficiaires afin de s'adapter.
* 231 Le principe DNSH (« absence de préjudice important ») est au coeur de la stratégie de développement durable de l'Union Européenne. Intégré au règlement taxonomie de l'Union européenne ce principe impose aux acteurs économiques de ne causer aucun préjudice aux 6 objectifs environnementaux qui déterminent la durabilité d'une activité : l'atténuation du changement climatique ; l'adaptation au changement climatique ; l'utilisation durable des ressources marines ; l'économie circulaire ; la prévention/réduction de la pollution ; la protection/restauration de la biodiversité et des écosystèmes. En France, ce principe s'inscrit dans le cadre du projet « France 2030 » consacré à la finance durable et à la décarbonation de l'économie.
* 232 Voir notamment les travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
* 233 « Croissance et décarbonation de l'économie », Pierre-Louis GIRARD, Claire LE GALL, William MEIGNAN, Philippe WEN, Trésor Eco n° 315, octobre 2022, Direction générale du Trésor
* 234 L'article L. 229-25 du code de l'environnement fixe cependant des périodicités lâches (de 3 et 4 ans), ne précise pas les types d'émissions prévues et permet de déroger à l'exigence de plan de transition en cas de déclaration de performance extrafinancière. Un décret n° 2022-982 du 1er juillet 2022 a toutefois prévu qu'ils portent non seulement sur les émissions directes (scopes 1 et 2), mais aussi sur les émissions indirectes (scope 3).
* 235 L'European Securities and Markets Authority ou Autorité européenne des marchés financiers est une autorité de surveillance européenne indépendante.
* 236 «The Heat is On : Disclosures of Climate-Related Matters in the Financial Statements ».
* 237 Instrument transférable ou négociable qui représente une réduction ou une absorption d'émissions d'une tonne CO2eq et qui est émis et vérifié conformément à des normes de qualité reconnues.
* 238 Retrait des GES de l'atmosphère à la suite d'activités humaines délibérées comme l'amélioration des puits biologiques anthropiques de CO2, l'utilisation du génie chimique pour parvenir à une absorption et à un stockage à long terme ou le captage et stockage du carbone (CSC) provenant de sources industrielles et liées à l'énergie (si combiné à la production de bioénergie). Les absorptions peuvent être annulées lorsque des GES stockés sortent de leur lieu de stockage prévu et retournent dans l'atmosphère.
* 239 Réductions d'émissions réalisées par les activités, produits ou services d'une organisation, lorsque ces réductions se réalisent en dehors de son périmètre d'activité. Cette notion est nommément exclue des exigences de reporting ESRS.
* 240 L'article L 255-121 du Code de commerce précise qu'un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital (ce pourcentage est dégressif en fonction du capital de la société) ou une association d'actionnaires, ont la faculté de requérir l'inscription à l'ordre du jour de projets de résolutions. À défaut, les délibérations prises par l'assemblée générale peuvent être annulées (nullité facultative).
* 241 Mécanisme d'approbation par les actionnaires de la rémunération individuelle des dirigeants mandataires sociaux des sociétés cotées.
* 242 En cas de refus d'inscription d'une résolution à l'ordre du jour, le conseil d'administration de l'entreprise serait obligé de saisir l'AMF.
* 243 Ou plus fréquemment si un changement stratégique ou de gouvernance l'oblige.
* 244 Afin qu'une résolution consultative proposée par des actionnaires, portant sur les enjeux climatiques et respectant les conditions de recevabilité en vigueur, ne puisse être rejetée par l'organe d'administration au motif de non-respect des règles de répartition légales de compétences entre les organes sociaux et en facilitant, comme proposé par le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP), la saisine du tribunal de commerce en cas de contestation du refus d'inscription à l'ordre du jour de résolutions reçues par le conseil d'administration pour permettre aux actionnaires d'obtenir une décision de justice rapide et compatible avec le calendrier d'une assemblée générale (recommandation n°24).
* 245 Par l' article 35 de la loi n°2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, à l'article 244 quater I du code général des impôts.
* 246 Conformément au décret n°2024-212 du 11 mars 2024, constatant la réception par le gouvernement français de la décision de la Commission européenne considérant le dispositif comme conforme au droit de l'Union européenne.
* 247 Le Règlement général d'exemption par catégorie (RGEC) du 17 juin 2014, plusieurs fois modifié, permet aux gouvernements de l'Union européenne d'attribuer des financements publics plus importants à un plus large éventail d'entreprises, sans devoir au préalable en demander la permission à la Commission européenne. En règle générale, à l'exception de très petits montants, les aides d'État doivent être notifiées et autorisées par la Commission préalablement à leur octroi. Le règlement dispense les pays de l'UE de cette obligation de notification, à condition que tous les critères du RGEC soient remplies. L'exemption est conçue pour réduire la charge administrative pesant sur les autorités nationales et locales et pour encourager les gouvernements de l'UE à canaliser l'aide vers la croissance économique sans donner aux bénéficiaires un avantage concurrentiel injuste.
* 248 ENGIE, Saint-Gobain et SUEZ, épaulées par des experts venant de diverses entités telles que Entreprises pour l'Environnement (EpE), la Fondation Solar Impulse et le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD).
* 249 La norme ISO 14044 définit l'ACV comme : « L'analyse de cycle de vie traite les aspects environnementaux et les impacts environnementaux potentiels (par exemple l'utilisation des ressources et les conséquences environnementales des émissions) tout au long du cycle de vie d'un produit, de l'acquisition des matières premières à sa production, son utilisation, son traitement en fin de vie, son recyclage et sa mise au rebut (à savoir, du berceau à la tombe). »
* 250 « La comptabilité des entreprises oublie le carbone » Le Monde 28 avril 2023, signé par onze économistes, juristes et experts-comptables, dont Alain Grandjean et Patrick Criqui.
* 251 Elle a été inventée simultanément par plusieurs équipes universitaires dans plusieurs pays (« E-Liability » dans le monde anglo-saxon).
* 252 Une expertise environnementale annuelle n'est nécessaire que si l'entreprise capture ou émet des carbones au-delà des combustibles brûlés, donc si elle se situe dans des activités spécifiques comme l'élevage ou la production de ciment.
* 253 Les Dividendes Climat ne sont pas propres à Team for the Planet. Ils peuvent également être proposés par d'autres acteurs.
* 254 Une innovation de rupture est une innovation souvent technologique portant sur un produit ou un service et qui finit par remplacer une technologie dominante sur un marché. Elle fait naître une nouvelle catégorie de produit ou service qui n'existait pas.
* 255 Par exemple, si une entreprise détient 1 % des actions de l'entreprise Air France, elle doit ajouter 1 % des émissions de GES d'Air France dans le scope 3 de son propre bilan carbone.
* 256 En application de la formule : (% de détention * émissions CO2 de la participation)/(% de détention * chiffre d'affaires de la participation).
* 257 Ils s'inscrivent uniquement dans le cadre d'une relation de type « investissement financier ». Il s'agit en effet d'un droit d'actionnaire lié à la détention d'actions d'une autre entreprise.
* 258 Ce scénario consiste à mesurer le CO2 émis par l'usage habituel que l'innovation vient modifier, en utilisant la MTD (meilleure technologie disponible avant la mise en oeuvre de l'innovation). Ce scénario de référence est ensuite comparé avec celui de la mise en place de l'innovation. La différence constitue le nombre de tonnes de GES évitées.
* 259 Il comprend un diagnostic, une stratégie territoriale, un programme d'actions et un dispositif de suivi et d'évaluation. Il porte une vision intégrée des enjeux d'atténuation et d'adaptation du changement climatique, de préservation et de renforcement des puits de carbone, de développement des énergies renouvelables, de maîtrise de la consommation énergétique et de lutte contre la pollution de l'air sur le territoire.
* 260 « Engager et réussir la transition environnementale de sa collectivité », rapports d'information n°87 (2023-2024), du 9 novembre 2023.
* 261 De plus, les SRADDET utilisent des formats de données, des méthodes, des périmètres, et des modalités de calculs différentes d'une région à l'autre. Certains ont pour référence la SNBC1, d'autres la SNBC2, alors que la SNBC3 est en cours de préparation. Il n'y pas de mécanisme de révision prévu, en dehors du choix laissé aux régions de revoir leur SRADDET dans les 6 mois suivants les dernières élections régionales.
* 262 L'ADEME a cependant mis en place un cadre de dépôt et une plateforme d'échanges et de ressources pour les PCAET afin d'en harmoniser la présentation et de recueillir des données nationales qui devrait contribuer à faire converger les données.
* 263 À l'article R229-51.
* 264 Document de travail : « Coût de l'inaction face au changement climatique en France : que sait-on ? », Adrien Delahais et Alice Robine, mars 2023.
* 265 Voir en annexe.
* 266 Inspirées des Conferences of the Parties (COP) réunissant les États parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
* 267 « Pas d'adaptation sans exigences opérationnelles ni moyens humains », Vivian Dépoues et Morgane Nico, Point climat n° 67, juin 2021.
* 268 La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 inscrit les objectifs de développement durable, dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale, dans un nouvel article L. 3-1 du Code de la commande publique. La norme NF FD X50-135 est éditée par l'AFNOR.
* 269 « La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ».
* 270 « Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. Au moins un de ces critères prend en compte les caractéristiques environnementales de l'offre. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire.
Les offres sont appréciées lot par lot, sauf lorsque les entités adjudicatrices ont autorisé les opérateurs économiques à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d'être obtenus en application du second alinéa de l'article L. 2151-1.
Le lien avec l'objet du marché ou ses conditions d'exécution s'apprécie conformément aux articles L. 2112-2 à L. 2112-4 ».
* 271 C'est-à-dire la prise en compte de la dimension environnementale dans l'acte d'achat par exemple : caractère réutilisable/recyclé/reconditionné/recyclable des produits, économies d'énergie, prévention de la production des déchets et la valorisation des déchets, etc...
* 272 Par l'article 13 de la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire.
* 273 Par le décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 portant diverses modifications du code de la commande publique portant application de l'article 35 de la loi Climat et Résilience.
* 274 Par la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte.
* 275 Selon l'article L.2152-7 du code de la commande publique : « Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base du critère du prix ou du coût. L'offre économiquement la plus avantageuse peut également être déterminée sur le fondement d'une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux ».
* 276 Le Cercle de Giverny est un « laboratoire d'idées hybride décidé à agir en faveur du déploiement opérationnel de la RSE systémique. Ses travaux sont placés sous le haut patronage du ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique ».
* 277 « Faire de la commande publique un moteur de la transition écologique et sociale », La Croix, 11 mars 2021.
* 278 « Les entreprises face au défi climatique : Quelles incitations ? Quels accompagnements ? », janvier 2021.
* 279 En réponse au questionnaire de la délégation aux Entreprises, voir annexe.
* 280 Audition par la délégation aux Entreprises du 10 avril 2024 de dirigeants d'entreprises européennes et de représentants d'organisations patronales européennes, sur le thème « Existe-t-il un « mittelstand » européen ? ».
* 281 « Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : une exemplarité à mieux encourager », rapports d'information n° 572 (2019-2020), du 25 juin 2020.
* 282 « Faire évoluer les règles et les pratiques de la commande publique afin de :
« - inciter les acheteurs publics à utiliser pleinement les dispositions du code des marchés publics en matière d'achat responsable ;
« - encourager les collectivités territoriales à recourir, lors de la passation de marchés publics, aux entreprises engagées dans une démarche RSE et notamment celles de l'économie sociale et solidaire (ESS) ;
« - refonder une approche plus transversale et globale des marchés publics, en prenant en compte non seulement la construction d'une infrastructure publique, mais aussi son exploitation ».
* 283 Le recours au doit souple inclut les recommandations du code Afep-MEDEF, de l'Autorité des marché financiers, ou les bonnes pratiques recensées en mises en avant par l'Association française de gestion ou l'Institut français des administrateurs.
* 284 Gestionnaire du Réseau de Transport d'Électricité français.
* 285 Principalement la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics.