B. CONFORTER LES COMMUNES POLYNÉSIENNES DANS L'EXERCICE DES COMPÉTENCES DE PROXIMITÉ

1. Favoriser les délégations d'exercice des compétences du Pays vers les communes

Au cours des échanges menés par la mission avec les maires, l'existence d'un « jacobinisme tahitien » a souvent été déplorée. Dans les archipels ou îles éloignées de Tahiti, l'exercice par le Pays de ses prérogatives est souvent jugé trop distant, et décidé trop loin des élus et des populations, a fortiori compte tenu de la diversité des situations locales.

Cette critique se fait d'autant plus importante aujourd'hui, compte tenu du positionnement politique différent des tavanas par rapport aux représentants du Pays - puisque 46 maires sur 48 se sont présentés ou ont été soutenus en 2020 par le Tapura tandis que le Tavini détient une large majorité à l'assemblée de la Polynésie française et que le Président de Polynésie appartient à ce dernier. La situation politique actuelle ne facilite donc pas le dialogue et la réalisation de projets qui sont pourtant d'intérêt commun.

En particulier, à son accession au pouvoir en mai 2023, le Tavini a assumé un moratoire sur de nombreux projets d'investissement structurants pour les communes, afin de s'assurer de leur pertinence au regard de ses propres orientations de politiques publiques. Ainsi, lors du déplacement de la mission, des projets portant sur l'aménagement du lagon à Moorea, sur la création du stade nautique de Papeete, sur la restructuration du centre de Punnaiea ou sur la création d'équipements sportifs dans plusieurs communes sont suspendus depuis, alors même que certains étaient sur le point de voir le jour.

S'ajoute également le fait que le gouvernement du Pays a supprimé le régime d'exonération fiscale qui a longtemps permis le développement touristique de certaines îles, ce qui constitue aujourd'hui, selon plusieurs interlocuteurs des milieux socioéconomiques rencontrés, un frein à la concrétisation de projets touristiques, tels que la reprise d'établissements hôteliers à Moorea et à Bora-Bora.

Dans ce cadre, la mission ne peut qu'encourager la reprise d'un dialogue entre le Pays et les communes, soulignant que la loi organique statutaire de 2004 prévoit deux mécanismes juridiques de nature à permettre la prise de décisions relevant de la compétence du Pays au plus près des administrés.

D'une part, l'article 48 de la loi organique du 27 février 2004 permet au Pays de déléguer aux maires ou aux présidents d'EPCI les compétences pour prendre les mesures individuelles d'application des lois du Pays ou de la réglementation édictée par le Pays. Cette délégation est soumise à la double condition, d'une part, de l'accord du conseil municipal de la commune intéressée ou de l'assemblée délibérante de l'établissement public de coopération intercommunale intéressé et, d'autre part, du transfert des moyens nécessaires à l'exercice des pouvoirs qui font l'objet de la délégation.

D'autre part, l'article 55 de la loi du 27 février 2004 autorise le Pays, dans les conditions définies par une loi du Pays, à confier, par convention, aux communes ou aux établissements communaux ou de coopération intercommunale la réalisation d'équipements collectifs ou la gestion de services publics relevant de leurs compétences respectives65(*). La convention doit alors prévoir la participation financière des collectivités concernées.

Près de vingt ans après l'entrée en vigueur du statut d'autonomie, les lois du pays n° 2023-2266(*) et n° 2023-2367(*) du 3 mars 2023 sont venues fixer les principes généraux de mise en oeuvre de ces deux dispositions. Toutefois, malgré les demandes formulées par certaines communes, ces délégations n'ont pas été mises en oeuvre à ce jour.

La mission appelle donc à recourir à ces mécanismes de dévolution dans une démarche de « petits pas », projet par projet, afin de créer une confiance mutuelle entre les autorités communales et celles du Pays. Pour ce faire, il est important que les conditions financières liées à la mise en oeuvre de ces mesures puissent faire l'objet d'une appréciation raisonnable et non conflictuelle des parties en présence. Dans ce cadre, la mission estime que l'expertise de la chambre territoriale des comptes dans l'évaluation des coûts pourrait utilement être mobilisée, au titre d'un « tiers de confiance ».

Proposition n° 14 : Pour exercer une action locale au plus près des Polynésiens, mettre en oeuvre, dans une démarche pragmatique, les lois du Pays du 3 mars 2023 permettant la délégation de compétences ou la réalisation de projets aux communes et intercommunalités, en mobilisant l'expertise de la chambre territoriale des comptes pour l'évaluation des coûts induits.

2. Ajuster la répartition des compétences entre le Pays et les communes

Au cours de ses travaux, la mission a pu constater un certain décalage entre la dévolution des compétences entre le Pays, les communes et les EPCI organisée par les textes juridiques et la réalité de leur mise en oeuvre. Aussi propose-t-elle des évolutions en la matière.

a) Envisager le retour au Pays de certaines compétences que les communes et leurs EPCI ne sont pas en mesure d'exercer

Les compétences des communes listées par la loi organique ne sont, de fait, pas toujours en capacité effective d'être exercées par les communes polynésiennes, y compris à l'échelon intercommunal. C'est le cas des compétences en matière d'environnement.

(1) La question de l'eau potable et de l'assainissement

Aux termes de l'article L. 2573-27 du code général des collectivités territoriales, spécifique aux communes de la Polynésie française, « les communes doivent assurer le service de la distribution d'eau potable et le service de l'assainissement au plus tard le 31 décembre 2024. Les communes présentent un plan prévisionnel d'équipement et de mise à niveau relatif aux services de distribution d'eau potable et d'assainissement au plus tard le 31 décembre 2019. » La date du 31 décembre 2024 résulte déjà d'un report opéré par la loi dite « NOTRe » en 2015, à l'initiative du Sénat, les services de distribution d'eau potable et d'assainissement devant auparavant être exercés par les communes avant respectivement le 31 décembre 2015 et le 31 décembre 2020.

Or, selon les informations recueillies auprès du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF), nombre de communes ne seront pas en mesure dans ce délai de prendre effectivement en charge ces services, y compris dans le cadre d'EPCI.

S'agissant de la distribution de l'eau potable, la situation est la plus avancée, sans néanmoins permettre de respecter l'échéance légale. Ainsi, selon le SPCPF, 47 des 48 communes sont aujourd'hui dotées d'un schéma directeur d'alimentation en eau potable et le mettent en oeuvre. En 2022, seules 9 communes distribuaient de l'eau potable sur l'ensemble de leur territoire, tandis que 7 autres distribuaient de l'eau potable sur une partie de leur territoire. En termes de contrôle de la qualité de l'eau distribuée sur les réseaux publics de distribution, en 2022, 16 communes avaient réalisé un programme d'autocontrôle sur l'ensemble de leur territoire et 4 sur une partie seulement de leur territoire.

Certaines communes ont mis en place des installations remarquables, dans un contexte de raréfaction de l'eau, par le recours à des osmoseurs, comme à Bora-Bora, commune animée par la volonté de longue date de son maire, Gaston Tong Sang, d'intégrer ces installations avec la protection de l'environnement fragile du lagon. Mais, cette situation exceptionnelle ne saurait masquer la difficulté des autres communes qui tient au fait que la performance d'un service de l'eau repose également sur les moyens humains et organisationnels mis en place, techniquement et administrativement, à commencer par la facturation et le recouvrement. Des progrès devraient intervenir sur ce point, puisqu'en 2024, 46 communes ont voté une délibération fixant la tarification du service de l'eau.

La situation est plus difficile encore s'agissant de l'exercice de la compétence « assainissement ». À ce jour, selon le SPCPF, seuls 25 schémas directeurs d'assainissement des eaux usées sont réalisés ou sont en cours de réalisation.

Concernant l'assainissement collectif public, certaines communes sont dotées des infrastructures principalement en zone urbaine ou touristique : Punaauia et Papeete sur l'île de Tahiti, Moorea (à Haapiti) et Bora Bora (Povai et Faanui)68(*). Concernant l'assainissement autonome, il apparaît que plus de 250 petites stations d'épuration sont en fonctionnement en Polynésie, dont 90 % se trouvent à Tahiti, Papeete concentrant à elle seule la moitié de ces stations. En termes d'efficacité de traitement, plus de la moitié de ces stations présentent des rejets non conformes en raison de dysfonctionnements dont la réparation ou le maintien à niveau génèrent des coûts importants, rarement supportables par les communes ou intercommunalités concernées, attestant des dysfonctionnements dans l'exercice de ces compétences.

S'agissant de l'assainissement individuel, peu de données chiffrées existent à l'échelle de la Polynésie française. Les dernières études sur les villes de Arue et de Pirae révèlent néanmoins une vétusté élevée (90 % des équipements de traitement) et un manque majeur d'entretien (75 % des systèmes de traitement individuel ne sont pas entretenus). Bien que cela relève des compétences des communes69(*), le contrôle des services publics d'assainissement non collectif (SPANC) n'est pas assuré dans la plupart d'entre elles : le contrôle de conformité des équipements au moment de leur installation, lors de l'étape de demande du permis de construire est en fait réalisée par les services du Pays, tandis que le contrôle de qualité des performances des équipements durant toute la durée de leur fonctionnement n'est tout simplement la plupart du temps pas assurée.

Cette impossibilité de mise en oeuvre résulte de la faiblesse des moyens financiers, en l'absence d'un pouvoir fiscal propre, et des moyens en ingénierie juridique et technique des communes. Comme le souligne le SPCPF, cette situation peut notamment s'expliquer par le fait que, depuis que ces compétences ont été attribuées, aucune évaluation concrète des charges induites par la mise en place de ces services n'a été réalisée et que des délais ont été fixés et modifiés sans la connaissance détaillée des prérequis nécessaires à l'échéancier imposé.

Dans ces conditions, se pose la question d'un nouveau report de ce délai de mise en oeuvre de la compétence en matière d'eau potable et d'assainissement par les communes, voire d'envisager des aménagements particuliers pérennes pour les communes d'archipels, pour lesquelles les aménagements techniques nécessaires sont particulièrement lourds en termes d'ingénierie et donc de coûts. À cet égard, une réflexion sur une adaptation des caractéristiques techniques exigées devrait être menée, qui pourrait ainsi faciliter la mise en place d'infrastructures de distribution, de recueil et de traitement des eaux.

Proposition n° 15 : Face à l'impossibilité matérielle dans laquelle sont placées les communes de Polynésie en matière de distribution d'eau potable et d'assainissement, envisager un nouveau report de la date de l'obligation de fournir ces services, voire des aménagements particuliers pérennes pour les communes d'archipels.

(2) La question du traitement des déchets

Des difficultés similaires de mise en oeuvre de la compétence en matière de traitement des déchets se posent. Alors qu'il s'agit d'une compétence obligatoire des communes en application de l'article 43 de la loi organique statutaire, définie par les articles L. 2224-13 et L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales, nombreuses sont celles qui peinent à l'assumer dans toute son ampleur, y compris dans le cadre des EPCI qu'elles ont créés.

L'exercice de cette compétence est d'autant plus complexe dans les communes formées de plusieurs îles, où le coût est mécaniquement fortement renchéri. De plus, dans plusieurs communes, le volume des déchets ne rend pas viable la mise en place d'équipements de traitement effectifs, imposant alors un transfert des déchets hors de la commune. Lors du déplacement de la mission, le tavana de Maupiti a ainsi mis en exergue les difficultés rencontrées par sa commune en la matière, notamment faute de foncier disponible.

En outre, les communes manquent là aussi des moyens financiers et d'ingénierie nécessaires à la mise en place des circuits de traitement et valorisation nécessaires, efficaces et efficients. Lors du déplacement, Gaston Tong Sang, tavana de Bora-Bora, a souligné les coûts pour les communes de l'exercice de cette compétence, le coût moyen aidé hors taxe de gestion des déchets étant estimé par le Pays - toutes collectivités confondues - à 15 300 CFP par habitant, nettement plus élevé que la médiane nationale évaluée par l'Ademe à 11 800 CFP par habitant.

Aussi se pose légitimement la question de la restitution au Pays de la compétence en matière de traitement déchets.

Tel est, du reste, l'ambition du gouvernement de la Polynésie française qui envisage d'étudier les possibilités et les conséquences techniques, financières et juridiques d'un tel transfert de compétences. Lors du congrès des communes de Polynésie française tenu en septembre 2023, le président Moetai Brotherson a évoqué ce projet, qui serait conduit pendant une durée d'environ deux ans. Les maires présents ont répondu par 38 voix en faveur du lancement d'études par le Pays en ce sens.

Le projet de schéma territorial de prévention et de gestion des déchets de la Polynésie française, établi en application de l'article LP. 4212-1 du code de l'environnement de la Polynésie française et mis en consultation en 2024, prévoit des études en ce sens.

La mission estime que la spécificité des communes polynésiennes et la nécessité d'assurer un traitement des déchets de manière efficace tout en maîtrisant les coûts justifient une redéfinition des compétences actuelles entre les communes et le Pays en vue de conférer à ce dernier la compétence en la matière. Une modification tant de la loi organique statutaire que du code général des collectivités territoriales sera alors nécessaire.

Proposition n° 16 : Rétrocéder la compétence en matière de traitement des déchets des communes au Pays.

(3) L'exercice de la compétence en matière d'incendie et de secours

L'ordonnance n° 2006-173 du 15 février 2006 portant actualisation et adaptation du droit applicable en matière de sécurité civile en Polynésie française a prévu la création de l'établissement public d'incendie et de secours de Polynésie française.

Pourtant, elle n'a toujours pas vu le jour dix-huit ans après et, de l'avis du SPCPF, n'a jusqu'à récemment jamais fait l'objet de travaux particuliers. Ce n'est qu'à la fin de l'année 2023 qu'un comité polynésien de sécurité civile a été mis en place, réunissant les autorités de l'État, du Pays et des communes. Dans ce cadre, doivent être prochainement abordés :

- les difficultés de gouvernance et de financement du centre de traitement d'appel (CTA) actuellement en place ainsi que l'organisation et le dimensionnement de la future plateforme d'appels (numéros 15/18) qui prendrait la place du CTA ;

- le contenu du décret en Conseil d'État prévue par l'ordonnance susvisée, qui doit rendre effectif le STIS de Polynésie.

De fait, les acteurs locaux continuent de s'interroger sur la pertinence du modèle imposé en 2006, dont l'adaptation à l'espace polynésien n'est pas totalement démontrée, compte tenu de l'émiettement du territoire, de l'éloignement de certaines îles et des problématiques de sécurité particulières pour les îles éloignées de Tahiti (en particulier les atolls des Tuamotu au sein desquels une commune peut compter plusieurs atolls).

Par ailleurs, sa création soulève des difficultés en termes de financement et de gouvernance, alors même que le financement des outils concourant à la sécurité civile et la formation des agents communaux sont des enjeux essentiels.

La mission s'interroge donc sur la pertinence du modèle retenu en 2006, qui transposait, avec quelques modifications, la solution « classique » des SDIS à la Polynésie française. Elle estime que les échanges doivent se poursuivre avec l'État, les communes et le Pays pour déterminer le modèle le plus adapté aux contraintes du territoire.

Proposition n° 17 : Dans le cadre du comité polynésien de sécurité civile, poursuivre les échanges pour s'assurer que le modèle d'un établissement public d'incendie et de secours de Polynésie française, décidé en 2006, est adapté aux besoins du territoire.

b) Reconnaître une possibilité d'intervention de plein droit des communes dans certaines matières relevant aujourd'hui de la compétence du Pays

Le II de l'article 43 de la loi organique statutaire permet au Pays, dans le cadre d'une loi du Pays, de déterminer les conditions d'intervention des communes ou de leurs EPCI dans un certain nombre de matières.

Au cours de l'examen de la loi organique du 5 juin 2019 portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française, le Sénat, à l'initiative de Lana Tetuanui, avait étendu le champ des matières concernées, afin de favoriser l'exercice des compétences au plus près des habitants. Cette extension ne s'est toutefois pas traduite, en pratique, par un accroissement des compétences conférées à celles-ci par le Pays, qui reste à ce jour réticent à mettre en oeuvre cette disposition.

Aussi, les rapporteurs estiment-ils que la procédure prévue par cette disposition doit être dépassée afin de reconnaître de plein droit aux communes de Polynésie française l'exercice partagé avec le Pays de certaines compétences, sans que soit nécessaire l'adoption d'une loi du Pays en ce sens. Il ne s'agirait donc pas d'un transfert complet de compétences, mais d'une prérogative d'intervention dans certains domaines, dans une logique d'effectivité et de subsidiarité, comme y invitait déjà la commission des lois en 201770(*).

Cet exercice pourrait concerner des compétences de proximité que plusieurs communes exercent déjà de facto, sans base juridique, pour pallier l'absence ou la faiblesse de certaines actions menées localement en la matière par le Pays : la culture et le patrimoine local ; l'artisanat ; l'aide sociale ; la jeunesse et le sport.

Dans ces matières, la bonne coordination des interventions nécessiterait néanmoins la conclusion de conventions entre le Pays et chaque commune ou EPCI concernés, qui pourra ainsi assurer la complémentarité des actions exercées mais aussi, le cas échéant, définir les moyens financiers que le Pays pourrait apporter à la commune ou l'EPCI concerné pour les actions menées. Cette conclusion serait d'autant plus facile que, dans les domaines précités, le Pays ne met souvent pas concrètement en oeuvre localement les compétences.

Proposition n° 18 : Pour pallier l'absence ou l'insuffisance de certaines actions menées localement par le Pays, reconnaître aux communes de Polynésie française, sans que soit nécessaire l'adoption d'une loi du Pays en ce sens, une compétence partagée avec le Pays, en particulier en matière de culture et de patrimoine local, d'artisanat, d'aide sociale, de jeunesse et de sport.

3. Clarifier le statut des communes associées et des maires associés

Compte tenu de la configuration du territoire de certaines communes polynésiennes, qui peuvent comporter plusieurs îles distantes de plusieurs dizaines de kilomètres et parfois accessibles seulement par mer, la création de communes associées sui generis en 1972 a répondu à la volonté d'assurer la présence d'une autorité communale au plus près des populations.

Toutefois, comme l'ont indiqué les représentants du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF), le régime juridique qui leur est applicable est source de difficultés d'organisation et d'incompréhension pour les administrés.

Les maires délégués ont peu de prérogatives pour matière de gestion des effectifs communaux situés sur leur île. La répartition géographique du territoire communal sur plusieurs îles rend nécessaire le dédoublement des effectifs et des équipements (ex : mairies annexes, véhicules, etc.) affectant directement le budget de la commune qui n'identifie pas les crédits affectés à une commune associée.

Selon le SPCPF, avec ce statut particulier, la population n'arrive pas à faire la distinction entre le maire et le maire délégué, et exprime parfois un sentiment d'appartenance plus fort à la commune associée qu'à la commune de plein exercice. Des telles difficultés sont, du reste, également rencontrées dans les « communes nouvelles » de l'hexagone, en dépit de la continuité territoriale inhérente à leur création. De plus, l'actuel régime électoral prévoit que le maire délégué d'une commune associée est élu au sein de la liste arrivée en tête dans la commune associée, ce qui n'a pas totalement résolu les difficultés à constituer une majorité.

Face à cette situation complexe, la mission estime que la revalorisation de l'échelon communal implique de redéfinir avec sans doute davantage de précision le statut des communes associées, leurs conditions de fonctionnement et les prérogatives que leurs maires délégués peuvent exercer.

La question peut aussi se poser de savoir si, compte tenu du contexte géographique et du peuplement de certains territoires communaux, certaines communes associées ne devraient pas « défusionner » pour devenir des communes à part entière de la Polynésie.

Proposition n° 19 : Redéfinir le statut juridique des communes associées, leurs conditions de fonctionnement et les prérogatives que leurs maires délégués peuvent exercer.

4. Fortifier la fonction publique communale

Donner une attractivité suffisante à la fonction publique communale et conforter les compétences de ses membres est un enjeu essentiel pour permettre aux communes de la Polynésie française d'exercer leurs compétences dans des conditions optimales.

S'agissant de l'attractivité, l'actualisation du statut des fonctionnaires communaux, opérée par l'ordonnance du 8 décembre 2021, initiée suite à l'émergence d'un mouvement de grève en mai 2017 et à l'issue d'un important travail préparatoire associant les instances locales, a permis certaines avancées, en reprenant des dispositifs existant dans la fonction publique territoriale nationale, qui donnent plus de souplesse dans les parcours professionnels ainsi que dans les recrutements.

À cette occasion, les dispositions relatives aux régimes indemnitaires des fonctionnaires et agents contractuels ont été modifiées, notamment afin que les agents de catégorie « exécution », mais également les agents de police municipale et les sapeurs-pompiers professionnels, puissent désormais bénéficier d'indemnités71(*).

Il revient aux organes délibérants des collectivités et établissements publics le soin de fixer les régimes indemnitaires applicables. Ces régimes indemnitaires sont fixés dans la limite de ceux des agents de l'État occupant des emplois comparables pour les catégories A, B et C des spécialités « administrative » et « technique ». L'article 43 de l'ordonnance n° 2021-1605 du 8 décembre 2021 obligeait les collectivités à adopter leurs régimes indemnitaires au plus tard le 31 décembre 2023.72(*) Selon le SPCPF, cette obligation a été satisfaite par l'ensemble des communes.

Le régime indemnitaire des fonctionnaires communaux est fixé, comme dans la fonction publique territoriale, « dans la limite de celui des fonctionnaires de l'État occupant des emplois comparables » par l'organe délibérant de chaque commune ou établissement public. Cependant, dans la mesure où la fonction publique communale dispose d'emplois qui n'existent pas dans la fonction publique de l'État (catégorie D, sapeurs-pompiers, policiers municipaux), un arrêté du haut-commissaire en fixe les limites.

Selon les services du haut-commissariat, globalement, la structure du régime indemnitaire est très proche de celle des fonctionnaires hexagonaux. Des adaptations aux spécificités locales ont été prévues marginalement à la demande des membres du Conseil supérieur de la fonction publique communale. Le centre de gestion et de formation, le SPCPF et les services du haut-commissariat ont organisé conjointement douze sessions de formation à destination des employeurs communaux pour les accompagner dans la mise en place du nouveau régime indemnitaire, dont la moitié hors de l'île de Tahiti. 92 % des collectivités et établissements concernés ont pu en bénéficier.

La ratification de cette ordonnance avait donné lieu à l'adoption d'une demande de rapport au Parlement sur la capacité financière des communes à mener à bien certaines politiques en faveur de leurs personnels, en particulier dans le domaine de l'action sociale, du handicap ou du financement des congés avec traitement pour les activités en lien avec l'armée73(*). Ce rapport, rendu en mars 2024, faisait valoir que le coût des mesures indemnitaires décidées par les communes, dans le cadre de leur libre administration, nécessitera, pour éviter qu'il ne dégrade l'équilibre de fonctionnement des communes, « que les gestionnaires soient attentifs à la maîtrise des autres dépenses de fonctionnement ainsi qu'au coût des recrutements nouveaux ».

De fait, selon ce même rapport, les charges de personnel constituent la première dépense des communes, représentant 58,3 % de leurs dépenses de fonctionnement74(*), avec des écarts importants entre les subdivisions. Ainsi, les communes des Iles-sous-le-vent et des Iles-du-Vent ont des dépenses de fonctionnement de 910 € par habitant, dont 530 € de dépenses de personnel, tandis que celles des archipels des Tuamotu-Gambier et des Marquises dépassent 1 500 € par habitant, dont 860 € de dépenses de personnel. Ces écarts peuvent notamment s'expliquer par l'éloignement des archipels et la dispersion de certaines communes entre plusieurs atolls, ainsi que par le recours plus important aux travaux en régie dans certains territoires en raison de la faiblesse du secteur privé.

Selon le SPCPF, les régimes indemnitaires adoptés ainsi que la réévaluation du point d'indice concourront certes à l'amélioration de l'attractivité de la fonction publique communale, mais cette amélioration restera relative, les écarts constatés avec les fonctions publiques de la Polynésie française et de l'État restant patents.

De l'avis du président de la chambre territoriale des comptes, Jean-Luc Le Mercier, la situation financière des communes de Polynésie française est bonne. Elle devrait de ce fait, aux yeux des rapporteurs, pouvoir assumer ces revalorisations nécessaires à l'attractivité de la fonction publique communale.

Néanmoins, la position du SPCPF est à cet égard plus réservée. S'il estime que les coûts induits par l'augmentation du point d'indice et le nouveau régime indemnitaire sont absorbables collectivement grâce aux augmentations successives des dotations non affectées en fonctionnement décidées par les membres du comité des finances locales de Polynésie française en charge du fonds intercommunal de péréquation, il juge que les réserves constituées au sein de ce fonds pour faire face à ces ajustements nécessaires pèseront durablement sur les finances des communes. En outre, à titre individuel, ces augmentations sont difficilement absorbables dans la mesure où les communes polynésiennes ne disposent pour ainsi dire d'aucun levier fiscal. Cette gestion collective du partage de la fiscalité entre le Pays et les communes semblent néanmoins être la seule en mesure de préserver une nécessaire péréquation au profit de l'essentiel des communes polynésiennes.

Pour autant, la mission souligne que cette attractivité doit surtout concerner les emplois relevant des catégories A et B, que les communes n'ont pas les moyens suffisants de recruter et de fidéliser, et qui, selon plusieurs maires, peuvent avoir une préférence à exercer dans le cadre de la fonction publique du Pays. C'est en effet grâce à des personnels capables de mener à bien des projets d'investissement importants que les communes pourront se développer et offrir à leurs habitants un niveau de services adéquat, conformément aux prescriptions du code général des collectivités territoriales.

Or, selon le SPCPF, seules les 11 communes de Polynésie de plus de 10 000 habitants ont aujourd'hui la capacité financière d'attirer à elles, et de conserver, les cadres susceptibles de requérir un processus de mutation. Il sera donc important de faire un bilan d'ici cinq ans de la politique indemnitaire mise en place et de sa capacité à renforcer l'attractivité du recrutement et le maintien dans le poste, en particulier dans les emplois de catégorie A et B.

Aussi le rôle du centre de gestion et de formation (CGF) de la Polynésie française, et l'accompagnement qu'il offre pour développer les compétences des agents de la fonction publique communale, apparaissent-ils essentiels. De fait, de l'avis des personnes rencontrées, le soutien apporté par le CGF pour le développement des compétences des agents à leur champ professionnel est très apprécié. En 2023, 3 989 agents ont ainsi été formés par le centre contre 2 626 en 2022, soit un saut capacitaire majeur de 51 % entre les deux années, avec 356 actions de formation engagées sur l'année. Le coût des formations reste néanmoins très fortement grevé par les coûts de transport, qui en représentent entre 77 % et 83 %.

La mission salue l'effort majeur entrepris par le CGF pour la formation des agents des communes, et sa volonté d'élaborer, sur la période 2024-2028, une stratégie de formation à long terme, tenant compte de l'écart entre les compétences requises pour un poste de travail et les compétences réelles d'un agent, tout en s'efforçant de garantir l'accès le plus important possible à ses dispositifs de formation, via notamment le développement de ses formations en distanciel, ou en format hybride.

Proposition n° 20 : Accompagner encore davantage les communes dans leur recrutement des agents catégorie A et B, et dans la formation professionnelle de l'ensemble de leurs personnels.

5. Favoriser l'utilisation par les communes, pour leurs projets structurants, des terrains qui sont la propriété du Pays

La question foncière est majeure dans la capacité d'action des communes de la Polynésie.

Le legs de l'histoire - et notamment les effets induits par la loi tahitienne du 24 mars 1852 rendant obligatoire l'enregistrement des terres sur un registre, après une procédure d'examen des demandes par une commission dans chaque district (Tomite) - a conduit à conférer au Pays - héritier de l'État et préexistant aux communes - un domaine privé extrêmement important, sans que la généralisation des communes en Polynésie française en 1971 ait conduit à des transferts des biens immobiliers du domaine privé du Pays vers les communes elles-mêmes. De même, l'État conserve encore dans certaines îles des emprises foncières importantes, qui pour certaines ne sont plus valorisées.

Il en découle des situations où les communes sont totalement dépourvues de terrains d'assiette leur permettant d'exercer librement leurs compétences et de mener des projets structurants.

La situation est particulièrement prégnante aux îles Marquises, comme l'ont rappelé les hakaïki lors du déplacement de la mission à Hiva Oa - on estime ainsi que 80 % de l'île de Nuku Hiva relèvent du domaine du Pays -, mais elle se rencontre dans d'autres archipels, comme par exemple à Rimatara aux Australes. Cette situation a également été évoquée par le maire de Maupiti, Woullingson Raufauore, rencontré par la mission, la question foncière étant un obstacle majeur à la création d'un centre de traitement des déchets par la commune.

Proposition n° 21 : Favoriser, par la vente ou la mise à disposition à titre gratuit par le Pays et l'État, l'utilisation du foncier par les communes et les communautés de communes pour y établir des équipements publics locaux.


* 65 À l'inverse, cette disposition permet aux communes ou à leurs groupements de confier, par convention, à la Polynésie française, la réalisation d'équipements collectifs ou la gestion de services publics relevant de leurs compétences.

* 66 Cette loi du Pays est disponible sur le site LEXPOL.

* 67 Cette loi du Pays disponible sur le site LEXPOL.

* 68 En termes d'équipements, cela correspond à 5 stations d'épuration collectives, 5 émissaires de rejet, des dizaines de kilomètres de réseaux et le traitement de près de 8 000 m3 /j d'eaux usées produites par 9 % de la population.

* 69 Avis du Conseil d'État (section des travaux publics) n°405376 du 20 juillet 2022.

* 70 Rapport d'information n° 165 (2017-2018), «  La Polynésie française : allier autonomie dans la République et subsidiarité dans la collectivité », de Catherine Troendlé et Mathieu Darnaud, fait au nom de la commission des lois, déposé le 13 décembre 2017.

* 71 Dont les montants maximums sont fixés par arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française, après avis du Conseil supérieur de la fonction publique des communes de la Polynésie française.

* 72 Article 62 de l'ordonnance n° 2005-10 du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de Polynésie française.

* 73 Article 20 de la loi n° 2022-1137 du 10 août 2022ratifiant l'ordonnance n° 2021-1605 du 8 décembre 2021 étendant et adaptant à la fonction publique des communes de Polynésie française certaines dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

* 74 À titre de comparaison, ces dépenses s'élèvent, dans l'hexagone, à 49,8 % dans les communes de moins de 10 000 habitants et à 61 % dans les communes de plus de 10 000 habitants (hors Paris).

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