N° 9
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 octobre 2024
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) relatif à l'efficacité des conseils municipaux,
Par Mmes Françoise GATEL (2), Nadine
BELLUROT, MM. Éric KERROUCHE
et Didier RAMBAUD,
Sénateurs et Sénatrice
(1) Cette délégation est
composée de : Mme Françoise Gatel (2),
présidente ; M. Rémy Pointereau,
premier vice-président ; Mme Agnès
Canayer, MM. Cédric Vial, Fabien Genet, Mme Corinne
Féret, MM. Éric Kerrouche, Gérard Lahellec, Mme
Guylène Pantel, MM. Didier Rambaud, Pierre Jean Rochette,
Grégory Blanc, vice-présidents ;
MM. Jean
Pierre Vogel, Laurent Burgoa, Bernard Delcros, Hervé Gillé,
secrétaires ; M. Jean-Claude Anglars,
Mme Nadine Bellurot, MM. Guy Benarroche, François
Bonhomme, Max Brisson, Mme Céline Brulin, MM. Bernard Buis,
Cédric Chevalier, Thierry Cozic, Mme Catherine Di Folco,
MM. Jérôme Durain, Daniel Gueret, Pascale Gruny,
MM. Joshua Hochart, Patrice Joly, Mmes Muriel Jourda, Sonia de La
Provôté, Anne-Catherine Loisier, M. Jean-Jacques Lozach,
Pascal Martin, Jean-Marie Mizzon, Franck Montaugé, Mme Sylviane
Noël, MM. Olivier Paccaud, Hervé Reynaud,
Jean-Yves Roux,
Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Lucien Stanzione, Jean-Marie
Vanlerenberghe.
(2) Mme Françoise Gatel a été nommée membre du Gouvernement le 21 septembre 2024.
SYNTHÈSE
Renforcer l'efficacité des conseils municipaux : des solutions pour 2026
De Mme Françoise Gatel , Sénateur d'Ille-et-Vilaine (Groupe Union Centriste), Mme Nadine Bellurot, Sénatrice de l'Indre (Groupe Les Républicains), M. Éric Kerrouche, Sénateur des Landes (Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain) et M. Didier Rambaud, Sénateur de l'Isère (Groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants).
Après ses nombreux travaux sur le statut de l'élu local fin 2023, qui ont abouti à l'adoption à l'unanimité, le 7 mars 2024, de la proposition de loi portant création d'un statut de l'élu local, la délégation du Sénat aux collectivités territoriales a lancé une mission flash sur l'efficacité du fonctionnement des conseils municipaux. En effet, les améliorations apportées par la loi dite « engagement et proximité » de 2019 ont, lors des élections municipales de 2020, produit des effets limités en raison de la persistance d'une crise de l'engagement local, qui touche particulièrement les communes rurales. Cette crise, multifactorielle, se traduit par une tendance à la baisse du nombre de candidats aux élections et par une hausse continue du nombre de démissions en cours de mandat.
La mission s'est fixée pour objectif d'évaluer la pertinence du nombre actuel de conseillers municipaux, lequel dépend de la strate démographique de la commune. La mission a également examiné l'opportunité d'appliquer le scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants. Ces interrogations s'intègrent dans une recherche d'une meilleure efficacité du fonctionnement des conseils municipaux.
Afin de nourrir sa réflexion et prendre le
« pouls du terrain », la
délégation a confié
à l'institut CSA la
réalisation, en juin
2024, d'une enquête
téléphonique auprès de
500 élus municipaux
dans les communes de moins de 3 500 habitants.
I- FAUT-IL RÉDUIRE L'EFFECTIF LÉGAL DES CONSEILS MUNICIPAUX ?
A- La situation actuelle
L'effectif des conseils municipaux diffère selon la strate démographique. Les communes de moins de 500 habitants, correspondant à plus de la moitié des communes françaises, peuvent faire l'objet d'un aménagement depuis la loi dite « engagement et proximité » : le conseil municipal est ainsi « réputé complet » même s'il compte deux conseillers de moins que l'effectif légal.
B- Une crise de l'engagement local qui persiste
L'enquête CSA montre notamment que plus de la moitié des élus interrogés disent avoir rencontré des difficultés à réunir des candidatures aux élections municipales de 2020.
Par ailleurs, les démissions de maires ont atteint un niveau sans précédent : au 31 janvier 2024, 1 424 maires élus en 2020 avaient ainsi démissionné de leur mandat, soit plus de 4 % des maires.
SITUATION ACTUELLE |
Position de la commission des lois |
||
Population de la commune |
Nombre de communes par strate |
Nombre de membres du conseil municipal |
|
de moins de 100 habitants |
3 317 |
7 (ou 5) |
Sans changement par rapport à la situation actuelle |
de 100 à 499 habitants |
15 066 |
11 (ou 9) |
9 (ou 7) |
de 500 à 1 499 habitants |
9 614 |
15 |
11 |
de 1 500 à 2 499 habitants |
2 622 |
19 |
15 |
de 2 500 à 3 499 habitants |
1 207 |
23 |
19 |
plus de 3 500 habitants |
3 119 |
de 27 à 69 |
Sans changement par rapport à la situation actuelle |
C- Les recommandations de la mission
Le rapport insiste sur la nécessité de
résoudre les causes profondes de la crise de l'engagement local,
notamment au travers de la mise en place d'un véritable statut
de l'élu local visant à améliorer les conditions
d'exercice du mandat local et à sécuriser le parcours
des
élus, sujets auxquels le Sénat a
fortement contribué,
notamment par l'adoption le
7 mars 2024 d'une proposition de loi en ce
sens.
RECOMMANDATION n°1 Faire de la création d'un statut de l'élu local un prérequis et une priorité absolue. |
a) Réduire le nombre de conseillers municipaux dans les communes de 100 à 3 499 habitants
Le 5 juin 2024, la commission des lois du Sénat a adopté, avec modifications, la proposition de loi déposée par François Bonneau, visant à réduire le nombre de conseillers municipaux dans les communes de moins de 500 habitants. Les auditions menées par la mission comme l'enquête CSA ont confirmé la pertinence de la position de la commission des lois.
Par ailleurs, si des difficultés ont pu apparaître pour la constitution de conseils municipaux complets lors des élections municipales dans les communes de moins de 3 500 habitants, tel n'est pas le cas pour les communes des strates supérieures.
RECOMMANDATION n°2 Réduire le nombre de conseillers municipaux dans les communes de 100 à 3 499 habitants, et pas au-delà. |
b) Étendre le régime dérogatoire actuel aux communes entre 500 et 999 habitants municipaux
L'enquête CSA souligne que 61 % des élus des communes de 500 à 999 habitants souhaiteraient bénéficier des dispositions qui permettent aux communes de pouvoir compter deux conseillers de moins que l'effectif légal.
Le rapport propose cet assouplissement qui permettrait à ces communes de trouver plus facilement des candidatures pour les élections municipales.
RECOMMANDATION n°3 Étendre le régime dérogatoire actuel aux communes entre 500 et 999 habitants. |
c) Maintenir le nombre actuel d'adjoints
Le nombre d'adjoints au maire est plafonné à 30 % de l'effectif légal du conseil municipal. Réduire l'effectif légal du conseil municipal aurait pour effet, sans autre modification, de faire perdre un adjoint aux communes concernées.
Population de la commune |
Nombre maximal d'adjoints pouvant être
désignés |
Nombre maximal d'adjoints pouvant être désignés (en cas de réduction du nombre de conseillers municipaux) |
de moins de 100 habitants |
2 |
Sans changement |
de 100à 499 habitants |
3 |
2 |
de 500 à 1 499 habitants |
4 |
3 |
de 1 500 à 2 499 habitants |
5 |
4 |
de 2 500 à 3 499 habitants |
6 |
5 |
Le rapport recommande de ne pas réduire le nombre d'adjoints. En effet, une telle évolution réduirait les marges de manoeuvre des maires dans la gestion de la municipalité et diminuerait le montant de l'enveloppe indemnitaire globale.
RECOMMANDATION n°4 Maintenir le nombre actuel d'adjoints dans les conseils municipaux. |
d) Sécuriser la période transitoire des communes nouvelles
La création des communes nouvelles constitue également une réponse à la crise de l'engagement local. Il importe donc de sécuriser la période transitoire de ces communes. À ce titre, le rapport propose de conserver la diminution graduelle de l'effectif légal des conseils municipaux des communes nouvelles afin de favoriser la pérennité des regroupements communaux.
De plus, actuellement, si le siège de conseillers
municipaux devient vacant pour quelque cause que ce soit, il
demeure vacant jusqu'au prochain renouvellement de la commune nouvelle. En
revanche, si la vacance concerne plus du tiers du conseil
municipal, le Conseil d'État considère qu'il n'est pas possible
de faire appel aux suivants de liste
et qu'il convient donc d'organiser de
nouvelles
élections municipales intégrales, faisant ainsi basculer
le conseil de la commune nouvelle dans l'effectif de la strate immédiatement supérieure, d'où une forte baisse du nombre de conseillers.
Le rapport recommande d'ouvrir la possibilité de faire appel aux suivants de liste.
RECOMMANDATION n°5 Sécuriser l'évolution graduelle de l'effectif légal des conseils municipaux des communes nouvelles. |
II- FAUT-IL ÉTENDRE LE SCRUTIN DE LISTE AUX COMMUNES DE MOINS DE 1 000 HABITANTS ?
A- La situation actuelle
Le système électoral municipal actuel est caractérisé par la coexistence de deux modes de scrutin différents selon la strate démographique :
- dans les communes de moins de 1 000 habitants, le scrutin est plurinominal majoritaire, avec possibilité de panachage ;
- dans les communes de plus de 1 000 habitants, le scrutin est proportionnel mais avec une prime majoritaire.
B- Des initiatives nombreuses
Ces dernières années, de nombreuses
initiatives ont cherché à étendre le scrutin de
liste aux communes de moins de
1 000 habitants :
- l'amendement porté par Éric Kerrouche en octobre 2019, dans le cadre du projet de loi dit « engagement et proximité » ;
- la proposition de loi d'Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 27 octobre 2021 ;
- la proposition de loi de la députée Élodie Jacquier-Laforge, adoptée par l'Assemblée nationale le 3 février 2022 ;
- la proposition de loi d'Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 20 mars 2024 ;
- le rapport d'Éric Woerth remis au Président de la République le 30 mai 2024 ;
- la proposition de loi de Nadine Bellurot, déposée le 6 septembre 2024.
C- Trois objectifs partagés
a) Répondre aux exigences de parité
L'article 1er de notre Constitution dispose, depuis 1999, que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Si la législation en matière de parité s'est renforcée au cours des dernières décennies, elle ne s'applique pas aux communes de moins de 1 000 habitants, qui représentent 71 % des communes françaises et 13 % de la population.
À l'issue des dernières élections municipales de 2020, les femmes représentent en moyenne 42,4 % des conseillers municipaux, toutes strates confondues. Uniformiser les modes de scrutin conduirait mécaniquement à faire progresser ce pourcentage et à le rapprocher de 50 %.
b) Garantir la cohésion de l'équipe municipale autour d'un projet
Le mode de scrutin majoritaire avec panachage, actuellement applicable aux communes de moins de 1 000 habitants, présente de nombreux inconvénients, invitant parfois à une logique délétère connue sous le nom de « tir aux pigeons ». Inversement, le scrutin de liste aboutit à une dépersonnalisation relative du vote et permet de se prononcer sur un projet plutôt que sur une personne. Ce scrutin favorise ainsi l'engagement local par la création d'une dynamique démocratique autour d'un projet de territoire.
c) Mettre fin à des différences artificielles entre communes
Appliquer le scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants permettrait d'uniformiser
et de simplifier les modes de scrutin, en supprimant une frontière inutile entre les communes. Cela permettrait également d'unifier le mode de désignation des conseillers communautaires.
D- Les recommandations de la mission
a) Étendre le scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants
Les auditions ont souligné que l'Association des maires de France (AMF) ainsi que celle des maires ruraux de France (AMRF) souhaitent le changement de mode de scrutin pour les communes de moins de 1 000 habitants.
S'agissant du premier objectif tenant aux exigences de parité, cette réforme conduira à la progression des femmes dans les effectifs des conseils municipaux. Certes, de nombreux élus de communes de moins de 1 000 habitants craignent de ne pas trouver suffisamment de femmes candidates. Toutefois, ces craintes apparaissent infondées pour trois raisons :
- la baisse de l'effectif légal faciliterait la constitution des listes paritaires ;
- le fait que l'effectif légal correspond à un chiffre impair donne un peu de souplesse dans la répartition homme/femme ;
- le déficit d'engagement des femmes a souvent
été invoqué lors des différentes étapes
législatives ayant conduit à la parité, notamment en
2013 ; force est de constater qu'il ne s'est pas ensuite
confirmé. Pour preuve, les femmes
représentent aujourd'hui 22,3 % des maires des communes de
moins de
100 habitants et 21,4 % des
communes entre 100 et 199 habitants,
pourcentages largement supérieurs à celui observé dans des strates de communes supérieures.
Par ailleurs, certains pointent un risque constitutionnel
concernant la généralisation du scrutin de liste, au motif
qu'elle pourrait
être regardée par le Conseil constitutionnel
comme une atteinte aux expressions pluralistes des opinions, garanties par
l'article 4 de la Constitution.
Plusieurs éléments militent au contraire en faveur d'une conformité aux règles et principes constitutionnels :
- une liste électorale a, par principe, vocation à intégrer l'exigence du pluralisme des opinions locales ;
- l'extension du scrutin de liste, en simplifiant les règles électorales, concourt à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ;
- cette uniformisation rétablirait également une forme d'égalité devant le suffrage, égalité qui a valeur constitutionnelle ;
- la généralisation du scrutin de liste favoriserait l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ;
- enfin, la réduction du nombre de conseillers municipaux devrait rendre plus aisée la constitution de listes dans les communes de moins de 1 000 habitants.
Pour toutes ces raisons, le rapport recommande une généralisation du scrutin de liste à l'ensemble des communes.
RECOMMANDATION n°6 Étendre le scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants. |
b) Faciliter le remplacement d'un adjoint dans les communes de moins de 500 habitants
Actuellement, dans les communes de plus de 1 000 habitants, en cas de vacance d'un ou plusieurs adjoints, ceux-ci « sont choisis parmi les conseillers de même sexe que ceux auxquels ils sont appelés à succéder ». Le rapport souligne la nécessité d'assouplir cette règle pour les communes de moins de 500 habitants, afin de faciliter le remplacement d'un adjoint en cas de vacance du siège.
RECOMMANDATION n°7 Faciliter le remplacement d'un adjoint dans les communes de moins de 500 habitants. |
La mise en oeuvre de ces 7 recommandations permettra d'améliorer le fonctionnement des conseils municipaux. Cette efficacité doit se conjuguer à des initiatives visant à développer la démocratie implicative, réunissant le citoyen et ses élus dans une relation de proximité immédiate, afin de rétablir l'engagement du citoyen dans la vie de la Cité.1(*)
* 2 Mme Françoise GATEL est membre du Gouvernement depuis le 22 septembre 2024.