B. LE PROTOCOLE SOCIAL 2016-2019 : DE PREMIÈRES MESURES VISANT À RENDRE LE CONTRÔLE AÉRIEN PLUS PERFORMANT

1. Des expérimentations bienvenues d'assouplissement de l'organisation du travail des contrôleurs

Consciente de l'inadaptation de l'organisation du travail des contrôleurs, la DGAC a mis en oeuvre, dans le cadre du protocole social 2016-2019, un dispositif optionnel expérimental destinée à la rendre plus flexible31(*). Cette mesure, baptisée en interne « expérimentations RH » ou « expérimentation 7/12 », devait permettre d'atténuer la rigidité du cycle de travail des contrôleurs aériens afin de dégager de nouvelles possibilités d'adaptation des capacités de contrôle au niveau de trafic effectif.

Elle consistait en une remise en cause de la règle dite du « un jour sur deux » à travers la possibilité de réaliser non plus 6 mais 7 vacations au cours d'un cycle habituel de 12 jours lors des périodes de trafic les plus denses, c'est-à-dire principalement en été. Ces expérimentations étaient prévues pour rester neutres en termes de durée annuelle de travail. Aussi, ces vacations supplémentaires devaient être rattrapées lors de périodes plus calmes. Ces expérimentations ont par ailleurs été accompagnées par une diminution de la durée des vacations ainsi que par davantage de souplesse dans la gestion des débuts et fin de vacations ou des pauses.

Dans son rapport de 2018 précité, le rapporteur notait que « ces expérimentations constituent des contraintes sociales supplémentaires pour les agents concernés, car ils sont amenés à travailler plus fréquemment pendant les périodes de week-ends et de congés du reste de la population ». Aussi, des compensations financières ont été prévues pour accompagner leur mise en oeuvre à travers des majorations indemnitaires de 255 euros à 550 euros mensuels en fonction de l'option retenue parmi les trois proposées par la direction.

2. Des résultats encourageants qui confirment l'impératif de rendre plus flexible l'organisation du travail des contrôleurs

Ces expérimentations étaient purement optionnelles et chaque centre était libre de les pratiquer ou non. Bien qu'elles ne heurtaient pas de front l'organisation du travail, notamment en ne remettant pas en cause le principe de « l'équipe », la mise en oeuvre de ces expérimentations a été lente et a fait l'objet de contestations par certaines organisations syndicales. En 2016, seuls les CRNA de Reims et de Bordeaux sont entrés dans le dispositif. Entre 2017 et 2018 les centres de Roissy-Charles-de-Gaule, de Nice et de Lyon ainsi que le CRNA de Brest l'ont progressivement adopté. Il aura cependant fallu attendre janvier 2020 pour le CRNA d'Aix-en-Provence valide sa mise en oeuvre avant que celui d'Athis-Mons s'y rallie également. Aujourd'hui, parmi les principaux services de la DSNA, seul le centre d'Orly ne l'a pas adopté.

D'après la DSNA, en 2023, au sein des dix grands centres qui ont déployé les expérimentations32(*), 2 320 contrôleurs sont concernés par cette mesure pour un nombre annuel moyen de cycles avec une vacation supplémentaire (dits « cycles densifiés ») allant de 9 à 12 selon les services.

En 2018, le rapporteur avait souligné les premiers résultats prometteurs des « expérimentations RH ». Il avait alors appelé à les pérenniser et à les généraliser à l'ensemble des services de contrôle.

En 2019, une évaluation du protocole 2016-2019 a été réalisée par la DGAC. Elle mérite d'être souligné car c'est le premier réel exercice de cette nature qui a été mis en oeuvre s'agissant des protocoles sociaux. Cette évaluation avait pour principal objet de mesurer l'efficacité des expérimentations d'assouplissement des tours de service des contrôleurs aériens.

Dans ce bilan, la DSNA souligne les capacités de contrôle supplémentaire qui ont pu être déployées en période de trafic dense dans ses services grâce à ces expérimentations. Concrètement, ces capacités supplémentaires se sont traduites par l'augmentation du nombre de positions de contrôle ouvertes lors des périodes de pointes. La DSNA considère ainsi que dans un CRNA, « jusqu'à 2 voire 3 positions de contrôle armées supplémentaires » ont pu être « armées », ce qui correspond à « un accroissement par rapport à un tour de service classique de 10 à 15 %, voire 20 % ».

Le graphique ci-après illustre le phénomène pour le CRNA de Reims. La surface verte représente la capacité de contrôle supplémentaire33(*) qui a pu être activée au cours d'une journée de période de trafic dense grâce à la mise en oeuvre des expérimentations.

Capacités de contrôle renforcée par les expérimentations
au cours d'une journée au CRNA de Reims

(en UCESO)

CRNA : centre en-route de la navigation aérienne.

UCESO : unités de contrôle espace simultanément ouvrables.

TDS : tour de service.

Source : réponses de la DGAC au questionnaire du rapporteur

En réponse aux questions écrites du rapporteur, la DGAC a également mis en exergue les résultats encourageants, en termes de flexibilité, de la mise en oeuvre des expérimentations : « des gains significatifs ont ainsi été obtenus. La réduction de la durée des vacations, combinée à l'augmentation de leur nombre, offre une plus grande flexibilité dans la programmation et a indéniablement permis de mieux adapter le tour de service aux variations du trafic dans un contexte d'accroissement global du trafic et de baisse des effectifs. La mise en oeuvre des expérimentations a permis une hausse de 15 à 20 % des positions de contrôle par rapport aux tours de service classiques ».

La DGAC estime que le déploiement des expérimentations a permis de réduire de façon sensible les retards dus à l'adaptabilité insuffisante des capacités de contrôle au nombre de vols à traiter (ou « staffing ») même si, sur certains centres, les effets ont pu être masqués par la progression importante du trafic : « une réduction significative des retards liés au staffing a pu être constatée pour la majeure partie des services alors que concomitamment l'effectif des contrôleurs qualifiés a diminué et le trafic a augmenté. Pour les services pour lesquels il n'a pas été constaté de diminution des délais, il est notable que l'expérimentation de l'organisation du travail a permis de contenir ces délais qui auraient été largement supérieurs en l'absence d'une adaptation du tour de service ».

D'après l'évaluation réalisée par la DGAC, le gain de capacités permis par les expérimentations aurait permis de réduire les retards générés par le CRNA de Bordeaux à hauteur de 47 % entre 2017 et 2018. Cependant, dans les CRNA de Reims et de Brest les effets des mesures ont été effacés par les hausses du trafic et l'accentuation de ses pointes.

Dans le bilan réalisé en 2019, la DSNA considérait ainsi que « globalement, cette nouvelle organisation a permis d'absorber la progression du nombre de vols contrôlés, notamment au moment des pointes de trafic estivales et contribué également à diminuer les retards ».

3. Un coût cependant loin d'être négligeable

Sur la période d'application du protocole, le montant annuel des indemnités versées est corrélé à la montée en puissance progressive du dispositif et à son extension aux différents centres de la DSNA. En 2019, d'après les éléments communiqués par la DGAC au rapporteur, son coût annuel avoisinait le 9 millions d'euros.

À l'issue de la période d'application du protocole et en raison du bilan positif de la mesure, la DGAC a négocié une prolongation du dispositif. Néanmoins, cette prolongation est intervenue au moment du déclenchement de la crise sanitaire. En 2020, en dépit de l'effondrement du trafic aérien lié à la crise, le dispositif a été artificiellement maintenu jusqu'au mois d'octobre, ce qui a conduit à un usage manifestement inapproprié d'argent public, le niveau de trafic aérien ne justifiant plus la mise en oeuvre de ce dispositif.

Les expérimentations ont repris en 2022 et leur coût annuel a alors nettement augmenté en raison de l'évolution des conditions de sa compensation financière pour les contrôleurs et de la revalorisation de celle-ci (voir infra). D'après les données communiquées par la DGAC au rapporteur, le coût pour la DGAC des indemnités versées dans le cadre de ces expérimentations a ainsi atteint 18 millions d'euros en 2023.

Indemnités versées chaque année dans le cadre des expérimentations d'assouplissement de l'organisation du travail des contrôleurs aériens

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGAC au questionnaire du rapporteur

De 2016 à 2019, dans la première version du dispositif, le coût par vacation complémentaire, c'est-à-dire par « cycle densifié », pour un contrôleur pouvait aller jusqu'à 750 euros.

Après la phase de suspension de la mesure au coeur de la crise sanitaire, elle a été rétablie pour la période 2022-2024. À cette occasion, les compensations financières accordées aux contrôleurs ont été significativement revalorisées. Désormais elles se composent à la fois d'une part fixe de 269,10 euros mensuels (à condition de réaliser au moins 4 cycles densifiés par an) et d'une part variable fonction du nombre de cycles densifiés et valorisée à hauteur de 807,30 euros par vacation complémentaire. Ainsi, pour un contrôleur qui réalise 4 cycles densifiés par an, le coût par vacation supplémentaire de la mesure s'établit désormais à 1 614,60 euros. Pour un contrôleur qui réalise 12 cycles densifiés par an, ce montant s'élève à 1 076,40 euros par cycle densifié.


* 31 Cette mesure faisait suite à un travail de réflexion engagé en 2014 sur l'organisation et les conditions d'exercice des métiers des ICNA ainsi qu'à la remise en mars 2015 d'un rapport de M. Jean-Michel Vernhes, président de l'Union des aéroports français (UAF).

* 32 Les 5 CRNA ainsi que les centres d'approche de Roissy-CDG, Lyon, Marseille, Nice et Montpellier.

* 33 En termes de secteurs aériens utilisables calculés en unités de contrôle espace simultanément ouvrables (UCESO).

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