II. UN ÉTABLISSEMENT PUBLIC EN CONQUÊTE DE VISIBILITÉ ET DE MATURITÉ DEVANT FAIRE FACE À DES DÉFIS MULTIPLES
A. LES MISSIONS DE CONTRÔLE ET DE POLICE, DES ACTIVITÉS CoeURS DE MÉTIER À LA CONFLUENCE DE MULTIPLES TENSIONS
Le législateur a confié à l'Office français de la biodiversité des missions et des prérogatives particulièrement vastes, qui ont notamment suscité de fortes attentes à l'égard de l'exercice de la police de l'environnement. Si les missions de surveillance revêtent une dimension usuelle pour un établissement public, le périmètre des interventions en matière de police judiciaire se caractérise par des contours particulièrement larges, afin de permettre aux inspecteurs de l'environnement de l'OFB de couvrir l'ensemble des facettes de la biodiversité.
L'établissement a hérité de prérogatives de police judiciaire qui placent les inspecteurs de l'environnement chargés d'intervenir sur le terrain dans une posture novatrice, nécessitant une doctrine d'intervention élaborée et une plasticité forte pour répondre à la diversité des situations de contrôle. Cet univers d'intervention complexe mais ambitieux implique pour l'établissement d'allier diligence et fermeté, alors même que le droit de l'environnement peine à faire advenir un « ordre social environnemental » qui soit accepté des citoyens et des acteurs.
1. La lente émergence d'une police unifiée de l'environnement et de la chasse, un processus non linéaire
La consécration d'une police de l'environnement généraliste constitue un processus s'inscrivant dans une temporalité longue, qui n'est toujours pas achevé. Elle est le résultat d'un lent processus de convergence de pratiques et de compétences d'établissements publics distincts, mais également de législations éparses, que le législateur a estimé opportun d'unifier au profit d'une protection renforcée et plus efficace de la biodiversité.
Malgré l'apparente unité de la police environnementale, celle-ci est encore marquée par de grandes divisions inhérentes à la spécialisation des pratiques ayant des incidences sur les milieux naturels. Le développement d'une culture commune ainsi que le bon accomplissement des missions confiées à l'établissement ont justifié la mise en oeuvre d'une formation exigeante et continue des inspecteurs de l'environnement.
a) Hétéroclite par nature, la constitution d'une police de l'environnement unifiée est le fruit d'une longue sédimentation de polices éparses
(1) Des polices qui s'inscrivent dans une longue tradition historique
La nécessité d'encadrer les activités humaines néfastes pour l'environnement par le moyen de règles générales qui s'appuient sur des mesures de police afin de sanctionner leur non-respect n'est pas le fait exclusif du législateur contemporain. Les prémices d'une réglementation environnementale remontent à 1219, avec l'institution par voie d'ordonnance de Philippe-Auguste de « maîtres des eaux et des forêts ». Cet embryon administratif des « Eaux et forêts » avait la délicate mission d'encadrer l'exploitation du bois, des voies navigables, de la chasse, de la pêche et de la « vaine pâture ».
Au tournant du XXe siècle, les polices de la chasse et de l'eau vont entamer un processus continu de singularisation. La première s'autonomisera progressivement au profit de la constitution de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS)83(*) ; la seconde connaîtra des rattachements multiples et successifs qui aboutiront, en 2007, à la création de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) remplacé, à partir de 2016, par l'Agence française pour la biodiversité (AFB)84(*). Ces différents domaines font aujourd'hui l'objet d'une synthèse sous le terme générique de « police de l'eau et de la nature ».
La police des « choses environnantes » instituée au XVIIIe siècle pour appréhender les pollutions industrielles - les circumfusa - a conservé dans le temps ses spécificités. Elle correspond aujourd'hui à la réglementation au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE)85(*).
Ces différentes activités de police ne reposent pas seulement sur une ligne de démarcation théorique et purement administrative. Il en découle la consécration de véritables cultures propres, d'un éthos, pour les agents rattachés à l'exercice d'une réglementation donnée. Parvenir à unifier ces cultures distinctes, telles que l'a souhaité le législateur, n'est pas chose aisée puisqu'il implique d'établir un socle commun de pratiques qui diffèrent de celles qui préexistaient.
(2) L'apparente unité de l'appellation « inspecteur de l'environnement » recèle une réalité complexe d'articulation des polices
Sous l'apparente unité de l'appellation d'« inspecteur de l'environnement » coexistent, au seul titre des missions de police, des activités fortement hétérogènes. La stratification historique des polices de l'environnement a contribué au maintien d'un pouvoir verbalisateur éclaté. Aujourd'hui, ce sont près de 25 polices de l'environnement qui s'articulent imparfaitement, près de 30 articles du code de l'environnement renvoient à des fonctions de contrôle et de constatation des infractions aux normes environnementales. À cette aune, ce sont près de 70 catégories d'agents qui ont pour mission de faire appliquer les prescriptions environnementales86(*).
Malgré cet éparpillement marqué, le législateur n'a pas souhaité constituer une police unique chargée des questions environnementales, rassemblée au sein d'un seul et même établissement et incarnée par les mêmes agents, en raison notamment de la pluralité des acteurs et des milieux concernés, bien que le sénateur Jean-Claude Luche, rapporteur du texte ait milité87(*) en première lecture pour « l'unification des compétences de police environnementale de l'ensemble des polices spécialisées autour d'un socle commun d'infractions ».
Il en résulte une complexité qui n'a guère été simplifiée par le syntagme « inspecteur de l'environnement ». Ces derniers sont aujourd'hui rattachés auprès de structures administratives distinctes :
- directions régionales de l'équipement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ;
- directions départementales de la protection des populations (DDPP) ;
- directions départementales des territoires (DDT) et, dans les départements côtiers, directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) ;
- et au sein d'établissements publics tels que l'Office français de la biodiversité (OFB) ou des parcs nationaux (parc national du Mercantour, des Cévennes, de la Vanoise, etc).
En dépit de l'hétérogénéité des autorités titulaires de la police environnementale, la loi de 2019 ayant institué l'OFB concourt à une forme de rationalisation des pouvoirs verbalisateurs en la matière. L'institution d'inspecteurs de l'environnement, dont les prérogatives ont été progressivement renforcées par le législateur, témoigne d'une volonté de faire de ces derniers les garants du respect du droit de l'environnement.
b) Un législateur soucieux d'étoffer les pouvoirs de police des inspecteurs de l'environnement pour répondre au préoccupant déclin de la biodiversité...
Le législateur a souhaité rendre le statut et les prérogatives des inspecteurs de l'environnement les plus lisibles possible. Ces derniers ont été, d'une part, dotés de prérogatives de puissance publique permettant l'exercice de mission de police administrative spéciale et d'autre part, sous certaines conditions, habilités à réaliser des missions de police judiciaire (1). Le législateur a estimé que les moyens de cette police « tout terrain » devaient être à la hauteur des enjeux de la préservation de la biodiversité (2).
(1) Une police aux prérogatives importantes, mais dont l'articulation entre les compétences est parfois floue et peu compréhensible pour les agents
Le champ d'intervention des inspecteurs de l'environnement rattachés à l'Office français de la biodiversité, défini à l'article L. 131-9 du code de l'environnement, est particulièrement étendu. Ces agents de l'OFB contribuent « à l'exercice des missions de police administrative et de police judiciaire » dans les domaines suivants :
- l'eau ;
- les espaces naturels ;
- les espèces ;
- la chasse et la pêche ;
- la police sanitaire en lien avec la faune sauvage.
Cet article ne distingue cependant pas, pour ces domaines, l'exercice des missions de police administrative spéciale des missions de police judiciaire. Toutefois, aux termes des articles L. 171-1 et suivants du code de l'environnement, le législateur a pris le soin de définir les modalités d'intervention au titre de la police administrative des inspecteurs de l'environnement. Ils ont la possibilité de se rendre dans :
- les locaux accueillant des installations, ouvrages, travaux, aménagements entre 8 et 20 heures et en dehors de cette plage horaire lorsque les locaux sont ouverts au public. La visite des locaux à usage d'habitation leur est exclue ;
- d'autres lieux, notamment dans les enclos, à tout moment ;
- des véhicules, navires, embarcations et aéronefs utilisés pour la détention, le transport, la conservation ou la commercialisation des animaux et des végétaux.
Lorsque l'accès à ces lieux et à ces véhicules est refusé aux agents, ils ont la possibilité de solliciter de la part du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire du ressort territorialement compétent une ordonnance autorisant les visites.
Les agents de l'OFB sont, au titre de leurs prérogatives de police administrative, compétent de plein droit pour constater des infractions et sanctionner les manquements aux obligations administratives. À ce titre, ils ont notamment la possibilité de prononcer des amendes, dont le montant peut atteindre 45 000 €, de suspendre le fonctionnement des installations ou ouvrages, d'édicter des mesures conservatoires ou encore d'ordonner le paiement d'une astreinte journalière.
Des sanctions administratives qui demeurent marginales Seuls 15 % des contrôles au titre de la police « eau et nature » débouchent sur la constatation d'une atteinte à la norme environnementale, parmi lesquels seulement un tiers d'entre eux environ donne lieu à une mise en demeure, qui constitue une mesure de police administrative. S'agissant des contrôles au titre des installations classées, les mises en demeure correspondent à 10 % des contrôles, et une sur dix déclenche ensuite une sanction administrative. Source : Commission de l'aménagement du
territoire et du développement durable |
Parallèlement à ces missions de police administrative qui sont traditionnelles pour un établissement public, le législateur a souhaité reconnaître aux agents de l'OFB des compétences en matière de police judiciaire subsidiaire. Aux termes de l'article L. 172-1 du code de l'environnement, les inspecteurs ont la faculté de rechercher et constater les infractions définies par ledit code, ainsi que certaines infractions relevant du code pénal en matière d'abandon d'ordures, déchets ou de matériaux, après prestation de serment devant le tribunal judiciaire de leur ressort d'intervention.
Mais l'articulation entre ces deux compétences pose parfois un certain nombre de difficultés. Ainsi que le reconnaît la Conférence nationale des procureurs de la République entendue par la mission d'information, « il est relevé parfois des difficultés pour les agents de l'établissement [OFB] à se positionner entre la police administrative et la police judiciaire ». D'une journée à une autre, voire d'un contrôle à un autre, selon l'objectif préalablement retenu, les inspecteurs de l'environnement passent d'une opération de police administrative à une opération de nature judiciaire. Cela nécessite des capacités d'adaptation et de plasticité fortes.
Au-delà du positionnement des agents, la frontière qui partage ces deux îlots de compétences - administrative et judiciaire - n'est pas figée. De longue date, la jurisprudence administrative a admis qu'une opération de police administrative pouvait muter vers une opération de police judiciaire en cours d'exercice88(*), ce qui est de nature à complexifier la compréhension du positionnement de l'inspecteur de l'environnement. Ainsi, l'utilisation de l'arme de service par l'agent de l'OFB qui procédait initialement à une opération de prévention au titre de ses compétences de police administrative spéciale ferait basculer l'action vers une opération de police judiciaire.
C'est à l'aune d'un critère finaliste que l'on distingue la police administrative de la police judiciaire. Si l'opération de police a pour but premier de prévenir les troubles à l'ordre public, alors elle relève de la police administrative, tandis que si elle vise à rechercher et réprimer les infractions, elle s'inscrit dans le cadre de la police judiciaire. Les deux domaines de compétences sont donc potentiellement poreux, ce qui ne facilite pas leur bonne appréhension par les justiciables.
(2) Une police aux ambitions rehaussées et au périmètre d'action étendu pour mieux répondre aux enjeux de protection de la biodiversité
Le législateur a jugé indispensable de procéder à une réorganisation des attributions des agents verbalisateurs et des prérogatives d'investigations en matière environnementale. La codification à droit constant du droit de l'environnement, intervenue en 200089(*), n'avait pas permis de clarifier les compétences et la répartition des polices de l'environnement. Afin de surmonter cette complexité, les prérogatives de police environnementale ont fait l'objet d'une clarification bienvenue90(*) : la qualité d'inspecteur de l'environnement est consacrée et témoigne d'une prise en considération plus marquée de l'érosion de la biodiversité. Si cette nouvelle catégorie d'agents est le récipiendaire d'un large socle de compétences, elle n'obtient pas pour autant le monopole de la verbalisation environnementale.
Au sein de l'OFB, ce sont près de 1 700 inspecteurs de l'environnement qui contribuent à la préservation de la biodiversité, en s'appuyant sur une riche expérience professionnelle provenant de milieux divers : la chasse, la pêche et les milieux aquatiques, les agents des parcs nationaux et des aires marines protégées. En plus des compétences de police administrative spéciale précédemment évoquées, les inspecteurs de l'environnement héritent, à partir de 2012, de nouvelles compétences continuellement renforcées.
En premier lieu, les inspecteurs disposent désormais d'un droit d'effectuer des vérifications d'identité pour les personnes présumées responsables des infractions au code de l'environnement. Ensuite, il leur a été reconnu un droit d'audition permettant de recueillir les déclarations de toute personne susceptible d'apporter des éléments utiles à la constatation d'infractions. À partir de 2016, le refus de déférer à la convocation à l'audition prévue par les autorités chargées des poursuites est constitutif de l'infraction d'obstacle aux fonctions prévue à l'article L. 173-4 du code de l'environnement91(*). Alors que les auditions étaient auparavant librement consenties, cette évolution, sans consacrer de véritable droit à enquête de police judiciaire, participe néanmoins d'un renforcement du rôle de l'inspecteur de l'environnement92(*).
En outre, ces derniers peuvent procéder à des analyses et des prélèvements en vue de caractériser l'existence d'une infraction aux normes environnementales. Enfin, les inspecteurs de l'environnement disposent de la possibilité de procéder à la « consigne judiciaire » permettant de mettre des objets temporairement sous main de justice ainsi qu'un pouvoir « d'appréhension des biens » prenant la forme d'immobilisation, consignation ou mise sous séquestre. Les agents de l'établissement sont dotés, en sus de l'ensemble de ces prérogatives, d'une véritable technicité en matière environnementale. Ces derniers se distinguent par une grande connaissance des milieux sur lesquels ils sont amenés à intervenir. Leur expertise concourt à une judiciarisation mieux calibrée des questions environnementales.
Tous les magistrats et les procureurs entendus par la mission d'information indiquent que l'OFB est identifié comme un acteur crédible et spécialiste des infractions environnementales, bien souvent complexes, qui dépassent le cadre d'exercice de la police nationale et de la gendarmerie nationale. L'OFB occupe une place centrale parmi les partenaires de l'autorité judiciaire au sein des comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale (Colden)93(*). De surcroît, l'Office français de la biodiversité compte parmi les organismes ayant les connaissances les plus poussées en termes de procédure judiciaire, notamment grâce à l'héritage de l'ONCFS, parmi les acteurs chargés de la verbalisation environnementale.
La mission d'information tient à ce titre à saluer le professionnalisme et l'expertise des inspecteurs de l'environnement rattachés à l'OFB. Des pouvoirs effectifs de police sont essentiels pour la protection des milieux naturels et ces agents concourent aujourd'hui à l'objectif de préservation de l'environnement et de la biodiversité.
c) ... mais qui n'a pas souhaité créer un régime de police autonome en ne leur conférant pas la qualité d'officier de police judiciaire
Les débats parlementaires à l'occasion de l'examen du projet de loi ayant institué l'Office français de la biodiversité en 2019 témoignent de la difficulté, voire de l'ambiguïté inhérente à la définition des prérogatives des inspecteurs de l'environnement. Le dispositif relatif aux pouvoirs de police judiciaire a été symptomatique de cette ambivalence et a fait l'objet d'une attention politique forte en séance au Sénat. Le rapporteur Jean-Claude Luche, estimait nécessaire le renforcement des pouvoirs des inspecteurs de l'environnement. C'est une approche pragmatique et équilibrée « favorable à un renforcement de leurs pouvoirs de coercition », tout en se refusant « à leur conférer des pouvoirs calqués sur ceux des officiers judiciaires94(*) » qui a finalement été retenue.
Il n'est en effet pas apparu pertinent au législateur de consacrer, au bénéfice des inspecteurs de l'environnement, ni un régime de police judiciaire autonome ni de reconnaître à ces derniers la qualité d'officier de police judiciaire (OPJ). Il a préféré à cela une solution médiane, faisant des inspecteurs des agents assermentés susceptibles de procéder à des missions de police judiciaire.
Aux termes de l'article 15 du code de procédure pénale, les « fonctionnaires et agents auxquels sont attribuées par la loi certaines fonctions de police judiciaire » sont une partie intégrante de la police judiciaire au sens du droit pénal. Néanmoins, les agents de l'Office français de la biodiversité n'exercent que certaines fonctions de police judiciaire et ne disposent pas de la totalité des prérogatives reconnues à un officier ou agent de police judiciaire. Ils exercent, conformément à l'article 28 du code de procédure pénale, « dans les conditions et dans les limites fixées par ces lois » et cela sous l'autorité du procureur de la République95(*). Ce faisant, les inspecteurs de l'environnement ne sont pas en mesure d'intervenir de manière analogue aux agents chargés de l'exercice de la compétence de police judiciaire générale.
Les inspecteurs de l'environnement ne disposent ainsi pas du pouvoir d'user de la force publique, réservé aux seules forces de sécurité intérieure. Le placement en garde à vue et l'usage de la contrainte physique, sauf en cas d'un délit flagrant, ne peuvent donc être utilisés. La police environnementale ne saurait être assimilée à une police générale chargée de faire respecter la tranquillité, la sécurité et la salubrité publique96(*). À cet égard, la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) estime que le cadre légal délimitant les compétences des inspecteurs de l'environnement est aujourd'hui suffisamment étoffé, pertinent et efficace pour rechercher et procéder aux poursuites des atteintes à l'environnement.
Le champ de compétences qui avait été établi par le législateur en 2019, refusant de reconnaître pleinement les prérogatives dévolues aux OPJ, tend cependant à évoluer. Dès 2020, le législateur a introduit, à l'article 28-3 du code de procédure pénale97(*), le statut d'officier judiciaire environnemental (OJE). Certains inspecteurs de l'environnement rattachés à l'OFB pourront désormais obtenir, après avoir satisfait aux épreuves d'un examen technique et après désignation par arrêté conjoint du ministre de la justice et du ministre chargé de l'environnement, les mêmes prérogatives et obligations que celles dévolues aux officiers de police judiciaire avec une compétence sur l'ensemble du territoire national - à la différence des OPJ traditionnellement compétents uniquement dans un ressort territorial de rattachement, y compris lorsque ces prérogatives et obligations sont confiées à des services ou unités de police ou de gendarmerie spécialement désignés.
Les pouvoirs reconnus à ces officiers judiciaires environnementaux sont strictement encadrés par le code de procédure pénale et précisés par décret98(*) : ils pourront recourir aux prérogatives des OPJ uniquement dans le cadre des attributions relatives à l'eau et à la nature pour constater et rechercher les infractions en matière d'abandon d'ordures, déchets et matériaux ainsi que pour les infractions relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Ces officiers judiciaires environnementaux auront la capacité de recourir à des procédures coercitives telles que des gardes à vue ou des perquisitions. Le déploiement d'une dizaine d'OJE est prévu pour la fin d'année 2024.
La mission d'information estime que la consécration de cette catégorie spéciale d'inspecteurs de l'environnement, dotés de prérogatives de police judiciaire rehaussées, est de nature à rendre plus efficace le droit pénal de l'environnement, dont le caractère complexe et peu lisible nuisait à son efficacité99(*). Elle appelle toutefois à la plus grande vigilance quant à la capacité de ces futurs agents à remplir leurs obligations de façon impartiale et conformément aux règles déontologiques particulièrement exigeantes auxquelles sont soumis les officiers de police judiciaire.
d) Un établissement qui a pris la mesure de la responsabilité qui lui était confiée en encadrant soigneusement les activités de police
(1) Une formation et un suivi précis des inspecteurs de l'environnement chargés de missions de police
L'Office français de la biodiversité est conscient, compte tenu de la sensibilité propre à l'exercice des missions de police, de la nécessité de conférer à ceux-ci des contours facilement compréhensibles par tous. Par le biais d'une police rigoureusement formée et rompue aux us et coutumes de la pratique policière, l'établissement public construit sa propre légitimité, qui s'apparente et se rattache à celle du « monopole de la violence physique légitime » exercée par l'État.
À cet égard, l'établissement attache une importance cardinale à la formation de ses agents chargés d'exercer les missions de police. Tous les inspecteurs de l'environnement exerçant des missions de police suivent une formation rigoureuse. Ils suivent une formation initiale de neuf semaines, avec des modules dont la validation est obligatoire pour pouvoir obtenir le commissionnement. Dans le cadre de cette formation théorique, l'accent est mis sur les opérations de police judiciaire - plus complexes à appréhender que les opérations de police administrative - avec quatre semaines spécifiquement consacrées à cette fin ainsi qu'une semaine consacrée aux fondamentaux du droit -, les agents sont formés aux droits de la défense et notamment au respect de la présomption d'innocence.
Le personnel de l'OFB détenteur d'une arme individuelle relevant d'une catégorie A et B au sens de l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure est tenu de suivre quatre séances d'entraînement au tir par an et en cas de suspension de l'entraînement pendant plus de 6 mois, l'inspecteur n'est plus habilité à porter son arme avant d'avoir procédé à une nouvelle séance d'entraînement au maniement de l'arme. Les modalités d'entraînement applicables aux agents de l'OFB sont calquées sur le modèle de la police nationale de telle sorte que les inspecteurs de l'environnement sont correctement formés au tir. Un tel niveau d'exigence permet de garantir la qualité et la sérénité des interventions des agents sur le terrain.
(2) Un protocole de contrôle particulièrement strict et circonscrit lors de l'exercice des prérogatives de police
Les techniques de contrôle, les méthodes de communication et la gestion des conflits font l'objet d'une doctrine précise de la part de l'établissement dans le cadre de circulaires de police étoffées. Le protocole d'entrée en contact avec la personne faisant l'objet d'une vérification est prédéterminé et répond à des conditions précises. Le maître-mot des missions de contrôle dans le cadre des activités de police administrative est le dialogue. Le contrôlé doit avoir conscience qu'il gagnera - tout comme les inspecteurs eux-mêmes - à adopter une posture d'écoute, favorisant la résolution apaisée du différend.
En sus du protocole d'entrée en contact, les inspecteurs suivent également des cours théoriques et reçoivent, via des instructions internes, des recommandations de posture lors de leurs contrôles. Ainsi, lors des interventions qui se déroulent en équipe, les agents de l'OFB connaissent, par anticipation, la meilleure façon de se placer physiquement face au contrôlé.
La qualité de la formation reçue par les inspecteurs de l'environnement est largement reconnue. La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) entendue par la mission d'information a indiqué qu'elle « ne manque pas de solliciter l'OFB pour avis sur les directives de politique pénale qu'elle porte [...] l'avis des administrations oeuvrant dans cette matière étant essentielle ». Ce témoignage de confiance d'une administration centrale largement rompue à la pratique pénale et judiciaire envers un acteur nouveau venu dans ce domaine est le meilleur gage de sa crédibilité.
(3) Une formation continue des inspecteurs de l'environnement et agents de l'Office français de la biodiversité
Dès 2021, l'OFB a initié un parcours de formation intitulé « OFB + » visant à favoriser la constitution d'une culture commune des métiers et des connaissances nécessaires à l'exercice et l'évolution des métiers des agents de l'établissement. Ce socle commun de connaissances est acquis à la faveur d'une formation continue d'une durée d'environ 2 à 3 ans. Il permet, par exemple, de se former à :
- la lutte contre les trafics d'espèces, troisième activité illégale la plus lucrative après le commerce de drogues et d'armes : elle fait donc l'objet d'une forte attention ;
- la rédaction d'actes administratifs comme les rapports en manquement administratif, les avis et les avertissements judiciaires ;
- la pratique de l'audition libre dans le cadre d'une enquête de police.
Au-delà de ce cycle de formation renforcée qui concerne essentiellement les missions de police, le catalogue de formation des personnels de l'OFB propose un grand nombre d'ateliers et de modules sur la biodiversité, la gestion de l'eau, sur les techniques de prélèvement, sur la connaissance des espèces, les pratiques de chasse et de pêche, etc.
(4) Une activité de police soutenue et prolifique
La qualité de formation des inspecteurs de l'environnement est la meilleure garantie d'une réalisation satisfaisante des activités de police. Si les données statistiques de contrôle et des missions de police ne permettent pas d'appréhender le déroulement matériel de ces opérations, elles témoignent d'une activité soutenue.
Au titre de son activité en matière de police de l'environnement, l'Office français de la biodiversité a réalisé, en 2022100(*) :
- 21 394 contrôles, en hausse par rapport à 2021 ;
- 16 158 missions de surveillance du territoire, soit plus de 39 % par rapport à 2021 ;
- 5 546 enquêtes judiciaires, soit 498 % de plus qu'en 2021, ce qui atteste de l'acculturation, par les inspecteurs de l'environnement, de cette nouvelle prérogative de police ;
- 3 589 verbalisations par timbre-amende ;
- 6 406 avis techniques ;
- 567 rapports de manquement administratif (RMA) ;
- de nombreuses procédures en matière de police de l'eau et milieux aquatiques, police de la chasse, police sanitaire et protection des espaces naturels habitats et patrimoine.
Ce panorama des activités de police de l'Office français de la biodiversité témoigne de la variété des opérations que sont amenés à conduire les inspecteurs de l'environnement. Il traduit une activité dense qui concerne tous les milieux et démontre l'acuité et la nécessité de parachever la formation spécifique des titulaires de la police de l'environnement aux enjeux et aux spécificités des terrains variés sur lesquels ils sont appelés à être déployés.
La mission d'information estime cependant qu'une clarification de la posture des inspecteurs de l'environnement ainsi que le développement d'une méthodologie concrète d'intervention des agents sur le terrain gagneraient à être formalisés, afin de réduire la variabilité des comportements et des postures des agents contrôleurs, donnant parfois prise à des critiques de partialité, de militantisme, voire de dogmatisme. Lors des auditions qu'elle a menées, la mission d'information a été interpellée à plusieurs reprises sur l'inégale uniformité des interventions des inspecteurs de l'OFB. Ces ressentis, qu'ils soient fondés ou extrapolés, doivent être mieux pris en compte et traités par l'établissement, car ils peuvent saper la crédibilité et la légitimité de son action sur le terrain.
À cette aune, il apparaît nécessaire d'élaborer une doctrine d'intervention qui a vocation à s'appliquer de manière identique sur l'ensemble du territoire et d'assurer un meilleur encadrement hiérarchique du déroulé des contrôles, dans le cadre de réunions d'équipe régulières pour faire le point sur les difficultés et les améliorations à apporter. Une « charte de déontologie des interventions » pourrait utilement venir compléter la formation des agents afin de préciser les conditions du contrôle, la posture à adopter et les écueils à éviter. Nous y reviendrons dans la troisième partie du rapport.
Recommandation n° 2 : Définir une méthodologie transparente et objective des démarches de contrôle, en rappelant aux acteurs les particularités de la procédure judiciaire, leurs droits et devoirs ainsi que les délais habituels en la matière.
2. Une police contestée dans son principe et ses modalités
Dès l'origine, la dimension répressive de la police environnementale a été contestée, alors que son aspect préventif faisait l'objet d'un relatif consensus social. La volonté du législateur de doter cette police de prérogatives jusqu'alors exclusivement dévolues à des officiers de police judiciaire (OPJ) a fait l'objet d'âpres débats. Lors des débats en séance publique en 2019, le sénateur Daniel Gremillet regrettait ainsi le choix d'« une posture répressive concernant la biodiversité [...]. Dans les territoires, on observe un phénomène de ras-le-bol101(*) », au détriment d'une posture davantage éducative.
Cette tension fondatrice entre les vocation répressive et préventive de la police de l'environnement a cristallisé de nombreuses crispations. Aujourd'hui, ce hiatus rejaillit sous la forme de réticences et de contestations vis-à-vis des normes environnementales auxquelles les inspecteurs de l'environnement sont confrontés sur le terrain, alors même que la consécration d'une police rurale aux missions clairement définies était une demande forte et ancienne des maires et des territoires ruraux.
Si elles ont culminé lors de la crise agricole du début d'année 2024, les manifestations d'hostilité à l'égard des réglementations environnementales sont courantes, tout autant qu'est contestée la manière dont les agents de l'OFB procèdent aux contrôles et à la recherche des infractions. Les inspecteurs de l'environnement sont régulièrement confrontés à des comportements irrespectueux sur le terrain. Dans une tribune publiée dans Le Monde, certains agents de l'établissement disent se faire qualifier de « Gestapo », de « bio cops » ou encore de « cow-boys verts »102(*). L'hostilité dépasse parfois le cadre verbal : en mars 2023, les locaux de l'OFB à Brest ont été incendiés à la suite du lancement de plus de trois cents fusées de détresse tirées par les pécheurs en colère et en ce début d'année, des implantations territoriales et des véhicules de l'OFB ont été vandalisées. Si la colère de certaines professions est tout à fait légitime au regard des difficultés qui sont les leurs, agir comme si l'OFB est responsable de leurs maux n'est en aucune façon la bonne solution.
La mission d'information tient à rappeler que l'activité de police de l'environnement représente aujourd'hui environ 55 % du temps de travail des quelque 1 700 inspecteurs de l'environnement103(*), mais ne constitue pas la seule activité : leur rôle se double d'une dimension pédagogique et de sensibilisation, qui doit être mieux mise en oeuvre dans les territoires. La mission d'information regrette que l'établissement soit la cible de telles exactions, alors que ses travaux ont montré que l'immense majorité des agents de l'OFB faisaient preuve de discernement et de bon sens dans la mise en oeuvre de la police de l'environnement.
a) Une police structurellement faible en décalage avec les objectifs ambitieux du code de l'environnement
(1) Une police d'avant-garde dont la légitimité sociale reste à établir
La police de l'environnement mise en oeuvre par l'Office français de la biodiversité pâtit de sa relative jeunesse. Son acceptation sociale n'a pas atteint, dans l'inconscient collectif, celle dont bénéficient la police nationale et la gendarmerie nationale. À certains égards, elle subit des récriminations similaires à celles adressées à la police municipale : cette police serait supposée moins professionnelle, moins qualifiée et moins crédible. Afin de parvenir à convaincre le corps social de son utilité, le temps est bien souvent le meilleur allié de l'autorité.
L'Office français de la biodiversité, au titre de sa compétence de police, souffre tout de même de certaines fragilités que la mission d'information tient à souligner. La police de l'environnement a la délicate mission de faire respecter un ordre non plus social, comme cela est le cas pour la police administrative générale, mais environnemental. Or, la sensibilité des individus à la question environnementale et à la dégradation de la biodiversité est bien moins solidement ancrée et n'a pas l'évidence du respect nécessaire du « bon ordre ». Les pouvoirs de police de l'OFB s'apparentent à une police « à l'avant-garde », alors que tout un chacun pense savoir ce qu'est la nature et ce qui constitue une dégradation de celle-ci, la mission des policiers de l'environnement consiste en la requalification des choses et des atteintes afin de pouvoir les caractériser. Le sociologue Léo Magnin a rappelé à la mission d'information la précarité et la faiblesse structurelle de ce nouvel ordre policier, qui porte sur des choses et des objectifs plus diffus, moins immédiatement perceptibles par le citoyen : selon lui, la police de l'environnement est davantage contrainte que contraignante104(*).
Outre ce positionnement novateur, la police de l'environnement est indubitablement une police technique. Afin de constater et de qualifier des atteintes à l'environnement, elle est amenée à effectuer des prélèvements sur site, à les analyser, à caractériser des manquements à la réglementation qui ne sont pas évidents à établir et reposent sur une analyse déductive. Pour un acteur peu familier des procédures de contrôle et d'enquête spécifiques aux milieux et aux espèces, cette technicité de la pratique policière peut être perçue comme tatillonne, voire zélée, ou apparaître en décalage avec la moindre visibilité des atteintes à l'environnement.
Cette faible légitimité sociale pourrait être en partie améliorée par une campagne de sensibilisation aux métiers de l'OFB et au rôle des inspecteurs de l'environnement. Or, jusqu'alors, aucune campagne de publicité, comme cela peut être le cas pour la sécurité routière, n'est venue soutenir cette activité. La mission d'information a pu percevoir un sentiment de délaissement chez les agents de l'OFB qui, pour certains d'entre eux, vivent mal cette situation.
Recommandation n° 3 : Promouvoir le lancement d'une campagne de sensibilisation du grand public aux missions de l'OFB et aux spécificités de la police de l'environnement mise en oeuvre par l'établissement public.
(2) Une réponse pénale aux infractions environnementales en deçà des ambitions affichées en matière de préservation de l'environnement
La relative faiblesse de la police de l'environnement se déduit également du taux de poursuite des atteintes portées aux milieux naturels. Alors que la préservation de l'environnement a été placée par l'exécutif au rang de priorité politique et consacrée juridiquement au sommet de la hiérarchie des normes105(*), le taux des poursuites judiciaires reste assez éloigné de ce que l'on pourrait imaginer à la lecture du corpus normatif ambitieux qui a été façonné par les législateurs européen et national. La réponse judiciaire apportée par les juridictions retrace assez fidèlement l'ambivalence à l'égard des faits de dégradation de l'environnement : d'un côté, le droit de l'environnement se voit assigné d'objectifs ambitieux et volontaristes, de l'autre, l'écologie dite « punitive » est assez largement conspuée.
Selon des informations rendues publiques par le ministère de la Justice106(*), entre 2015 et 2019, il résulte du traitement du contentieux de l'environnement par les juridictions pénales que :
- parmi 103 500 auteurs d'infractions environnementales, 28 % d'entre eux se sont avérés non poursuivables (contre 9 % en moyenne sur l'ensemble des délits) ;
- la réponse pénale prend, pour 62 % des cas, la forme d'un rappel à la loi ou d'une régularisation sur demande du parquet ;
- parmi les poursuites, 52 % d'entre elles ont lieu devant le tribunal de police et 47 % devant le tribunal correctionnel ;
- les tribunaux correctionnels ont prononcé pour l'essentiel des peines d'amende, pour environ 74 % des affaires déférées (contre 35 % pour l'ensemble des délits), mais le nombre d'affaires audiencées connaît une tendance baissière sur les dix dernières années107(*).
Le contentieux de l'environnement devant les juridictions pénales représente moins de 1 % de l'ensemble des affaires pénales avec auteur identifié sur cette période. Ces chiffres semblent indiquer une surévaluation de la force de contrainte environnementale de l'État et des inspecteurs de l'environnement, qui est moindre que les représentations que s'en font certains acteurs. La faiblesse du nombre d'affaires environnementales est notamment liée aux priorités pénales des juridictions, à la fréquence des recours aux mesures alternatives aux poursuites ainsi qu'à la procédure de transaction pénale environnementale.
La transaction pénale
environnementale, L'ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012 a étendu la procédure de transaction pénale à l'ensemble des infractions visées au code de l'environnement, aujourd'hui codifié à l'article 173-12 du code de l'environnement, qui dispose que « l'autorité peut, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, transiger avec les personnes physiques et morales sur la poursuite des contraventions et délits prévus et réprimés ». Cette transaction pénale en matière environnementale constitue un changement de paradigme en matière de répression des atteintes à la nature. D'une part, elle ne constitue pas un procès, mais un accord entre parties et offre au transigeant le pouvoir de négocier avec l'administration. D'autre part, la transaction est homologuée par le procureur de la République en tant que magistrat du parquet, dans le cas où l'action publique n'a pas été mise en mouvement. Or, la transaction éteint l'action publique et éloigne ainsi définitivement les juges du transigeant. Le montant de la transaction peut, à délit équivalent, être trois fois inférieur au montant prévu par le code de l'environnement. Un tel amoindrissement de la somme à verser pour le transigeant peut favoriser l'image d'une justice pénale environnementale plus conciliante et moins dissuasive. Enfin, la transaction pénale en matière environnementale permet d'éviter le caractère « infamant » de la sanction pénale. Pour des personnes morales notamment, le caractère confidentiel de la transaction permet d'éviter un green bashing auquel sont confrontées un certain nombre d'entreprises. La transaction pénale en matière environnementale est donc pointée du doigt par certains acteurs en raison de la dépénalisation de facto qu'elle entraîne et alimente. |
Enfin, un facteur de dilution de l'efficacité de la réponse pénale vient du fait que les inspecteurs de l'environnement interviennent sous trois autorités distinctes : l'Office français de la biodiversité, qui est l'autorité d'emploi, le préfet, qui est l'autorité administrative et le procureur de la République, qui est l'autorité judiciaire. Cette triple autorité peut avoir pour conséquence une perte d'efficacité en matière environnementale, dans la mesure où les logiques poursuivies par ces différents acteurs peuvent différer, voire dans certains cas se neutraliser.
b) Les injonctions contradictoires du corpus normatif et la complexité du droit de l'environnement
(1) Le caractère prolifique et foisonnant du droit de l'environnement et des infractions susceptibles d'être prononcées
De manière assez singulière, l'action des polices de l'environnement n'est pas principalement encadrée par le code pénal, mais par d'autres codes : le code de l'environnement, le code forestier, le code rural ou encore le code de l'urbanisme. Ce foisonnement et cette dissémination des infractions environnementales, au sein de différents codes, crée un maillage complexe dans lequel il n'est pas toujours aisé de se repérer. Bien qu'étant une discipline juridique autonome relativement neuve, le droit de l'environnement a néanmoins été codifié à la suite d'un processus continu. Il s'est forgé selon les règles ordinaires de l'élaboration des normes, mais il dérive également de l'inscription en droit interne de normes et d'engagements internationaux108(*) et de dispositions européennes109(*).
Le droit pénal de l'environnement, qui peut être défini comme la branche du droit pénal qui sanctionne les atteintes à l'environnement, présente un champ infractionnel particulièrement vaste, regroupant l'ensemble des infractions relatives :
- aux pollutions et atteintes au cadre de vie et à l'occupation des sols ;
- à l'environnement industriel ;
- aux espaces naturels ;
- à la chasse, la pêche, l'eau et les milieux aquatiques ;
- à la protection des espèces animales, végétales et des habitats ;
- et aux incendies de forêt.
Ces infractions sont disséminées dans plusieurs codes, que sont principalement :
- le code de l'environnement, issu de l'ordonnance du 18 septembre 2000, ratifiée par la loi du 2 juillet 2003, ayant fait l'objet de nombreuses modifications, qui contient les dispositions relatives notamment à la protection des milieux physiques, des espaces naturels, du patrimoine naturel, à la chasse, à la prévention des pollutions, des risques et des nuisances, incluant les trafics de déchets ;
- le (nouveau) code forestier, codifié à droit constant par l'ordonnance du 26 janvier 2012, qui contient les dispositions relatives à la protection des forêts ;
- le code rural et de la pêche maritime, qui contient les dispositions concernant notamment la pêche maritime, la pêche en eau douce, la protection animale, la police sanitaire des animaux, les produits phytosanitaires ou phytopharmaceutiques et les organismes nuisibles ;
- le (nouveau) code minier, issu d'une l'ordonnance du 20 janvier 2011 qui contient les dispositions relatives à l'exploitation des mines et carrières ;
- le code de l'urbanisme, qui contient les dispositions relatives notamment aux permis de construire, à la construction et l'occupation des sols, à la protection du patrimoine architectural ;
- le code pénal, qui contient certaines contraventions en matière environnementale relatives aux abandons et dépôts illicites de déchets, issues notamment du décret n° 2015-337 du 25 mars 2015.
Parmi ces codes, on dénombre à ce jour près de 3 000 infractions de nature environnementale, réparties entre :
- les contraventions - environ 1 600 dont 700 de classe 5 -, qui sont les infractions les moins complexes, divisées en cinq classes, punies d'une amende allant de 38 à 1500 euros, qui relèvent du tribunal de police ;
- les délits - près de 1 400 -, relevant du tribunal correctionnel, punis à titre principal d'une peine d'amende et possiblement d'une peine d'emprisonnement, pouvant aller pour les plus graves d'entre eux jusqu'à 10 ans et 15 millions d'euros d'amende ;
Hormis la destruction, dégradation ou détérioration par incendie de bois, forêt, lande, maquis ou plantation d'autrui pouvant créer un dommage irréversible à l'environnement, réprimée de 15 ans de réclusion criminelle, ainsi que l'association de malfaiteurs terroriste en vue de préparer l'introduction dans l'environnement d'une substance dangereuse pour la santé ou le milieu naturel susceptible d'entraîner la mort, il n'existe pas de crimes environnementaux, jugés par la cour d'assises.
Cette grande diversité de normes aux caractéristiques différentes, pour la majorité techniques, traduit la volonté du pouvoir législatif et réglementaire de réprimer assez largement les comportements portant atteinte - et susceptibles de porter atteinte - à l'environnement. Face à ce maquis réglementaire, les acteurs sont souvent désemparés et éprouvent les plus grandes difficultés à appréhender le droit applicable à leur situation personnelle. La puissance publique doit s'efforcer d'apporter les clarifications nécessaires pour favoriser la lisibilité et la compréhension du droit de l'environnement, dans une logique de sécurité juridique des justiciables.
Recommandation n° 4 : Éditer des fiches pratiques et des guides méthodologiques, organiser des ateliers et des campagnes d'information ciblées pour familiariser les acteurs avec les réglementations environnementales de manière claire et accessible.
La diversité du contentieux environnemental, son volume relativement réduit et sa technicité ont également contribué à la spécialisation des magistrats du parquet et du siège ainsi que des services d'enquête qui ont à en connaître. Pour ces raisons, la France est engagée dans une spécialisation des juridictions, de la phase d'enquête, sous l'autorité du procureur de la République, et éventuellement sous celle du juge d'instruction s'il est saisi, jusqu'au jugement.
Elle a construit au fil des réformes législatives un dispositif étoffé avec six niveaux juridictionnels pour connaître des atteintes environnementales. L'organisation judiciaire permet d'articuler une compétence adaptée au contentieux de proximité - juridictions locales - et une compétence régionale, dédiée aux affaires complexes, avec des compétences inter-régionales, permettant de mobiliser des moyens matériels et humains adaptés et enfin une compétence nationale pour les affaires de très grande complexité, commises en bande organisée.
La dernière évolution en date au sein de cette architecture a été mise en oeuvre par la loi du 24 décembre 2020, qui a créé des pôles régionaux spécialisés en matière d'atteintes à l'environnement (PRE), devenus opérationnels le 1er avril 2021. Dans chacune des 36 cours d'appel, un tribunal judiciaire s'est ainsi vu reconnaître une compétence concurrente pour connaître des délits prévus par le code de l'environnement, par le code forestier et par certaines dispositions du code rural et de la pêche maritime et du code minier dans les affaires complexes.
La loi du 24 décembre 2020 a également introduit un mécanisme de justice pénale négociée en matière environnementale, la convention judiciaire d'intérêt public environnementale (CJIPE). Cette mesure alternative originale permet au procureur de la République de proposer la conclusion d'une convention à une personne morale, publique ou privée, mise en cause pour des faits d'atteinte à l'environnement, en lui imposant une ou plusieurs obligations. Cette convention est validée par un juge. En application de l'article 41-1-3 du code de procédure pénale, l'OFB peut être désigné pour réaliser le suivi de la mise en oeuvre, par la personne morale mise en cause, des obligations qui sont mises à sa charge.
(2) Un droit qui pâtit d'un portage insuffisant et perfectible
Le renforcement de la lutte contre les atteintes à l'environnement par le droit et l'élaboration de stratégies sectorielles sont devenus, ces dernières décennies, une priorité tant européenne que française. Les constats relatifs à la dégradation de la biodiversité, aux pressions croissantes s'exerçant sur les espaces naturels et aux risques environnementaux du fait du changement climatique sont en effet largement partagés.
Le juge constitutionnel a accompagné cette prise de conscience et ce mouvement en élevant la protection de l'environnement au rang d'objectif de valeur constitutionnelle, sur le fondement du préambule de la Charte de l'environnement110(*). Le Conseil constitutionnel a également consacré la portée juridique du principe énoncé dans le préambule de la Charte de l'environnement, selon lequel la préservation de l'environnement devait être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation et que les choix pour répondre aux besoins actuels ne devaient pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins111(*).
Cette consécration de la protection de la nature par le droit et les juridictions s'entrechoque cependant avec des résistances sociales et économiques, avec lesquelles les autorités publiques doivent composer. La réglementation environnementale et sa mise en application peuvent en effet, par certains aspects, revêtir un caractère d'injonctions contradictoires, dans la pratique quotidienne des acteurs agricoles et économiques. Les acteurs dont l'activité dépend de la nature ou des milieux naturels poursuivent bien souvent une finalité économique qui s'accommode difficilement de la rigidité de certaines réglementations. S'ils ont aujourd'hui pleinement conscience que leur activité est régie par un corpus de règles et de normes, ils ne s'interrogent pas à chaque instant sur l'infraction qu'ils sont susceptibles de commettre.
Dans le cas d'un contrôle au titre de la police de l'environnement, le contrôlé peut ainsi ressentir un sentiment diffus d'injustice, qui peut alimenter du ressentiment à l'égard de l'émetteur de la norme, mais aussi de l'agent chargé de faire appliquer la réglementation. Ce sont régulièrement les intérêts économiques qui viennent interférer avec les objectifs environnementaux : depuis plusieurs années, la « croissance verte », « les innovations responsables » ou encore les « technologies propres » sont des locutions à la mode, mais ces expressions ont encore parfois du mal à trouver des applications concrètes qui soient consensuelles112(*).
En outre, les mécanismes instaurés afin d'accompagner la mise en oeuvre et le respect de la norme environnementale sont imparfaits et largement perfectibles, au niveau des services déconcentrés de l'État mais également des organes consulaires : non seulement les acteurs concernés peuvent éprouver des difficultés à appréhender des normes foisonnantes, mais ils en perçoivent parfois imparfaitement les finalités.
À cet égard, les représentants de la filière piscicole entendus par la mission d'information ont regretté le coût souvent disproportionné induit par la mise en conformité environnementale. La réalisation des travaux nécessaires pour répondre aux enjeux de la continuité écologique engendre des coûts non négligeables pour l'exploitant113(*). Le porteur de projet doit dans un premier temps solliciter un bureau d'études spécialisées chargé d'évaluer le coût des aménagements à réaliser. Or, le coût de ces seules études représente environ 10 000 € par site piscicole. Il s'agit d'une dépense contrainte pour l'exploitant, qui vient s'ajouter au montant total des opérations à réaliser. À titre d'exemple, une étude du comité interprofessionnel des produits de l'aquaculture (Cipa) relève de forts surcoûts engendrés par les exigences de l'OFB. Alors qu'un bureau d'études a pu estimer le coût de l'implantation d'une nouvelle passe à poissons à 119 000 €, les aménagements préconisés par l'OFB ont conduit au doublement de cette somme, pour atteindre 262 000 €.
Si le montant évalué par l'Office français de la biodiversité est parfois en phase avec les coûts estimés par les bureaux d'études, force est de constater que, dans certains cas, les exigences de l'établissement conduisent à un renchérissement significatif du montant des travaux. La mission d'information souligne qu'une telle situation peut conduire certains acteurs à ne pas souscrire aux prescriptions environnementales : compte tenu du montant des aménagements à réaliser, l'exploitant, acteur économique rationnel, peut décider de s'affranchir de la réglementation et préférer risquer une sanction pécuniaire. Une telle situation se fait au détriment de la préservation de la biodiversité.
Souvent décrié, le coût économique de la réglementation environnementale demeure cependant difficilement quantifiable. Les études économiques empiriques réalisées en ce domaine parviennent à des résultats profondément hétérogènes selon la proximité du pays avec la frontière technologique et la capacité des entreprises à réaliser des gains de productivité114(*). Ces incertitudes concernant le potentiel impact négatif de la norme environnementale sur l'activité économique nuisent au portage politique de la protection de l'environnement. Les autorités politiques se montrent en effet prudentes et limitent parfois leurs interventions afin de ne pas porter de préjudice économique aux acteurs.
En outre, face à la gronde, le portage politique de la police de l'environnement tend à s'amoindrir. La crise agricole du début d'année 2024 a exacerbé les critiques à l'égard de l'OFB : l'établissement chargé de prérogatives de police a fait l'objet de nombreuses attaques et a été pris nommément pour cible par certains représentants agricoles. En réponse à ces colères, dans certains cas, les inspecteurs de l'environnement ont été incités à ne pas exercer une partie de leurs prérogatives. Le témoignage anonyme d'un agent de l'établissement relate ainsi que « des consignes sont redescendues à [...] amener [les agents] à être moins regardant ou à moins sortir, ou voire à s'occuper à autre chose »115(*).
Au-delà de ces doutes sur l'impact de la norme en matière environnementale sur l'activité économique d'un secteur, la réglementation fait l'objet d'une défiance en raison de son caractère foisonnant et peu lisible, tant et si bien que la norme environnementale est parfois perçue comme contre-productive. À vouloir tout prévoir, réglementer et régenter, l'efficacité de celle-ci diminuerait en fonction inverse de l'augmentation de sa complexité. Le rapport Lambert et Boulard de 2013 consacré à « l'inflation normative » estimait déjà que la réglementation environnementale était, compte tenu de son extension permanente, en train de devenir trop complexe116(*). Les chiffres publiés par le Secrétariat général du gouvernement en 2023 sont sans équivoque :
- entre le 1er janvier 2002 et le 1er janvier 2023, le nombre d'articles du code de l'environnement est passé de 1 006 à 6 898 ;
- sur cette même période, le nombre de mots au sein du code de l'environnement a été multiplié par dix, passant de 104 841 à 1 097 013117(*).
Après le code de la santé publique qui a connu une augmentation encore plus exponentielle sur cette période, le code de l'environnement occupe la deuxième place des codes ayant le plus évolué. L'extension normative est une réalité, mais qui ne contribue pas au renforcement de la protection judiciaire de l'environnement : la recherche d'un encadrement juridique à tout prix des milieux, des espèces et des activités humaines affecte négativement l'efficience de ce droit.
Ce phénomène quantitatif n'est pas la seule faiblesse de la réglementation environnementale. Elle est également victime d'une instabilité chronique, qui affecte la qualité de la norme, sa clarté et sa prévisibilité. Les acteurs chargés d'appliquer la norme, comme ceux chargés de la faire respecter, sont susceptibles d'en pâtir : la sécurité juridique des acteurs soumis aux réglementations environnementales se dégrade, ce qui affaiblit en retour l'autorité de la norme et son acceptation. L'Office français de la biodiversité est la première victime de ce phénomène, qui affaiblit les modalités de son action et la lisibilité des normes qu'il est chargé de contrôler.
Recommandation n° 5 : Rééquilibrer les missions de l'OFB au profit de la prévention, de l'appui aux territoires et de l'accompagnement des acteurs, afin d'atténuer l'image répressive attachée à l'établissement.
c) La question névralgique du port de l'arme : un totem pour les syndicats agricoles, un élément essentiel de la crédibilité de la police pour l'OFB
(1) Une réticence historique au port de l'arme
Si le port de l'arme revêt une apparente simplicité et semble largement admis au sein de nos sociétés occidentales contemporaines à des fins de légitime défense et pour protéger la population civile, cet attribut de la force publique fait en réalité largement débat.
Tout comme l'uniforme réglementaire, le port de l'arme permet à son détenteur d'afficher sa qualité, mais également de rendre visible son pouvoir aux yeux du public. Lors de la seconde restauration, en 1829, le préfet Louis-Marie de Beyllème faisait ainsi patrouiller des sergents de ville avec l'épée au fourreau afin de garantir une certaine sérénité dans les rues de la capitale118(*). Pour autant, la question du port systématique d'une arme de défense par les représentants de l'ordre était loin d'être consensuelle. Ce n'est qu'à la suite de la Seconde Guerre mondiale que le port d'une arme de défense de type arme à feu s'est généralisé sur l'ensemble du territoire.
Symptomatique d'une tradition qui n'est pas parvenue à apurer totalement les tensions autour du port de l'arme, la détention d'une arme à feu par les agents de police municipale ne fait toujours pas l'unanimité. Sur 27 131 agents de police municipale119(*), environ 53 % d'entre eux détiendraient, dans le cadre de leur fonction, une arme administrative de type arme à feu 9 mm. La réticence historique à l'équipement systématique en arme à feu des agents chargés de missions de police s'est également manifestée dans le cas de l'équipement des inspecteurs de l'environnement.
Le législateur, lors de l'examen du projet de loi instituant l'Office français de la biodiversité en 2019, animé de pragmatisme, a fait preuve d'une heureuse prudence quant à la délimitation du port de l'arme pour les agents chargés de la police environnementale. Pour ce faire, il s'est appuyé sur l'existant, en élargissant les dispositions introduites par le pouvoir réglementaire à partir de 2004 ayant permis l'armement d'agents assermentés en fonction dans les parcs nationaux, à l'ONCFS et à l'ONEMA120(*).
Désormais, aux termes de l'article R. 131-34-1 du code de l'environnement, « les agents commissionnés et assermentés sont astreints [...] au port d'arme et à porter l'équipement et les signes distinctifs qui leur sont fournis par l'établissement ». Le débat ne s'est pourtant pas estompé avec la clarification législative. Le hiatus entre sécurité des agents et nécessité du port de l'arme continue à faire l'objet de frictions. La Conférence nationale des procureurs de la République entendue par la mission d'information estime que « le port d'arme et d'uniforme peut ajouter une tension au contrôle, mais assure sécurité et légitimité ». Les agents de l'OFB chargés de prérogatives de police se défendent régulièrement, dans la presse, de ne pas être des « cow-boys » sortant facilement l'arme de son étui, tout en invoquant des situations de contrôle parfois difficiles, voire dangereuses.
Cette dangerosité n'est d'ailleurs pas niée et est largement admise. Lors de l'audition d'Olivier Thibault, nommé au terme de la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution au poste de directeur général de l'OFB, par la commission du Sénat le 24 mai 2023, ce dernier a rappelé que « des agents sont morts en service, et leur liste et longue. Les inspecteurs de l'environnement peuvent se retrouver dans des situations potentiellement dangereuses ». Les inspecteurs de l'environnement sont amenés à contrôler, pour partie de leurs missions, des personnes elles-mêmes armées (chasseurs, pêcheurs sous-marins, braconniers, etc.), et il existe malheureusement un lourd historique d'agents blessés ou tués, ainsi que l'illustre la stèle aux 85 agents morts en service121(*), dont une quinzaine ont été tués par balle.
Le souvenir douloureux de l'assassinat, par un braconnier sur une parcelle du terrain militaire de Canjuers dans le Var, de deux gardes de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage le 13 janvier 1996 constitue un tragique exemple de la dangerosité des fonctions d'inspecteur de l'environnement, garant de la biodiversité122(*). De tels faits justifient le port de moyens de défense, utilisables dans le cadre légal de la légitime défense, avec une proportionnalité d'utilisation de ces moyens en fonction des situations hostiles auxquelles les inspecteurs sont confrontés.
Stèle en hommage aux agents morts
dans
l'exercice de mission de police environnementale
Source : document transmis à la mission d'information par l'OFB
(2) Un port de l'arme qui fait débat lors des contrôles
Au plus fort de la crise agricole du début d'année 2024, les représentants du monde agricole ont exprimé un fort mécontentement à l'égard des agents de l'Office français de la biodiversité. La cristallisation des crispations des agriculteurs a largement été alimentée par le port d'arme à feu, lors des contrôles opérés par les inspecteurs de l'environnement. En symbole de cette exaspération, des agriculteurs ont tagué et épandu du lisier sur plusieurs implantations territoriales de l'OFB.
Les agriculteurs dénonçaient des situations de contrôles cacophoniques lors desquels ils avaient le sentiment d'être jugés et de subir un acharnement sur le fondement des normes environnementales, pour défendre des intérêts naturels qui leur paraissent souvent infondés. Fort heureusement, ce sentiment ne s'est jusqu'alors guère traduit dans des situations de contrôle nécessitant l'usage de l'arme à feu envers les agriculteurs. Ainsi que le soulignait le directeur général de l'OFB entendu par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, « depuis la création de l'OFB, [les] inspecteurs n'ont jamais sorti une arme devant un agriculteur. »
Les données relatives aux contrôles mis en oeuvre par les inspecteurs de l'environnement sont rassurantes à plusieurs égards. En premier lieu, les données communiquées à la mission d'information ne témoignent pas d'un acharnement des inspecteurs de l'environnement à l'égard du monde agricole, sur 21 635 contrôles administratifs, seuls 2 759 contrôles concernent le monde agricole - soit un peu moins de 13 %. Ces contrôles, ramenés au nombre d'exploitations agricoles, environ 400 000 en France, font état de 0,75 % des installations contrôlées par an, soit moins d'un contrôle par exploitation en moyenne par siècle.
En second lieu, la conflictualité médiatisée entre les agriculteurs et les inspecteurs de l'environnement semble en décalage avec le nombre d'incidents relevés. Entre 2020 et 2023, 136 incidents ont été recensés sur l'ensemble des contrôles, dont 70 % d'entre eux pour des menaces, agressions verbales ou outrages, 20 % pour des agressions physiques et 10 % pour des menaces avec armes. Le nombre d'incidents - bien que malheureux - demeure très faible comparativement aux contrôles effectués. La Conférence nationale des procureurs de la République - dont plusieurs magistrats ont accompagné des inspecteurs de l'environnement lors de contrôles - entendue par la mission d'information rapporte « [qu'] aucun des magistrats ayant participé à des contrôles n'ont perçu une tension générée par l'armement des agents ».
Néanmoins, la mission d'information estime nécessaire d'apporter une réponse au mal-être vécu par certains des contrôlés. En effet, l'agrégation des données a pour pendant une invisibilisation des contrôles se déroulant dans des conditions insatisfaisantes. Si la posture de l'inspecteur « cow-boy » paraît devoir être reléguée au rang des caricatures, l'approche militante, parfois zélée, voire disproportionnée de certains inspecteurs n'a pas sa place au sein de l'établissement et doit être sanctionnée pour non-respect des règles déontologiques. Le port de l'arme implique d'agir conformément à un impératif catégorique de type kantien123(*). Au-delà de la formation technique et pratique que les inspecteurs de l'environnement sont tenus de suivre pour pouvoir porter une arme administrative de défense, il apparaît fondamental que les agents en arme adoptent un port discret et non ostensible de celle-ci dans les situations de contrôle sans tension.
(3) Le port de l'arme : un indispensable symbole de crédibilité dont la visibilité gagnerait à être redéfinie
Le port d'une arme à feu, au-delà de l'effet dissuasif inhérent à son caractère létal, revêt une forte dimension symbolique. À cet égard, désarmer aujourd'hui les agents de l'OFB, ou interroger la pertinence du maintien du port d'une arme tel que l'a fait le Premier ministre à l'occasion d'une prise de parole dans une exploitation agricole de Haute-Garonne en janvier 2024124(*), peut sembler contradictoire avec les objectifs ambitieux qui ont été fixés pour l'OFB. Revenir sur cette attribution aurait un écho profondément négatif sur le personnel de l'établissement qui se sentirait désavoué et titulaire d'un pouvoir de police « au rabais ».
L'arme à feu de défense n'est, par ailleurs, pas un totem pour les agents de l'établissement. Certains d'entre eux peuvent ne pas se révéler très à l'aise à l'idée de détenir un tel instrument. La fusion des établissements ayant formé l'OFB a entraîné dans son sillage une agrégation de profils sociologiques distincts, chargés précédemment de préserver des milieux où le port de l'arme n'était guère nécessaire, mais qui ont dû se conformer à cette nouvelle réglementation. La mission d'information tient à rappeler avec vigueur que l'arme à feu ne constitue que l'ultime recours de légitime défense pour les agents de l'OFB, en cas de situation de conflictualité exacerbée, après épuisement de tous les moyens de désescalade. L'arme de poing ne peut être dégainée qu'en cas de risque réel, mais ne saurait être utilisée au profit d'un tir de sommation qui est strictement interdit.
Les inspecteurs de l'environnement disposent d'une palette proportionnée d'outils à leur disposition. L'intervention des inspecteurs de l'environnement est sommée d'être proportionnée, adaptée à la situation et la riposte - si cette dernière doit être envisagée - doit faire l'objet d'une intensité adaptée aux situations. S'il ne s'agit dès lors pas de revenir sur cet outil de crédibilité qu'est le port de l'arme pour des inspecteurs chargés de missions de police judiciaire et administrative, la mission d'information estime en revanche opportun de définir une doctrine du port de l'arme plus discrète.
L'arme à feu, plutôt que d'être ostensiblement mise à la vue d'autrui lors d'un contrôle, pourrait être utilement dissimulée par la veste ou portée de façon plus discrète par l'inspecteur de l'environnement. Une évolution de la posture de l'agent lors du contrôle, passant par une arme moins ostensible, semble de nature à améliorer le déroulé d'un contrôle, sans amoindrir la sécurité de l'inspecteur : l'arme doit demeurer facilement accessible pour assurer la protection de son titulaire, tout en étant moins discernable dans les situations de contrôle sans tension.
* 83 Loi n° 2000-698 du 26 juillet 2000 relative à la chasse.
* 84 Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
* 85 Loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement.
* 86 Rapport du Conseil d'État au Premier ministre, « Les pouvoirs d'enquête de l'administration », 15 avril 2021, page 75.
* 87 Compte rendu intégral de la séance du Sénat du 11 avril 2019, page 98 :
https://www.senat.fr/seances/s201 904/s20 190 410/s20 190 410.pdf
* 88 Décision du Tribunal des conflits, 5 décembre 1977, « Demoiselle Motsch », n° 2060 aux conclusions du commissaire du gouvernement M. Morisot.
* 89 Ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de l'environnement.
* 90 Ordonnance n° 2012-34 du 11 janvier 2012 portant simplification, réforme et harmonisation des dispositions de police administrative et de police judiciaire du code de l'environnement.
* 91 Article 83 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.
* 92 Raymond Léost, AJ Pénal 2015, page 121, « Les inspecteurs de l'environnement : d'importants pouvoirs d'enquête et d'investigation ».
* 93 Décret n° 2023-876 du 13 septembre 2023 relatif à la coordination en matière de politique de l'eau et de la nature et de lutte contre les atteintes environnementales. Le Colden a vocation à réunir l'ensemble des acteurs chargés de la police de l'environnement afin de favoriser le partage d'informations et d'améliorer la coordination des actions administrative et judiciaire. Ce comité permet également une mutualisation des moyens opérationnels afin d'assurer des contrôles complets sur des cibles identifiées comme prioritaires.
* 94 Compte rendu intégral de la séance du Sénat du 11 avril 2019, page 14 :
https://www.senat.fr/seances/s201 904/s20 190 410/s20 190 410.pdf
* 95 Article 12 du code de procédure pénale.
* 96 Article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales.
* 97 Article 19 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée.
* 98 Décret n° 2023-187 du 17 mars 2023 portant adaptation du code de procédure pénale à la création des officiers judiciaires de l'environnement.
* 99 Inspection générale de la justice et commissariat général au développement durable (CGEDD), octobre 2019, rapport de la mission d'évaluation des relations entre justice et environnement : une justice pour l'environnement.
* 100 Rapport d'activité pour l'année 2022 de l'Office français de la biodiversité, page 27.
* 101 Compte rendu intégral, Sénat, séance publique du 10 avril 2019, page 97.
* 102 Le Monde, 29 juin 2024, « À l'Office français de la biodiversité, des « flics verts » abandonnés en rase campagne ». https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/06/29/a-l-office-francais-de-la-biodiversite-des-flics-verts-abandonnes-en-rase-campagne_6245 159_4500 055.html
* 103 J-R. Dennetiere, « Le rôle et les pouvoirs des inspecteurs de l'environnement de l'OFB », Actualité juridique Pénal, 31 mai 2024, p. 256.
* 104 Ces éléments font l'objet d'une mise en perspective historique et sociologique dans l'ouvrage Polices environnementales sous contraintes, de Léo Magnin, Rémi Rouméas et Robin Basier, Rue d'Ulm, février 2024.
* 105 La loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars relative à la Charte de l'environnement a donné valeur constitutionnelle à cette dernière. Par une décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008 le juge constitutionnel a jugé que l'ensemble des droits et devoirs définis dans ladite Charte a valeur constitutionnelle. Plus récemment, dans une décision rendue le 31 janvier 2020 (décision n° 2019-823 QPC) le Conseil constitutionnel a dégagé un objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains.
* 106 Service statistique ministériel de la justice, n° 182, avril 2021, « Le traitement du contentieux de l'environnement par la justice pénale entre 2015 et 2019 ».
* 107 Louis de Redon, Revue Justice Actualités, 2021, 25, pp.62-76, « La place des alternatives aux poursuites dans la réponse pénale aux atteintes à l'environnement : état des lieux juridique et quantitatif » P.8.
* 108 Convention sur la diversité biologique (CDB), adoptée en 1992 au sommet de Rio, qui a posé le principe de programmes nationaux de suivi de l'évolution de la biodiversité, grâce à des analyses régulières, et de mise en place des zones protégées. En 2010, le protocole de Nagoya et les objectifs d'Aichi sont venus compléter ce dispositif. Quant au cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, adopté en 2022, il a fixé l'objectif de protéger 30 % des terres et des mers d'ici 2030. Pour plus d'informations, consulter le rapport d'information n° 357 (2022-2023) de Guillaume Chevrollier, déposé le 15 février 2023, L'accord de Kunming-Montréal : une partition que les États doivent dès à présent mettre en musique.
* 109 Directive Habitats-Faune-Flore (DHFF), directive Oiseaux, directive-cadre sur l'eau (DCE) et directive-cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM).
* 110 Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020.
* 111 Décision n° 2022-843 DC du 12 août 2022.
* 112 Conseil économique pour le développement durable, « Comment concilier développement économique et environnement ? », 2016.
* 113 Les enjeux de la continuité écologique sont présentés dans le rapport d'information n° 498 (2020-2021) déposé par Guillaume Chevrollier le 30 mars 2020, Rompre avec la continuité écologique destructive : réconcilier préservation de l'environnement et activités humaines.
* 114 France Stratégie, Les incidences économiques de l'action pour le climat, rapport consacré à la productivité, mai 2023, p. 12-15.
* 115 France culture, « Office français de la biodiversité (OFB) : pourquoi tant de haine ? », mercredi 28 février 2024.
* 116 A. Lambert et J-C. Boulard, 26 mars 2013, rapport de la mission de lutte contre l'inflation normative.
* 117 Secrétariat général du gouvernement, « Indicateurs de suivi de l'activité normative », 4 avril 2023.
* 118 Institut des hautes études du ministère de l'intérieur (IHEMI), Cahiers de la sécurité et de la justice n° 51, article de Jean-Marc Berlière, « Police : armes de service - Quelques repères historiques ».
* 119 Données du ministère de l'intérieur pour 2022.
* 120 Arrêté du 27 février 2004 portant autorisation de port d'arme pour les fonctionnaires et les agents assermentés en fonction dans les parcs nationaux, à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage et à l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques.
* 121 Une cérémonie se déroule tous les ans à l'école nationale du Bouchet à Dry (Loiret), en souvenir des agents morts en service.
* 122 Le 15 janvier 2021 a été commémoré le souvenir de deux agents de l'ONCFS assassinés 25 ans plus tôt dans le Var, en présence de la direction interrégionale PACA-Corse et des agents de l'OFB.
* 123 Emmanuel Kant dans La métaphysique des moeurs estime que l'acte moral doit s'appuyer sur un comportement dicté par la raison d'une telle manière qu'il faudrait « agir comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature ».
* 124 Le Premier ministre a, par une question rhétorique, questionné la pertinence du maintien du port de l'arme, énonçant : « Est-ce qu'il faut vraiment venir armé quand on vient contrôler une haie ? »