C. UNE GOUVERNANCE À REVOIR POUR DÉGAGER DES MARGES D'EFFICIENCE GLOBALES
1. AMO, AMC : quel dialogue, quelle coopération ?
a) Un secteur éclaté qui ne parle pas d'une seule voix
Le secteur de l'assurance maladie complémentaire est particulièrement complexe : il est éclaté entre de nombreux acteurs - 397 organismes étaient collecteurs de la TSA en 2022 - eux-mêmes répartis en trois familles.
Chaque famille dispose de sa propre représentation : la FNMF et la Fédération nationale indépendante des mutuelles (Fnim) représentent les mutuelles, la seconde plus particulièrement les mutuelles indépendantes et généralement plus petites, tandis que le CTIP représente les institutions de prévoyance et France Assureurs les entreprises d'assurance.
Par conséquent, aucun interlocuteur naturel n'émerge pour parler au nom de l'ensemble des complémentaires santé. Cela complexifie le dialogue entre les pouvoirs publics et les Ocam, et au sein même des Ocam ; d'autant que les positions de chaque fédération ne sont pas toujours alignées, compte tenu des intérêts divergents de chaque famille et parfois en leur sein, liés à leur implantation différenciée sur le marché.
b) Unocam et inter AMC, deux instances inter-complémentaires aux compétences limitées
Pour pallier ce problème, deux principales instances inter-complémentaires formalisées ont vu le jour depuis les années 2000 : l'Unocam et l'inter AMC. Le champ d'action de chacune est toutefois limité.
• L'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire (Unocam) est une association créée par l'article 55 de la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie524(*). Elle regroupe la Mutualité française, France Assureurs, le CTIP, le régime local d'Alsace-Moselle et, depuis 2008, la Fnim. Dans son rapport d'activité 2022, l'Unocam affirme qu'elle « représente tous les organismes complémentaires d'Assurance maladie, dans la diversité de leur gouvernance, de leur modèle économique et de leurs métiers que sont les mutuelles, les entreprises d'assurance et les institutions de prévoyance ».
La loi de 2004 avait fixé des objectifs clairs mais ambitieux à l'Unocam, chargée de rendre des avis sur les décisions relatives au ticket modérateur et de participer aux négociations conventionnelles associant l'AMO et les représentants des professionnels de santé525(*). En 2022 et 2023, l'Unocam a approfondi son investissement dans son rôle de partenaire conventionnel, en devenant cosignataire de plusieurs conventions avec des professions de santé pour lesquelles le financement AMC est minoritaire - notamment celle des masseurs-kinésithérapeutes. L'Unocam est également chargée de rendre des avis sur les projets de loi relatifs à l'assurance maladie et sur les PLFSS depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007526(*).
L'Unocam est donc avant tout une instance se prononçant sur les grandes modifications des équilibres du financement de la santé.
• L'inter AMC est une association créée en 2015 par la Mutualité française, France Assureurs et le CTIP, rassemblant 273 complémentaires santé ou partenaires (opérateurs de tiers payant, notamment). Sa vocation première est d'« harmoniser, simplifier les échanges entre les professionnels de santé et les complémentaires en France, et faciliter le parcours du patient »527(*).
L'association est particulièrement engagée sur la simplification du recours au tiers payant pour les professionnels de santé, et est à l'origine de dispositifs comme ROC en établissements de santé528(*).
c) La nécessaire création d'une instance de dialogue formalisée entre l'assurance maladie complémentaire et les pouvoirs publics
Si ces deux instances ont, à n'en pas douter, contribué activement à améliorer le pilotage de l'assurance maladie complémentaire en France, elles n'ont pour autant pas résolu le problème de l'insuffisance du dialogue entre assurance maladie complémentaire et pouvoirs publics.
Plus de vingt ans après la promulgation de la loi sur l'assurance maladie qui a instauré l'Unocam, les constats dressés dans l'exposé des motifs et motivant la création de l'union restent en effet pleinement d'actualité : « L'absence de coordination entre l'assurance de base et les assurances complémentaires conduit souvent à des incohérences dans la gestion de notre système de soins ». Il est très regrettable qu'aucun progrès n'ait été accompli dans ce domaine depuis 2004.
Compte tenu des défis auxquels est confronté notre système de santé, notamment financiers, une approche partenariale est réellement indispensable. Le président du groupe Harmonie mutuelle a estimé, lors de son audition par la mission, que « pour réussir ce défi, qui est celui de notre système de santé dans son ensemble, nous avons une conviction forte et partagée, celle d'agir en complémentarité des pouvoirs publics et des parties prenantes sur des sujets aussi majeurs et structurants que la prévention, la lutte contre la fraude, la régulation des prix en santé. Il nous faut chercher ces complémentarités. Chacun doit être à sa place, là où il est le plus efficient, car nos défis sont communs. Il est illusoire de croire que nous les affronterons en ignorant les acteurs qui nous entourent »529(*). Le rapporteur souscrit pleinement à ces propos.
Le directeur général de Malakoff Humanis a exprimé la nécessité de revoir les modalités de dialogue, estimant que « l'Unocam n'est probablement pas l'alpha et l'oméga des interlocuteurs » et ajoutant que « ce qu'il faut, c'est un dialogue entre l'assurance maladie obligatoire, la direction de la sécurité sociale et les organismes complémentaires. Il faut probablement les trois fédérations autour de la table, ainsi que l'Unocam, mais celle-ci n'intervient que sur le conventionnel, non sur le contractuel, or l'on sait que la tuyauterie est importante ! »530(*).
· Les deux instances actuelles sont de surcroît limitées quant à leur représentativité (notamment l'inter AMC, qui ne couvre pas l'ensemble des acteurs de la complémentaire santé) et à leur champ d'action - principalement les enjeux financiers et conventionnels pour l'Unocam, le service aux professionnels de santé pour l'inter AMC.
· Les instances existantes ne peuvent donc pas couvrir l'ensemble des sujets qui devraient l'être, en bonne gestion : les enjeux de clarification et de transparence sont ainsi laissés au CCSF, dont la capacité à engager les complémentaires santé est limitée, la lutte contre la fraude est gérée en silo entre AMO et AMC531(*) et, surtout, il n'existe aucune instance de dialogue pluriannuel, de long cours, sur la vision et l'avenir de l'assurance maladie. Un comble alors que les défis du financement du système de santé sont structurels et durables : ils nécessitent donc une réponse coordonnée et une vision de long terme.
L'Unocam est certes invitée à réagir au coup par coup à des décisions modifiant l'équilibre financier de l'AMO et de l'AMC, mais les complémentaires santé n'ont pas véritablement d'occasion de dialoguer avec les pouvoirs publics sur des sujets de pilotage global du système.
· En outre, l'Unocam comme l'inter AMC sont des personnes morales uniques, représentant pourtant une diversité d'intérêts incarnée par les trois familles de complémentaires santé. Ces instances internalisent les divergences qui peuvent exister entre les familles, même si le consensus n'est pas une condition sine qua non au fonctionnement de l'Unocam532(*). Leur légitimité à engager les complémentaires santé sur des sujets de discorde entre familles de complémentaire santé est donc limitée.
· Enfin, aucune instance ne permet un dialogue construit avec l'assurance maladie obligatoire et le Gouvernement.
Pour cette raison, le Comité de dialogue avec les organismes complémentaires (CDoc) créé à l'initiative du ministre de la santé et de la prévention et installé le 13 octobre 2022, rassemble l'Unocam, la Mutualité française, France Assureurs, le CTIP, l'assurance maladie obligatoire et des services de l'État.
Il a « vocation à traiter des sujets d'intérêt commun entre l'État, l'Assurance maladie et les organismes complémentaires, pour mieux répondre aux besoins de santé des assurés, sans se substituer aux instances et lieux de concertation existants », et s'est fixé une feuille de route ambitieuse : articulation entre AMO et AMC, renforcement de l'accès aux droits, prévention, généralisation du tiers payant, partages de données et lutte contre la fraude533(*).
La mission salue cette initiative, tout en regrettant qu'elle n'ait pas été prise plus tôt. Elle appelle à institutionnaliser ce comité de dialogue et à le réunir trimestriellement, sur un ordre du jour défini conjointement par les complémentaires santé et le Gouvernement, pour répondre à l'ensemble des enjeux qui lui incombent534(*) selon une approche partenariale entre AMO et AMC : il importe pour ce faire que les Ocam puissent régulièrement exprimer leurs préoccupations et leurs propositions au Gouvernement.
Elle estime également souhaitable que le régime local d'assurance maladie d'Alsace-Moselle, évoqué plus haut, soit associé en tant que de besoin à cette instance.
Recommandation. - Institutionnaliser le Comité de dialogue avec les organismes complémentaires (CDoc) et en faire un comité de dialogue trimestriel, dont l'ordre du jour et la feuille de route sont définis conjointement par le Gouvernement, l'Assurance maladie et les complémentaires santé. Y associer le régime local d'assurance maladie d'Alsace-Moselle lorsque l'ordre du jour le justifie.
2. Un effort de coordination nécessaire en matière de lutte contre la fraude et de prévention
La coordination aujourd'hui insuffisante entre AMO et AMC conduit les deux parties à investir insuffisamment certains gisements d'économies, pourtant indispensables au vu de la situation financière de notre système de santé. La lutte contre la fraude et le développement de la prévention, largement perfectibles, illustrent cette défaillance.
a) La lutte contre la fraude, une illustration de l'insuffisante coordination entre AMO et AMC
En matière de lutte contre la fraude, les insuffisances actuelles concernent non seulement le manque de coordination des acteurs, mais aussi le cadre juridique, inadapté aux enjeux actuels du traitement des données de santé.
(1) Les défaillances dues à une organisation en silo
La lutte contre la fraude est l'exemple le plus marquant des conséquences regrettables d'une insuffisante collaboration entre assurances maladie obligatoire et complémentaire.
En effet, le développement des nouvelles technologies et l'utilisation de la donnée permettrait, en théorie, à l'AMO et à l'AMC d'aller beaucoup plus loin dans leur lutte contre la fraude en coordonnant leurs efforts et en partageant leurs informations.
Selon l'organisation décrite par France Assureurs, l'AMO et l'AMC luttent en effet contre la fraude en silo :
« Les assureurs disposent de leur propre mécanisme de lutte contre la fraude (en interne ou de façon mutualisée via l'ALFA, l'agence de lutte contre la fraude à l'assurance), détectent et agissent pour lutter contre la fraude (ponctuelle - facturation d'actes fictifs par exemple ou organisée de type édition de fausses ordonnances et de fausses factures).
De son côté, l'assurance maladie a diligenté des actions fortes dans les domaines de l'optique et de l'audiologie. Nous en prenons connaissance par la presse et les données communiquées sont insuffisantes pour permettre aux organismes complémentaires de faire un recours et de récupérer les indus qui leur reviennent.
On reste donc dans un schéma où l'AMO et l'AMC luttent parallèlement, en silo contre la fraude sociale et ne partagent pas leurs informations. Alors que la lutte contre la fraude est un enjeu national pour lequel organismes de sécurité sociale et complémentaires devraient travailler de pair pour gagner en efficacité et en rapidité et ainsi garantir la pérennité de notre système de protection sociale. »535(*)
Bilan de la politique de lutte contre la
fraude
conduite par l'Assurance maladie en 2023
Selon le bilan de la lutte contre la fraude publiée par l'Assurance maladie le 28 mars 2024536(*), « près de 466 millions d'euros de fraudes ont été détectées et stoppées, un montant record qui dépasse l'objectif de 380 millions d'euros fixé initialement ». Cette politique de fermeté s'est traduite par 10 500 suites contentieuses engagées en 2023 (+ 20 % en un an), près de 4 000 poursuites pénales (+ 34 % par rapport à 2022) et 3 400 pénalités financières (+ 28 % par rapport à 2022).
L'Assurance maladie évoque la « complexité » des formes que revêt la fraude : fraudes à l'identité, falsification de documents authentiques, faux arrêts de travail diffusés sur les réseaux sociaux, fraudes aux RIB... Cette sophistication des techniques de fraude exige des stratégies innovantes qui impliquent notamment la diversification du profil des agents et la formation de cyberenquêteurs.
En 2023 ont été conduites des campagnes ciblant les centres de santé (200 ont été contrôlés ; 21 ont été déconventionnés depuis 2023 pour des fraudes impliquant des activités en ophtalmologie ou en soins dentaires). La fraude aux audioprothèses est un point de vigilance particulier (21,3 millions d'euros de fraude évités en 2023).
La mission a identifié deux principales causes à cette situation sous-optimale :
- d'une part, comme l'a mentionné le directeur général du groupe Humanis lors de son audition par la mission, « sur la fraude, il n'y a pas [de dialogue], car il n'y a pas d'instance. Il faut une instance institutionnalisée pour réfléchir aux fraudes »537(*). Cette remarque rejoint les constats ci-dessus relatifs à la gouvernance du système. L'instance de dialogue entre les assurances maladie pourrait être un CDoc institutionnalisé et renforcé, selon les propositions évoquées plus haut.
- d'autre part, de l'aveu même de la direction de la sécurité sociale, « les relations entre AMO et AMC sont également rendues complexes par des difficultés d'ordre juridique en matière d'échange de données. [...] Une amélioration du cadre juridique pourrait permettre d'approfondir la coopération entre AMO et AMC en matière de lutte contre la fraude. »538(*).
Les enjeux d'une meilleure coordination des actions de lutte contre la fraude dépassent des considérations d'organisation administrative, si l'on considère les gisements d'économie qui pourraient provenir d'un renforcement de l'approche partenariale entre AMO et AMC sur la lutte contre la fraude. Les montants déjà observés aujourd'hui sont en effet conséquents : 52 millions d'euros pour Malakoff Humanis, 45 millions d'euros pour Harmonie mutuelle, par exemple. De quoi faire dire au directeur général de Malakoff Humanis que « la somme des fraudes pour les groupes présents ici, si elles étaient évitées, serait significative, probablement autant que pour l'assurance maladie obligatoire » et que « si nous [AMO et AMC] mettions nos moyens et nos données en commun, nous serions probablement beaucoup plus efficients dans cette lutte »539(*).
La mission encourage donc la possibilité de diligenter des contrôles et des sanctions communes à l'AMO et à l'AMC en cas de suspicion de fraude ou de fraude avérée, afin de renforcer l'efficacité de la lutte contre la fraude par une action partenariale et coordonnée.
Lors de son audition par la mission d'information, le directeur de la sécurité sociale s'est dit favorable à de telles évolutions : « toutes les actions de détection, de contrôle et de sanction que mène l'Assurance maladie gagneraient à être davantage coordonnées avec les organismes complémentaires »540(*).
(2) Un cadre juridique à adapter
En cause, également, un cadre législatif restrictif, défini par le code de la sécurité sociale, même si, dans ses réponses écrites au questionnaire du rapporteur, la direction de la sécurité sociale évoque des travaux en cours entre la Cnam, les complémentaires et la Cnil sur le sujet.
Les articles L. 114-9 à L. 114-22-2 du code de la sécurité sociale qui définissent le cadre juridique de la lutte contre la fraude sont articulés autour de l'intervention des « organismes chargés de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale ». L'assurance maladie complémentaire n'est évoquée que dans l'article L. 114-9, qui pose le principe de contrôle et enquête de l'assurance maladie obligatoire lorsqu'elle a « connaissance d'informations pouvant laisser supposer une fraude » : il est prévu que l'organisme local d'assurance maladie obligatoire « informe le cas échéant, s'il peut être identifié, l'organisme d'assurance maladie complémentaire de l'assuré de la mise en oeuvre de la procédure » de contrôle.
Selon France Assureurs, cette « base légale pour un échange d'informations sur la fraude [n'est] ni suffisante ni opérante »541(*). Le directeur général de la Cnam ne voit pour sa part « que des avantages à ce que l'on partage mieux avec les complémentaires santé les éléments dont nous disposons » pour renforcer la lutte contre la fraude542(*).
Recommandation. - Améliorer l'organisation de la lutte contre la fraude :
- prévoir des échanges d'informations entre les organismes complémentaires d'assurance maladie et l'assurance maladie obligatoire sur les contrôles dont ils prendraient l'initiative ;
- encourager l'assurance maladie obligatoire à mettre en place des actions de détection, de contrôle et de sanction coordonnées avec les organismes de complémentaire santé ;
- mettre en place un groupe de travail dédié, copiloté par la direction de la sécurité sociale, l'assurance maladie et les organismes de complémentaire santé.
b) La prévention, un axe insuffisamment investi faute de coopération entre AMO et AMC
De la même manière, la prévention pâtit du manque de coopération entre AMO et AMC, alors qu'il s'agit là d'un levier déterminant non seulement pour améliorer l'état de santé de la population, mais aussi, à terme, pour contribuer à la soutenabilité de notre système de santé.
Dans un rapport de 2021543(*), la Cour des comptes a pointé du doigt « des résultats médiocres » sur le cancer, le diabète et les maladies neuro-cardio-vasculaires, malgré des dépenses de prévention estimées à 15 milliards d'euros. Elle déplore notamment une « gestion fragmentée » de la politique de prévention du fait « de l'intrication entre les prestations curatives et préventives, de l'éclatement des responsabilités en matière sanitaire, combinées à l'hétérogénéité des financeurs et des acteurs de la prévention ». Cette gestion fragmentée limite notamment la fiabilité des estimations de l'effort financier des complémentaires santé en faveur de la prévention, faute de remontées de données.
Plusieurs pathologies sont emblématiques à la fois de l'intérêt de développer la portée et l'efficience de la politique de prévention, et de l'insuffisance des mesures aujourd'hui mises en oeuvre :
- avec 43 000 nouveaux cas par an, le cancer colorectal est aujourd'hui la deuxième cause de décès par cancer en France, alors qu'il se guérit dans neuf cas sur dix en cas de détection précoce ;
- selon le rapport de la Cour des comptes précité, « près de 700 000 personnes sont atteintes de diabète de type 2 sans qu'elles le sachent, du fait d'un dépistage insuffisamment proposé aux patients. La détection étant plus tardive, les risques de complications (infarctus, accident vasculaire cérébral, amputation, cécité, etc.), voire de décès, sont nettement majorés ».
Outre le caractère primordial de la prévention sur le plan sanitaire, les enjeux financiers associés sont massifs : au total, il est estimé que mieux dépister les cancers et lutter contre les addictions pourrait dégager un gain de 5 milliards à 16,7 milliards d'euros.
Des problématiques similaires à celles qui ont été évoquées plus haut à propos de la lutte contre la fraude se font jour en matière de prévention : une absence d'espace de dialogue entre les acteurs et un cadre de gestion des données restrictif.
La gestion des données est néanmoins plus complexe en matière de prévention qu'en matière de lutte contre la fraude : elle concerne des masses de données plus importantes, mais également plus sensibles puisqu'elles pourraient être dévoyées.
Le directeur général de Malakoff Humanis estime ainsi que « pour faire de la prévention, il faut faire du prédictif et, pour cela, utiliser de la donnée. [...] Bien sûr, la donnée doit être anonymisée ; reste qu'il faudrait une réflexion poussée sur son usage, car, j'y insiste, la data permet de faire du prédictif, donc de la prévention. Je pense que les assurances maladie obligatoire et complémentaires pourraient progresser en la matière. »544(*)
Indépendamment de la problématique du partage de données, il semble indispensable de progresser dans deux domaines :
- d'une part, définir un programme national cohérent en matière de prévention, décliné selon des priorités claires et des acteurs clairement identifiés ;
- d'autre part, coordonner les interventions des assurances maladie obligatoire et complémentaire en précisant clairement les rôles respectifs de chacune, afin d'éviter redondances et lacunes.
Cette répartition est aujourd'hui difficilement lisible pour les assurés, de sorte que l'efficience de l'action des complémentaires santé fait parfois l'objet de réserves. L'union syndicale de médecins Avenir Spé-Le Bloc estime ainsi que « l'action des complémentaires en termes de prévention, bien que portant sur de vrais enjeux de santé publique, paraît dispersée, déconnectée des parcours de soins et donc peu efficiente, parfois redondante avec des actions publiques et paraissant bien souvent plus être un affichage marketing qu'une action de fond »545(*).
En principe, le champ d'action des organismes complémentaires en matière de prévention est large : ils agissent en prévention primaire, secondaire et tertiaire, à tous les âges de la vie, auprès des individus et des entreprises. Ils proposent à la fois :
- une prise en charge individuelle de frais de santé ou de frais connexes à la santé en lien avec la prévention. Les complémentaires santé prennent en charge le ticket modérateur sur certaines prestations cofinancées avec l'assurance maladie, à l'instar de certains vaccins546(*). Les complémentaires proposent en outre une prise en charge de prestations non remboursées par l'assurance maladie obligatoire, comme des séances d'activité physique adaptée ou des actes de diététicien ;
- des démarches plus collectives, notamment en matière d'information et de sensibilisation sur les dépistages ou la vaccination, par exemple.
Il résulte de ce champ d'action très large une forme de saupoudrage dans l'investissement des complémentaires en faveur de la prévention, qui nuit à l'efficience de ces dépenses.
En outre, il est fréquent en matière de prévention que seule l'assurance maladie obligatoire soit mobilisée, avec une prise en charge à 100 % des frais occasionnés. Le recours à une prise en charge intégrale de l'assurance maladie vise notamment à toucher un public aussi large que possible - y compris certains assurés précaires qui n'ont pas souscrit à une complémentaire santé et pour lesquels l'intervention de l'assurance maladie complémentaire se traduirait par un reste à charge dissuasif.
C'est le cas de certains vaccins547(*), mais également des dépistages organisés des cancers colorectal, du sein et du col de l'utérus. Les consultations réalisées à des fins de prévention, comme les bilans de prévention aux âges clés de la vie en cours de déploiement et le dispositif M'T Dents sur la prévention bucco-dentaire pour les jeunes, sont également prises en charge intégralement par l'assurance maladie obligatoire.
Le programme de prévention bucco-dentaire, qui remplacera M'T Dents à compter de 2025, sera toutefois cofinancé et co-porté par l'assurance maladie complémentaire. Ce programme présente, grâce au cofinancement, une ambition accrue qui permettra de diminuer l'espacement entre les consultations et d'élargir le champ des bénéficiaires. Bien que, comme vu plus haut, l'existence d'un reste à charge après AMO puisse avoir un effet dissuasif sur le recours pour les assurés dépourvus de complémentaire santé, France Assureurs estime également que le co-portage AMO/AMC permettra d'améliorer le taux de recours à ces consultations, « chaque acteur utilisant son canal d'information et ses démarches « d'aller vers » pour convaincre le maximum de nos concitoyens, et notamment ceux les plus éloignés des soins, de participer »548(*).
La définition des actions de prévention intégralement prises en charge par l'assurance maladie, et de celles faisant l'objet d'un cofinancement manque de clarté. Cela contribue à un manque de spécialisation de chaque acteur, et à un manque de clarté pour l'assuré.
Une clarification de la répartition des rôles entre les acteurs semble aujourd'hui nécessaire. En ce sens, la spécialisation des complémentaires santé dans la prévention sur le lieu de travail est un axe de l'AMC à développer. France Assos Santé considère ainsi « que les complémentaires santé [pourraient avoir] une large place dans le cadre de la prévention au travail, dans la mesure où il existe une couverture santé obligatoire dans les entreprises »549(*).
Du fait des contrats collectifs obligatoires, les complémentaires santé ont aujourd'hui une meilleure connaissance des entreprises que l'assurance maladie obligatoire, et y bénéficient d'une implantation plus importante. Par conséquent, elles peuvent y mobiliser des réseaux différents de ceux de l'assurance maladie afin de participer à la promotion et au relai de dispositifs de prévention.
Dans cet esprit, le directeur général de la Cnam a estimé lors de son audition, à propos du dépistage organisé, que les Ocam avaient un rôle spécifique à jouer auprès des salariés pour mieux diffuser l'information :
« Pour reprendre l'exemple du dépistage organisé, qui est un enjeu de santé publique majeur, nous sommes en retard en France. Nous serions très heureux que les complémentaires santé, qui disposent de canaux de contact dans les entreprises dont nous ne disposons pas, relayent ces messages sur l'importance de ces dépistages organisés vis-à-vis des salariés et des entreprises qu'elles couvrent. Elles peuvent le faire librement. Nous gagnerions peut-être à formaliser davantage un programme de prévention partagé, mais personne n'interdit aux complémentaires santé d'agir dans ces domaines »550(*).
Il convient donc de mettre en place une stratégie coordonnée en matière de prévention, dans une logique pluriannuelle et dans un esprit de complémentarité entre AMO et AMC. Une telle stratégie suppose aussi la définition d'objectifs quantifiés, la détermination de moyens adaptés et d'une évaluation rigoureuse des résultats obtenus.
Recommandation. - Mettre en place une politique pluriannuelle nationale de prévention déclinant de manière coordonnée et cohérente, pour chaque priorité définie, le rôle attendu de chaque acteur, dans un esprit de complémentarité entre AMO et AMC, et en faisant toute la clarté sur les objectifs, les moyens et l'évaluation des résultats.
* 524 Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie.
* 525 Article L. 182-3 du code de la sécurité sociale.
* 526 Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007.
* 527 Source : rapport d'activité 2023 de l'Inter AMC.
* 528 Voir supra.
* 529 Compte rendu du 16 mai 2024.
* 530 Compte rendu du 16 mai 2024.
* 531 Voir infra.
* 532 La décision par l'Unocam de signer une convention ou un avenant est prise par le conseil de l'Unocam, le cas échéant avec une majorité de 60 % lorsque l'AMC est financeur majoritaire de la profession.
* 533 Source : communiqué de presse publié à l'issue de la première réunion du CDoc ( François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention, a installé hier un comité de dialogue avec les organismes complémentaires (CDoc) - Ministère du travail, de la santé et des solidarités (sante.gouv.fr))
* 534 La réunion de juin 2024, qui aurait dû porter sur le contrat solidaire et responsable, a été annulée.
* 535 Réponses écrites de France Assureurs au questionnaire du rapporteur.
* 536 Source : dossier de presse de l'assurance maladie : 2024-03-28-DP-LCF.pdf (ameli.fr)
* 537 Compte rendu du 16 mai 2024.
* 538 Réponses écrites de la direction de la sécurité sociale au questionnaire du rapporteur.
* 539 Compte rendu du 16 mai 2024.
* 540 Compte rendu du 10 avril 2024.
* 541 Réponses écrites au questionnaire du rapporteur.
* 542 Compte rendu du 9 avril 2024.
* 543 Cour des comptes, La politique de prévention en santé, novembre 2021.
* 544 Compte rendu du 16 mai 2024.
* 545 Réponses écrites d'Avenir Spé-Le Bloc au questionnaire du rapporteur.
* 546 Hépatite B, coqueluche, diphtérie, tétanos, poliomyélite, etc...
* 547 Il en va ainsi du vaccin rougeole-oreillons-rubéole pour les jeunes jusqu'à 17 ans révolus, du vaccin contre la grippe saisonnière pour les populations pour lesquelles la vaccination est recommandée, pour le vaccin contre le papillomavirus humain dans le cadre du programme de vaccination au collège, notamment.
* 548 Réponses écrites de France Assureurs au questionnaire du rapporteur.
* 549 Réponses écrites de France Assos Santé au questionnaire du rapporteur.
* 550 Compte rendu du 9 avril 2024.