C. LA FRANCE DOIT POURSUIVRE SES EFFORTS D'INFLUENCE ET DE REDEVABILITÉ DE SES CONTRIBUTIONS DANS LE SYSTÈME INTERNATIONAL DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
1. Le regain d'influence de la France au sein du système onusien de sécurité alimentaire reste limité
a) Si l'investissement financier croissant de la France lui a permis de regagner en influence dans le système onusien, il demeure « une goutte d'eau dans l'océan » des contributeurs
L'augmentation par la France de ses contributions volontaires a permis de mettre un frein au recul de son influence au sein de organisations des Nations unies spécialisées dans l'alimentation et l'agriculture.
Premièrement, s'agissant du PAM, les contributions de la France étaient tombées au plus bas en 2018. À l'occasion de l'exercice 2018, les contributions françaises s'élevaient ainsi à 17,4 millions d'euros au titre de l'AAP et de 100 000 euros au titre des contributions volontaires de NUOI contre respectivement 92 et 75 millions d'euros en 2023. Ce faible montant excluait la France du groupe des principaux contributeurs et réduisait considérablement son influence au sein des instances de gouvernance du PAM.
L'effort financier consenti par la France auprès du PAM depuis 2022 lui a permis de rattraper une partie de ce retard en termes d'influence. Compte tenu d'un financement reposant quasi intégralement sur des contributions volontaires fléchées, la position de donateur important offre de facto un contact privilégié avec l'agence et une plus forte influence sur l'élaboration de ses politiques ou la conduite de ses opérations.
D'une part, la France a pu mobiliser les mécanismes de fléchage des contributions pour orienter son aide au sein de l'organisation. Les contributions NUOI fléchées vers des programmes pays ou des projets transversaux, comme l'alimentation scolaire, le sont de façon souple pour laisser au PAM une marge de manoeuvre dans leur déploiement.
Les mécanismes de fléchage sont en effet une contrainte pour les organisations internationales qui peuvent avoir des difficultés à financer les programmes les moins attractifs pour les donateurs, comme les questions de prévention50(*).
Une part de la contribution française, à hauteur de 7 millions d'euros, est toutefois directement fléchée vers le compte d'intervention immédiate (CII) du PAM. Ce dispositif constitue une forme de réserve de crise du PAM lui permettant de mobiliser rapidement des ressources en cas de crise soudaine et dans l'attente de financements additionnels de ses contributeurs. Un financement français de 7 millions d'euros est aussi affecté au Service aérien humanitaire des Nations Unies (UNHAS).
D'autre part, la progression de la France dans le classement des contributeurs lui a obtenu une place plus importante dans les instances de gouvernance. Le nouvel accord de rotation des États au Conseil d'administration du PAM, fixé pour neuf ans à compter de 2024, a traduit cette progression. Les sièges au Conseil d'administration se répartissent au sein de plusieurs listes d'États membres : A, BI, BII et C pour les pays en développement et D et E pour les pays développés. Au sein de la liste D, dans laquelle figure la France, les cinq plus gros donateurs, à savoir les États-Unis, l'Allemagne, le Canada, le Royaume-Uni et la Suède, siègent tout au long des neuf ans de l'accord au conseil. La France a pu négocier d'y siéger sept ans sur neuf, contre quatre ans sur douze lors du précédent accord.
Classement des principaux donateurs du PAM en 2022
(en millions de dollars)
Source : commission des finances d'après les données publiées par le PAM
Cette remontée de l'influence française au sein du PAM doit toutefois être relativisée. Sur le plan financier, la France demeure loin derrière les principaux contributeurs. Les auditions d'Action contre la Faim et d'ACTED, organismes opérateurs tant de l'aide française que du PAM, ont confirmé que les financements français représentaient une « goutte d'eau dans l'océan ». En 2022, la contribution de l'Allemagne était ainsi dix fois supérieure à celle de la France. Celle du Royaume-Uni, puissance dotée de l'arme nucléaire et membre du Conseil de sécurité des Nations unies comme la France, était deux fois plus conséquente.
Deuxièmement, au sein de la FAO, l'influence française sur la gouvernance de l'institution apparaît moins évidente. Le modèle de financement sur contributions obligatoires limite l'effet levier des contributions volontaires.
Ainsi, lors du dernier renouvellement de la direction de la FAO, une candidate française au poste de directeur général a perdu la désignation au profit de l'actuel directeur, M. Qu Dongyu, candidat chinois.
Troisièmement, l'investissement financier de la France lors de la 13eme reconstitution de fonds du Fonds international de développement agricole a été déterminant. Elle a adopté, en partenariat avec l'Angola, le rôle de « champions » de la reconstitution de ce fonds en annonçant précocement une contribution de 150 millions d'euros.
Au-delà de ces contributions directes aux organisations spécialisées des Nations unies, les initiatives multilatérales de la France ont pu également constituer un levier d'influence.
L'initiative européenne « Mission pour la résilience alimentaire et agricole » (FARM) a permis à la France d'approfondir ses relations avec les organisations spécialisées de l'ONU. Concernant le PAM, la mise en oeuvre du pilier II de FARM a conduit la France à augmenter de manière significative son financement à l'organisation. La contribution de la France au PAM en lien avec FARM s'élevait à 197 millions d'euros. Cette contribution additionnelle a permis, d'une part, l'acheminement de céréales ukrainiennes vers des pays vulnérables et, d'autre part, la constitution de réserves stratégiques dans les pays les plus menacés par les crises alimentaires. De même, l'investissement de la France dans la Coalition mondiale pour l'alimentation scolaire lui a permis d'être clairement identifiée par ses partenaires sur cette thématique majeure de la sécurité alimentaire.
Néanmoins, vos rapporteurs notent que, si ces initiatives vertueuses ont conduit à une plus grande identification de la France sur les questions de sécurité alimentaire, il apparaît nécessaire de souligner certains écueils propres à ces dispositifs multilatéraux.
D'une part, ils interviennent dans un contexte de multiplication des coalitions, initiatives et fonds multilatéraux en matière d'aide et de sécurité alimentaires. Les rapporteurs incitent à limiter la prolifération de nouvelles structures. Cette évolution participe à une dispersion de l'aide internationale et nourrit un risque de saupoudrage des contributions multilatérales de la France. Le suivi pluriannuel des contributions françaises s'en trouve complexifié.
D'autre part, dans une logique de rationalisation de la gouvernance internationale de l'aide et de la sécurité alimentaires, il importe que ces nouvelles initiatives et structures s'appuient sur des organisations existantes. À cet égard, adosser le pilier II de FARM sur le PAM et le pilier III sur le FIDA illustre une bonne pratique qu'il paraît nécessaire de pérenniser pour limiter la création de nouvelles structures de gestion administrative.
b) Au-delà du seul levier financier, la France dispose d'atouts certains au sein du système onusien de l'agriculture et de l'alimentation
Sortant du prisme des contributions, la France peut également mettre en avant certains atouts au sein du système onusien de la sécurité alimentaire.
Il s'agit notamment de la possibilité de soutenir l'intégration d'experts français au sein des organisations internationales. D'une part, le dispositif des experts techniques internationaux (ETI) permet de mettre à disposition des organisations internationales un appui technique et de conseil. Les ETI sont sélectionnés et suivis par Expertise France. Cinq ETI sont actuellement déployés dans des activités relevant de la sécurité alimentaire selon expertise France dont un conseiller agriculture, climat et biodiversité au sein de la FAO. De plus, trois ETI sont en cours d'instruction et six en cours de publication. Cette projection d'experts français à l'international permet, tout en soutenant leurs organisations d'accueil, de promouvoir les priorités stratégiques françaises. Ainsi, parmi les futurs postes d'ETI figurent un poste d'« expert Coalition mondiale pour l'alimentation scolaire » et un expert nutrition, tous deux au sein du PAM, au siège et en bureau pays. D'autre part, les dispositifs des jeunes experts associés (JEA) et des volontaires des Nations unies (VNU) peuvent également être mobilisés.
En outre, la France peut valoriser sa propre expertise logistique et opérationnelle dans l'acheminement et la distribution de l'aide alimentaire. Dans cette perspective, l'expérience acquise par le centre de crise et de soutien du ministère de l'Europe et des affaires étrangères constitue une plus-value certaine par rapport aux autres contributeurs. Cette démarche confirmerait l'investissement de la France, qui copréside un groupe des amis de la logistique et de la chaîne d'approvisionnement du PAM depuis juin 2024, dans cette thématique.
Des coopérations logistiques pourraient être ainsi envisagées avec le CDCS pour mutualiser avec le PAM les stocks humanitaires de la France prépositionnés dans les Outre-mer. Trois centres de stockage sont en effet localisés en Guadeloupe, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, à proximité des zones fréquemment touchées par des catastrophes. Une mise à disposition d'une partie de ces stocks au PAM permettrait à ce dernier d'élargir sa couverture, notamment dans l'Indopacifique.
De même, des bonnes pratiques de formation et de retours d'expérience devraient être encouragées entre les opérateurs français et les organisations internationales. L'Armée de l'air et de l'espace a organisé un retour d'expérience auprès de l'UNHAS après ses premiers largages humanitaires au-dessus de la Bande de Gaza.
Recommandation n° 10 : Encourager les coopérations opérationnelles et logistiques entre le centre de crise et soutien et le Programme alimentaire mondial (MEAE, CDCS).
Par ailleurs, les entreprises françaises disposent d'une expertise certaine en matière d'alimentation et de nutrition. À titre d'exemple, l'entreprise normande Nutriset, qui produit des aliments nutritionnels spécifiques, constitue un fournisseur essentiel pour le Programme alimentaire mondial. Les rapporteurs estiment que la promotion du savoir-faire français devrait être davantage valorisé auprès du PAM et des autres organisations spécialisées de l'ONU.
Recommandation n° 11 : Valoriser, auprès des organisations spécialisées de l'ONU, l'expertise des entreprises françaises en matière d'alimentation et de nutrition (MEAE).
2. Les efforts engagés pour encourager la redevabilité des organisations internationales en matière de sécurité alimentaire doivent être poursuivis
L'exigence de redevabilité des contributions internationales versées par la France est consubstantielle à la nature de cette aide multilatérale. Lorsqu'un État finance l'action de telles organisations, il externalise une partie de son action extérieure. Cette délégation d'une politique publique est plus complexe à valoriser pour les autorités nationales auprès de leurs citoyens-contribuables comme des bénéficiaires finaux. Les mécanismes de redevabilité poursuivent en ce sens un double objectif de contrôle du bon usage des deniers publics et de valorisation de l'action publique déléguée à des organisations internationales.
Les ambassadeurs et membres des représentations permanentes d'États membres rencontrés par vos rapporteurs lors de leur déplacement à Rome (Brésil, Maroc et Suisse) leur ont confirmé l'activisme de la France au sein des instances de gouvernance pour contrôler la conformité des actions menées par les différentes organisations avec ses priorités. Au travers de sa représentation permanente, la France encourage le renforcement des dispositifs de redevabilité et la publicité des travaux d'évaluation. À titre d'exemple, au niveau de l'OAA/FAO, la France a ainsi exigé, avec un succès limité, la publication sur le site de l'organisation des accords-cadres bilatéraux conclus avec les pays bénéficiaires.
L'action de la représentation permanente de la France auprès des Nations unies à Rome est déterminante. Seuls 25 États disposent aujourd'hui d'une représentation permanente distincte de leur ambassade en Italie. Outre les pays dits « du P5 » (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie), il s'agit en majorité des grands contributeurs aux organisations des Nations unies.
Les efforts de la représentation sont soutenus, au niveau central, par l'équipe de NUOI consacrée aux contritions volontaires. Cette dernière comprend douze personnes dont deux plus spécifiquement chargées du suivi des contributions en matière de sécurité alimentaire. À cette équipe s'ajoute la « cellule redevabilité » mise en place à la suite des recommandations de nos collègues Vincent Delahaye et Rémi Féraud51(*). Leur rapport sur les contributions internationales de la France avait en effet souligné la nécessité de disposer, en interministériel, d'une structure permettant la mise en commun des données budgétaires relatives aux contributions et d'analyser leur cohérence au regard des objectifs poursuivis par la France.
Au niveau du PAM, les moyens d'audit, de suivi de la performance et d'évaluation sont particulièrement poussés. La publication de rapports pays est complétée par des évaluations transversales et des rapports de redevabilité sur les contributions fléchées. Si la France est particulièrement investie sur cette question, vos rapporteurs notent que cette culture de la redevabilité du PAM tient particulièrement à son modèle de financement dépendant de contributions volontaires.
Au niveau de l'OAA/FAO, les efforts de transparence de la France et d'autres bailleurs rencontrent moins de succès. Un rapport du corps commun d'inspection des Nations unies consacré à cette organisation52(*) et publié fin 2023 a ainsi souligné les dysfonctionnements administratifs qui perdurent en son sein. Tout d'abord, le rapport a souligné le manque de transparence budgétaire de la FAO. Les programmes budgétaires ne détaillent pas la ventilation des crédits entre les différentes actions et les effectifs consacrés. L'indépendance des services de déontologie et des services d'audit interne et d'évaluation, ensuite, semble très insuffisante, ce qui compromet l'objectif de redevabilité de son action. Enfin, la gestion des ressources humaines de l'organisation paraît largement hasardeuse, compte tenu d'un taux de vacance des postes supérieur à 20 %. Afin de davantage peser sur cette problématique, la représentation permanente de la France a oeuvré à revitaliser le « groupe de Genève », une enceinte de coordination rassemblant les principaux contributeurs affinitaires sur les questions de gouvernance.
Recommandation n° 12 : Poursuivre les efforts de redevabilité et de transparence au sein des organisations spécialisées des Nations unies, en particulier au sein de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (OAA/FAO) (Représentation permanente de la France auprès des Nations unies à Rome).
Il importe néanmoins de souligner, comme l'ont rappelé les auditions menées par vos rapporteurs auprès des organismes de la société civile et des services de la représentation permanente de la France à Rome, que le risque zéro constitue un objectif inatteignable en matière de contrôle de l'aide alimentaire. Cette dernière intervient dans des zones de crises où la situation sécuritaire est particulièrement dégradée et où les autorités locales n'assurent plus les fonctions régaliennes. À titre d'illustration, en juin 2023, le PAM a pris la décision, conjointement avec l'Agence américaine du développement international (USAID), de suspendre ses activités d'aide alimentaire en Éthiopie en raison d'un détournement massif de l'aide dans la région du Tigré.
3. Une amélioration de la coordination européenne semble nécessaire mais paraît difficilement atteignable
Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a souligné auprès de vos rapporteurs la nécessité de progresser, au sein du système onusien de l'alimentation et de l'agriculture, dans la coordination de l'action européenne. Si les États membres de l'Union européenne ont chacun des orientations spécifiques en matière d'aide alimentaire, la mise en commun de leur influence leur permettrait de peser davantage face aux autres contributeurs. Hors États-Unis, l'UE et ses États-membres combinés sont en effet le principal contributeur du PAM avec un total de 2,6 milliards de dollars de contributions en 2023.
Or, actuellement, la coordination européenne au sein des organisations spécialisées de l'ONU à Rome est très largement perfectible. À titre d'illustration, la représentation permanente française ne dispose pas en amont du montant des contributions des autres États européens ni de l'orientation de leurs contributions fléchées. Elle doit s'appuyer sur les organisations bénéficiaires elles-mêmes pour obtenir des informations consolidées.
Place des contributions combinées de la
Commission européenne
et des États membres sur les quinze
principaux contributeurs du PAM en 2022
(en millions de dollars)
Source : commission des finances, d'après les données du PAM
Au sein du PAM, l'idée avait été émise par la France, au cours des négociations du dernier accord de répartition des sièges du Conseil d'administration, d'une plus grande mobilisation des contributions de l'Union européenne. Cette mobilisation se serait traduite par une répartition d'une partie de la contribution de la Commission européenne au PAM entre les États membres sous la forme d'une quote-part calculée selon leur participation au budget de l'Union. Ce « bonus européen » aux contributions des États membres leur permettrait de peser davantage au sein du PAM notamment.
Part des contributions des États membres de l'Union européenne au PAM en 2023
(en pourcentage et en milliards d'euros)
Source : commission des finances d'après les données du PAM
Vos rapporteurs approuvent cette volonté du ministère de l'Europe et des affaires étrangères de se saisir du canal européen mais voient dans le positionnement de l'Allemagne, contributeur majeur au système onusien, la principale limite à cette initiative. La disproportion entre les contributions volontaires de l'Allemagne et celles de ses partenaires européens en matière d'aide alimentaire la place en position de force et ne l'incite en rien à une mutualisation des contributions européennes. Plus de 64 % du total des contributions européennes au PAM (hors Commission) sont ainsi versées par l'Allemagne contre moins de 9 % par la France.
Recommandation n° 13 : Plaider auprès de nos partenaires européens et de la Commission européenne pour que la contribution de l'UE au PAM soit répartie entre les États membres, sous la forme d'une quote-part calculée selon leur participation au budget de l'Union et qui serait reportée sur la contribution de chaque État à ces organisations (MEAE, représentation permanente de la France auprès des Nations unies à Rome).
* 50 Entretien avec Alexander Jones, Directeur de la Division mobilisation des ressources de la FAO.
* 51 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur les contributions de la France au financement des organisations internationales, par MM. Vincent DELAHAYE et Rémi FERAUD, sénateurs, janvier 2022.
* 52 Corps commun d'inspection des Nations unies, Examen de la gestion et de l'administration de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, 2023.