B. L'AIDE ALIMENTAIRE DE LA FRANCE EST DISPERSÉE ENTRE SES DIFFÉRENTS CANAUX D'AIDE HUMANITAIRE
L'aide alimentaire apportée par la France relève essentiellement d'une aide humanitaire. Selon le Centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, l'aide humanitaire vise à « assurer l'assistance et la protection des personnes vulnérables et à répondre aux besoins fondamentaux des populations affectées par une catastrophe naturelle ou un conflit ». Ces besoins fondamentaux regroupent l'accès à l'eau, à des soins médicaux ou à la nourriture.
L'aide alimentaire de la France se déploie donc au travers des différents instruments de gestion et de sortie de crise qui mobilisent tant le canal bilatéral que le canal multilatéral et le canal européen.
1. L'aide alimentaire programmée, « noyau dur » de la réponse française à l'insécurité alimentaire
Depuis 1999, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères dispose d'un instrument spécifiquement dédié à la lutte contre l'insécurité alimentaire : l'aide alimentaire programmée. Cet outil, qui relève du programme 209 « Solidarité avec les pays en développement » de la mission « Aide publique au développement », est géré par la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international. Sa création poursuivait un objectif de centralisation de cette aide au sein d'une même ligne budgétaire, notamment afin d'éviter un effet de « saupoudrage », et de visibilisation de l'aide alimentaire. À cet égard, les dépenses de l'AAP visent à s'inscrire dans le cadre de comptabilisation de la convention de Londres. Le budget de l'AAP inscrit dans la loi de finances initiale pour 2024 s'établit à 225 millions d'euros, soit une augmentation conséquente, de l'ordre de 32 %, par rapport à l'exercice précédent.
En dépit de l'absence d'un document fixant précisément son mandat, deux cibles principales ont été fixées à l'AAP, en cohérence avec les objectifs de l'aide humanitaire de la France, par la Stratégie internationale de la France pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l'agriculture durable précitée.
D'une part, 50 % des financements de l'AAP doivent être consacrés à la nutrition. Cette thématique constitue une priorité de l'aide alimentaire française. Dans une perspective d'urgence et de résilience, les projets AAP sont plus spécifiquement axés sur la sous-nutrition et les publics les plus vulnérables. Ces derniers recouvrent les femmes enceintes et allaitantes et les enfants de moins de deux ans, âge qui correspond à la période dite des « mille jours », jugée cruciale pour la croissance et le développement physiques. En 2023, 58 % des financements de l'AAP ont été consacrés à la thématique de la nutrition.
D'autre part, 50 % des financements de cet instrument doivent être dirigés vers les « pays prioritaires » de l'APD française. Les conclusions de la réunion de 2013 du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), instance de coordination et direction de notre politique de développement, ont en effet fixé une liste de 19 « pays prioritaires » vers lesquels les efforts français doivent être concentrés. Il s'agit, pour 18 d'entre eux dont Madagascar, de pays africains23(*). La loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales a repris la notion de pays prioritaires. Cet objectif est considéré comme étant rempli pour 2023 par le ministère puisque 72 % des financements de l'AAP se sont concentrés sur les « pays les moins avancés » (PMA), nomenclature ayant remplacée en 2023 la liste des 19 pays prioritaires.
Principales orientations géographiques de l'aide alimentaire programmée en 2023
(en millions d'euros et en crédits de paiement)
Zone géographique |
Montant de l'aide |
Afrique |
114,35 millions d'euros |
...dont Sahel |
31,75 millions d'euros |
...dont Éthiopie |
13 millions d'euros |
...dont Somalie |
7,25 millions d'euros |
...dont Soudan du Sud |
8,25 millions d'euros |
Afrique du Nord/Moyen-Orient |
21,70 millions d'euros |
...dont Yémen |
7,20 millions d'euros |
...dont Syrie |
6 millions d'euros |
...dont Liban |
4 millions d'euros |
Asie |
12,75 millions d'euros |
...dont Afghanistan |
5,5 millions d'euros |
Amériques/Caraïbes |
13 millions d'euros |
...dont Haïti |
8,5 millions d'euros |
Europe continentale (Ukraine) |
8 millions d'euros |
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
S'agissant du champ d'intervention matériel de l'AAP, les projets qu'elle finance peuvent relever de trois grandes catégories :
- les projets d'aide alimentaire d'urgence, qui correspondent à une assistance alimentaire d'urgence, par des transferts financiers ou en nature, aux populations touchées par une crise alimentaire ;
- les projets luttant contre la malnutrition, qui s'inscrivent dans des actions de prévention et de sensibilisation à la nutrition. Ce type de projets est essentiellement destinés aux publics les plus vulnérables des enfants et des femmes enceintes et allaitantes ;
- les projets soutenant un retour à l'autonomie et à la résilience par une reconstitution des moyens de production agricole et d'un soutien aux communautés rurales.
La typologie des projets financés par l'AAP correspond ainsi aux deux premières phases temporelles de la réponse aux crises alimentaires : l'urgence alimentaire et la résilience.
Si l'AAP est pilotée, au sein de la direction générale la mondialisation, par la sous-direction des droits de l'homme et des affaires humanitaires (dite sous-direction HUMA), l'identification et la gestion des projets s'opère au niveau des ambassades. Les services de coopération et d'action culturelle (SCAC) ou les attachés humanitaires au sein des postes sont chargés du suivi de l'instrument AAP. Les propositions de financement identifiées sont remontées à l'administration centrale, revues par les sous-direction compétente et arbitrés, jusqu'il y a peu, par le comité interministériel de l'aide alimentaire (CIAA).
Afin de garantir une gestion souple en cours d'année, les projets financés par l'AAP sont sélectionnés en trois tranches temporelles : une première entre janvier et mars (pour 60 % des projets), une deuxième entre mai et juillet (30 % des projets) et une troisième entre août et septembre (10 % des projets).
Sur le plan opérationnel, l'aide alimentaire programmée peut être mise en oeuvre au travers de différents opérateurs. Une majorité des financements est versée des organisations internationales comme le Programme alimentaire mondial (PAM), le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) ou l'UNICEF, ou à une organisation sui generis, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Les organisations de la société civile (OSC) reçoivent également une part substantielle de ces financements.
2. Les autres canaux de gestion et de sortie de crises du MEAE comme de l'AFD contribuent de manière croissante à l'aide alimentaire française
Premièrement, le Fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation (FUHS) intervient de manière croissante en matière d'aide alimentaire. Le FUHS constitue l'instrument de réaction rapide du ministère de l'Europe et des affaires étrangères face aux crises humanitaires. La gestion et le suivi de ce fonds est assurée par le centre des opérations humanitaires et de stabilisation (COHS) du Centre de crise et de soutien du MEAE.
Son positionnement de gestion et de sortie de crises conduit le CDCS à intervenir fréquemment en matière d'alimentation et de nutrition. Disposant d'une procédure de décaissement d'urgence, le FUHS peut être mobilisé rapidement dans des contextes de crise humanitaire où les besoins en termes d'alimentation sont généralement élevés.
La progression constante des crédits du FUHS depuis 2015 s'est accompagnée d'une augmentation mécanique de la part de cette enveloppe mobilisée pour financer des projets en matière d'aide alimentaire. À cet effet en volume, s'est ajoutée une extension du mandat du CDCS et par suite, du FUHS, aux actions de stabilisation et de résilience. Initialement désigné « Fonds d'urgence humanitaire », l'instrument a ainsi vu sa dénomination complétée en 2021, pour intégrer une dimension de stabilisation.
Sur l'exercice 2023, les financements relevant de l'aide alimentaire identifiés au sein du FUHS recouvraient 47 projets pour un montant de 47,8 millions d'euros, soit environ 17 % de l'enveloppe totale du FUHS.
Part des financements d'aide alimentaire au sein
du FUHS
depuis 2015 en exécution budgétaire
(en millions d'euros et en crédits de paiement)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et les réponses au questionnaire de contrôle
Troisièmement, les contributions volontaires aux Nations unies, pilotées par la direction des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'homme et de la francophonie (NUOI) constituent désormais un des vecteurs principaux de l'aide humanitaire de la France. Sur l'exercice 2023, les contributions volontaires aux Nations unies ont représenté un total de 451,3 millions d'euros de crédits de paiement. L'ensemble de cette enveloppe ne contribue exclusivement ni à l'aide humanitaire ni à l'aide alimentaire. Toutefois c'est sur cette enveloppe que la France contribue aux acteurs de l'aide alimentaire mondial.
Le principal opérateur d'aide alimentaire internationale, le PAM, est ainsi financé à hauteur de 75 millions d'euros par les crédits mis en oeuvre par NUOI en 2023, soit 16,6 % du total des contributions volontaires aux Nations unies (CVNU).
Par ailleurs, la provision pour crises majeures, instrument de souplesse budgétaire du Quai d'Orsay, abonde régulièrement des actions d'aide alimentaire en cours de gestion. Intervenant en complément des autres instruments d'aide humanitaire, la provision pour crises majeures est une réserve d'urgence inscrite au sein du programme 209 depuis 2022. Elle permet d'abonder des lignes budgétaires existantes, en premier lieu l'aide alimentaire programmée, le Fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation et les contributions volontaires aux Nations unies, pour faire face à des engagements humanitaires ou sanitaires imprévus sans nécessité de demander l'ouverture de nouveaux crédits en cours de gestion.
Dotée de 22,4 millions d'euros lors de sa création en 2022, la provision pour crises majeures a vu son montant bondir à 270 millions d'euros pour l'exercice 2023. Selon le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, sur un total de 235 millions d'euros exécutés sur ce même exercice, 35,9 millions d'euros ont permis de financer des projets d'aide alimentaire, dont :
- un financement de 5 millions d'euros à destination du Soudan au titre de l'aide alimentaire programmée ;
- un abondement de 13,9 millions sur dix projets du FUHS en matière d'aide alimentaire ;
- une contribution volontaire additionnelle au Programme alimentaire mondial de 17 millions d'euros, répartis entre 10 millions d'euros fléchés vers les Territoires palestiniens et 7 millions d'euros vers l'Ukraine.
Au total, la combinaison des crédits de l'aide alimentaire programmée et des crédits consacrés à l'aide alimentaire au sein du FUHS et des CVNU permettent d'obtenir une première évaluation du total de l'aide française. Cet exercice suppose toutefois, compte tenu de la dispersion de l'aide entre différents instruments dont les mandats excèdent le champ de l'alimentation de se reposer sur des données en exécution.
Aide alimentaire
mise en oeuvre par les canaux d'aide humanitaire
du ministère de
l'Europe et des affaires étrangères en 2023
(en millions d'euros et en pourcentage)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires et les réponses au questionnaire de contrôle
Pour compléter ces actions d'aide alimentaire menées par le MEAE au titre de ses trois instruments d'aide humanitaire, l'Agence française de développement (AFD) peut également mobiliser des financements afin d'intervenir en zones de crises sur des actions en faveur de la sécurité alimentaire.
En effet, si l'AFD intervient essentiellement dans un contexte de développement, elle dispose depuis 2017 d'un instrument dédié à la consolidation de la paix dans les zones de conflits. Le Fonds Paix et Résilience Minka ou Fonds Minka permet ainsi à l'agence de financer des projets dans les zones de crises. Il se décline entre quatre initiatives correspondant aux grandes zones de conflictualité où l'insécurité alimentaire est systématique : l'initiative Minka Sahel, l'initiative Minka Lac Tchad, l'initiative Minka RCA et l'initiative Minka Moyen-Orient. Pour l'exercice 2024, les crédits alloués au Fonds représentent un total de 200 millions d'euros.
L'AFD ne dispose toutefois pas d'indicateur spécifique à l'aide alimentaire au sein des dispositifs de redevabilité des projets financés par le Fonds Minka. Une estimation approximative du montant de l'aide alimentaire relevant de ce dispositif peut être néanmoins assurée en retenant les financements mis en oeuvre par la division technique « Agriculture, développement durable et biodiversité » de l'AFD. Les projets portés par cette division regroupent 422,6 millions d'euros, soit 35 % du total de l'enveloppe du Fonds Minka sur la période 2017-2022. Dans ce cadre, les projets d'aide alimentaire de l'AFD permettent :
- un appui au développement rural dans les zones de crises, par un appui à la gouvernance locale ou des investissements dans les infrastructures agricoles ;
- un appui au secteur agricole et pastoral, notamment au travers d'apports en intrants agricoles et d'amélioration de la productivité et de la qualité ;
- une atténuation et une préparation aux crises, par exemple grâce à des projets d'adaptation des territoires, d'alimentation scolaire et d'autres types de protection sociale.
Par ailleurs, au travers des appels à projets de la délégation pour les collectivités territoriales et la société civile (DCTCIV)24(*) et de leurs propres capacités de subvention25(*), les collectivités territoriales peuvent également intervenir en matière d'aide alimentaire. À titre d'exemple, la DCTCIV a ouvert en 2023 un appel à projets « Sécurité alimentaire et coopération décentralisée » visant à cofinancer des initiatives de collectivités françaises en faveur de la sécurité alimentaire.
L'ensemble de ces dispositifs illustre la forte contribution des outils de l'aide humanitaire à l'aide alimentaire de la France. Le total des financements alloués par ces différents instruments permet à la France de largement excéder ses engagements auprès de la convention de Londres. Pourtant, la dispersion des crédits de l'aide alimentaire d'urgence et de résilience complexifie la visibilité de l'aide française.
L'action de l'Union européenne en matière d'aide alimentaire
Au travers de sa contribution au budget de l'Union européenne, la France participe au financement de l'aide alimentaire versée par la Commission européenne dans le cadre ses actions d'aide humanitaire. L'Union européenne s'est en effet positionnée comme un des premiers donateurs d'aide alimentaire avec plus d'un milliard d'euros consacré à cette politique en 2023. Ce montant représente environ 28 % de l'aide humanitaire de l'Union. Si plus d'un quart de l'aide alimentaire européenne a été consacré aux « crises oubliées », les premiers bénéficiaires demeuraient en 2022 similaires aux principaux destinataires de l'aide internationale, à savoir l'Afghanistan, le Soudan et le Yémen.
L'aide alimentaire de l'Union relève de l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (NDICI) dont l'enveloppe s'élève à 79,5 milliards d'euros dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027. Les projets financés peuvent relever tant de l'assistance alimentaire d'urgence, que du développement agricole, de la nutrition et de la santé et du renforcement des systèmes agroalimentaires.
De 2020 à 2024, l'UE a investi près de 18 milliards d'euros dans la sécurité alimentaire et la nutrition. Avec les conséquences de la guerre en Ukraine et l'exacerbation des conflits en Afrique subsaharienne et au Proche-Orient, les enjeux de sécurité alimentaire occupent une place de plus en plus importante dans la coopération au développement européenne.
Au sein des services de la Commission européenne, l'aide alimentaire est pilotée par la direction générale ECHO (European Civil Protection and Humanitarian Aid Operations), chargée de l'aide humanitaire.
Au niveau du Conseil de l'Union européenne, le COHAFA (Council working party on Humanitarian Aid and Food Aid) assure un rôle de forum de dialogue entre les États membres. Si cette instance permet une circulation de l'information et des échanges sur les questions d'aide alimentaire, il ne s'agit toutefois pas d'une cellule de coordination de l'action des États membres et de l'Union. Par ailleurs, c'est le centre de crise et de soutien qui représente la France au sein de cette instance et non pas la sous-direction HUMA de la direction générale de la mondialisation.
Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire de contrôle
* 23 La liste de pays prioritaires a été revue par une réunion du CICID en février 2013 et comprenait, avant sa suppression par le CICID de 2023 : le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, les Comores, Djibouti, l'Éthiopie, la Gambie, la Guinée, Haïti, le Liberia, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Niger, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Sénégal, le Tchad et le Togo.
* 24 Anciennement délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales (DAECT).
* 25 Article L. 1111-5 du code général des collectivités territoriales : « Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en oeuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d'aide au développement ou à caractère humanitaire (...) ».