N° 725

SÉNAT

2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juillet 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l'aide alimentaire dans le cadre de l'aide publique au développement,

Par MM. Michel CANÉVET et Raphaël DAUBET,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

La commission des finances a examiné, le mercredi 10 juillet 2024, le rapport de MM. Michel Canévet et Raphaël Daubet, rapporteurs spéciaux de la mission « Aide publique au développement », sur l'aide alimentaire au sein de la politique de développement de la France.

I. L'AIDE ALIMENTAIRE, UNE POLITIQUE FRANÇAISE D'AIDE AU DÉVELOPPEMENT EN HAUSSE FACE À LA DÉGRADATION DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE MONDIALE

A. L'AIDE ALIMENTAIRE, PRINCIPALE RÉPONSE D'URGENCE FACE AUX CRISES ALIMENTAIRES DANS LE MONDE

Si l'aide alimentaire constitue une des parts les plus visibles de l'aide publique au développement, sa définition apparaît complexe, tant sur le plan du contenu et des formes que peut prendre ce type d'aide qu'au regard de son articulation avec le nexus crise-résilience-développement.

Il est toutefois possible d'appréhender l'aide alimentaire comme une action d'assistance alimentaire visant, à court terme, à garantir l'accès à une alimentation suffisante et sûre en période de crise alimentaire et, à moyen et long termes, à renforcer la résilience des populations des pays affectés par l'insécurité alimentaire. Elle peut prendre la forme d'une aide en nature, au travers de livraisons directes de denrées alimentaires, ou de transferts financiers et de bons alimentaires. Dans un contexte de « transition de l'aide vers l'assistance alimentaire »1(*), les organisations internationales et les bailleurs nationaux tendent désormais à privilégier les transferts financiers.

Selon les dernières données rendues disponibles par les Nations unies2(*), entre 691 et 783 millions de personnes dans le monde ont souffert de la sous-alimentation en 2022. Cette estimation, dont la moyenne se situe à 735 millions de personnes, représente une très forte progression de la faim dans le monde depuis la pandémie.

Évolution de la population mondiale affectée par la sous-alimentation
entre 2015 et 2022

(en millions de personnes et en pourcentage)

Source : commission des finances, d'après les données des Nations unies

Répartition de la population en sous-alimentation
selon les zones géographiques entre 2015 et 2022

(en millions de personnes)

Note : les données relatives à l'Amérique du Nord et l'Europe ne sont pas disponibles

Source : commission des finances, d'après les données des Nations unies

En réponse à la multiplication des crises alimentaires, les flux internationaux d'aide alimentaire ont largement progressé depuis le début des années 2010. Selon l'OCDE, l'aide alimentaire représenterait 32 % du total des flux mondiaux d'aide publique au développement (APD) sur la période 2016-2021. La comptabilisation de l'aide alimentaire demeure toutefois un exercice délicat. Deux instances internationales, l'OCDE et la Convention de Londres pour l'assistance alimentaire assurent un recensement des contributions d'aide alimentaire.

B. UNE PRISE EN COMPTE RÉCENTE DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE DANS L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT DE LA FRANCE

Depuis 2019, dans le cadre de son réinvestissement dans sa politique de développement, la France a progressivement renforcé ses versements en matière d'aide alimentaire. Cette évolution correspond à un double objectif politique et humanitaire de renforcement de notre influence au sein des instances multilatérales et d'assistance aux populations menacées.

Les financements de l'aide alimentaire programmée (AAP)3(*), « noyau dur » de l'aide alimentaire française, ont été multiplié par 6,5 sur dix ans, illustrant l'investissement croissant de la France dans ce domaine. Deux facteurs ont ainsi contribué à la forte augmentation des crédits de l'aide alimentaire : l'accroissement généralisé de l'aide humanitaire de la France et le contexte géopolitique dégradé entre 2020 et 2022.

Évolution des financements de l'aide alimentaire programmée
entre 2014 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

L'action de la France en faveur de la sécurité alimentaire internationale peut constituer un vecteur utile de sa politique étrangère et de son influence dans le monde. Il importe par conséquent de valoriser la visibilité de l'aide alimentaire française, tant dans son volume que dans la souplesse de ses instruments de mise en oeuvre.

II. DISPERSÉE ENTRE LES DIFFÉRENTS CANAUX DE L'AIDE HUMANITAIRE, L'AIDE ALIMENTAIRE DE LA FRANCE NÉCESSITERAIT UNE CLARIFICATION DE SES INSTRUMENTS

A. L'ABSENCE D'UN « GUICHET UNIQUE » POUR L'AIDE ALIMENTAIRE FRANÇAISE

L'aide alimentaire versée par la France transite essentiellement par ses canaux d'aide humanitaire : l'aide alimentaire programmée, pilotée par la direction générale de la mondialisation du MEAE, le Fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation (FUHS) du centre de crise et de soutien (CDCS) et les contributions volontaires aux Nations unies. Toutefois, seule l'AAP est uniquement concentrée sur l'aide alimentaire.

L'éclatement de l'aide alimentaire française rend difficile une évaluation précise du montant total de la contribution de la France à la lutte contre les crises alimentaires dans le monde.

La combinaison des crédits de ces trois instruments permet d'obtenir une évaluation, sans doute incomplète, du total de l'aide alimentaire d'urgence de la France.

Aide alimentaire mise en oeuvre par les canaux d'aide humanitaire
du ministère de l'Europe et des affaires étrangères en 2023

(en millions d'euros et en pourcentage)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
et les réponses au questionnaire de contrôle

Il n'existe actuellement aucune formalisation des mandats respectifs des différents instruments intervenant en matière d'aide alimentaire, particulièrement s'agissant de l'AAP et du FUHS. Or l'augmentation des enveloppes respectives de l'AAP et du fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation (FUHS), combiné à un élargissement du mandat de ce dernier, renforce les risques de chevauchement.

En une décennie (2014-2024), les crédits de l'AAP ont été multipliés par cinq et ceux du FUHS par douze. Or, les terrains d'interventions et les opérateurs financés par les différents instruments sont similaires. En l'absence de guichet unique, les opérateurs de la société civile peinent à distinguer les différents canaux de financement.

B. CLARIFIER ET MIEUX COORDONNER LES DIFFÉRENTS CANAUX D'AIDE ALIMENTAIRE

La coordination au niveau central paraît insuffisante depuis la suppression du comité interministériel de l'aide alimentaire (CIAA) en 2023, alors même que sa revalorisation était, au contraire, recommandée par une évaluation demandée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE). Cette suppression exclut de facto un dialogue stratégique efficace avec les acteurs extérieurs au MEAE, en premier lieu l'AFD, en matière d'aide alimentaire. Or, au-delà de l'aide alimentaire d'urgence et de stabilisation, les instruments d'aide au développement permettent de renforcer la sécurité alimentaire.

Schéma d'intervention des canaux de gestion
et de sortie de crise en matière d'aide alimentaire

Liste des abréviations : organisations internationales (OI), organismes de la société civile (OSC), programme alimentaire mondial (PAM).

Source : commission des finances

III. EN DÉPIT D'UN FORT RÉINVESTISSEMENT FINANCIER, L'INFLUENCE FRANÇAISE DEMEURE LIMITÉE AU SEIN DU SYSTÈME INTERNATIONAL DE SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

A. UN IMPORTANT RÉINVESTISSEMENT MULTILATÉRAL DE LA FRANCE EN MATIÈRE D'AIDE HUMANITAIRE

Sur la période 2018-2023, le montant des contributions françaises en matière de sécurité alimentaire a été multipliée par trois. Le MEAE évalue le total des contributions multilatérales contribuant à la sécurité alimentaire, toutes missions budgétaires confondues, à 252,93 millions d'euros en 2023.

La France s'est, par ailleurs, particulièrement investie dans des initiatives multilatérales, à l'image de l'initiative européenne « Mission pour la résilience alimentaire et agricole » (dite FARM)4(*), en réaction à l'agression russe contre l'Ukraine, et de la Coalition pour l'alimentation scolaire dont elle assure la coprésidence.

Évolution des contributions multilatérales de la France
en matière de sécurité alimentaire entre 2018 et 2023

(en millions d'euros et en crédits de paiement)

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire de contrôle

Le recours aux organisations internationales en matière d'aide alimentaire présente des avantages certains par rapport à l'aide bilatérale. En effet, elles disposent d'une expertise technique certaine et d'une forte capacité de mobilisation des bailleurs internationaux. Trois organisations spécialisées des Nations unies interviennent en matière de sécurité alimentaire : l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (OAA/FAO), organisation généraliste, le Programme alimentaire mondial (PAM), centré sur l'aide alimentaire d'urgence, et le Fonds international pour le développement agricole (FIDA), institution financière.

Au sein des organisations internationales, le PAM constitue le principal opérateur international d'assistance alimentaire. Il dispose, au sein du système onusien, d'une expertise unique en matière de logistique et d'approvisionnement. Son financement reposant uniquement sur des contributions volontaires, les exigences de redevabilité sont particulièrement développées par cet organisme. 

B. LE MAINTIEN DE CONTRIBUTIONS ÉLEVÉES, PRIX DE L'INFLUENCE FRANÇAISE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

L'augmentation par la France de ses contributions volontaires a permis de mettre un frein au recul de son influence au sein de organisations des Nations unies spécialisées dans l'alimentation et l'agriculture. S'agissant du PAM, le fait que ses contributions soient tombées au plus bas en 2018 avait conduit de facto à exclure la France du groupe des principaux contributeurs et avait réduit considérablement son influence au sein des instances de gouvernance.

L'effort financier consenti par la France auprès du PAM depuis 2022 lui a permis de rattraper une partie de ce retard en termes d'influence. D'une part, tout en recourant de manière croissante au levier des contributions fléchées, la France conserve une part de contributions flexibles, particulièrement appréciées des organisations internationales. D'autre part, la hausse de sa participation au PAM lui a permis de rejoindre le conseil d'administration de l'organisation, aux côtés des principaux donateurs.

La progression continue de ses contributions au Programme alimentaire mondial, principal opérateur international de l'aide alimentaire, a permis à la France de maintenir son influence au sein du système onusien de la sécurité alimentaire.

Cette remontée de l'influence française au sein du PAM doit toutefois être relativisée. Sur le plan financier, la France demeure loin derrière les principaux contributeurs et fait figure de « goutte d'eau dans l'océan ».

Classement des principaux donateurs du Programme alimentaire mondial en 2022

(en millions de dollars)

Source : commission des finances d'après les données publiées par le PAM

Les rapporteurs estiment nécessaire de progresser en termes de coordination de l'action européenne, au sein du système onusien de l'alimentation et de l'agriculture. Hors États-Unis, l'UE et ses États membres combinés sont en effet le principal contributeur du PAM avec un total de 2,6 milliards de dollars de contributions en 2023. Cet objectif est néanmoins rendu plus complexe par la disproportion manifeste entre l'Allemagne et ses partenaires européens en termes de volume de contributions au système onusien.

LES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Mieux valoriser l'effort français en faveur de la lutte contre les crises alimentaires dans le monde :

Recommandation n° 1 : Faire apparaître, au sein du document de politique transversale dédié à la politique de développement, une synthèse de l'aide engagée par grande thématique, dont celle de la sécurité alimentaire (ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), direction générale de la mondialisation (DGM)).

Recommandation n° 2 : Consolider l'évaluation de l'aide alimentaire française pouvant être comptabilisée au titre de la convention de Londres, au-delà du seul instrument de l'aide alimentaire programmée (MEAE, DGM).

Recommandation n° 3 : Changer la dénomination de l'aide alimentaire programmée, éventuellement en « assistance alimentaire programmée », pour mieux refléter les évolutions de cet instrument et plus largement de cette politique d'aide internationale (MEAE, DGM).

Recommandation n° 4 : Dans le cadre de l'augmentation des crédits de l'aide humanitaire, maintenir le montant total d'aide alimentaire de la France, tant dans son volet bilatéral que dans son volet multilatéral (MEAE).

Clarifier et mieux articuler les instruments contribuant à l'aide alimentaire de la France :

Recommandation n° 5 : Formaliser et préciser les mandats d'intervention respectifs des différents instruments participant à l'aide alimentaire française, en premier lieu le fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation (FUHS) et l'aide alimentaire programmée (AAP) (DGM, centre de crise et de soutien (CDCS)).

Recommandation n° 6 : Envisager un rapprochement des procédures de sélection et de redevabilité des projets entre le FUHS et l'AAP (DGM, CDCS).

Recommandation n° 7 : Permettre à Expertise France de participer aux appels à projets de l'AAP (DGM).

Recommandation n° 8 : Assurer, au niveau de l'administration centrale, une véritable coordination de l'aide alimentaire associant le groupe Agence Française de Développement et ses filiales et prévoir une consultation annuelle des organismes de la société civile (MEAE, AFD).

Recommandation n° 9 : Évaluer les besoins en ressources humaines, au niveau central comme dans les postes diplomatiques, et transcrire les recrutements éventuels dans la programmation des 700 nouveaux ETP prévus au sein du ministère de l'Europe et des affaires étrangères d'ici à 2027 (MEAE, DGM, CDCS).

Poursuivre la démarche de soutien à l'influence française au sein des organisations internationales dans le domaine de la sécurité alimentaire :

Recommandation n° 10 : Encourager les coopérations opérationnelles et logistiques entre le centre de crise et soutien et le Programme alimentaire mondial (PAM) (MEAE, CDCS).

Recommandation n° 11 : Valoriser, auprès des organisations spécialisées de l'ONU, l'expertise des entreprises françaises en matière d'alimentation et de nutrition (MEAE).

Recommandation n° 12 : Poursuivre les efforts de redevabilité et de transparence au sein des organisations spécialisées des Nations unies, en particulier au sein de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (OAA/FAO) (Représentation permanente de la France auprès des Nations unies à Rome).

Recommandation n° 13 : Plaider auprès de nos partenaires européens et de la Commission européenne pour que la contribution de l'UE au PAM soit répartie entre les États membres, sous la forme d'une quote-part calculée selon leur participation au budget de l'Union et qui serait reportée sur la contribution de chaque État à ces organisations (MEAE, représentation permanente de la France auprès des Nations unies à Rome).

I. DANS UN CONTEXTE D'INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE MONDIALE AGGRAVÉ, LA FRANCE S'EST PLUS FORTEMENT ENGAGÉE EN MATIÈRE D'AIDE ALIMENTAIRE

A. FACE À LA MULTIPLICATION DES CRISES ALIMENTAIRES, L'AIDE ALIMENTAIRE MONDIALE EST EN PROGRESSION

1. D'une définition complexe, l'aide alimentaire se situe entre l'aide d'urgence et l'aide au développement
a) L'aide alimentaire est d'une définition complexe et relève, au sens strict, de la gestion et de la sortie de crises et, au sens large, peut inclure des actions d'aide au développement

Si l'aide alimentaire constitue l'une des parts les plus visibles de l'aide publique au développement, sa définition apparaît complexe, tant sur le plan de son contenu et de ses formes qu'au regard de son articulation avec le nexus crise-résilience-développement.

L'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) définit l'aide alimentaire internationale d'une manière particulièrement large. Au sens de l'OCDE, l'aide alimentaire comprend ainsi l'ensemble des dons et prêts « qui sont conformes aux critères aux définitions de l'aide publique au développement » du comité de l'aide au développement en matière alimentaire5(*). Cette définition est toutefois affinée par l'OCDE à l'aide d'une double compréhension de l'aide alimentaire : selon ses modalités d'utilisation et son contenu.

En premier lieu, l'aide alimentaire peut être distinguée selon ses modalités d'utilisation entre trois catégories, à savoir :

l'aide alimentaire d'urgence, correspond à une assistance alimentaire ciblée et distribuée à titre gratuit aux victimes de catastrophes naturelles ou d'origines humaines ;

l'aide alimentaire programme, vise à soutenir des groupes et des zones géographiques spécifiques dans le but de mener des actions de prévention des catastrophes ou de lutte contre la pauvreté. Il peut s'agir de programmes de distribution directe d'aide alimentaire, au travers de mécanismes de protection sociale mis en place par les autorités des États bénéficiaires, des organismes de la société civile ou des organisations internationales. À titre d'exemple, les programmes d'alimentation scolaire s'inscrivent dans ce cadre. L'aide programme peut également consister en des actions de monétisation. Le produit de la vente des ressources alimentaires permet de soutenir des actions de prévention et des projets locaux ;

l'aide alimentaire projet, soit un transfert de ressources visant à assurer le soutien de la balance des paiements, en remplaçant des importations commerciales ou en permettant des importations supplémentaires soutenant la sécurité alimentaire.

En second lieu, l'aide alimentaire peut être définie selon son contenu. Ce dernier correspond à la fois aux sources d'approvisionnement de l'aide alimentaire et aux méthodes de transfert de cette aide vers les bénéficiaires. Les biens alimentaires peuvent être directement issus du pays donateur, être achetés dans un pays en développement tiers et redirigés vers le pays bénéficiaire ou être sélectionnés sur les marchés locaux du pays bénéficiaire.

L'acheminement de l'aide alimentaire vers les bénéficiaires peut ensuite prendre deux formes principales face à une crise alimentaire.

D'une part, le donateur peut organiser des transferts directs de vivres vers les bénéficiaires. L'analyse économique de ce type d'aide a conduit à identifier différents effets indésirables pour les bénéficiaires6(*), notamment au travers :

- d'un effet potentiel de dépendance des populations touchées par l'insécurité alimentaire ;

- d'une fragilisation des systèmes agricoles locaux, les transferts de vivres pouvant induire un effet dépressif et déstabilisateur sur le prix des denrées alimentaires sur les marchés locaux et, partant, affaiblir la production locale ;

- d'une perturbation des échanges commerciaux internationaux par un effet d'éviction des exportations alimentaires par l'aide alimentaire.

D'autre part et de manière plus fréquente, l'aide alimentaire peut être fournie sous la forme de transferts financiers ou bons alimentaires. Le bailleur offre aux bénéficiaires des bons d'achat de ressources alimentaires qu'il peut utiliser auprès de magasins sélectionnés et dûment contrôlés. Cette dernière forme d'aide présente de forts avantages sur le plan logistique en facilitant grandement la distribution et permet de plus de soutenir le tissu économique local. Ce type de transferts financiers n'est toutefois possible que si le marché local est encore fonctionnel, ce qui n'est pas toujours le cas en période de crise grave. Les organisations internationales privilégient désormais ce mode d'acheminement de l'aide. Les évaluations des programmes de transferts financiers tendent à démontrer que ce type d'aide favorise une alimentation diversité tout en soutenant les marchés locaux7(*).

Pour autant, la définition de l'aide alimentaire développée par l'OCDE n'est pas partagée par l'ensemble des organisations et acteurs internationaux intervenant en matière d'aide alimentaire. À titre d'illustration, l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (OAA ou FAO) s'est refusée, dans un rapport consacré à l'aide alimentaire8(*), à trancher entre différentes propositions académiques de définitions. Une première définition indiquait que l'aide alimentaire « consiste à trouver à l'échelle internationale des ressources octroyées à des conditions de faveur sous forme de nourriture ou en vue de la fourniture de nourriture ». Cette proposition présentait l'inconvénient d'être trop restrictive à deux égards. D'une part, elle limitait l'action d'aide alimentaire à l'échelle internationale et ne prenait pas en compte les programmes nationaux susceptibles d'intervenir. D'autre part, cette proposition était centrée sur la fourniture de biens alimentaires alors que l'aide alimentaire peut également recouvrir la fourniture de biens autres que des vivres en vue de soutenir la sécurité alimentaire. Le rapport évoquait par conséquent une deuxième définition, plus large, de l'aide alimentaire : « comme l'ensemble des interventions alimentaires visant à améliorer la sécurité alimentaire des populations pauvres dans le court et le long terme, qu'elles soient financées au moyen de ressources publiques et privées internationales ou nationales ».

À partir de ces différentes approches, il est possible d'appréhender l'aide alimentaire comme une action d'assistance alimentaire visant, à court terme, à garantir l'accès à une alimentation suffisante et sûre en période de crise alimentaire et, à moyen et long termes, à renforcer la résilience des populations des pays affectés par l'insécurité alimentaire.

L'organisation temporelle des actions de lutte contre l'insécurité alimentaire

Source : commission des finances

Dans cette perspective, l'aide alimentaire s'articule en fonction de la temporalité de l'insécurité alimentaire : à court terme, dans un contexte de crise alimentaire sévère ; à moyen terme, dans un contexte de stabilisation et de sortie de crise ; à plus long terme, dans une perspective de développement. Cette dernière dimension prend en compte des actions de prévention et de recherche fondamentale visant à identifier les besoins futurs en alimentation et à prévenir la survenue de crises alimentaires.

Sécurité alimentaire, malnutrition : de quoi parle-t-on ?

L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (OAA/FAO) définit la sécurité alimentaire comme la capacité, à tout moment, à avoir un accès physique, sociale et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive permettant aux hommes et femmes de satisfaire leurs besoins énergétiques.

La sécurité alimentaire est mesurée par les organisations internationales à l'aide de l'Integrated Food Security Phase Classification (IPC)9(*). Cet indice est compris entre 1, qui correspond à une situation de sécurité alimentaire générale dans le cadre de laquelle 80 % des ménages peuvent satisfaire leurs besoins alimentaires, et 5 qui correspond à un état de catastrophe alimentaire ou de famine exigeant une intervention urgente pour stopper la mortalité. Il a été initialement développé par l'Unité d'analyse de la sécurité alimentaire et de la nutrition (FSNAU) de la FAO en 2004 pour être utilisée en Somalie.

En 2023, environ 0,7 million de personnes dans cinq pays et territoires10(*) ont connu une situation de phase 5 de l'IPC, dont 0,6 million résidaient dans la bande de Gaza. L'année 2024 pourrait se traduire par une dégradation de la situation alimentaire avec 1,5 million de personnes en IPC phase 5.

La FAO, comme l'OCDE, estiment que la sécurité alimentaire recouvre quatre dimensions cumulatives :

- la disponibilité, soit l'existence physique de biens alimentaires, caractérisée par une production agricole suffisante et des échanges commerciaux effectifs ;

- l'accès, soit la capacité des individus à obtenir une nourriture en qualité et en quantité suffisantes et diversifiée ;

- l'utilisation, soit la capacité des individus à disposer la nourriture disponible pour en tirer une énergie et des nutriments nécessaires à une vie active ;

- la stabilité, soit la garantie d'un accès et d'une disponibilité durables de la nourriture dans le temps.

L'insécurité alimentaire doit être distinguée de la malnutrition qui constitue la conséquence d'un apport insuffisant en nutriments, en qualité comme en quantité, ou d'une mauvaise assimilation des nutriments par l'organisme. La malnutrition comporte trois déclinaisons : la sous-nutrition, qui peut être chronique ou aigüe, les carences en micronutriments ou l'obésité.

Source : commission des finances d'après la FAO

b) La gouvernance internationale de l'aide alimentaire

Différents mécanismes contribuent à la gouvernance internationale de l'aide alimentaire.

Premièrement, le principal instrument demeure la Convention sur l'assistance alimentaire ou Convention de Londres, adoptée en 2012 et ratifiée par la France en 2017. Cet instrument conventionnel a pris le relais de la Convention relative à l'aide alimentaire, adoptée en 1999 pour remplacer une convention de 1967. La convention poursuit les objectifs d'améliorer la sécurité alimentaire et de préserver les populations les plus vulnérables, notamment dans un contexte de crise. Elle prend également en compte une perspective de réhabilitation et de développement à long terme des pays bénéficiaires.

Par rapport à la précédente convention, le traité de 2012 intègre l'évolution des modalités d'intervention de l'aide alimentaire. Historiquement, l'aide alimentaire internationale reposait sur des transferts de surplus agricoles vers les pays en développement. Dans la perspective d'une « transition de l'aide vers l'assistance alimentaire »11(*), cette politique correspond aujourd'hui davantage à des transferts financiers. Par suite, les États parties à la convention s'engagent sur des volumes financiers d'aide et non plus sur des quantités d'aide mesurées en tonnes, comme dans le cadre de l'ancienne convention.

La Convention de Londres constitue le seul dispositif de droit international contraignant en matière d'aide alimentaire. Le cadre de la convention de Londres prévoit, au travers du comité de l'assistance alimentaire (CAA), un contrôle du respect des engagements des États parties à la convention. Ces derniers rendent compte annuellement, en juin, des financements versés en matière d'aide alimentaire. La convention prévoit également des critères de qualité de l'assistance alimentaire, notamment au travers d'un objectif d'au moins 50 % des financements alloués aux bénéficiaires finaux.

Deuxièmement, des organisations internationales participent à la gouvernance internationale de l'aide alimentaire en coordonnant l'action des pays donateurs et en menant directement des projets d'assistance alimentaire.

D'une part, le Programme alimentaire mondial (PAM), programme subsidiaire commun de l'Assemblée générale des Nations unies et de l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (OAA/FAO) créé en 1961, constitue le principal opérateur international d'assistance alimentaire. Il est placé sous la double tutelle des Nations unies et de la FAO. Son directeur exécutif est ainsi conjointement nommé par le secrétaire général des Nations unies et le directeur général de la FAO. Ses objectifs sont « d'utiliser l'aide alimentaire pour appuyer le développement économique et social, de répondre aux besoins alimentaires des réfugiés et des victimes d'autres situations d'urgence et de crise rendant nécessaires des secours prolongés, et de promouvoir la sécurité alimentaire mondiale conformément aux recommandations formulées par l'ONU et par l'OAA ».

D'autre part, et dans une moindre mesure, l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (OAA/FAO) contribue également à l'aide alimentaire mondiale. Cette organisation intergouvernementale, créée en 1945 et comptant 194 États membres, dispose d'une mission d'appui aux politiques publiques et de coopération technique. Pour ce faire, la FAO s'est vue confier des capacités d'expertise et d'évaluation en matière d'alimentation et d'agriculture. Elle a également une fonction normative et produit des lignes directrices. En complément du PAM, la FAO peut intervenir dans un contexte d'urgence et mener des actions d'assistance alimentaire. Ces actions se concentrent sur la réhabilitation des systèmes de production agricole.

Par ailleurs, sans intervenir directement dans le champ de l'aide alimentaire, un troisième organisme relevant des Nations unies, le Fonds international pour le développement agricole (FIDA)12(*), finance des projets de soutien aux filières agricoles des pays en développement. Il bénéficie du double statut d'organisation spécialisée de l'ONU et d'institution financière internationale. Son fonctionnement et la nature de ses interventions le rapprochent de l'Agence française de développement (AFD). Le FIDA accorde en effet des prêts concessionnels ou des dons, à hauteur d'un milliard de dollars par an, à des États qui les reversent ensuite aux bénéficiaires finaux. Son activité est concentrée à plus de 50 % sur le continent africain et vise plus précisément à soutenir les petits exploitants agricoles.

Troisièmement, la gouvernance de l'aide alimentaire internationale repose également sur les instances multilatérales de dialogue. Le G20 et le G7 forment ainsi des forums intergouvernementaux de négociations et d'impulsion privilégiés pour les principaux États donateurs. Cette « diplomatie des sommets » permet l'émergence d'initiatives communes et sectorielles en matière de sécurité alimentaire. Les échanges multilatéraux entre donateurs peuvent excéder le cercle des principaux contributeurs. L'accord dit du « Grand Bargain », lancé lors du Sommet mondial sur l'action humanitaire en mai 2016, associe les États donateurs et les agences humanitaires dans un objectif d'amélioration de l'action humanitaire internationale, dans laquelle s'inscrit l'aide alimentaire. L'accord est fondé sur un principe de « quid pro quo » reposant sur des concessions mutuelles entre bailleurs et opérateurs afin de générer des gains d'efficience dans la gestion des projets d'aide. La France l'a rejoint en septembre 2017.

2. La sécurité alimentaire est aujourd'hui particulièrement menacée dans le monde
a) En 2022, environ 735 millions de personnes ont souffert de la faim dans le monde

Selon les dernières données rendues disponibles par les Nations unies13(*), entre 691 et 783 millions de personnes dans le monde ont souffert de la sous-alimentation en 2022. Cette estimation, dont la moyenne se situe à 735 millions de personnes, représente une très forte progression de la faim dans le monde depuis la pandémie. Par rapport à 2019, avant la pandémie de covid-19, 122 millions de personnes en plus sont concernées par la sous-alimentation, soit une augmentation de près de 17 %. Au total, les Nations unies estiment que 11,3 % de la population mondiale se trouve en situation d'insécurité alimentaire grave et que 29,6 % se situe en situation d'insécurité alimentaire grave ou modérée.

Évolution de la population mondiale affectée par la sous-alimentation
entre 2015 et 2022

(en millions de personnes et en pourcentage)

Source : commission des finances, d'après les données des Nations unies

Les données brutes présentées par les agences des Nations unies peuvent néanmoins masquer des disparités sur la répartition des personnes concernées par la sous-alimentation. Ainsi, dans une perspective de genre, les femmes sont plus susceptibles de subir des situations de sous-alimentation. La proportion de femmes en situation d'insécurité alimentaire modérée ou aigüe était en effet 4,3 % supérieure à celle des hommes en 202114(*). Sous un angle géographique, au sein d'un même pays, les situations de crises alimentaires concernent davantage les zones rurales que les zones urbaines, paradoxalement mieux approvisionnées. Environ 33 % des adultes résidant en zone rurale sont concernés par l'insécurité alimentaire dans le monde contre 26 % des urbains. Il existe une convergence entre les phénomènes de sous-alimentation et de grande pauvreté.

Répartition de la population en sous-alimentation
selon les zones géographiques entre 2015 et 2022

(en millions de personnes)

Note : les données relatives à l'Amérique du Nord et l'Europe ne sont pas disponibles.

Source : commission des finances, d'après les données des Nations unies

S'agissant de la répartition géographique de la sous-alimentation, l'Afrique et l'Asie regroupent une très large majorité des personnes sous-alimentées, avec respectivement 55 et 38 % du total de cette population. Si près de 402 millions de personnes en situation de sous-alimentation vivent en Asie contre 282 millions de personnes en Afrique, cette dernière comprend une proportion bien plus élevée de sa population affectée par la sous-alimentation. Environ 20 % de la population africaine souffre ainsi de la faim et l'Afrique est la région où la faim a le plus progressé au cours des dernières années avec une progression de 48,5 % entre 2015 et 2022.

États comprenant le plus de personnes menacées
par une insécurité alimentaire grave en 2023

(en millions de personnes)

Pays

Population concernée

République démocratique du Congo

25,8

Nigéria

24,9

Soudan

20,3

Afghanistan

19,9

Éthiopie

19,7

Yémen

18,0

Syrie

12,9

Bengladesh

11,9

Pakistan

11,8

Birmanie

10,7

Source : commission des finances, d'après les données du rapport mondial sur les crises alimentaires

Cette concentration de la sous-alimentation et des crises alimentaires se retrouve au sein des pays les plus frappés par l'insécurité alimentaire. Sur les cinq pays comprenant le plus important nombre de personnes menacées par la faim, quatre se situent en Afrique (République démocratique du Congo, Nigéria, Soudan et Éthiopie). À titre d'exemple, la situation est particulièrement critique au Soudan où 20,3 millions de personnes soit 42 % de la population sont touchées par une insécurité alimentaire aigüe.

Pays et territoires connaissant une crise alimentaire en 2024
selon le rapport mondial sur les crises alimentaires

Source : rapport mondial sur les crises alimentaires

b) L'instabilité géopolitique, le changement climatique et les chocs économiques conduisent à une multiplication des crises alimentaires et à leur installation dans la durée

Les crises alimentaires sont rarement issues d'une pénurie généralisée de produits alimentaires. Trois facteurs principaux contribuent en effet aujourd'hui à la dégradation de la sécurité alimentaire et sont mis en avant par le rapport mondial sur les crises alimentaires.

Premièrement, l'insécurité et les conflits déstabilisent les systèmes agricoles et l'approvisionnement des pays concernés. Sur l'année 2023, l'instabilité géopolitique a contribué, dans 20 pays distincts, à l'aggravation de l'insécurité alimentaire pour un total de 134,5 millions de personnes directement affectées. Les cinq pays et territoires en situation d'IPC 5 en 2023 (Bande de Gaza, Burkina Faso, Mali, Somalie et Soudan du Sud) connaissent un niveau de conflictualité très élevé.

De plus, les déplacements de population entraînés par les affrontements peuvent étendre des situations de crises alimentaires aux pays limitrophes, d'une part, et conduire à l'abandon des terres arables et des zones de pâturage et de pêche par les populations d'agriculteurs, d'autre part. En 2022, 103 millions de personnes ont ainsi été déplacées sous la contrainte15(*).

Deuxièmement, les chocs climatiques, manifestés par des chaleurs extrêmes, des sécheresses, des feux ou des pluies intenses et des inondations se multiplient et viennent perturber la production alimentaire des pays les plus vulnérables. Ce sont 18 pays dont la sécurité alimentaire s'est trouvée dégradée en 2023 du fait d'aléas climatiques.

Troisièmement, les chocs économiques peuvent limiter l'accès aux ressources alimentaires. Un contexte de forte inflation dans des pays en crise alimentaire réduit la disponibilité des ressources. Les marges de manoeuvre budgétaires limitées des pays les moins avancés empêchent par ailleurs les gouvernants d'engager des mesures de soutien aux achats de nourriture. En 2023, la dégradation du contexte économique a ainsi renforcé l'insécurité alimentaires dans 21 pays du globe, pour un total de 75 millions de personnes. La volatilité des prix alimentaires constitue également un facteur de l'insécurité alimentaire. Une hausse de 5 % du prix réel des aliments a en moyenne pour conséquence une hausse de 9 % du risque d'émaciation chez les enfants.

Outre ces différents facteurs, les observateurs de l'insécurité alimentaire constatent une multiplication et une installation dans la durée des crises alimentaires au cours des dernières années. Les entretiens menés par vos rapporteurs lors de leur déplacement à Rome auprès des organisations des Nations unies spécialisées dans l'alimentation et l'agriculture ont confirmé cette évolution.

L'agression russe contre l'Ukraine :
une menace pour la sécurité alimentaire mondiale

La guerre en Ukraine, déclenchée par l'agression russe en février 2022, a constitué un choc majeur pour la sécurité alimentaire mondiale en augmentant considérablement le prix des produits alimentaires.

Les deux belligérants sont en effet d'importants producteurs de biens agricoles. Selon les données de la FAO, la production combinée de ces deux États représente 19 % de la production mondiale d'orge, 14 % de la production mondiale de blé et 4 % de la production mondiale de maïs sur la période 2016-2021. Ils constituent également des fournisseurs de tourteaux et d'huile de tournesol. En conséquence des dégâts causés aux terres agricoles ukrainiennes et aux restrictions d'exportation, le coût total des importations alimentaires s'est accru de 10 % entre 2022 et 2023.

Or, vingt pays dans le monde sont importateurs nets et dépendants de l'Ukraine et de la Russie pour plus de 50 % de leurs importations de blés. Il s'agit, par ordre de dépendance décroissant de l'Érythrée, de l'Arménie, de la Mongolie, de l'Azerbaïdjan, de la Géorgie, de la Somalie, de la Biélorussie, de la Turquie, du Liban, de l'Égypte, de Madagascar, de l'Albanie, de la Tanzanie, de la Libye, du Congo, de la Namibie, de Djibouti, du Sénégal, du Cameroun et de la Mauritanie.

Par ailleurs, outre ses conséquences sur les exportations céréalières, le conflit a également affecté conduit à un choc d'offre négatif sur le marché des engrais agricoles, dont la Russie constitue l'un des premiers producteurs. Ce marché étant caractérisé par une élasticité positive à l'offre, la pression à la baisse sur les exportations russes a conduit à une hausse de 48 % du prix des intrants agricoles. Cette réduction de la disponibilité des engrais pourrait avoir des effets dramatiques sur les productions agricoles des pays en développement et in fine sur la situation alimentaire de ces États. Les Nations unies évaluent le risque de perte nette de production à 66 millions de tonnes de céréales en 2023.

En réponse à cette menace, l'initiative céréalière de la mer Noire, lancée en juillet 2022, visait à garantir une liberté de navigation en mer Noire afin de permettre la reprise des exportations de céréales et produits agricoles ukrainiens, en particulier vers les pays vulnérables. Issue d'un accord quadrilatéral entre la Russie, l'Ukraine, la Turquie et les Nations unies, l'initiative reposait sur l'ouverture d'un couloir humanitaire depuis les trois ports ukrainiens d'Odessa, Tchornomorsk et Youjné. L'accord a fait l'objet de deux prolongations mais a été unilatéralement dénoncé par la Russie en juillet 2023.

En un an, l'initiative aura permis d'exporter 33 millions de tonnes de céréales et de produits agricoles vers 45 pays. Le Programme alimentaire mondial a pu transporter un total de 725 000 tonnes de céréales au profit de ses opérations d'aide alimentaire d'urgence en Afghanistan, en Éthiopie, au Kenya, au Soudan, en Somalie et au Yémen. Le corridor humanitaire a maintenu l'Ukraine comme le premier fournisseur de blé de du PAM pour l'année 2022.

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux, les données des Nations unies et de la Commission européenne

3. En réponse à l'aggravation de l'insécurité alimentaire, les flux internationaux d'aide alimentaire, auxquels la France contribue à une faible échelle, sont en progression
a) À l'échelle internationale et en dépit de divergences d'évaluation, les flux d'aide alimentaire sont en hausse depuis le début des années 2010

La place de l'aide alimentaire au sein de l'APD mondiale a connu des évolutions importantes depuis le XXe siècle. Ainsi, l'aide alimentaire représentait plus de 20 % de l'APD mondiale dans les années 1960, contre seulement 5 % dans les années 1990. Selon l'OCDE, cette proportion s'établissait à 32 % sur la période 2016-2021.

En réponse à la multiplication des crises alimentaires, les flux internationaux d'aide alimentaire ont largement progressé depuis le début des années 2010.

La comptabilisation de l'aide alimentaire demeure toutefois un exercice délicat. Deux instances internationales opèrent une comptabilisation de l'aide apportée par leurs membres. D'une part, le comité de l'assistance alimentaire de la convention de Londres recense les engagements annuels des États parties à la convention et mesure a posteriori le respect de ces promesses de dons. Le total de l'aide alimentaire évaluée par ce comité ne regroupe que l'assistance des 14 États et organisation parties à la convention. Or, si la plupart des grands donateurs, au premier rang desquels les États-Unis et l'Union européenne, participent au cadre de la convention de Londres, d'autres contributeurs majeurs, à l'instar de l'Allemagne, ne le font pas.

D'autre part, le comité de l'aide au développement (CAD) de l'OCDE mesure également l'aide alimentaire des 38 États membres de l'OCDE. Cette comptabilité intègre un plus large champ d'États donateurs mais exclut l'aide alimentaire de l'Union européenne, versée au travers des outils de la Commission européenne. Par ailleurs, la méthode de comptabilisation de l'aide par le CAD est plus restrictive que celle proposée par le comité de l'assistance alimentaire. À titre d'exemple, l'aide alimentaire apportée par la France en 2022 est évaluée à 42,7 millions de dollars par l'OCDE et à 147,8 millions de dollars par le comité de la convention de Londres.

Évolution de l'aide alimentaire entre 2014 et 2022

(en milliards de dollars)

Note : entre 2014 et 2022, le nombre d'États parties à la convention de Londres a augmenté.

Source : commission des finances d'après les données de la convention sur l'assistance alimentaire

En dépit de ces difficultés de recensement de l'aide alimentaire mondiale, plusieurs éléments peuvent être relevés concernant la répartition de l'aide entre les différents donateurs. S'agissant des principaux donateurs, les États-Unis contribuent à la majorité de l'aide alimentaire mondiale avec plus de 70 % de l'aide alimentaire au sens de la convention de Londres et 54 % de l'aide alimentaire des pays de l'OCDE. L'Union européenne s'est également imposée comme l'un des principaux donateurs en matière alimentaire, qu'il s'agisse de la seule aide fournie par la Commission européenne ou de la combinaison de l'action du budget européen et de l'aide apportée par les États membres.

La France se positionne en retrait au sein des donateurs internationaux. Si elle se place en sixième position des États parties à la convention de Londres en 2022, elle n'est que le quatorzième contributeur d'aide alimentaire parmi les pays de l'OCDE. Avec 39 millions de dollars, le montant de l'aide alimentaire française comptabilisée au titre de l'OCDE est particulièrement faible en comparaison d'autres donateurs européens comme l'Allemagne (1,14 milliard de dollars en 2022), le Royaume-Uni (301 millions de dollars), la Suède (80,6 millions de dollars) ou la Suisse (77,6 millions de dollars).

Cette approche comparative fondée sur les volumes d'aide alimentaire ne suffit toutefois pas à évaluer à elle seule l'effort français. En effet, comme développée infra, l'aide alimentaire doit également être appréciée selon la nature de l'aide, les canaux de versement et la temporalité des interventions.

Comparaison de l'aide alimentaire des États parties
à la convention de Londres en 2022

(en millions de dollars)

Source : commission des finances d'après les données de la convention sur l'assistance alimentaire

S'agissant des principaux bénéficiaires de l'aide alimentaire, les flux d'aide des États parties à la convention sont principalement dirigés vers les pays frappés par des crises alimentaires majeures. En cohérence avec la répartition géographique de l'insécurité alimentaire mondiale, six des dix pays recevant le plus d'aide alimentaire des pays parties à la convention de Londres sont situés en Afrique.

Principaux pays bénéficiaires de l'aide alimentaire des États parties
à la convention de Londres en 2022

(en millions de dollars)

Source : commission des finances d'après les données de la convention sur l'assistance alimentaire

Par ailleurs, dans son rapport annuel 202216(*), le comité de l'assistance alimentaire, chargé du suivi des engagements de la convention de Londres, relevait des besoins croissants au titre des « crises oubliées ». Ces crises alimentaires, installées dans le temps, ne bénéficient pas d'une attention marquée de la part des donateurs qui n'orientent pas leur aide bilatérale ou leurs contributions aux organisations internationales vers ces zones.

Dans cette configuration budgétaire contrainte, les entretiens menés par les rapporteurs auprès des organisations de l'ONU à Rome ont souligné le renforcement d'une compétition entre ces organisations, qui partagent le même objectif de sécurité alimentaire mondiale, pour la captation des financements des États17(*).

L'aide alimentaire des États-Unis

L'aide alimentaire américaine est la plus importante au niveau mondial. Les cibles de l'aide internationale américaine sont réparties dans le monde entier : si l'Afrique représente 51 % de l'aide en 2022, la zone « MENAE » (Middle East, North Africa, and Europe) tend à représenter une proportion plus importante : 27 % en 2022, contre 23 % en 2020. L'Asie et la zone « LAC » (Latin America and the Caribbean) représentent respectivement 8 % et 5 % des aides reçues.

En premier lieu, concernant l'aide multilatérale, principalement coordonnée par le Programme Alimentaire Mondial (PAM), les Etats-Unis représentent 36,1 % des contributions en 2023, après un pic à 51,1 % en 2022. Traduction du statut de premier contributeur au PAM dont disposent les États-Unis, le poste de directeur exécutif du PAM est occupé de manière continue depuis 2002 par des ressortissants américains18(*). En dépit d'un positionnement relativement hostile au multilatéralisme, l'administration du président Trump n'avait pas remis en cause le montant des contributions américaines aux agences de l'ONU.

Si cette contribution est stable et importante, la proportion de financements flexible demeure minoritaire. Elle représentait seulement 5,69 % des versements en 2020 ; il convient cependant de noter un effort fait en 2023 pour atteindre 14,43 %.

En second lieu, concernant l'aide bilatérale, les États-Unis représentent 36 % des 62 milliards de dollars dépenses à échelle globale entre 2014 et 201819(*).

Les dépenses annuelles pour l'aide alimentaire internationale des États-Unis se sont élevées en moyenne à 3,3 milliards de dollars entre l'exercice 2010 et l'exercice 2020. L'aide américaine est gérée par deux entités : l'Agence américaine pour le développement international (USAID20(*)) et le ministère américain de l'agriculture (USDA21(*)).

Concernant la forme de l'aide alimentaire, les programmes américains apportent un soutien par le biais de deux méthodes distinctes : une aide en nature, au travers de l'expédition de produits alimentaires américains, et une aide basée sur le marché, par des transferts financiers ou des denrées achetées localement. Depuis la mise en place du Programme d'urgence pour la sécurité alimentaire (EFSP) en 2010, l'aide alimentaire des États-Unis fondée sur le marché a augmenté pour atteindre environ 59 % du total de l'aide alimentaire.

L'aide en nature continue cependant de figurer au centre de l'aide alimentaire américaine. En 202422(*), cette méthode est encore largement privilégiée par un nouveau programme : le ministère américain de l'agriculture et l'agence américaine pour le développement international ont annoncé déployer un milliard de dollars de fonds pour acheter des produits de base cultivés aux États-Unis afin de fournir une aide alimentaire d'urgence aux personnes dans le besoin dans le monde entier, principalement en Afrique. Ce type de programmes permet indirectement de soutenir le secteur agro-alimentaire américain et la filière du transport.

Source : commission des finances d'après les données du PAM et de l'administration américaine

b) Dans ce contexte, la France a accru son engagement en faveur de l'aide alimentaire, poursuivant un double objectif politique et humanitaire

Depuis 2019, dans le cadre du réinvestissement dans sa politique de développement, la France a progressivement renforcé ses versements en matière d'aide alimentaire. Cette évolution correspond à un double objectif politique et humanitaire. Sur le plan politique, la croissance des financements permet à la France de réinvestir les instances multilatérales, en particulier le système des Nations unies, et de se placer comme un acteur central des questions de sécurité alimentaire. La visibilité de l'aide alimentaire permet également, au travers d'une communication stratégique volontaire, de valoriser l'aide au développement française auprès de nos partenaires et des bénéficiaires finaux. Sur un plan humanitaire, l'investissement français vise à intervenir pour assister les populations touchées par des crises alimentaires graves et de renforcer la résilience des pays les plus vulnérables. L'aide alimentaire permet en ce sens d'apporter une réponse rapide aux besoins immédiats des populations.

Pour répondre à ces objectifs, la France a ratifié en 2017 la convention relative à l'assistance alimentaire, qu'elle avait signée en 2012. Sans conduire à un basculement immédiat des volumes de l'aide alimentaire française, la ratification d'un instrument impliquant des obligations de rapportage et un contrôle des promesses de versements a encouragé un renforcement significatif des montants de financement à compter de 2019.

Au niveau national, le ministère de l'Europe et des affaires étrangers a adopté en 2019 une « Stratégie internationale de la France pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l'agriculture durable », pour les années 2019 à 2024. Parmi les cinq objectifs fixés par cette stratégie, deux intéressent plus spécialement l'aide alimentaire :

- l'objectif 3 de cette stratégie « renforcer l'action française sur la nutrition », concerne directement l'action d'aide alimentaire. Les situations de sous-nutrition, qui affectent en premier lieu les enfants et les femmes enceintes et allaitantes, sont plus susceptibles d'émerger dans des pays marqués par une forte insécurité alimentaire. Prévenir ce type de situation permet de renforcer la résistance des États concernés face à la survenance de crise alimentaire ;

- à travers l'objectif 5 « renforcer les actions d'assistance alimentaire aux populations vulnérables et améliorer leur résilience », la stratégie française vise directement l'aide alimentaire d'urgence en apportant un soutien immédiat aux populations mais également, dans une perspective de résilience, à anticiper les aléas et chocs en matière alimentaire en restaurant les capacités de production agricole.

De même, la sécurité alimentaire se trouve parmi les objectifs exprimés par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Le rapport annexé à la loi de programmation indique ainsi : « À travers l'aide alimentaire programmée et l'APD, soutenant en priorité les agricultures familiales et paysannes, la France s'engage pour aider les populations à lutter contre la malnutrition, renforcer leur résilience et leur permettre de retrouver une autonomie alimentaire tout en relançant la production et le commerce local »

Évolution des financements de l'aide alimentaire programmée
entre 2014 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

Comme vos rapporteurs l'exposerons infra, la compilation du total des versements en matière d'aide alimentaire s'avère complexe. La dispersion de l'aide entre les différents instruments d'aide humanitaire et leur prolongement par la politique de développement ne permettent pas d'identifier clairement la totalité de l'aide alimentaire française. L'existence d'un instrument dédié aux problématiques de sécurité alimentaire, l'aide alimentaire programmée (AAP), permet cependant d'apprécier l'évolution de l'aide française en volume. Ce « noyau dur » de l'aide alimentaire, dont les financements ont été multiplié par 6,5 sur dix ans, illustre l'investissement croissant de la France dans ce domaine.


* 1 Site de la représentation permanente de la France auprès des Nations unies à Rome, « L'aide humanitaire pour lutter contre l'insécurité alimentaire », 2021.

* 2 FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMS, L'état de la santé alimentaire et de la nutrition dans le monde 2023. Urbanisation, transformation des systèmes agroalimentaires et accès à une alimentation saine le long du continuum rural-urbain, 2023.

* 3 L'AAP est un instrument spécifiquement dédié à la lutte contre l'insécurité alimentaire au sein du programme 209.

* 4 Pour « Food and Agriculture Resilience Mission ».

* 5 OCDE, « L'efficacité de l'aide alimentaire pour le développement », 2006.

* 6 FAO/OAA, La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture. L'aide alimentaire pour la sécurité alimentaire ?, 2006.

* 7 PAM, «  Evidence Summary. Cash-based transfers : lessons from evaluations », mars 2021.

* 8 FAO/OAA, La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture. L'aide alimentaire pour la sécurité alimentaire ?, 2006.

* 9 Représentation permanente de la France auprès des Nations unies à Rome.

* 10 Burkina Faso, Gaza, Somalie, Soudan du Sud et Mali.

* 11 Site de la représentation permanent de la France auprès des Nations unies à Rome, « L'aide humanitaire pour lutter contre l'insécurité alimentaire », 2021.

* 12 Créé en 1978, à la suite d'une résolution de 1974 adoptée par la conférence mondiale sur l'alimentation, le FIDA découle d'une coopération inédite entre les bailleurs traditionnels, les pays de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et les pays en développement.

* 13 FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMS, L'état de la santé alimentaire et de la nutrition dans le monde 2023. Urbanisation, transformation des systèmes agroalimentaires et accès à une alimentation saine le long du continuum rural-urbain, 2023.

* 14 FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMS, L'état de la santé alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022. Réorienter les politiques alimentaires et agricoles pour rendre l'alimentation saine plus abordable, 2022.

* 15 FAO, FIDA, UNICEF, PAM et OMS, L'état de la santé alimentaire et de la nutrition dans le monde 2022. Réorienter les politiques alimentaires et agricoles pour rendre l'alimentation saine plus abordable, 2022.

* 16 Food Assistance Convention, 2022 Annual Narrative Report, 2023.

* 17 Entretien avec Alexander Jones, Directeur de la Division mobilisation des ressources de l'OAA/FAO.

* 18 Depuis 2017, il s'agit de Mme Cindy McCain.

* 19 GAO (US Government Accountability Office) https://www.gao.gov/international-food-assistance.

* 20 Pour United States Agency for International Development.

* 21 Pour United States Department of Agriculture.

* 22 USDA, USAID Deploy $ 1 Billion for Emergency Food Assistance, 18 avril 2024, site officiel du Département américain de l'agriculture.

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