LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Recommandation n° 1 : améliorer à la fois la programmation budgétaire des crédits de fonctionnement et d'investissement du groupement d'intervention du déminage (GID) et le pilotage de ces crédits en cours d'exécution (direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises-DGSCGC et direction du budget).

Recommandation n° 2 : afin d'assurer une couverture opérationnelle optimale du territoire, redéfinir l'implantation des centres de déminage par rapport à l'évolution des missions des démineurs. Procéder dans ce cadre à un redéploiement d'effectifs en fonction des besoins réels en personnel des différents centres de déminage (DGSCGC).

Recommandation n° 3 : afin de garantir le maintien des compétences des démineurs, notamment dans les centres de déminage où la sollicitation opérationnelle est moins importante, confier à la direction centrale du GID l'élaboration d'un plan annuel de formation (DGSCGC).

Recommandation n° 4 : doter le GID d'une véritable politique de gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC), afin d'anticiper la dynamique de départs à la retraite des démineurs (DGSCGC).

Recommandation n° 5 : afin de permettre aux démineurs de se recentrer sur leurs missions opérationnelles, rééquilibrer le ratio entre personnels de soutien et personnels opérationnels au sein du GID (DGSCGC).

Recommandation n° 6 : afin de renforcer le suivi des opérations des services de déminage, finaliser le développement du projet informatique « système opérationnel et fichiers d'informations sur les explosifs », dit projet SOFIE (DGSCGC).

I. LES DÉMINEURS DE LA SÉCURITÉ CIVILE : UN SERVICE CRUCIAL DONT LES MISSIONS SE SONT DIVERSIFIÉES DEPUIS SA CRÉATION LORS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

A. LE GROUPEMENT D'INTERVENTION DU DÉMINAGE, UN SERVICE ESSENTIEL DONT LES FONCTIONS ONT ÉVOLUÉ AU COURS DU TEMPS ET AUX BESOINS BUDGÉTAIRES CROISSANTS

1. Un service au domaine de compétence large, de la neutralisation des engins issus des conflits mondiaux à la lutte contre le terrorisme

Le groupement d'intervention du déminage (GID) est un service rattaché à la sous-direction des moyens nationaux de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l'intérieur.

Les démineurs du GID ont pour missions, d'une part, de démanteler les munitions explosives et chimiques issues des deux conflits mondiaux, et d'autre part, de contribuer à la lutte contre le terrorisme. Ces missions sont détaillées plus précisément à l'article 3 de l'arrêté du 2 septembre 2005, qui prévoit que les démineurs du GID participent à :

« - des travaux de détection, de neutralisation ou de destruction des mines, obus et bombes, munitions et explosifs ;

- des opérations de détection, de neutralisation ou de destruction des artifices et des engins suspects (engins explosifs, nucléaires, radiologiques, bactériologiques et chimiques improvisés) ;

- des missions liées aux voyages officiels des hautes personnalités ou à toutes manifestations socioculturelles ».

Le maillage territorial du GID se décline de la manière suivante :

- 1 direction centrale située à Paris ;

- 1 centre de formation et de soutien situé à Mort-Mare ;

- 26 unités opérationnelles délocalisées, soit 22 centres de déminage dont 2 centres outre-mer (Guadeloupe et Guyane), 1 centre de coordination des chargements chimiques de Suippes, ainsi que 3 antennes de déminage (Calais, Orly, Roissy) ;

Le service est compétent sur tout le territoire, à l'exception de l'agglomération parisienne, qui dispose d'une brigade de déminage propre au sein du laboratoire central de la préfecture de police de Paris (LCPP).

Organisation territoriale du groupement d'intervention du déminage

Source : réponses de la DGSCGC au questionnaire du rapporteur spécial

2. Une sollicitation croissante du GID et une budgétisation des crédits qui lui sont consacrés en hausse depuis 10 ans

Le GID fait l'objet d'une sollicitation opérationnelle croissante depuis 10 ans. Entre 2014 et 2023, le nombre d'interventions réalisées par les démineurs de la sécurité civile est en effet passé de 15 307 à 16 907, soit une augmentation de 10,5 % sur cette période.

Évolution du nombre d'interventions du GID entre 2014 et 2023

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

On constate en parallèle une augmentation importante des crédits consacrés aux GID, qui sont retracés au sein du programme 161 « Sécurité civile » de la mission « Sécurités ». Ainsi le montant des crédits exécutés est passé de 33,9 millions d'euros en crédits de paiement à 50,8 millions d'euros en crédits de paiement (CP) entre 2014 et 2023, ce qui représente une augmentation de près de 50 % sur cette période.

Cette augmentation est portée par l'ensemble des postes de dépense. Plus particulièrement, les crédits de personnel, qui représentent la majorité des dépenses du GID, ont été exécutés à hauteur de 33,7 millions d'euros en CP en 2023 contre 29,5 millions en 2014 (+ 14 %). Toutefois, ces dépenses de titre 2 tendent à stagner voire à régresser depuis 5 ans, puisque celles-ci s'élevaient jusqu'à 33,8 millions d'euros en 2019. Ce constat s'explique principalement par la dynamique actuelle de départs à la retraite des démineurs du GID et les difficultés rencontrées par ce service pour atteindre son effectif cible dans ce contexte (voir infra).

Les autres dépenses de fonctionnement ont plus que doublé sur la période, passant de 3,9 millions d'euros en CP en 2014 à 8,6 millions d'euros en 2023 (+ 120 %), ce qui peut s'expliquer en partie par l'inflation, mais aussi, par l'augmentation de l'activité opérationnelle du GID sur cette période.

Enfin les dépenses d'investissement, principalement rythmées par les dynamiques de renouvellement des équipements du GID et les différents projets de modernisation des unités opérationnelles délocalisées, sont passées de 0,5 million d'euros en 2014 à 8,6 millions d'euros en 2023, soit une multiplication par 17 de ce poste de dépense.

Évolution des crédits budgétaires consacrés au GID exécutés entre 2014 et 2023

(en millions d'euros et en crédits de paiement)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Le rapporteur spécial a par ailleurs constaté dans le cadre de ses travaux :

- d'une part, une sur-exécution récurrente des dépenses de fonctionnement entre 2014 et 2023, avec des écarts s'élevant de 38,2 % en 2023, jusqu'à près de 250 % en 2017 ;

- d'autre part, une sous-exécution importante des dépenses d'investissement sur cette même période, avec des écarts s'élevant jusqu'à 81,8 % en 2014, et avec pour seule exception l'année 2019 marquée par une sur-exécution de 11 %.

Comparaison entre les prévisions et l'exécution des crédits
relatifs aux dépenses de fonctionnement du GID entre 2014 et 2023

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Comparaison entre les prévisions et l'exécution des crédits
relatifs aux dépenses d'investissement du GID entre 2014 et 2023

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Ainsi, sur l'ensemble de la période 2014 à 2023, les crédits de fonctionnement ont fait l'objet d'une sur-exécution de 88,8 %, tandis que les crédits d'investissement ont été sous-exécutés à hauteur de 37 %. Au total, l'ensemble des crédits hors titre 2 consacrés aux GID ont fait l'objet d'une sur-exécution de 10,25 % sur cette période.

Les écarts récurrents et excessifs entre budgétisation et exécution des crédits d'investissement et de fonctionnement du GID doivent inviter le Gouvernement à améliorer l'évaluation de ces dépenses lors de l'élaboration des prochains projets de loi de finances (PLF). Si ces écarts peuvent ponctuellement être dus à des évènements imprévisibles, leur caractère systématique depuis 10 ans semble plutôt indiquer un manque de précision voire de sincérité dans la prévision des crédits affectés aux services de déminage de la sécurité civile.

Le rapporteur spécial plaide également pour un meilleur pilotage des crédits en exécution, dans la droite ligne des critiques formulées à ce sujet par l'inspection générale de la sécurité civile (IGSC). L'IGSC a en effet déploré, dans un rapport de juin 20222(*), les lacunes du suivi de l'exécution du budget du GID qui relève à la fois des chefs de centre, de la direction centrale, voire du secrétariat général pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI). D'après l'IGSC, « la gestion financière est principalement réalisée par le chef de centre ou son adjoint, sauf si le centre est doté d'un agent administratif, généralement la gestion financière lui est déléguée. La remarque principale qui ressort lors des inspections est la non visibilité du budget. En effet le chef de centre ne connaît pas ses budgets annuels de fonctionnement et d'investissement. »

Ces écarts entre programmation et exécution des dépenses fait par ailleurs écho à une préoccupation déjà formulée par la commission des finances sur l'exécution des crédits du programme « Sécurité civile ». Dans le cadre de l'examen de la loi de règlement pour l'année 2022, le rapporteur spécial avait en effet souligné « la situation de forte tension qui pèse sur l'exécution des crédits du programme 161 », tout en déplorant que « ces faibles marges de manoeuvre pourraient entrainer à terme un effet d'éviction des dépenses opérationnelles » sur les dépenses d'investissement, faisant ainsi peser le risque « d'un sous-investissement néfaste aux capacités opérationnelles de la sécurité civile. » Il serait en effet regrettable que la sur-exécution chronique des crédits de fonctionnement se traduisent in fine par des effets d'éviction sur les investissements structurants des services de déminage.

Dans ce contexte de forte tension pesant sur le budget du programme 161, il est nécessaire, d'une part, que les crédits programmés en loi de finances initiale soient évalués avec la plus grande sincérité, et d'autre part, que le pilotage de l'exécution de ces crédits soit renforcé.

Recommandation n° 1 : améliorer à la fois la programmation budgétaire des crédits de fonctionnement et d'investissement du GID et le pilotage de ces crédits en cours d'exécution (DGSCGC et direction du budget).

3. Les démineurs de la sécurité civile bénéficient d'une formation de qualité qui les place comme une référence auprès de leurs partenaires internationaux

Le GID est composé de 353 agents, dont 324 démineurs, 13 personnels administratifs et 18 personnels techniques3(*). Les démineurs ont la particularité d'être recrutés uniquement parmi les fonctionnaires de la police nationale.

Chaque démineur recruté au sein du GID est assujetti à des périodes de formation dispensées au sein du centre de formation et de soutien de Mort Mare. Ces formations sont déclinées par l'arrêté du 2 septembre 2005 relatif à l'exercice des fonctions de démineur de la sécurité civile. Chaque niveau de formation correspond à un niveau hiérarchique différent :

- le niveau 1, qui constitue le niveau de formation minimal auquel sont assujettis tous les démineurs nouvellement recrutés, permet d'accéder aux fonctions de démineur adjoint ;

- le niveau 2 correspond à la fonction de démineur ;

- le niveau 3 permet d'accéder à la fonction de chef démineur ;

- le niveau 4 correspond à la fonction de chef démineur principal ;

- le certificat d'aptitude à la manipulation des appareils radiologiques industriels (CAMARI) constitue un cycle de formation spécifique.

Il convient de noter que chaque formation validée par le démineur lui permet d'accéder à aux fonctions hiérarchiques correspondant à ce niveau de formation, indépendamment du grade que ce dernier occupe dans la police nationale.

L'absence de concordance entre grade et emploi : Une particularité du GID

L'organisation du GID se caractérise par une absence de concordance entre grade et emploi.

En effet, un commandant de police souhaitant intégrer le GID disposera de responsabilités correspondant à son niveau de formation dans le domaine du déminage. S'il n'en a aucune, il sera démineur adjoint après l'obtention du niveau 1.

Ainsi des sous-officiers de niveau 2 ou 3 peuvent diriger des officiers de niveau 1, et rien n'oblige ces officiers de police d'exercer des missions à responsabilités ou de disposer de niveaux opérationnels élevés. Ces derniers peuvent occuper des fonctions de démineur adjoint, tout en étant rémunéré sur la grille statutaire d'un commandant ou d'un capitaine de police.

Source : IGSC, document de synthèse des visites des centres de déminage, juin 2022

Au total, le centre de formation et de soutien a dispensé sur l'année 2023 près de 589 heures de formation pour la mission de démantèlement des munitions de guerre issus des deux conflits mondiaux, 120 heures de formation pour les missions liées à la lutte contre le terrorisme, et 312 heures de formation dans le cadre de la délivrance du CAMARI.

Le temps de formation nécessaire pour accéder au plus haut niveau de qualification est de 8 ans, ce qui représente une contrainte importante pour le GID, dans la mesure où ces périodes de formation, qui sont assurées par des démineurs en fonction, implique une mobilisation importante des agents, au détriment des missions opérationnelles.

Toutefois, du point de vue de l'ensemble des acteurs entendus par le rapporteur spécial, la longueur du processus de formation se traduit avant tout par un très haut de niveau de qualification des démineurs, gage de la qualité du service rendu, et en tout état de cause nécessaire compte tenu du risque inhérent à leur activité. Il convient à cet égard de relever le nombre extrêmement faible d'accidents intervenus en intervention sur les dix dernières années. En effet, entre 2014 et 2023, seuls 4 démineurs ont été blessés en intervention, et aucun décès n'est intervenu.

La qualité des démineurs du GID se traduit également par leur sollicitation importante par des pays étrangers, tant pour la réalisation d'actions de formation que pour la participation à des missions opérationnelles. Les démineurs français sont par exemple régulièrement sollicités dans le cadre de grands évènements sportifs internationaux tels que la coupe du monde de football 2022 organisée au Qatar, pour laquelle 21 démineurs du GID ont été mobilisés.

L'activité internationale du groupement d'intervention du déminage (GID)

Chaque année, le GID participe au dispositif de coopération transfrontalière programmé par la DGSCGC en lien avec la direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS) du ministère de l'intérieur. Cette coopération se traduit essentiellement par des missions de formation.

Ainsi, en 2021, le GID a contribué à 13 missions de coopération internationale sous la forme d'actions de formation dispensées par 24 démineurs de la sécurité civile employés durant 107 jours au profit de 10 pays différents4(*). En 2022, 5 missions de coopérations étaient dispensées par 16 démineurs de la sécurité civile employés durant 55 jours au profit de 5 pays différents5(*).

Parallèlement à cette activité de formation programmée, l'expertise du GID peut être sollicitée sur des missions spécifiques :

- mission de formation spécifique aux besoins de l'Ukraine (déminage en milieu subaquatique) ;

- mission d'expertise et d'appui, consécutif à des accidents pyrotechniques telle que l'explosion d'ampleur dans le port de Beyrouth en 2020 ou encore l'explosion d'ampleur d'un dépôt de munition en Guinée équatoriale en 2021 ;

- dans l'élaboration d'exercices internationaux et européens organisés aux fins d'échanges et d'observation de différentes méthodologies d'intervention, telle que la première participation française à l'exercice OTAN « Detonator » en Lettonie, qui a permis la dépollution d'un ancien dépôt de munition ;

- de renforts sur de grands évènements internationaux.

Source : réponses de la DGSCGC aux questionnaires du rapporteur spécial


* 2 Inspection générale de la sécurité civile, document de synthèse des visites des centres de déminages, juin 2022.

* 3 Au 31 mars 2024.

* 4 Qatar, Pays bas, Niger, Maroc, Ghana, Espagne, Égypte, Croatie, Burkina Faso, et Macédoine.

* 5 Mauritanie, Égypte, Maroc, Niger, Liban.

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