B. LA NÉCESSITÉ DE PROLONGER LA DURÉE DE VIE DU PARC NUCLÉAIRE HISTORIQUE AU-DELÀ DE 60 ANS

La faisabilité technique de la prolongation des réacteurs sur une longue période repose sur les capacités des différents composants d'une centrale à fonctionner dans la durée. Cependant, la quasi intégralité des matériels qui constituent une centrale peut être remplacée. Ainsi, en pratique, l'enjeu de la prolongation au-delà de 60 ans des réacteurs du parc électronucléaire repose-t-il en définitive essentiellement sur la maîtrise des conditions de vieillissement en toute sûreté des composants irremplaçables d'une centrale que sont sa cuve et son enceinte de confinement. Une attention particulière doit aussi être portée aux équipements difficilement remplaçables (certains coudes du circuit primaire, les matériels placés à l'intérieur de la cuve631(*) ou encore les câbles électriques dont le nombre rend un remplacement d'ensemble délicat).

Des mesures prises pour améliorer les conditions de vieillissement des cuves

Pour que sa durée de fonctionnement soit optimisée, la cuve d'un réacteur doit notamment être protégée contre les effets des bombardements neutroniques qui constituent son principal facteur de vieillissement. Dans cette perspective, EDF a d'ores et déjà réalisé des travaux sur certains de ses réacteurs qu'elle a prévu de généraliser dans les années à venir. Des grappes absorbantes en hafnium sont ainsi installées à cet effet sur les réacteurs de 900 MW lors de leur quatrième visite décennale. De tels dispositifs doivent aussi être positionnés sur les réacteurs de 1 300 MW lorsqu'ils atteindront à leur tour 40 ans. Les réacteurs les plus récents en seront quant à eux équipés dès leur troisième visite décennale.

Les cuves font par ailleurs l'objet d'une surveillance constante à travers des examens non destructifs réalisés via des moyens robotisés

Source : commission d'enquête d'après EDF

Les enjeux de l'adaptation du parc de réacteurs aux conséquences prévisibles du changement climatique sont également essentiels dans la perspective de leur prolongation. Ces enjeux ont notamment vocation à faire l'objet de mesures ambitieuses dans le cadre des cinquièmes réexamens périodiques des réacteurs. La commission d'enquête considère qu'il est absolument indispensable que les améliorations qui seront décidées à cette occasion pour rendre les réacteurs plus résilients aux dérèglements climatiques intègrent d'emblée la perspective de leur prolongation jusqu'à 80 ans.

La commission d'enquête constate par ailleurs que plusieurs exemples internationaux nous permettent d'envisager très sérieusement la prolongation de la durée de vie de tout ou partie des réacteurs du parc nucléaire français au-delà de 60 ans.

L'exemple des Etats-Unis est à ce titre particulièrement riche d'enseignements puisque la conception des réacteurs américains est très proche de celle des centrales françaises qui appartiennent à la même filière technologique. Ainsi, aux États-Unis, presque tous les réacteurs nucléaires disposent déjà d'une licence pour fonctionner jusqu'à 60 ans et la commission de sûreté nucléaire (NRC) américaine a accepté la prolongation jusqu'à 80 ans de six réacteurs632(*). Par ailleurs, dans une note de 2021, la NRC a même déjà envisagé les conditions d'une prolongation jusqu'à 100 ans de la durée de fonctionnement de certaines centrales américaines.

Sur la base d'enseignements tirés de parcs nucléaires étrangers, EDF a témoigné auprès de la commission d'enquête sa grande confiance dans la prolongation des réacteurs du parc nucléaire français au-delà de 60 ans. Cette conviction a notamment été exprimée par le directeur de la division production nucléaire du groupe, Etienne Dutheil, à l'occasion d'une table ronde qui s'est tenue le 6 février 2024 : « nous avons confiance dans l'aptitude technique de nos installations à fonctionner durant de telles périodes. Aux États-Unis, des réacteurs ont obtenu une licence à quatre-vingts ans. En Europe, la centrale de Loviisa en Finlande vient d'obtenir une autorisation de fonctionner soixante ans. En Suisse, les réacteurs de Beznau ont été démarrés en 1969 et en 1971 et son toujours en fonctionnement. Cela ne veut pas dire que tout est acquis et que nous pouvons faire la même chose en France, mais, techniquement, la durée de vie potentielle de ce type d'installation peut atteindre plus de soixante ans. À nous de trouver les conditions répondant au cadre réglementaire permettant d'envisager de telles perspectives »633(*).

L'exemple américain vu par l'ASN

Les réacteurs nucléaires sont exploités aux États Unis sur la base d'une licence d'exploitation initiale d'une durée de 40 ans, renouvelable par pas de 20 ans. Afin de poursuivre l'exploitation des réacteurs au-delà de la licence d'exploitation initiale, les exploitants américains soumettent donc à la Nuclear Regulatory Commission (NRC), l'autorité indépendante en charge de la sûreté et la régulation des activités nucléaires aux États Unis :

- un dossier de renouvellement de licence pour fonctionner de 40 à 60 ans (License Renewal LR) ;

- puis un dossier de renouvellement de licence pour fonctionner de 60 à 80 ans (Subsequent License Renewal SLR).

Parmi les 93 réacteurs nucléaires en fonctionnement aux États Unis :

- 9 réacteurs fonctionnent toujours sur la base de la licence initiale pour fonctionner jusqu'à 40 ans ;

- 78 réacteurs ont obtenu le renouvellement de licence pour fonctionner jusqu'à 60 ans ;

- 6 réacteurs ont obtenu le renouvellement de licence pour fonctionner jusqu'à 80 ans.

L'ASN est attentive aux instructions conduites aux Etats-Unis concernant la poursuite du fonctionnement des réacteurs nucléaires, et a des échanges périodiques avec son homologue américain sur le sujet. Cependant, les conditions d'exploitation, les modalités de contrôle et de suivi et les modifications réalisées au cours de la durée de vie des centrales américaines peuvent s'avérer significativement différentes de celles observées en France. Par conséquent, il apparaît délicat de considérer que les analyses portées dans le cadre de la poursuite de fonctionnement des réacteurs nucléaires exploités aux Etats-Unis fournissent une indication fiable sur les perspectives de prolongation du parc nucléaire en France.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

La commission d'enquête a pu constater que des travaux de recherche ont été engagés dans la perspective de prolonger la durée de fonctionnement des centrales françaises au-delà de 60 ans. Compte-tenu des enjeux pour l'avenir énergétique du pays, il était indispensable de lancer au plus vite de telles études qui ont malheureusement trop longtemps été dissuadées par des politiques énergétiques farouchement hostiles à l'atome. Il est urgent de mettre tous les moyens et les compétences nécessaires dans ces recherches desquelles dépendra notamment la compétitivité économique de notre mix électrique de demain et d'après-demain.

Ainsi, à la fin de l'année 2023, EDF et le CEA ont-ils présenté à l'ASN et à l'IRSN un programme de recherche et développement relatif à la prolongation des réacteurs du parc nucléaire au-delà de 50 ans et même au-delà de 60 ans. Framatome est également partie prenante de ces recherches. Celles-ci, qui s'appuient notamment sur le programme américain de prolongation des licences de réacteurs de 60 à 80 ans, doivent se concentrer sur les conditions de vieillissement des composants du circuit primaire mais, plus encore sur celles des composants irremplaçables et difficilement remplaçables.

Les premiers échanges entre EDF et l'ASN concernant la perspective de prolongation des réacteurs au-delà de 60 ans

Les travaux sur les perspectives de fonctionnement au-delà de 60 ans ont été engagés avec EDF au début de l'année 2023. Au cours de l'année 2023, les échanges entre l'ASN et EDF ont permis d'identifier la liste des principaux sujets techniques pouvant limiter la poursuite du fonctionnement des réacteurs nucléaires jusqu'à 60 ans et au-delà.

Sur la base d'une analyse préliminaire, EDF a également analysé au cours de l'année 2023 les perspectives de fonctionnement avec les méthodes et les hypothèses actuellement utilisées dans la démonstration de sûreté des réacteurs. Ces éléments n'ont pas encore été partagés avec l'ASN, et n'ont donc pas fait l'objet à ce stade d'une évaluation critique de la part de l'ASN.

Pour les perspectives de fonctionnement au-delà de 60 ans, les premiers livrables d'EDF sont attendus pour la fin de l'année 2024. L'ASN prendra position sur ce sujet d'ici la fin de l'année 2026.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

Dans son avis du 13 juin 2023 précité, l'ASN a demandé à EDF de lui remettre un dossier technique détaillée d'ici à la fin de l'année 2024 documentant les perspectives de prolongation au-delà de 60 ans des réacteurs de son parc. Sur la base de cette étude, l'ASN a pris l'engagement de prendre une première position d'ici à la fin de l'année 2026 sur les points sensibles à expertiser et traiter en priorité dans le cadre de la poursuite du fonctionnement des centrales après 60 ans.

Une prise de position de l'ASN est attendue en 2026

La démarche d'anticipation sur les perspectives de poursuite de fonctionnement engagée par l'ASN avec EDF, qui conduira à une prise de position à la fin de l'année 2026 poursuit les objectifs suivants :

- Mettre en avant les difficultés devant être traitées en amont de la déclinaison des sixièmes réexamens périodiques, voire au-delà, notamment en matière de méthodes de justification ;

- Identifier les sujets limitants pour la poursuite de fonctionnement, et les échéances associées, pouvant concerner plusieurs réacteurs.

Il s'agit ainsi d'une démarche d'anticipation et de réduction des incertitudes entourant la capacité des réacteurs existants à poursuivre leur fonctionnement jusqu'à 60 ans et au-delà, qui n'a pas vocation à se substituer aux réexamens périodiques, qui sont un processus de démonstration de la capacité de ces réacteurs à poursuivre leur fonctionnement pour 10 années supplémentaires.

Cette démarche devrait conduire à un avis de l'ASN sur les perspectives de poursuite du fonctionnement du parc jusqu'à et au-delà de 60 ans, ainsi qu'une liste de sujets pour lesquels un travail anticipé par rapport aux réexamens est nécessaire.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

Recommandation n° 23

Destinataire

Échéance

Support/Action

Affirmer sans ambiguïté l'orientation politique stratégique visant à prolonger la durée de vie du maximum de réacteurs au-delà de 60 ans et mobiliser en ce sens dès à présent tous les acteurs concernés

Gouvernement (ministère chargé de l'énergie)

EDF

ASN

CEA

2024

Orientations stratégiques


* 631 Les « internes de cuve ».

* 632 Deux réacteurs des centrales de Turkey Point, Surry et Peach Bottom.

* 633 Table ronde du 6 février 2024.

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