E. QUEL SCÉNARIO POUR NOTRE MIX À HORIZON 2035 ?
Comme cela été vu dans la deuxième partie, l'estimation de la commission d'enquête est que les besoins de consommation électrique devraient, sous toutes réserves, commencer à décoller de façon significative à la fin de la décennie 2030 pour atteindre environ 615 TWh en 2035.
La commission considère que la production annuelle pourra s'appuyer sur l'ensemble des réacteurs du parc nucléaire actuel. Compte-tenu des éléments dont elle a pu avoir connaissance et des avis convergents de nombreux acteurs du secteur, elle considère que tous les réacteurs actuels devraient pouvoir voir leur durée de fonctionnement prolongée au moins jusqu'à 60 ans. Cette hypothèse raisonnable constitue l'un des paramètres cruciaux du scénario retenu par la commission d'enquête.
La commission d'enquête considère également que la production annuelle nationale devrait être portée par un redressement progressif du facteur de charge des réacteurs du parc nucléaire.
Les différents programmes de performance initiés par EDF devraient en effet permettre d'augmenter progressivement le facteur de charge des réacteurs à environ 70 %, un niveau qui permettrait au parc d'approcher, à horizon 2030, l'objectif de production de 400 TWh.
Cette augmentation pourrait intervenir essentiellement à la faveur de l'accroissement de la performance des périodes d'arrêts de réacteurs ainsi que des opérations de maintenance et dans une moindre mesure, en fin de période, d'une augmentation de la puissance et d'un allongement du cycle de rechargement de certains réacteurs de 900 MW. Le facteur de charge pourrait ainsi se stabiliser autour de 70 % à partir de 2030 pour une production annuelle qui pourrait ainsi osciller autour de 390 TWh.
La capacité de production du système électrique français sera également renforcée par le déploiement de nouvelles installations éoliennes et photovoltaïques. Un tel développement est nécessaire pour couvrir en toute sécurité et de façon décarbonée, en complément du parc nucléaire, la hausse prévisible et souhaitable de la consommation électrique.
Cependant, la commission d'enquête estime que les trajectoires et objectifs affichés par le Gouvernement à horizon 2035 sont à la fois irréalistes et trop élevés par rapport au besoin réel prévisible. Or, comme décrit infra dans les développements relatifs aux coûts de production et aux investissements dans les réseaux de transport et de distribution, le déploiement de nouvelles capacités éoliennes et photovoltaïques est particulièrement coûteux à l'échelle du mix de production en raison des « coûts systèmes » qui résultent de leur intermittence.
Les objectifs de déploiement de nouvelles capacités éoliennes en mer à horizon 2035 apparaissent par ailleurs très incertains compte tenu des inconnues majeures qui subsistent quant à la maturité technologique des parcs flottants ou encore à des difficultés d'acceptabilité récurrentes. Par ailleurs, le coût réel de ces technologies, en intégrant leur raccordement, est élevé. Les prévisions de développement des capacités photovoltaïques d'ici 2035 retenues par le Gouvernement semblent elles aussi nettement exagérées.
Aussi, à la fois par prudence car les hypothèses retenues par le Gouvernement semblent relever davantage du voeu pieux que d'une vraie programmation de moyen-long terme, mais également par esprit de responsabilité afin de ne pas augmenter les coûts du système électrique, notamment les investissements dans les réseaux, au-delà du strict nécessaire, la commission d'enquête retient un scénario plus réaliste et plus conforme aux besoins prévisionnels tant en ce qui concerne le déploiement de l'éolien en mer que du photovoltaïque. Pour ces deux filières, il lui semble ainsi nécessaire de décaler à l'horizon 2050 les objectifs que le Gouvernement affiche pour 2035 et qui, en toute hypothèse, ne seraient vraisemblablement pas atteint à cette date.
Ainsi, pour la commission d'enquête, d'ici à 2035, la puissance installée des parcs éoliens en mer devrait-elle atteindre 10 GW pour une production moyenne annuelle de 35 TWh à cet horizon. S'agissant de la filière photovoltaïque, la puissance installée évoluerait de 19 GW aujourd'hui à 50 GW en 2035, soit une augmentation de plus de 160 %, déjà considérable. À cet horizon la production annuelle moyenne de 61 TWh serait envisagée.
Les capacités de la filière éolienne terrestre devraient, quant à elles, progresser de 90 % pour atteindre environ 42 GW en 2035 pour une production d'environ 90 TWh par an.
Comme le prouvent ces évolutions, à l'horizon 2035, le développement des capacités éoliennes et photovoltaïques demeure très substantiel. Loin de se traduire par une pause dans le développement de ces moyens de production, la commission d'enquête entend l'inscrire dans une trajectoire tout à la fois raisonnable et réaliste.
S'agissant de l'hydroélectricité, à horizon 2035, par prudence compte-tenu des incertitudes qui pèsent toujours sur la résolution du contentieux avec la Commission européenne qui paralyse tout investissement dans cette filière, la commission d'enquête ne retient qu'une augmentation d'environ 1 GW sur la période de la puissance installée du parc hydroélectrique.
Évolution de la composition en production du mix à horizon 2035
(en TWh)
Source : commission d'enquête
À l'horizon 2035, le scénario de mix de production retenu par la commission permettrait de couvrir sur l'ensemble de la période l'augmentation attendue de la consommation nationale avec une marge suffisante susceptible de contribuer à la sécurité d'approvisionnement du pays et de maintenir un solde exportateur qui permettra à la France, du fait d'un mix quasi intégralement décarboné, de continuer à contribuer substantiellement à la réduction des émissions de CO2 résultant de la production électrique à l'échelle du continent européen.
Comparaison de la production et de la consommation annuelles à horizon 2035 dans le scénario de la commission d'enquête
(en TWh)
Source : commission d'enquête
En 2035, en production, le scénario de la commission d'enquête se traduirait par un mix encore dominé à près de 60 % par la production nucléaire.
Composition en production du mix en 2035 dans le scénario de la commission d'enquête
(en TWh)
Source : commission d'enquête
En raisonnant maintenant en puissance installée (compte tenu notamment des facteurs de charge), le parc de production se développerait d'environ 40 % pour dépasser les 210 GW.
Composition en puissance installée du mix de production en 2035 dans le scénario de la commission d'enquête
(en GW)
Source : commission d'enquête
Assurer le « bouclage » dit « en production », c'est-à-dire la couverture de la consommation annuelle par la production annuelle exprimées en TWh, est cependant insuffisant. Il est essentiel de garantir également le bouclage « en puissance », c'est-à-dire la capacité du système, en GW disponibles, de fournir l'électricité nécessaire pour passer les pointes.
Le scénario retenu par la commission d'enquête prévoit de maintenir l'ensemble des capacités pilotables existantes, y compris bien entendu les centrales thermiques actuellement en fonction et qui restent indispensables pour garantir notre sécurité d'approvisionnement.
La commission d'enquête retient également une hypothèse de disponibilité du parc nucléaire plus ambitieuse que le scénario central modélisé par RTE dans son dernier bilan prévisionnel réalisée en 2023. Dans ces conditions, et au regard des prévisions les plus récentes réalisées par RTE sur l'évolution des risques d'approvisionnement à horizon 2030-2035, il semble improbable que la construction de nouvelles capacités thermiques soient nécessaires à ces horizons.
Cependant, rien ne doit être exclu et des hypothèses défavorables en matière de flexibilité de la demande par exemple pourraient se traduire par des besoins limités de quelques GW supplémentaires pour assurer la sécurité d'approvisionnement nationale aux horizons 2030-2035. Comme décrit supra, à ces horizons, rien ne prouve à ce stade que les technologies thermiques décarbonées seront prêtes à être déployées dans des proportions suffisantes.
C'est pour cette raison que la commission recommande de ne pas s'interdire, en dernier recours et si les circonstances l'exigeaient, de construire de nouvelles centrales fonctionnant au gaz naturel. Ces besoins seraient en toute hypothèse très limités et pour des durées de fonctionnement annuelles particulièrement faibles qui n'auraient qu'un impact extrêmement marginal sur les émissions de CO2 du système.