C. PPE, SNBC, SFEC, PNIEC... DES TEXTES INSUFFISAMMENT COORDONNÉS ET POUR CERTAINS OBSOLÈTES
La stratégie française dans le domaine de l'énergie repose sur un ensemble de textes, certes structurants pour la définition des politiques publiques, mais qui nuisent, par leur pluralité et leur redondance, mais aussi, disons-le par leur caractère très évolutif pour ne pas dire éphémère, à la bonne articulation et à la lisibilité de l'action des pouvoirs publics. Par ailleurs nombre d'objectifs qui ont été définis dans ce cadre ne sont plus adaptés ni aux orientations fixées au niveau européen ni aux annonces formulées dans le discours de Belfort par le président de la République, ni surtout aux enjeux des prochaines années et décennies.
1. Une stratégie française, déclinée en une pluralité de documents, toujours en cours de révision
a) Un scénario commun pour des documents pluriels
La stratégie française en matière d'énergie et de climat (SFEC) vise à réussir la transition vers la neutralité carbone à l'horizon 2050, en :
- décarbonant complètement l'énergie utilisée à l'horizon 2050 (à l'exception du transport aérien) ;
- diminuant de moitié les consommations d'énergie dans tous les secteurs d'activité, en développant des équipements plus performants et en adoptant des modes de vie plus sobres ;
- réduisant au maximum les émissions non énergétiques, issues très majoritairement du secteur agricole et des procédés industriels ;
- augmentant et sécurisant les puits de carbone.
Elle s'inscrit dans le cadre de la loi relative à l'énergie et au climat du 8 novembre 2019. Cette loi fixe le cadre, les ambitions et la cible de la politique énergétique et climatique de la France aux horizons 2030 et 2050.
La SFEC comporte deux volets :
- la deuxième stratégie nationale bas-carbone (SNBC2), adoptée le 21 avril 2020, qui fixe la feuille de route pour réduire les émissions de gaz à effet de serre jusqu'à 2050 avec des objectifs détaillés et des indicateurs de suivi pour chacun des grands secteurs émetteurs ;
- la deuxième programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE2), adoptée le 21 avril 2020, qui détermine les priorités d'actions des pouvoirs publics dans le domaine de l'énergie afin d'atteindre les objectifs de politique énergétique définis par la loi, sur deux périodes quinquennales successives, 2019-2023 et 2024-2028.
La SFEC s'articule par ailleurs avec différents plans, programmes et stratégies de niveau national qui déclinent de manière opérationnelle ses priorités d'action, tels que la stratégie de développement de la mobilité propre, annexée à la PPE, le plan de réduction des émissions de polluants atmosphériques, la stratégie nationale de recherche énergétique, la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse. Elle est complétée par le Plan national d'adaptation climatique 2018-2022 (PNACC-2) qui doit mettre en oeuvre les actions nécessaires pour adapter, d'ici 2050, les territoires de la France métropolitaine et outre-mer, aux changements climatiques régionaux attendus.
En outre, la réglementation européenne prévoit que les États membres établissent, à intervalles réguliers, des plans nationaux intégrés en matière d'énergie et de climat (PNIEC)60(*), couvrant des périodes de dix ans, qui sont transmis à la Commission européenne. Le plan de la France est fondé sur les deux documents nationaux de programmation et de gouvernance sur l'énergie et le climat, la SNBC et la PPE.
La stratégie française en matière d'énergie et de climat vise ainsi à traiter de manière cohérente et intégrée les enjeux de la décarbonation et à renforcer l'articulation nécessaire entre les politiques d'atténuation et d'adaptation au changement climatique. Toutefois, sa structuration en plusieurs documents qui ont tendance à s'imbriquer sans se correspondre parfaitement ne contribue pas à en appréhender toutes les composantes ni à garantir la lisibilité d'une politique énergétique et climatique nationale dont les volets sont nécessairement interdépendants. Trop de stratégies nuisent à la stratégie, et trop de plans nuisent à la planification.
b) Une révision législative qui se fait attendre
Depuis la loi relative à l'énergie et au climat du 8 novembre 2019, les objectifs ainsi que les priorités de la politique nationale en matière de climat et d'énergie doivent, en principe, être inscrits dans la loi. La loi de 2019 a, en effet, inséré un article L 100-1-A, toujours en vigueur, au code de l'énergie disposant que « Avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique.
« Chaque loi prévue au premier alinéa du présent I précise :
« 1° Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour trois périodes successives de cinq ans ;
« 2° Les objectifs de réduction de la consommation énergétique finale et notamment les objectifs de réduction de la consommation énergétique primaire fossile, par énergie fossile, pour deux périodes successives de cinq ans, ainsi que les niveaux minimal et maximal des obligations d'économies d'énergie prévues à l'article L. 221-1 du présent code, pour une période de cinq ans ;
« 3° Les objectifs de développement des énergies renouvelables pour l'électricité, la chaleur, le carburant et le gaz pour deux périodes successives de cinq ans ;
« 4° Les objectifs de diversification du mix de production d'électricité, pour deux périodes successives de cinq ans ;
« 5° Les objectifs de rénovation énergétique dans le secteur du bâtiment, pour deux périodes successives de cinq ans ;
« 6° Les objectifs permettant d'atteindre ou de maintenir l'autonomie énergétique dans les départements d'outre-mer.
« II.- Sont compatibles avec les objectifs mentionnés au I :
« 1° La programmation pluriannuelle de l'énergie mentionnée à l'article L. 141-1 ;
« 2° Le plafond national des émissions de gaz à effet de serre, dénommé “ budget carbone ”, mentionné à l'article L. 222-1 A du code de l'environnement ;
« 3° La stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone, dénommée “ stratégie bas-carbone ”, ainsi que les plafonds indicatifs des émissions de gaz à effet de serre dénommés “ empreinte carbone de la France ” et “ budget carbone spécifique au transport international ”, mentionnés à l'article L. 222-1 B du même code ;
« 4° Le plan national intégré en matière d'énergie et de climat et la stratégie à long terme (...) ;
« 5° La stratégie de rénovation à long terme, mentionnée à l'article 2 bis de la directive 2010/31/ UE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments (...). »
Tel qu'il figure toujours sur le site du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, le calendrier d'actualisation de la Stratégie française sur l'énergie et le climat prévoit une adoption de la toute première loi de programmation de l'énergie et du climat (LPEC) en 2023.
Le calendrier d'élaboration de la SFEC selon le ministère de la Transition écologique
Le calendrier d'élaboration de la SFEC est le suivant :
- Octobre 2021 : lancement des travaux d'élaboration de la Stratégie française sur l'énergie et le climat ;
- Du 2 novembre 2021 au 15 février 2022 : concertation publique volontaire sur les grandes orientations de la politique climatique ;
- Du 20 octobre 2022 au 22 janvier 2023 : concertation nationale sur le mix énergétique « Notre avenir énergétique se décide maintenant » ;
- 2023 : adoption de la première loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) à l'issue du débat parlementaire ;
- 2023-2024 : concertations préalables « réglementaires » sur la PPE et la SNBC à l'issue de l'adoption de la LPEC, consultations obligatoires (Conseil supérieur de l'énergie, Conseil national de la transition énergétique, consultation du public, etc.) sur les projets de PPE et de SNBC ;
- 2024 : adoption de la 3ème Stratégie nationale bas-carbone, de la 3ème Programmation pluriannuelle de l'énergie, et du 3ème Plan national d'adaptation au changement climatique.
Source : ministère de la transition écologique
Dans les faits, le Gouvernement a renoncé à présenter un projet de loi de programmation de l'énergie et du climat et a annoncé qu'il se contenterait de la voie réglementaire, via les décrets adoptant la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie nationale bas-carbone, pour fixer objectifs et trajectoires de la politique énergétique.
Dans ce cadre, il a soumis à consultation publique, le 22 novembre 2023, un document présentant les grandes orientations envisagées pour la prochaine PPE et devrait produire prochainement, pour consultation publique, un document exposant les grandes orientations envisagées à l'horizon 2030 pour la prochaine SNBC.
Ce faisant, non seulement l'exécutif ne respecte pas la loi de 2019, mais plus profondément, comme cela a déjà été exposé, une telle méthode n'est absolument pas adaptée au temps long de la politique énergétique. Celle-ci exige une concertation large, incluant des experts et acteurs du secteur énergétique, et la consultation de la Représentation nationale afin que toutes les hypothèses puissent être présentées et évaluées, puis que les choix deviennent effectivement ceux de la nation et bénéficient d'une légitimité incontestable leur conférant la stabilité indispensable.
La commission d'enquête estime indispensable que la politique énergétique de la France soit portée par un texte pluriannuel de valeur législative. Elle recommande d'examiner l'hypothèse de programmations pluridécennales glissantes, qui pourraient ensuite être précisées par tranches quinquennales.
2. Des objectifs obsolètes au regard des enjeux de la transition énergétique et climatique
La SNBC, adopté en 2020, n'est d'ores et déjà plus compatible avec les objectifs fixés par l'Union européenne pour 2030. Il en va de même de la programmation pluriannuelle de l'énergie 2019-2028, en raison notamment de l'obsolescence d'un certain nombre d'objectifs climatiques qui nécessitent de renforcer les ambitions nationales, en particulier dans le secteur de la production énergétique décarbonée et de l'électrification, mais aussi du fait des inflexions que l'exécutif lui-même a voulu donner à la politique énergétique.
La SNBC devra ainsi s'inscrire dans le cadre de la neutralité carbone à l'horizon 2050 en définissant une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre compatible avec cet objectif. La mise en oeuvre du règlement européen relatif à la réduction des émissions de gaz à effet61(*) requiert des mesures d'adaptation visant à retranscrire, dans cette stratégie, l'objectif de réduction des gaz à effet de serre pour 2030 dans les secteurs des transports, du bâtiment, de l'agriculture, des déchets et des industries hors marché carbone européen. Le Gouvernement prévoit de procéder à cette adaptation par voie réglementaire en 2025. Elle devra prendre notamment en compte l'objectif réhaussé de réduction de 50 % des émissions brutes de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 1990.
La nouvelle PPE devra définir la transformation du système énergétique français sur les périodes 2025-2030 et 2030-2035, et prendre en compte le renforcement des objectifs climatiques de l'UE. Outre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle devra réévaluer l'objectif de baisse de la consommation d'énergies fossiles et de la consommation finale d'énergie. Le Gouvernement prévoit de réduire cette part respectivement, de 42 % en 2030 et de 29 % en 2035, et, de 40 à 50 % d'ici à 2050 par rapport à 2021, et de 30 % en 2030 par rapport à 2012, soit un doublement des objectifs précédents.
La PPE devrait aussi prendre en compte les objectifs fixés par la directive européenne sur les énergies renouvelables dite RED III62(*) qui prévoit que « les États membres veillent collectivement à ce que la part d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie de l'Union en 2030 soit d'au moins 42,5 % » et « les États membres s'efforcent collectivement de porter à 45 % la part d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie de l'Union en 2030 », ce qui représente un quasi-doublement par rapport à l'objectif précédent. Ces dispositions devraient être intégrées dans le cadre de la révision de la PPE pour la période 2024-2028. Cela étant, comme cela a été précisé, ces objectifs de proportion d'énergies renouvelables dans le bouquet énergétique vont directement à l'encontre des principes de l'article 194 du TFUE qui laisse les États membres seuls maîtres de leur mix.
Enfin, - et c'est sans doute le point le plus important -, la PPE actuelle prévoit la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % en 2035, avec la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires, en parfaite contradiction avec les annonces du président de la République sur la relance du nucléaire, et avec la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.
* 60 Règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, modifiant les règlements (CE) no 663/2009 et (CE) no 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/CE, 98/70/CE, 2009/31/CE, 2009/73/CE, 2010/31/UE, 2012/27/UE et 2013/30/UE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/CE et (UE) 2015/652 du Conseil et abrogeant le règlement (UE) n° 525/2013 du Parlement européen et du Conseil.
* 61 Règlement (UE) 2023/857 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2023 modifiant le règlement (UE) 2018/842 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris et le règlement (UE) 2018/1999.
* 62 Directive (UE) 2023/2413 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 modifiant la directive (UE) 2018/2001, le règlement (UE) 2018/1999 et la directive 98/70/CE en ce qui concerne la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil.