N° 708

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 juin 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur l'euro numérique,

Par M. Pascal ALLIZARD et Mme Florence BLATRIX CONTAT,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Mme Gisèle Jourda, MM. Didier Marie, Claude Kern, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Georges Patient, Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Louis Vogel, Mme Mathilde Ollivier, M. Ahmed Laouedj, vice-présidents ; Mme Marta de Cidrac, M. Daniel Gremillet, Mmes Florence Blatrix Contat, Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, François Bonneau, Mme Valérie Boyer, M. Pierre Cuypers, Mmes Karine Daniel, Brigitte Devésa, MM. Jacques Fernique, Christophe-André Frassa, Mmes Annick Girardin, Pascale Gruny, Nadège Havet, MM. Olivier Henno, Bernard Jomier, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Ronan Le Gleut, Mme Audrey Linkenheld, MM. Vincent Louault, Louis-Jean de Nicolaÿ, Teva Rohfritsch, Mmes Elsa Schalck, Silvana Silvani, M. Michaël Weber.

ESSENTIEL

La Commission européenne a présenté en juin 2023 une proposition de règlement relative à l'euro numérique1(*). Cette proposition vise à instaurer dans la zone euro une monnaie numérique de banque centrale, qui serait directement accessible par les particuliers. Cette proposition fait suite aux travaux menés par la Banque centrale européenne (BCE) sur le sujet depuis plusieurs années. En octobre 2023, le Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé de lancer la « phase préparatoire » du projet d'euro numérique, qui a succédé à la « phase d'étude » conduite depuis octobre 2021.

À l'issue des expérimentations actuellement menées et une fois le processus législatif de l'Union européenne achevé, il reviendra au Conseil des gouverneurs de la BCE de décider de l'opportunité d'émettre un euro numérique. La décision effective de lancement d'euro numérique ne pourrait intervenir qu'à partir de 2027 ou 2028.

I. EN QUOI L'EURO N'EST-IL PAS DÉJÀ « NUMÉRIQUE » ?

A. LA COMPLÉMENTARITÉ ENTRE MONNAIE DE BANQUE CENTRALE ET MONNAIE COMMERCIALE

L'architecture monétaire est fondée sur la complémentarité entre la monnaie commerciale et la monnaie de banque centrale. La convertibilité au pair de ces deux formes de monnaie est la clé de voûte du bon fonctionnement des paiements.

La monnaie commerciale désigne les dépôts des banques commerciales et circule via les moyens de paiement comme les paiements SEPA (virement, règlement) ou les cartes de paiement. Les Européens, quand ils règlent via des solutions digitales, paient via de la monnaie commerciale et donc privée et non pas publique.

La monnaie de banque centrale, qui seule a cours légal, est émise et garantie dans la zone euro par la BCE. Les espèces (pièces et billets) sont aujourd'hui la seule forme de monnaie de banque centrale directement accessible par les particuliers. Alors que de nombreuses mutations ont touché le domaine des paiements depuis l'adoption de l'euro il y a 25 ans, la monnaie de banque centrale ne reste ainsi accessible pour les particuliers que sous la forme de monnaie fiduciaire.

Source : Banque de France

B. L'EURO NUMÉRIQUE, DE LA MONNAIE DIGITALE DE BANQUE CENTRALE DIRECTEMENT ACCESSIBLE PAR LES PARTICULIERS

Le projet d'euro numérique viendrait compléter cette architecture, en permettant aux particuliers de disposer directement d'une forme digitale de monnaie de banque centrale. Ce projet leur offrirait un moyen de régler de façon digitale sans pour autant passer par de la monnaie commerciale. L'euro numérique pourrait alors être considéré comme l'équivalent numérique du billet.

Source : Banque de France

L'euro numérique n'existe pas aujourd'hui au sens où l'euro comme monnaie centrale n'est pas accessible de façon digitale par les particuliers. L'euro numérique de détail constituerait une créance auprès de la BCE. Des projets de monnaie numérique de banque centrale de gros (MNBC de gros), qui concernent les paiements interbancaires, sont aussi discutés. Ce sujet n'est pas traité par la proposition de la Commission européenne de juin 2023, qui porte exclusivement sur l'euro numérique de détail.

II. UN PROJET NÉCESSAIRE POUR RENFORCER LA SOUVERAINETÉ DES PAIEMENTS EN EUROPE

La distinction entre monnaie de banque centrale et monnaie commerciale apparaît théorique aux yeux de nos concitoyens. Alors qu'ils peuvent déjà payer de façon digitale, ceux-ci voient donc difficilement l'intérêt qu'apporterait la solution d'euro numérique. Comme certains l'ont avancé, l'euro numérique serait alors une « solution à la recherche d'un problème ».

La commission des affaires européennes du Sénat considère néanmoins que l'euro numérique est un projet nécessaire pour assurer la souveraineté des paiements. En effet, la digitalisation croissante des paiements se traduit aujourd'hui par la domination d'acteurs extra-européens. Cela est tout particulièrement vrai s'agissant du paiement par cartes, dominé par le duopole américain de Visa et Marstercard. L'irruption des BigTech, avec les solutions mobiles de paiement X Pay, renforce encore cette tendance. À l'avenir, le paiement digital pourrait même passer par des solutions de monnaie privée, comme l'a montré le projet Libra/Diem de Meta (finalement abandonné) ou par des MNBC de pays hors zone euro.

 

Plus de

Des projets de monnaie privée comme

 
 
 

Visa et Mastercard concentrent plus de 70 % du paiement par cartes en Europe

des banques centrales dans le monde ont initié ou lancé des projets pilote de MNBC

ont été lancés. Si Meta a abandonné le projet Libra, Paypal développe son propre stablecoin, libellé en dollar.

L'euro numérique permettrait de remédier à la dépendance vis-à-vis de solutions extra-européennes dans le domaine des paiements en offrant une solution européenne de paiement numérique universellement acceptée dans la zone euro, ce qui aujourd'hui n'existe pas.

Ces situations de dépendance, déjà problématiques en temps normal, pourraient se révéler dangereuses en cas de crise. Plus qu'à une motivation économique, l'euro numérique répond donc à un projet politique, celui du renforcement de la souveraineté en matière des paiements en Europe.

Plutôt qu'à une défaillance de marché, l'euro numérique répond à une dépendance en matière de paiements.

Caractéristiques principales de l'euro numérique, selon la proposition de la Commission

Statut de la monnaie

- L'euro numérique aurait cours légal, ce qui signifie que son acceptation serait obligatoire. Des dérogations seront cependant prévues pour les commerçants n'acceptant déjà pas de moyens de paiements digitaux, pour les micro-entreprises ou encore pour les paiements à tire purement personnel.

- L'euro numérique n'entraînerait pas la disparition des espèces. Il serait instauré en complément des espèces et non en remplacement.

- La BCE et les banques centrales seraient chargées de l'émission de l'euro numérique.

Distribution

- La distribution de l'euro numérique serait assurée par les prestataires de services de paiement (PSP, c'est-à-dire banques et assimilés). Il s'agit donc d'une distribution décentralisée, via les intermédiaires financiers. Ceux-ci seraient ainsi responsables de toutes les interactions avec les utilisateurs, notamment l'ouverture de compte ou la relation client.

- Les banques devraient fournir gratuitement aux particuliers les services de base de l'euro numérique.

- Pour les commerçants, un encadrement des frais payés aux PSP serait prévu.

Modalités et limitations 

- L'euro numérique pourrait être utilisé en ligne ou hors ligne (c'est-à-dire sans recourir à internet).

- L'euro numérique ne devrait pas être une monnaie programmable. Cela signifie qu'il ne serait pas possible d'imposer des limitations concernant par exemple le lieu d'utilisation, le moment d'utilisation, le produit ou le service payé, ou encore la personne qui l'utilise.

- L'euro numérique ne serait pas rémunéré, ni positivement, ni négativement

- Un plafond de détention d'euros numériques pourrait être fixé, afin de limiter les impacts en termes de stabilité financière (risques de fuite des dépôts).

III. LA CONFIDENTIALITÉ, CONDITION CLÉ POUR ASSURER L'ADOPTION DE L'EURO NUMÉRIQUE

Compte tenu du paysage déjà très concurrentiel des paiements en Europe, la confidentialité serait une plus-value de l'euro numérique propice à son adoption par les citoyens européens. La protection des données et du respect de la vie privée dans le cas d'un lancement de l'euro numérique sera un sujet de vigilance majeur. Lors d'une consultation publique réalisée par la BCE publiée en 2021, 43 % des répondants ont estimé que la protection de la vie privée était l'aspect le plus important de l'euro numérique - loin devant d'autres considérations.

Plusieurs dispositions prévues par la proposition permettent d'assurer un niveau renforcé de protection de la vie privée, à défaut d'un anonymat complet, qui est explicitement exclu par la proposition. Les données personnelles ne seraient pas visibles par la BCE, qui n'auraient accès qu'à des données pseudonymisées. En outre, un haut niveau de confidentialité serait apporté par la modalité hors ligne.

La commission des affaires européennes recommande des mesures complémentaires pour assurer une confidentialité sélective, qui rapproche le plus possible l'euro numérique d'une version digitale des espèces. Dans ce but, les rapporteurs proposent notamment d'instaurer un seuil de confidentialité pour les petites transactions ou encore de ne pas permettre la multi-détention de comptes d'euros numériques, qui oblige à un partage accru d'informations et complexifie l'expérience utilisateur. Ils alertent également sur le flou entourant les modalités techniques de la fonctionnalité hors ligne, qui ne paraît pas encore au point.

Plus globalement, outre la confidentialité des paiements, la sécurité du paiement en euro numérique devra être assuré, afin de prévenir les risques cyber. De telles menaces ne sont pas à négliger, l'Eurosystème pouvant être confronté à des attaques visant à déstabiliser le système financier et la confiance dans l'euro en général.

IV. DES IMPACTS SUR LA STABILITÉ FINANCIÈRE QUI DEVRAIENT ÊTRE LIMITÉS MAIS UN MODÈLE ÉCONOMIQUE ENCORE INCERTAIN

A. UNE CRAINTE DE FUITE DES DÉPÔTS, QUI NE DEVRAIT CEPENDANT PAS ÊTRE MASSIVE

L'introduction d'un euro numérique suscite des inquiétudes s'agissant de son impact sur l'intermédiation financière, avec des risques de fuite des dépôts. L'euro numérique peut être obtenu soit en convertissant des espèces, soit en convertissant des dépôts. Les banques se montrent très réservées vis-à-vis du projet d'euro numérique, craignant que la conversion des dépôts en euros numérique érode leurs sources de financement et conduise à alourdir leurs coûts de financement. Ce renchérissement pourrait se répercuter sur le canal du crédit, en diminuant la quantité des prêts accordés, alors que le recours au financement bancaire reste prépondérant pour les entreprises européennes.

Ce risque doit être pris au sérieux : l'euro numérique ne saurait mettre en danger la stabilité financière, ni la capacité à financer l'économie européenne. Néanmoins, les caractéristiques retenues - l'instauration d'un plafond de détention et la non-rémunération de l'euro numérique - permettent de limiter l'usage de l'euro comme réserve de valeur. De fait, les premières études notent un impact macroéconomique modéré en termes de fuite de dépôts en cas de plafond de détention fixé à 3000 euros.

La commission des affaires européennes recommande d'exiger de la Commission européenne et de la BCE des analyses plus approfondies pour évaluer les impacts des plafonds envisagés de détention d'euros numériques selon les types de banques et selon les États membres. La phase préparatoire du projet d'euro numérique doit être mise à profit pour évaluer finement ces impacts. En outre, la fixation du plafond de détention ne peut pas être de la seule compétence de la BCE ; les co-législateurs doivent intervenir dans cette fixation, soit en fixant le montant dans le texte de la proposition, soit en prévoyant une clause de révision sur le plafond retenu par le BCE.

B. UN MODÈLE DE TARIFICATION ENCORE ENTOURÉ D'INCONNUES

De grandes incertitudes pèsent sur le modèle de tarification de l'euro numérique, en particulier s'agissant des coûts pour les commerçants et de la prise en charge de la gratuité des services de base.

Les associations représentant les commerçants, comme Mercatel et Eurocommerce, ont confirmé auprès des rapporteurs apporter leur soutien de principe au projet d'euro numérique. Pour les commerçants, l'euro numérique pourrait conduire à réduire les coûts, alors que les frais payés à Mastercard et Visa ont fortement augmenté ces dernières années (+75 % entre 2016 et 2021). Pour autant, les commerçants s'interrogent sur la prise en charge des coûts ponctuels d'adaptation des infrastructures de paiement dans le cas d'une mise en service de l'euro numérique. Il s'agit notamment de savoir si les infrastructures existantes pourront ou non être réutilisées. En l'état actuel de la proposition, ces coûts ne sont pas objectivés. Par ailleurs, à plus long terme, il convient de savoir quels seront le modèle économique et la méthode retenue pour l'encadrement des frais appliqués aux commerçants par les prestataires de services au paiement (PSP).

La commission des affaires européennes recommande de garantir que les frais de l'euro numérique pour les commerçants soient inférieurs à ceux des solutions de paiements digitaux existantes. Cet encadrement lui apparaît une indispensable contrepartie à l'obligation d'acceptation d'euro numérique. Par ailleurs, alors que la gratuité des services de base en euros numériques fait l'objet de critiques, la commission recommande de conserver ce principe et de revoir la liste des services concernés.

Des négociations aujourd'hui enlisées

À la suite de la présentation en juin 2023 de la proposition de la Commission européenne sur l'euro numérique, les co-législateurs (Conseil et Parlement européen) ont commencé l'examen du texte.

Du côté du Conseil, les discussions ont été nourries lors de la présidence espagnole du Conseil de l'UE (deuxième semestre 2023). Un des points majeurs a concerné la répartition des rôles entre la BCE, la Commission européenne et les co-législateurs s'agissant de la détermination des modalités de l'euro numérique. La BCE, faisant valoir son indépendance et sa compétence exclusive en matière de politique monétaire, tient à garder la main non seulement sur la décision d'émission mais également sur la détermination de certains paramètres. Plusieurs États font à l'inverse valoir la nécessité de fonder démocratiquement ces décisions, via une intervention des co-législateurs. La présidence belge du Conseil (premier semestre 2024) n'a guère fait avancer le dossier, l'euro numérique ne faisant pas partie de ses priorités. Les prochaines présidences du Conseil seront assurées par des pays non membres de la zone euro : Hongrie, Pologne, Danemark.

Du côté du Parlement européen, les discussions ont été lentes. La commission des affaires économiques et monétaires (ECON) a entendu à plusieurs reprises les membres de la BCE chargés du projet. Le rapporteur du texte pour la commission ECON s'est montré très réservé sur le projet, pointant l'absence de plus-value pour le consommateur. Le Parlement européen n'a pas adopté de position sur la proposition sur l'euro numérique avant les élections européennes de juin. Les travaux devront donc redémarrer après la reconstitution du Parlement européen. 

Les négociations sur la proposition relative à l'euro numérique n'en sont ainsi encore qu'au début. C'est la raison pour laquelle les rapporteurs feront un nouveau point sur le projet d'euro numérique, une fois la position du Parlement européen arrêtée. Une proposition de résolution européenne pourrait alors être présentée. Les rapporteurs insistent d'ores et déjà sur la nécessité d'une implication renforcée des co-législateurs et d'un contrôle politique accru sur la phase de design de l'euro numérique, encore entourée de nombreuses incertitudes et à la main de la BCE.

AVANT-PROPOS

« Alors que tout devient numérique, pourquoi seule la monnaie de banque centrale devrait-elle rester au format papier ? »2(*). Cette interrogation, formulée par le Gouverneur de la Banque de France, permet de saisir l'origine du projet d'euro numérique, actuellement porté par la Banque centrale européenne et qui fait l'objet d'une proposition législative de la Commission européenne, présentée le 28 juin 20233(*).

Depuis le lancement de l'euro il y a 25 ans - le 1er janvier 1999 -, de nombreuses transformations ont affecté le paysage des paiements en Europe : digitalisation, prédominance d'acteurs extra-européens, irruption des Bigtech... Récemment, des projets de monnaie privée ont même émergé, tels notamment le projet Libra/Diem de Meta, finalement abandonné. Dans le même temps, les billets et les pièces sont restés, dans la zone euro, la seule forme de monnaie de banque centrale directement accessible par les particuliers.

La distinction entre monnaie commerciale et monnaie de banque centrale apparaît théorique aux yeux de nos concitoyens. Il n'en demeure pas moins qu'elle fonde le partenariat public/privé qu'est le système monétaire. La confiance dans la monnaie commerciale est fondée sur sa convertibilité ou échangeabilité avec la monnaie de banque centrale. Or, du fait du recul de l'utilisation des espèces dans les transactions, la monnaie de banque centrale risque de plus en plus d'être marginalisée.

Par sa proposition, la Commission européenne entend créer une version digitale des espèces, l'équivalent du billet sous forme numérique. Cette proposition s'insère dans un paquet « Monnaie unique » dans lequel figure également une proposition pour garantir un accès aisé et facilité aux espèces4(*).

La proposition sur l'euro numérique fait suite aux travaux menés par la Banque centrale européenne (BCE) depuis plusieurs années. D'octobre 2021 à octobre 2023, la BCE a conduit une « phase d'investigation » sur le sujet. En octobre 2023, le Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé de lancer la « phase préparatoire » du projet d'euro numérique. À l'issue de ces expérimentations et une fois le processus législatif de l'Union européenne achevé, il reviendra au Conseil des gouverneurs de la BCE de décider de l'opportunité d'émettre un euro numérique.

La digitalisation des espèces est-elle indispensable ? Quelle valeur ajoutée l'euro numérique apporterait-il par rapport aux solutions de paiement digitales existantes ? En cas d'introduction, quelles caractéristiques l'euro numérique devrait-il avoir ?

Pour répondre à ces interrogations, les rapporteurs Pascal Allizard et Florence Blatrix-Contat ont procédé à une quinzaine d'auditions, se sont rendus à Bruxelles pour entendre des représentants de la Commission européenne ou encore du Parlement européen ainsi qu'à Francfort pour s'entretenir avec la BCE.

I. L'EURO NUMÉRIQUE : INSTRUMENT NÉCESSAIRE POUR RENFORCER LA SOUVERAINETÉ EN MATIÈRE DE PAIEMENTS

Le paysage des paiements en Europe a connu de nombreuses transformations dans les années récentes, avec notamment la montée en puissance de la digitalisation, l'irruption de nombreux acteurs extra-européens ou encore l'émergence de projets de monnaie privée.

Face à ces évolutions, la Commission européenne a proposé d'instaurer un euro numérique, version digitale de la monnaie de banque centrale. Les motivations du projet ont souvent varié, mais celui-ci apparaît aujourd'hui s'imposer pour renforcer la souveraineté des paiements en Europe.

A. UN PAYSAGE DES PAIEMENTS EN EUROPE MARQUÉ PAR UNE DIGITALISATION CROISSANTE ET UNE DOMINATION D'ACTEURS EXTRA-EUROPÉENS

1. Un recul continu de l'utilisation des espèces dans les transactions
a) Une digitalisation croissante des paiements, au détriment de l'utilisation du cash

Depuis une quinzaine d'années, les habitudes de paiement en Europe ont fortement évolué. La tendance au recul des espèces s'est encore accélérée avec la crise épidémique de 2020. S'il reste toujours majoritaire, le recours aux espèces dans les transactions diminue.

Ainsi, en zone euro, 59 % des transactions au point de vente étaient effectuées en espèces en 2022, contre 79 % en 20165(*). Dans certains pays européens, le paiement par espèces est même devenu minoritaire (cas de la Belgique, des Pays-Bas et de la Finlande).

La Suède, pays non membre de la zone euro, est quant à elle décrite comme une « cashless society ». Selon une enquête réalisée en 2022 par la Banque nationale suédoise, seuls 8 % des Suédois indiquaient avoir réglé leurs derniers achats en magasin en espèces, alors que ce taux atteignait encore 40 % en 20106(*).

En France, le recul dans l'utilisation des espèces pour les transactions s'enregistre également, même s'il est moins marqué. La part des espèces dans les volumes de paiement aux points de vente s'établit à 50 % contre 57 % en 2019, c'est-à-dire avant la pandémie7(*).

Corrélativement, les moyens de paiement dématérialisés sont de plus en plus utilisés. La pandémie de Covid 19, en induisant une certaine méfiance vis-à-vis de la manipulation des espèces, a encore renforcé cette tendance. En zone euro, 34 % des transactions au point de vente étaient effectuées par carte en 2022, contre 19 % en 2016. La dématérialisation des paiements est par ailleurs amplifiée par l'essor du e-commerce. En zone euro, 58 % des particuliers faisaient régulièrement des achats sur internet en 2022, contre 44 % en 20168(*).

Le recours au paiement par carte a été en outre encore facilité par le développement du paiement sans contact, dont le plafond a été relevé de 30 à 50 euros au moment de la pandémie9(*). Les paiements sans contact ont progressé de 60 % entre 2019 et 2020. Ils représentent désormais plus de la moitié des paiements par carte en France, et 62 % dans la zone euro. Le développement de la technologie NFC (NearField-Communication) ou le QR code ont permis de déployer facilement ces paiements sans contact.

Enfin, le développement des solutions de paiement mobile a également accru le recours aux solutions digitales. Les services de paiement par smartphone progressent fortement. En Suède, l'application Swish, issue d'un partenariat entre six des plus grandes banques du pays, est ainsi utilisée par 77 % de la population. L'application Bizum, lancée en 2016 par 29 banques espagnoles, compte 16 millions d'utilisateurs, soit 34 % de la population de l'Espagne. En France, le service Paylib, regroupant plusieurs groupes bancaires français, rassemble 10 millions d'utilisateurs.

b) Un attrait cependant toujours marqué pour les espèces comme réserve de valeur

Cependant, ce déclin des espèces s'enregistre seulement s'agissant de leur utilisation comme moyen de transaction : le recours aux espèces comme réserve de valeur progresse.

Le volume d'espèces en circulation dans la zone euro a plus que doublé sur quinze ans, passant de 700 milliards fin 2007 à 1600 milliards fin 2023. Les euros sous forme de pièces et de billets représentaient 5 % du PIB de la zone euro en 2007 contre 13 % en 2023. La thésaurisation, c'est-à-dire l'accumulation d'espèces par les agents économiques, détenues chez soi ou dans des coffres, explique cette importante détention d'espèces. La thésaurisation domestique représenterait 25 % du volume de billets en circulation en France10(*).

Si les espèces sont de moins en moins utilisées comme moyen de transaction, elles restent donc plébiscitées comme valeur refuge. Il s'agit là d'un phénomène mondial11(*). Les espèces en circulation connaissent ainsi depuis vingt ans une hausse continue de 6 à 8 % par an, pour l'euro et le dollar américain. Cette progression a été encore plus marquée en 2020 avec une augmentation de 10 % pour l'euro et de 15 % pour le dollar. En dépit des craintes liées à la pandémie et à la transmission du virus par les espèces, la crise sanitaire a suscité une véritable « ruée sur le cash »12(*).

60 % des citoyens européens jugent important d'avoir la possibilité de payer en liquide13(*). 83 % des Français sont inquiets à l'idée d'une disparition du cash14(*). Alors même que l'attachement aux espèces reste important, notamment pour ses avantages en termes de confidentialité et de visibilité dans un budget, l'accès aux distributeurs automatique de billets (DAB) s'avère difficile dans certaines régions d'Europe. Selon les données de la BCE, le nombre de DAB dans la zone euro avait diminué de 4 % entre 2016 et 201915(*). Si la majorité des Européens considèrent qu'il est très facile d'obtenir de l'argent liquide, 10 % jugeaient en 2019 que l'accès aux espèces était difficile voire très difficile, une proportion en augmentation par rapport à 2016 (5 %).

Surtout, de grands écarts s'observent suivant les pays. Les espèces sont considérées comme difficilement disponibles par 21 % des Maltais, 17 % des Grecs, 16 % des Lituaniens et 15 % des Belges. En France, le nombre de DAB a baissé de plus de 12 % entre 2018 et 202316(*). Cette diminution devrait s'accentuer avec la mise en commun des distributeurs de quatre banques françaises : BNP Paribas, Crédit mutuel, CIC et Société générale. Chargée de suivre l'évolution de l'accessibilité aux espèces pour la population, la Banque de France conclut toutefois à une « très bonne accessibilité aux espèces sur l'ensemble du territoire en 2022 ». Elle avance notamment le fait que la part de la population située à moins de cinq minutes en voiture d'un distributeur automatique de billets (DAB) est de 79,2 %17(*).

2. Une Europe des paiements toujours fragmentée et dominée par des acteurs extra-européens
a) De nombreuses initiatives au service d'un marché européen des paiements

Plusieurs initiatives ont été mises en place dans les années récentes afin de parfaire l'Europe des paiements et de réduire la fragmentation des solutions de paiement.

L'espace SEPA (Single euro Payments Area) a permis de proposer aux citoyens européens un virement et un prélèvement standardisés et uniques à l'ensemble du territoire de l'Union (et même au-delà18(*)). L'instauration de cet espace unique visait à simplifier les virements bancaires et les paiements par prélèvement automatique. Le projet, initié en 2002, permet qu'un paiement transfrontière en euro soit traité avec la même rapidité, la même sécurité et dans les mêmes conditions qu'un paiement national.

La première étape de mise en place du SEPA a été le lancement du virement SEPA en 2008. La migration vers le virement SEPA (SEPA Credit Transfer ou SCT) et le prélèvement SEPA (SEPA Direct Debit ou SDD) a été finalisée le 1er août 2014 dans les États membres de la zone euro. Le virement SEPA a alors remplacé les différents instruments de virement dits « nationaux ». Le virement et le prélèvement de compte bancaire à compte bancaire ont ainsi été harmonisés au niveau européen.

La deuxième grande avancée a été l'arrivée en 2018/2019 des paiements instantanés. Cette procédure de transfert d'argent d'un compte bancaire à un autre outrepasse les délais traditionnels de 24 à 48 heures qui s'appliquent aux virements classiques. Le virement instantané est exécuté quel que soit le jour ou l'heure et l'argent doit arriver sur le compte du destinataire dans les dix secondes. Si de nombreuses banques européennes ont proposé ce service dès 2018, elles ont, pour beaucoup d'entre elles, décidé de facturer cette offre19(*).

En septembre 2020, la Commission européenne a présenté une stratégie européenne pour les paiements de détail, dans laquelle figurait un objectif de soutien aux solutions de paiement instantané paneuropéennes. En octobre 2022, la Commission a présenté une proposition relative aux paiements instantanés, qui a été adoptée en février 2024. Ce règlement20(*) oblige les prestataires de services de paiement à fournir des offres d'envoi et de réception des de paiements instantanés en euros. Les frais de ces virements instantanés ne doivent pas dépasser les frais qui sont facturés pour les virements ordinaires. Dès lors, les banques ne facturant pas les virements de leur client via leur espace bancaire devront alors rendre le virement instantané gratuit21(*).

Par ailleurs, la deuxième directive sur les services de paiement (DSP2)22(*), entrée en vigueur en 2019, a visé à sécuriser les services de paiement. La DSP2 a notamment prévu l'obligation de l'authentification forte pour les paiements en ligne de plus de 30 euros ou encore l'interdiction des pratiques de surfacturation. Elle a également encadré le partage des données bancaires, et permis dans ce cadre le développement de l'open banking. La future DSP323(*), actuellement en cours de discussion, doit quant à elle permettre de renforcer encore la sécurité des paiements et d'assurer le développement de l'open finance, c'est-à-dire le partage à des tiers des données financières et non plus seulement des données bancaires, afin de consolider l'émergence de nouveaux acteurs innovants et compétitifs sur le marché européen du paiement.

b) Le paiement par cartes dominé en Europe par un duopole d'acteurs extra-européens

En dépit des avancées en matière d'unification et de sécurisation, le marché européen des paiements demeure fragmenté, tout particulièrement s'agissant du paiement par cartes bancaires.

Le marché européen de paiement par cartes est dominé par deux acteurs américains : Visa et Mastercard. Ces deux compagnies gèrent aujourd'hui plus de 70 % des transactions électroniques européennes. Cette part de marché prédominante s'explique par plusieurs facteurs.

La grande majorité des pays européens ne disposent pas de solution nationale de paiement par carte et doivent donc recourir aux schémas internationaux Visa et Mastercard24(*). Quand elles existent, les solutions nationales (Bancomat en Italie, Girocard en Allemagne et Carte Bancaire en France) ne sont pas interopérables entre elles, au sein-même de l'Union européenne. Seules les cartes de paiement de Visa et Mastercard peuvent être utilisées partout en point de vente dans l'ensemble de l'Union.

Par ailleurs, le co-badgeage - qui était traditionnellement la règle - est aujourd'hui en recul en Europe. Ce système permet de payer à la fois via un scheme25(*) international et via un scheme domestique, en laissant le choix au commerçant de recourir à l'un ou à l'autre. Matériellement, deux logos sont apposés sur la carte bancaire. Alors que quasiment toutes les banques proposaient il y a quelques années des cartes bancaires co-badgées, de plus en plus de néobanques fournissent aujourd'hui des cartes au seul logo Visa ou Mastercard.

En 2021, en prévision des Jeux Olympiques de 2024, le groupe BPCE a renforcé son alliance avec Visa pour fournir 4 millions de cartes au seul logo du groupe américain d'ici à 2024, devenant ainsi la première grande banque française à délaisser CB. Or les cartes « Visa-only » ou « Mastercard-only » ne laissent aucun choix au commerçant.

En ce qui concerne les achats en ligne, la réglementation impose que le client puisse choisir entre solution domestique ou réseau international. Or si les consommateurs connaissent très bien les marques Visa et Mastercard, les marques nationales sont moins connues. L'association de commerçants Mercatel souligne ainsi que les consommateurs français restent peu conscients de l'existence d'un scheme national de paiement par carte. Ainsi, à la question « Savez-vous ce qu'est CB ? », près de 70 % des interrogés d'un sondage répondent qu'il s'agit du « nom donné à toutes les cartes de paiement » et non d'un réseau de paiement français similaire à Visa et Mastercard26(*). De fait, la part de marché de CB dans les paiements domestiques s'érode, passant de 93 % en volume en 2017 à 85 % en 2022.

S'agissant des paiements mobiles, là encore la majorité des transactions passent par Visa ou Mastercard. Ainsi, pour les solutions de paiement comme Apple Pay ou Samsung Pay, la plupart des banques françaises n'ont pas développé les infrastructures techniques pour permettre la réalisation des transactions par CB. À ce jour, seuls Société Générale et Crédit Agricole permettent aux transactions des portefeuilles électroniques de passer par le réseau CB. Mais à eux deux, ces groupes bancaires ne représentent pas plus de 35 % des paiements.

Or les commissions de Visa et Mastercard payées par les commerçants ont fortement augmenté dans les années récentes. Ainsi, entre 2016 et 2021, les frais des réseaux Visa et Mastercard ont progressé de plus de 75 %. Si les frais de base restent relativement stables, les associations de commerçants déplorent que, chaque année, les réseaux introduisent de nouveaux frais ou majorent des frais existants.

Ainsi, si la commission d'interchange que doit payer la banque du commerçant à celle du client est plafonnée à 0,3 % pour les paiements par carte bancaire des particuliers, elle ne l'est pas sur les cartes professionnelles ou « business ». Or cette commission peut aller de 1,2 % à 1,8 % chez Visa et Mastercard, alors qu'elle s'élève à 0,9 % chez CB, selon la fédération de commerçants Mercatel27(*).

c) L'entrée des BigTechs et le développement des solutions X-Pay

À la domination des acteurs américains Visa et Mastercard pour le paiement par cartes, s'ajoute la montée en puissance des Big Tech, eux aussi principalement extra-européens, dans le secteur des paiements mobiles. Les directives sur les services de paiement (DSP 1 et DSP 2) ont d'ailleurs facilité l'accès au marché des paiements à ces acteurs non bancaires. Ces solutions « X Pay » sont les seules offres de paiement mobile identiques partout en Europe.

Peuvent être ainsi cités les portefeuilles numériques Apple Pay, Samsung Pay, Google Pay ou encore Alipay. L'entrée de ces acteurs sur le marché des paiements a été facilitée par la base de clientèle mondiale dont ils disposent et par leur forte image de marque. Les GAFAM américains28(*) et les BATX chinois29(*) capitalisent sur les données recueillies dans le cadre de leurs activités, et profitent de leur positionnement d'interface pour offrir des services de paiement à leurs clients. En avril 2023, 56 millions de personnes ont effectué un paiement en magasin à l'aide d'Apple Pay, soit près de la moitié des clients IOS. Les paiements par portefeuille numérique ou par téléphone mobile représentaient environ 27 % des paiements liés au commerce en ligne en Europe en 202130(*).

Ces applications proposent de dématérialiser la carte de paiement afin de la stocker sur un téléphone portable, et ainsi transformer le smartphone en carte de paiement. Les portefeuilles électroniques sur mobile reposent sur le développement du « sans contact » pour les paiements par carte et l'équipement des smartphones avec la technologie NFC (Near Field Communication).

Ces solutions de paiement mobile profitent de leur position dominante. Ainsi, initialement, Apple refusait d'ouvrir la technologie NFC de ses smartphones à des applications tierces de paiement. A la suite de l'adoption du Digital Markets Act, Apple a finalement annoncé se mettre en conformité avec la règlementation et permettre ainsi aux utilisateurs d'IPhone de payer sans contact sans passer par Apple Pay.

3. La concurrence des projets de monnaie numérique privée et publique
a) Le développement des cryptoactifs et les projets de monnaie privée

La domination d'acteurs extra-européens dans le domaine des paiements en Europe se déploie également par le biais des cryptoactifs, conduisant même à l'émergence d'offres de monnaies privées, comme le projet Libra/Diem lancé par Meta en 2019.

Les cryptoactifs, parfois désignés sous le terme de cryptomonnaies31(*), sont des actifs créés grâce à l'utilisation de la technologie blockchain. Celle-ci permet d'effectuer et d'enregistrer des transactions sous format numérique et de manière sécurisée, au moyen d'algorithmes de cryptographie. Il existe deux principaux types de cryptoactifs : ceux de première génération comme le bitcoin, qui connaissent des variations de cours importantes ; et les stablecoins, comme l'USD Coin, qui sont des actifs numériques adossés à des réserves d'actifs (par exemple des devises, des titres de dette publique ou de dette privée) afin de tenter d'en réduire la volatilité.

L'ambition des émetteurs de stablecoins est d'offrir aux entreprises ou aux consommateurs une solution plus rapide et moins coûteuse que les systèmes actuels de transferts de fonds internationaux, susceptible d'être assimilée à un moyen de paiement transfrontière.

À ce jour, les cinq stablecoins principaux (Theter, USD Coin, Binance USD, DAI et Pax Dollar) sont libellés en dollars. Le développement de ces actifs se fait donc au détriment de l'euro. Le risque pour de nombreux pays est alors non seulement de faire face à une nouvelle « dollarisation » de leur économie, mais surtout de voir leur monnaie nationale se faire remplacer par un avatar de dollar émis par des entreprises privées.

Par ailleurs, s'ils sont moins volatils que les bitcoins, les stablecoins menacent également la stabilité du système financier. En effet, la détention par les émetteurs de stablecoins de titres de dettes publiques ou privées pour maintenir un ancrage, crée des interconnexions entre la sphère des cryptoactifs et les marchés de capitaux traditionnels. Des mouvements brusques sur le marché des stablecoins pourraient ainsi se répercuter sur les conditions de financement. Par exemple, si les détenteurs de stablecoins se mettent à vendre massivement leur portefeuille, l'émetteur du stablecoin devra massivement vendre les actifs sous-jacents correspondants, pouvant générer une réaction en cascade sur les marchés financiers ainsi qu'un décrochage temporaire de la parité du stablecoin.

Au niveau européen, la prévention de ces différents risques a conduit à un encadrement réglementaire des activités liées aux cryptoactifs. Le règlement européen MICA - Markets in crypto-assets - entré en vigueur en 2023 et applicable à partir de 202432(*), offre un cadre de réglementation harmonisé dans l'Union Européenne pour les émetteurs de cryptoactifs de première génération, les stablecoins et les prestataires de services sur cryptoactifs.

Le projet de monnaie privée Libra/Diem de Meta

En juin 2019, un consortium d'entreprises constitué autour de Meta (anciennement Facebook) a initié le lancement d'un cryptoactif de type stablecoin -dénommé Libra - à la disposition des utilisateurs du réseau social. Dans sa version initiale, il s'agissait d'une initiative inédite compte tenu de sa potentielle envergure au regard des 2,7 milliards d'usagers actifs du réseau social. Le projet Libra devait consister en l'émission de stablecoins adossés à un panier de monnaies (dollar, euro, livre sterling, yen et dollar de Singapour). Il s'agissait d'un projet d'écosystème complet, autonome des banques et des systèmes de paiement classiques.

Très vite, les autorités publiques en Europe mais également aux Etats-Unis ont fait part de leur défiance quant à cette initiative, s'inquiétant des menaces pour la stabilité du système financier, ainsi que pour la protection des données personnelles, et des risques de blanchiment d'argent. Dès juillet 2019, le G7 alertait sur ces dangers, insistant particulièrement sur les craintes en cas de demande de conversion massive des dépôts bancaires en Libra et sur le risque de volatilité de cette « monnaie ».

Plutôt que de créer une monnaie virtuelle fondée sur un panier de devises, le projet initial a alors été infléchi pour créer Diem, un stablecoin adossé au dollar qui serait émis par une banque américaine avec laquelle Meta s'est associée. L'envergure affichée du projet Diem a ainsi été réduite, alors que plusieurs partenaires, dont Visa, PayPal, Mastercard ou eBay, s'étaient rapidement retirés du projet Libra.

Faute d'avoir convaincu les régulateurs américains, Meta a mis fin en janvier 2022 à son projet de monnaie numérique. La Réserve fédérale américaine a refusé à l'été 2021 d'accorder l'autorisation de lancement de Diem à la banque américaine Silvergate associée à Meta. Le régulateur américain a alors précisé sa position sur les cryptomonnaies, en assurant que « les émetteurs de stablecoins doivent être des banques réglementées » et mettant en garde contre la « concentration excessive du pouvoir économique » en cas « d'association d'un émetteur de stablecoins et d'une grande entreprise »33(*).

Si le projet Libra/Diem de Meta a finalement été abandonné, d'autres projets de monnaie privée sont en cours de lancement. Ainsi, en août 2023, le réseau de paiement Paypal a lancé son propre stablecoin adossé sur le dollar. Forte des 450 millions d'utilisateurs de Paypal, cette initiative a déjà fait l'objet d'inquiétudes de la part des banques centrales européenne et américaine.

L'émission par les BigTech de leurs propres monnaies porte le risque d'être axée sur la maximisation des profits plutôt que sur la responsabilité de la stabilité monétaire et financière. En fonction de l'ampleur de leur diffusion, les stablecoins pourraient conduire à renforcer la fragmentation des systèmes de paiement, car ils sont structurés comme des "solutions en boucle fermée" qui limitent les paiements aux utilisateurs qui adoptent un outil de paiement particulier.

À la différence des banques centrales, les Big Tech risquent de ne pas chercher à limiter les impacts de ces nouvelles solutions de paiement sur l'intermédiation financière, à empêcher les sorties excessives de dépôts bancaires ou à assurer un modèle de tarification équilibré, qui ne conduise pas à des frais excessifs pour les commerçants et pour les consommateurs. Au contraire, elles chercheraient délibérément à modifier la structure du marché à leur avantage34(*).

b) La création de monnaies numériques de banques centrales (MNBC)

En réponse aux projets de monnaies numériques décentralisées, à la diminution de l'utilisation des espèces dans les points de vente et aux progrès des technologies de paiement numériques, de nombreuses banques centrales ont lancé des initiatives visant à créer des monnaies numériques de banque centrale (MNBC).

L'objectif d'une MNBC de détail est de créer une version digitale des monnaies de banque centrale, qui ne sont aujourd'hui directement accessibles par les particuliers que sous leur forme physique de pièces et de billets. Cette monnaie serait émise par la banque centrale et aurait cours légal. Une MNBC diffère de la monnaie électronique existante disponible pour le public, dans la mesure où elle est une créance directe auprès de la banque centrale, et non auprès d'une banque commerciale.

Selon la Banque des règlements internationaux (BRI), 93 % des banques centrales dans le monde avaient engagé en 2022 des travaux sur une MNBC et plus de la moitié avaient réalisé des expérimentations. Depuis cette date, cette proportion s'est encore accrue. Selon l'Atlantic Council, en 2024, 134 pays et unions monétaires, représentant 98 % du PIB mondial, étudient la possibilité de créer une MNBC. 68 pays sont dans une phase avancée d'exploration - développement, pilote ou lancement35(*).

À ce jour, trois pays ont d'ores et déjà lancé une MNBC : les Bahamas, la Jamaïque et le Nigeria. Le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud - les membres fondateurs des BRICS - sont dans la phase pilote de l'exploration de MNBC. Au total, il y a dans le monde 36 projets de MNBC en cours, parmi lesquels figure celui d'euro numérique.

État des lieux des lancements de monnaie numérique de banque centrale (MNBC) par pays/territoire

Si de nombreux pays avancent sur la constitution d'une monnaie numérique de banque centrale - de détail ou de gros - deux exceptions méritent cependant d'être soulignées.

Les Etats-Unis, après avoir eux aussi lancé des travaux sur un dollar numérique, se montrent aujourd'hui beaucoup plus en retrait. En mars 2021, le Congrès avait adopté une loi (« CBDC Study Act »)36(*) invitant la Réserve fédérale des Etats-Unis (FED) à intensifier ses travaux sur la MNBC, notamment pour des motivations d'intérêt national telles que le maintien du leadership américain en matière de technologie financière et de la suprématie du dollar comme devise internationale. En février 2022, Lael Brianard, membre du conseil des gouverneurs de la FED, indiquait que, dans un contexte où d'autres grandes devises (dont le yuan chinois) pourraient être émises sous forme numérique, l'absence d'une MNBC américaine pourrait affecter le rôle international du dollar. En septembre 2022, Jerome Powell, président de la FED, a prudemment affirmé que la décision d'émettre ou non une MNBC « n'a pas été prise et prendra du temps » et qu'elle « nécessitera l'accord du Gouvernement et du Congrès ».

En dehors des travaux de réflexion lancés, aucun projet pilote n'est prévu et aucun texte sur l'introduction d'un dollar numérique n'a été déposé par l'administration Biden. Le sujet a été abordé dans le cadre de la campagne présidentielle de 2024. Le candidat Trump s'est fermement opposé à la création d'une monnaie numérique par la banque centrale américaine, l'associant à de la « tyrannie gouvernementale ».

La Suède, après avoir été pourtant en pointe sur le sujet, est également aujourd'hui moins encline à développer un projet de couronne numérique. La Banque de Suède, confrontée depuis d'assez nombreuses années à une forte baisse de l'utilisation du cash, a lancé dès 2017 son projet de MNBC : « e-krona ». En février 2020, elle a lancé un programme d'expérimentation pilote portant à la fois sur les aspects techniques et sur les aspects juridiques du projet. Cependant, en mars 2023, la Banque de Suède a indiqué qu'il n'y avait pas actuellement de « demande sociale suffisante » pour lancer une couronne numérique. Elle a précisé néanmoins que des « changements globaux » pourraient conduire à une évaluation différente dans l'avenir37(*).

L'initiative chinoise du Yuan numérique

Le projet pilote de MNBC le plus abouti est aujourd'hui celui du Yuan numérique en Chine. Les travaux de la banque centrale chinoise (PBoC) sur le sujet ont débuté dès 2014. Ce projet est présenté comme un moyen de proposer une alternative publique aux solutions privées de paiement mobile Alipay et WeChat Pay qui dominent très largement le marché chinois. Il s'inscrit dans un mouvement d'ensemble visant à mieux contrôler ces Big Tech, notamment via des évolutions réglementaires pour limiter leurs parts de marché. L'objectif affiché est aussi de renforcer l'inclusion financière via la fourniture de services financiers de base au plus grand nombre, y compris les personnes non bancarisées dont la proportion serait de 10 % à 20 % de la population chinoise.

Les expériences pilotes lancées à partir de début 2020 dans quatre villes ont été progressivement étendues à onze villes. Dans la perspective des Jeux olympiques d'hiver de Pékin (février 2022), le e-yuan a fait, début janvier 2022, son entrée dans les App stores38(*). Une nouvelle extension du périmètre à onze autres villes a été annoncée par la PBoC en avril 2022. En parallèle, les cas d'usage étaient étendus, par exemple, au paiement des transports publics, des impôts et des taxes ou des soins médicaux et au versement de certaines aides publiques.

Selon la PBoC, à la fin août 2022, 360 millions de transactions avaient été effectuées en e-yuan, pour une valeur totale de 100 milliards de Yuans (14 Md d'euros). Selon l'Atlantic Council, on compterait en 2024 260 millions d'utilisateurs de Yuan numérique. L'e-yuan est aujourd'hui accepté dans 26 villes et 17 provinces chinoises.

Le Yuan numérique, pour l'instant développé seulement au niveau domestique, pourrait également avoir pour objectif de s'internationaliser, dans le but de concurrencer le duopole de l'euro et du dollar et de devenir la devise de référence de l'économie numérique. Par ailleurs, il peut être considéré comme un potentiel outil de contrôle de la population chinoise39(*). Avec cette monnaie numérique, les informations de paiement ne seront plus entre les seules mains des acteurs privés du paiement, mais aussi entre celles de la banque centrale de Chine et du gouvernement chinois. Or, comme le note un rapport du Comité européen de protection des données, malgré les engagements du gouvernement, la protection des données est loin d'être assurée en Chine40(*).

B. L'EURO NUMÉRIQUE : GARANTIR UNE SOLUTION DE PAIEMENT PUBLIQUE ET PANEUROPÉENNE FACE AUX SOLUTIONS PRIVÉES

1. Une proposition sur l'euro numérique présentée en juin 2023 par la Commission européenne

Dans ce contexte de digitalisation accrue des transactions, de prédominance d'acteurs extra européens dans le domaine des paiements et de développement de monnaies numériques privées et publiques, la Commission européenne a présenté en juin 2023 un paquet sur la monnaie unique, composée d'une proposition établissant un euro numérique41(*) et d'une proposition sur le cours légal des espèces en euros42(*).

a) En quoi l'euro n'est-il pas déjà « numérique » ?
(1) La complémentarité entre monnaie centrale et monnaie commerciale

Pour bien saisir l'originalité du projet d'euro numérique, il convient au préalable de rappeler les caractéristiques de l'architecture monétaire. Celle-ci est fondée sur la coexistence et la complémentarité entre deux formes de monnaie : la monnaie de banque centrale et la monnaie commerciale. Le système monétaire constitue de fait une forme de partenariat public-privé au service du financement de l'économie.

La monnaie de banque centrale est la seule à avoir cours légal, ce qui implique son acceptation obligatoire. Elle prend la forme de pièces et billets émis par la banque centrale et de dépôts des banques commerciales auprès des banques centrales43(*). Aujourd'hui, les espèces sont la seule forme de monnaie de banque centrale directement accessible par les particuliers.

Schéma simplifié : Monnaie de banque centrale et monnaie commerciale

Source : Banque de France

La monnaie commerciale quant à elle ne dispose pas de cours légal. Elle désigne les dépôts des banques commerciales et circule via les moyens de paiement comme les paiements SEPA (virement, règlement) ou la carte de paiement. La monnaie commerciale est créée par les banques commerciales - pour la plupart des entités privées - lorsqu'elles octroient des crédits à des particuliers, des entreprises ou des administrations (« les crédits font les dépôts »). Ce système, dit de « réserves fractionnaires », repose sur le postulat que les banques commerciales n'ont pas besoin de garantir l'intégralité des dépôts avec de la monnaie centrale car les déposants ne retireront pas tous leurs dépôts en même temps.

S'ils sont bien distincts, ces deux types de monnaie sont complémentaires. La convertibilité au pair de ces deux formes de monnaie est la clé de voûte du bon fonctionnement des paiements, garantissant liberté de choix des moyens de paiement en même temps que stabilité et sécurité du système des paiements dans son ensemble. La création monétaire des banques commerciales est indirectement orientée par les banques centrales afin de maîtriser le risque inflationniste, par la fixation des taux directeurs auxquels les banques peuvent emprunter ou détenir des liquidités auprès de la banque centrale44(*).

Dans ce partenariat public-privé, la monnaie centrale constitue ainsi le point d'ancrage et le garant de la stabilité du système monétaire, tandis que la monnaie commerciale constitue l'instrument clé du financement de l'économie et le moyen privilégié des échanges entre les particuliers, les entreprises et les administrations.

Bien qu'ils n'en aient pas forcément conscience, les Européens, quand ils règlent via des solutions digitales, paient via de la monnaie commerciale et donc privée et non pas publique.

(2) L'euro numérique : de la monnaie digitale de banque centrale directement accessible par les particuliers

La création d'un euro numérique de détail viendrait compléter cette architecture en permettant aux particuliers de disposer directement d'une forme digitale de monnaie de banque centrale. L'euro numérique de détail constituerait une créance directe auprès de la banque centrale et offrirait un moyen de régler de façon digitale sans pour autant passer par de la monnaie privée. L'euro numérique pourrait alors être considéré comme l'équivalent numérique du billet.

Schéma simplifié : Monnaie numérique de banque centrale (MNBC)

Source : Banque de France

L'euro numérique de détail ne serait pas un crypoactif ou un stablecoin. Comme déjà rappelé, un cryptoactif est une représentation numérique d'une valeur ou de droits qui peut être transférée, stockée et échangée électroniquement en utilisant la technologie DLT45(*) ou une technologie similaire. Un stablecoin utilise généralement aussi la technologie DLT mais vise en outre à ancrer sa valeur en référence à des actifs plus fiables, par exemple des devises (USD, EUR), des matières premières (or, argent) ou d'autres actifs et leurs combinaisons.

L'euro numérique, en revanche, serait émis sous la forme d'une obligation de la banque centrale, qui ancrerait sa valeur (comme pour l'argent liquide). Le concept d'euro numérique est neutre sur le plan technologique, c'est-à-dire qu'il peut ou non utiliser la technologie DLT/blockchain ou certains aspects de ces technologies. L'euro numérique serait une forme de monnaie de banque centrale, et donc à ce titre exempte de risque de crédit et de liquidité, alors que les cryptoactifs et les stablecoins comportent des risques considérables (valeur, crédit, liquidité) pour leurs détenteurs.

Présentation américaine du système monétaire avec une MNBC de détail46(*)

La MNBC de gros, un sujet tout aussi majeur

La proposition de la Commission de juin 2023 ne concerne que l'introduction d'un euro numérique de détail. La Commission européenne ne prévoit pas de proposition législative s'agissant du déploiement d'un euro numérique de gros47(*), c'est-à-dire de MNBC interbancaire. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un enjeu majeur pour les paiements interbancaires et pour la souveraineté des paiements. Ce sujet fait aussi l'objet de nombreux travaux de banques centrales dans le monde. 

La monnaie numérique de banque centrale de gros, appelée wholesale CBDC, serait utilisée exclusivement par les banques centrales, les banques commerciales ou d'autres institutions financières, pour le règlement entre elles de transactions sur des actifs « tokenisés ». Le règlement de ces transactions pourrait alors se faire via une MNBC qui circulerait directement sur blockchain (donc en « tokenisant » la monnaie centrale) ou en permettant aux blockchains de communiquer avec les infrastructures actuelles de règlement en monnaie centrale. Depuis 2023, l'Eurosystème teste différentes solutions technologiques permettant de régler en monnaie centrale des titres « tokenisés ».

La Banque de France a joué un rôle pionnier en Europe sur ce sujet, en lançant en 2023 douze expérimentations menées avec les acteurs privés. Le bilan de ces expérimentations montre que la MNBC interbancaire pourrait permettre l'interopérabilité entre différentes plateformes DLT qui seraient développées par des acteurs privés ou publics, mais aussi avec les systèmes existants de règlement. Dans le prolongement de ces réflexions, la BCE a annoncé une série d'expérimentations à l'échelle de la zone euro, qui ont débuté en 2024.

b) Un euro numérique en complément des espèces, distribué par les banques, plafonné dans son montant et non rémunéré

La proposition de la Commission européenne établissant l'euro numérique, présentée en juin 2023, fait suite aux nombreux travaux lancés depuis plusieurs années par la BCE sur le sujet.

En octobre 2020, la BCE a publié un premier rapport sur un euro numérique, qui a servi de base à une consultation publique dont les résultats ont été publiés en avril 2021. En juillet 2021, le Conseil des gouverneurs de la BCE a décidé de lancer un projet d'euro numérique avec une phase d'étude (investigation phase) de deux ans. Dans le cadre de cette phase d'étude, la BCE a publié en mars 2022 un rapport sur les préférences des citoyens en matière de paiement. Le sujet de l'euro numérique a été régulièrement évoqué lors des auditions des dirigeants de la BCE par le Parlement européen. La Commission européenne a, pour sa part, ouvert en avril 2022 une consultation sur un euro numérique.

En juin 2023, la Commission européenne a présenté sa proposition sur l'euro numérique, qui précise les grands principes et les modalités essentielles du projet. Plusieurs caractéristiques principales sont envisagées.

(1) Statut de l'euro numérique

L'euro numérique n'entrainerait pas la disparition des espèces. Il serait instauré en complément des espèces et non en remplacement48(*). L'euro numérique serait accessible aux personnes physiques et morales49(*).

L'euro numérique aurait cours légal50(*). Cela signifie qu'il ne peut généralement pas être refusé par un bénéficiaire en règlement d'une dette libellée en euros. Comme le rappelle la proposition, l'attribution du cours légal implique l'acceptation obligatoire.

Des dérogations sont cependant prévues pour les petites entreprises (moins de 10 salariés ou dont le chiffre d'affaires n'excède pas 2 millions d'euros), lorsque le refus est fait de bonne foi pour des motifs légitimes et temporaires (par exemple, une panne internet,) ou lorsqu'il s'agit d'une personne physique qui agit à titre purement personnel ou domestique.

(2) Émission et distribution

La BCE et les banques centrales nationales sont chargées de l'émission de l'euro numérique51(*). En cas d'adoption de la proposition législative, la décision d'émettre ou non l'euro numérique reviendrait à la BCE. Celle-ci serait compétente pour prendre la décision d'émission, choisir son moment et son montant, et décider d'autres mesures particulières liées à l'émission.

La distribution de l'euro numérique est assurée par les prestataires de services de paiement (dont les banques)52(*). Seules les banques qui fournissent déjà des services de paiement de base, et non tous les prestataires de services de paiement, seraient tenues de fournir des services de paiement en euro numérique. Il s'agit donc d'une distribution décentralisée, via les intermédiaires financiers.

Les intermédiaires financiers seront ainsi responsables de toutes les interactions avec les utilisateurs, notamment l'ouverture de compte, la gestion de la relation client, la fourniture d'instruments de paiement, ou encore l'intégration dans des solutions existantes (par exemple, cartes, applications mobiles). A contrario, l'Eurosystème (qui regroupe la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales des États de la zone euro et qui constitue l'autorité monétaire de la zone euro) ne prendra en charge que les tâches strictement nécessaires (émission, règlement et définition des règles pour la distribution) et ne gèrera pas les comptes des utilisateurs finaux.

(3) Limitations

Des limites sont proposées à l'utilisation de l'euro numérique comme réserve de valeur53(*). La BCE développerait des instruments pour limiter l'utilisation de l'euro numérique en tant que réserve de valeur, pour contenir les risques sur la stabilité financière et sur la mise en oeuvre de la politique monétaire. Parmi ceux-ci figurent la possibilité d'une fixation de plafond de détention d'euros numérique54(*). Par ailleurs, l'euro numérique ne porte pas intérêt et n'offre donc pas rémunération55(*).

La proposition prévoit la mise en place de dispositifs de « cascade » et « cascade inversée »56(*). Si, la réception d'une opération devait conduire son bénéficiaire à dépasser la limite fixée pour la détention d'euros numériques, les utilisateurs devraient pouvoir recevoir ce paiement grâce à un transfert du surplus vers un compte de paiement en euros non numériques (« cascade »). Inversement, si le montant de leurs avoirs en euros numériques est inférieur au montant d'une opération de paiement qu'ils initient, les utilisateurs devraient pouvoir tout de même réaliser l'opération, grâce à un complément automatique d'euros non numériques (« cascade inversée »).

(4) Paiement en ligne ou hors ligne

Les paiements en euro numérique peuvent être réalisés en ligne ou hors ligne57(*). La possibilité de régler les transactions hors ligne permet de proposer un niveau élevé de protection de la vie privée58(*).

La fonctionnalité hors ligne ne repose pas sur l'utilisation d'internet et n'est donc disponible que pour les paiements de proximité. Les opérations de paiement hors ligne se déroulent en étroite proximité physique (« face à face »).

Pour utiliser cette fonctionnalité « offline », la BCE indique que les utilisateurs devraient alimenter au préalable leur compte en euros numériques via internet ou via un guichet automatique. Les dispositifs hors ligne seraient utilisés soit via les téléphones portables soit via des cartes de paiement. Dans le cas du paiement hors ligne via smartphone, la technologie de champ proche, dite NFC (Near Field Communication) serait utilisée59(*).

En termes de traitement des données personnelles, la modalité hors ligne serait comparable à celui qu'effectuent les prestataires de services de paiement (PSP) lorsque les utilisateurs déposent ou retirent des espèces. Les PSP n'auront accès qu'aux données de chargement et de déchargement relatives, entre autres, à l'identité de l'utilisateur et au montant chargé ou déchargé.

(5) Frais et commissions

Pour les particuliers, l'euro numérique est gratuit pour les services de base60(*). Ces fonctionnalités de base doivent être définies dans une annexe au règlement61(*). En revanche, des services à valeur ajoutée peuvent être facturés par les prestataires de service de paiement.

Pour les commerçants, un encadrement des frais est prévu62(*). Les PSP fixent librement leurs commissions, sous réserve de rester en deçà du plafond déterminé par la méthodologie inscrite dans la proposition. Ce plafonnement vise à éviter que les paiements en euro numériques ne fassent l'objet, de manière injustifiée, d'une tarification excessive qui serait moins avantageuse que celle appliquée aux paiements en monnaie commerciale.

2. Un objectif incertain : ancrage monétaire, inclusion financière, ou autonomie stratégique ?

Une succession d'explications - dont aucune ne semble prédominer et qui ont varié au fil du temps - ont été avancées par la BCE et par la Commission européenne pour justifier le projet d'euro numérique. Cette difficulté à identifier une motivation principale a pu conduire certains à considérer que l'euro numérique était une « solution à la recherche d'un problème »63(*).

Si les arguments d'ancrage monétaire ou encore d'inclusion financière paraissent peu convaincants, les rapporteurs sont plus sensibles à l'argument de souveraineté des paiements en Europe, qui leur semble une motivation valable justifiant l'introduction de l'euro numérique.

a) Maintenir le rôle de la monnaie de banque centrale comme ancrage monétaire

Dans un contexte de recul de l'utilisation des espèces, l'euro numérique est présenté comme une solution pour préserver le rôle de la monnaie de banque centrale. Plus précisément, l'euro numérique permettrait de maintenir le « rôle d'ancrage de la monnaie de banque centrale ». Cet argument et cette expression figurent expressément dans l'étude d'impact de la proposition de la Commission64(*), tout comme dans les considérants de la proposition65(*).

Comme déjà rappelé, les espèces sont la seule forme de monnaie de banque centrale directement accessible par les particuliers. Avec la digitalisation et la décroissance de l'usage du cash dans les transactions, les citoyens européens risqueraient alors de perdre à terme tout contact avec la monnaie de banque centrale. Or, cette monnaie joue un rôle d'ancrage, qui permet d'assurer la confiance dans la monnaie.

Le recul de l'utilisation des espèces risquerait de rompre la promesse selon laquelle les citoyens sont assurés de pouvoir échanger de la monnaie de banque commerciale (c'est-à-dire les dépôts sur des comptes bancaires), contre de la monnaie de banque centrale sous sa forme physique (c'est-à-dire de l'argent liquide). Cela pourrait diminuer la confiance des citoyens dans la monnaie des banques commerciales, car la Commission considère que cette confiance dépend de la capacité à la convertir en monnaie de banque centrale, y compris en cas de crise bancaire.

L'introduction de l'euro numérique permettrait en ce sens de préserver l'accès direct du public à de la monnaie de banque centrale, et de garantir ainsi à cette dernière son rôle d'ancrage monétaire.

Cet argument de l'ancrage monétaire convainc cependant difficilement pour justifier le projet d'euro numérique.

Tout d'abord, il s'agit d'un concept théorique, difficile à quantifier, à évaluer et à saisir pour les citoyens européens. Le public n'a pas conscience de la différence entre monnaie commerciale et monnaie de banque centrale. Il considère que ces types de monnaie ont la même valeur. Faire reposer l'euro numérique sur l'argument d'ancrage monétaire n'est pas une explication suffisante pour convaincre de sa nécessité et pour assurer son adoption par la population.

Surtout, la proposition de la Commission ne prévoit pas la disparition des espèces, qui assurent de fait le maintien de cet ancrage monétaire. Au contraire, la Commission renforce parallèlement le cours légal des pièces et des billets par un règlement complémentaire66(*). Cette proposition de règlement vise précisément à garantir un accès aisé et facilité aux espèces. La BCE et la Commission soulignent régulièrement qu'elles ne souhaitent pas encourager une baisse de l'argent liquide dans la zone euro67(*).

Dès lors, si l'argent liquide reste disponible, la fonction d'ancrage de la monnaie de banque centrale n'est pas menacée. La création d'un ancrage supplémentaire avec l'euro numérique serait en fin de compte inutile et coûteuse.

b) L'absence de failles de marché rend peu convaincant l'argument de l'inclusion financière

Promu pour sa fonction d'ancrage monétaire, l'euro numérique est aussi présenté comme un moyen de renforcer l'inclusion financière.

La proposition de la Commission précise ainsi qu'« un euro numérique facile à utiliser et largement disponible contribuerait aussi à renforcer l'inclusion financière dans une société numérisée »68(*). Selon la Commission, l'euro numérique améliorerait l'inclusion financière en garantissant aux personnes non bancarisées l'accès à un service de paiement, dans un contexte de recul de l'utilisation des espèces.

Dans les faits, on constate un taux de bancarisation satisfaisant en Europe. Dans la zone euro, près de 95 % des Européens de plus de 15 ans bénéficient d'un compte bancaire69(*). Seuls 9 millions d'adultes européens ne disposaient pas de services financiers en 2021. C'est au Portugal et à Chypre que l'on recense les taux les plus élevés de personnes non bancarisées (7 % de la population). Il n'y a en revanche pratiquement pas d'adultes non bancarisés en Autriche, en Allemagne, en Finlande, en Irlande ou aux Pays-Bas. Par ailleurs, depuis 2014 et l'introduction de la directive dite droit au compte70(*), tout citoyen européen appartenant à un État membre de l'Union européenne a le droit d'ouvrir un compte de paiement de base dans l'établissement de son choix, même situé dans un autre État que celui dans lequel il réside.

Le fort taux de bancarisation en zone euro, tout comme les garanties apportées par le droit au compte, rendent donc peu persuasif l'argument d'inclusion financière pour justifier le projet d'euro numérique.

Par ailleurs, les personnes non bancarisées sont généralement celles qui sont également éloignées du numérique. Une solution digitale telle que l'euro numérique ne permettrait donc pas de toucher ces populations. Certes, la fonctionnalité hors ligne apporte une plus-value pour ces populations ; et l'euro numérique - en tant que solution publique - devrait veiller à offrir des solutions pour les personnes âgées ou handicapées. Mais l'argument de l'inclusion financière ne pourrait à lui seul justifier d'introduire un euro numérique.

Plus globalement, l'euro numérique de détail ne devrait pas emporter de cas d'usages résolument nouveaux en comparaison des solutions de paiement existantes et futures, si ce n'est la possibilité d'effectuer des transactions de proximité, numériques, garantissant la confidentialité (au même titre que les espèces) et de faciliter à ce titre des transferts entre particuliers. L'euro numérique de détail peut ainsi venir en complément mais n'est pas destiné à répondre à un besoin insatisfait ressenti par les agents économiques.

S'ils soutiennent le projet d'euro numérique, les associations de commerçants Mercatel et Eurocommerce entendues par les rapporteurs, ne sont effectivement pas demandeurs de la création d'un euro numérique71(*). Il en est de même pour le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), quoiqu'aujourd'hui très favorable au projet, au regard de ses avantages en termes de protection des données.

Compte tenu du fort taux de bancarisation et du paysage très concurrentiel des solutions de paiement en Europe, il est donc difficile de défendre l'idée que l'euro numérique est une réponse à une défaillance de marché, justifiant une intervention de la puissance publique.

c) L'objectif majeur de souveraineté des paiements en Europe, seule motivation valable du projet d'euro numérique

Ni l'argument d'ancrage monétaire, ni celui de l'inclusion financière ne peuvent valablement convaincre de la nécessité d'introduire un euro numérique. Ses bénéfices sont ailleurs, en particulier en matière d'intégration européenne du secteur des paiements et de renforcement de l'autonomie stratégique

Plus qu'à une motivation économique, l'euro numérique répond à un projet politique, celui du renforcement de la souveraineté en matière des paiements en Europe.

En matière de paiements, la dépendance de l'Europe vis-à-vis d'acteurs extra-européens est aujourd'hui une réalité. Comme déjà rappelé, le marché européen des paiements est aujourd'hui fragmenté, divisé en solutions nationales qui ne sont pas interopérables entre pays. Le paiement par cartes est aujourd'hui dominé par deux acteurs américains : Visa et Mastercard. Les grandes entreprises des Big Tech, soit américaines soit chinoises, pénètrent par ailleurs de plus en plus le marché avec les solutions X-Pay. 

Cette domination d'acteurs extra-européens, sans qu'aucun acteur paneuropéen n'émerge, n'est pas satisfaisante. Elle crée des situations de dépendance, qui, déjà problématiques en temps normal, pourraient se révéler dangereuses en cas de crise. S'agissant du paiement par cartes, la guerre en Ukraine en offre un exemple. Suite à l'invasion en Ukraine, Visa et Mastercard ont décidé de suspendre leurs opérations en Russie. Les cartes disposant de ces labels ne fonctionnant plus, les banques russes ont dû se tourner vers leur réseau de paiement local puis ont dû utiliser des réseaux chinois comme Union Pay72(*). La Russie s'est alors retrouvée dans une situation de dépendance financière vis-à-vis de la Chine, dépendance dont la Chine semble aujourd'hui profiter73(*).

L'investissement des BigTech dans le domaine des paiements peut également inquiéter, notamment pour des raisons de protection des données personnelles. Un rapport remis en février 2020 au ministre de l'Économie et des Finances notait déjà que les « entreprises extra européennes jouent dans les services de paiement un rôle croissant » et que « plusieurs évènements alarmants, au cours des années passées, ont montré les risques encourus par l'Europe »74(*).

Le rapport considérait l'essor des BigTech dans le secteur des paiements comme un important levier de développement pour des schemes internationaux tels que Visa ou Mastercard représentant une « menace sérieuse de perte de parts de marché pour des schemes nationaux tels que le groupement Carte Bancaire, portant atteinte à la diversité des systèmes de paiement entraînant une concentration du marché sur un petit nombre d'acteurs extra-européens »75(*).

Par ailleurs, cette situation de dépendance, déjà marquée aujourd'hui, pourrait encore se renforcer à l'avenir. Le projet Libra/Diem lancé par Meta a confirmé ces inquiétudes, avec le risque d'une introduction d'une monnaie numérique privée, qui défierait les monnaies de banque centrale. Le projet Libra a constitué un tournant majeur et a été le point de départ des travaux de banque centrale sur le lancement de monnaie numérique de banque centrale.

Comme le rappelle régulièrement la BCE, le « contrefactuel d'un euro numérique n'est donc pas un statu quo rassurant »76(*). En d'autres termes, en l'absence d'un euro numérique, l'émergence d'opérateurs privés potentiellement dominants sur le marché des paiements numériques aurait une forte incidence sur le secteur financier, comme le montre la décision récente de PayPal de lancer son propre stablecoin libellé en dollars américains pour les paiements numériques. Le développement de stablecoins qui ne sont pas libellés en euros pourrait effectivement prendre de l'ampleur et s'imposer comme un nouveau moyen de paiement77(*). Les projets de monnaie numérique des autres banques centrales pourraient par ailleurs constituer une menace pour l'euro.

L'euro numérique peut donc contribuer à protéger l'Europe de la montée en puissance des acteurs extra-européens dans le domaine des paiements, qu'ils soient privés (Visa, Mastecard, BigTech, stablecoins...) ou publics (monnaies numériques de banques centrales de pays tiers).

C. UNE PROPOSITION FREINÉE PAR LES RÉSISTANCES DES LÉGISLATEURS EUROPÉENS

1. Un sujet peu présent dans le débat public et des négociations enlisées au Parlement européen
a) Une opinion publique européenne encore peu informée et un sujet propice à la désinformation

Le projet d'euro numérique n'a pas encore fait l'objet d'une réelle attention médiatique et ne fait pas aujourd'hui partie des sujets animant le débat public au niveau européen ou national. À la différence des Etats-Unis, où le e-dollar est présent dans les débats pour la campagne présidentielle, l'euro numérique n'a ainsi pas été un thème de campagne clairement identifié lors des élections européennes de juin 2024. Un sondage réalisé en 2024 par la Bundesbank indiquait que 60 % des Allemands n'avaient jamais entendu parler de l'euro numérique78(*).

Alors même que la BCE travaille sur un projet d'euro numérique depuis 2020, qu'un cadre législatif a été proposé en juin 2023 par la Commission européenne et qu'une « phase préparatoire » a été lancée par la BCE en octobre 2023, l'euro numérique reste ainsi cantonné à un débat de spécialistes79(*). Des organisations citoyennes tentent cependant d'inscrire le sujet dans le débat public, comme l'Institut Veblen80(*), entendu par les rapporteurs.

Quand il est débattu, le projet d'euro numérique fait par ailleurs souvent l'objet de désinformation permettant d'entretenir des thèses conspirationnistes81(*). L'euro numérique est ainsi accusé de viser à un traçage et à un contrôle généralisé de la population européenne. Le parallèle est notamment fait avec le système du crédit social chinois ou avec le projet d'e-Yuan, qui soulève des inquiétudes légitimes s'agissant de la surveillance numérique de la population. Selon un sondage de la Bundesbank d'octobre 2021, les principaux inconvénients possibles de l'euro numérique pour les répondants étaient la crainte d'un premier pas vers la suppression de l'argent liquide (61 %) et la possibilité d'une surveillance générale des habitudes d'achat (54 %).

Il convient pourtant de rappeler que, contrairement au e-Yuan, le projet d'euro numérique ne prévoit pas que la monnaie soit programmable (voir infra : II), ce qui est précisé expressément à l'article 24 de la proposition82(*), ni ne vise à remplacer les espèces83(*).

Le débat public ne peut pas rester seulement tributaire des campagnes de fausses informations entourant le projet d'euro numérique. Les rapporteurs jugent capital de favoriser un large débat public sur le sujet, d'autant que des questions légitimes s'agissant de la protection de vie privée ou de l'impact sur l'intermédiation financière peuvent se poser.

Recommandation 1 : Favoriser à l'échelle européenne une campagne d'information sur le projet d'euro numérique, afin de permettre un débat éclairé sur le projet.

b) Des négociations enlisées au Parlement européen

Après la présentation par la Commission européenne en juin 2023 de la proposition sur l'euro numérique, les co-législateurs (Conseil et Parlement européen) ont commencé l'examen du texte.

Du côté du Conseil de l'Union européenne, les discussions ont été nourries lors de la présidence espagnole (juillet 2023-décembre 2023). Lors des six réunions de groupe de travail technique sous présidence espagnole, les États membres ont rappelé leur soutien au projet mais ont également fait état de leurs points de désaccord avec la proposition de la Commission. Les discussions portent tout particulièrement sur les équilibres à garantir en matière de protection de la vie privée, sur la répartition des rôles entre les co-législateurs et la BCE, ou encore sur les enjeux de stabilité financière, d'impacts sur les banques et de coûts pour les commerçants.

Les discussions ne se sont pas poursuivies lors de la présidence belge du Conseil, qui a débuté en janvier 2024. La Belgique n'a pas inscrit le sujet de l'euro numérique dans ses priorités. L'euro ne figure pas dans le programme de travail présenté par la Belgique pour sa présidence84(*). Une seule réunion de groupe de travail technique s'est tenue et a abordé les sujets de fixation du plafond de détention, du modèle tarifaire ou encore de l'introduction d'une confidentialité sélective.

Les prochaines présidences du Conseil seront assurées par des pays non membres de la zone euro, à savoir la Hongrie, la Pologne et le Danemark. Les rapporteurs concluent de leurs entretiens à Bruxelles que les discussions ne devraient probablement pas se conclure lors de la présidence hongroise, pays qui n'a pas manifesté de grand intérêt pour le projet de l'euro numérique.

En revanche, bien que non membres de la zone euro, la Pologne et le Danemark pourraient vouloir faire avancer le sujet, afin de disposer d'un modèle pour la mise au point de leur propre monnaie numérique de banque centrale. Il en est de même pour la Suède, qui se montre très intéressée par les modalités envisagées du projet d'euro numérique, alors qu'après avoir été précurseur avec un projet pilote d'e-krona, elle est aujourd'hui beaucoup plus prudente sur le sujet.

Du côté du Parlement européen, les discussions ont été très lentes. Depuis la présentation de la proposition de règlement par la Commission, la commission des affaires économiques et monétaires (ECON) a entendu à plusieurs reprises les membres de la BCE chargés du projet85(*). Le rapporteur du texte pour la commission ECON est le député allemand Stefan Berger, qui se montre opposé au projet, pointant l'absence de plus-value pour le consommateur européen. Comme ont pu le constater les rapporteurs lors de leur déplacement à Bruxelles, la procédure était en avril 2024 toujours bloquée au niveau du Parlement européen.

Déjà repoussé, le vote du projet de rapport porté par Stefan Berger sur la proposition de la Commission sur l'euro numérique n'a pas pu avoir lieu avant la fin de la législature. Il n'a alors pas pu être présenté en séance plénière et le Parlement européen n'a donc toujours pas adopté de position sur le projet d'euro numérique. Les discussions devront donc reprendre après la reconstitution du Parlement européen.

2. Une répartition des rôles à clarifier entre législateurs européens et BCE
a) Un débat juridique sur la responsabilité de l'émission de l'euro numérique et sur ses modalités de mise en oeuvre

Un des points cruciaux des discussions sur le projet d'euro numérique concerne la répartition des rôles entre la BCE et les co-législateurs. Plusieurs dispositions des traités peuvent être invoquées pour justifier l'intervention de l'un ou de l'autre de ces acteurs.

Avant même la présentation de la proposition de la Commission, il existait un débat juridique sur la base légale adaptée pour permettre l'émission d'un euro numérique.

L'article 3 du TFUE dispose que l'UE a une compétence exclusive dans le domaine de la politique monétaire. En vertu de l'article 127 du TFUE, la Banque centrale européenne est compétente pour définir et mettre en oeuvre la politique monétaire. L'article 128 du TFUE précise par ailleurs que la BCE est « seule habilitée à autoriser l'émission de billets de banque en euros dans l'Union ». Ces dispositions pouvaient dès lors plaider pour une intervention exclusive de la BCE pour l'émission d'un euro numérique.

Néanmoins, l'article 128 du TFUE précise également que les États membres peuvent émettre des pièces libellées en euros, dont la BCE ne contrôle que le volume d'émission86(*). Surtout, l'article 133 du TFUE prévoit que le Parlement européen et le Conseil sont habilités à prendre les « mesures nécessaires à l'usage de l'euro en tant que monnaie unique »87(*).

Ce débat juridique a été tranché avec le choix de la Commission de recourir à l'article 133 du TFUE comme base légale de sa proposition législative sur l'euro numérique. Dès lors, l'intervention exclusive de la BCE a été abandonnée et il a été décidé que l'euro numérique devait être établi et encadré par un règlement, nécessitant une approbation selon la procédure législative ordinaire.

b) La nécessité d'une implication des colégislateurs tout au long du processus, y compris via des clauses de révision

Le recours à l'article 133 du TFUE n'a pas pour autant levé toutes les ambiguïtés s'agissant de l'intervention des différents acteurs institutionnels que sont la Commission européenne, la BCE, le Parlement européen et les États membres.

Il reste à déterminer, parmi les décisions à prendre sur l'euro numérique, lesquelles se rapportent à « l'usage de l'euro » et nécessitent donc l'intervention des co-législateurs et lesquelles ont trait à la mise en oeuvre de « la politique monétaire » et sont donc du ressort de la BCE. Par ailleurs, la proposition prévoit l'adoption par la Commission d'actes délégués et d'actes d'exécution, qui peuvent avoir d'importantes conséquences sur les caractéristiques de l'euro numérique88(*).

La BCE veille à garder la main non seulement sur la décision d'émission de l'euro numérique mais également sur la détermination de certaines modalités de mise en oeuvre de l'euro numérique. Cela vaut tout particulièrement s'agissant de la fixation du plafond de détention d'euros numériques.

La BCE rappelle qu'elle est la seule compétente pour décider du montant d'émission des billets en euro (article 128 du TFUE) et considère que ce raisonnement doit s'appliquer par analogie au volume d'euro numérique. Elle appelle à respecter l'indépendance des banques centrales dans la mise en place, l'encadrement et la supervision de l'euro numérique.

Plusieurs États membres, dont la France, ont à l'inverse fait valoir lors des discussions au Conseil, que la stabilité financière est une compétence partagée entre la BCE et les co-législateurs. Or, les instruments choisis pourraient également affecter les établissements de crédits, et plus généralement leur compétitivité. Les co-législateurs doivent donc être impliqués dans la définition des caractéristiques d'utilisation de l'euro numérique.

Les rapporteurs soulignent l'importance d'une implication des co-législateurs dans toute l'étendue de leurs compétences juridiques. Le législateur européen devrait notamment pouvoir s'exprimer sur le calendrier retenu pour les décisions d'émission, comme cela avait le cas lors de l'introduction des pièces et des billets à la fin des années 1990 et au début des années 2000.

Ils estiment aussi que les États membres devraient également avoir un droit de regard sur les caractéristiques finales et sur les modalités de décision pour le lancement de l'euro numérique. Des mécanismes, tels que des clauses de révision, nécessiteraient d'être envisagés par le Conseil et le Parlement européen afin de permettre aux co-législateurs de se prononcer à intervalles réguliers sur les caractéristiques retenues de l'euro numérique.

Recommandation 2 : Renforcer l'implication des colégislateurs dans la procédure d'émission de l'euro numérique et dans les modalités retenues afin d'assurer le soutien démocratique et la réussite du projet d'euro numérique

Recommandation 3 : Prévoir des clauses de révision afin de permettre au Conseil de l'Union européenne et au Parlement européen de se prononcer régulièrement sur les caractéristiques retenues de l'euro numérique

I. II. LA PROTECTION DES DONNÉES, PRÉOCCUPATION MAJEURE ET CONDITION DE RÉUSSITE DU PROJET D'EURO NUMÉRIQUE

La protection des données et le respect de la vie privée figurent parmi les points d'attention majeurs du projet d'euro numérique. Compte tenu du paysage déjà très concurrentiel des paiements en Europe, la confidentialité peut être la valeur ajoutée de l'euro numérique et faciliter son adoption auprès des citoyens européens.

Si plusieurs garanties sont d'ores et déjà prévues par le texte, certaines mériteraient d'être précisées et d'autres dispositions devraient être ajoutées afin d'introduire une confidentialité sélective, qui rapproche le plus possible l'euro numérique d'une version digitale des espèces. Ces compléments sont indispensables pour assurer la confiance des citoyens européens dans ce nouveau mode de paiement.

A. LE RESPECT DE LA VIE PRIVÉE, SUJET D'IMPORTANCE MAJEURE POUR LES CONSOMMATEURS EUROPÉENS

1. Un point de vigilance central du projet d'euro numérique, d'autant que l'anonymat total n'est pas envisageable
a) Un sujet d'inquiétude pour les consommateurs, bien identifié par l'Eurosystème

Le respect de la vie privée qui passe par la protection des données est l'une des caractéristiques les plus importantes pour la conception d'un euro numérique et l'une des principales préoccupations des futurs utilisateurs.

Lors d'une consultation publique réalisée par la BCE en 2020 et publiée en 2021, 43 % des répondants ont estimé que la protection de la vie privée était l'aspect le plus important de l'euro numérique - loin devant d'autres caractéristiques - pour maintenir la confiance dans les paiements à l'ère numérique. Les participants aux groupes de discussion ont également déclaré qu'ils apprécieraient des options leur permettant d'exercer un contrôle sur leurs données personnelles. Dans les enquêtes de la BCE, la préoccupation du respect de la vie privée arrive ainsi loin devant d'autres préoccupations comme la sécurité ou la disponibilité paneuropéenne.

D'après une consultation de la Commission européenne de 2022, 53 % de la population de l'UE et 64 % des professionnels du secteur des paiements considèrent que la préservation de la vie privée et la protection des données doivent être l'objectif principal de l'euro numérique89(*).

Par ailleurs, selon la dernière étude SPACE de la BCE, 60 % des citoyens de la zone euro considèrent qu'il est important d'avoir le choix de payer en espèces et les principaux avantages perçus de l'argent liquide sont, pour eux, son anonymat et la protection de la vie privée90(*).

La Commission européenne et la BCE semblent bien conscientes de l'importance de l'aspect de la protection de la vie privée. La BCE fait ainsi valoir régulièrement dans ses publications et dans les déclarations de ses responsables qu'un niveau élevé de confidentialité est essentiel pour la confiance dans l'euro numérique et, par conséquent, pour son utilisation future par les consommateurs91(*).

b) L'impossibilité d'un anonymat total et la nécessité d'un traitement des données

Si le respect de la vie privée est une des attentes premières s'agissant du projet d'euro numérique, l'anonymat total pour les transactions en euro numérique est cependant exclu. Cette exclusion est posée dès l'exposé des motifs de la proposition.

Plusieurs éléments rendent de fait cet anonymat impossible. Tout d'abord, les exigences de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (LCB/FT) ou encore de lutte contre la fraude obligent nécessairement à un certain degré de contrôle des données. Par ailleurs, l'instauration d'un plafond de détention d'euros numériques, prévue pour limiter les impacts en termes de stabilité financière, conduit également à réaliser un traitement des données personnelles.

La proposition de la Commission distingue trois groupes d'acteurs qui seront chargés de traiter les données personnelles : les prestataires des services de paiement (c'est-à-dire les banques ou assimilés), les banques centrales (européenne et nationales) et les prestataires de services d'appui. Pour chacun de ces groupes, la proposition précise les raisons pour lesquelles certaines données personnelles peuvent être traitées.

o Les prestataires des services de paiement traitent les données personnelles et de transaction nécessaires à la distribution de l'euro numérique et à l'acquittement des obligations qui découlent de toute une série d'actes législatifs (ceux liés par exemple à la prévention et détection de la fraude, la lutte contre le blanchissement de capitaux et le financement du terrorisme)92(*) ;

o La Banque centrale européenne et les banques centrales nationales traitent des données pseudonymisées pour plusieurs fins, notamment pour régler les opérations de paiement, fournir l'infrastructure de règlement de l'euro numérique et préserver sa sécurité et son intégrité, aider les prestataires de services de paiement à vérifier si un utilisateur détient déjà des comptes de paiement en euro numérique afin de faire respecter les plafonds de détention d'euros numériques.

Le point décisif est que l'Eurosystème ne serait pas en mesure d'identifier des utilisateurs à partir des paiements qu'ils effectuent. Il n'aurait accès qu'à un nombre très limité de données pseudonymisées, nécessaires à l'application de ses missions, comme les opérations de règlement93(*). Seuls les PSP pourraient faire le lien entre la véritable identité de l'utilisateur final et les données relatives aux paiements traités par le fournisseur de l'infrastructure centrale.

o Les prestataires de services d'appui traitent les données personnelles pour permettre la prévention et la détection de la fraude par les prestataires de services de paiement et soutenir l'échange de messages aux fins de règlement de litiges.

2. Des garanties apportées grâce à une distribution décentralisée, l'existence d'une modalité hors ligne et l'exclusion d'un « euro programmable »

Si un traitement des données est prévu par la proposition de la Commission, plusieurs dispositions sont censées néanmoins atténuer les risques de cette collecte pour la protection de la vie privée.

a) Un système décentralisé pour la distribution de l'euro numérique

La distribution de l'euro numérique doit se faire de manière décentralisée via les intermédiaires financiers (banques et assimilés)94(*).

Les intermédiaires financiers doivent ainsi servir de point de contact principal pour les particuliers, les commerçants et les entreprises s'agissant de toutes les questions liées à l'euro numérique, et doivent assurer tous les services destinés aux utilisateurs finaux. Les prestataires de services de paiement ont déjà des relations directes avec leurs clients et sont donc considérées comme les mieux à même de jouer le rôle de contreparties directes.

La proposition de règlement prévoit une distribution obligatoire des services de base en euros numériques par les banques à leurs clients95(*). Tous les autres prestataires de services de paiement « peuvent » offrir des services de paiement en euro numérique. Pour les personnes ne possédant pas de compte de paiement auprès d'un PSP, la proposition prévoit l'application de la procédure de droit au compte.

Cette distribution de l'euro numérique de manière décentralisée, via des intermédiaires, apparaît comme une garantie pour la protection de la vie privée. D'abord, elle permet de limiter, en la répartissant sur différents intermédiaires, l'échelle des traitements de données. Par ailleurs, les intermédiaires financiers sont déjà assujettis aux exigences de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) : leur déléguer la distribution permet de ne pas créer de nouvelles entités chargées de réaliser ces contrôles, qui peuvent être « gourmands » en données personnelles et intrusifs pour la vie privée. Enfin, du point de vue de l'acceptabilité politique du projet, une centralisation des transactions via un acteur public qui ne pourrait être que la BCE constitue certainement un écueil à éviter : consciente de ce danger, celle-ci ne le souhaite d'ailleurs pas.

b) La possibilité de payer hors ligne

La proposition de la Commission introduit une modalité hors ligne pour le paiement en euro numérique, qui permet de payer en l'absence de connexion internet 96(*).

La proposition prévoit une adaptation du cadre LCB/FT pour les opérations de paiement en euros numériques hors ligne97(*). Ces opérations auront un niveau de protection de la vie privée plus élevé que les paiements en ligne.

Ainsi, pour la fonctionnalité hors ligne, la Banque centrale européenne, les banques centrales nationales et les PSP n'auront pas accès aux données à caractère personnel des opérations. Seuls le payeur et le bénéficiaire connaîtront les détails personnels de la transaction.

Les prestataires de services de paiement n'auront accès qu'aux données de chargement et de déchargement. Les PSP devraient transmettre ces données de chargement et de déchargement, sur demande, aux cellules de renseignement financier et aux autres autorités compétentes lorsque des utilisateurs sont soupçonnés de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. En termes de traitement de données personnelles, la modalité hors ligne est donc comparable au traitement des données réalisé à l'occasion de dépôts ou de retraits d'espèces.

Les données de chargement recouvrent les données listées à l'article 37 (4) de la proposition et comprennent notamment le montant de la charge ou de la décharge, la date et l'heure de l'opération de chargement ou de déchargement, ou encore les numéros de compte utilisés pour le chargement ou le déchargement.

La possibilité de payer hors ligne en euros numériques, associée à un régime LCB/FT dérogatoire, devrait être mise en place dès la première émission de l'euro numérique98(*). Cette introduction immédiate offre une incitation à adopter l'euro numérique, puisque cette solution disposera d'une modalité avec un niveau renforcé de protection de la vie privée. Par ailleurs, la fonctionnalité de paiement « hors ligne » permet d'assurer la continuité des paiements en cas de panne de connexion internet.

Une dissociation des cadres hors ligne et en ligne pénaliserait l'adoption de l'euro numérique. Les cas d'usage de l'euro numérique en ligne sont en effet réduits et, sans la mise en place de l'euro hors ligne, la protection de la vie privée, très importante pour les citoyens, resterait insuffisamment garantie.

Les modalités techniques du paiement hors ligne ne semblent pas aujourd'hui suffisamment au point. Le dernier rapport de la BCE sur le projet d'euro numérique détaille les solutions envisagées pour permettre un dispositif « off line »99(*). Pour le paiement par smartphone, il serait envisagé de recourir aux technologies NFC (« Near Field Communication »), mais encore faudrait-il garantir que cette technologie soit disponible sur tous les smartphones. Par ailleurs, la BCE explore d'autres solutions comme des cartes à puces alimentées par batterie100(*). La BCE indique que les travaux sur la fonctionnalité hors ligne de l'euro numérique devront se poursuivre au cours des prochains mois.

Recommandation 4 : Assurer que l'euro numérique hors ligne soit disponible dès le lancement de l'euro numérique, malgré les difficultés techniques que ce développement implique.

c) L'euro numérique ne sera pas une monnaie programmable

La proposition de la Commission exclut la possibilité de faire de l'euro numérique une monnaie programmable101(*), ce qui permet là aussi d'apporter des garanties en termes de respect de la vie privée.

Une monnaie programmable est une monnaie soumise à des limitations qui peuvent concerner le lieu de son utilisation, le moment de son utilisation, le produit ou service payé, ou encore la personne qui l'utilise. Ces limitations conduisent alors à empêcher la fongibilité de la monnaie. La monnaie programmable s'apparente alors davantage à une forme de bon d'achat.

Le concept de monnaie programmable est parfois présenté comme un moyen d'offrir des cas d'usage innovants. Il pourrait permettre aux utilisateurs de contrôler leurs dépenses (via par exemple un blocage des dépenses d'alcool ou de cigarettes) ou aux prêteurs de contrôler la façon dont les emprunteurs dépensent l'argent prêté. Il peut surtout être un moyen pour une puissance publique d'interdire à certains utilisateurs d'acheter des biens ou des services qu'ils jugent nuisibles ou de prévoir des incitations ("nudging") pour que les utilisateurs achètent certains biens ou services à un certain moment ou pendant une certaine période. Ainsi, le Yuan numérique, tel que développé dans les projets pilote en Chine, est une monnaie programmable.

L'ajout de cette caractéristique comporterait inévitablement un risque important de saper la confiance dans l'euro numérique. Une telle fonctionnalité donnerait aux acteurs du marché, mais aussi à la BCE et aux gouvernements, une capacité importante de contrôle des dépenses en euros numériques de leurs clients ou citoyens, ce qui limiterait indûment leurs libertés économiques et ouvrirait la porte à une surveillance et à un pilotage intrusifs de leur comportement de paiements.

B. UN EURO NUMÉRIQUE QUI DOIT ÊTRE LE PLUS PROCHE POSSIBLE DES ESPÈCES DANS SES PROPRIÉTÉS POUR LES USAGERS

1. La nécessité d'une confidentialité sélective
a) Instaurer un seuil de confidentialité pour les transactions en ligne de faible montant

Pour les paiements en ligne, la proposition de règlement prévoit que toutes les opérations en euros numériques, quel que soit leur montant, seront tracées, notamment à des fins de lutte contre le blanchiment d'argent et de financement du terrorisme102(*). La surveillance LCB/FT doit donc avoir lieu dès le premier euro103(*).

Cette obligation, sans distinction de montant, ne semble pas conforme à l'objectif de la proposition visant à assurer un niveau renforcé de protection des données. Le maintien de la confiance des utilisateurs dans l'argent public nécessite, en particulier pour un projet numérique porté par des organismes publics, un niveau de confidentialité aussi large que possible, élément de différenciation et donc d'attractivité de l'euro numérique.

Comme le note le Comité européen de protection des données (CEPD) dans son avis conjoint avec le Contrôleur européen de la protection des données104(*), un niveau élevé de protection de la vie privée devrait être garanti non seulement pour les paiements en euros numériques hors ligne (comme le prévoit actuellement la proposition) mais aussi pour les opérations de paiement en euros numériques en ligne de faible valeur.

La fixation d'un tel seuil de confidentialité est soutenue par le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC). La BCE elle-même dans son avis sur la proposition de la Commission recommande également l'instauration d'une approche de « confidentialité sélective » pour les petites transactions, pour lesquelles le risque LCB-FT est réduit. Elle suggère ainsi d'« offrir une protection accrue de la vie privée pour certains paiements à faible risque et de faible montant en euros numériques »105(*).

L'instauration de ce seuil de confidentialité pour les transactions en ligne de faible valeur n'impliquerait pas pour autant un anonymat complet des transactions, cet anonymat étant - comme déjà rappelé - exclu par la proposition. Les transactions ne seraient seulement pas soumises à la surveillance LCB-FT par les intermédiaires financiers.

Recommandation 5 : Instaurer dans la législation un seuil de confidentialité en-dessous duquel les transactions en ligne de faible montant en euros numériques ne sont pas tracées, sans négliger l'impérieuse nécessité de lutter contre la corruption, le blanchiment, le financement du terrorisme et l'évasion fiscale.

b) La fixation du seuil de confidentialité doit s'inspirer du régime applicable aux espèces et doit être déterminée par les législateurs européens

Si l'euro numérique en ligne est assimilable aux espèces, alors il doit répondre à des exigences similaires en termes de contrôle LCB/FT. La législation européenne prévoit une possibilité de payer en espèces jusqu'à 10 000 euros, avec des plafonds plus bas dans certains États. Les paiements par espèces en-dessous de ces seuils offrent alors un anonymat complet, en l'absence de traçage des achats effectués.

Compte tenu de son importance, le seuil de transaction bénéficiant d'un régime de confidentialité accrue devrait être fixé par le législateur européen directement dans le règlement, à l'instar des autres législations européennes en la matière. Il doit appartenir aux co-législateurs d'établir où situer l'équilibre approprié entre l'objectif de préservation de la vie privée et celui d'assurer la LCB/FT et la lutte contre l'évasion fiscale.

Les règles en matière de paiement en espèces dans l'Union européenne

Depuis mai 2024, une nouvelle législation contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme prévoit la limitation à 10 000 euros des paiements en espèces au sein de l'Union européenne, sauf entre particuliers dans un contexte non professionnel106(*).

L'objectif du législateur est de rapprocher des réglementations très disparates dans les 27 États membres de l'UE. Si la nouvelle législation harmonise les seuils de paiement en liquide, une certaine hétérogénéité des législations nationales demeure.

Dans 4 États de l'UE (Autriche, Chypre, Irlande, Luxembourg), il n'existait jusqu'alors aucune limite de paiements en espèces. Dans 4 autres États, la législation européenne est plus stricte que la législation nationale en vigueur : c'est le cas en Allemagne, en Croatie où le plafond de paiement en espèces était établi à 15 000 euros, à Malte et en République Tchèque. Dans 4 autres États de l'UE, il n'existe pas de plafond de paiement en espèces, mais des obligations déclaratives et des restrictions, souvent laissées à la discrétion des commerçants, sont inscrites dans la loi : il en est ainsi en Estonie, Finlande, Pays-Bas, Suède.

Dans les 15 autres États de l'Union (Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, France, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie, Slovénie), des plafonds de paiement inférieurs aux 10 000 euros prévus par la législation nationale sont déjà en vigueur. Ces plafonds sont différents d'un État à l'autre, allant de 7 200 euros en Lettonie et 5 000 euros en Slovénie, à 1000 euros en Italie et 500 euros en Grèce (hors achat de véhicule). Dans 3 de ces États (Espagne, France et Portugal), des plafonds de paiement en espèces différents sont appliqués aux résidents fiscaux et non-résidents fiscaux. Dans l'ensemble de ces pays, les plafonds de paiement des résidents fiscaux (entre 1000 et 3000 euros) sont bien inférieurs à ceux des non-résidents fiscaux (de 10 000 à 15 000 euros). Dans 2 de ces États (Roumanie, Slovaquie), il existe des plafonds de paiement en espèces entre particuliers (respectivement de 50 000 leis et de 15 000 euros), en plus de plafonds de paiement en espèces pour les commerçants.

2. La multi-détention de comptes, facteur de complexité et d'un partage accru de données

La proposition de règlement prévoit que les utilisateurs de l'euro numérique pourront détenir plusieurs comptes en euros numériques, auprès du même PSP ou de différents PSP107(*). Cette multi-détention pose cependant de nombreuses difficultés, notamment pour concilier l'interaction de ces comptes avec la gestion d'une limite de détention.

Cette disposition a été insérée par la Commission européenne et ne figurait pas dans les propositions de la BCE. Au cours de la phase d'investigation du projet d'euro numérique (octobre 2021 à octobre 2023), l'Eurosystème a travaillé sur l'hypothèse que les utilisateurs ne pourraient ouvrir qu'un seul compte en euros numériques.

a) Le point d'accès unique, un registre centralisé rendu nécessaire par la multi-détention de comptes

La proposition de la Commission prévoit qu'en cas d'introduction de l'euro numérique, la BCE instaure un point d'accès unique (PAU)108(*), qui consisterait en un registre des utilisateurs, de leurs comptes, de leurs avoirs et de leurs limites de détention.

Il permettrait de concilier plusieurs éléments :

- l'existence d'une limite de détention globale des avoirs en euro numérique pour un utilisateur donné. Cette limite de détention a pour objectif de préserver la stabilité financière ;

- la possibilité pour un utilisateur d'ouvrir plusieurs comptes en euro numérique dans des institutions différentes et de déplacer ses comptes en euro numérique d'une banque à l'autre sans changer ses identifiants ;

- la décentralisation de la gestion des comptes en euro numérique au niveau des banques ou d'autres organismes financiers, par opposition à une gestion centralisée par l'Eurosystème.

La proposition de règlement prévoit que l'utilisateur indique aux intermédiaires hébergeant ses différents comptes comment la limite de détention globale est allouée entre ses différents comptes109(*), de sorte que la somme des limites des comptes ne dépasse pas la limite de détention globale. Dans ce cadre, l'ouverture d'un nouveau compte en euros numériques pour cet individu doit donc s'accompagner d'une vérification des limites de détention de tous les comptes en euro numérique détenus par l'utilisateur de manière à s'assurer que la somme des limites de chaque compte n'excède pas la limite globale. Cette vérific ation doit aussi être dynamique car les montants des différents comptes évoluent dans le temps.

L'article 35 de la proposition prévoit donc la création par la BCE d'un registre mettant en regard les identifiants uniques de chaque utilisateur et la liste de ses comptes avec les sous-limites correspondantes. L'article 34(1) prévoit que les intermédiaires ont accès à ce registre aux fins de vérifier, à chaque création de compte, que la limite globale n'est pas contournée. Ce registre est appelé point d'accès unique (« single access point »).

Le point d'accès unique doit également permettre la mise en oeuvre de l'article 31(2) de la proposition de règlement, qui prévoit qu'en cas d'indisponibilité d'un hébergeur de compte, il doit être possible de transférer un compte détenu par cet organisme vers un autre organisme sans le concours de l'hébergeur indisponible, afin de maintenir la possibilité de portabilité d'un compte en euros numériques, prévue par le texte.

b) Un point d'accès unique qui soulève de nombreuses interrogations

L'instauration d'un point d'accès unique est un sujet sensible car il s'agit de créer un registre centralisé géré par la BCE de tous les comptes en euro numérique associés à un identifiant permanent de leurs détenteurs et aux montants détenus. Les informations figurant sur ce registre sont donc identifiantes et accessibles tant aux banques centrales qu'aux intermédiaires.

Pourtant, afin d'instaurer une certaine confidentialité de l'euro numérique, le principe est que les données de transaction ne sont pas transparentes pour les banques centrales. Comme déjà indiqué, le projet de la Commission prévoit que ces données soient pseudonymisées avant d'être remontées au dispositif de règlement centralisé de l'Eurosystème. Le considérant 76 du texte proposé prévoit ainsi que ces données « ne peuvent pas être utilisées pour identifier directement un utilisateur donné de l'euro numérique ». Il y a donc ici une exception à ce principe, important d'un point de vue politique. Ce registre pourrait aussi permettre de transférer un compte sans le concours de l'organisme hébergeant ce compte (pour la mise en oeuvre de l'article 31(2)), ce qui semble nécessiter des garanties de sécurité très élevées.

Le considérant 77 anticipe d'ailleurs un risque de fuite de données en demandant aux banques centrales nationales d'envisager un stockage décentralisé de ce registre (en l'espèce dans les systèmes informatiques de quelques banques centrales nationales). En cas de compromission des données correspondantes, le risque d'atteinte à la vie privée des détenteurs d'euro numérique serait en effet très élevé (en raison de la concentration des informations détenues, de leur caractère identifiant et de leur échelle).

Sans remettre en cause le choix fait par la Commission d'autoriser la multi-détention (qui implique de manière inévitable le traitement de davantage de données), le CEPD note que la proportionnalité et la nécessité de ce mécanisme ne sont pas suffisamment clarifiées110(*), et estime que sans davantage de justifications, ce dispositif serait illégal en l'état au regard des articles 7 et 8 de la Charte européenne des droits fondamentaux.

Par ailleurs, le CEPD a estimé que les garanties de sécurité et de confidentialité liées à ce point d'accès unique n'étaient pas assez explicites dans la proposition de règlement, qui n'était pas assez précis en pratique sur la manière dont les intermédiaires pourraient utiliser ces données et sur les garanties dont disposeraient les utilisateurs à cet égard, notamment par rapport à l'exercice de leurs droits (§41). Le CEPD mentionne également la possibilité de décentraliser un tel système informatique pour éviter la création d'un registre central des comptes.

La point d'accès unique, registre des utilisateurs, de leurs comptes, de leurs avoirs et de leurs limites de détention, est donc en l'état de la proposition insuffisamment entouré de garanties.

Recommandation 6 : Améliorer la conception du dispositif de point d'accès unique - registre centralisé des comptes des utilisateurs d'euro numérique - en renforçant les garanties associées en termes de sécurité et de confidentialité.

c) Inscrire le principe d'un compte en euros numériques par utilisateur

Au-delà même de la question du point d'accès unique, la possibilité de détenir plusieurs comptes en euros numériques apparaît générateur de trop de complexités.

Une note technique sur les conséquences de la fourniture de plusieurs comptes en euros numériques a été transmise aux rapporteurs par la BCE lors de leur déplacement à son siège de Francfort111(*). Il ressort de cette analyse que la possibilité de détenir plusieurs comptes en euros numériques oblige à partager davantage d'informations et, surtout, complexifie grandement l'expérience utilisateur.

S'agissant du traitement des données, dans un scénario de compte unique, les PSP doivent uniquement vérifier, via le point d'accès unique, si chaque utilisateur a déjà ouvert un compte en euros numériques. En revanche, dans un scénario de comptes multiples, des informations supplémentaires sont nécessaires. Les PSP doivent vérifier via le point d'accès unique, les niveaux de détention de chacun de ces comptes pour faire respecter les limites de détention globale (en ligne et hors ligne).

La BCE précise dans sa note qu'un scénario de comptes multiples n'obligerait en revanche pas l'Eurosystème à traiter davantage de données personnelles que dans un scénario de compte unique. Dans les deux cas en effet, l'Eurosystème traitera des données pseudonymisées112(*) et ne serait pas en mesure d'identifier un utilisateur individuel. Il n'en demeure pas moins que des données pseudonymisées plus nombreuses devront être traitées, multipliant ainsi les risques en cas de piratage ou de panne.

Par ailleurs, comme le reconnaît la BCE dans sa note, l'expérience utilisateur, du fait de cette multi-détention, se révélerait très compliquée. En contrepoint de la liberté supplémentaire qu'il lui offrirait, le scénario de comptes multiples obligerait l'utilisateur à faire plusieurs choix, en plusieurs étapes, sur la manière de répartir sa capacité de limite de détention en ligne/hors ligne, potentiellement entre plusieurs PSP. Les PSP devraient alors consacrer des ressources à leur guichet pour expliquer ces choix.

En définitive, en cas de multi-détention, l'utilisateur devrait répartir sa limite de détention individuelle entre 1) détention en ligne et hors ligne 2) entre dispositifs hors ligne 3) entre plusieurs comptes auprès de différents PSP. La multi-détention ajoute donc de la complexité à un système qui l'est déjà. Comme le note la BCE dans sa note technique, « ce processus d'ajustement des limites de détention risque de faire percevoir l'euro numérique comme un produit complexe ».

L'association Eurocommerce partage cette inquiétude, indiquant que « l'application des limites de détention s'accompagne d'énormes complexités, en particulier en ce qui concerne les détenteurs de portefeuilles multiples (...) Si le parcours client est compliqué, il va abandonner »113(*).

Lors des discussions au Conseil, plusieurs États membres ont clairement exprimé leur réticence vis-à-vis de l'ouverture de l possibilité de détenir plusieurs comptes en euros numériques, en faisant valoir qu'elle induisait davantage de coûts que de bénéfices114(*). D'autres États ont par ailleurs proposé une approche progressive, qui n'autoriserait l'ouverture de comptes multiples que dans un second temps et non dès le lancement de l'euro numérique. Cette possibilité ne serait ainsi ouverte que lorsque les citoyens seraient familiarisés avec l'euro numérique.

Les rapporteurs considèrent qu'une trop grande complexité dans son utilisation dissuaderait les citoyens de payer en euro numérique. La complexité de ce dispositif, tout comme le partage accru d'informations qu'il implique doivent conduire à exclure la multi-détention de la proposition de règlement115(*).

Recommandation 7 : Exclure la possibilité de détenir plusieurs comptes en euros numériques pour limiter le partage d'informations et faciliter l'expérience utilisateur.

3. Les mesures de lutte contre la fraude et le risque cyber doivent être mieux encadrées et détaillées
a) Un système trop centralisé de lutte contre la fraude

L'avis du Comité européen de protection des données alerte également sur les risques en termes de centralisation de la lutte contre la fraude. Selon le CEPD, la proportionnalité et la nécessité de cette centralisation ne sont pas démontrées et les tâches et l'articulation avec les intermédiaires financiers ne sont pas bien définies.

La proposition de la Commission prévoit la mise en place par la BCE d'un mécanisme général de prévention et de détection de la fraude116(*). Ce mécanisme centralisé, qui doit mutualiser les données des intermédiaires, est présenté comme un moyen d'aider les PSP à être « plus efficaces grâce aux informations sur les activités potentiellement frauduleuses émanant d'autres prestataires de services de paiement » : ils seraient ainsi en capacité de relever des fraudes qu'« un prestataire de service de paiement ne serait pas en mesure de détecter seul »117(*).

La CNIL118(*), dans sa réponse au questionnaire des rapporteurs, indique que « le mécanisme centralisé de lutte contre la fraude ne fait pas l'objet de justifications suffisantes pour ce qui est de sa nécessité et de sa proportionnalité. De ce fait, la disposition l'instaurant pourrait ne pas être justifiée au regard des articles 7 et 8 de la Charte européenne des droits fondamentaux et encourir l'annulation de la CJUE ».

La proposition de règlement justifie l'introduction de ce mécanisme par le fait qu'il permettrait de rendre la détection rapide de la fraude « plus efficace ». Le CEPD estime que « rendre la détection rapide de la fraude plus efficace n'est pas en soi suffisant pour justifier, à la lumière de la charte, l'ingérence dans les droits fondamentaux à la protection de la vie privée et des données »119(*).

Recommandation 8 : Apporter davantage de précisions sur le Mécanisme général de détection et de prévention de la fraude afin d'apprécier le caractère nécessaire et proportionné de la centralisation corrélative des données de paiement en euro numérique

b) Un risque cyber à ne pas négliger

Par nature, les paiements en euros numériques seront confrontés à des risques de cybersécurité, et autres risques opérationnels. Il s'agit d'un élément important à considérer dans les décisions relatives aux aspects techniques de l'euro numérique, qui doivent être fixés dans le recueil de règles - Rulebook - de l'euro numérique120(*).

Selon la Commission européenne, les paiements en ligne en euros numériques présenteront des risques supplémentaires par rapport aux systèmes de paiement en ligne existants, tels que les virements SEPA, les systèmes nationaux de paiement par carte de débit et les systèmes internationaux de cartes de débit et de crédit121(*).

En particulier, alors que les utilisateurs finaux seront exposés à des niveaux de risque similaires liés aux fraudes (par exemple, par hameçonnage et compromission de compte), l'Eurosystème sera confronté à des menaces supplémentaires de la part d'adversaires qui ne sont pas nécessairement à la recherche d'un gain financier direct mais motivés par des considérations politiques ou parrainés par des États qui tenteraient de déstabiliser le système financier de la zone euro.

La Direction générale du Trésor du Ministère de l'économie et des finances (DG Trésor) rappelle que la BCE a une grande expérience en matière de cyber-résilience de ses systèmes de paiement existants et que l'Eurosystème fait évoluer en permanence le cadre de sécurité de référence. Par ailleurs, les PSP ont déjà mis en place des systèmes et des processus pour gérer les risques actuels conformément aux exigences de la directive DSP2. La DG Trésor note néanmoins que « la nature continue et instantanée122(*) du service de règlement fourni par l'Eurosystème, combinée à la large audience des sujets desservis, implique des défis sans précédent pour assurer une disponibilité systématique ». Elle souligne également l'enjeu réputationnel qu'emporte la fiabilité du système de fourniture de l'euro numérique pour la monnaie elle-même. Une défaillance cyber sur l'euro numérique pourrait ainsi nuire plus généralement à la confiance dans l'euro.

III. UN MODÈLE ÉCONOMIQUE ENCORE INCERTAIN, S'AGISSANT DES IMPLICATIONS POUR LES BANQUES ET DES COÛTS POUR LES COMMERÇANTS

L'introduction d'un euro numérique suscite des inquiétudes s'agissant de son impact sur l'intermédiation financière, avec des craintes de fuite des dépôts. Plusieurs caractéristiques retenues, comme le plafond de détention, devraient cependant atténuer ces risques, même si des études plus approfondies restent nécessaires.

Des incertitudes plus grandes encore pèsent sur le modèle de tarification de l'euro numérique, en particulier s'agissant des coûts pour les commerçants et de la prise en charge de la gratuité des services de base.

A. UNE HOSTILITÉ DES BANQUES À L'ENCONTRE DU PROJET, AUX FONDEMENTS CONTESTABLES

1. Une crainte de fuite des dépôts, qui ne devrait cependant pas être massive
a) Des risques pour les bilans des banques et pour l'intermédiation financière

Les banques européennes se sont montrées très réservées vis-à-vis du projet d'euro numérique. Les raisons de cette réserve tiennent essentiellement aux craintes de fuite de dépôts et de baisse de la capacité des banques à financer l'économie qu'engendrerait l'introduction de l'euro numérique.

(1) Une érosion des dépôts, qui pourrait réduire les capacités de prêts

L'euro numérique peut être obtenu en convertissant des espèces ou des dépôts bancaires. Une conversion à partir des espèces existantes en circulation serait transparente pour le système financier, elle se traduirait uniquement par le remplacement d'une forme de monnaie centrale par une autre. En revanche, une conversion à partir des dépôts bancaires conduirait à échanger de la monnaie commerciale par de la monnaie centrale.

La conversion en euro numérique d'une partie des dépôts conduit alors à éroder la base de dépôts des banques. Or, les dépôts jouent un rôle important pour le financement des banques de la zone euro, et partant, pour le financement de l'économie européenne. Actuellement, ils représentent environ 40 % du total des engagements des banques123(*). En cas de conversion importante de dépôts en euros numériques, les banques pourraient alors perdre une source de financement bon marché et relativement stable. Les risques seraient plus importants encore pour les petites banques, qui dépendent largement des dépôts comme source de financement.

Cette érosion des dépôts pourrait alors se répercuter sur le canal du crédit, en diminuant la quantité de crédits consentis aux emprunteurs (en augmentant les taux)124(*). Face à cette fuite de dépôts, les banques pourraient également réagir en substituant ces dépôts par du financement de marché, par exemple en émettant des obligations. Elles pourraient également choisir d'offrir une rémunération plus attractive des dépôts pour limiter la fuite. Le coût de financement des banques s'alourdirait alors, réduisant leur rentabilité et, éventuellement, mettant en danger la stabilité financière.

En outre, il est aussi avancé qu'un euro numérique pourrait accroître la probabilité, l'ampleur et la rapidité des retraits massifs de fonds (phénomène de bank run), bien que l'étendue de ce phénomène ne soit pas claire en raison du manque de précédents.

Par rapport à un bank run en espèces, un bank run numérique semble plus probable et pourrait se produire plus rapidement en raison des coûts de transaction moins élevés pour convertir les dépôts (à partir d'un site web ou d'une application) et parce que les euros numériques impliqueraient probablement des risques et coûts de détention, en particulier des coûts de stockage, et des risques, moins élevés que les billets de banque.

(2) De premières études qui étaient très incertaines

La quantification du risque de « perte des dépôts » reste très incertaine car elle dépend des paramètres de l'euro numérique, de son utilisation effective comme moyen d'échanges et de son attractivité comme moyen de thésaurisation.

Par ailleurs, les premières études publiées sur le sujet négligeaient le facteur du volume global de monnaie de banque centrale en circulation, qui serait constitué des espèces et des euros numériques. Une partie des euros numériques seront constitués à partir des espèces, et s'opérera donc une substitution, qui sera neutre pour les banques commerciales. Pour ce qui s'agit des conversions à partir de dépôts (conversions qui, elles, peuvent affecter négativement les banques commerciales), le surplus de monnaie de banque centrale ne devrait pas être massif.

En particulier, la BCE fait remarquer que les banques ont connu pendant les périodes de tensions financières et de faibles taux d'intérêt une forte demande de billets en euros (et donc une croissance de la monnaie de banque centrale au détriment des dépôts). Elles n'ont pourtant pas fait valoir de difficultés à l'époque. Entre 2007 et 2021, les billets en euros en circulation sont ainsi passés de 628 milliards d'euros à 1 572 milliards d'euros, ce qui dépasse de loin le montant qui devrait être émis sous la forme d'euros numériques125(*).

Dès lors, les premières études publiées sur l'impact d'une introduction de l'euro numérique doivent être prises avec précaution. D'une part, elles restent très variables selon le plafond de détention retenu. D'autre part, elles n'intègrent pas toujours certaines caractéristiques retenues par la Commission européenne dans sa proposition et ne prennent pas toujours en compte le facteur du volume global de monnaie de banque centrale126(*).

b) Grâce aux choix retenus, un impact probablement limité sur la stabilité financière

Pour limiter les risques en termes de stabilité financière et d'intermédiation, la proposition de la Commission prévoit trois instruments : l'instauration d'une limite de détention, la non-rémunération de l'euro numérique et les dispositifs de cascade et cascade inversé :

- la fixation d'une limite de détention en euros numérique conduit de fait à limiter les conversions de dépôts bancaires en euros numériques. La limite de détention évoquée dans les premières simulations de la BCE s'est établie à 3 000 euros ;

- le fait que l'euro numérique ne porte pas intérêt est également un moyen de le rendre moins attractif que des dépôts qui sont quant à eux pour la plupart rémunérés ;

- les dispositifs de cascade et cascade inversée conduisent à assurer une continuité entre les euros numériques et les euros non numériques. Il ne serait ainsi pas nécessaire de recharger son compte en euros numériques si les avoirs en euros numériques sont insuffisants ; il est possible de mobiliser les fonds manquants à partir d'un compte de paiement en euros non numériques. De même, les utilisateurs peuvent transférer automatiquement les fonds en euros numériques dépassant les limites sur un compte de paiement en euros non numériques.

Ces dispositifs doivent conduire à faire de l'euro numérique davantage un moyen de paiement qu'un outil de réserve de valeur. Plusieurs études, prenant en compte ces trois caractéristiques, ont été publiées par la BCE et par plusieurs banques centrales de l'Eurosystème. Certaines sont fondées sur des hypothèses très conservatrices (ex : l'ensemble des Européens utilisent 100 % de leur limite de détention, dès l'introduction de l'euro numérique).

Les études quantitatives partagées par la Commission européenne dans son étude d'impact concluent à la pertinence d'un plafond autour de 3 000 € (entre 2 000 et 5 000 €) pour limiter les impacts négatifs sur la stabilité financière ainsi que sur la profitabilité du secteur bancaire, malgré une hétérogénéité entre pays et entre types de banques.

La Banque de France a mené dès le début de l'année 2021, une étude sur les six grandes banques françaises127(*), en distinguant plusieurs scénarios de limite de détention et d'adoption de l'euro numérique (limites de 1 000, 3 000 et 10 000 euros, utilisées à 50 % ou à 100 %). L'étude concluait qu'une décollecte de l'ordre de 8 % des dépôts était probablement supportable pour la stabilité financière.

En mai 2022, une étude de la BCE (en interaction avec le Comité sur la Stabilité Financière [FSC]) a estimé que le montant maximum d'euros numériques compatible avec la préservation de la stabilité financière à l'échelle de la zone euro serait de 1 tr - 1,5 tr € (soit une fuite des dépôts de 10-15 %), ce qui, ramené à 340 millions de citoyens européens, permet de justifier un plafond de l'ordre de 3 000 € (2 940 € - 4 400 €), déjà publiquement avancé par la BCE.

En avril 2022, une étude ad hoc menée par le Comité sur les opérations de marché (MOC) estimait que le niveau minimum de liquidité excédentaire nécessaire à la bonne transmission de la politique monétaire dans un système de plancher (Floor Required Excess Liquidity - FREL) s'établissait à environ 1,2 tr €, ce qui est également compatible avec le plafond de 3 000 € avancé par la BCE.

Au total, selon ces études, l'euro numérique aurait bien un impact sur les bilans bancaires mais celui-ci resterait modéré au niveau macroéconomique.

2. Un plafond de détention qui doit être fixé après des analyses approfondies et qui doit être validé par les co-législateurs
a) Des études approfondies à mener pour évaluer l'impact du plafond selon les pays et selon les types de banques

Les limitations à l'utilisation de l'euro numérique comme réserve de valeur, tout comme les premières études fournies, attesteraient donc d'un impact global maîtrisé sur la stabilité financière. Cependant, ces travaux restent agrégés, statiques, et comportent de fortes marges d'incertitude en fonction des paramètres de plafonnement ainsi que des hypothèses comportementales.

Il importe d'analyser les impacts à un niveau désagrégé, pour identifier les banques qui seraient les plus exposées. Un approfondissement de ces travaux sur l'enjeu de stabilité financière a été engagé par la Banque de France (avec l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution - ACPR) conjointement avec la direction générale du Trésor afin de déterminer plus finement les impacts sur les bilans bancaires des établissements français.

L'étude de la Banque de France menée avec l'ACPR, qui est en cours de finalisation128(*), montre une grande hétérogénéité entre les banques françaises s'agissant des conséquences d'un euro numérique. Avec une limite de détention fixée à 3 000 €129(*), la décollecte potentielle pourrait atteindre 20,7 % des dépôts à vue des particuliers en moyenne mais ce chiffre varie entre 11,9 % pour BNPP et 25,7 % pour la Banque Postale (LBP). Une telle décollecte représenterait 1,1 % du bilan des banques françaises, cette moyenne recouvrant des réalités très variables : 0,1 % pour BNPP et 4,6 % pour LBP. Les simulations montrent que la LBP pourrait être mise en difficulté, en cas de plafond fixé à 10 000 euros.

Lors de leur entretien avec les rapporteurs à Francfort, les représentants de la Deutsche Bank ont insisté sur l'hétérogénéité des conséquences d'un euro numérique selon les pays de la zone euro et selon les banques. S'agissant du risque de fuite des dépôts, la Deutsche Bank estime ainsi que l'impact variera selon « la région géographique et le modèle économique » des banques concernées. Dans l'hypothèse où seuls les consommateurs pourraient détenir des euros numériques130(*), la Deutsche Bank souligne que les banques de détail risqueraient d'être davantage touchées par les sorties de dépôt que les autres types de banques131(*).

La phase de préparation de l'euro numérique, lancée en octobre 2023, doit être l'occasion de réaliser des études approfondies s'agissant des implications de différents plafonds envisagés sur les différents types de banques et sur les différents États membres.

Ces études sont indispensables avant toute décision d'introduction de l'euro numérique et sont nécessaires pour déterminer le niveau adéquat du plafond de détention d'euros numériques. Elles pourraient conduire à l'adoption de plafonds différenciés selon les pays, pour prendre en compte l'hétérogénéité des situations économiques et des intermédiations financières132(*). Par ailleurs, des distinctions de plafond pourraient être également appliquées entre personnes physiques et morales.

Sans préjuger des travaux qui seront réalisés, il conviendrait que ce plafond ne soit pas fixé trop bas, au risque de nuire à l'attractivité de l'euro numérique.

Recommandation 9 : Demander à la Commission européenne et à la BCE des analyses approfondies d'évaluation des impacts, sur les États membres et les différents types de banques, des plafonds envisagés de détention d'euros numériques.

b) Une intervention nécessaire des co-législateurs dans la fixation du niveau de plafond de détention

L'article 16 de la proposition de règlement prévoit que la détermination du plafond soit complétement laissée à la main de la BCE133(*). Cet article a fait l'objet de nombreuses discussions entre États membres à l'occasion des groupes de travail technique au Conseil.

La Commission européenne, tout comme la BCE, arguent de la compétence exclusive de la BCE en matière de politique monétaire. Si l'article 133 du TFUE prévoit une intervention des co-législateurs en matière de politique monétaire, cette intervention serait fortement limitée, et ne devrait pas, selon elles, empiéter sur les pouvoirs de la BCE. Selon les services juridiques de la BCE et de la Commission, cette limitation est confirmée par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, qui a jugé dans une décision de 2021 que la notion de politique monétaire, compétence exclusive de la BCE, ne se limite pas à « sa mise en oeuvre opérationnelle (...) mais implique également une dimension normative visant à garantir le statut de l'euro en tant que monnaie unique »134(*).

Dès lors, pour la Commission et la BCE, le législateur peut imposer des obligations à la BCE, comme sur les aspects liés à la confidentialité, mais ne peut pas prendre des mesures qui viendraient clairement restreindre ses compétences. Or, l'une d'elles est l'exclusivité de l'émission de la monnaie unique, en vertu de l'article 282 du TFUE. Ainsi, toute détermination par les co-législateurs d'un plafond interférerait avec le pouvoir exclusif de la BCE d'autoriser l'émission d'euro numérique.

Les rapporteurs considèrent cependant nécessaire de fonder démocratiquement cette limite de détention qu'ils estiment ne pas pouvoir ressortir seulement de la BCE.

Trois arguments majeurs plaident en faveur d'une intervention des co-législateurs dans la fixation du plafond.

D'abord, il en va du respect des compétences des États membres. La stabilité financière est une compétence partagée entre la BCE et les co-législateurs. Or, les instruments choisis pourraient également affecter les établissements de crédit et, plus généralement, leur compétitivité. Les colégislateurs doivent donc être impliqués dans la définition des limites de leur utilisation.

Par ailleurs, il convient de rappeler que l'usage de la monnaie est un enjeu éminemment politique. Au-delà des seules questions de stabilité financière, la définition des limites aura un impact structurant sur l'utilisation de l'euro numérique comme monnaie publique. La réserve de valeur constitue l'une des trois fonctions de la monnaie (avec l'unité de compte et l'intermédiaire des échanges). Le règlement sur l'euro numérique doit explicitement fixer ce plafond de détention qui doit refléter un équilibre hautement politique à cet égard, et ne peut être une question purement paramétrique.

Enfin, la BCE a déclaré à plusieurs reprises que l'euro numérique ne ferait pas partie de ses outils de politique monétaire135(*). Par conséquent, la compétence exclusive de la BCE dans ce domaine ne peut être utilisée comme argument pour justifier que les États membres ne puissent pas exercer leurs compétences.

Dès lors, le règlement établissant un euro numérique doit être normatif en définissant les instruments évoqués pour limiter la réserve de valeur et en fixant le montant de détention maximale.

Pour assurer un compromis avec la position de la BCE, il pourrait être décidé que les co-législateurs fixeraient un niveau maximum de détention sous la forme d'un corridor, laissant ainsi une flexibilité suffisante à la BCE pour exercer sa compétence.

À défaut, si la BCE était seule chargée de fixer ce plafond, il conviendrait de prévoir une clause de révision permettant au Conseil de se prononcer, après un délai défini, sur la modification ou non du niveau du plafond de détention.

Recommandation 10 : Prévoir l'intervention des co-législateurs dans la fixation du plafond de détention d'euros numériques.

L'European Payment Initiative (EPI) :un projet mis en avant par les banques mais aujourd'hui fortement fragilisée

Pour répondre à l'objectif de souveraineté des paiements en Europe, les banques européennes mettent régulièrement en avant le projet d'European Payment Initiative (EPI). Ce projet a été lancé en 2021, avec pour objectif de proposer une alternative européenne à Visa et à Mastercard sur le segment du paiement par cartes.

Un projet de carte bancaire européenne qui a dû être abandonné

Le projet devait offrir une solution de paiement par cartes, ayant vocation à être acceptée partout en Europe pour remplacer à terme tous les schemes nationaux en Europe, telles que Cartes bancaires ou Girocard. EPI devait également proposer une solution de paiement instantané et un portefeuille numérique (wallet). 16 banques européennes, issues de cinq pays, étaient à l'origine membres du projet.

Cependant, en mars 2022, le projet de scheme de carte bancaire européen est abandonné, du fait du retrait de plusieurs banques espagnoles puis italiennes. Le projet est alors recentré sur une application de paiement basée sur du virement instantané et sur un portefeuille de paiements numériques, nommé Wero.

L'abandon d'un système européen unifié de carte bancaire réduit fortement l'ambition initiale du projet. EPI a indiqué aux rapporteurs que « proposer une solution alternative à Visa et Mastercard est un projet très complexe, coûteux et de long terme. C'est également un projet délicat à mettre en oeuvre car l'on a besoin d'une totale adhésion de la part des commerçants qui devront investir pour adapter leurs systèmes de caisse et leurs parcs de terminaux de paiement pour intégrer cette nouvelle marque »136(*).

Le plan de déploiement de Wero prévoit pour juin 2024 le lancement du service de transfert de fonds entre particuliers, le lancement des paiements en e-commerce au deuxième semestre 2025 et le paiement en point de vente pour 2026.

Une solution qui doit être complémentaire de l'euro numérique

Malgré l'abandon de la solution par cartes, EPI reste une initiative qui mérite d'être soutenue. Elle doit permettre de développer une solution pan-européenne basée sur le virement instantané. Or, il s'agit d'une orientation prometteuse au vu de l'augmentation continue du nombre de transferts par virement instantané, qui n'a de cesse d'augmenter en France.

Il existe pourtant un risque de mauvaise articulation entre le projet d'euro numérique et celui porté par EPI. Le projet d'euro numérique, par les cas d'usage envisagés et ses caractéristiques, pourrait venir concurrencer la solution de paiement proposée par EPI. Le schéma complet de paiement commercial de l'euro numérique est en effet largement similaire à celui déjà développé par EPI.

Bien articulées, les deux solutions pourraient cependant être complémentaires. EPI pourrait ainsi constituer un support technologique pour permettre la distribution de l'euro numérique. EPI a notamment participé au prototypage d'une première interface utilisateur sur les paiements en point de vente. La détermination des caractéristiques de l'euro numérique devra veiller à assurer cette complémentarité. Il est impératif que les deux projets s'articulent harmonieusement pour qu'ils bénéficient de synergies.

L'enjeu de cette complémentarité rejoint la question du modèle économique choisi pour l'euro numérique. Par exemple, imposer aux banques de distribuer l'euro numérique dans une application propre à la BCE représenterait un investissement non négligeable pour les banques et pourrait compromettre l'existence même de solutions privées telles qu'EPI.

B. DE NOMBREUSES INCONNUES S'AGISSANT DES IMPACTS SUR LES COMMERÇANTS ET DU MODÈLE DE TARIFICATION

1. Pour les commerçants, rendre le coût inférieur aux frais des solutions existantes pour assurer le succès du projet
a) Un soutien de principe des commerçants au projet mais des interrogations sur les coûts d'adaptation à court terme

Les associations représentant les commerçants, comme Mercatel et Eurocommerce, ont confirmé auprès des rapporteurs apporter leur soutien de principe au projet d'euro numérique.

Pour les commerçants, l'euro numérique pourrait conduire à réduire les coûts, en offrant une solution alternative à Visa et Mastercard. Si les commerçants européens ont pu bénéficier des baisses de coût liées au plafonnement des commissions d'interchange depuis l'entrée en vigueur du règlement IFR en 2016137(*), ils ont dans le même temps dû subir une hausse très importante des frais payés aux grands schemes internationaux que sont Visa et Mastercard. La Banque de France chiffre ces frais à 1,5 à 3 milliards d'euros par an en zone euro138(*). Une étude publiée début 2024 par la Direction générale de la concurrence européenne note en effet que la moyenne des frais pour les transactions par carte de débit est passée de 0,27 % du montant concerné en 2018 à 0,44 % en 2022. Toutefois, ces chiffres ne refléteraient qu'une petite partie de la réalité, car cette étude a été effectuée sur « des données limitées », Visa et Mastercard n'ayant pas fourni d'éléments précis sur l'évolution de leurs coûts.

L'association Mercatel indique ainsi que l'euro numérique est une solution « susceptible d'enrichir l'offre de paiement » et espère qu'elle permettra « de réduire les coûts supportés par les commerçants mais aussi d'apporter plus de sécurité »139(*). L'association Eurocommerce perçoit également l'euro numérique comme un moyen de combler le « manque d'acteur réellement européen, qui puisse être en compétition avec les schemes internationaux à l'échelle de l'Europe ». Un tel acteur permettrait de « lutter contre l'inflation des coûts des schemes, de permettre aux marchands européens de déployer une solution unique (économie d'investissement) sur l'ensemble des pays de la zone euro, et de donner les moyens aux marchands de mieux négocier »140(*).

Pour autant, les commerçants s'interrogent sur la prise en charge des coûts ponctuels d'adaptation des infrastructures de paiement dans le cas d'une mise en service de l'euro numérique. Il s'agit notamment de savoir si les infrastructures existantes pourront ou non être réutilisées.

Sur ce sujet, la Commission estime, sur la base des données de la BCE, que le coût de la mise à jour des terminaux européens existants pour l'acceptation des codes NFC et/ou QR codes pourrait se situer entre 40 et 75 euros par terminal. La Commission soutient cependant, dans son analyse d'impact, que cette initiative devrait renforcer la concurrence sur le marché des paiements et que « les commerçants de toute l'Europe, y compris de nombreuses PME, en bénéficieront en termes de réduction des coûts et d'innovation. Si l'introduction de l'euro numérique entraînera des coûts ponctuels marginaux, les avantages à long terme, en termes de réduction des frais, découlant d'une concurrence accrue sur le marché des paiements de l'UE, seront supérieurs »141(*).

Ces éléments restent encore à objectiver. Il est d'autant plus difficile aujourd'hui de les évaluer que les canaux d'initiation des paiements en point de vente (carte physique, QR Code, application etc...) ne sont pas encore arrêtés.

b) À long terme, un modèle économique de tarification aux commerçants censé garantir des frais limités

Au-delà de la question des coûts d'adaptation pour la mise en oeuvre de l'euro numérique, les commerçants s'interrogent plus globalement sur le modèle économique de l'euro numérique.

Dans l'état de la proposition, il est prévu l'octroi du cours légal à l'euro numérique142(*). Cette disposition conduit de fait à l'obligation pour les commerçants d'accepter les paiements en euro numérique lorsqu'un client en fait la demande (à l'instar des espèces aujourd'hui).

Toutefois cette obligation d'acceptation serait proportionnée et ne concernerait pas les entreprises de petite taille (constituée de moins de 10 personnes et au chiffre d'affaires inférieur à 2 millions d'euros) n'acceptant pas actuellement des moyens de paiement numériques comparables à l'euro numérique144(*).

Par ailleurs, comme c'est le cas aujourd'hui pour les paiements digitaux, les commerçants devraient rémunérer les prestataires de services de paiement (PSP) et devraient donc payer des frais. La Commission propose de les encadrer via un plafonnement des commissions des commerçants. Les PSP seraient ainsi libres de fixer les commissions, à condition de ne pas dépasser le plafond prévu145(*).

Les rapporteurs saluent le principe de cet encadrement, qui vise à éviter que les paiements en euro numérique ne fassent l'objet, d'une manière injustifiée, d'une tarification excessive qui serait moins avantageuse que celle appliquée aux paiements en monnaie commerciale. Cet encadrement leur apparaît indispensable en contrepartie de l'obligation d'acceptation qui s'imposerait aux commerçants.

De plus, à défaut de cet encadrement, il n'y aurait pas de valeur ajoutée de cette solution de paiement par rapport aux solutions de paiement existantes146(*).

Le calcul de cet encadrement des frais ne paraît pas stabilisé. La méthodologie proposée par la Commission dans sa proposition fait l'objet de critiques de plusieurs États membres, dont la France, tout comme de la BCE. Cette méthodologie prévoit que le plafond soit défini comme le plus faible des deux montants suivants :

- les coûts pertinents supportés par les PSP pour la fourniture de paiements en euros numériques, auxquels s'ajouterait une « marge bénéficiaire raisonnable » ;

- les commissions ou frais demandés pour des moyens de paiement numériques comparables.

Dans son avis juridique147(*), la BCE a exprimé ses réserves sur cette méthodologie et a appelé à clarifier certaines notions, comme celle de « marge bénéficiaire raisonnable », qui apparaissent trop subjectives.

Des clarifications doivent donc être apportées sur la méthode de tarification de l'encadrement des frais appliqués aux commerçants. Il convient de conserver comme objectif d'éviter que l'euro numérique ne représente un coût excessif pour les commerçants.

Recommandation 11 : Garantir que les frais de l'euro numérique pour les commerçants soient inférieurs à ceux des solutions de paiements digitaux existantes.

2. Un modèle controversé mais nécessaire de distribution obligatoire des services de base
a) Le principe d'une gratuité des services de base de l'euro numérique pour les particuliers fait l'objet de controverses

La proposition de la Commission prévoit que les banques doivent fournir les services de base de paiement en euros numériques à titre gratuit148(*). La gratuité des services de base pour les particuliers est motivée par la qualité de « bien public » de l'euro numérique, à l'instar des billets. Pour la distribution de l'euro numérique, les banques se rémunèreraient alors par les revenus tirés des commissions aux commerçants, des commissions entre PSP, et de la possible facturation de « services à valeur ajoutée » aux particuliers.

Cette inscription d'une gratuité dans la distribution des services de base, tout comme l'encadrement des frais pour les commerçants, conduit de fait à une intervention directe sur l'architecture tarifaire. La DG Trésor souligne que « les interventions directes sur le marché doivent être soigneusement évaluées à la lumière de leur nécessité et de leur proportionnalité, afin de garantir un large accès et des conditions de concurrence équitables entre les solutions publiques et privées »149(*). Or, selon la DG Trésor, le marché de l'euro numérique n'existant pas encore, « cette nécessité n'a pas encore été démontrée ». Elle note en particulier que les coûts réels à supporter ainsi que les risques de déploiement et de prix élevés doivent encore être identifiés.

Outre l'intervention sur les prix, le caractère obligatoire de la distribution est aussi dénoncé. L'obligation envisagée pour les banques d'offrir des services de base de paiement numérique en euros pourrait être considérée comme excessive. Les banques devraient pouvoir décider librement si elles veulent ou non être un acteur du marché. Dans le cas contraire, elles pourraient être contraintes d'investir de l'argent dans un modèle commercial non viable et potentiellement non rentable150(*).

b) Une distinction à préciser entre services de base et services à valeur ajoutée

La distinction entre ce qui relève des services de base et ce qui relève des services à valeur ajoutée est sujette à discussions. La liste des services de bases est détaillée dans une annexe de la proposition (Annexe II). Les services de base comprennent ainsi notamment l'ouverture et la clôture d'un compte, la possibilité de consulter les soldes et les opérations, la fourniture d'au moins un instrument de paiement, le chargement et le déchargement à partir d'un compte en euros non numériques ou encore la conversion d'espèces en euros numériques (et inversement).

Les banques souhaiteraient que davantage de services puissent être inclus dans les services à valeur ajoutée. De même, l'association Eurocommerce souhaite que l'annexe sur les services de base soit revue afin que les banques puissent facturer davantage de services, « par exemple les retraits d'espèces ou les dépôts en utilisant l'euro numérique »151(*). L'idée est de permettre aux banques de générer davantage de revenus grâce aux services proposés, et ainsi de pouvoir réduire les coûts s'appliquant aux commerçants.

Les rapporteurs considèrent qu'il est indispensable de garantir la fourniture gratuite des services clés de l'euro numérique. Les services de base devraient inclure tous les services nécessaires pour rendre un compte numérique en euros pleinement fonctionnel. Ceux-ci devraient comprendre la fourniture d'une carte de paiement utilisable pour toutes les transactions, y compris en ligne. Cette possibilité n'est pas clairement inscrite dans l'annexe, qui ne prévoit que l'obligation d'au moins « un instrument de paiement », sans précision.

Recommandation 12 : Assurer la gratuité de la fourniture des services de base de l'euro numérique, en précisant la liste des services compris.

CONCLUSION

Les rapporteurs tirent de leurs travaux quatre enseignements principaux.

L'euro numérique est un projet nécessaire pour assurer la souveraineté des paiements en Europe. La digitalisation croissante des paiements se traduit aujourd'hui par une place prépondérante d'acteurs extra-européens. À l'avenir, le paiement digital pourrait même passer par des solutions de monnaie privée ou par des solutions de monnaie numérique de banque centrale, qui excluent l'euro. L'euro numérique permet d'offrir une solution européenne de paiement numérique universellement accepté dans la zone euro, ce qui aujourd'hui n'existe pas.

La confidentialité serait une plus-value de l'euro numérique propice à son adoption par les citoyens européens. La protection des données et du respect de la vie privée dans le cas d'un lancement de l'euro numérique sera donc un sujet de vigilance majeur. Dans ce but, les rapporteurs recommandent notamment d'instaurer un seuil de confidentialité pour les petites transactions ou encore de ne pas permettre la multi-détention de comptes d'euros numériques.

Le modèle économique de l'euro numérique est encore entouré de nombreuses inconnues. Si les conséquences sur la stabilité financière devraient être limitées compte tenu des modalités envisagées, il est encore difficile de savoir quels seront les coûts pour les commerçants et comment sera financée la fourniture gratuite de services de base en euro numérique pour les particuliers.

Enfin, la répartition des rôles entre co-législateurs (Parlement européen et Conseil), Commission et BCE doit être clarifiée s'agissant de la détermination des modalités de l'euro numérique. Les rapporteurs plaident pour que les co-législateurs soient impliqués dans toute l'étendue de leurs compétences, ce qui implique notamment une intervention de leur part s'agissant de la fixation du plafond de détention d'euros numériques. La définition des modalités de l'euro numérique ne saurait seulement ressortir de la BCE.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

· Recommandation 1 : Favoriser à l'échelle européenne une campagne d'information sur l'euro numérique, afin de permettre un débat éclairé sur le projet.

· Recommandation 2 : Renforcer l'implication des colégislateurs dans la procédure d'émission de l'euro numérique et dans les modalités retenues afin d'assurer le soutien démocratique et la réussite du projet d'euro numérique.

· Recommandation 3 : Prévoir des clauses de révision afin de permettre au Conseil de l'Union européenne et au Parlement européen de se prononcer sur les choix retenus dans les caractéristiques de l'euro numérique.

· Recommandation 4 : Assurer que l'euro numérique hors ligne soit disponible dès le lancement de l'euro numérique.

· Recommandation 5 : Instaurer un seuil de confidentialité en dessous duquel les transactions en ligne de faible montant en euro numérique ne sont pas tracées, sans négliger l'impérieuse nécessité de lutter contre la corruption, le blanchiment, le financement du terrorisme et l'évasion fiscal.

· Recommandation 6 : Améliorer la conception du dispositif de point d'accès unique - registre centralisé des comptes des utilisateurs d'euro numérique - en renforçant les garanties associées en termes de sécurité et de confidentialité.

· Recommandation 7 : Exclure la possibilité de détenir plusieurs comptes en euros numériques pour limiter le partage d'informations et faciliter l'expérience utilisateur.

· Recommandation 8 : Apporter davantage de précisions sur le Mécanisme général de détection et de prévention de la fraude, afin d'apprécier le caractère nécessaire et proportionné de la centralisation corrélative des données de paiement en euro numérique.

· Recommandation 9 : Demander à la Commission européenne et à la BCE des analyses approfondies d'évaluation des impacts, sur les États membres et les différents types de banques, des plafonds envisagés de détention d'euros numériques.

· Recommandation 10 : Prévoir l'intervention des co-législateurs dans la fixation du plafond de détention d'euros numériques.

· Recommandation 11 : Garantir que les frais de l'euro numérique pour les commerçants soient inférieurs à ceux des solutions de paiement digitaux existants.

· Recommandation 12 : Assurer la fourniture gratuite des services de base de l'euro numérique, en précisant la liste des services compris.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

26 JUIN 2024

M. Jean-François Rapin, président. - Nous examinons maintenant le rapport d'information sur le projet d'euro numérique.

Ce projet avance petit à petit : j'entends encore la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, nous en vanter les mérites dans notre hémicycle quand nous l'y avions invitée à intervenir à l'occasion de la réunion des présidents de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) en janvier 2022 durant la présidence française de l'Union européenne. La BCE venait de lancer trois mois plus tôt une « phase d'étude » sur le projet d'euro numérique. En juin 2023, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement établissant l'euro numérique et, en octobre 2023, la BCE a fait entrer le projet en « phase préparatoire ». Les choses avancent donc, même si les négociations patinent et que le règlement sur l'euro numérique tarde encore à voir le jour.

Néanmoins, au vu de l'importance du projet à l'échelle européenne et même mondiale, nous avons jugé utile que notre commission soit d'ores et déjà éclairée sur sa portée et sur ses enjeux. Nous en avons confié le soin à Pascal Allizard et Florence Blatrix Contat, que je remercie du travail qu'ils ont effectué pour aboutir au rapport d'information qu'ils nous présentent aujourd'hui.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Ce rapport sur le projet d'euro numérique est le fruit d'un travail d'environ six mois, alimenté par une quinzaine d'auditions et deux déplacements, l'un à Francfort, l'autre à Bruxelles.

Le règlement proposé par la Commission européenne en juin 2023 appartient à un « paquet monnaie unique », composé également d'une proposition visant à renforcer le cours légal des billets et des pièces en euros. Précisons-le d'emblée : la Commission européenne ne prévoit pas la disparition des espèces. L'euro numérique serait instauré en complément des espèces ; l'acceptation et l'accès des pièces et des billets doivent même être renforcés par cette proposition complémentaire.

Notre rapport s'est concentré sur la proposition relative à l'euro numérique. Ce texte législatif fait suite aux nombreux travaux menés depuis plusieurs années par la BCE. En octobre 2021, le Conseil des gouverneurs de la BCE avait lancé pour deux ans une « phase d'étude » sur le projet d'euro numérique ; elle s'est terminée l'an passé. En octobre 2023, ce même Conseil a engagé la « phase préparatoire » du projet. Se déroulent ainsi en parallèle l'examen législatif du texte et les expérimentations menées par la BCE. Une fois le processus législatif achevé, il reviendra au Conseil des gouverneurs de décider de l'opportunité d'émettre un euro numérique.

Qu'est-ce qu'un euro numérique ? En quoi différerait-il des solutions de paiement digitales existantes ? Pourquoi en aurait-on besoin ? En cas d'émission, quelles en seraient les caractéristiques principales ? Voilà les interrogations majeures qui nous ont animés pendant cette étude.

Pour répondre à ces questions, il convient au préalable de rappeler les caractéristiques de l'architecture monétaire. Celle-ci est fondée sur la complémentarité entre la monnaie commerciale et la monnaie de banque centrale. La convertibilité au pair de ces deux formes de monnaie est la clé de voûte du bon fonctionnement des paiements.

La monnaie commerciale désigne les dépôts des banques commerciales et circule via les moyens de paiement comme les paiements Sepa (Single Euro Payments Area, espace unique de paiement en euros), qu'il s'agisse de virements ou de règlements, et les cartes de paiement. Quand nous réglons avec des solutions numériques, nous payons par de la monnaie commerciale, c'est-à-dire de la monnaie privée et non pas publique.

La monnaie de banque centrale, qui seule a cours légal, est quant à elle émise et garantie, dans la zone euro, par la BCE. Les espèces, pièces et billets, sont aujourd'hui l'unique forme de monnaie de banque centrale directement accessible par les particuliers. Alors que de nombreuses mutations ont touché le domaine des paiements depuis l'adoption de l'euro il y a vingt-cinq ans, la monnaie de banque centrale ne reste ainsi accessible par les particuliers que sous la forme des billets et des pièces.

Le projet d'euro numérique viendrait compléter cette architecture, en permettant aux particuliers de disposer directement d'une forme digitale de monnaie de banque centrale. Il offrirait un moyen de régler de façon digitale sans pour autant passer par de la monnaie commerciale. L'euro numérique pourrait alors être considéré comme l'équivalent numérique du billet.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - À quoi cet euro numérique servirait-il ? Pourquoi serait-il nécessaire, voire indispensable, de le mettre en place ?

Sur ce sujet, les arguments de la BCE et de la Commission européenne ont souvent varié. Plusieurs finalités ont été régulièrement avancées : maintenir la place de la monnaie publique dans un monde de plus en plus digitalisé - argument d'ancrage monétaire -, améliorer l'inclusion financière ou encore renforcer l'autonomie stratégique européenne. Cette multitude de buts assignés au projet a rendu sa motivation peu claire. Cela a même conduit certains à estimer que l'euro numérique était « une solution qui se cherchait un problème ».

Au terme de nos travaux, nous considérons quant à nous que le seul objectif valable de l'euro numérique est celui de renforcer la souveraineté des paiements en Europe. Il s'agit d'un objectif politique et non pas économique. L'euro numérique est non une réponse à des défaillances de marché, mais à des dépendances.

Dans le domaine des paiements, la dépendance à l'égard d'acteurs extraeuropéens est en effet une réalité. Malgré les efforts accomplis, le marché européen des paiements est aujourd'hui fragmenté et aucune solution de paiement paneuropéenne n'existe.

Le paiement par carte est ainsi dominé par un duopole d'acteurs américains constitué de Visa et de Mastercard :70 % des paiements par carte passent par ces deux schémas internationaux en Europe. Certes, des solutions nationales existent, comme Cartes bancaires en France, Bancomat en Italie ou Girocard en Allemagne. Mais ces solutions ne sont pas interopérables entre elles, au sein même de l'Union européenne. Seules les cartes de paiement de Visa et de Mastercard peuvent être utilisées partout en point de vente dans l'ensemble de l'Union.

La dépendance à l'égard d'acteurs extraeuropéens se manifeste également en matière de paiement mobile. Les Big Tech ont fait irruption dans le secteur et ont multiplié les offres « X-Pay », avec ApplePay, SamsungPay, GooglePay, etc. Il s'agit des seules offres de paiement mobile identiques partout en Europe.

En outre, à l'avenir, ces situations de dépendance pourraient encore se renforcer. Le projet Libra/Diem de Meta, finalement abandonné, a sonné l'alarme sur les projets de monnaie privée. De tels projets conduisent à développer des offres de paiement autonomes des banques et des systèmes de paiement classiques. Ils font peser de nombreuses menaces sur la stabilité du système financier, sur la protection des données ou encore en matière de blanchiment d'argent. Dans le cas de Libra/Diem, l'inquiétude était d'autant plus grande que cette monnaie aurait pu être accessible aux 2,7 milliards d'utilisateurs du réseau social Facebook. Malgré l'abandon de ce projet, le risque, lui, n'est pas virtuel. Paypal développe ainsi son propre projet de stable coin, libellé en dollar, et d'autres projets pourraient suivre.

Outre les monnaies privées, le danger à l'avenir pourrait venir du développement des monnaies numériques de banque centrale (MNBC) portées par des pays étrangers à l'Union européenne et qui excluent donc l'euro. Plus de 90 % des banques centrales dans le monde ont lancé des travaux sur le sujet. Les Bahamas, le Nigeria et la Jamaïque disposent d'ores et déjà d'une MNBC de détail.

Le projet pilote le plus abouti est celui du yuan numérique, développé en Chine depuis 2019. Il soulève de nombreuses questions en matière de contrôle de la population. L'e-yuan est aujourd'hui accepté dans vingt-six villes et dix-sept provinces chinoises. Les cas d'usage ont été progressivement étendus au paiement des transports publics, des impôts, des taxes ou des soins médicaux, ainsi qu'au versement de certaines aides publiques. Le yuan numérique, pour l'instant développé seulement au niveau domestique, pourrait également avoir pour objectif de s'internationaliser, dans le but de concurrencer le duopole de l'euro et du dollar et de devenir la devise de référence de l'économie numérique.

L'euro numérique permettrait de remédier à cette dépendance vis-à-vis de solutions extraeuropéennes dans le domaine des paiements et de proposer une alternative, en offrant aux particuliers une solution européenne de paiement numérique universellement acceptée dans la zone euro.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Nous en venons maintenant à la question des caractéristiques de l'euro numérique. Je voudrais d'abord présenter en quelques mots les dispositions clés de la proposition de juin 2023.

Tout d'abord, s'agissant du statut de cette monnaie, l'euro numérique aurait cours légal, ce qui signifie que son acceptation serait obligatoire. Des dérogations seront cependant prévues pour les commerçants n'acceptant déjà pas de moyens de paiements digitaux, pour les microentreprises ou encore pour les paiements à titre purement personnel.

Par ailleurs, l'euro numérique n'entraînerait pas la disparition des espèces. Il serait instauré en complément et non en remplacement. La BCE et les banques centrales seraient chargées de l'émission de l'euro numérique. Elles n'auraient accès qu'à des données dites pseudonymisées, strictement limitées aux tâches nécessaires aux opérations de règlement.

Ensuite, s'agissant du modèle de distribution, la distribution de l'euro numérique serait assurée par les prestataires de services de paiement (PSP), c'est-à-dire les banques et assimilés. Il s'agit donc d'une distribution décentralisée, via les intermédiaires financiers. Ceux-ci seraient ainsi responsables de toutes les interactions avec les utilisateurs, notamment l'ouverture de compte ou la relation client.

Les banques devraient fournir gratuitement aux particuliers les services de base de l'euro numérique. Pour les commerçants, un encadrement des frais payés aux PSP serait prévu.

Enfin, s'agissant des modalités principales et des limitations, l'euro numérique pourrait être utilisé en ligne ou hors ligne, c'est-à-dire sans recourir à internet.

Il ne devrait pas constituer une monnaie programmable. Cela signifie qu'il ne serait pas possible d'imposer des limitations concernant par exemple le lieu ou le moment d'utilisation, le produit ou le service payé, ou encore la personne qui l'utilise. Surtout, l'euro numérique ne serait pas rémunéré, ni positivement ni négativement.

Pour finir, un plafond de détention d'euros numériques pourrait être fixé, afin de limiter les impacts en termes de stabilité financière. Je pense ici au risque de fuite des dépôts, un sujet soulevé par les banques.

S'agissant des caractéristiques retenues, nos travaux nous conduisent, en l'état de la proposition, à formuler trois observations principales.

D'abord, les garanties de confidentialité doivent être renforcées, afin de rapprocher le plus possible l'euro numérique des espèces.

Ensuite, le modèle économique de l'euro numérique reste encore incertain mais son impact sur la stabilité financière devrait être limité.

Enfin, la répartition des rôles entre les colégislateurs - le Parlement européen et le Conseil -, la Commission européenne et la BCE doit être clarifiée au profit d'une implication renforcée des premiers.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Les garanties apportées quant à la protection des données et donc au respect de la vie privée sont un sujet de vigilance majeur. Lors d'une consultation publique réalisée par la BCE et publiée en 2021, 43 % des répondants ont estimé que la protection de la vie privée était l'aspect le plus important de l'euro numérique, loin devant d'autres considérations. La confidentialité serait une plus-value de l'euro numérique pour rendre cette solution attractive pour les citoyens européens par rapport aux solutions existantes.

Plusieurs dispositions prévues par la proposition permettent d'assurer un niveau renforcé de protection de la vie privée, à défaut d'un anonymat complet, qui est explicitement exclu par la proposition. Les données personnelles ne seraient pas visibles par la BCE, qui n'aurait accès qu'à des données pseudonymisées. En outre, un haut niveau de confidentialité serait apporté par la modalité hors ligne.

Nous recommandons des mesures complémentaires pour assurer une confidentialité sélective, qui rapproche le plus possible l'euro numérique d'une version digitale des espèces. Dans ce but, nous proposons d'instaurer un seuil de confidentialité pour les petites transactions. En l'état actuel de la proposition, pour les paiements en ligne, la proposition de règlement prévoit que toutes les opérations en euros numériques, quel que soit leur montant, soient tracées, notamment à des fins de lutte contre le blanchiment d'argent et de financement du terrorisme. Cette obligation, sans distinction de montant, ne semble pas conforme à l'objectif de la proposition visant à assurer un niveau renforcé de protection des données. Sur ce point, les propriétés du paiement en espèces ne seraient ainsi pas répliquées.

Nous recommandons également de ne pas permettre la détention multiple de comptes d'euros numériques, qui oblige à un partage accru d'informations et complexifie l'expérience de l'utilisateur. Le plafond de détention doit déjà être réparti entre les paiements hors ligne et en ligne. Inscrire la possibilité de détenir plusieurs comptes, comme c'est le cas dans la proposition, complexifierait encore le dispositif. Nous nous inquiétons également du flou entourant les modalités techniques de la fonctionnalité hors ligne, qui ne paraît pas encore au point.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - J'en viens au modèle économique, avec notamment l'enjeu des conséquences de l'euro numérique pour les banques et les commerçants.

L'introduction de l'euro numérique suscite des inquiétudes s'agissant de son impact sur l'intermédiation financière, avec des risques de fuite des dépôts. L'euro numérique peut être obtenu en convertissant soit des espèces, soit des dépôts. Les banques se montrent très réservées vis-à-vis de ce projet, craignant que la conversion des dépôts en euros numérique n'érode leurs sources de financement et conduise à alourdir leurs coûts de financement. Ce renchérissement pourrait se répercuter sur le canal du crédit, en diminuant la quantité des prêts accordés, alors que le recours au financement bancaire reste prépondérant pour les entreprises européennes.

Ce risque doit être pris au sérieux : l'euro numérique ne doit pas mettre en danger la stabilité financière ni la capacité à financer l'économie européenne. Néanmoins, les caractéristiques retenues - l'instauration d'un plafond de détention et la non-rémunération de l'euro numérique - devraient permettre de limiter l'usage de l'euro numérique comme réserve de valeur. Les premières études notent que l'impact macroéconomique de la fixation du plafond de détention à 3 000 euros serait modéré en termes de fuite de dépôts.

Nous demandons à la Commission européenne et à la BCE des analyses plus approfondies pour évaluer les impacts des plafonds de détention d'euros numériques envisagés, selon les types de banques et selon les États membres. La phase préparatoire du projet d'euro numérique doit être mise à profit pour mener des évaluations précises. En outre, la fixation du plafond de détention ne peut pas relever de la seule compétence de la BCE. Les colégislateurs doivent intervenir dans sa définition, soit en fixant le montant dans le texte de la proposition, soit en prévoyant une clause de révision sur le plafond retenu par la BCE.

De grandes incertitudes pèsent sur le modèle de tarification de l'euro numérique, notamment sur les coûts pour les commerçants. Les associations qui les représentent, comme Mercatel et EuroCommerce, nous ont confirmé leur soutien de principe au projet d'euro numérique. Pour les commerçants, l'euro numérique pourrait conduire à une réduction des coûts, alors que les frais payés à Mastercard et Visa ont augmenté de 75 % entre 2016 et 2021.

Pour autant, les commerçants s'interrogent sur la prise en charge des coûts ponctuels d'adaptation des infrastructures de paiement dans le cas d'une mise en service de l'euro numérique. Il s'agit notamment de savoir si les infrastructures existantes pourront ou non être réutilisées. En l'état actuel de la proposition, ces coûts ne sont pas objectivés. Par ailleurs, à plus long terme, il convient de déterminer le modèle économique et la méthode retenue pour l'encadrement des frais appliqués aux commerçants par les prestataires de services au paiement.

Nous demandons donc qu'il soit garanti que les frais de l'euro numérique pour les commerçants soient inférieurs à ceux des solutions de paiements digitaux existantes. Cet encadrement nous apparaît une indispensable contrepartie à l'obligation d'acceptation de cette monnaie. Par ailleurs, alors que la gratuité des services de base en euros numériques fait l'objet de critiques, nous recommandons de conserver ce principe et de revoir la liste des services concernés.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Il me revient de terminer cette présentation en abordant la question épineuse de la répartition des compétences entre les différents acteurs institutionnels concernés par le projet d'euro numérique et en vous détaillant l'avancée des négociations.

À la suite de la présentation en juin 2023 de la proposition de la Commission européenne sur l'euro numérique, les colégislateurs ont commencé l'examen du texte.

Du côté du Conseil, les discussions ont été nourries lors de la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne, au second semestre 2023. L'un des points majeurs a concerné la répartition des rôles entre la BCE, la Commission européenne et les colégislateurs s'agissant de la détermination des modalités de l'euro numérique. La BCE, faisant valoir son indépendance et sa compétence exclusive en matière de politique monétaire, tient à garder la main non seulement sur la décision d'émission, mais également sur la détermination de certains paramètres. Plusieurs États font valoir, à l'inverse, la nécessité de fonder démocratiquement ces décisions, via une intervention des colégislateurs.

La présidence belge du Conseil, au premier semestre 2024, n'a guère fait avancer le dossier, l'euro numérique ne faisant pas partie de ses priorités. Les prochaines présidences du Conseil devant être assurées par des pays qui ne sont pas membres de la zone euro - la Hongrie, la Pologne et le Danemark , il est difficile de savoir s'ils avanceront sur le sujet. Certes, ils ne sont pas directement concernés, mais ils pourraient vouloir disposer d'un modèle pour leur propre monnaie numérique de banque centrale.

Du côté du Parlement européen, les discussions ont été lentes. La commission des affaires économiques et monétaires a entendu à plusieurs reprises les membres de la BCE chargés du projet. Le rapporteur du texte pour la commission s'est montré très réservé, pointant l'absence de plus-value pour le consommateur. Le Parlement européen n'a pas adopté de position sur la proposition relative à l'euro numérique avant les élections européennes de juin. Les travaux devraient donc redémarrer au sein du nouveau Parlement.

Nous n'en sommes ainsi encore qu'au début des négociations sur la proposition relative à l'euro numérique. Devront être arbitrés de nombreux choix, sur un grand nombre de paramètres, notamment le seuil de confidentialité, le plafond de détention, la multi-détention, la méthode d'encadrement des frais, la détermination des services de base ou encore les techniques retenues pour le paiement hors ligne.

C'est la raison pour laquelle nous envisageons un nouveau point sur ce projet d'euro numérique une fois la position du Parlement européen arrêtée. Une proposition de résolution européenne pourrait alors être présentée. Nous insistons cependant d'ores et déjà sur la nécessité d'une implication renforcée des colégislateurs et d'un contrôle politique accru sur la phase de conception technique de l'euro numérique, à la main de la BCE et encore entourée de nombreuses incertitudes.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie pour ce travail très complet sur un sujet aussi technique. Nous sommes heureux d'entendre vos recommandations, d'abord parce que la réflexion ne semble pas tout à fait mûre, alors que le Parlement devra se prononcer sur la question, mais aussi au regard du contexte actuel, qui nous permet difficilement d'aborder des sujets de long terme.

Mme Christine Lavarde. - Je comprends mal pourquoi l'euro numérique serait susceptible de devenir une valeur refuge. Si cette monnaie n'est pas rémunérée, pourquoi l'épargnant transfèrerait-il son argent sur un compte en euros numériques depuis un placement qui lui permet de toucher des intérêts ? En outre, l'euro numérique aura la même valeur fiduciaire que la monnaie scripturale.

Par ailleurs, vous n'êtes pas revenus sur l'union des marchés de capitaux. Vous soulignez que les acteurs bancaires craignent une fuite des capitaux, qui seraient plus facilement transférables d'un État membre à un autre. Dans l'esprit de la Commission, l'euro numérique est-il une première étape vers une union des marchés de capitaux ?

Mme Pascale Gruny. - Je remercie les rapporteurs pour leur travail. Vous avez évoqué le fait que ce projet d'euro numérique visait les particuliers. Pour ma part, je pense, comme toujours, à nos concitoyens des zones rurales, auxquels le numérique pose déjà souvent bien des difficultés. Au fond, à quoi l'euro numérique servira-t-il véritablement ? Quelles leçons pouvons-nous tirer des pays où les monnaies numériques ont cours ?

M. Jacques Fernique. - Vous avez évoqué la position de la BCE, qui défend ses attributions et son indépendance. Pour autant, l'article 133 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne précise que le Parlement européen et le Conseil établissent les mesures nécessaires à l'usage de l'euro en tant que monnaie unique, lesquelles sont adoptées après consultation de la BCE. Ne pourrions-nous pas clarifier davantage la deuxième proposition du rapport, en précisant que la BCE rend un avis consultatif et que la décision finale revient aux colégislateurs ?

De la même façon, la troisième recommandation, qui vise à introduire des clauses de révision afin que le Conseil de l'Union puisse se prononcer sur les choix retenus, omet de mentionner le Parlement européen en tant que colégislateur.

Nous avons déjà débattu du bilan carbone du numérique. La BCE a réalisé une étude sur l'empreinte environnementale des paiements en espèces, qui concluait que celle-ci était très faible. En revanche, on sait que le numérique représente de 3 % à 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Pourrions-nous ajouter une recommandation appelant au suivi de l'impact environnemental de l'euro numérique ?

M. Jean-François Rapin, président. - Le secrétaire général des affaires européennes m'a confirmé, lors d'un entretien hier, la volonté de la France de soutenir la remise en chantier de l'union des marchés de capitaux.

Concernant la possibilité que l'euro numérique devienne une valeur refuge, je saisi l'occasion pour rappeler un chiffre impressionnant : le montant d'épargne privée dans l'Union européenne est de 33 000 milliards d'euros !

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - L'euro numérique est avant tout pensé comme un moyen de paiement. Certaines banques craignent qu'il ne devienne une valeur refuge, ce qui pourrait arriver si le plafond de détention est trop élevé. Néanmoins, ce plafond, couplé à l'absence de rémunération, devrait limiter le risque de fuite des dépôts. Il est par ailleurs difficile d'évaluer le montant que représenterait un tel phénomène, car nous ignorons si nos concitoyens s'empareront de l'euro numérique et dans quelle mesure. Avec un plafond de détention d'euros numériques fixé à 3 000 euros, la Fédération bancaire française (FBF) estime à environ 13 % la part de fuite des dépôts des clients de détail de la zone euro. Ce point devra faire l'objet d'une analyse fine lors de la phase préparatoire. En outre, il s'agit là de financements bancaires ; le marché européen de financement des capitaux, destiné à financer les entreprises, pourra donc jouer un rôle complémentaire.

Madame Gruny, les banques centrales dans le monde ont commencé à travailler sur des projets de monnaie numérique de banque centrale, lorsque Facebook a annoncé sa volonté de lancer sa propre monnaie privée. Quelques pays, comme la Chine, ont déjà bien avancé. Pour autant, les expérimentations sont récentes et nous manquons de recul pour répondre à votre question. Dans tous les cas - je le rappelle - il n'y aura aucune obligation : les citoyens pourront très bien ne pas utiliser l'euro numérique.

Monsieur Fernique, vous suggérez de recommander que la BCE n'émette qu'un avis consultatif. Pour notre part, nous préférerions que la BCE fixe le plafond de détention conjointement avec les colégislateurs et la Commission européenne, car la BCE est compétente en matière de politique monétaire. Or la transmission de cette politique pourrait être mise en péril si un plafond trop élevé était fixé, par exemple. Il est donc difficile d'écarter la BCE de la sorte. En revanche, les colégislateurs non plus ne doivent pas être exclus, contrairement à ce que souhaitait initialement la BCE.

Concernant votre deuxième question, il s'agit en effet d'une omission. Nous pouvons tout à fait inscrire « ainsi qu'au Parlement européen » après « au Conseil ».

Enfin, l'empreinte environnementale d'un paiement en euros numériques ne sera pas très différente de celle représentée par un paiement par carte. Les études réalisées ont même montré que le traitement des espèces physiques aurait un bilan carbone un peu plus élevé, si l'on prend en compte le transport.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Pour l'heure, on ne parle d'euros numériques que pour les particuliers et les entreprises. Un prochain volet sera consacré à la monnaie numérique de banque centrale dite de gros, qui concerne les paiements interbancaires et qui recouvre des enjeux bien différents.

La différence entre l'euro numérique et la carte bancaire est que le premier permet de payer avec une monnaie publique, et non privée. Une carte de crédit est payante et les banques se réservent le droit de nous la fournir. La monnaie publique, au contraire, est universelle et gratuite pour le consommateur. C'est aussi l'objectif de l'euro numérique : mettre à disposition du citoyen une capacité de paiement dématérialisée gratuite.

Nous nous sommes intéressés à l'empreinte environnementale de ce projet, qui rejoint d'ailleurs la problématique du coût pour le commerçant. Actuellement, le paiement en espèces représente déjà un coût, que cette dématérialisation pourrait contribuer à réduire. De même, on peut raisonnablement penser que l'euro numérique permettra une diminution du bilan carbone.

Pour l'heure, il est envisagé que l'on puisse payer en euros numériques avec une carte ou un smartphone, grâce à un terminal de paiement qui serait, dans l'idéal, identique à celui utilisé aujourd'hui, afin de ne pas dupliquer les coûts.

Enfin, lorsque nous avons entamé nos travaux, j'avais des inquiétudes relatives aux risques de spéculation et aux éventuelles attaques. L'euro numérique est une question de souveraineté. C'est la raison pour laquelle nous insistons sur la répartition des rôles entre les colégislateurs et la BCE. La situation est inédite : nous n'avons pas de précédent en la matière. La BCE revendique son indépendance, mais la création d'une monnaie reste avant tout un acte éminemment politique. À l'examen, les risques de spéculation sont pour l'heure très réduits, voire inexistants.

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - J'ajoute que, si cette monnaie a cours légal, elle sera acceptée dans tous les pays de la zone euro. Ce n'est pas le cas de toutes les cartes bancaires actuelles.

Par ailleurs, le plafond de détention devra être défini en respectant un juste équilibre : il ne devra être ni trop faible, pour que les consommateurs puissent facilement utiliser cette monnaie sans multiplier les opérations, ni trop élevé, pour éviter les fuites de dépôts. Il devra être fixé lors de la phase préparatoire.

La proposition de modification de M. Jacques Fernique est adoptée.

Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication. Le rapport est disponible en ligne sur le site du Sénat.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Auditions :

· Banque de France

Erick LACOURREGE - directeur général des moyens de paiement

Véronique BENSAID-COHEN - conseillère parlementaire auprès du Gouverneur

· Fédération bancaire française

Maya ATIG - directrice générale

Jérôme RAGUÉNÈS - directeur Numérique et Paiements

Jérôme PARDIGON - directeur des relations institutionnelles

· Institut Veblen pour les réformes économiques

Wojtek KALINOWSKI - co-directeur

· Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC)

Anne MARTIN - responsable services financiers

· Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)

Aymeric PONTVIANNE - chef de la mission analyse économique

Julie FRANÇOIS-FRANCO - juriste au service des affaires économiques

Chirine BERRICHI - conseillère pour les questions parlementaires et institutionnelles

· European Payments Initiative (EPI)

Martina WEIMERT - directrice générale

Narinda YOU - responsable des affaires publiques pour EPI

· Direction générale du Trésor

Gabriel CUMENGE - sous-directeur des banques et financement d'intérêt général

Bastien LAFON - adjoint au chef de bureau des services bancaires et des moyens de paiement

Ivan SALIN - adjoint au chef de bureau Union économique et monétaire

Fanny MICHAUD - conseillère parlementaire et relations institutionnelles

· EuroCommerce

Isabelle CLAIRAC - directrice générale de MarketPay

· Association Mercatel

Bertrand PINEAU - directeur général

· Entreprise Satispay

Pascal COTTE - directeur général France

Antoine BERTHAULT-BARRENECHEA

· Hubert de VAUPLANE - avocat au barreau de Paris

· STET

Régis FOLBAUM - directeur général

Déplacements :

· Déplacement à Bruxelles le jeudi 21 mars 2024

Représentation Permanente de la France auprès de l'Union européenne (RPUE) - Pierre OFFRET, conseiller financier

Parlement européen - Gilles BOYER, député européen

Direction générale FISMA de la Commission européenne - Jan CEYSSENS, chef d'unité

Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) - Daniele NARDI, conseiller juridique et Leda BARGIOTTI, juriste

SME United - Sophia ZAKARI - directrice des affaires juridiques

· Déplacement à Francfort le mardi 26 mars 2024

Banque centrale européenne (BCE) - Piero CIPOLLONE, membre du directoire de la BCE, président du groupe de travail de haut niveau de l'Eurosystème sur l'euro numérique et Evelien WITLOX, directrice de projet sur l'euro numérique, avec les experts de la Direction sur l'euro numérique et de la Direction générale pour les relations internationales et européennes

Deutsche Bank - Koen HOLDTGREFE, directeur de la politique réglementaire et directeur adjoint des affaires gouvernementales et publiques


* 1 COM (2023) 369 final, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant l'euro numérique, 28 juin 2023.

* 2 « Le yin et le yang du secteur financier », discours de François Villeroy de Galhau, 5 juillet 2023.

* 3 COM (2023) 369 final, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant l'euro numérique.

* 4 COM (2023) 364 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au cours légal des billets de banque et des pièces en euro.

* 5 BCE, “Study on the payment attitudes of consumers in the European Union” (SPACE), décembre 2022.

* 6 Sveriges Riksbank (Banque nationale de Suède), Payments Report, 2022.

* 7 BCE, “Study on the payment attitudes of consumers in the euro area” (SPACE), 2023.

* 8 Eurostat 2023.

* 9 Le relèvement de ce plafond est permis par le règlement délégué 2018/389 de la Commission du 27 novembre 2017 complétant la directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de réglementation relatives à l'authentification forte du client et à des normes ouvertes communes et sécurisées de communication.

* 10 Bulletin de la Banque de France, octobre 2022.

* 11 Deux exceptions notables à ce phénomène : la Chine et la Suède.

* 12 Terra Nova, « Le grand paradoxe - ou pourquoi le règne du cash est loin de s'achever », Marc Schwartz et Yannis Messaoui, janvier 2021.

* 13 BCE, Étude SPACE, 2023.

* 14 Enquête 2023 Monnaie de Paris et l'IFOP sur l'attachement des Français aux pièces de monnaie.

* 15 Passant de 324 650 à 310 729. BCE, Etude Space, 2020.

* 16 Le nombre de DAB est passé de 52 623 en 2018 à 46 249 en 2023. (Banque de France, Accès public aux espèces : Actualisation de l'état des lieux à fin 2022, juillet 2023).

* 17 Banque de France, Accès public aux espèces : Actualisation de l'état des lieux à fin 2022, juillet 2023.

* 18 L'Espace SEPA est constitué des 27 États membres de l'Union européenne, du Royaume-Uni, de l'Islande, de la Norvège, de la Suisse, du Liechtenstein, de Monaco et de Saint-Marin.

* 19 En 2022, seules 5 banques françaises sur 100 ne faisaient pas payer le virement instantané (Rapport annuel de l'Observatoire des tarifs bancaires, CCSF, 2022).

* 20 Règlement (UE) 2024/886 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2024 modifiant les règlements (UE) no 260/2012 et (UE) 2021/1230 et les directives 98/26/CE et (UE) 2015/2366 en ce qui concerne les virements instantanés en euros.

* 21 Les obligations prévues dans ce règlement s'appliqueront progressivement à partir de janvier 2025.

* 22 Directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE, 2009/110/CE et 2013/36/UE et le règlement (UE) no 1093/2010, et abrogeant la directive 2007/64/CE (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE).

* 23 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les services de paiement et les services de monnaie électronique dans le marché intérieur, modifiant la directive 98/26/CE et abrogeant les directives (UE) 2015/2366 et 2009/110/CE.

* 24 C'est le cas de l'Autriche, de Chypre, de la Croatie, de la Finlande, de la Grèce, de la Hongrie, de l'Irlande, de la Lettonie, de la Lituanie, du Luxembourg, des Pays-Bas, de la Pologne, de la République Tchèque, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Suède.

* 25 Un schéma de paiement, « scheme » en anglais, est un ensemble de règles convenues entre prestataires de services de paiement permettant d'effectuer des transactions via un instrument de paiement spécifique (prélèvement, virement, paiement par carte...). Le schéma de paiement se distingue du « système de paiement », qui est l'infrastructure technique qui traite les transactions conformément aux règles définies par le schéma de paiement.

* 26 Réponses au questionnaire des rapporteurs.

* 27 Réponses au questionnaire des rapporteurs.

* 28 Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

* 29 Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi.

* 30 FIS WorldPay, Global Payments Report 2022.

* 31 Même s'ils sont parfois utilisés à des fins de transaction, ces cryptoactifs ne peuvent cependant être confondus avec une monnaie puisqu'ils n'en remplissent pas les trois fonctions : ils ne sont ni un instrument d'échange (pour acheter et vendre facilement dans la vie de tous les jours), ni une unité de compte (pour comparer aisément les prix des différents biens et services), ni une réserve de valeur.

* 32 Règlement (UE) 2023/1114 du Parlement européen et de Conseil du 31 mai 2023 sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant les règlements (UE) no 1093/2010 et (UE) no 1095/2010 et les directives 2013/36/UE et (UE) 2019/1937

* 33 Bloomberg, Mark Zuckerberg's Stablecoin Ambitions Unravel With Diem Sale Talks, Janvier 2022.

* 34 Fabio Panetta, “The cost of not issuing a digital euro “, CEPR-ECB Conference, The macroeconomic implications of central bank digital currencies, 23 novembre 2023.

* 35 Atlantic Council, Central Bank Digital Currency Tracker: https://www.atlanticcouncil.org/cbdctracker/

* 36 H.R.2211 - Central Bank Digital Currency Study Act of 202, 117th Congress (2021-2022).

* 37 Banque de Suède, 2024 : “Whether or not to introduce an e-krona in Sweden is ultimately a political decision. An inquiry into the role of the state in the payment market, presented in March 2023, assesses that there is currently insufficient social need for the Riksbank to issue an e-krona. However, global changes may lead to a different assessment in the future”.

* 38 Nicolas de Sèze, « Monnaies numériques de banque centrale : une mise en perspective des travaux à travers le monde », Revue d'économie financière, 2023.

* 39 Financial Times, “Virtual Control: The Agenda Behind China's New Digital Currency”, 17 février 2021.

* 40 CEPD, “Government access to data in third countries - Final Report”, novembre 2021.

* 41 COM (2023) 369 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant l'euro numérique.

* 42 COM (2023) 364 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au cours légal des billets de banque et des pièces en euro.

* 43 Il s'agit des sommes placées par les banques commerciales sur les comptes qu'elles détiennent auprès de la banque centrale. Les banques commerciales utilisent cette monnaie pour le règlement des transactions entre elles. Ces comptes servent également pour les opérations de politique monétaire.

* 44 « Concevoir une monnaie numérique de banque centrale : partenariat public-privé et complémentarité avec les espèces », Nathalie Aufauvre, Pierre-Alexandre Aranega, Revue d'économie financière, 2023.

* 45 Distributed Ledger Technology (DLT) : technologies de registre distribué. La tokenisation de la finance - qui consiste à émettre, enregistrer et échanger des actifs financiers (ex : actions, obligations) ou réels (ex : or, immobilier) sous forme de jetons numériques (appelés tokens) - repose sur des technologies de registre distribué telles que la blockchain.

* 46 CBDC signifie Central Bank Digital Currency, soit Monnaie numérique de banque centrale et Direct claim, créance directe.

* 47 Entretien des rapporteurs avec la DG Fisma de la Commission européenne à Bruxelles.

* 48 Considérant 6 de la proposition : « L'euro numérique devrait compléter les billets et pièces en euros et ne devrait pas remplacer les formes physiques de la monnaie unique. En tant qu'instruments ayant cours légal, les espèces et l'euro numérique sont d'égale importance ».

* 49 Article 2.

* 50 Article 7 (1).

* 51 Article 4 (1).

* 52 Article 13.

* 53 Article 15.

* 54 Article 13.

* 55 Article 16 (8).

* 56 Article 13 (4).

* 57 Article 23.

* 58 Considérant 71.

* 59 BCE, « First progress Report on the digital euro preparation phase », 24 juin 2024.

* 60 Articles 14 et 17.

* 61 Elles pourraient concerner les fonctionnalités de tenue de compte, les paiements ou l'accès à une application mobile.

* 62 Article 17.

* 63 Formule du député européen allemand Markus Ferber (Financial Times, « The digital euro : a solution seeking a problem ? », mai 2023).

* 64 Commission Staff Working Document : Impact Assesment report, June 2023. “The lack of a widely available and usable central bank money in the digital age could weaken the monetary anchor and thus diminish trust towards private money”. Il est regrettable que l'étude d'impact accompagnant la proposition ne soit disponible qu'en anglais.

* 65 Considérant 3 de la proposition : Cet ancrage monétaire est au coeur du fonctionnement des systèmes monétaire et financier. Il sous-tend la confiance des utilisateurs dans la monnaie de banque commerciale et dans l'euro en tant que monnaie et est donc essentiel pour préserver la stabilité du système monétaire dans une économie et une société numérisées.

* 66 COM (2023) 364 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au cours légal des billets de banque et des pièces en euro.

Il faut par ailleurs rappeler que l'usage des espèces ne décline qu'en tant que moyen de transaction. Elles restent manifestement attractives en tant que réserve de valeur.

* 67 BCE, Foire aux questions sur un euro numérique ou encore Fabio Panetta, Bâtir l'avenir numérique de l'Europe : vers un euro numérique, 4 septembre 2023.

* 68 P.10 de la proposition de la Commission.

* 69 CEPS, “A digital euro beyond impulse - think twice, act once”, Round Table Report, 2023.

* 70 Directive 2014/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l'accès à un compte de paiement assorti de prestations de base

* 71 Réponses aux questionnaires des rapporteurs.

* 72 « Paiement : privés de Visa et Mastercard, les Russes se tournent vers les cartes bancaires chinoises », La Tribune, 9 mars 2022.

* 73 « La Russie subit des « problèmes » de paiements avec la Chine », La Tribune, 7 février 2024.

* 74 Rapport au ministre de l'économie et des finances, « Mise en oeuvre d'une politique de localisation des données critiques de paiement en Europe », février 2020. Le rapport mentionne notamment comme « leçons du passé » l'affaire Swift, les sanctions américaines en Crimée et en Russie, la panne d'Amazon en 2017 ou encore l'affaire Cambridge Analytica.

* 75 Rapport au ministre de l'économie et des finances « Mise en oeuvre d'une politique de localisation des données critiques de paiement en Europe », février 2020.

* 76 « Bâtir l'avenir numérique de l'Europe : vers un euro numérique », discours de Fabio Panetta, 4 septembre 2023.

* 77 « Stay safe at the intersection: the confluence of Big Techs and global stablecoins », discours de Fabio Panetta, 8 octobre 2021.

* 78 Deutsche Bundesbank Monthly Report mai 2024.

* 79, « Le risque démocratique de l'euro numérique », Hubert de Vauplane, Le Grand Continent, décembre 2022 ou encore « La création de l'euro numérique devrait prendre toute sa place dans la campagne électorale européenne », Luciano Somoza, Le Monde, 25 mars 2024.

* 80 L'institut Veblen pour les réformes économiques a mis en place un Observatoire de l'euro numérique et a publié une étude sur la proposition de la Commission : « A digital Euro for the people - Position Paper », juin 2023.

* 81 Le Monde, « Comment l'euro numérique ravive de vieux fantasmes de l'extrême-droite », octobre 2023.

* 82 Article 24 (2) : L'euro numérique n'est pas une monnaie programmable.

* 83 Considérant 6 de la proposition : « L'euro numérique devrait compléter les billets et pièces en euros et ne devrait pas remplacer les formes physiques de la monnaie unique. En tant qu'instruments ayant cours légal, les espèces et l'euro numérique sont d'égale importance ».

* 84 « Be EU, Programme présidence belge du Conseil de l'Union européenne » - Premier semestre 2024. Aucune mention de la monnaie unique n'est faite.

* 85 Fabio Panetta puis Piero Cipollone, membres du directoire de la BCE, chargés du projet d'euro numérique.

* 86 Article 128 (2) TFUE : « Les États membres peuvent émettre des pièces en euros, sous réserve de l'approbation, par la Banque centrale européenne, du volume de l'émission. Le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et de la Banque centrale européenne, peut adopter des mesures pour harmoniser les valeurs unitaires et les spécifications techniques de toutes les pièces destinées à la circulation, dans la mesure où cela est nécessaire pour assurer la bonne circulation de celles-ci dans l'Union. »

* 87 Article 133 du TFUE : « Sans préjudice des attributions de la Banque centrale européenne, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures nécessaires à l'usage de l'euro en tant que monnaie unique. Ces mesures sont adoptées après consultation de la Banque centrale européenne. »

* 88 Considérant 10 de la proposition : les dispositions de la proposition « peuvent être complétées par les actes délégués que la Commission est habilitée à adopter en vertu des articles 11, 34, 35, 36 et 38, et par les actes d'exécution que la Commission est habilitée à adopter en vertu de l'article 37. En outre, dans le cadre du présent règlement et de ses actes délégués, la Banque centrale européenne peut adopter des mesures, règles et normes détaillées en vertu de ses propres compétences ».

* 89 Étude d'impact accompagnant la proposition de la Commission établissant l'euro numérique.

* 90 BCE, Study on the payment attitudes of consumers in the euro area, 20 décembre 2022 : https://www.ecb.europa.eu/stats/ecb_surveys/space/html/ ecb.spacereport202212~783ffdf46e.en.html

* 91 Par exemple « La protection de la vie privée est un élément essentiel de l'euro numérique », tribune de MM. Valdis Dombrovskis et Fabio Panetta, Le Monde, 27 juin 2023.

* 92 Les PSP seraient donc chargés de traiter les données personnelles et transactionnelles pour garantir le respect des exigences en matière de LCB/FT et des autres dispositions pertinentes du droit de l'UE. Les données personnelles s'entendent de toute information relative à une personne qui peut être identifiée (par exemple, nom, adresses physiques et électroniques et informations de localisation). Les données de transaction comprennent toutes les informations relatives à un paiement spécifique, notamment le numéro de portefeuille/compte du payeur, la contrepartie de la transaction, le montant de la transaction, les date/heure/ lieu de la transaction et les informations sur les biens/services achetés (y compris l'adresse de facturation ou de livraison).

* 93 L'Eurosystème n'aurait accès qu'aux informations minimales requises, par exemple pour l'exercice de la fonction de règlement (c'est-à-dire la validation des paiements s'ils sont effectués par l'Eurosystème) ou pour d'autres fonctions de banque centrale, telles que les missions de surveillance.

* 94 Article 13.

* 95 Article 14.

* 96 Article 23.

* 97 Article 37.

* 98 Article 23 : « l'euro numérique est disponible pour les opérations de paiement de paiement en euros numérique en ligne et hors ligne dès la première émission de l'euro numérique ».

* 99 BCE, “First progress report on the digital euro”, 24 juin 2024.

* 100 « Battery-powered smart cards and non-powered smart cards which use a “bridge-device” to connect » (BCE, “First progress report on the digital euro”, 24 juin 2024).

* 101 Article 24 : « l'euro numérique n'est pas une monnaie programmable ».

* 102 Article 5 (5).

* 103 Ce niveau de contrôle est similaire à celui des moyens de paiement digitaux existants actuellement. Les paiements en euro numérique seraient donc ainsi soumis aux exigences de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.

* 104 EDPB-CEPD, Avis conjoint 02/2023 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant l'euro numérique, 17 octobre 2023.

* 105 Avis de la Banque centrale européenne du 31 octobre 2023 relatif à l'euro numérique.

* 106 Règlement du Parlement européen et du Conseil 2021/0239(COD) - Prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme. Le texte a été adopté au Conseil et au Parlement européen en mai 2024 mais n'a pas encore fait l'objet de publication au Journal officiel de l'Union européenne.

* 107 Article 13 (7).

* 108 Article 35 (8).

* 109 Article 16 (6).

* 110 EDPB-CEPD, Avis conjoint 02/2023 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant l'euro numérique, 17 octobre 2023.

* 111 ECB, Technical note on the provision of multiple digital euro accounts to individual end users, 2024. Cette note est désormais accessible en ligne.

* 112 Comme évoqué plus haut, le CEPD rappelle qu'il s'agit « identifiants permanents » et que les garanties les entourant ne sont pas suffisantes.

* 113 Réponses au questionnaire des rapporteurs.

* 114 Entretien des rapporteurs avec la Représentation permanente de la France (RPUE) à Bruxelles.

* 115 La limitation à un compte par utilisateur est une mesure proportionnée puisqu'elle ne réduit pas la liberté des prestataires de services de paiement de fournir des services en euro numérique. La BCE souligne à ce propos qu'il serait « plus facile de changer de compte de paiement en euros numériques que de comptes de paiement aujourd'hui, car le numéro international de compte bancaire (IBAN) n'est pas portable ». (Avis de la Banque centrale européenne du 31 octobre 2023 relatif à l'euro numérique)

* 116 Article 32.

* 117 Considérant 68.

* 118 La commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) est membre du CEPD et a participé à l'avis conjoint publié en octobre 2023 par le CEPD.

* 119 Réponses au questionnaire des rapporteurs.

* 120 Un groupe chargé de l'élaboration du recueil de règles pour un euro numérique (Rulebook Development Group) a été créé en janvier 2023 par le Groupe de travail de haut niveau sur la monnaie numérique des banques centrales (HLTF-CBDC) au cours de la phase d'investigation de l'euro numérique, et poursuit actuellement ses travaux au cours de la phase de préparation. Il doit rassembler un ensemble unique de règles, normes et procédures que les intermédiaires agréés seront tenus de suivre lors de la distribution de l'euro numérique.

* 121 Étude d'impact accompagnant la proposition de la Commission.

* 122 Le règlement proposé prévoit que tout paiement en euro numérique doit être réglé instantanément. Il s'agit de garantir que tout transfert en euros numériques d'un payeur à un bénéficiaire est crédité en quelques secondes et 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

* 123 Les dépôts représentent plus de 50 % du passif des banques en Espagne et en Italie, 44 % en Allemagne, mais seulement 28 % en France (Étude d'impact accompagnant la proposition).

* 124 L'impact serait alors tout particulièrement important pour l'économie de la zone euro. En effet, le financement bancaire dans la zone euro est la source de financement ultra dominante. Il représente aujourd'hui 79 % des besoins des entreprises en Europe alors qu'aux États-Unis, les marchés assurent majoritairement ce rôle (à 61 %) (Banque de France, 2022).

* 125 Ulrich Bindseil, Piero Cipollone, Jurgen Schaaf, “The digital euro after the investigation phase: Demystifying fears about bank disintermediation”, CEPR, 19 février 2024.

* 126 Dans une étude de 2021, bien avant la publication de la proposition de la Commission et donc sans connaître les premières caractéristiques retenues, la firme Morgan Stanley estimait à 8 %, soit 873 milliards d'euros, la perte de dépôts de particuliers pour les banques commerciales lors de l'introduction d'un portefeuille limité à 3 000 euros numériques (Digital euro might suck away 8 % of banks' deposits - Morgan Stanley, M. Jones, Reuters, 16 juin 2021).

* 127 BNP Paribas (BNPP), Société générale (SG), Groupe Crédit agricole GCA, Groupe BPCE (GBPCE), Groupe Crédit mutuel (GCM) et La Banque Postale (LBP).

* 128 Réponses au questionnaire des rapporteurs.

* 129 Utilisée pleinement, dans la limite du montant des dépôts à vue détenus par les particuliers.

* 130 Ce n'est pas l'hypothèse retenue dans la proposition de la Commission : l'article 2 précise que l'euro numérique est accessible aux personnes physiques et morales.

* 131 Les banques de détail désignent les institutions bancaires qui fournissent des services financiers au grand public, par opposition aux banques d'investissement ou aux banques d'affaires qui s'adressent aux grandes entreprises.

* 132 Les répercussions d'une éventuelle limite de détention à 3 000 euros sont certainement très différentes si l'on compare les États membres de la zone euro à forte richesse et les États membre à faible richesse.

* 133 Article 16 paragraphe 1 : « Aux fins de l'article 15, paragraphe 1, la Banque centrale européenne élabore des instruments visant à limiter l'utilisation de l'euro numérique comme réserve de valeur et décide de leurs paramètres et de leur utilisation, conformément au cadre défini dans le présent article. »

* 134 CJUE, C-422/19 et C-423/19 Johannes Dietrich et Norbert Häring/Hessischer Rundfunk, 26 janvier 2021.

* 135 Les rapports d'étape de la BCE indiquent ainsi que l'euro numérique n'est pas envisagé comme un outil de politique monétaire. Exemple : “A possible role for the digital euro as a tool to strengthen monetary policy is not identified in this report, but could emerge in the future on the basis of further analysis or owing to developments in the international financial system” (ECB, Report on a digital euro, October 2020).

* 136 Réponses au questionnaire des rapporteurs.

* 137 Règlement (UE) 2015/751 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2015 relatif aux commissions d'interchange pour les opérations de paiement liées à une carte.

* 138 Réponses au questionnaire des rapporteurs.

* 139 Réponses au questionnaire des rapporteurs.

* 140 Réponses au questionnaire des rapporteurs.

* 141 Etude d'impact accompagnant la proposition : “While there will be marginal one-off costs in the onboarding of the digital euro, the long-term benefits in terms of lower fees arising from increased competition in the EU payment market would outweigh them over time”.

* 142143 Article 7.

* 144 Article 9.

* 145 Article 17 (2).

* 146 Pour Mercatel « à titre indicatif, si la carte coûte aujourd'hui entre 0,3 et 0,6 % en moyenne aux commerçants, l'euro numérique avec cours légal et infrastructures publiques européennes ne devrait pas coûter plus de 0,1 % par transaction » (Réponse au questionnaire des rapporteurs).

* 147 Avis de la Banque centrale européenne du 31 octobre 2023 relatif à l'euro numérique.

* 148 Article 14.

* 149 Réponse au questionnaire des rapporteurs.

* 150 Centres for European Policy Network (CEP), Digital euro - Policy Brief, N° 15/2023, 2023.

* 151 Réponse au questionnaire des rapporteurs.

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