CONCLUSION

Aux termes de leurs travaux, les rapporteurs spéciaux font le constat d'une situation particulièrement dégradée du bâti scolaire à Marseille, touchant l'ensemble des établissements. Cet état des lieux partagé par l'ensemble des acteurs, ville, enseignants, élèves et parents d'élèves nécessitait une réponse forte permettant une rénovation massive des établissements présentant pour certains des problèmes de sécurité importants.

Cette situation exceptionnelle a donc poussé le maire de la ville de Marseille, dans l'incapacité de rattraper dans des délais raisonnables l'absence ancienne et récurrente d'entretien des écoles, à solliciter l'aide de l'État qui a, lors de la loi de finances 2022, acté l'ouverture de 254 millions d'euros de subventions pour la rénovation de 188 écoles marseillaises.

Cette intervention de l'État, dans un domaine de compétence relevant exclusivement des communes, nécessite un suivi et un cadrage particulier qui pourraient largement être améliorés. Les rapporteurs spéciaux formulent plusieurs recommandations dans ce sens.

Cependant, en mettant de côté les améliorations possibles en termes de formalisme, force est de constater que les projets de rénovation et de construction font l'objet d'un portage politique fort, d'un investissement de l'ensemble des acteurs (préfecture, ville de Marseille et société publique des écoles marseillaises) et d'une structure juridique et opérationnelle créée ad hoc, la SPEM, permettant de mener ce chantier colossal.

Des doutes persistent toutefois sur la capacité à tenir le calendrier de 10 ans pour rénover et construire 188 écoles. Aussi, une montée en puissance de la SPEM est aujourd'hui nécessaire et des clarifications doivent être apportées sur le plan de financement.

Pour autant, les projets avancent, les premières réalisations devraient être livrées à la rentrée scolaire de septembre 2024 et les établissements livrés répondent aux enjeux actuels de transition écologique.

Ce volet « écoles » du plan Marseille en grand qui montre, pour l'heure, son efficacité doit donc être poursuivi avec un État qui doit tenir ses engagements financiers.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 19 juin 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Stéphane Sautarel, rapporteur spécial, et Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale, sur le financement du volet « écoles » du plan « Marseille en grand ».

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons par une communication de Mme Isabelle Briquet et M. Stéphane Sautarel, rapporteurs spéciaux de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », sur le volet « écoles » du plan « Marseille en grand ».

Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale. - La loi de finances initiale pour 2022 a ouvert 254 millions d'euros de subvention exceptionnelle pour la rénovation des écoles de Marseille. Avec mon collègue Stéphane Sautarel, nous avons décidé de contrôler l'utilisation de ces crédits, ce qui nous a amenés, de manière plus large, à contrôler le financement du volet « écoles » du plan « Marseille en grand ».

Pour bien comprendre les enjeux, il paraît nécessaire de contextualiser l'origine de ce plan.

Le 2 septembre 2021, le Président de la République a annoncé le lancement du plan Marseille en grand, avec pour objectif principal le rattrapage des retards accumulés par la commune dans le développement de services majeurs pour la population. En effet, estimant que la deuxième ville de France cumulait de nombreuses difficultés économiques, sociales, scolaires, sécuritaires, financières et un déficit d'infrastructures publiques, et était traversée par des inégalités fortes, le Président a jugé qu'il était du rôle de l'État de soutenir, d'appuyer et d'accompagner la ville dans une profonde restructuration d'ensemble.

L'objet du présent propos et de notre rapport n'est pas de porter une appréciation sur l'opportunité d'une telle démarche, mais plutôt d'évaluer l'utilisation des crédits dédiés au financement du volet « écoles » du plan.

Ce plan inédit d'un montant annoncé de 5 milliards d'euros s'articule autour de sept axes : les écoles et l'éducation, la sécurité, les mobilités, le logement, l'emploi et l'insertion, la santé et la culture.

Malgré ces montants colossaux, le plan n'a fait l'objet d'aucune contractualisation entre la ville et l'État et n'est matérialisé par aucune feuille de route, déclinée par domaines, par objectifs et par actions, et définissant un calendrier de réalisation précis pour chacun des volets. Il est donc difficile, voire impossible, de dresser un état exhaustif des actions à mener et à suivre.

Plus problématique encore, les crédits alloués par l'État au plan « Marseille en grand » ne sont pas suivis de manière consolidée, de sorte que le montant total de l'effort financier de l'État est non seulement très peu fiable, mais également évolutif dans le temps.

Alors que le montant fréquemment évoqué s'élève à 5 milliards d'euros, l'analyse des réponses reçues durant notre contrôle ne nous a pas permis de reconstituer cette somme ni d'identifier clairement l'origine des crédits.

J'en viens maintenant plus précisément au sujet de notre contrôle : le financement du volet « écoles » de ce plan.

Ce volet vise la rénovation de 188 écoles marseillaises. Il provient d'un constat ancien et largement partagé : le parc scolaire marseillais a accumulé dans le temps une dette d'entretien et de maintenance de plus en plus importante, qui rend le bâti des écoles vétuste, parfois dangereux pour ses usagers, peu adapté au changement climatique, sensible aux variations de température, ne résistant plus aux intempéries et n'ayant pas été adapté à l'évolution urbaine de la ville.

En 2016, le journal Libération titrait : « Écoles à Marseille, la honte de la République ». C'est dire si l'état de dégradation des établissements marseillais était avancé, allant même jusqu'à rendre difficile, voire impossible, l'enseignement dans certains cas.

Consciente de cette situation catastrophique, la nouvelle majorité municipale a décidé de lancer un plan « écoles » ambitieux, visant à rénover l'ensemble des 470 établissements de la ville.

Pour autant, le maire a rapidement été confronté à un principe de réalité et à l'impossibilité de mener seul, dans des délais raisonnables, un projet d'une telle ampleur. Il a donc sollicité le Président de la République. Les annonces de ce dernier sont une réponse positive à cet appel à l'aide, afin de permettre l'aboutissement d'un travail engagé par la ville elle-même.

Il en découle que le plan de la ville a été scindé en deux parties : d'une part, 188 écoles bénéficient de l'aide de l'État pour les travaux de rénovation ou de restructuration les plus lourds, voire pour des constructions nouvelles ; d'autre part, 304 écoles sont rénovées directement par la ville elle-même pour les opérations « plus légères ».

M. Stéphane Sautarel, rapporteur spécial. - Pour rénover et réhabiliter les 188 écoles retenues dans le volet « écoles » du plan Marseille en grand, une enveloppe de 254 millions d'euros en autorisations d'engagement a été ouverte sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » via la loi de finances initiale pour 2022. Par ailleurs, trois mois après le lancement du plan, le Premier ministre a validé une augmentation de 150 millions d'euros, portant ainsi le montant total de l'enveloppe à 400 millions d'euros.

Ces 150 millions d'euros supplémentaires proviennent de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), à hauteur de 11,7 millions d'euros, de la dotation politique de la ville (DPV), pour 3,15 millions d'euros, et de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), pour 66 millions d'euros.

Il manque donc 65 millions d'euros par rapport aux 400 millions annoncés. À ce stade, personne n'a été en mesure de nous indiquer leur provenance, ce qui est problématique puisque l'équilibre général du financement du projet est basé sur ce montant.

Cette enveloppe budgétaire a été complétée par une garantie de 650 millions d'euros d'emprunts apportée par l'État.

Au-delà du financement, vu l'ampleur et les caractéristiques du volet « écoles » du plan Marseille en grand, la ville et l'État ont décidé de créer une structure spécifique, sous la forme d'une société publique locale d'aménagement d'intérêt national. Cette société, dénommée société publique des écoles marseillaises (Spem), a vocation à assurer la maîtrise d'ouvrage des opérations du plan « écoles », pour construire, réhabiliter et remettre à niveau 188 écoles.

Le système élaboré prend ainsi la forme d'un partenariat public-public, dans lequel la ville confie à la Spem la réalisation des opérations de rénovation et de construction des écoles au moyen de plusieurs contrats, via des marchés subséquents, dans une relation de quasi-régie. La Spem passe ensuite l'ensemble des marchés nécessaires à la réalisation des travaux.

Le recours à une société publique locale d'aménagement d'intérêt national vise en premier lieu un objectif financier puisqu'il permet de faire porter la dette des investissements à une structure autre que la ville de Marseille. Il a également vocation à répondre à un besoin d'ingénierie.

J'en viens au financement. Nos travaux nous ont permis de constater que le coût total du projet serait de 1,8 milliard d'euros alors que les travaux sont estimés à 850 millions d'euros. Le delta se compose des dépenses annexes, notamment celles qui sont relatives aux intérêts d'emprunts, à la maintenance et à l'indexation.

La ville versera donc à la Spem une redevance estimée à 50 millions d'euros annuels pendant vingt-cinq ans, à laquelle s'ajouteront les dépenses de maintenance et les dépenses de la ville pour les 304 écoles dont elle garde la maîtrise d'ouvrage. Cela représente environ 40 millions d'euros d'investissements annuels pendant dix ans.

Au total, nous avons calculé que le coût annuel moyen de la rénovation des écoles marseillaises avoisinerait les 110 millions d'euros, soit 30 % des dépenses d'investissement prévues par la ville dans son plan pluriannuel d'investissement (PPI). Dans ce contexte, il nous semble légitime de poser la question de la soutenabilité d'un tel investissement, alors que la ville présente d'autres ambitions importantes en matière de verdissement et d'accès au logement, à la santé et à la culture.

De surcroît, le plan de financement présente des incohérences qui, à ce stade, ne nous permettent pas d'affirmer que le montant total ne sera pas plus élevé.

Nous avons également des doutes sur le respect du calendrier annoncé. En effet, la Spem n'a pas encore atteint son rythme de croisière et doit encore procéder à des recrutements. Si la première vague de travaux tient les délais, il est important de préciser que de nombreux marchés avaient déjà été passés, avant la création de la société, par la ville qui les lui a transférés, ce qui a contribué à un avancement rapide. Les prochaines vagues de travaux seront encore plus importantes, avec un nombre croissant d'écoles à rénover et à construire.

Toutefois, ne soyons pas trop pessimistes : une dizaine d'écoles sera livrée dès la rentrée de 2024. Nous avons d'ailleurs visité deux d'entre elles, qui présentent des qualités de conception indéniables et prennent en compte le changement climatique.

Ce projet colossal et inédit à l'échelle d'une ville fait l'objet d'un portage politique fort et d'un investissement de l'ensemble des acteurs. Il bénéficie également d'une structure juridique et opérationnelle ad hoc, la Spem, qui montre pour l'instant son efficacité.

Si l'État tient ses engagements financiers, si la ville parvient à se coordonner avec la métropole, alors même que les relations entre ces deux entités sont pour le moins complexes, et si le suivi de l'avancement des travaux est renforcé et formalisé, gageons que ce pari un peu fou pourra devenir une réalité. C'est une nécessité pour les élèves et les enseignants de la ville.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le travail conduit par les rapporteurs spéciaux nous plonge dans la réalité de la politique de rénovation des bâtiments scolaires et montre qu'il s'agit là d'un vrai sujet. Toutefois, nous avons besoin de davantage de clarification. Qui fait quoi ? Quel est le coût exact du projet ? Ce dispositif est-il duplicable ?

Par ailleurs, je souhaiterais savoir si l'État, dont les fonctions régaliennes sont en tuyaux d'orgue - je pense au financement du ministère de l'intérieur via la DSIL et à l'appui de l'éducation nationale -, a travaillé avec la ville de Marseille.

Quelle stratégie a été employée ? Un travail collégial permettant de déterminer l'évolution démographique selon les quartiers de la ville a-t-il été mené ? La rénovation devrait aussi tenir compte du périmètre de la carte scolaire.

Les questions de fonctionnalité, d'environnement immédiat, d'habitat, de structures associatives et de parcours éducatifs hors temps scolaires ont-elles été intégrées ?

Selon la Caisse des dépôts et consignations, les rénovations de bâtiments scolaires nécessiteraient de contracter des emprunts sur quarante ans : c'est de la folie. Avez-vous davantage d'éléments sur les conditions de financement ?

Enfin, je formulerai une remarque plus personnelle. Ce dispositif a au moins le mérite d'être original et d'exister, mais il conviendrait sans doute de réfléchir, à l'échelle des départements, à une structure ou une coordination portant sur le devenir des écoles partout en France.

L'effondrement démographique est très rapide : au lieu de verser dans le populisme en maintenant les écoles là où il n'y a presque plus d'élèves, tirons la sonnette d'alarme ! Il y va de la réussite des enfants.

M. Thierry Cozic. - Je tiens à saluer la qualité du travail des rapporteurs spéciaux sur ce sujet peu connu. Nous avons attendu d'être au fond du trou pour enfin sortir la tête de l'eau : c'est effarant ! Cela pose la question d'un contrôle sur le territoire.

Le modèle retenu via la Spem a-t-il vocation à être appliqué à d'autres villes ? Existe-t-il une taille critique des villes pouvant être éligibles à ce dispositif ? Par ailleurs, serait-il possible de l'élargir aux autres strates locales que sont les départements et les régions ? Il me semble que ce modèle novateur mérite d'être poursuivi.

M. Bernard Delcros. - Parmi les engagements financiers de l'État, quelle part relève de crédits de droit commun et quelle part relève de crédits exceptionnels ? Le modèle retenu à Marseille est-il spécifique ou peut-il s'étendre à d'autres villes ?

M. Stéphane Sautarel, rapporteur spécial. - Avant le renouvellement de la municipalité, l'initiative d'un contrat de partenariat public-privé (PPP) avait été lancée afin de répondre au délabrement du parc scolaire marseillais. Or il n'a jamais abouti.

Le rapporteur général demande des clarifications concernant le rôle de chacun et les conditions de financement. Aujourd'hui, seuls 254 millions d'euros relèvent d'une subvention exceptionnelle. Les autres crédits sont des crédits de droit commun. Je le rappelle, il existe un gap de 65 millions d'euros qui n'est, à ce jour, pas couvert.

La gestion de la TVA, plus particulièrement l'éligibilité à la TVA ou au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), reste une grande inconnue. Ni la ville de Marseille, ni l'administration fiscale, saisie par rescrit, ni la Spem, ni la préfecture des Bouches-du-Rhône, ni les services centraux de l'État n'ont été capables de répondre à nos interrogations.

La direction générale des collectivités locales (DGCL) suit uniquement les engagements financiers mais pas l'avancement des travaux

Il n'existe aucun document contractualisé concernant le pilotage des opérations. Sur le sujet, seul le discours du Président de la République fait foi et nous n'avons pas pu entendre le cabinet du Président. Ainsi, l'opacité demeure.

Sur le volet scolaire, je vous rassure : les échanges que nous avons eus sur place avec le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) ont confirmé que les effectifs de la carte scolaire sont bien pris en compte. Il n'est donc pas question de rénover des écoles là où il n'y a pas d'élèves.

La population scolaire marseillaise est stable, mais elle n'est pas répartie de la même manière que par le passé. Il est donc nécessaire de rééquilibrer l'offre d'accueil entre les quartiers.

Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale. - Nous avons pour seule feuille de route le discours du Président de la République ; les choses se construisent donc de façon progressive.

Indéniablement, la préfecture des Bouches-du-Rhône et la ville de Marseille ont conduit un travail en profondeur sur le terrain, en concertation avec l'ensemble des acteurs impliqués. Bien entendu, le scolaire, le périscolaire, l'environnement et le nombre d'élèves ont été pris en compte. En revanche, le suivi réalisé par le ministère est extrêmement perfectible. D'où les recommandations que nous avons formulées.

Il est difficile d'évaluer si ce dispositif peut être appliqué à d'autres villes. Marseille se trouve dans une situation spécifique, car les bâtiments scolaires sont très dégradés, mais le reste du territoire est parsemé d'écoles qui ont de quoi faire aussi pitié.

Nous devons d'abord faire le bilan du modèle propre à Marseille avant de l'étendre à d'autres villes.

M. Stéphane Sautarel, rapporteur spécial. - Il serait intéressant d'étendre ce dispositif, à l'image de l'élargissement de la Société du Grand Paris (SGP) au RER métropolitain. La Spem est amenée à travailler dans l'immédiateté. Aussi, elle n'a pas envisagé la transposition du modèle à d'autres villes. D'où la nécessité d'avoir un retour d'expérience.

Au-delà du portage financier se pose la question de l'ingénierie. En l'occurrence, il nous a été confirmé que la Spem ne travaille pas avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ce qui est un peu ennuyeux.

Enfin, concernant les conditions de financement, notez que les prêts consentis, soit auprès de la Banque des territoires, soit auprès d'une banque locale, s'étalent sur vingt-cinq ans. Parallèlement, un dossier a été monté pour obtenir un financement plus large via la Banque européenne d'investissement (BEI). C'est pourquoi la garantie de l'État est essentielle.

Nous n'en sommes qu'au début des opérations, sachant que nous attendons une dizaine de livraisons d'ici à la fin de l'année sur les 188 écoles concernées.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

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