B. MIEUX PROTÉGER CEUX QUI NOUS PROTÈGENT : UN ENJEU DE SOLIDARITÉ NATIONALE ET DE SANTÉ PUBLIQUE

1. La procédure de reconnaissance de l'imputabilité au service des cancers des sapeurs-pompiers doit être simplifiée et les expositions mieux tracées
a) L'élargissement de la présomption d'imputabilité au service aux types de cancer dont le lien avec l'activité de sapeur-pompier est établi est particulièrement urgent

Compte tenu à la fois de l'exigence de préservation de la santé de ceux qui consacrent leur vie à la protection des Français, de la gravité des risques encourus par eux et de leurs conséquences potentielles, de la reconnaissance, à l'échelle internationale et de par le monde, de la cancérogénicité de l'activité de sapeur-pompier et du risque de sous-déclaration lié à la complexité des démarches à entreprendre en vue de la reconnaissance d'une pathologie en maladie professionnelle, il est aujourd'hui nécessaire de faire évoluer la réglementation dans le sens d'une automatisation plus large de cette reconnaissance chez les sapeurs-pompiers.

Les rapporteures invitent donc le Gouvernement à proposer sans délai aux partenaires sociaux la création d'un tableau de maladies professionnelles spécifique regroupant l'ensemble des pathologies liées aux travaux d'extinction des incendies.

Y seraient intégrés, outre les deux types de cancer pouvant d'ores et déjà faire l'objet d'une présomption d'imputabilité au service (carcinome du nasopharynx et carcinome hépato-cellulaire), le mésothéliome et le cancer de la vessie, dont le développement a été reconnu par le Circ comme directement imputable à l'activité de sapeur-pompier sur la base de preuves suffisantes, ainsi que les cancers du côlon, de la prostate et des testicules, le mélanome et le lymphome non hodgkinien, dont l'imputabilité à cette activité découle de preuves encore limitées, mais non moins significatives.

Dans ce cadre, pourraient être prévus un délai de prise en charge de 40 ans, identique au délai applicable, par exemple, au carcinome du nasopharynx, et une durée d'exposition de 15 à 20 ans, comme c'est le cas au Québec.

Il importe de noter que, si ces pathologies ne peuvent pas encore être présumées imputables au service chez les sapeurs-pompiers, elles peuvent d'ores et déjà faire l'objet d'une reconnaissance en maladie professionnelle, soit si plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie ne sont pas remplies, soit si celle-ci ne figure pas dans les tableaux, sur la base de preuves du lien entre son apparition et l'exercice des fonctions, qui doivent être apportées par le sapeur-pompier ou ses ayants droit.

Les rapporteures préconisent de prévoir une clause de revoyure afin d'adapter le tableau spécifique en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques.

Une évolution de cette nature de la réglementation applicable simplifiera considérablement les démarches des victimes potentielles, en leur épargnant la contrainte de devoir fournir des preuves souvent difficiles à obtenir (voir supra).

Les rapporteures insistent sur l'urgence que revêt la mise en oeuvre de cette mesure, qui ne saurait attendre une nouvelle analyse de données épidémiologiques certes utile pour affiner la compréhension des risques, mais dispensable dans cette perspective, compte tenu des conclusions du Circ.

Elle permettra, du reste, de placer la France à la pointe du progrès social en la matière, aux côtés de grandes nations telles que l'Australie, les États-Unis ou le Canada. Sur ce sujet plus que sur aucun autre, les disparités réglementaires internationales ne sauraient en effet se justifier. De fait, comme l'a très justement relevé Richard Amnotte, directeur adjoint et coordonnateur adjoint à la sécurité civile de la direction du service de sécurité incendie de la ville de Lévis, au Québec, « un cancer est un cancer et un pompier est un pompier. Où qu'il soit dans notre grand pays, les risques sont les mêmes, les combustibles présents dans les incendies sont les mêmes et l'être humain est constitué de la même matière, quel que soit son lieu de résidence ou de pratique du métier de pompier ».

Proposition n° 1 : Créer un tableau de maladies professionnelles regroupant les pathologies liées aux travaux d'extinction des incendies.

Proposition n° 2 : Élargir la présomption d'imputabilité au service aux types de cancer dont le lien avec l'activité de sapeur-pompier est reconnu par le Circ.

Dans la même logique de simplification, la mise en oeuvre systématique d'une évaluation des droits à l'ATIACL au terme d'un Citis devrait être envisagée afin de limiter le non-recours à cette prestation.

Proposition n° 3 : Procéder systématiquement à l'évaluation des droits à l'allocation temporaire d'invalidité des agents des collectivités locales au terme d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service.

b) Dans le même temps, le renforcement de la traçabilité de l'exposition à des facteurs de risque consoliderait les dossiers de demande de reconnaissance en maladie professionnelle

En parallèle, pour ce qui concerne les types de cancer qui ne feraient pas l'objet d'une présomption d'imputabilité au service, il est indispensable de renforcer la traçabilité des expositions subies par les sapeurs-pompiers afin de leur permettre d'apporter la preuve du lien entre une éventuelle pathologie et leur activité.

Les rapporteures préconisent donc l'édiction d'un modèle national de fiche d'exposition spécifique à l'activité de sapeur-pompier, dont la réglementation devrait prescrire le remplissage par les Sdis après chaque intervention ayant induit une exposition significative et, à défaut, sur une base annuelle. Cette fiche devrait permettre de distinguer les incendies sur la base d'une classification qui serait établie par la DGSCGC en fonction de leur localisation et des caractéristiques des produits de combustion. Il serait nécessaire qu'elle soit intégrée au dossier médical de chaque sapeur-pompier et tenue à sa disposition.

Proposition n° 4 : Élaborer un modèle national de fiche d'exposition à des facteurs de risques spécifique à l'activité de sapeur-pompier.

Proposition n° 5 : Rendre obligatoire le remplissage d'une fiche d'exposition après chaque intervention à risque sanitaire.

Ces mesures pourraient pleinement s'inscrire dans le cadre de la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030, qui a fixé l'objectif de « mieux reconnaître les expositions professionnelles pour mieux prévenir les cancers professionnels ». Celui-ci doit être atteint au travers de six actions, dont la poursuite de l'adaptation de la réglementation et des dispositifs de prévention à l'état des connaissances scientifiques et le contrôle de leur application, ainsi que la lutte contre la sous-déclaration des cancers professionnels.

2. En amont, l'effort de prévention des risques doit mobiliser tous les moyens disponibles

Aux yeux des rapporteures, la limitation de l'exposition à des facteurs de risques et la prévention des maladies professionnelles constituent une priorité absolue. En effet, nul ne saurait se satisfaire d'une meilleure reconnaissance de l'origine professionnelle de ces pathologies si celles-ci peuvent être en grande partie évitées par la mise en oeuvre de mesures de bon sens.

À cet égard, les pouvoirs publics ne disposent pas de moyens d'action que dans le cadre de la prévention tertiaire, c'est-à-dire en matière de reconnaissance de l'imputabilité des pathologies au service, mais aussi dans celui de la prévention primaire et secondaire.

a) La prévention primaire : limiter l'exposition aux facteurs de risques

La prochaine mise sur le marché du nouveau modèle de cagoule filtrante devrait creuser les disparités en matière de protection individuelle, dans la mesure où son acquisition relèvera de chaque Sdis. Une telle situation serait inacceptable, compte tenu des sacrifices consentis par les soldats du feu, qui sont exposés aux mêmes risques lorsqu'ils inhalent des fumées quel que soit leur département.

Les rapporteures invitent donc l'État à accorder aux Sdis une dotation exceptionnelle destinée à assurer leur équipement en cagoules de nouvelle génération, plus largement en EPI dont l'efficacité est prouvée scientifiquement. Cette aide pourrait s'inscrire dans le cadre de la dotation de soutien à l'investissement structurant des services d'incendie et de secours, attribuée par le ministre de l'intérieur pour une dépense d'investissement intervenant dans le champ de la sécurité civile et concourant à la mise en oeuvre de projets présentant un caractère structurant, innovant ou d'intérêt national76(*).

Proposition n° 6 : Accorder aux Sdis une dotation exceptionnelle destinée à l'acquisition du nouveau modèle de cagoules filtrantes et d'EPI dont l'efficacité est prouvée scientifiquement.

Il paraît également nécessaire d'inviter les fabricants d'ARI à investir dans l'innovation afin de produire des équipements plus adaptés à la morphologie de leurs porteurs, moins lourds et encombrants.

b) La prévention secondaire : dépister les pathologies le plus précocement possible

L'objet de la prévention secondaire réside dans le dépistage précoce des pathologies. La problématique de la désertification médicale constitue certes une difficulté majeure limitant l'accès de tous à la médecine préventive et doit être appréhendée dans un cadre plus large que celui de la présente mission d'information.

En tout état de cause, considérant les enjeux spécifiques à l'exercice d'une activité de sapeur-pompier en termes de risques professionnels, il paraîtrait judicieux de mettre en place, à intervalles réguliers, des programmes nationaux de surveillance médicale spécifiques comprenant des examens de dépistage précoce des cancers dont le lien avec ces fonctions est établi, comme le préconise le Groupement syndical national des sapeurs-pompiers volontaires (GSNSPV).

Au surplus, il paraîtrait judicieux de renforcer le suivi post-professionnel des sapeurs-pompiers en obligeant les Sdis à proposer tous les cinq ans à leurs retraités une visite de contrôle réalisée par un médecin de sapeurs-pompiers.

Les données collectées dans ce cadre pourraient ensuite alimenter un Observatoire de la santé des sapeurs-pompiers, qui serait chargé de les analyser sur le long-terme et de formuler des propositions tendant à limiter l'exposition aux facteurs de risques et à mieux réparer leurs conséquences.

Proposition n° 7 : Mener des programmes nationaux de surveillance médicale dédiés aux sapeurs-pompiers à des fins de dépistage des cancers et de collecte de données épidémiologiques.

Proposition n° 8 : Renforcer le suivi post-professionnel en obligeant les Sdis à proposer aux sapeurs-pompiers retraités une visite médicale de contrôle tous les cinq ans.

Proposition n° 9 : Installer un Observatoire de la santé des sapeurs-pompiers chargé d'analyser les données épidémiologiques disponibles et de proposer des mesures visant à renforcer la protection des agents.

De surcroît, l'amélioration du niveau de connaissance et la sensibilisation des médecins et infirmiers de sapeurs-pompiers en matière de reconnaissance des maladies professionnelles est indispensable. L'Anamnesis suggère dès lors d'assurer une meilleure formation77(*), qui, sans chercher à les spécialiser en médecine du travail, leur permettrait d'en acquérir les principes généraux, les bases réglementaires et les modes d'application dans le contexte spécifique de l'exercice des fonctions de sapeur-pompier.

Proposition n° 10 : Renforcer la formation des médecins et infirmiers de sapeurs-pompiers en médecine du travail.

De façon générale, les rapporteures souhaiteraient que les sapeurs-pompiers soient systématiquement informés des risques induits par cette activité dès leur première visite d'aptitude, et ce afin de leur permettre de prendre conscience qu'ils doivent être les premiers acteurs de la protection de leur santé.


* 76 Article L. 1424-36-2 du code général des collectivités territoriales.

* 77 Arrêté du 16 août 2004 relatif aux formations des médecins, pharmaciens et infirmiers de sapeurs-pompiers professionnels.

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