B. INTÉGRER PLEINEMENT LES ENJEUX FINANCIERS AUX INVESTIGATIONS JUDICIAIRES

1. Faire du volet patrimonial et financier un incontournable de la lutte contre le narcotrafic
a) Systématiser les enquêtes patrimoniales

Dans le cadre de son plan national de mobilisation contre les addictions pour la période 2018-2022, la Mildeca avait recommandé de « systématiser l'approche patrimoniale dans toute procédure de trafic de stupéfiants »901(*). Si la recommandation a disparu en ces termes de la stratégie interministérielle pour la période 2023-2027902(*), ce n'est absolument pas parce que cet objectif a été atteint. Au contraire, comme cela a été rappelé, les enquêtes patrimoniales sont encore trop rares dans les dossiers de trafic de stupéfiants, en dépit des instructions données en ce sens aux services d'enquête et aux magistrats.

Ainsi, au regard de l'ampleur des flux financiers liés au trafic de stupéfiants et du caractère dolosif des saisies et des pénalités financières pour les acteurs du narcotrafic, la commission d'enquête propose que les enquêtes patrimoniales approfondies deviennent un automatisme.

De telles enquêtes présentent en effet trois avantages903(*), permettant de :

· disposer d'une connaissance exhaustive du patrimoine des trafiquants ;

· pouvoir en conséquence procéder à des saisies et des confiscations étendues, les poursuites sous le chef de trafic de stupéfiants permettant de saisir l'entier patrimoine du mis en cause ;

· pouvoir ainsi assécher les circuits financiers qui permettent aux trafiquants de stupéfiants de faire perdurer le trafic.

La systématisation des enquêtes patrimoniales doit en conséquence permettre de rehausser le nombre et le volume des confiscations, en établissant de manière bien plus exhaustive les liens entre le patrimoine du narcotrafiquant et son trafic de stupéfiants. L'enquête patrimoniale prend d'autant plus de sens dans la lutte contre le trafic de stupéfiants que ce dernier fait partie des infractions pour lesquelles la saisie et la confiscation de l'entier patrimoine du mis en cause sont possibles.

Si elle est appelée de ses voeux par l'ensemble des acteurs rencontrés par la commission d'enquête, la systématisation des enquêtes patrimoniales nécessite par définition un renfort des effectifs et de l'expertise financière dans les services d'enquête. Il ne suffit pas de dire que les officiers de police judiciaire peuvent réaliser des enquêtes patrimoniales aux fins d'identification des avoirs criminels904(*) pour qu'ils puissent effectivement le faire. Sans la mobilisation de moyens supplémentaires, le Gouvernement en resterait à un voeu pieux et la situation serait insoutenable pour les forces de l'ordre comme pour les magistrats.

b) Renforcer l'expertise financière dans les services d'enquête et dans les juridictions

L'expertise financière doit être pleinement intégrée à toutes les investigations sur la criminalité organisée, et les moyens alloués être à la hauteur des ambitions affichées. La filière « financière » souffre et les enquêteurs la désertent, faute de soutien. Il faut mettre un terme à cette tendance : l'assèchement des capacités financières des organisations criminelles doit prendre le pas sur l'assèchement des moyens dévolus aux enquêtes financières.

Les renforts humains vont de pair avec la formation, une nécessité ressentie même au sein des cellules des offices centraux, pourtant plus spécialisées. Ainsi les membres de la cellule financière du pôle opérationnel de l'Ofast expriment le besoin d'une montée en compétence technique, par des formations qualifiantes905(*). Ce constat peut être généralisé à l'ensemble des forces de sécurité intérieure et des magistrats ayant à connaître de dossiers liés au blanchiment et au trafic de stupéfiants : la formation initiale et continue doit être développée et les contenus adaptés aux nouveaux schémas de fraude, tels que les cryptoactifs.

En outre, et qu'importe les évolutions législatives apportées au régime des saisies et des confiscations, les résultats n'atteindront pas leur plein potentiel si, d'une part, les enquêteurs ne sont pas mieux formés, notamment pour s'appuyer sur les bons fondements juridiques et, d'autre part, si les juridictions elles-mêmes ne bénéficient pas d'un renfort de leurs moyens, à la fois en magistrats et en assistants spécialisés, ainsi que d'une formation accrue à ces enjeux. L'Agrasc relève ainsi que les juridictions qui bénéficient du soutien d'assistants spécialisés ou de juristes assistants assurant la formalisation et le suivi des décisions de saisies pénales sont plus dynamiques en matière de saisies et de confiscations906(*).

Enfin, au renforcement de l'expertise financière des services d'enquête s'ajoute la nécessité d'une acculturation aux investigations financières. Cartographier les flux, les déceler et les suivre reviennent à s'intéresser à un autre « angle d'attaque » contre le narcotrafic, celui des flux financiers. Or, en France, si les services d'enquête essayent de saisir l'argent dans le but de le confisquer, « le démantèlement d'un réseau à partir non des produits interdits mais des flux financiers est peu développé »907(*). Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bayonne, Jérôme Bourrier, explique ce constat par le fait que « dans les services spécialisés de lutte antistupéfiants, comme l'Ofast, il y a une notion de plaisir dans le travail : le policier enquêteur qui “fait des stups” aime trouver des produits, faire de grosses saisies, interpeller des équipes ou des convois armés »908(*).

Un changement d'approche est donc nécessaire, à tous les niveaux ; « c'est l'affaire de tous les enquêteurs de police judiciaire. Chacun doit avoir le réflexe et la capacité, à son niveau, sans avoir recours aux GIR, de procéder à des mesures de saisie d'avoirs criminels lors des enquêtes »909(*). Pour résumer, l'argent doit être traité comme le produit.

c) Exploiter chaque information disponible

Le mécanisme de partage d'informations entre Tracfin et l'autorité judiciaire vise à s'assurer que les données pertinentes pour la lutte contre les circuits financiers clandestins puissent être pleinement exploitées. La commission d'enquête propose d'aller au bout de cette logique en instaurant une procédure complémentaire d'enquête administrative ou judiciaire post-sentencielle : les dossiers de trafics de stupéfiants pourraient faire l'objet d'une enquête sur le patrimoine du mis en cause et ses proches après sa condamnation, et même si aucune saisie n'a été effectuée antérieurement au procès.

Cette procédure viendrait donc en complément de la systématisation de l'enquête patrimoniale, qui doit être prioritaire. Néanmoins, la mise en oeuvre de cette enquête post-sentencielle permettrait de s'assurer qu'aucune information n'est « perdue ».

Sur un plan technique, la commission d'enquête considère que pourrait être étudiée l'ouverture aux officiers de police judiciaire dûment habilités à cet effet de l'accès au fichier informatisé des données juridiques immobilières (FIDJI). Le FIDJI fait en effet partie des fichiers administrés par la DGFiP dont l'accès n'a pas été octroyé aux OPJ, au contraire de Ficoba (comptes bancaires et assimilés), Ficovie (assurance vie et contrats de capitalisation), Patrim (estimation des biens immobiliers) ou BNDP (base de données patrimoniales). L'élargissement des droits d'accès au système d'immatriculation des véhicules (SIV) doit également être envisagé : les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale ainsi que les services douaniers ne peuvent actuellement y avoir accès que dans le cadre de contrôles routiers. Or, les informations de ce fichier pourraient être exploitées dans le cadre d'enquêtes patrimoniales ou fiscales, pour déceler par exemple un écart entre les revenus déclarés et les possessions matérielles, en l'occurrence des véhicules de luxe.

d) Autoriser la fermeture administrative des lessiveuses et lutter contre le travail dissimulé

Ainsi que cela a été rappelé, les mécanismes de compensation, dont l'hawala, et le « blanchiment territorial » font partie des schémas les plus fréquemment utilisés pour blanchir des fonds acquis illégalement. L'une des stratégies déployées par les services de renseignement et d'enquête consiste donc à détecter les commerces qui peuvent participer à ces transactions et servir de lessiveuses910(*).

Il faut parvenir à casser les liens troubles entre l'économie légale et l'économie illégale et le Gouvernement doit y être prêt : on peut légitimement se demander si la faiblesse de la lutte contre le volet financier du narcotrafic ne répond pas parfois à une logique « socio-économique », pour éviter de déstabiliser des milliers d'entreprises ou de commerces locaux. Pourtant, ces « facilitateurs » doivent eux aussi être poursuivis et entravés : en se nourrissant de l'argent liquide du narcotrafic, pour rémunérer leurs salariés non déclarés, ils contribuent à entretenir des organisations criminelles déstabilisatrices et mortifères.

Pour identifier ces entreprises, la coopération avec les comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf) est essentielle, puisqu'ils sont en première ligne pour lutter contre le recyclage de fonds d'origine illicite par les entreprises. De même, les élus locaux constituent dans ce domaine une riche source d'informations, avec une connaissance approfondie du tissu économique local.

La commission d'enquête propose donc d'autoriser la fermeture administrative d'une « lessiveuse », sur arrêté préfectoral, en lien avec l'ensemble des acteurs impliqués dans la lutte contre le narcotrafic et contre le blanchiment des flux illicites - y compris sur proposition des maires, comme on l'a détaillé supra. Un dispositif proche a été voté en Belgique à la fin de l'année 2023 : l'approche administrative doit permettre aux communes, après une enquête sur la création ou le fonctionnement d'un établissement accessible au public, de pouvoir demander sa fermeture, après avis de la direction chargée de l'évaluation de l'intégrité des pouvoirs publics.

De même la lutte contre le travail dissimulé doit constituer une priorité : le blanchiment du trafic de proximité repose en grande partie sur un échange de « bons procédés » entre une organisation criminelle qui cherche à dissimuler l'origine de ses fonds et une entreprise qui recherche de la liquidité pour rémunérer ses travailleurs non déclarés. En 2023, 1,17 milliard d'euros ont été mis en redressement sur ce motif, pour seulement 80 millions d'euros de recouvrés, ce qui est extrêmement faible. La commission d'enquête ne peut que déplorer la communication du Gouvernement, qui s'est empressé de se vanter de résultats historiques : or, si les sommes ne sont pas recouvrées, la sanction est indolore pour des entreprises qui ont pourtant tiré profit du narcotrafic.

e) Adopter une approche « globale »

Dès 2019, le tribunal judiciaire de Grenoble avait insisté sur la nécessité, à défaut de parvenir à obtenir le placement en détention des trafiquants, de perturber le plus possible leur quotidien pour compliquer leur trafic.

La commission d'enquête soutient ce pragmatisme : à Grenoble, cela s'était traduit par :

a) l'identification et le contrôle des commerces, soit parce qu'ils facilitent le trafic, soit parce qu'ils en blanchissent le chiffre d'affaires ;

b) un partenariat renforcé avec la direction départementale des finances publiques pour faciliter la saisie des véhicules et des biens immobiliers ;

c) un partenariat renforcé avec la caisse d'allocations familiales ;

d) un travail avec les bailleurs sociaux.

Pour autant, le parquet ne négligeait pas les mesures répressives, avec un contrôle accru des trafiquants incarcérés, une politique pénale de réquisition systématique d'interdiction de séjour et le développement de techniques d'enquête plus complexes (coups d'achat, recours à la présomption de blanchiment, sollicitation de Tracfin aux fins de criblage des individus ciblés).

Sur ce modèle, et au-delà de cet exemple, la commission d'enquête défend une « approche globale » du patrimoine du trafiquant et de ses proches. Dans ce cadre, la coordination avec la direction générale des finances publiques ne doit pas être négligée, et ce sur deux aspects :

· le contrôle fiscal, avec l'usage systématique des procédures ouvertes à la DGFiP, telles que la présomption de revenus et la taxation selon les éléments de train de vie911(*). À cet égard, la liste des éléments de train de vie pourrait être complétée, pour inclure du mobilier de luxe, les bateaux ou encore l'habillement de luxe. La transmission par les officiers et les agents de police judiciaire des informations recueillies dans les procédures judiciaires et susceptibles de comporter une implication de nature financière ou fiscale doit devenir un automatisme912(*) ;

· le recouvrement des créances de l'État. La commission d'enquête est favorable à ce que les conventions partenariales relatives à la saisie des espèces sur les personnes gardées à vue puissent être étendues à d'autres créances que les amendes forfaitaires ou pénales. Autre voie d'action pour la DGFiP, l'autorité judiciaire doit être incitée à informer l'administration fiscale913(*) le plus en amont possible des dossiers susceptibles de confiscation ou des dossiers ayant procuré un profit significatif au délinquant afin que la DGFiP puisse constituer sa créance en temps utile et être en mesure de bénéficier des restitutions judiciaires. Ainsi, alors que les trafiquants portent atteinte, par leurs activités, aux deniers publics, tous les moyens existants doivent être pleinement actionnés pour qu'ils s'acquittent eux aussi de leurs obligations fiscales.

L'approche défendue par la commission d'enquête inclut également un partenariat avec les caisses d'allocations familiales (CAF)914(*). Les jugements correctionnels, qui permettent par exemple de faire état d'un enrichissement indu de la part d'un individu, doivent être transmis aux CAF, qui tiendront compte de ces revenus non déclarés pour réviser les allocations versées à l'individu condamné. Plus généralement, la Mildeca avait recommandé, dans le cadre de son plan national de mobilisation contre les addictions pour la période 2018-2022, de « s'assurer du remboursement des droits sociaux illégalement perçus »915(*). La recommandation n'a pas été reprise dans la stratégie interministérielle pour la période 2023-2027, ce qui est difficilement compréhensible : la commission d'enquête souhaite ainsi la reprendre et la défendre, car elle est indissociable du déploiement de cette « approche globale » du patrimoine des trafiquants.

Enfin, une action en parallèle de l'Urssaf est indispensable : l'argent liquide du narcotrafic constitue l'un des premiers vecteurs de financement du travail dissimulé par des entreprises légales. En parallèle, les contrôles fiscaux doivent être systématiques pour les entreprises soupçonnées d'avoir dissimulé leurs revenus ou falsifié leur chiffre d'affaires en blanchissant l'argent du narcotrafic. Une approche décloisonnée de la criminalité organisée doit également être privilégiée : dans de nombreuses villes, les points de « recrutement » des travailleurs journaliers sont bien connus et ils peuvent être facilement suivis jusqu'aux chantiers - dans une action alliant à la fois les inspecteurs du travail et les services de voie publique916(*).

2. Mettre fin à la sédimentation et s'interroger sur le bon « format » pour traiter des enjeux financiers
a) Rationaliser les acteurs en présence
(1) Une interrogation sur le devenir des GIR

La commission d'enquête s'est longuement interrogée sur la place des groupes interministériels de recherche (GIR), dont l'efficacité pour lutter contre les schémas complexes de blanchiment et investir le volet patrimonial des enquêtes apparaît parfois limitée. Les GIR ne peuvent pas se permettre de s'engager dans la détection des circuits de blanchiment, un processus trop long et trop consommateur en effectifs.

La future doctrine d'intervention des GIR917(*) devrait rappeler que la finalité de l'action des GIR ne saurait être réduite à l'identification et à la saisie des avoirs criminels, même s'ils ont vocation à conserver leurs compétences en matière d'enquête patrimoniale. Il est difficile de comprendre ce qu'implique concrètement cette orientation pour les GIR et, surtout, pour les services d'enquête avec lesquels ils interviennent en co-saisine. Alors qu'il est reproché aux GIR de se contenter le plus souvent d'une vision « statique » du patrimoine et des flux, il reste à démontrer que cette nouvelle orientation se traduira par une attention accrue à l'appréhension des circuits financiers et donc, in fine, des avoirs criminels.

Par ailleurs, si les GIR veulent conserver leur crédibilité en tant que catalyseurs de l'approche interministérielle des enquêtes financières et patrimoniales, il serait sans doute temps que le comité interministériel stratégique se réunisse de nouveau918(*). Une réunion serait prévue en 2024, soit 13 ans après la dernière, un calendrier curieux pour une instance de pilotage et de coordination, sur un sujet de surcroît présenté comme prioritaire par le Gouvernement.

(2) Privilégier des cellules spécialisées ?

La lutte contre le blanchiment des flux illicites liés au narcotrafic et les enquêtes patrimoniales sur les trafiquants sont complexes et longues, et le seul moyen de mettre à jour les schémas utilisés et de pouvoir véritablement entraver la puissance financière des organisations criminelles est de recourir à des techniques spéciales d'enquête. Or, les GIR ne disposent ni des moyens ni des effectifs nécessaires pour intervenir sur le « moyen » spectre et remonter les filières. Les enquêtes en question sont réalisées par des services spécialisés, qui croulent déjà sous le volume de leurs dossiers.

Le rapporteur de la commission d'enquête privilégie donc davantage un modèle dans lequel des « cellules » dédiées aux volets financier et patrimonial seraient présentes dans chacun des services d'enquête (police, gendarmerie, Ofast), à l'instar de l'expérimentation d'une cellule spécialement dédiée au blanchiment au sein des antennes de l'Ofast au Havre et à Marseille. La présence d'une unité dédiée aux questions financières au sein de chaque compagnie de gendarmerie ou service de police judiciaire permettrait de traiter les dossiers du spectre intermédiaire, aujourd'hui délaissé, alors même qu'il peut permettre de faire le lien avec les têtes de réseaux.

Ces cellules pourraient bénéficier de l'appui de services d'enquête spécialisés ou des cellules d'offices centraux (cellule financière du pôle opérationnel de l'Ofast, Office central pour la répression de la grande délinquance financière, Office national anti-fraude) et regrouper en leur sein, dans des « pools » d'expertise situés en service de police judiciaire, les effectifs de la DGFiP aujourd'hui affectés dans les groupes régionaux des enquêtes économiques (Gree), dans les GIR ou dans les BQS. Ces agents jouent un rôle clé dans les enquêtes sur les environnements patrimoniaux et financiers et peuvent également accéder aux applicatifs de la DGFiP.

Une réflexion similaire devrait également être engagée sur la multiplicité des offices, cellules, plateformes, brigades centrales compétentes en matière de lutte contre le blanchiment et d'identification des avoirs criminels. Une première étape, suggérée en 2019919(*), serait de confier une compétence exclusive à l'Agrasc en tant que bureau de recouvrement des avoirs, pour la coopération avec les autorités étrangères. Une organisation unifiée serait plus à même de répondre aux défis posés par l'internationalisation de la criminalité organisée.

Le rapporteur a bien conscience du travail de rationalisation qu'il faudra mener, que ce soit pour harmoniser les emprises territoriales entre administrations ou pour remédier aux doublons. Il est toutefois impératif de clarifier et de simplifier le paysage français pour les enquêtes patrimoniales et financières : déjà que nos services manquent de moyens dans ce domaine, évitons de les éparpiller.

S'agissant de la problématique de la formation, la commission d'enquête s'est intéressée à la réponse apportée par la gendarmerie nationale, avec la mise en place, au sein de la sous-direction de la police judiciaire, d'une task-force Défi (délinquance économique et financière) composée d'une quinzaine de réservistes opérationnels exerçant des professions dans le milieu économique et financier avec un très haut niveau de technicité. Les réservistes peuvent appuyer les enquêteurs dans leurs investigations dès lors que celles-ci nécessitent une approche économique et/ou financière spécialisée. Ce modèle gagnerait à être répliqué, au-delà des équipes dédiées au sein des offices centraux.

b) Développer des groupes inspirés du Colbac-S marseillais

En complément de la partie « enquête », se pose également la question de la coordination des services concourant à la lutte contre le blanchiment des fonds. Le Colbac-S marseillais, son organisation, son agilité et ses résultats ont laissé une forte impression à la commission d'enquête. Ce modèle de structure ad hoc lui semble devoir être développé dans l'ensemble des juridictions, sous l'égide du parquet. Il permet :

· d'échanger des informations et donc d'appeler la vigilance des services sur certaines thématiques ;

· de déterminer des cibles prioritaires. Dans l'un des quatre dossiers ouverts à la suite d'une réunion du Colbac-S, 15 personnes ont été interpellées, 285 000 euros ont été saisis et 45 kilogrammes de cocaïne ;

· d'élaborer des stratégies d'investigations, par exemple en reprenant et en traitant des infractions financières quasiment révélées par les investigations dans les dossiers d'information judiciaire mais non traitées ;

· de positionner les services d'enquête sur certaines cibles. Le Colbac-S peut pour ce faire s'appuyer sur une évaluation préalable des capacités d'enquête des services ;

· et de pouvoir reprendre sous l'angle du blanchiment ou de la non-justification de ressources des dossiers déjà jugés par le tribunal correctionnel. Ce point est essentiel et peut-être rattaché à la proposition de la commission d'enquête relative à l'enquête post-sentencielle. Le Colbac-S identifie le meilleur axe de traitement entre les enquêtes administratives et le judiciaire.

D'une certaine façon, il s'agira de « pilonner » les dossiers identifiés comme prioritaires pour parvenir à remonter les filières et à assécher la puissance financière des narcotrafiquants et de leurs organisations.

Recommandation n° 32 de la commission d'enquête : intégrer pleinement les enjeux financiers aux investigations judiciaires :

· Systématiser les enquêtes patrimoniales ;

· Renforcer l'expertise financière dans les services d'enquête et dans les juridictions, en accroissant les moyens humains et les efforts de formation ;

· Créer une enquête post-sentencielle sur le patrimoine de la personne condamnée pour trafic de stupéfiants ainsi que sur celui de ses proches ;

· Faciliter l'accès au fichier informatisé des données juridiques immobilières et au système d'immatriculation des véhicules ;

· Autoriser la fermeture administrative des « lessiveuses », sur arrêté préfectoral ;

· Adopter une approche « globale » intégrant à la fois le contrôle fiscal, le recouvrement des créances publiques et la lutte contre la fraude sociale et le travail dissimulé ;

· Mettre fin à la sédimentation des acteurs en privilégiant des unités dédiées dans les services d'enquête et une coordination sur le modèle du « Colbac-S » de Marseille.


* 901 Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, «  Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 ».

* 902 Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, «  Stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023-2027 ».

* 903 Réponse de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués au questionnaire du rapporteur.

* 904 Article 1er bis A de la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels ( dossier législatif).

* 905 Selon les éléments transmis par l'Office antistupéfiants à la suite du contrôle sur place de la commission d'enquête, le 23 janvier 2024.

* 906 D'après les éléments transmis par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 907 Propos de Jérôme Bourrier, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bayonne, lors de la table ronde des parquets situés en zone rurale, 15 janvier 2024.

* 908 Ibid.

* 909 Audition de Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, 18 mars 2024.

* 910 Ils s'appuient pour cela sur des critères de détection, qui matérialisent un faisceau d'indice.

* 911 Respectivement prévues aux articles 1649 quater-0 B bis et 1649 quater-0 B ter du code général des impôts.

* 912 Juridiquement, cette transmission et sa réciprocité sont autorisées par l'article L. 135 L du livre des procédures fiscales.

* 913 Les articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales constituent des dérogations au secret de l'enquête et de l'instruction en permettant au ministère public et plus généralement à l'autorité judiciaire de transmettre à l'administration fiscale tout dossier ou indication à l'occasion de toute procédure judiciaire de nature à laisser présumer une fraude fiscale ou une simple manoeuvre ayant pour objet une fraude fiscale.

* 914 Une pratique développée par le tribunal judiciaire de Grenoble et signalée comme une « bonne pratique » par la direction des affaires criminelles et des grâces.

* 915 Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, «  Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 ».

* 916 Droit et pratique de la lutte contre la criminalité organisée, sous la direction de Damien Brunet, avril 2024.

* 917 Dont un projet a été transmis au rapporteur.

* 918 Le comité serait présidé par le ministre de l'intérieur et des outre-mer et le garde des sceaux. Il associerait le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

* 919 Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner, rapport remis au Gouvernement en 2019 par les députés Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann.

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