B. GARANTIR LA ROBUSTESSE DES INFRASTRUCTURES

Si la sécurisation des grandes infrastructures portuaires a largement progressé ces deux dernières décennies, notamment sous l'impulsion des États-Unis et dans le cadre de la lutte anti-terroriste692(*), d'importantes marges d'amélioration demeurent. Les enjeux de sûreté portuaire se caractérisent par ailleurs par une sorte de « compétence partagée » des autorités publiques et des exploitants privés des infrastructures.

L'évaluation de la sûreté des installations portuaires

L'évaluation de sûreté des installations portuaires est établie par le représentant de l'État dans le département, le cas échéant avec le concours d'un organisme de sûreté habilité. Elle est approuvée pour une durée de cinq ans maximum. L'évaluation de sûreté recense les menaces identifiées et détermine les mesures permettant de les prévenir.

L'exploitant de l'installation est ensuite responsable de la mise en oeuvre du plan de sûreté de l'installation portuaire, plan mis en place dans un délai de six mois à compter de l'évaluation. Le ministre chargé des transports ou le représentant de l'État dans le département peut toutefois vérifier à tout moment la conformité du plan de sûreté de l'installation portuaire à la réglementation en vigueur ainsi que l'application effective des mesures qu'il contient et le degré de sûreté réellement assuré dans l'installation, au moyen d'un audit, éventuellement inopiné, réalisé par les services de l'État ou par un organisme de sûreté habilité.

Source : section 4 du chapitre II du titre III du livre III de la cinquième partie de la partie réglementaire du code des transports

Étonnée que le futur plan de lutte contre les stupéfiants se contente d'appeler à renforcer les actions dans les ports maritimes métropolitains et ultramarins, la commission d'enquête propose plusieurs mesures précises pour concrétiser cet engagement et assurer la résilience des infrastructures portuaires.

1. « Étanchéiser » les zones portuaires
a) Mieux contrôler les personnels intervenant dans les zones portuaires

Les préfets disposent d'un outil puissant pour étanchéiser les installations portuaires : la classification en zones d'accès restreint (ZAR).

Les zones d'accès restreint

Le représentant de l'État dans le département peut par arrêté créer une ou plusieurs zones à accès restreint (ZAR) dans toute installation portuaire, après avis de l'exploitant de l'installation et de l'autorité portuaire et des services de l'État territorialement compétents qui concourent à la sûreté portuaire. Il revient au représentant de l'État d'arrêter, pour chaque ZAR, les conditions particulières d'accès, de circulation et de stationnement des personnes, de leurs bagages, des véhicules et des marchandises ainsi que les modalités de signalisation correspondantes. L'arrêté fixe également le taux de contrôle applicable à chaque catégorie de personnel ayant accès à la ZAR.

Dans une ZAR, la circulation des personnes est subordonnée à la détention d'un document d'identité et d'un titre de circulation ; celle des véhicules à la détention d'un laissez-passer (à l'exception des véhicules sérigraphiés utilisés par la police, la gendarmerie et la douane) ; celle des colis et marchandises à la détention d'un justificatif d'accès ou de transit.

Les personnes, véhicules, unités de transport intermodal, marchandises, bagages, colis et autres biens pénétrant ou se trouvant dans une ZAR sont soumis à inspection-filtrage. Les espaces et locaux situés dans une ZAR font quant à eux l'objet d'une surveillance, à l'exception des locaux d'habitation, privés et syndicaux.

Source : section 5 du chapitre II du titre III du livre III de la cinquième partie des parties législative et réglementaire du code des transports

Au Havre, les magistrats de la Jirs de Lille estiment qu'au regard des vulnérabilités portuaires, la classification en zone d'accès restreint doit être étendue693(*). Plus généralement, de telles zones doivent être mises en place dans l'ensemble des infrastructures portuaires principales et secondaires de France, en parallèle du déploiement de la vidéosurveillance et du contrôle des accès. Les endroits les plus sensibles, au moment du déchargement des conteneurs par exemple, doivent pouvoir être visibles et surveillés, pour identifier les tentatives de rip-off (sacs de stupéfiants « arrachés » des conteneurs à l'arrivée).

La question des badges est elle aussi très sensible : un badge est un droit d'accès, un droit à ne plus « être contrôlé » une fois l'enceinte du port pénétrée. De fait, de nombreux personnels sont approchés par des organisations criminelles qui souhaitent obtenir ce sésame. Le système technologique a été renforcé au Havre, mais pas encore dans tous les ports, et aucun dispositif biométrique n'a été mis en place - à l'exception de quelques locaux très sensibles. Le déploiement de badges sécurisés, robustes au prisme des standards de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi) est une priorité pour l'ensemble des enceintes portuaires, avec une modulation des droits d'accès de ces badges en fonction des missions de chacun des intervenants sur la plateforme portuaire.

Dans le cadre des audits menés par la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) sur les dispositifs de sûreté des ports, les badges, la vidéosurveillance et les formations font partie des problématiques les plus fréquentes. La douane est désormais associée à ces audits portuaires, dans l'objectif de disposer d'un regard un peu plus orienté sur la lutte contre les trafics.

Par ailleurs, au regard de l'ensemble des éléments évoqués précédemment, la commission d'enquête soutient également le criblage des personnes amenées à intervenir sur le port, avec la réalisation systématique d'enquêtes administratives de sécurité, préalable à l'octroi d'une autorisation pour accéder aux installations portuaires sensibles. La commission interministérielle de sûreté maritime et portuaire (Cismap) a défendu cette même recommandation, les enquêtes étant confiées au service national des enquêtes administratives de sécurité (Sneas). Si la recommandation de la Cismap est désormais suivie d'effets dans la totalité ou presque des installations portuaires avec une activité « conteneurs » et pour les habilitations à accéder aux ZAR, les enquêtes pourraient être actualisées chaque année et concerner autant les personnels permanents que les personnels temporaires, les personnels publics que les personnels privés694(*).

La prévention et la lutte contre la corruption, abordées un peu plus en amont par le rapporteur, sont bien entendu également cruciales pour sécuriser les infrastructures portuaires. Au-delà de la corruption, il s'agit également de continuer à diffuser une « culture de la sûreté » : il n'est pas acceptable que les douaniers ne puissent pas cibler un conteneur sans que l'ensemble des salariés intervenant sur le port ne soient prévenus (klaxon, téléphone) ou ne puissent plus procéder à des livraisons surveillées depuis le port, faute de disposer des garanties nécessaires quant à la confidentialité des opérations.

Enfin, sur le modèle de la Belgique, il pourrait être envisagé de permettre aux juridictions de prononcer une peine complémentaire d'interdiction de paraître dans les enceintes portuaires. Depuis 2021, 86 interdictions ont été prononcées par les juridictions belges, pour des durées allant jusqu'à 20 ans695(*).

b) Remédier aux failles du système « TCT »

Un système original a été mis en place dans le port du Havre pour limiter les récupérations de conteneurs par les organisations criminelles : le Token code for trucker (TCT), effectif depuis le 1er mars 2023. Ce code est généré automatiquement au moment où le donneur d'ordre (le responsable de l'acheminement routier de la marchandise) demande une autorisation de sortie, le code étant ensuite transmis par le donneur d'ordre au transporteur. Ce dernier doit ensuite le donner à la porte du terminal pour pouvoir y avoir accès. Ce système s'ajoute à la « procédure rendez-vous », qui exige des transporteurs d'avoir préalablement réservé un créneau de chargement sur le terminal pour chaque conteneur qu'ils viennent récupérer.

Si le système TCT participe indéniablement de la sécurisation de l'infrastructure portuaire du Havre, il n'est pas exempt de failles :

· les donneurs d'ordre (c'est-à-dire l'entreprise propriétaire de la marchandise ou qui gère l'acheminement du conteneur) doivent être sensibilisés aux enjeux de sécurité et à la raison d'être du TCT. Certains donneurs d'ordre utilisaient par exemple des alias d'adresses électroniques : le code d'identification, unique et confidentiel, était alors envoyé à des centaines de personnes ;

· les narcotrafiquants obtiennent frauduleusement le numéro unique du conteneur qui transporte les produits, le TCT étant associé au numéro d'immatriculation du conteneur. Les récupérateurs usurpent ensuite l'identité de la société destinataire pour faire sortir le conteneur de l'enceinte portuaire.

Pour autant, les personnes rencontrées par la commission d'enquête dans le cadre de son déplacement au Havre ont toutes souligné l'apport que constitue le système TCT, qui devrait donc pouvoir être généralisé sur l'ensemble des procédures portuaires, une fois que leurs enceintes auront été sécurisées.

Ce système a permis de contrecarrer une pratique très usitée des récupérateurs, à savoir surveiller le statut logistique et douanier des marchandises auxquelles sont mêlés les produits stupéfiants - via le Container Tracking & Ports (public) ou des complicités internes - et, dès que le conteneur a obtenu tous les feux verts nécessaires à sa sortie, se présenter sur le terminal pour récupérer le conteneur en lieu et place du transporteur missionné à cet effet. Une prochaine étape, mais qui rejoint la problématique évoquée sur les badges, serait d'associer la biométrie à ce code, à l'instar du modèle adopté sur le port d'Anvers, avec l'Alfapass.

c) Brider et débrider les drones

Il arrive de plus en plus que des drones soient utilisés par des organisations criminelles et par les récupérateurs des produits stupéfiants pour surveiller le port, l'arrivée des marchandises, les flux de personnels et l'action des douaniers, et s'assurer par exemple qu'aucun dispositif de surveillance n'a été mis en place. Pour remédier à cette fragilité, la commission d'enquête propose qu'il soit possible de brider les drones au-dessus des ports, à l'instar de ce qui est prévu pour le survol des établissements pénitentiaires.

Une problématique quasiment inverse se pose pour l'utilisation des drones dont dispose la DNGCD, dans le cadre de son centre d'expertise. Ces drones peuvent être utilisés pour surveiller les plateformes portuaires (mouvements suspects d'individus et de marchandises, signature thermique des conteneurs et des navires, activités de contrebande). Ainsi que l'a expliqué la DNGCD à la commission d'enquête696(*), la réglementation impose cependant qu'un arrêté préfectoral autorise la DNGCD à capter des images avec ses drones. Or, les arrêtés sont par définition publics et les organisations criminelles peuvent facilement en prendre connaissance et connaître des modalités de déploiement des drones. Des ajustements sur leur contenu pourraient être étudiés.

2. Faciliter le signalement des comportements suspects dans les ports

La sûreté portuaire implique une vigilance constante de l'ensemble des acteurs amenés à intervenir dans ce type d'infrastructures, que ces acteurs soient publics (membres des forces de l'ordre, douaniers) ou privés (exploitant du port, dockers, intermédiaires et intervenants ponctuels). Ainsi que l'a rappelé le rapporteur, ces personnels constituent autant de points de compromission pour les organisations criminelles. Les milliers de personnes habilitées à intervenir sur un port peuvent donc faire face à des tentatives de corruption ou à des menaces. Par leur positionnement, elles peuvent également repérer des comportements suspects.

La mise en place d'un numéro ou d'une plateforme dédié(e) pourrait permettre de recueillir ces signalements, quitte à les anonymiser, afin de :

· pouvoir protéger les personnes ayant fait l'objet de menaces ou d'une tentative de corruption ;

· lancer des enquêtes judiciaires ou exploiter les informations en renseignement. Les signalements pourraient par exemple être exploités et enrichis dans le cadre de la cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants spécifiquement dédiée au portuaire (Cross portuaire), mise en place au mois de septembre 2021 ;

· participer au ciblage des contrôles douaniers.

La commission d'enquête soutient donc la mise en place d'un point de contact, en dépit de l'expérience décevante observée au Havre. Le numéro mis en place auprès de la police n'avait en effet reçu aucun signalement, alors même que plusieurs personnels portuaires ont fait l'objet de tentatives de corruption, de menaces voire de violences. La lutte contre le narcotrafic et la sécurité des personnels doivent véritablement devenir la priorité de tous : aucun « filtre » ne doit conduire à limiter ces signalements, dont la commission d'enquête a appris qu'ils étaient parfois soumis en amont à certaines organisations professionnelles.

L'expérience doit être retentée, mais cette fois-ci au niveau national - pour couvrir l'ensemble des ports métropolitains et ultramarins - et en élargissant les publics cibles, pour que quiconque ayant constaté des comportements suspects sur le port ou aux alentours du port puisse en référer au point de contact. Ce système permettrait d'harmoniser les différentes initiatives de procédures d'alerte locales déployées depuis le second semestre 2021 et encore mal connues ou peu utilisées.

Un système proche existe depuis le mois de mars 2024 en Belgique : le point de contact national Portwatch permet de signaler anonymement des activités suspectes dans un port, informations ensuite accessibles à la police judiciaire. Si le point de contact est ouvert à l'ensemble de la population, il vise en priorité les personnels de l'infrastructure portuaire.

Les Pays-Bas ont adopté une logique inverse, avec la mise en place en 2021 d'un dispositif permettant aux forces de l'ordre de signaler aux entreprises portuaires leurs suspicions quant à la corruption d'un agent portuaire. Un nombre non négligeable de signalements ont été transmis en 2021 et 2022 et ont tous été suivis du licenciement de l'agent portuaire concerné.

3. S'assurer de la résilience cyber des infrastructures portuaires

La cybersécurité a été pleinement intégrée à la stratégie nationale portuaire validée lors du comité interministériel de la mer du 22 janvier 2021, dont l'objectif stratégique n° 15 vise à « Assurer la résilience numérique des ports ». La transformation numérique des ports (digitalisation des flux logistiques, développement de services digitaux) a en effet augmenté l'exposition des acteurs portuaires aux cybermenaces. L'Agence de l'Union européenne pour la cybersécurité (Enisa) a recensé dix catégories d'impact possible pour les ports :

· l'arrêt des opérations ;

· une blessure ou un décès humains, un enlèvement ;

· le vol de données sensibles et critiques ;

· le vol de marchandises ;

· le trafic illégal ;

· les pertes et les coûts financiers ;

· la fraude et le vol d'argent ;

· les dommages ou destruction des systèmes ;

· la réputation ternie et la perte de compétitivité ;

· une catastrophe environnementale.

Les grands ports maritimes français relèvent de la catégorie des opérateurs de services essentiels (OSE) et, à ce titre, ils ont l'obligation d'identifier leurs systèmes d'information essentiels, de leur appliquer des mesures spécifiques de sécurité et de signaler à l'Anssi tous les incidents constatés. Lors de son audition, Didier Lallement, secrétaire général de la mer, a ainsi expliqué qu'il avait été demandé à tous les opérateurs portuaires de « durcir leur dispositif informatique », qui doit « pouvoir résister aux pénétrations des trafiquants, qui leur permettent ensuite d'aller se servir directement dans le port »697(*).

La commission d'enquête appelle à ce qu'un pas supplémentaire soit franchi et à ce que des tests de résilience soient menés par les exploitants portuaires en partenariat avec les services de l'État concernés et l'Anssi. Ces tests permettraient aux exploitants d'identifier les failles de leur dispositif d'autant que, comme le soulignait la DGITM, il y a aujourd'hui un manque de culture numérique dans l'écosystème portuaire et un manque de sensibilisation et de formation concernant la cybersécurité698(*). Identifier les fragilités des infrastructures pourrait provoquer une « prise de conscience » et l'adoption par les exploitants des bonnes pratiques récemment identifiées et reprises dans un guide publié au mois de février 2024, en réponse à l'objectif n° 15 de la stratégie nationale portuaire.

Cette robustesse cyber doit se doubler d'une robustesse physique, s'agissant notamment des systèmes d'accès aux salles serveurs. Le déploiement de dispositifs biométriques apparaît plus que justifié pour ces locaux.

Par ailleurs, outre cet objectif « macro », la commission d'enquête soutient l'approche « micro » du secrétariat général de la mer pour assurer une meilleure traçabilité des accès aux applications de gestion des mouvements de conteneurs portuaires. C'est absolument essentiel d'abord dans un objectif de sécurité, mais aussi pour déceler d'éventuelles complicités internes.

La gestion des habilitations aux applicatifs et la traçabilité des connexions, qu'elles concernent les fichiers de police ou les systèmes d'information portuaires, devraient constituer le corollaire de ces fichiers et traitements ; le rapporteur ne peut que déplorer les progrès qu'il reste encore à accomplir dans ce domaine.

4. Harmoniser « par le haut » les niveaux de contrôle dans les infrastructures portuaires des pays européens les plus exposés
a) Jouer le jeu de l'alliance européenne des ports en intégrant également les acteurs privés
(1) Éviter le dilemme du prisonnier

Comme le rapporteur l'a rappelé, la façade portuaire du nord de l'Europe constitue l'épicentre du marché de la cocaïne en Europe. Ainsi, 80 % de la cocaïne entrant à Anvers ne ferait qu'y transiter pour ensuite être acheminée vers les Pays-Bas, où elle est conditionnée, puis envoyée partout en Europe699(*). En 2023, 205 tonnes de cocaïne ont été saisies à Anvers ou en amont dans des cargaisons à destination du port belge.

Or, seul un niveau de contrôle et de sécurité harmonisé peut permettre d'allier les deux objectifs d'apparence contradictoire que sont, d'une part, la concurrence économique loyale que peuvent se livrer les ports européens et, d'autre part, la protection de l'Europe contre les stupéfiants et contre les stratégies de contournement des narcotrafiquants.

Vouloir attirer des logisticiens en vantant le « sens commercial » des services douaniers revient à ouvrir une brèche dans la lutte contre le narcotrafic et crée une compétition délétère au sein de laquelle les ports aux contrôles les plus stricts choisissent d'affaiblir leur dispositif de contrôle pour pouvoir retrouver leur compétitivité économique. Le développement de la coopération européenne, à travers l'Alliance des ports européens, doit justement remédier à ce dilemme ainsi que contrecarrer les stratégies de contournement des organisations criminelles.

Alliance des ports européens - Renforcer la résilience des plateformes logistiques

La Commission européenne a présenté le 18 octobre 2023 sa nouvelle feuille de route sur la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de stupéfiants. L'un des quatre domaines prioritaires concerne la nouvelle alliance des ports européens, aux fins de renforcer la résilience des plateformes logistiques.

Ce domaine prioritaire se décline en trois actions :

1° mobiliser la communauté douanière sur la lutte contre le trafic de stupéfiants, en renforçant la coopération avec les autorités de police. La Commission européenne envisage notamment la création d'un groupe de travail auquel participeront des douaniers et experts des États membres qui établira un état des risques et faiblesses douanières et déterminera des critères de ciblage communs pour renforcer la coordination et l'efficacité des contrôles ;

2° renforcer la coordination des opérations répressives dans les ports. L'un des axes consisterait à développer deux réseaux de laboratoires qui viendraient seconder la police et les douanes dans leurs investigations ;

3° renforcer le partenariat entre les acteurs publics et privés dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et l'infiltration des ports par les réseaux criminels.

Source : documents transmis à la commission d'enquête700(*)

À titre d'exemple, s'il est difficile à l'heure actuelle, faute de recul suffisant, d'interpréter la baisse significative des saisies constatées à Rotterdam en 2022 (- 35 % par rapport à 2021), l'un des facteurs d'explication pourrait être le très fort renforcement des contrôles mis en place par les autorités néerlandaises. Cette incertitude doit appeler les voisins des Pays-Bas à la plus grande vigilance : à l'image de ce qui a été constaté sur le vecteur aérien après la mise en place des contrôles à 100 % sur les vols en provenance du Suriname, les organisations criminelles pourraient se reporter encore davantage vers les autres plateformes portuaires. La Suède a notamment justifié son investissement dans l'alliance européenne par le constat que davantage de produits stupéfiants commençaient à arriver au port de Helsingborg.

Non seulement les stratégies de contrôle doivent être harmonisées, mais les moyens doivent aussi être adaptés en conséquence, en tenant compte également du volume du trafic. À Anvers, les douaniers peuvent compter sur la présence de trois scanners mobiles et de deux scanners fixes et escomptent l'arrivée de cinq nouveaux scanners en 2024, de cinq autres sur la période 2024-2026 et potentiellement de 14 supplémentaires après 2027701(*). L'objectif est de scanner 100 % des conteneurs à risque. La France ne doit pas attendre vingt ans pour suivre cet exemple, comme elle l'a fait pour le vecteur aérien.

Enfin, l'Alliance devrait avoir vocation à être répliquée sur la façade sud de l'Europe : les ports de l'arc méditerranéen (les ports italiens, catalans, grecs...) pourraient en effet constituer de nouveaux points d'arrivée potentiels de produits stupéfiants sur le territoire, pour contourner les mesures mises en place dans les ports du nord de l'Europe. À Marseille, les saisies de cocaïne ont augmenté substantiellement, passant de 0,7 tonne en 2021 à 1,7 tonne en 2022.

À terme, ces réseaux devront travailler de concert pour prévenir tout « report » du narcotrafic et assurer une homogénéité aussi grande que possible des mesures de sécurisation mises en place.

Le garde des sceaux a annoncé lors de son audition que cette initiative pourrait se doubler de la mise en place d'un réseau de procureurs et de juges spécialisés dans la problématique portuaire, avec le soutien d'Eurojust702(*).

(2) Intégrer le secteur privé

La participation du secteur privé à la lutte contre le trafic de la cocaïne par la voie maritime est une condition sine qua non du succès de toute stratégie de sécurisation portuaire.

Comme le rappelle la Commission européenne dans sa communication sur la nouvelle feuille de route de l'Union européenne pour la lutte contre la criminalité organisée, l'initiative dédiée aux ports européens nécessitera « la mise en place d'un partenariat public-privé pour combiner les efforts de lutte contre le trafic de drogue et protéger la logistique, les technologies de l'information, les ressources humaines et les processus opérationnels contre l'infiltration des criminels »703(*). Lors de son audition, Ine Van Wymersch, la commissaire nationale aux drogues de la Belgique, a en effet souligné que cette modalité de coopération permettra un renforcement des échanges entre les secteurs public et privé, l'instauration d'une culture de sécurité partagée et une diffusion des bonnes pratiques704(*).

Il s'agit pour la France de parvenir à répliquer ce qui a été mis en place à l'échelle européenne au niveau national. Des réunions sont régulièrement tenues en présence des autorités préfectorales, maritimes et terrestres ainsi que des acteurs privés pour présenter l'état de la menace, faire un point sur les dispositifs de sûreté maritime, privés et publics (failles, bonnes pratiques), et rappeler les évolutions réglementaires et mesurer les éventuelles difficultés d'application705(*).

La sûreté de ces infrastructures s'apparente à une « compétence partagée » entre l'autorité publique et l'exploitant portuaire, dont il doit être tenu compte à chaque niveau.

b) Élargir la coopération, un impératif

Dans le cadre de l'alliance des ports européens, la Commission européenne annonce qu'elle pourrait, dès 2024-2025, renforcer la coopération internationale en apportant « un soutien supplémentaire pour intégrer davantage les pays tiers »706(*) dans deux des actions de l'alliance, à savoir la mobilisation de la communauté douanière autour de critères et d'analyses de risques communs et le renforcement des opérations répressives.

L'Ofast souligne en effet que les organisations européennes disposent d'émissaires au sein des principaux ports de départ des stupéfiants, ce qui leur permet d'infiltrer les plateformes portuaires et d'y acheter des complicités locales mais aussi de développer leurs « entreprises » en se positionnant au stade de l'expédition707(*).

C'est aussi ce qui explique que, lors de son audition, Ine Van Wymersch ait déclaré que les ports européens membres de l'Alliance devront disposer d'interlocuteurs en Amérique latine, avec l'objectif de très long terme d'« instaurer des normes qui soient partout les mêmes »708(*). Une première étape encourageante est la structuration au début de l'année 2024d'une Alliance des ports d'Amérique latine, qui regroupe la Colombie, l'Équateur et le Pérou.

De manière générale, la Belgique est aux avant-postes pour promouvoir une coopération internationale plus performante. Elle souhaite notamment renforcer la coopération judiciaire avec les États du Maghreb et du Moyen-Orient et elle envisagerait ainsi de nouer un accord avec l'Équateur pour échanger des images de conteneurs scannés.

Recommandation n° 13 de la commission d'enquête : garantir la robustesse des infrastructures portuaires

· Protéger l'enceinte portuaire en étendant les emprises portuaires classifiées en zones d'accès restreint, en déployant des badges biométriques et en plaçant sous vidéosurveillance l'ensemble des emprises portuaires ;

· Diffuser une « culture de la sûreté » parmi l'ensemble des personnels portuaires ;

· Systématiser les enquêtes administratives de sécurité pour l'ensemble des personnels portuaires et procéder à une actualisation annuelle ;

· Instaurer un point de contact unique pour signaler des comportements douteux observés dans un port ou aux alentours du port ainsi que des menaces et tentatives de corruption ;

· Brider les drones pour empêcher le survol des infrastructures portuaires ;

· Instaurer des tests de résilience cyber des infrastructures portuaires, en partenariat avec l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi) ;

· Harmoniser « par le haut » les contrôles douaniers dans les grands ports européens et s'appuyer sur un partenariat public-privé entre les exploitants et les autorités nationales.


* 692 Imposition du code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires (ISPS)

* 693 Contribution de la juridiction interrégionale spécialisée de Lille aux travaux de la commission d'enquête.

* 694 Agence française anticorruption, « Propositions de thèmes à traiter dans le plan de lutte contre la corruption, plus particulièrement sous l'angle de la pression croissante de la criminalité organisée ».

* 695 RTBF, «  Trafic de drogue à Anvers : déjà 86 interdictions portuaires prononcées, indique le ministre de la Justice », 29 octobre 2023.

* 696 Déplacement au Havre, 18 janvier 2024.

* 697 Audition de Didier Lallement, secrétaire général de la mer, 11 décembre 2023.

* 698 Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, «  Ports « cybersécurisés » - Guide de bonnes pratiques pour la cyber sécurité dans le secteur portuaire », février 2024.

* 699 Office anti-stupéfiants, État de la menace 2023.

* 700 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la feuille de route de l'UE en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée, 18 octobre 2023 ; direction des affaires criminelles et des grâces, « Feuille de route de l'Union européenne sur la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de stupéfiants », 23 octobre 2023

* 701 D'après les éléments transmis par la Douane lors du déplacement à Anvers, 20 mars 2024.

* 702 Audition du ministre de la justice, Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, 9 avril 2024.

* 703 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la feuille de route de l'UE en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée, 18 octobre 2023.

* 704 Audition d'Ine Van Wymersch, la commissaire nationale aux drogues de la Belgique, 19 mars 2024.

* 705 Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, « Instruction interministérielle relative à l'organisation et à la coordination de la sûreté maritime et portuaire », 28 juin 2022.

* 706 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la feuille de route de l'UE en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée, 18 octobre 2023.

* 707 Office anti-stupéfiants, État de la menace 2023.

* 708 Audition d'Ine Van Wymersch, la commissaire nationale aux drogues de la Belgique, 19 mars 2024.

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