EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 30 avril 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur le programme de stabilité et l'orientation des finances publiques pour 2024-2027.
M. Claude Raynal, président. - Comme il est de tradition, M. le rapporteur général va nous présenter son analyse sur le projet de programme de stabilité avant le débat en séance publique, dont la commission des finances est à l'origine.
Cette présentation intervient cette année dans un contexte bien particulier. En effet, on constate une dégradation des finances publiques particulièrement marquée depuis la fin de l'année 2023 et la loi de programmation des finances publiques (LPFP) fraîchement votée est déjà totalement obsolète. Il convient de noter que nous n'avons reçu le programme national de réforme (PNR) qu'hier soir ; nous vous l'avons fait parvenir ce matin par courriel. Cet envoi est particulièrement tardif, dans la mesure où il est supposé accompagner le programme de stabilité (PStab) qui a, lui, été présenté en conseil des ministres le 17 avril dernier.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vais donc vous exposer mon analyse du programme de stabilité, présenté il y a deux semaines en conseil des ministres par le ministre de l'économie et des finances, et qui doit être transmis aujourd'hui à la Commission européenne, de même que le programme national de réforme.
Renouant avec la pratique vertueuse d'il y a quelques années, pour le programme de stabilité, le Gouvernement a respecté le délai de quinze jours laissé au Parlement pour lire et commenter le document avant la date de transmission officielle. Sans doute les changements impressionnants dans les chiffres du déficit public pour 2023 et 2024 y sont-ils pour quelque chose. Je note toutefois que nous n'avons reçu qu'hier le programme national de réforme, autant dire sans avoir le temps d'en prendre vraiment connaissance.
La construction européenne repose sur des règles communes de coordination budgétaire, prévues par le pacte de stabilité et de croissance (PSC), qui vient d'être réformé. Le programme présenté est ainsi le dernier dans sa forme actuelle. En conclusion, je reviendrai sur l'évolution des règles budgétaires européennes et sur ce qui nous attend dès l'an prochain.
Le programme de stabilité qui nous est présenté me paraît symptomatique des errements et des renoncements du Gouvernement en matière de finances publiques et de politique économique.
J'évoquerai d'abord les performances économiques de notre pays. Certes, si l'on se limite à l'année 2023, nous faisons légèrement mieux, avec une croissance de 0,9 %, que la zone euro, laquelle enregistre une hausse de 0,5 %. Mais cela est principalement dû à la récession allemande (- 0,1 %), qui pourrait se prolonger en 2024. Au contraire, l'économie italienne a crû l'an dernier au même rythme que la nôtre, tandis que les économies portugaise, grecque et espagnole, par exemple, se montrent plus dynamiques, avec une croissance comprise entre 2,3 % et 2,5 %. Nous sommes loin derrière.
Entre la fin 2019 et la fin 2023, le PIB de la France a, certes, augmenté de près de deux points de plus que celui de l'Allemagne, mais il a progressé d'un point de moins que celui de la zone euro sur cette même période. Je ne veux pas, en citant ces chiffres, être catastrophiste. Mais l'optimisme forcené du Gouvernement en matière de prévisions tant de croissance que de déficit ne saurait masquer le faible dynamisme de notre économie. La stratégie, sans cesse répétée, selon laquelle la France aurait une croissance forte grâce à la politique économique du Gouvernement ne résiste pas aux faits. La France fait moins bien que l'Europe. Elle s'en sort juste mieux, à court terme, que l'Allemagne. J'aimerais beaucoup, pour ma part, que le Gouvernement se compare davantage à ce pays s'agissant des finances publiques...
Pour ce qui concerne la croissance du PIB en volume, le Gouvernement revient très fortement sur le scénario de la LPFP 2023-2027, dont je rappelle qu'elle a été promulguée le 18 décembre dernier.
Pour 2024, le ministre a, dès février, annoncé que la prévision de 1,4 % serait caduque, mettant en avant une prévision de 1 %. Cette révision, même à la baisse, est plus haute que toutes les autres prévisions officielles. Et elle est déjà battue en brèche par les principaux instituts de conjoncture, au point que seul Natixis envisage une croissance plus élevée. Le consensus des économistes, qui agrège les prévisions réalisées par une vingtaine d'instituts, retient pour l'instant 0,7 % de croissance. Le plan d'économies de 10 milliards d'euros, adopté fin février, et des économies supplémentaires annoncées pour l'année contribueront par ailleurs à réduire la croissance à très court terme.
Plus généralement, le scénario pour 2024-2027 n'est pas non plus partagé par les conjoncturistes et paraît très optimiste. Ainsi, le Gouvernement anticipe 1,5 % de croissance par an en moyenne, avec une augmentation, en cumulé, de 6 %. Or le consensus des économistes anticipe une croissance de seulement 1,2 % par an, et une augmentation en cumulé de 5 %.
Le principal écart, c'est la consommation des ménages, que le Gouvernement veut voir augmenter en moyenne de 1,8 % par an et qui ne progresserait, selon les conjoncturistes, que de 1,4 % par an. J'avais souligné lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) que la reprise de la consommation ferait peu de doute, du fait du reflux de l'inflation, mais qu'il y avait fort à parier que son ampleur serait modérée par des comportements d'épargne encore très attentistes, s'expliquant par une hausse du chômage et un niveau particulièrement faible de confiance des ménages. Le Gouvernement estime au contraire que le taux d'épargne diminuerait, sans expliquer pourquoi, et que le pouvoir d'achat se redresserait, du fait d'hypothèses particulièrement optimistes sur l'emploi, associées aux réformes de l'assurance chômage. Permettez-moi d'en douter.
Sur le début de la période du programme de stabilité, les effets du resserrement de la politique monétaire opéré entre juillet 2022 et septembre 2023 semblent également fortement sous-estimés. À titre d'exemple, le Gouvernement prévoit une contraction de 0,4 % de l'investissement en 2024, là où la Banque de France anticipe une baisse de 1,2 %, et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) de 1,6 %. Ces baisses sont cohérentes avec la hausse du nombre de défaillances d'entreprises : si l'on exclut les microentreprises, on dénombre largement plus de défaillances en février 2024 qu'en moyenne entre 2010 et 2019.
Les hauts niveaux de croissance prévus sur la période couverte par le PStab reposent sur l'hypothèse que les capacités de rebond de l'économie sont particulièrement fortes, et que l'écart de production est encore loin d'être résorbé. Cela suppose donc que notre économie fonctionnerait, actuellement, en dessous de ses capacités, ce dont il est permis de douter au regard des difficultés actuelles à recruter dans beaucoup de secteurs. En 2027, l'écart de production s'élèverait à -0,6 point de PIB, alors même que, selon la Commission européenne, il serait d'ores et déjà résorbé en 2023. En ligne avec ces hypothèses, la croissance potentielle est évaluée par le Gouvernement à + 1,35 % par an, ce qui est élevé.
Une nouvelle fois, le scénario n'est pas partagé par la plupart des conjoncturistes. Ainsi, la croissance de long terme de la France serait limitée à 1,2 % par an en volume selon le Consensus Forecasts, comme pour le Fonds monétaire international (FMI), et à 0,9 % pour la Commission européenne. S'il convient de prendre ces chiffres avec distance, étant donné toutes les incertitudes entourant la mesure du PIB potentiel et de la croissance potentielle, le scénario de croissance potentielle du Gouvernement me paraît, comme l'a indiqué le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), trop élevé.
Évidemment, tout est toujours possible, pourrait nous dire le Gouvernement, la prévision économique n'étant pas une science exacte. Mais le scénario macroéconomique qu'il présente repose sur un ensemble d'hypothèses trop favorables, trop optimistes, trop peu documentées et, en définitive, trop fragiles. Si les économies massives qui sont prévues étaient vraiment mises en oeuvre, elles pèseraient par ailleurs forcément sur la croissance, ce qui est de nature à discréditer encore davantage ce scénario. Il ne me semble pas sérieux d'utiliser des prévisions non rigoureuses uniquement parce que cela permet d'afficher une copie moins dégradée, et alors même que le rétablissement de nos comptes publics nécessiterait aujourd'hui de s'appuyer sur des hypothèses prudentes et consensuelles.
J'en viens maintenant à la trajectoire des finances publiques présentée par le Gouvernement, qui reflète singulièrement ses renoncements et ses errements.
Premier renoncement : le PStab 2023 est nul et non avenu, avec une dégradation du déficit d'en moyenne 0,4 point de PIB par an entre 2024 et 2027 dans le présent programme par rapport à celui de l'année dernière.
Le Gouvernement semble également avoir renoncé à respecter la LPFP, caduque quelques mois - voire quelques jours - à peine après sa promulgation, avec un déficit de 5,5 % du PIB en 2023 contre un niveau de 4,9 % initialement prévu. Loin d'offrir de la visibilité sur plusieurs années aux citoyens, aux acteurs économiques et à nos partenaires européens, notre loi de programmation, du fait de son obsolescence accélérée, ne sert à rien.
En matière d'endettement public, les prévisions sont plus alarmantes encore : la dette, qui devait progressivement diminuer pour atteindre 108,1 % du PIB en 2027, augmentera finalement sur la période, pour passer de 110,6 % de PIB en 2023 à 112 % en 2027, après un pic de 113,1 % en 2025.
Sans aller aussi loin, la loi de finances pour 2024 est déjà remise en cause, avec une prévision de déficit passant de 4,4 % à 5,1 % du PIB pour cette année. La France pourrait ainsi occuper la dernière place au niveau européen. On parle tout de même de 20 milliards d'euros de dégradation, alors que nous ne sommes qu'en avril ! Je ne crois pas prendre beaucoup de risques en avançant qu'avec une croissance très vraisemblablement inférieure à 1 % en 2024, le déficit sera finalement supérieur à 5,1 %. Il est, dans ces conditions, inacceptable que le Gouvernement ait renoncé à présenter un projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour redresser les comptes. Le renoncement à redresser les comptes publics est probablement le plus grave de tous.
Je dois bien avouer que le cumul d'un exécutif qui, d'une part, méprise le Parlement - usage extrême de l'article 49.3, non-prise en compte de nos votes, non-présentation d'un PLFR - et qui, d'autre part, dégrade à ce point la situation budgétaire et financière du pays est pour moi une grande source d'inquiétude.
Au point où nous en sommes, il ne paraît même plus étonnant d'observer dans le présent PStab le renoncement à toute crédibilité : le scénario de finances publiques n'est pas documenté alors qu'il représente un effort sans précédent, encore accentué par rapport à la LPFP. En effet, en venant d'un déficit de 5,5 % en 2023 plutôt que de 4,9 %, le chemin sera encore plus étroit pour passer sous les 3 % en 2027.
Sans vision claire des politiques publiques prioritaires, il sera impraticable et inaccessible. Certes, le Gouvernement peut nous dire qu'il n'a pas encore détaillé toutes les économies à voter jusqu'en 2027. Mais, même pour 2024 - je vous rappelle que nous sommes déjà fin avril ! -, rien n'est clair : le Gouvernement a annoncé 10 milliards d'euros supplémentaires d'économies, en plus du décret de février, dont 5 milliards d'euros reposant sur le budget de l'État - on ne sait toujours pas de quoi il s'agit puisqu'il n'y aura pas de PLFR - et 2,5 milliards d'euros sur les collectivités, sans que cet effort soit documenté. Je crains donc que tout cela n'ait pas de réalité.
Le Gouvernement ne dit toujours rien des 16 milliards d'euros de crédits de 2023 reportés sur 2024, qui font plus que compenser les « efforts d'économies » annoncés. Il y a, grâce aux reports de crédits, encore plus de crédits disponibles en gestion en 2024 qu'il n'y en avait après l'adoption de la loi de finances initiale (LFI). Le Gouvernement s'est constitué une grosse cagnotte qui lui permet de financer ses dépenses sans repasser devant le Parlement.
Enfin, les nouvelles recettes liées à la taxation « des rentes » rapporteraient, selon le PStab, 3 milliards d'euros supplémentaires. Mais on ne sait toujours pas clairement de quoi il s'agit, exception faite de la taxation des énergéticiens, pour laquelle le Gouvernement avait prévu des recettes à hauteur de 12 milliards d'euros, puis de 8 milliards, et ensuite de 5 milliards, mais il n'a finalement encaissé que 600 millions d'euros ; il y a un problème...
Sur l'ensemble de la période, le manque total de crédibilité de l'effort affiché est encore plus patent. Le PStab prévoit que le déficit public serait de 5,1 % du PIB en 2024, de 4,1 % en 2025, de 3,6 % en 2026 et de 2,9 % en 2027. En termes structurels, l'ajustement représenterait près de 67 milliards d'euros entre 2024 et 2027, dont 27 milliards d'euros pour la seule année 2025.
J'ai regardé dans le rétroviseur : à la fin de l'année 2022, le Sénat avait adopté un projet de LPFP dans lequel l'ajustement structurel était inférieur ; il s'élevait à 58 milliards d'euros sur ces quatre années et permettait pourtant d'atteindre une cible largement plus ambitieuse - à - 1,7 % du PIB en 2027, au lieu de l'objectif de - 2,9 % du Gouvernement. Celui-ci nous avait vivement critiqués, l'effort que nous demandions aux Français étant, selon lui, trop important, voire même violent et radical ! Avec la dérive des comptes publics, ces temps sont révolus...
Je reviens au présent PStab. En excluant la charge de la dette qui, intégrée dans l'ajustement structurel, modère indûment l'impression d'effort, on obtient un ajustement structurel primaire de 97 milliards d'euros sur la période. On voit combien l'effort à fournir est massif et sans précédent en un si court laps de temps. Pourtant, comme le dit pudiquement le HCFP, « sa documentation reste à ce stade lacunaire ».
Côté recettes, peu de changements : le ratio de prélèvements obligatoires atteindrait, après 45,2 % du PIB en 2022 et 43,5 % du PIB en 2023, 44,1 % du PIB en 2027. Après des mesures de baisse des prélèvements obligatoires de 7,1 milliards d'euros en 2023, les mesures de hausse pour 2024 devraient représenter 9,2 milliards d'euros en 2024, dues essentiellement à la hausse de la fiscalité énergétique et aux mesures à venir sur les rentes. Aucune autre mesure en recettes n'est prévue pour les années suivantes. La baisse d'impôts de 2 milliards d'euros pour les particuliers semble absente du programme de stabilité.
L'effort de redressement porterait donc essentiellement sur les dépenses. Mais celui-ci n'est pas documenté. Le PStab ne comporte aucun développement, aucun tableau, aucune donnée permettant d'apprécier la trajectoire de dépenses des différentes catégories d'administration sur la période 2024-2027. Si le périmètre des dépenses de l'État adopté en loi de finances pour 2024 doit être, avec 492 milliards d'euros, inférieur de 4 milliards d'euros à celui adopté en loi de finances pour 2023, tout l'effort sur la période 2025-2027 reposerait sur les revues de dépenses.
Je tiens sur ce point à souligner un paradoxe de l'exécutif. Le Président de la République nous dit que le problème se situe au niveau non pas de la dépense, mais des recettes. Pourtant, tout l'effort de redressement présenté par le Gouvernement est un effort de baisse de la dépense. Toute la stratégie - ou, à défaut de stratégie, la communication gouvernementale - est en effet fondée sur une baisse historique de la dépense publique. Je finis par avoir du mal à comprendre...
S'agissant des collectivités, qui ne sont responsables que d'une petite part du déficit, avec - 0,4 point de PIB en 2024 - et encore ce déficit est-il essentiellement dû à la Société du Grand Paris (SGP) -, le dégagement d'un excédent de 0,4 point de PIB pour 2027 semble ne reposer que sur le cycle électoral de l'investissement local. Un tel effort me paraît plutôt relever du voeu pieux et arrange bien le Gouvernement pour contribuer à sa trajectoire de redressement.
En réalité, la majeure partie de l'effort déjà à l'oeuvre repose sur la sphère sociale, pourtant seul sous-secteur des administrations publiques à l'équilibre. La réforme des retraites et les réformes successives de l'assurance chômage devraient permettre de dégager d'importantes économies ; c'est bien le seul domaine où le Gouvernement, responsable de la dérive budgétaire inquiétante de l'État, semble actif.
L'effort est donc très mal réparti : les soldes des collectivités et de la sphère sociale doivent chacun augmenter de 0,8 point de PIB entre 2024 et 2027 (de - 0,4 à + 0,4 pour les collectivités, et de + 0,2 à + 1 pour la sphère sociale), mais celui de l'État seulement de 0,5 point.
Pourtant, depuis 2017, le déficit public est le produit presque exclusif de l'État, dont les dépenses sont surdimensionnées par rapport aux recettes, alors que les collectivités sont peu ou prou à l'équilibre et que la sphère sociale n'a accusé de déficit qu'en 2020 et 2021, en raison de la crise sanitaire. C'est donc sur le déficit de l'État qu'il conviendrait de se concentrer. Dans ces conditions, il est abusif de mettre en avant, comme l'a fait il y a deux mois Bruno Le Maire, les excès des dépenses sociales en se focalisant sur les transports médicaux, d'autant plus que l'État soustrait indûment à la sphère sociale des transferts de TVA visant à compenser des baisses et des exonérations de cotisations - je pense, par exemple, à l'Unédic.
Au total, les données que contient le PStab ne permettent en aucun cas d'espérer atteindre le seuil de 3 % de PIB en 2027 ; en tout cas, je n'y crois pas du tout, et je me demande si l'exécutif lui-même y croit ou se contente de faire de la communication. Les dernières prévisions du FMI, d'ailleurs, si elles sont en ligne avec celles du Gouvernement pour le début de la période, tablent sur un déficit de 4,3 % en 2027.
J'ai abordé successivement les prévisions de croissance et la trajectoire de finances publiques. Mais, en réalité, les deux sont étroitement liées par un effet de bouclage qui n'est manifestement pas pris en compte par le Gouvernement, ce qui rend ce programme de stabilité incohérent et d'autant moins crédible. En effet, on ne peut pas présenter, à la fois, une trajectoire de croissance aussi élevée et un effort en dépenses aussi massif.
Un effort de réduction de déficit tel que celui présenté par le Gouvernement, s'il est mis en oeuvre, pèsera sur l'activité, de sorte que la croissance sera inévitablement moindre que prévu, et le déficit plus élevé puisqu'il est rapporté au PIB. Il faudrait donc en fait, pour atteindre la cible prévue, faire un effort encore plus important que celui envisagé, ce qui dégraderait aussi la croissance. Inversement, une trajectoire de croissance telle que celle qui nous est présentée est incompatible avec un effort de réduction du déficit censé être le plus massif jamais connu en France.
En conclusion, ce programme de stabilité restera dans les annales comme l'ultime reflet des renoncements du Gouvernement, qui se fera inévitablement rattraper par la réalité : renoncement à sa propre LPFP, renoncement à une trajectoire de désendettement pour le pays, renoncement à redresser les comptes par un PLFR.
Si je ne suis pas toujours tendre avec le Gouvernement, je pense néanmoins tenir des propos empreints de modération. Mais je suis obligé de constater qu'il n'y a pas grand-chose qui va dans ce PStab. L'effort budgétaire, pourtant massif, n'est aucunement documenté et repose sur une trajectoire de croissance qui, même sans cet effort qui affaiblira nécessairement l'activité, est trop optimiste.
Je ne veux pas terminer cette communication sans dire un mot de ce qui devrait se passer l'an prochain. Du fait de la réforme du pacte de stabilité et de croissance, adoptée définitivement le 23 avril dernier par le Parlement européen, le PStab sera, à partir de 2025, remplacé par un plan budgétaire et structurel national à moyen terme, sorte de fusion du programme de stabilité et du programme national de réforme, dans lequel la France définira ses objectifs budgétaires et ses réformes et investissements prioritaires pour une période de quatre ou cinq ans : sauf révision, ce n'est qu'à l'issue de cette période qu'un nouveau plan serait adopté.
Ce serait en fait le rapport d'étape annuel, faisant le point sur la mise en oeuvre des objectifs prévus par le plan, qui viendrait prendre la place du PStab dans le calendrier de nos travaux. Le plan budgétaire et structurel serait élaboré en s'appuyant sur une trajectoire de référence fournie par la Commission européenne et visant à ramener la dette publique sur une trajectoire descendante et le déficit public sous les 3 % à l'issue d'une période d'ajustement de quatre ans, ou sept ans en cas de mise en oeuvre de réformes et d'investissements répondant aux objectifs de l'Union.
S'agissant du volet correctif, les changements sont moins nombreux, mais la trajectoire de dépense des États placés en procédure pour déficit excessif devra impérativement être cohérente avec la trajectoire de référence fournie par la Commission européenne. Comme aujourd'hui, pour les États qui connaissent une procédure pour déficit excessif du fait d'un déficit supérieur à 3 %, le déficit structurel devra diminuer de 0,5 point de PIB par an. Le Gouvernement a opportunément obtenu que le déficit structurel retenu pour l'application de cette procédure entre 2025 et 2027 exclue les charges d'intérêt supplémentaires enregistrées ces années-là. Pourquoi 2027 ? On se le demande, mais j'ai ma petite idée...
La réforme visait initialement une meilleure prise en compte des investissements et des particularités de chaque pays, une plus grande latitude laissée aux États membres dans la détermination des trajectoires de finances publiques, l'utilisation d'indicateurs moins contestables, une moindre procyclicité et une simplification pour assurer une meilleure appropriation des règles. N'en déplaise au ministre de l'économie, qui a présenté cette réforme comme équilibrée, ces objectifs sont imparfaitement atteints : les clauses de sauvegarde, qui supposeraient pour la France une diminution moyenne annuelle de la dette publique de 1 point de PIB et une diminution minimale annuelle du déficit structurel primaire de 0,25 point de PIB jusqu'à ce qu'il atteigne 1,5 point de PIB, diminuent fortement les possibilités de différenciation et sont potentiellement procycliques. On le voit d'ailleurs, l'indicateur du solde structurel, inobservable et donc susceptible d'entraîner des erreurs de diagnostic quant à l'effort fourni, est conservé.
De même, l'articulation des temporalités entre le plan budgétaire de l'État membre et la trajectoire de référence élaborée par la Commission, mais surtout la prolifération de chiffres et seuils en tout genre, induisent une telle complexité que Jean Pisani-Ferry n'a pas hésité à qualifier cette réforme de « cauchemar ».
J'aurais préféré terminer mon propos en évoquant des perspectives plus entraînantes et optimistes en espérant vivre un rêve éveillé, mais la réalité budgétaire m'en a privé.
M. Claude Raynal, président. - Merci, monsieur le rapporteur général, pour cet avis modéré !
M. Pascal Savoldelli. - Que pensez-vous du rendement de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui rapporte seulement 2,4 milliards d'euros ?
Une contribution sur la rente inframarginale des énergéticiens avait par ailleurs été annoncée et devait rapporter, selon le Gouvernement, 12,4 milliards d'euros... lesquels se sont transformés en 600 millions d'euros !
M. Thierry Cozic. - Le groupe socialiste approuve l'analyse du rapporteur général : avec ce PStab, la boucle des renoncements est bouclée.
Nous sommes d'accord avec le Président de la République lorsqu'il dénonce un problème de recettes dans la gestion des finances publiques... La destruction de près de 60 milliards d'euros de recettes fiscales par an, depuis dix ans, ne s'est pas traduite en termes de croissance, de ruissellement ou de progrès social. Le Gouvernement a allègrement contribué à organiser l'attrition des finances publiques. Après un tel désarmement fiscal, il ne dispose plus que de la dépense publique pour équilibrer les dérapages budgétaires qu'il a lui-même causés. Cette stratégie est injuste, car elle cible en premier lieu les dépenses de solidarité et celles de guichet, qui réduisent les inégalités sociales, et inefficace car l'élasticité à la baisse de la dépense publique n'est pas infinie. Les politiques publiques conduites aujourd'hui n'offrent pas de perspectives d'économies significatives, si l'on exclut les domaines sanctuarisés par le Gouvernement.
Nous partageons donc l'inquiétude du rapporteur général, même si les solutions que nous proposons ne sont pas les mêmes.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je remercie le rapporteur général d'avoir rappelé que la sphère sociale supportait l'essentiel de l'ajustement, alors qu'elle est celle dont la situation est la mieux rétablie depuis la crise du covid. Ce secteur doit certes prendre sa part de l'effort, mais le choix du Gouvernement risque d'aggraver la défiance de nos concitoyens et de fragiliser le consentement à l'impôt et aux cotisations.
M. Emmanuel Capus. - Je n'ai pas vraiment perçu la modération de votre réquisitoire, monsieur le rapporteur général...
Ce matin, l'Insee a publié de meilleures prévisions de croissance que celles du Gouvernement, avec un taux de 0,2 % lors des trois premiers mois de 2024. Peut-être les chiffres gouvernementaux ne sont-ils pas si hasardeux que vous le dites ?
M. Marc Laménie. - Selon vous, quand retrouverons-nous les lois de finances rectificatives ?
Les dépenses des organismes divers d'administration centrale (Odac) sont en hausse de 6,4 %. Cela comprend notamment celles de SNCF Réseau et de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France). La situation ne serait donc pas si mauvaise ?
M. Vincent Capo-Canellas. - La situation des comptes publics est en effet critique. Ce débat relatif au PStab étant sans vote, chacun peut y aller gaiement, mais il faudra bien passer aux travaux pratiques. Le Parlement doit de nouveau jouer son rôle. Nous avons un problème de crédibilité parce que nous n'avons jamais tenu nos engagements. Les mesures présentées par le Gouvernement pouvant avoir un effet récessif, quelle est la façon de s'en sortir ?
Mme Christine Lavarde. - Je trouve, quant à moi, que la communication du rapporteur général était équilibrée !
En plus des 10 milliards d'euros d'économies annoncées, d'autres crédits devaient être gelés. Qu'en est-il ? Par ailleurs, la presse annonce tous les jours de nouvelles mesures de soutien pour tel ou tel secteur. Comment concilier de telles mesures avec les annulations de crédits ? Un PLFR serait nécessaire !
M. Stéphane Sautarel. - J'approuve les propos du rapporteur général. Un minimum de pédagogie est nécessaire au vu de la situation, inquiétante, de nos finances publiques. L'État, principal responsable de ce déficit, produira un effort plus modéré que les autres administrations ; cela interroge...
Le vieillissement de la population a un coût pour les finances publiques. Or cette situation est peu anticipée dans le PStab. Qu'en pensez-vous ?
Mme Ghislaine Senée. - Récemment élue au Sénat, je souhaite savoir s'il est habituel de recevoir le PNR - un document redondant qui ne répond pas aux questions posées sur les mesures d'économies - le jour même du débat relatif au PStab en séance publique. Le principe de respect du Parlement est foulé aux pieds, et cette façon de procéder nous rend chagrins !
M, Jean-François Husson, rapporteur général. - Je pense véritablement m'exprimer de façon modérée.
Monsieur Savoldelli, le produit de l'IFI était en 2018 de 1,3 milliard d'euros ; il s'élève à 1,9 milliard en 2023, ce qui est selon vous insuffisant. Je vous rappelle que la dépense de l'Etat a progressé depuis 2019 de 100 milliards d'euros. La France occupe à cet égard la première place parmi les pays développés ! Pour autant, le déficit et la dette de la France sont très élevés...
Le rendement de la contribution sur la rente inframarginale des énergéticiens n'est pas consolidé, et des questions se posent. Le Gouvernement se fera fort de communiquer le moment venu. Le ministre de l'économie et des finances a déclaré qu'il prendrait les 3 milliards d'euros qu'il en attend ; or il avait annoncé au départ que cette contribution représenterait 12 milliards... Il pourra donc y avoir débat sur ce point.
Monsieur Cozic, vous partagez mes propos mais, en même temps, vous êtes en phase avec la parole présidentielle en termes de recettes... Nous aurons la primeur de vos divergences lors du débat en séance publique !
Vous avez évoqué, mada me Carrère-Gée, l'effort supporté par la sphère sociale, dont la situation est pourtant relativement saine ; les comptes de l'Unédic, par exemple, sont à l'équilibre. Il faut veiller à établir un socle de confiance, ce que ne permettra pas le message envoyé par le Gouvernement au travers de ce PStab.
En effet, monsieur Capus, 0,2 % de croissance au premier trimestre 2024, c'est deux fois mieux que le dernier trimestre 2023, et le Gouvernement vise un taux de 1 % pour l'année... Pour autant, il faut éviter que l'effort de redressement ait l'effet récessif évoqué par M. Capo-Canellas, et trouver le juste équilibre. Je rappelle que le Sénat avait voté, dans le cadre du PLF 2024, des mesures d'économies à hauteur de 7 milliards d'euros, qui ont toutes été rejetées par le Gouvernement.
Monsieur Laménie, je vous propose d'interroger le Gouvernement, pour la énième fois, sur l'absence de PLFR. Pour ma part, je l'ai fait à cinq reprises et j'attends toujours la réponse. Par ailleurs, vous avez raison, les dépenses des opérateurs de l'État ont en effet tendance à filer...
Monsieur Sautarel, la démographie est au coeur non pas du PStab, mais du sujet des dépenses sociales, et risque à cet égard d'entraîner un décrochage. C'est aussi un enjeu pour l'éducation nationale.
Madame Senée, jusqu'à il y a trois ou quatre ans, nous recevions à peu près les documents dans les temps, mais depuis la crise sanitaire les envois sont tardifs, ce qui n'est pas satisfaisant. Par ailleurs, le Haut Conseil des finances publiques relève que la documentation est lacunaire.
Vous avez posé, madame Lavarde, une question sur le montant des gels. On nous annonce un décret d'annulation de 10 milliards d'euros, des gels et des surgels. On nous a informé de 7,4 milliards de gels sur le budget de l'État. Nous vous communiquerons le détail de tous ces chiffres. On relève notamment 2 milliards d'euros de gels sur la mission « Défense ».
La commission a autorisé la publication de la communication de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sous la forme d'un rapport d'information.