II. RENFORCER LES MÉCANISMES DE SOLIDARITÉ PUBLIQUE ET PRIVÉE POUR AUGMENTER LE NIVEAU DE VIE DES FAMILLES MONOPARENTALES

Afin de soutenir le niveau de vie des familles monoparentales, et en particulier des mères isolées, davantage touchées par la pauvreté, la délégation appelle à un renforcement et à une meilleure articulation des mécanismes de solidarités publique et privée.

Si le système sociofiscal tient compte des situations d'isolement, il est souvent mal connu ou mal compris et souffre de certaines incohérences, que les rapporteures souhaitent corriger, à défaut de pouvoir envisager dès aujourd'hui une remise à plat complète du système.

En outre, elles estiment que les mécanismes de solidarité publique ne sauraient occulter l'obligation qu'a tout parent de contribuer à l'entretien et à l'éducation de son enfant. Un accent doit être mis sur les responsabilités parentales et financières des deux parents, ce qui doit notamment se traduire par des évolutions dans les modalités de fixation de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant (CEEE), plus communément appelée « pension alimentaire », afin que celle-ci soit plus systématiquement mise en place puis recouvrée, à des montants à la hauteur du coût financier que représente l'éducation d'un enfant.

A. RENDRE LE SYSTÈME SOCIOFISCAL PLUS LISIBLE ET PLUS JUSTE

1. Mieux faire connaître les divers dispositifs sociofiscaux existants
a) Des dispositifs dédiés et des conditions d'octroi plus favorables pour les parents isolés

Les familles monoparentales ont été reconnues comme une catégorie spécifique de l'action publique à partir des années 1970, avec la création en 1976 de l'allocation parent isolé, premier revenu minimum, alors dédié aux parents isolés, puis de l'allocation de soutien familial (ASF), qui a remplacé en 1984 l'allocation orphelin. Le ciblage de ces familles a été renforcé depuis 2012 avec divers aménagements des conditions de versement des prestations sociales et familiales au bénéfice des familles monoparentales.

Les parents isolés, vivant seuls18(*), bénéficient aujourd'hui de deux dispositifs qui leur sont dédiés :

· sur le plan fiscal, ils disposent d'une demi-part fiscale supplémentaire ( « case T » de la déclaration de revenus), qui peut être partagée en cas de résidence alternée. Cette demi-part supplémentaire est maintenue (« case L » de la déclaration de revenus) pour le parent isolé qui n'a plus d'enfant à charge, mais a élevé à titre exclusif ou principal un enfant pendant au moins cinq années au cours desquelles il vivait seul ;

· ils peuvent bénéficier de l'allocation de soutien familial (ASF) en cas de défaillance de l'autre parent (décès, non-reconnaissance ou absence de pension).

En outre, ils bénéficient de majorations de plafonds de ressources, de montants et de durée de versement pour un certain nombre de prestations sociales et familiales, résumées dans le tableau ci-après.

Aménagements des prestations familiales et sociales
en fonction de la situation d'isolement du parent

 

Prestation dédiée

Majoration des plafonds de ressources

Majoration des montants versés

Majoration de durée de versement

Allocations familiales (AF)

       

Complément familial (CF)

 

X

   

Allocation de soutien familial (ASF)

X

     

Allocation de rentrée scolaire (ARS)

       

Primes à la naissance et à l'adoption

 

X

   

Allocation de base de la Paje (pour les familles avec au moins un enfant de moins de trois ans)

 

X

   

Complément de libre choix du mode de garde (CMG)

 

X

X

X

Prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE)

     

X

Allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH)

   

X

 

Allocation journalière de présence parentale (AJPP)

 

X

X

 

Revenu de solidarité active (RSA)

 

X

X

 

Prime d'activité

 

X

X

 

Au total, selon des données communiquées par la Cnaf aux rapporteures, 2,2 millions de foyers monoparentaux perçoivent un total de 8,4 Md€ de prestations versées par les CAF. Ils représentent ainsi 15,6 % des allocataires des CAF, alors même qu'ils ne représentent que 10,6 % de l'ensemble des ménages.

À ces prestations légales, peuvent s'ajouter, comme l'a mis en avant Nicolas Grivel, directeur général de la Cnaf, lors de son audition devant la délégation, des aides financières individuelles, gérées par les CAF au niveau local, notamment dans le cadre du parcours séparation.

Pour autant, au cours de leurs auditions, les rapporteures ont constaté que ces dispositifs étaient souvent mal identifiés par les personnes concernées.

b) Une mauvaise connaissance des dispositifs et un taux élevé de non-recours aux droits

Selon une étude de la Drees, portant sur la connaissance des prestations sociales et sur les raisons du non-recours aux droits19(*), si les familles monoparentales connaissent plutôt mieux les prestations que les autres familles puisqu'elles en bénéficient davantage, la proportion d'entre elles qui connaît assez précisément au moins quatre prestations a fortement baissé, passant de 62 % en 2016 à 44 % en 2020.

Si le taux de non-recours est par nature difficile à évaluer, il concernerait a minima 15 % des familles monoparentales s'agissant de l'ASF20(*) comme du RSA21(*). Lors de son audition, Hélène Périvier, économiste à l'OFCE et présidente du Conseil de la famille du HCFEA, a estimé que le taux de non-recours de l'ASF était probablement élevé, en particulier s'agissant de l'ASF complémentaire, versée lorsque la pension est faible.

Une enquête nationale menée par la Cnaf en 2018 a permis d'examiner les dossiers de 17 500 allocataires des CAF afin d'identifier les risques de non-recours. Cette enquête a montré que 8 % des allocataires de la CAF n'avaient pas recours à au moins une prestation légale à laquelle ils étaient éligibles, et entre 14 et 17 % des allocataires susceptibles de bénéficier de l'ASF n'avaient pas fait valoir leur droit.

Selon l'étude précitée de la Drees, les principales raisons expliquant le non-recours aux droits sont le manque d'informations sur les aides ou organismes auxquels s'adresser, la complexité et la longueur des démarches, la crainte des conséquences négatives et la volonté d'autonomie.

Les conditions d'octroi de certaines prestations, en particulier l'ASF, étant complexes, certaines familles peuvent renoncer à y recourir de crainte de devoir rembourser des indus versés en cas d'erreurs. Selon Nicolas Grivel, directeur général de la Cnaf, 60 % des contrôles des CAF donnent lieu à une rectification du montant versé, avec dans deux tiers des cas une réclamation d'indus versés.

La dénonciation de pratiques de contrôles des CAF faisant apparaître une surreprésentation des mères isolées a légitimement suscité un certain émoi. S'il apparaît que l'algorithme sur lequel ces contrôles se fondent en partie est le reflet de statistiques, il n'en demeure pas moins dommageable qu'il en résulte une stigmatisation des mères isolées, qui peuvent, dans ce contexte, renoncer à faire valoir leurs droits.

c) Une activation des droits à renforcer

Nicolas Grivel, directeur général de la Cnaf, a fait part, devant la délégation, de l'engagement des CAF sur la question du recours aux droits, dans le cadre plus global de l'instauration d'une « solidarité à la source » qui doit en outre permettre d'éviter les erreurs et le remboursement d'indus.

Les CAF ont lancé en 2021 un « parcours séparation » : désormais lorsqu'une CAF a connaissance d'une séparation, elle propose un accompagnement social et d'accès aux droits, qui peut être très court, avec la délivrance des informations essentielles, ou plus dense pour les familles les plus vulnérables, lorsque les relations sont conflictuelles entre les deux parents ou encore dans les situations de violences. Selon des données communiquées par la Cnaf, 400 000 familles par an bénéficient du parcours séparation, soit la moitié des parents auxquels ce parcours est proposé.

Les rapporteures appellent à un renforcement de ce « parcours séparation ». Un accompagnement par les CAF sur les questions financières et budgétaires, pour prévenir le surendettement et le risque d'expulsion locative au moment de la séparation, est d'autant plus nécessaire que, comme précédemment évoqué, la séparation a pour conséquence une baisse marquée du niveau de vie des mères isolées et un basculement de nombre d'entre elles dans la pauvreté.

Par ailleurs, les CAF mènent ponctuellement des campagnes d'accès aux droits. À partir de l'enquête de 2018 précitée, la Cnaf a construit un modèle d'exploration de données « Accès aux droits » pour l'ASF, afin de cibler les actions d'accès aux droits vers les allocataires n'ayant pas déjà recours à l'ASF et qui présentent la plus forte probabilité d'être dans un foyer qui y serait éligible. Ce modèle a été testé en 2020 dans cinq CAF-pivot de l'Aripa (Agence de recouvrement et d'intermédiation des pensions alimentaires) puis utilisé dans les vingt-quatre CAF-pivot de l'Aripa en novembre 2021. La campagne de novembre 2021 a ciblé 63 000 dossiers d'allocataires les plus à risque de non-recours, qui ont été contactés par téléphone ou par SMS, et a permis à 3 000 nouvelles familles de bénéficier de l'ASF.

Pour expliquer ce chiffre assez faible, au regard du nombre de personnes contactées, le directeur général de la Cnaf a mis en avant une certaine méfiance des allocataires, peu habitués à être contactés en vue d'ouvrir des droits et craignant donc d'être victimes d'une escroquerie. En outre, parmi les allocataires joints au téléphone, la moitié déclarait ne pas demander l'ASF de façon intentionnelle en raison d'un accord amiable avec l'ex-conjoint ou d'une garde alternée.

Les rapporteures saluent ces démarches entreprises par la branche Famille et appellent à les poursuivre et à les renforcer. Elles estiment en particulier que le recours aux algorithmes ne doit pas poursuivre le seul objectif de lutte contre la fraude, mais doit également permettre de lutter contre le non-recours aux droits.

La COG (Convention d'objectifs et de gestion) Cnaf-État 2023-2027 assigne comme objectif à la branche Famille de « lutter contre la pauvreté des familles monoparentales par un élargissement et une simplification de l'accès aux prestations et services de la Branche ». Cependant, les deux seules actions assignées aux CAF, en lien avec cet engagement, concernent « l'accès au service public des pensions alimentaires » et « la construction et la production d'un indicateur permettant le suivi du taux de récupération de l'ASF versée en tant qu'avance de pension alimentaire ». 

Déplorant que la rédaction de la COG n'ait pas été l'occasion de discuter des actions à mener pour activer les droits des allocataires, les rapporteures appellent les CAF à développer les campagnes d'accès aux droits, en particulier à destination des parents isolés.

Recommandation n° 2 : Mener des campagnes d'accès aux droits à destination des parents isolés.

Dès lors qu'un autre adulte est présent dans le logement, quelle que soit la part qu'il prend dans la charge matérielle et éducative de l'enfant, il ne s'agit plus d'une famille monoparentale au sens des CAF, le critère d'isolement étant une condition dirimante des conditions d'attribution plus favorables des prestations familiales et sociales susmentionnées.

Si la délégation comprend cette construction historique, qui découle du caractère familial du système français de prestations sociales et familiales, mais aussi du souhait de cibler les dispositifs sur les familles les plus précaires que sont les familles isolées, elle s'interroge en revanche sur sa pertinence s'agissant de l'allocation de soutien familial (ASF). Une remise à plat de l'ensemble du système sociofiscal français, qui pourrait notamment passer par une individualisation des prestations, avec des allocations familiales centrées sur l'enfant et versées dès le premier enfant, paraissant difficilement envisageable à court terme et dépassant le cadre de ce rapport, la délégation souhaite a minima envisager l'expérimentation d'une évolution des conditions de versement de l'ASF, unique prestation dédiée spécifiquement aux familles monoparentales.

2. Expérimenter une évolution des conditions de versement de l'allocation de soutien familial (ASF) au bénéfice des enfants concernés

L'allocation de soutien familial (ASF) est versée au parent isolé assumant seul la charge de son enfant. La Sécurité sociale assume alors un rôle de « soutien familial » auprès de l'enfant privé du secours de l'un de ses parents, que celui-ci soit décédé, inconnu ou défaillant. Cette situation de vulnérabilité particulière de l'enfant, qui bénéficie de la solidarité nationale, justifie l'universalité de cette allocation, qui est versée sans condition de ressources et dès le premier enfant, à la différence des allocations familiales.

Dans la grande majorité des cas, l'ASF est versée lorsque l'autre parent est décédé, n'a pas reconnu l'enfant ou est considéré comme « hors d'état » de verser une pension alimentaire, ce qui est notamment le cas lorsqu'il est bénéficiaire du RSA socle, y compris en cas de cumul avec la prime d'activité. L'ASF peut également être versée à titre provisoire, pendant quatre mois, dans l'attente de la fixation d'une pension, lorsque l'autre parent ne participe plus à l'entretien de l'enfant depuis au moins un mois. Dans ces différents cas, qui correspondent à 80 % des versements, il s'agit d'une ASF non recouvrable. L'ASF se substitue alors à la pension alimentaire qui devrait être versée au bénéfice de l'enfant.

L'ASF est également versée lorsque le parent ne verse pas la pension fixée. Elle constitue alors une avance sur le montant de la pension due (ASF recouvrable). Cette situation concerne un peu moins de 10 % des bénéficiaires.

Enfin, une allocation peut être versée pour compléter une pension alimentaire inférieure au montant de l'ASF (ASF complémentaire ou différentielle). Son montant est alors égal à la différence entre le montant règlementaire de l'ASF et le montant de la pension reçue. Cette situation concerne également un peu moins de 10 % des bénéficiaires.

Il existe par ailleurs une ASF dite à taux plein, d'un montant de 249,58 euros, versée en cas d'absence des deux parents.

Dans toutes ses dimensions, l'ASF a donc pour but d'assurer une pension alimentaire minimale à l'enfant chaque mois, en l'absence - définitive ou provisoire - du soutien de l'un de ses parents, voire de ses deux parents.

Effectifs de foyers et d'enfants bénéficiaires de l'ASF (champ CAF)
en 2021 selon leur situation

 

Nombre de foyers

Nombre d'enfants

Pourcentage des enfants bénéficiaires

ASF à taux plein

8 000

10 000

0,8%

ASF à taux partiel

799 000

1 300 000

99,2%

Un parent hors d'état / insolvable ou pas de pension alimentaire fixée

 

526 000

40,2%

Filiation établie que par un seul des deux parents

 

346 000

26,4%

Orphelin d'un des deux parents

 

182 000

13,9%

Pension inférieure au montant de l'ASF

 

105 000

8,0%

Non-paiement de la pension alimentaire fixée

 

87 000

6,6%

Délai de 4 mois suite à une demande de RSA

 

32 000

2,5%

Autre cas

 

21 000

1,6%

Ensemble

807 000

1 310 000

100 %

Source : données CNAF au 30/06/2021 (Chiffres clés des prestations légales édition 2022)

À titre subsidiaire, la délégation déplore que la présentation des différents cas de l'ASF ne distingue jamais le parent hors d'état et l'absence de fixation de pension alimentaire alors même que ces situations sont très différentes et que leur addition représente 40 % du total des bénéficiaires de l'ASF.

Le montant de l'ASF a fait l'objet de plusieurs revalorisations successives depuis cinq ans et est indexé sur l'évolution des prix à la consommation. Il s'élève aujourd'hui à 187,24 euros par mois et par enfant. Ce montant correspond à la moyenne des pensions alimentaires (190 euros par mois), confirmant son articulation avec le dispositif de la pension alimentaire : l'ASF pourrait donc être considérée comme la pension minimale versée par la solidarité nationale aux enfants privés du soutien d'un de leurs parents.

Pour autant, les conditions actuelles de versement de l'ASF ne s'inscrivent pas dans cette logique. En effet, alors que les pensions alimentaires demeurent dues lorsque le parent gardien se remet en couple, le versement de l'ASF est, lui, suspendu dès la remise en couple du parent gardien, qu'il s'agisse d'un mariage, d'un pacs ou d'un concubinage22(*).

Pour Véronique Obé, administratrice de la FSFM (Fédération syndicale des familles monoparentales), « supprimer l'ASF c'est nier l'histoire de l'enfant et le mettre sous dépendance financière du nouveau partenaire de son parent, qui garde pourtant seul les responsabilités parentales ».

Cette suspension interroge peut-être encore davantage s'agissant des parents veufs : leur enfant est définitivement privé du soutien de l'un de ses parents, toute pension est exclue, et pourtant le bénéfice de l'allocation de soutien familial lui est retiré dès lors que son parent survivant se remet en couple. Partant, lors de son audition par les rapporteures, la Favec (Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins) a appelé à la mise en place d'une allocation universelle spécifique pour les enfants orphelins, distincte de l'ASF.

Les contrôles des situations de concubinage, conséquence du caractère dirimant du critère d'isolement pour le bénéfice de l'ASF et d'autres aménagements de prestations, peuvent conduire des femmes à renoncer à une remise en couple et ce alors même leur niveau de vie global augmenterait.

En effet, le niveau de vie des ménages augmente mécaniquement lors d'une remise en couple et le niveau de vie des familles recomposées est proche de celui des familles « traditionnelles », bien supérieur à celui des familles monoparentales (voir supra IB2b). La remise en couple permet notamment de réaliser des économies sur le logement, premier poste de dépenses des ménages.

Cette différence notable de niveau de vie entre les familles en couple et les familles monoparentales est d'ailleurs la principale justification au ciblage de l'ASF sur les parents isolés, les plus précaires et les plus touchés par la pauvreté, et à la suspension de son versement lorsque cet isolement prend fin.

Selon Nicolas Grivel, directeur général de la Cnaf, les familles monoparentales les plus précaires sont celles au sein desquelles le parent est totalement isolé et la revalorisation de l'ASF cible davantage les familles les plus précaires que ne le ferait une suppression de la condition d'isolement.

Les réflexions autour du maintien ou non de l'ASF en cas de remise en couple du parent gardien ne doivent pas occulter le sujet majeur que constitue la responsabilisation du parent non-gardien, le versement d'une pension devant être plus automatique, d'autant qu'il est, pour sa part, maintenu en cas de remise en couple, bien qu'il puisse faire l'objet d'une réévaluation à cette occasion.

Par ailleurs, maintenir le versement de l'ASF après une remise en couple, sans limites de temps, pourrait créer des distorsions, à niveaux de vie équivalents, entre familles « traditionnelles », ne bénéficiant pas de cette allocation, et familles recomposées, ayant vécu un épisode de monoparentalité et bénéficiant donc de l'ASF.

Enfin, le coût du maintien de l'ASF en cas de remise en couple du parent gardien est difficile à évaluer et pourrait être plus lourd qu'anticipé pour les finances publiques.

La Cnaf estime qu'environ 2 % des allocataires de l'ASF en perdent chaque année le bénéfice en raison d'une remise en couple. En extrapolant cette estimation aux 817 000 familles bénéficiaires (tous régimes) et en la rapportant au montant actuel de l'ASF, le coût de cette réforme pourrait être d'environ 50 millions d'euros par an. Cependant, d'autres études23(*) estiment le coût pour la branche famille à plusieurs centaines de millions d'euros.

Faute d'évaluation fiable du coût pour les finances publiques, une expérimentation dans quelques départements pourrait être envisagée. Il s'agirait de maintenir le versement de l'ASF en cas de remise en couple du parent gardien, pendant une période de six mois, afin de ne pas déstabiliser brutalement la situation des familles concernées.

Ceci rejoint une proposition du Haut Conseil à la famille, présentée par Hélène Périvier lors de son audition devant la délégation, mais aussi de l'Unaf (Union nationale des associations familiales), qui a exprimé lors de son audition ses craintes de voir les débats autour de la condition d'isolement se porter sur d'autres prestations si ce principe était entièrement remis en cause, sans limites de durée, s'agissant de l'ASF.

Les deux rapporteures ont chacune exprimé une position différente sur le sujet des modalités de versement de l'ASF en cas de remise en couple du parent gardien. Si la rapporteure Colombe Brossel est favorable au maintien de l'ASF compte tenu de la place prise par cette allocation comme pension minimale pour l'éducation d'un enfant, la rapporteure Béatrice Gosselin estime, pour sa part, préférable d'expérimenter un maintien provisoire de l'ASF, ne créant ainsi pas de nouvelles inégalités d'accompagnement des familles par la solidarité nationale.

La délégation s'est prononcée en faveur d'une expérimentation.

Recommandation n° 3 : Expérimenter, et assortir d'une évaluation chiffrée, le maintien provisoire du versement de l'allocation de soutien familial (ASF) en cas de remise en couple du parent gardien.

Le dispositif actuel de l'ASF et son articulation avec les pensions alimentaires souffrent d'autres incohérences, au regard en particulier de leur prise en compte dans le système sociofiscal.

3. Aligner la prise en compte des pensions alimentaires et de l'ASF dans les bases ressources des prestations afin de soutenir les familles aux plus faibles revenus

La fiscalisation de la pension alimentaire reçue, qui est donc considérée comme un revenu pour le parent gardien, suscite certaines interrogations dans la mesure où il s'agit d'une contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. Le Haut Conseil à la famille a ainsi recommandé de sortir la pension alimentaire du système fiscal ou, a minima, de déduire une part de la pension alimentaire, à hauteur de l'ASF, du revenu imposable du parent gardien.

Cependant, afin de ne pas peser sur les finances publiques ni de créer une distorsion entre contribuables, défiscaliser tout ou partie de la pension alimentaire reçue devrait s'accompagner d'une suppression de l'abattement sur l'impôt sur le revenu dont bénéficie le parent débiteur. Si le revenu correspondant au montant de la pension n'est pas soumis à l'impôt sur le revenu au niveau du parent gardien, il devra en effet l'être au niveau du parent non-gardien. La demi-part fiscale supplémentaire accordée aux parents isolés, parfois considérée comme une compensation de la fiscalisation de la pension, pourrait également être menacée. Une telle réforme aurait donc des effets ambivalents, à la fois pour les parents concernés et pour les finances publiques, qui exigent la mise en place rapide d'une évaluation, par les pouvoirs publics, plus poussée et accompagnée de microsimulations.

La prise en compte de la pension alimentaire dans le système social, à savoir les bases ressources des prestations familiales et sociales, interroge également. Selon Hélène Périvier, « le système fiscal, qui concerne les plus aisés, est plus juste que le système social qui concerne les plus précaires » alors même que « l'urgence concerne les familles monoparentales précaires » et que la majorité des familles monoparentales ne paye pas d'impôt sur le revenu.

En effet, alors que la pension alimentaire n'est fiscalisée qu'une fois, au niveau du parent créancier, elle entre dans le calcul des bases ressources des deux parents, s'agissant des prestations telles que le RSA, la prime d'activité et les aides au logement, mais aussi des tarifications sociales qui peuvent être mises en place par les collectivités pour la restauration scolaire, les crèches ou l'accueil périscolaire. Ainsi, le parent qui verse une pension, ne la déduisant pas de ses ressources, voit son niveau de vie surévalué, ce qui peut le priver du bénéfice de prestations. De même, le parent qui la reçoit, l'intégrant à ses ressources, alors même qu'elle constitue non pas un revenu pour lui, mais une contribution aux charges de l'enfant, peut perdre le bénéfice de prestations ou avantages financiers, du fait d'effets de seuil.

En outre, la pension alimentaire, même faible, est intégralement prise en compte dans les bases ressources tandis que l'ASF n'entre pas dans le calcul des bases ressources des aides au logement et n'est prise en compte que partiellement dans les bases ressources du RSA et de la prime d'activité, avec un écrêtement à hauteur de 22,5 % de la BMAF (base mensuelle de calcul des allocations familiales).

Ainsi, lorsque le parent gardien recouvre la pension qui lui est due, son revenu disponible peut diminuer, du fait de la perte de prestations. Son taux marginal effectif d'imposition est supérieur à 100 % lorsque son salaire est inférieur ou égal au Smic.

Lors de son audition, Hélène Périvier a pris l'exemple d'une mère ayant la garde de deux enfants de plus de trois ans et recevant une pension de 190 euros par mois et par enfant, soit le montant moyen des pensions alimentaires et un montant très proche de celui de l'ASF. Au niveau du Smic, son taux marginal effectif de prélèvement est de 130 %, car lorsqu'elle perçoit une pension, elle perd le bénéfice de tout ou partie du RSA, de la prime d'activité et des aides au logement.

La différence est particulièrement nette lorsque cette personne bascule du bénéfice de l'ASF - versée en cas d'impayés - au recouvrement de la pension due. Si cette personne perçoit un salaire égal au Smic, son taux marginal d'imposition s'élève à 142 % puisque pour un euro de pension, elle perd non seulement le bénéfice de l'ASF, mais également 42 centimes de prestations (RSA, prime d'activité, aides au logement...). A contrario, pour une personne avec un salaire équivalent à trois Smic, moins concernée par le système de prestations que par le système fiscal, le recouvrement d'un euro par mois de pension augmente son revenu disponible de 28 centimes.

Évolution des transferts sociaux et fiscaux lors du passage d'un impayé de pension à l'ASF recouvrable puis au recouvrement de la CEEE

Cas d'un parent gardien avec deux enfants de 6 et 8 ans percevant le montant moyen de la CEEE (190 euros par enfant)

Source : OFCE, Périvier et Pucci, Soutenir le niveau de vie des parents isolés ou séparés
en adaptant le système sociofiscal, 2021

Les parents isolés sont ainsi dans une situation paradoxale : ils ont davantage intérêt financièrement à bénéficier de transferts publics, via l'ASF, que de transferts privés, via une pension. Une telle situation n'est ni juste pour les familles, ni souhaitable du point de vue des finances publiques.

Un abattement sur le montant de la pension pris en compte dans les bases ressources, à hauteur du montant de l'ASF, permettrait de limiter ces incohérences.

Recommandation n° 4 : Instaurer un abattement sur le montant de la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant pris en compte dans les bases ressources des prestations familiales et des aides au logement, à hauteur de l'ASF.

Au-delà de la nécessaire solidarité publique en faveur des familles monoparentales, en particulier les plus précaires, la délégation estime nécessaire de responsabiliser davantage le parent non-gardien, qui se doit de participer aux coûts d'entretien et d'éducation de son enfant. Cet impératif est à mettre en lien avec les débats autour de l'ASF, de ses conditions de versement et de sa prise en compte dans le système sociofiscal : il s'agit de s'assurer qu'une pension alimentaire soit versée de façon plus systématique et rehausse le niveau de vie de l'enfant, dans tous les cas où cela est possible (dans 40 % des cas de versement de l'ASF, le second parent est décédé ou n'a pas reconnu l'enfant), la solidarité publique pouvant ensuite venir en complément pour augmenter un niveau de vie qui reste faible.


* 18 Article L.262-9 du code de l'action sociale et des familles relatif au RSA majoré : « est considérée comme isolée une personne veuve, divorcée, séparée ou célibataire, qui ne vit pas en couple de manière notoire et permanente et qui notamment ne met pas en commun avec un conjoint, concubin ou partenaire de pacte civil de solidarité, ses ressources et ses charges ».

* 19 Drees, Prestations sociales : pour quatre personnes sur dix, le non-recours est principalement lié au manque d'information, Claudine Pirus, avril 2023.

* 20 Selon des éléments communiqués aux rapporteures par la Cnaf.

* 21 Drees, Mesurer régulièrement le non-recours au RSA et à la prime d'activité : méthode et résultats, 2022.

* 22 Article L. 523-2 du code de la sécurité sociale.

* 23 Notamment de Bertrand Fragonard, ancien vice-président du HCFEA.

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